Quelles conceptions de l`impartialité des Conseils de Prud`hommes ?

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Quelles conceptions de l`impartialité des Conseils de Prud`hommes ?
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Quelles conceptions de l’impartialité
des Conseils de Prud’hommes ?
(à propos de Cass. Soc. 3 juillet 2001, Bonnaffé)
par Pascal MOUSSY, Directeur des études de PRUDIS CGT,
Chargé d’Enseignement à l’Université d’Evry Val d’Essonne
L
a personne la plus importante, dans une salle d’audience, étant naturellement la partie qui va perdre, il se
posera inlassablement à son endroit la seule question qui englobe toutes les autres : aura-t-elle un motif
raisonnable de croire qu’elle n’a pas reçu justice ? » (N. Commaret, « Une juste distance ou réflexions sur
l’impartialité du magistrat », D. 1998, Chr. 264).
«
Il ressort de cette belle interrogation, émise par un
magistrat soucieux de l’impartialité de son corps, que
la partie perdante au procès serait le destinataire
privilégié des dispositions de l’article 6.1 de la
Convention Européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, aux termes
desquelles « toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue équitablement, publiquement et dans un
délai raisonnable, par un tribunal indépendant et
impartial ».
Il convient alors de relever qu’originellement, la
conduite du procès consacré à la résolution des litiges
du travail mettait en évidence que le travailleur avait à
souffrir du manque d’impartialité de magistrats tout
acquis à la classe possédante.
Jean Jaurès, à l’époque, eut l’occasion d’en
témoigner. « En 1895, Jean Jaurès, interpellant le
ministre de la Justice Trarieux à propos de l’attitude du
gouvernement dans la grève des verriers de Carmaux,
dénonce le jeu de la répression en s’en prenant aux
juges et au gouvernement qui profite de ces inclinations
à la sévérité : “Ces magistrats, enveloppés des luttes
politiques et sociales qui sévissent nécessairement sur
notre pays, se laissant aller à leurs impressions, à leurs
émotions et à leurs colères, ils se grisent peu à peu, si
on ne les rappelle pas au respect de la loi et de leur
propre dignité” » (voir N. Olszak, “Mouvement ouvrier
et système judiciaire”, thèse Strasbourg, 1987, 223).
Le grief de partialité atteignait particulièrement les
Conseils de Prud’hommes, dont la composition se
révélait peu propice à la prise en compte des
arguments présentés par le plaignant ouvrier. Jusqu’en
1948, le collège « ouvrier » réunissait des
contremaîtres et des « ouvriers patentés » (ouvriers
travaillant pour le compte d’un marchand avec l’aide
d’autres ouvriers), perçus comme des « petits maîtres »
qui « oppriment et pressurent » les ouvriers (voir
N. Olszak, op. cit. 167).
Ce n’est qu’au fil du temps, et grâce à l’action
déployée par les militants des Bourses du Travail ayant
« investi » le champ prud’homal, que le Conseil de
Prud’hommes a gagné sa crédibilité auprès des
travailleurs, en se présentant sous l’aspect d’une
juridiction construite sur un équilibre entre le point de
vue patronal et celui du monde du travail.
Et un pas a été franchi, visant à une meilleure
perception du procès prud’homal par le travailleur,
lorsque le droit prud’homal moderne, à partir d’un
décret du 12 septembre 1974, a pris en compte le
caractère alimentaire de la créance du demandeur
salarié, en conférant des pouvoirs juridictionnels au
bureau de conciliation.
La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a eu
l’occasion de consacrer le parti pris du procès
prud’homal en faveur de la partie qui est atteinte dans
ses revenus de subsistance en rappelant, à propos des
provisions pouvant être allouées par le bureau de
conciliation, qu’il résulte de l’article R. 516-18 du Code
du Travail que « ce texte n’est applicable qu’à des
sommes dues par l’employeur au salarié » (Cass. Soc.
6 mai 1997, Dr. Ouv. 1997, 471, note Arnaud de
Senga).
L’impartialité du Conseil de Prud’hommes s’est donc
construite à partir de son affranchissement d’une
logique corporatiste attachée à l’image d’un tribunal de
famille dominé par les patrons et de la reconnaissance
du conflit d’intérêts entre les aspirations patronales et
les revendications des salariés.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la
pertinence de la position prise le 3 juillet dernier par la
Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans le
(déjà) fameux arrêt Bonnaffé (en page 3 du présent
numéro).
Par son arrêt, la Cour de Cassation pose le principe
que l’exigence d’indépendance et d’impartialité
attendue du tribunal implique qu’un conseiller
prud’homme n’exerce pas de mission d’assistance ou
de mandat de représentation devant le Conseil de
Prud’hommes dont il est membre.
Cet axiome d’une incompatibilié entre les missions
de juge et de défenseur, au sein d’un même tribunal,
s’inscrit dans le droit fil de réflexions provenant du
Président Gélineau-Larrivet, qui, après avoir relevé que
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l’article L. 516-3 du Code du Travail interdisait
seulement aux conseillers prud’hommes d’exercer leur
mission d’assistance ou de représentation devant la
section, ou la chambre, à laquelle ils appartiennent, et
éventuellement, devant la formation de référé, a tenu à
souligner qu’il lui semblait que les fonctions de juge et
de défenseur étaient « très éloignées l’une de l’autre »
et qu’une réforme mériterait d’être envisagée, « au
moins pour étendre les incompatibilités existantes »
(G. Gélineau-Larrivet, « Quelques réflexions sur les
Conseils de Prud’hommes et la procédure
prud’homale ». Le juge entre deux millénaires.
Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, p. 349 ).
Mais, si l’on se réfère aux dispositions du Code de
l’organisation judiciaire, cette contrariété entre les
fonctions de juge et de défenseur ne relève pas du
phénomène naturel.
Il ressort en effet des dispositions de l’article L. 213-2
du Code de l’organisation judiciaire qu’« à défaut de
conseiller disponible, les avocats dans l’ordre du
tableau et, après eux, les avoués selon la date de leur
réception peuvent être appelés à suppléer les
conseillers pour compléter la Cour d’Appel ».
Il s’agit là moins d’une incitation que d’un devoir :
l’avocat appelé à compléter la Cour et qui n’y défère
pas commet une faute professionnelle (voir E. Putman,
« Cour d’Appel », Répertoire Procédure Civile, 9).
Et il a notamment été jugé que la Cour qui cherchait
à se compléter n’avait pas à se préoccuper de savoir si
l’avocat appelé était par ailleurs député, « cette
circonstance étant sans influence sur la validité de la
décision qui serait rendue avec son concours » (Cass.
Req. 17 mars 1913, D.P. 1914, I, 140).
Force est ici de relever que la présence d’un
défenseur parmi les magistrats composant la Cour
d’Appel ne suscite pas d’inquiétude particulière quant
à l’impartialité de la Cour, le débat portant plutôt sur la
question de savoir si la règle traditionnelle selon
laquelle, lorsque la Cour a été complétée par un avocat
ou un avoué, la majorité doit demeurer constituée de
magistrats ne serait pas « d’une excessive rigidité »
(voir. E. Putman, art. préc. 9).
Il est dès lors curieux que le fait que des conseillers
prud’hommes puissent être amenés à exercer des
fonctions de défenseur provoque autant de remous,
l’organisation paritaire de la juridiction prud’homale
étant de nature à constituer une sérieuse garantie
contre le risque de connivence.
La « suspicion » a été définie comme « la crainte
légitime qu’une juridiction ne se prononce pas avec
l’impartialité requise, compte tenu des tendances ou
des intérêts des juges qui la composent » (voir
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J.J. Daigre, « L’avocat conseiller prud’homme »,
Dr. Soc. 1981, 704). Aussi, une demande de
récusation pour « suspicion légitime » doit reposer sur
des faits graves et sérieux. « Elle ne saurait se fonder
sur de simples allégations sur des appréhensions du
demandeur, sur une ambiance défavorable »
(J.J. Daigre, art. préc., 704).
La suspicion de connivence entre les juges
prud’hommes et le défenseur, qui exerce également les
fonctions de conseiller, ne saurait donc se fonder sur de
simples « impressions » ou sur la seule allégation que
l’activité juridictionnelle créerait des liens de nature à
amoindrir la rigueur qui doit présider à l’examen des
arguments présentés par le défenseur.
L’hypothèse la plus propice à entretenir un risque de
connivence remettant en cause la perception de la
juridiction prud’homale comme impartiale serait celle
de conseillers entretenant entre eux des relations de
caractère « familial ».
Il serait alors tout à fait normal de ne pas accepter
que le conseiller défenseur fasse de la convivialité
prud’homale le critère déterminant de la recevabilité de
ses arguments.
Mais comme l’a fort justement relevé il y a encore
peu de temps la Cour d’Appel de Paris (18e Ch. C) (en
page 3 du présent numéro), cette perception des
relations entre les conseillers prud’hommes ne
correspond pas au fonctionnement d’un Conseil de
Prud’hommes comme celui de Paris.
Plus exactement, lorsque le conseiller prud'homme,
élu sur liste syndicale, intervient comme défenseur
syndical, l’organisation paritaire de la juridiction
prud’homale réduit à peu de choses le risque de
« connivence », si l’on admet que le « conflit d’intérêts »
est au cœur de l’institution prud’homale (voir, dans ce
sens, M. Th. Lanquetin, « L’indépendance des Conseils
de Prud’hommes », Revue juridique des Barreaux,
février-juin 1999, 84).
La probabilité d’une partialité, inhérente à une
conception familiale du procès prud’homal, se révèle
des plus infimes. On voit mal pourquoi les conseillers
employeurs feraient des cadeaux à un militant syndical
qui se bat sur tous les fronts prud’homaux...
Consacrer, par la réédition des contestables attendus
de l’arrêt Bonnafé, l’extension à l’ensemble du Conseil
de l’incompatibilité entre les fonctions de conseiller et
de défenseur reviendrait à ériger en vertu l’ignorance
du conflit d’intérêts qui définit aujourd’hui l’institution
prud’homale et, ce qui est encore plus condamnable, à
priver le salarié de la liberté de choix de son défenseur.
Pascal Moussy
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ANNEXE
CONSEILS DE PRUD’HOMMES – Conseiller défenseur – Cumul de fonctions devant le Conseil dont il est membre –
Invocation de l’art. 6-1 CEDH (deux espèces) – 1° Présomption prétorienne de partialité – Incompatibilité
(1re espèce) – 2° Suspicion de connivence devant être objectivement justifiée – Absence de rapports d’autorité
entre conseillers prud’hommes – Caractère paritaire constituant une garantie d’impartialité (2e espèce).
PREMIÈRE ESPÈCE
COUR DE CASSATION (Ch. Soc.)
3 juillet 2001
Bonnaffé contre Ducrocq
Sur le moyen unique :
Vu l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de
l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que cette
exigence implique qu’un conseiller prud’homme n’exerce pas
de mission d’assistance ou de mandat de représentation
devant le Conseil de Prud’hommes dont il est membre ;
Attendu que dans un litige opposant M. Bonnaffé à
Mme Ducrocq cette dernière était représentée à l’audience
par son époux membre de la juridiction prud’homale saisie ;
Qu’en statuant dans ces conditions, le Conseil des
Prud’hommes a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
Casse et annule, dans toutes ses dispositions.
(M. Gélineau-Larrivet, Prés. - Mme Maunand, Rapp. M. Duplat, Av. gén.)
DEUXIÈME ESPÈCE
COUR D’APPEL DE PARIS
29 mars 2001
(18e
Ch. C)
Entreprise Grenon contre J. Boyer
Jacques Boyer qui était employé en qualité de conducteur de
travaux par la société Grenon et a fait l’objet d’un licenciement pour
motif économique, a saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris,
section encadrement, de demandes de dommages-intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral ;
Dans le cadre de cette instance, Me Vaillery-Radot, conseil de la
société Grenon a, par lettre recommandée du 3 mai 2000, saisi le
Président du Conseil de Prud’hommes d’une requête en suspicion
légitime tendant au renvoi de l’affaire devant un autre Conseil de
Prud’hommes en faisant valoir que M. Boyer était assisté par
M. Frerson, délégué syndical FO, par ailleurs conseiller prud’homme
de la section commerce du même conseil, et que cette qualité de
fonctions dans la même juridiction était contraire aux dispositions de
l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales ;
Par ordonnance du 27 septembre 2000, le Président du Conseil
de Prud’hommes de Paris a dit la demande irrecevable après avoir
relevé que Me Vallery-Radot n’avait pas justifié d’un pouvoir spécial
pour la présenter ;
Cette décision a été confirmée par arrêt du 26 octobre 2000 ;
Par Iettre recommandée du 7 novembre 2000 le conseil de la
société Grenon a renouvelé sa requête en y joignant un pouvoir
spécial de son mandant ;
Par ordonnance du 10 janvier 2001, le Président du Conseil de
Prud’hommes de Paris a dit irrecevable en la forme et mal fondée
sur le fond la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime
déposée par Me Vallery-Radot ;
La requête et cette ordonnance ont été transmises le même jour
à la Cour d’Appel ;
A l’audience du 31 janvier 2001, Me Vallery-Radot a conclu à la
recevabilité et au bien fondé de sa requête ;
Le Ministère public a été entendu en son avis et M. Boyer a
présenté ses observatIons ;
MOTIVATIONS :
Me Vallery-Radot a justifié d’un pouvoir spécial à l’appui de
sa nouvelle requête en sorte que celle-ci doit être déclarée
recevable ;
Aux termes de l’article 6-1 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de I’homme et des libertés
fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue par un tribunal indépendant et impartial ;
Le moyen tiré de la confusion des fonctions juridictionnelles
et de défense est sans portée dès Iors que M. Frerson n’est pas
appelé à statuer sur le litige introduit par le salarié qu’il assiste ;
De même, l’analogie avec les dispositions de l’article 47 du
Nouveau Code de Procédure Civile est inopérant, M. Frerson
n’étant pas partie au litige.
Il y a lieu d’examiner si l’on peut considérer les
appréhensions de la société Grenon comme objectivement
justifiées ;
Les conseillers prud’hommes sont à parts égales des salariés
et des employeurs élus pour cinq ans par leur homologues sur
des listes électorales distinctes pour chacune des cinq sections
autonomes, correspondant à des activités professionnelles
spécifiques, qui composent un Conseil de Prud’hommes ;
M. Frerson est un salarié élu au Conseil de Prud’hommes de
Paris dans la section du commerce dont il préside l’une des
chambres en alternance avec d’autres conseillers
prud’hommes ;
Cette fonction ne Iui confère pas d’autorité sur l’ensemble
des membres du Conseil de Prud’hommes et notamment sur
les conseillers des autres sections, élus par d’autres collèges et
nommés le cas échéant à des fonctions présidentielles par
d’autres assemblées ;
Plus généralement, la nature spécifique de la juridiction
prud’homale, composée paritairement de salariés et
d’employeurs, magistrats non professionnels ne dépendant
que de leurs mandants pour leur réélection éventuelle,
constitue, avec les dispositions de l’article L. 516-3 du Code du
Travail, une prévention suffisante contre la connivence
redoutée par la société Grenon ;
Le seul fait que M. Frerson, membre du Conseil de
Prud’hommes de Paris, est susceptible d’entretenir des
relations avec les 720 conseillers qui le composent ne suffit pas
pour considérer comme rompue l’égalité entre les parties et
comme objectivement justifiées les craintes de la société
Grenon à l’égard de cette juridiction ;
La requête sera donc rejetée ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare la société Grenon recevable mais mal fondée en sa
requête en suspicion légitime,
L’en déboute.
(M. Feydeau, Prés.)
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La Cour de Cassation pouvait-elle, dans son
arrêt du 3 juillet 2001, prendre une telle
décision sans méconnaître, ni violer
l’article L. 516-3 du Code du Travail ?
par Jean-Claude LAM, Directeur de PRUDIS CGT
L
e style provocant, volontairement adopté, de la question exprime l’émotion soulevée par l’arrêt du 3 juillet 2001
dans les rangs des conseillers prud’hommes salariés, plus généralement dans ceux des acteurs au procès
prud’homal.
La question, et donc la réponse qu’elle suscite, sont composées :
1. Quels sont le sens et la portée de la décision de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation ; quelle valeur garde
l’article susvisé au regard de l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ? (A)
2. Quelles attitudes possibles pour les conseillers prud’hommes assurant une fonction de défense ? (B)
A - Les articles L. 516-3 du Code du Travail
et 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
1) Ce qui est posé ici est la supériorité de la
norme internationale sur la norme interne.
Passons sur le préambule de la Constitution qui fait
de l’action de se conformer au droit international une
tradition française.
Plus conséquent, l’article 55 de la Constitution qui
dispose que la norme internationale régulièrement
ratifiée ou approuvée a une autorité supérieure à celle
des lois, ce qui a pour conséquence que la loi qui entre
en conflit avec une norme internationale doit s’effacer
devant elle.
Cependant, aucune juridiction n’étant en droit
français compétente pour censurer une loi, la question
s’est rapidement posée de savoir si le juge judiciaire ou
administratif pouvait l’écarter au profit de la norme
internationale, en application de l’article 55 de la
Constitution (1).
La réponse n’est pas douteuse.
Longtemps discordantes, les jurisprudences respectives
sont aujourd’hui à l’unisson pour assurer la primauté de
la norme internationale (Ch. Mixte, Cass. 24 mai 1975,
Société des Cafés J. Vabre et C.E. 20 octobre 1989,
Nicolo).
2) Mais encore faut-il pour que la solution
s’applique qu’il y ait conflit entre deux
normes, l’une nationale et l’autre
internationale.
« En cas de concours de textes sur une même
question et lorsque ceux-ci ne sont pas opposés, c’est la
loi nationale que la juridiction française doit
appliquer » (conclusions L. Charbonnier, Cass. Civ.
Epoux Baucher c/ Epoux Vattaire, 1986).
Et c’est bien là qu’avec l’arrêt du 3 juillet 2001, le
bât blesse.
En adoptant la loi du 18 janvier 1979 portant
réforme de la juridiction prud’homale qui a abrogé
toutes les dispositions législatives antérieures, le
législateur ne pouvait ignorer la CEDH du 4 novembre
1950, d’autant moins que la France n’a ratifié la
convention que très tardivement et moins de cinq ans
avant la réforme des CPH (entrée en vigueur de la
convention le 3 mai 1974).
L’article L. 516-3 qui interdit au conseiller
prud’homme d’exercer une fonction d’assistance ou de
représentation devant sa section ne poursuit d’autre but
que de garantir l’impartialité de la juridiction (2).
Non seulement il y a bien concours des deux textes
en question mais poursuivant le même objet, ils ne
s’opposent pas, tout au contraire.
L’application de l’article L. 516-3 ne devait donc pas
être écartée.
Mais là n’est pas le seul aspect choquant de cette
décision.
(1) Question d’autant plus aiguë que le Conseil Constitutionnel s’était
(2) En effet, une mauvaise lecture est souvent faite de cet article, qui
déclaré de longue date (15 janvier 1975) incompétent pour censurer
considère qu’il confère au conseiller une habilitation à cette fonction,
une loi non conforme à un engagement international.
alors qu’il pose a contrario une interdiction, certes partielle.
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Si, pour garantir la primauté de la norme
internationale (et donc le respect de l’article 55 de la
Constitution), le juge judiciaire ou administratif est
confronté ordinairement au problème de l’interprétation
de la norme internationale (3), ce ne fut pas le cas de
la Chambre Sociale dans sa décision du 3 juillet 2001
qui a interprété… la norme nationale.
En décidant qu’un jugement pris par un Conseil de
Prud’hommes en faveur d’une partie assistée par une
personne, certes habilitée, mais membre de la
juridiction, était entaché de partialité, la Chambre
Sociale édicte une sorte de présomption irréfragable
5
(4) dont on sait qu’elle est normalement l’œuvre du
législateur, présomption qui pèse sur la juridiction. Car
c’est bien, dans cette décision, la juridiction
prud’homale qui est en cause et non le défenseur « par
ailleurs conseiller prud’homme » (cf. L. 516.3) qui
aurait grand tort de se sentir concerné a priori par la
décision de la Chambre Sociale.
Dans ces conditions, on ne peut alors qu’espérer que
cette décision est d’espèce compte tenu par exemple de
la double qualité d’époux et de conseiller prud’homme
du défenseur.
B - « Que faire » quand le ver est déjà dans le fruit ?
1. Contrairement aux apparences et pour choquante
qu’elle soit, la décision du 3 juillet 2001 n’est pas
une révolution, pas même une innovation.
imaginer ce que serait la position de la Cour à propos
d’un contentieux prud’homal, la juridiction n’étant
même pas (encore !) échevinée (5).
Elle n’est que l’aboutissement, la formulation explicite
de ce qui est dans l’air du milieu et de son temps.
2. Revenons à l’arrêt du 3 juillet 2001 ; faut-il retirer
au conseiller prud’homme l’habilitation à assister
ou représenter une partie au procès prud’homal ?
La récusation, par exemple, à propos de laquelle le
raisonnement juridique est le même que celui qui soustend la décision du 3 juillet 2001, est au cœur du
débat qui agite le monde judiciaire de la prud’homie.
Si des Cours d’Appel ont pu décider que l’article
L. 518-1 s’interprétait de façon restrictive (CA Aix-enProvence, 18 juin 1981, CA Paris 29 mars 2001, cidessus p. 3), il n’en est pas de même pour la Chambre
Sociale de la Cour de Cassation qui reproche à une
Cour d’Appel de s’en être tenue aux motifs légaux de
récusation prévus par l’article L. 518-1, sans aller au
delà chercher les circonstances objectives d’une
transgression du principe d’impartialité et de s’être
bornée à énoncer que les manquements éventuels à ce
principe ne peuvent être sanctionnés qu’a posteriori par
la nullité de la décision rendue (Cass. Soc.
18 novembre 1998).
Plus problématique encore, la jurisprudence de la
Cour Européenne qui, de manière constante, privilégie
l’apparence d’impartialité et d’indépendance
objectives. Ainsi, dans une affaire (Lamberger c/ Suède
– 1990), la Cour a conclu à une violation de l’article
6-1 en déclarant que même si des particuliers sont
techniquement qualifiés pour traiter d’un problème et
même s’il n’y a pas de raisons subjectives de douter de
leur intégrité personnelle, il est important que soit
préservée l’apparence d’impartialité et d’indépendance
objectives.
Dans cette affaire, les « particuliers » étaient les
assesseurs échevins d’un tribunal. On ose à peine
(3) Certes l’article 6.1 ne souffre pas d’un problème d’interprétation ;
s’appliquant au civil comme au pénal, cette règle est devenue une
sorte de principe universel, de portée générale donc.
(4) Une connivence naturelle et inéluctable des membres d’un même
corps !
Soyons francs : l’intérêt et l’attachement que nous
portons à la juridiction prud’homale ne réside pas dans
la faculté du conseiller prud’hommes d’y pratiquer la
défense syndicale. Une incompatibilité partielle (devant
son conseil) ou totale (devant tous les CPH) entre les
fonctions de conseiller et de défenseur ne justifierait pas
EN SOI un scandale.
Il ne s’agirait pas là d’un coup mortel porté à la
juridiction prud’homale.
Mais restons lucides :
a) La décision du 3 juillet peut s’inscrire dans une
logique qui, poussée à son terme, conduit à la
dénaturation pure et simple de la juridiction
prud’homale. Entre l’interdiction pour un conseiller
prud’homme de plaider devant son conseil et la
désyndicalisation, même paritaire, des CPH et
l’échevinage, il y a certes un grand pas ; mais
beaucoup de détracteurs de la juridiction ont déjà
chaussé leurs bottes de sept lieues pour le
franchir ; certains faux amis de la prud’homie leur
fournissent même le chausse-pied.
b) La compatibilité entre le statut (pas le mandat) de
conseiller prud’homme et celui de défenseur n’est
pas une fin en soi ; c’est la conséquence logique
d’une certaine conception du traitement judiciaire
des conflits du travail et de la place que chacune
des parties y occupe. En l’absence (coupable)
d’un véritable statut du défenseur syndical, c’est à
cette fonction qu’une telle incompatibilité porterait
(5) Notons d’ailleurs que la CA de Versailles n’a pas attendu la C.E.J.
pour tenir un tel raisonnement (CA de Versailles du 18 mai 1982), in
Droit Ouvrier janvier 2001 p. 15.
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gravement atteinte. Beaucoup de conseillers
assument en effet une fonction de défense, non
pas parce qu’ils sont conseillers mais parce qu’ils
sont militants détenteurs d’un savoir-faire juridique
et judiciaire.
Devant l’arrêt du 3 juillet 2001, il n’apparaît pas
judicieux de se camper crânement sur des positions
certes bien inspirées mais mal assises ; l’aventurisme
semble peu recommandé là où il est possible de faire
autrement. Ne donnons pas à la Cour de Cassation
l’occasion de construire et densifier une jurisprudence
de principe qui pourrait bien fournir des « attendus
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alibis » au gouvernement pour une réforme de la
législation en vigueur.
L’enjeu reste de ne pas céder de terrain dans le débat
sur l’impartialité du juge prud’homal qui fait
aujourd’hui office de pierre angulaire pour l’avenir de
la juridiction.
Il reste que la question du statut du défenseur
syndical est entière et qu’il faudra bien que syndicats et
pouvoirs publics s’accordent un jour à son sujet.
Il y va là aussi de l’avenir d’une bonne justice du
travail.
Jean-Claude Lam
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Les travailleurs et l’accès
à une justice prud’homale efficace
(au sens de l’article 6 de la Convention européenne de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales)
par Pascal RENNES, Directeur du Travail
P L A N
Introduction
I. Le juge prud’homal,
respectueux de ses
électeurs salariés,
dérange
A) Est-ce vraiment
l’impartialité de la
juridiction
prud’homale qui est
en cause ?
B) Remarques autour de
la formation paritaire
C) Le bilan moyen des
Conseils de
Prud’hommes cache
des disparités
significatives
II. Développer l’accès
à la justice pour les
salariés
A) L’accès à la justice
prud’homale
demeure difficile,
aléatoire pour
nombres de salariés
B) L’objet des syndicats
et l’accès à la justice
C) Pour un mode
syndical d’accès à
la justice :
1. Une indigence de
moyens
hétéroclites
2. Le maillon
essentiel des
unions locales de
syndicats
3. Un statut pour les
défenseurs
syndicaux
Conclusion
INTRODUCTION
L
’arrêt du 3 juillet 2001 a fait l’objet d’une étonnante diffusion par un nombre
incalculable de zélateurs, beaucoup de magistrats de tous grades, avocats
patronaux, greffiers. Il a laissé sans voix la Ministre de la Justice. On espère bien
sûr que d’autres arrêts fondés sur le même visa de l’article 6.1 mais portant par exemple
sur le délai raisonnable ou le libre choix d’un défenseur connaîtront le même
engouement spontané. Ce phénomène de propagation reflète l’air du temps qui
consisterait à détecter la moindre faille permettant au justiciable d’avoir un sentiment
très subjectif que le tribunal auquel il a affaire n’est pas le meilleur, le plus impartial.
Cette recherche peut, à terme, avoir des effets insoupçonnés, par exemple, à propos des
tribunaux de commerce mais aussi s’il advenait qu’à partir de critères aléatoires, on se
mette à définir le profil politiquement correct d’un juge, notamment dans nombre de
tribunaux fonctionnant à juge unique.
On abandonnera ce terrain malsain pour proposer quelques pistes autour de la question
de savoir si, à propos de l’impartialité, ce n’est pas le rôle du juge (prud’homal) qui est
visé (I) et s’il ne vaudrait pas mieux, au delà, se poser la question des moyens de l’accès
à la justice (II) (prud’homale) pour le monde du travail. Mais avant d’évoquer ces
préoccupations, on pourrait susciter l’intérêt des partisans sincères d’une impartialité
convenable en leur proposant de vérifier que le mini-procès organisé dans l’entreprise
lors d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, sans indemnité, du
travailleur, se déroule bien conformément à un droit élémentaire de la défense et à
l’article 6 de la CEDH dans son intégralité (1).
(1) Article 6 de la CEDH :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable,
par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le
jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au
public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité
nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des
parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des
circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et
de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer
un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à
décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à
l’audience.
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I.
Le juge prud’homal, respectueux de ses électeurs salariés, dérange
A) EST-CE VRAIMENT L’IMPARTIALITÉ
DE LA JURIDICTION PRUD’HOMALE
QUI EST EN CAUSE ?
Depuis ses origines, la juridiction prud’homale est
remise en cause régulièrement, comme sont remis en
cause le droit du travail lui-même, le droit syndical,
l’inspection du travail, etc. Cette remise en cause
s’exprime de façon de plus en plus agressive à
l’encontre du juge prud’homal mais aussi à l’encontre
des autres juges à mesure que les tribunaux usent plus
sûrement des compétences novatrices et font preuve de
plus d’indépendance en face des puissants, hommes
politiques ou managers, élus locaux, notables, ou que
des décisions de justice enrayent des stratégies
politiques, économiques, des restructurations. Ce ne
sont pas, en réalité, l’impartialité, l’indépendance des
magistrats (prud’homaux ou autres) qui sont visées, ce
sont le rôle même du juge, sa fonction de contrôle du
respect de la légalité (de l’état de droit) qui sont
contestés.
Quelques exemples :
a) Le juge prud’homal est suspecté de partialité et les
conseillers récusés parce qu’ils osent requalifier en
CDI les contrats précaires massivement utilisés par
la Poste et qu’ainsi, ils contrecarrent toute une
politique de gestion de l’emploi par un grand
établissement public (2).
b) On voudrait « sécuriser » les plans sociaux de
licenciement en les habillant par un accord qui
dessaisirait les non-signataires et surtout le juge
judiciaire. Après l’Administration suspectée
d’incompétence, de lenteur, de bureaucratisme
(avant 1986), c’est le rôle du juge judiciaire
héritant du contentieux des licenciements
économiques qui est contesté. Le débat préalable
sur le motif économique arrivant à temps, devant
les représentants du personnel et éventuellement le
juge, était tout l’enjeu du projet de loi de
modernisation sociale.
c) Ce n’est pas l’impartialité du juge des référés qui
est contestée, c’est sa capacité à pouvoir modifier
le cours des choses voulu par un employeur :
empêcher un licenciement, empêcher un processus
de harcèlement, rétablir une évolution de carrière,
réintégrer un candidat aux élections, imposer une
consultation démocratique des travailleurs (3).
sont en jeu. Limiter l’accès à la justice des salariés,
empêcher l’action syndicale en justice, restreindre
l’intervention et le pouvoir du juge apparaissent comme
des tendances lourdes, parallèles à l’affaiblissement de
la légitimité de l’Etat, du législateur, de la norme
générale, de la hiérarchie des normes. On renvoie aux
parties contractantes au niveau le plus bas (faible) le
soin d’assurer une fiction de régulation sociale.
Cela paraît quelque peu paradoxal au moment où
l’effacement de la norme étatique, du rôle des services
publics est préconisé au profit d’une généralisation de
la norme d’origine contractuelle.
Certains avaient imaginé que le juge habituel du
contrat trouverait la plénitude de sa mission. Le juge
remplit peut-être cet office selon des modes
imprévisibles que la « pression sociale » infléchit. Alors,
si l’Etat, le législateur ont d’abord été diabolisés, il
semble que ce soit un peu maintenant le tour du juge
judiciaire, celui des conflits collectifs, de la négociation
collective, ou des plans sociaux, mais aussi le juge
prud’homal lui-même assez modéré habituellement,
sauf quand il s’empare des droits de la personne, de la
discrimination, de l’emploi…
Ainsi, les reproches apparents de partialité visant soit
les juges eux-mêmes individuellement et directement,
soit certains d’entre eux quand ils ont une activité
militante de défense ou autre, ne sont en réalité qu’un
petit aspect d’une attaque contre le rôle du juge
lui-même et contre la capacité des syndicats ou d’autres
acteurs à agir aussi par la voie judiciaire.
B) REMARQUES AUTOUR
DE LA FORMATION PARITAIRE
La composition paritaire des Conseils de
Prud’hommes n’est pas une garantie d’impartialité
puisqu’elle consiste à mettre fictivement à égalité les
élus salariés et les élus employeurs alors qu’il s’agit
dans 98 % des cas d’examiner la demande d’une
victime déjà licenciée, sanctionnée ou privée d’un
droit, d’un salaire par l’acte unilatéral d’un employeur
qui n’a fait l’objet d’aucun contrôle préalable (4). Le
salarié demandeur a, en quelque sorte, déjà été
condamné par un employeur et sa situation va être à
nouveau examinée par deux juges employeurs à
égalité avec deux juges salariés.
Ce sont en fait beaucoup plus l’action syndicale en
justice et la compétence des juges, des tribunaux qui
Par crainte d’allonger les délais déjà préjudiciables
au demandeur, les quatre juges vont avoir tendance à
s’arrêter sur un compromis dans 90 % des cas. Ils
renonceront à se mettre en partage de voix avec le
(2) J.-Cl. Lam - P. Moussy : « Vous avez dit impartialité ? » Dr. Ouv. 2001
p. 11.
(3) T.I. Clermont-Ferrand, Référé 26 février 2001, note C. Baumgarten I. Tharaud, Dr. Ouv. 2001 p. 161.
(4) La procédure de l’entretien préalable réglée dans des délais
expéditifs, l’utilisation massive de la mise à pied conservatoire
désarment le salarié visé par une procédure de licenciement qui ne
dispose d’aucun recours suspensif.
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souci de préserver leur autorité, la formation paritaire.
Le recours à un juge départiteur étant considéré comme
un échec, une incapacité à trancher le litige, même si
ce renoncement se fait au détriment des droits complets
des salariés demandeurs, c’est-à-dire en dépit du droit
lui-même. La moyenne des gains (42 000 F), s’agissant
de la rupture d’un CDI ancien et qualifié montre que le
compromis est bien loin des six mois minima d’un
salaire moyen (5).
Cet accord à 90 % porte aussi bien sur les sommes
que sur les mesures prises en bureau de conciliation, le
référé, l’exécution provisoire et pour admettre la
demande du salarié ou le débouter.
La formation paritaire, c’est aussi la collégialité dés
le bureau de conciliation, en bureau de jugement
comme en formation de référé, et cela est donc bien
différent des autres juridictions du premier degré et de
nombreux tribunaux européens fonctionnant à juge
unique. On notera d’ailleurs utilement que l’article 6.1
de la C.E.D.H. précise tribunal impartial (et non juge
impartial). En France, la tendance au tribunal siégeant
à juge unique semble devenir la généralité et la
formation collégiale doit le plus souvent être demandée
alors qu’au Conseil de Prud’hommes, la collégialité est
obligatoire. Même s’il y a un président dont l’influence
n’est pas négligeable, chaque voix compte pour
une (6). On pourrait d’ailleurs s’interroger sérieusement
sur l’attitude de certains juges départiteurs qui
s’accommodent fort bien de l’absence de conseillers
pour le délibéré ou qui affichent un léger mépris pour
le débat et les prises de décisions démocratiques.
9
Conseil de Prud’hommes et encore moins d’avoir un
préjugé subjectif contre la composition du conseil.
En bref, ils n’ont théoriquement rien à « perdre » en
se présentant devant les prud’hommes (7).
Il en va tout autrement de l’employeur défendeur qui,
lui, n’a que peu de chance de gagner quelque chose
(8) ; il peut espérer ne pas perdre mais il a toutes les
raisons de craindre qu’une formation normalement
constituée le condamne et son appréhension objective
(de ce risque) pourra trouver des traductions
subjectives, pourra fonder le sentiment, l’impression
que le tribunal peut être, par sa composition, partial.
Ainsi, la Poste, spécialisée dans l’abus de contrats
précaires, a toutes les raisons objectives et subjectives
de demander la récusation des conseillers
prud’hommes CGT quand un syndicat CGT plaide la
requalification desdits contrats. Mais elle pourrait
demander la récusation de tous les conseillers salariés
de France, de Navarre et d’Outre Mer, pour peu que
la CGT, la CFDT, FO interviennent ensemble dans les
procédures en requalification. Il en serait de même
qu’elles le fassent par le truchement de défenseurs
syndicaux ou par le recours à des avocats. Ainsi, c’est
le droit d’ester en justice des syndicats et la fonction du
juge lui-même qui sont visés.
La formation de départage à trois (en référé) ou à
cinq (au fond) n’est-elle pas une garantie d’impartialité
supplémentaire puisqu’elle reflète le fait que les deux
parités ont bien débattu, qu’elles n’ont pu s’influencer
et qu’il va falloir qu’elles redébattent en présence d’un
autre juge qu’il faudra convaincre normalement plus sur
les faits et le droit que sur un compromis.
La mise en cause de l’impartialité des premiers juges
fait abstraction du double degré de juridiction alors que
le contentieux social devient la première activité des
cours d’appel en volume (9). C’est donc dés la
première instance que les employeurs défendeurs
tentent de contester la compétence (par exemple du
juge des référés), l’impartialité du juge, de faire
l’impasse sur la procédure de conciliation (10). La Cour
d’Appel de Toulouse rappelle, à juste titre, qu’un
employeur en demandant la récusation d’un juge
prud’homme en cause d’appel invente « une nouvelle
voie de recours en suspectant systématiquement son
juge » (11).
La formation paritaire par nature risque d’être
« paritairement » sensible aux arguments, à la situation
du demandeur et à celle du défendeur. Il faut souligner
à nouveau que ce sont les salariés lésés qui forment
l’immense majorité des demandeurs, ils ont perdu leur
emploi, des salaires, des droits et ils viennent les
réclamer. Ils ont quelque raison d’espérer gagner ou
récupérer des droits, des créances, des dommages
intérêts et quelquefois leur emploi, et a priori peu de
raisons de contester objectivement la composition du
Malheureusement, on ne connaît pas statistiquement
avec précision la nature des décisions frappées d’appel
et qui sont les demandeurs à l’appel. On ne sait pas
non plus si les décisions prises avec le juge départiteur
sont plus ou moins favorables aux salariés que celles
prises en formation paritaire. Bien qu’un salarié sur
deux soit débouté de sa demande principale, on
observe que très majoritairement les employeurs
défendeurs sont demandeurs à l’appel. On sait que
globalement les Cours d’Appel confirmaient les
(5) Le salaire moyen se situe à 10 500 F. Ces chiffres datent de 1996 et
proviennent d’une enquête IDHE-Cachan CERCRID Saint-Etienne, juin
2000 : « Les litiges du travail au temps du jugement prud’homal »
étude dirigée par Evelyne Serverin, Directeur de Recherches au
CNRS. Sauf références précisées, les chiffres ou pourcentage évoqués
sont tirés de cette étude. La rédaction du Droit Ouvrier dispose de
quelques exemplaires de cette étude particulièrement intéressante.
(7) Sauf la condamnation à payer une indemnité au titre de l’article 700
du NCPC décidée en formation de départage le plus souvent.
(6) Le groupe CGT du Conseil de Prud’hommes de Créteil établit des
statistiques intéressantes par section, chambre et présidence sur l’issue
des litiges et les gains moyens, et cela depuis plusieurs années.
(8) cf. l’article de Pascal Moussy dans ce même numéro.
(9) 53 253 affaires en matière sociale en 2000. Les chiffres clés de la
justice, octobre 2001 p. 12.
(10) Le RPR demande d’ailleurs la suppression du bureau de conciliation
et relaie ainsi les pressions du patronat qui, depuis le début, refuse
que cette formation joue son rôle de mise en l’état…
(11) CA Toulouse, référé 30 mars 2001, SA Calberson Sud-Ouest c/
Mustapha Khay, à paraître dans le Dr. Ouv.
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décisions prud’homales. L’accroissement des appels
dans les dernières années a peut-être modifié ces
proportions. On remarque que ces appels provenant
des employeurs sont, pour beaucoup d’entre eux,
dilatoires. Il s’agit de gagner dix-huit mois (12). Les
employeurs sont encouragés à interjeter appel par le
fait que les décisions prud’homales sont rarement
assorties de l’exécution provisoire (13). Il serait
d’ailleurs fort intéressant qu’une étude soit diligentée
pour savoir avec précision quelles sont les litiges faisant
l’objet d’un partage des voix ; quel type de solution les
juges départiteurs contribuent-ils à donner et bien au
delà, il serait utile de connaître les caractéristiques des
litiges et décisions frappées d’appel et le sort que les
cours d’appel font à ces jugements.
Ce fonctionnement, en somme très paritaire et
consensuel, des conseils de prud’homme est assez peu
contesté par le patronat et les organisations patronales.
Ce que les organisations patronales combattent surtout,
c’est beaucoup moins la partialité des prud’hommes
que tout ce qui en fait un accès au droit à la justice,
facile, rapide, efficace pour les salariés. On peut
énumérer en vrac : la possibilité de se défendre soi
même, avec un défenseur syndical, mais aussi l’oralité
(14), la compétence et les ordonnances du bureau de
conciliation, la comparution personnelle, la
compétence réelle de la formation de référé, les
mesures d’instruction, l’exécution provisoire, les
constats de nullité des licenciements et les remises en
l’état, les requalifications de contrats précaires, les
ordonnances sous astreintes, etc.
Les lecteurs habitués du Droit Ouvrier auront
d’ailleurs noté les efforts inverses faits par la Revue
pour une utilisation par les défenseurs des salariés et
par les juges prud’hommes de la plénitude de leurs
prérogatives légales (15).
C) LE BILAN MOYEN DES
CONSEILS DE PRUD’HOMMES CACHE
DES DISPARITÉS SIGNIFICATIVES
Contrairement aux autres contentieux civils (sauf en
ce qui concerne le droit de la famille), les demandeurs
sont des petits demandeurs fragiles (salariés licenciés)
(12) C’est la durée moyenne de traitement des affaires par les Cours
d’Appel en 2000. Les chiffres clés du Ministère de la Justice,
Octobre 2001.
(13) L’étude IDHE s’interroge sur les raisons qui font que l’exécution
provisoire est très peu ordonnée et même très peu mentionnée quand
elle est de droit et donc vraiment peu de salariés rentrent dans leur
droit quand il y a appel. Cette réticence des demandeurs mal
conseillés proviendrait de la crainte de ne pouvoir restituer les
sommes en cas d’échec éventuel en appel mais elle a pour effet
d’inciter les employeurs à faire appel pour suspendre le versement
des sommes dues ! L’étude souligne aussi que la jurisprudence de la
Chambre Sociale de la Cour de Cassation sur le taux de dernier
ressort a accru le flux des recours au lieu de le canaliser.
(14) D. Boulmier, “Oralité de la procédure et mesures d’instruction, pour
un juge prud’homal metteur en scène des affaires inscrites au rôle”.
Dr. Ouv. 1999 p. 309.
(15) P. Moussy, “A propos de l’article R. 516-0 du Code du Travail (existet-il une approche syndicale du procès prud’homal ?)”, Dr. Ouv. 1998
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contre des défendeurs qui ont, eux, le plus souvent
largement les moyens d’agir et surtout d’attendre, de
faire traîner. C’est à partir de ces constats que des
procédures assez spécifiques ont été mises en place
devant les conseils de prud’hommes (conciliation,
oralité, comparution personnelle, référé, délais,
exécution provisoire, taux de dernier ressort). Or, la
partie patronale a toujours œuvré pour anéantir
l’efficacité de ces dispositifs originaux (16). D’un autre
côté, pour des raisons différentes, les professionnels du
droit et nombre de magistrats continuent de vouloir
« normaliser » la prud’homie en neutralisant la
conciliation, l’oralité, en instituant des contrats de
procédure séduisants pour certains (17).
Le salarié demandeur « abandonne » une fois sur
deux son affaire ou, au mieux, n’obtiendra pas un
jugement (18). Dans le cas où il parvient à faire juger
le litige, il sera débouté en moyenne une fois sur deux
de sa demande principale (19), et une fois sur deux, il
devra encore agir en appel (en demande ou en
défense). Rappelons qu’en moyenne, devant les autres
juridictions, les demandeurs sont de bien plus « gros »
demandeurs et ne sont déboutés de leur demande
principale seulement qu’à hauteur de 12 %. On ne
connaît pas l’influence sur les chiffres des conseils de
prud’homme des décisions des cours d’appel. On sait
seulement qu’elles confirment les jugements
prud’homaux à la même hauteur que ceux des autres
juridictions (20). Ce taux de confirmation, même élevé,
ne donne aucune indication sérieuse, sauf
éventuellement sur la qualité ordinaire des décisions
des conseils.
La moyenne des gains (il s’agit essentiellement des
sommes obtenues lors de contestation de licenciement
en très grande majorité non économique) tourne autour
de 40 000 F mais la moitié des jugements au fond
n’accordent que 21 000 F au plus.
Les délais s’allongent au fil des ans pour atteindre en
moyenne douze mois (neuf mois dans la section
industrie, quatorze mois dans la section commerce). A
cela s’ajoute les délais d’appel une fois sur deux.
Les chances de succès varient considérablement en
moyenne d’une section à l’autre. Dans l’industrie, les
p. 145 ; K. Derouvroy, “Le juge prud’homal face à la demande du
salarié”, Dr. Ouv. 1996 p. 186.
(16) La circulaire Sorel du CNPF à l’époque est éloquente.
(17) G. Gélineau-Larrivet “Quelques réflexions sur les Conseils de
Prud’homme et la procédure prud’homale” in “Le juge entre deux
millénaires”, Mélanges offerts à Pierre Drai p. 343, Dalloz 2000. Le
président sortant de la Chambre Sociale se livre à des réflexions et
propositions dont certaines sont très intéressantes et d’autres
critiquables.
(18) Les salariés sont moins souvent déboutés selon le repertoire
statistique du Ministère de la Justice qui ne fait pas de distinction
entre demande principale et demandes accessoires contrairement à
l’étude IDHE précitée qui l’a faite.
(19) Annuaire statistique du Ministère de la Justice.
(20) B. Münoz-Perez - E. Serverin : “L’exercice des voies de recours contre
les décisions prud’homales”. Dr. Ouv. 1991 p. 318.
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accord paritaire déboute les salariés ou reçoit leurs
demandes à un niveau très bas sous forme d’un
compromis à leur détriment qui n’a rien à avoir avec le
droit ou quand les bureaux de conciliation et
formations de référés ne jouent pas leur rôle plein et
entier. Mais les écarts en dessus de la moyenne peuvent
provenir aussi de bonnes stratégies juridiques émanant
de défenseurs syndicaux ou d’avocats des salariés qui
vont rencontrer des juges prud’hommes salariés ayant
une conception vivante de leur compétence et qui se
montrent perspicaces pour utiliser la plénitude de leurs
attributions, quitte à être amenés à convaincre un juge
professionnel.
salariés ont près de six chances sur dix d’obtenir gain
de cause sur leur demande principale, alors qu’ils en
ont moins de cinq dans le commerce et cinq dans
l’encadrement. Et dans ces deux sections, les résultats
obtenus seront plus éloignés des demandes initiales.
On rappellera modestement que c’est dans la section
Industrie qu’il y a en proportion le plus de conseillers
élus sous l’étiquette CGT. Cette constatation gagne à
être connue par les travailleurs dans cette période
proche des élections prud’homales.
La juridiction prud’homale saisie au fond est
actionnée près de neuf fois sur dix pour apprécier les
conditions de la rupture d’un CDI et presque toujours
d’un CDI d’un salarié qualifié et ancien. Ce juge est très
peu sollicité par les salariés précaires, ou fragiles, il est
très peu sollicité à propos des conditions de travail,
d’emploi, d’évolution de carrière… Le juge des référés,
lui, intervient essentiellement sur des créances salariales
ou pour l’obtention de documents, attestations…
Il n’y a pas beaucoup de mystère à constater que c’est
la qualité de l’animation syndicale devant le conseil et
la dynamique des juges salariés dans le conseil qui vont
faire réagir ici et là les directions des entreprises et leurs
défenseurs, plus particulièrement lors de demandes que
les statistiques font apparaître pourtant comme
marginales. Ce sont les demandes qui proviennent des
salaires précaires (21), des salariés licenciés pour
raisons économiques, ceux qui veulent faire annuler leur
licenciement, faire cesser et réparer une discrimination,
un trouble manifestement illicite ou empêcher un
dommage imminent (par exemple un licenciement), etc.
C’est donc au moment où les Conseils de Prud’hommes
peuvent être utilisés efficacement pour corriger les
situations précaires abusives, protéger les droits de la
personne au travail, assurer l’égalité de traitement que
leur composition est critiquée ou que l’action en justice
des syndicats est contestée.
Cette homogénéité massive du contentieux
prud’homal fait apparaître comme anormales, parce
que rares, les actions en requalification de contrats
précaires, de remise en l’état du contrat de travail, des
carrières, des conditions de travail, surtout quand elles
sont initiées par le truchement d’une organisation
syndicale et qu’elles consistent à modifier ou à
empêcher les actes unilatéraux des patrons.
Le bilan « moyen » des Conseils de Prud’hommes est
considérable. Chaque année près de 100 000 salariés
recouvrent une partie de leurs droits après une
procédure, certes âpre et longue. Ce bilan moyen
positif est aussi constitué de disparités importantes d’un
conseil à l’autre et même d’une section à l’autre à
l’intérieur d’un même conseil. Ces écarts à la moyenne
ne gênent pas le patronat quand ils se situent en
dessous, c’est-à-dire quand la formation en plein
Alors que les populations concernées sont
considérables, ces actions en justice sont
statistiquement marginales. Ainsi, l’accès au droit, à la
justice mériterait, au regard même de l’article 6 de la
CEDH, une attention aussi précise que celle qui consiste
à sonder les âmes des juges ou des tribunaux.
II.
Développer l’accès à la justice pour les salariés
A) L’ACCÈS À LA JUSTICE PRUD’HOMALE
DEMEURE DIFFICILE, ALÉATOIRE
POUR LES SALARIÉS
Les revendications de réforme de l’aide
juridictionnelle proviennent essentiellement des milieux
intéressés en tant que professionnels du droit,
intermédiaires de l’accès au droit, avant tout la
(21) J.M. Lagorsse “Le contrat de travail à durée déterminée”, Dr. Ouv.
2000 p. 224. P. Rennes “Au-delà d’un éternel recommencement”,
Dr. Ouv. 2000 p. 223
(22) Voir la déclaration de la CGT “Ouvrir grand les portes de la justice”
Dr. Ouv. 2000 p. 527.
profession libérale d’avocat (22). Ce mouvement
revendicatif spectaculaire a abouti pour le moment aux
propositions d’une commission ad hoc (23) et à un tout
récent avant projet de loi relatif à l’accès au droit et à
la justice. La profession d’avocat est considérée comme
ayant (ou devant avoir) le monopole de l’assistance des
justiciables.
(23) Cette commission de réforme de l’accès au droit et à la justice
présidée par M. Paul Bouchet a rendu son rapport en mai 2001. Il
a été édité par le service d’information du Ministère de la Justice. On
trouvera la conclusion et le résumé des principales propositions dans
la partie « Documents » de ce numéro du Droit Ouvrier p. 17. Pour
la commodité, quand on évoquera cette commission, on l’appellera
la commission Paul Bouchet.
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Services publics d’information, de conseil, de
contrôle et associations ou syndicats, dont le rôle
primordial est reconnu, sont laissés sous le boisseau et
les propositions faites par la commission Paul Bouchet
conduisent à encadrer, contrôler leur action au lieu
d’envisager les moyens de leur développement.
Depuis plusieurs années apparaissent des intentions
récurrentes de limiter le flux (le flot) du contentieux
judiciaire sans qu’à aucun moment on ne s’intéresse
aux raisons de son développement (précarisation
de populations, endettement, individualisation,
contractualisation, affaiblissement des statuts collectifs
et des services publics). Cela se traduit par une volonté
de limiter l’accès au droit et aux contentieux en en
alourdissant le coût ou les procédures, de rendre
obligatoire le ministère d’avocat en cause d’appel (y
compris dans le contentieux administratif de l’excès de
pouvoir) et aussi en cassation (tout le contentieux social
prud’homal et le contentieux des élections
professionnelles).
Sont aussi mises en place des modalités non
juridictionnelles de règlements des conflits, les multiples
médiations, plus ou moins facultatives proposées ou
imposées par le juge à diverses phases de la procédure
avec une forte dose de chantages variés sur les délais,
les issues, auxquelles la partie la plus faible doit la
plupart du temps se plier. Ces modalités non
juridictionnelles sont aléatoires, longues, jamais
gratuites et se substituent souvent à des procédures
existantes qui pourraient être plus rapides et efficaces
comme par exemple, les mesures prises par le bureau
de conciliation, le juge de la mise en l’état, le juge des
référés et le pouvoir habituel du juge de concilier (24).
L’engouement, l’apostolat de certains magistrats (25)
et de professionnels du droit pour ces règlements non
juridictionnels mériterait d’être examiné de près au seul
critère du résultat obtenu par la partie la plus faible.
A cette volonté de déjudiciarisation relative des
conflits, on peut rajouter la tendance lourde qui consiste
à vouloir réserver aux seuls partenaires au contrat la
capacité d’interpréter et de trancher les désaccords
éventuels dans des institutions réservées aux seuls
signataires. Le MEDEF ne cache pas sa volonté
d’évacuer tour à tour le législateur, les pouvoirs publics
et maintenant le juge judiciaire (26).
(24) Art. 12 du NCPC.
(25) La présidente de la Chambre sociale de la Cour d’Appel de
Grenoble semble partie en croisade et se répand en saintes paroles
vers cette terre de médiation (voir Le Monde du 11.09.2001) et les
CSBP n° 134 p. 389. Pour une première critique de la médiation :
B. Augier : “La médiation dans les conflits individuels de travail, une
chance pour le patronat, un piège pour les salariés”. Dr. Ouv. 1999
p. 225
(26) Le MEDEF, dans les premiers projets de l’accord sur les voies et les
moyens de l’approfondissement de la négociation collective,
proposait d’instaurer des commissions d’application et
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Toujours à propos de l’accès à la justice mais cette
fois-ci en matière prud’homale seulement, une enquête
récente (27) permet de mieux cerner les
caractéristiques des parties, des litiges et de l’issue de
ceux-ci. On savait que l’immense majorité des
demandeurs (98 %) sont des salariés. Au nombre de
200 000 par an environ, la moitié d’entre eux, pour
des raisons diverses mais peu expliquées, abandonnent
leur demande. On ne possède pas d’indications sur ces
« abandons », sur la qualité de ces demandeurs, la
nature de leur demande et encore moins sur l’issue
concrète du litige, sauf que pour moins de 10 % d’entre
eux, il y a conciliation ou (et) transaction. Mais le
déchet est considérable si l’on retient qu’un salarié
licencié sur huit seulement essaie de contester son
licenciement et que l’immense majorité des salariés
précaires ne demande pas la requalification des
contrats illégaux et ne demande que très rarement la
requalification de la rupture elle-même.
Seul un salarié sur deux, à peu près, parvient à faire
juger son affaire, qui est dans 80 % des cas au moins
centrée sur la contestation du licenciement de la part
d’un salarié qualifié et disposant d’une ancienneté
importante. Ces travailleurs(ses) qui obtiennent un
jugement sont assistés par un avocat dans 58 % des
cas et par un défenseur syndical dans 30 %. Douze
pour cent d’entre eux organisent leur procès seuls.
Moins de 8 % d’entre eux aussi ont recours à l’aide
juridictionnelle. Il apparaît aussi qu’en moyenne les
défenseurs syndicaux assistent les demandeurs les
moins « fortunés et anciens », et que les avocats, eux,
ont la partie de la clientèle la plus aisée et exigeante
(28). Rappelons aussi que devant le juge du fond, les
employeurs sont assistés quasiment systématiquement
par un avocat. On pourrait dire que sur cent affaires
jugées au fond, les avocats interviennent autour de cent
soixante fois, dont soixante fois côté salarié et cent fois
côté patronal, et les défenseurs syndicaux trente fois
côté salarié. Intervention volontaire syndicale et droit
de substitution par le syndicat, peu utilisés,
n’apparaissent pas dans les statistiques. Même si, ici
ou là, cette intervention est mise en œuvre, cela ne suffit
pas à rendre cette bonne pratique visible. L’action
syndicale se traduit seulement par l’assistance d’un
défenseur proche des travailleurs.
d’interprétation des accords dont la saisine préalable était
obligatoire avant tout contentieux et dont l’avis s’imposait au juge
judiciaire. G. Lyon-Caen “A propos d’une négociation sur la
négociation” Dr. Ouv. 2001 p. 1.
(27) Précitée note n° 5.
(28) Mais un quart de cette « clientèle » bénéficie de l’aide
juridictionnelle. D. Delabruyère - S. Lumbroso : “La diffusion de l’aide
juridictionnelle dans les procédures judiciaires”, Infostat Justice sept.
2001 n° 60. L’enquête citée note 5 indique aussi que ces salariés
assistés par les avocats obtiennent moins souvent gain de cause et
alors les sommes gagnées sont plus éloignées de leur demande.
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B) OBJET DES SYNDICATS
ET ACCES À LA JUSTICE
Les syndicats et la CGT en l’occurrence se
préoccupent avant tout de la qualité et de l’effectivité
des droits des salariés et pour cela des meilleurs outils
accessibles ou à créer pour la mise en œuvre des
droits. La situation faite aux salariés en matière d’accès
au droit et à la justice est loin d’être satisfaisante. C’est
pourquoi ce serait illusoire et dangereux de penser que
défendre le statu quo est la meilleure forme de riposte
par rapport aux agressions et aux questions posées,
même après l’arrêt déjà évoqué du 3 juillet 2001 (29).
Avant tout, il faut rappeler la mission essentielle,
légale des syndicats (revue en 1982) L. 411.1 « les
syndicats professionnels ont exclusivement pour objet
l’étude et la défense des droits individuels et collectifs et
des intérêts matériels et moraux des personnes visées
par leurs statuts… ».
Depuis plus d’un siècle, ils ont acquis le droit
fondamental d’ester en justice dans l’intérêt collectif de
la profession, L. 411.11 (30) et bien avant les avocats,
celui d’assister les salariés devant les conseils de
prud’hommes, puis encore récemment le pouvoir dans
de multiples cas de figure de se substituer au salarié
dans les actions prud’homales (31) concernant des
situations fragilisées par la précarité, les licenciements
économiques, les discriminations, les agressions
morale, sexuelle… (32).
A cela se rajoute le plus souvent par impulsion
syndicale les possibles actions en justice des comités
d’entreprise, des CHSCT et plus récemment des
délégués du personnel (L.422.1.1) (33).
Rappelons que les unions de syndicats ont les mêmes
prérogatives dans les champs géographiques et
professionnels correspondants.
Ainsi, les salariés ont acquis plusieurs voies d’accès
à la justice. Un mode direct individuel essentiellement
devant le juge prud’homal (et accessoirement le TASS),
un droit d’être assisté notamment par un militant
(29) Philippe Masson : “ Défendre et renforcer les prud’hommes”,
Le Peuple n° 1551 p. 15. Kléber Derouvroy “Les salariés les plus
démunis seront lésés par cette décision”, SSL 1er octobre 2001
n° 1044 p. 7.
(30) Francis Saramito - Maurice Cohen : “Les prérogatives syndicales en
matière d’assistance et de représentation des salariés devant les
juridictions”, Mélanges en l’honneur de J.M. Verdier p. 143, éd.
Dalloz. N. Olszak : “Mouvement ouvrier et système judiciaire (18301950)” thèse 1987.
(31) H. Peschaud : “Le droit de substitution et les garanties des salariés”
Dr. Ouv. 2000 p. 478.
(32) La loi du 16 novembre 2001 sur les discriminations au travail a
élargi encore l’exercice du droit de substitution.
(33) Les syndicats mais aussi les délégués du personnel pourront agir aux
lieux et places des salariés victimes de harcèlement moral et de façon
13
syndical mais aussi divers modes d’accès collectifs
devant la plupart des juridictions civile, pénale,
administrative, par le biais des syndicats et (ou) des
représentants du personnel. Seules les actions devant le
juge de droit commun (TGI) au fond ou en matière
pénale dans certains cas requièrent le ministère
d’avocat.
Jusqu’à une dizaine d’années, le contentieux collectif
devant le TGI restait embryonnaire (34). Il s’est
développé considérablement avec la contestation des
plans sociaux, y compris en référé et de plus en plus
maintenant à propos de la négociation collective.
De même, le contentieux prud’homal, sans que cela
se chiffre en milliers de demandes, commence à
comprendre des actions en référé pour obtenir des
remises en l’état, des annulations de licenciements, des
reconstitutions de carrières, la requalification de
contrats précaires, des provisions importantes en cas
de lettres de licenciement peu motivées.
Ce type de procédure commence à poindre aussi
devant le juge administratif (35).
L’action syndicale en justice sort depuis quelques
années de la défensive (dommages intérêts ou défense
contre des expulsions de grévistes) pour être un outil
d’enrichissement du rapport de force. Tout en gardant
une appréciation réaliste sur cette évolution, il ne faut
pas s’étonner que le patronat et les adeptes du calme
plat social cherchent à dévier l’action en justice dans
des méandres filandreux de règlements non
juridictionnels, à enlever aux juges des compétences et
à priver les salariés de certains modes d’action en leur
refusant les moyens économiques de cette action.
Ces évolutions sont maintenant perceptibles et de
plus en plus perçues. Elles viennent en décalage
croissant au regard de pratiques qui restent souvent
routinières et laissent par ailleurs insatisfaits des
besoins, notamment en matière de discrimination (36).
préventive. Cf. nouveaux articles et les modifications de l’article
L. 422-1-1 après la loi de modernisation sociale.
(34) Valérie Carasco - A. Jeammaud : “Relations du travail, 200 000
affaires civiles en 1990 (dont seulement 1500 devant les TGI fond
et référé contre 3200 au fond en 2000)” - Infostat Justice n° 27,
janvier 1992.
(35) P. Moussy : “La notion d’urgence devant le juge administratif des
référés”, CE 29 juin 2001. Dr. Ouv. 2001 p. 409.
(36) De gros succès ont été obtenus en ce qui concerne la discrimination
syndicale et de nombreux dossiers de syndicats CGT sont en cours.
La loi du 16 novembre 2001 devrait faciliter la mise en route de
stratégies juridico-syndicales sérieuses sur l’égalité professionnelle,
les discriminations raciales directes et indirectes. M. Miné : “La
discrimination femmes-hommes”, Rebondir.
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C) POUR UN MODE SYNDICAL D’ACCÈS
À LA JUSTICE
Il a déjà été souligné que les syndicats ont vocation
à agir en justice dans l’intérêt collectif de la profession,
mais aussi pour assister les salariés devant les Conseils
de Prud’hommes ou même se substituer aux salariés les
plus précaires, exposés, pour obtenir la restitution de
leurs droits, la requalification des contrats.
L’action juridique des syndicats contribue aussi à
promouvoir des droits nouveaux, à faire évoluer la
jurisprudence, à révéler l’insuffisance ou l’inadaptation
des textes pour peu qu’un combat judiciaire obstiné
relaie l’action syndicale collective, le mouvement
d’opinion (37). Cette action judiciaire n’est assortie
d’aucun moyen particulier permettant aux salariés en
difficulté de faire appel aux syndicats. On fait comme
si les syndicats préexistaient, étaient une institution
sociale disposant de lieux d’accueil, de militants, de
moyens d’agir en justice, d’étudier des dossiers, de
construire des stratégies syndicalo-juridiques.
Beaucoup de salariés pensent que les syndicats sont
une espèce de service public gratuit et leur doivent
certaines prestations. Ce phénomène s’accentue bien
sûr avec la crise de l’emploi, les licenciements, les
politiques de flexibilité, de précarisation, de pression
morale, d’individualisation et la destruction de collectifs
de travail solidaires. C’est maintenant banal de
constater que les services sociaux divers, ceux de
l’inspection du travail renvoient à d’autres « guichets »,
et notamment vers les bourses du travail, les unions
locales de syndicats, de nombreux salariés victimes ou
menacés. De même, rappelons que beaucoup
reconnaissent (38) que les associations dans de
nombreux domaines de la vie sociale et les syndicats
pour ce qui est des difficultés liées au travail, sont un
mode populaire d’accès aux droits et à la justice pour
les catégories les plus démunies de la population,
essentiellement par leur activité de terrain et leur
proximité géographique et culturelle avec les victimes.
1) Une indigence de moyens hétéroclites
Ces rôles d’information de masse et de passerelle
essentielle sont reconnus dans les enquêtes d’opinion
(39) mais l’indigence des moyens concrets dont
disposent associations et syndicats pour faire face à la
demande décourage les familles modestes et pauvres,
les salariés, et peut décourager aussi les militants
associatifs et syndicaux pour qui l’investissement
intellectuel, et en temps, dépasse largement ce qu’il est
possible de faire complètement bénévolement.
(37) L’action en cours des jeunes travailleurs des restaurants Mc Donald
illustre bien le rôle que peuvent jouer des militants syndicaux hardis.
(38) La commission Paul Bouchet le souligne mais sans en tirer aucune
proposition correspondante.
(39) Le baromètre CSA-CGT sept. 2001 note une forte attente des salariés
en direction des Conseils de Prud’hommes.
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Ainsi, par exemple, l’activité d’information, de
conseil puis de défense devant les prud’hommes exige
des organisations syndicales de consacrer une partie
de leurs locaux, du temps des militants, des droits à la
formation, de la documentation, du secrétariat à
l’accueil et la défense des salariés qui frappent
individuellement ou collectivement à leur porte sans être
pour autant syndiqués. L’accueil syndical bien organisé
permet de transformer cette demande d’assistance
individuelle quand elle provient de salariés
d’entreprises un peu importantes en début
d’organisation collective et de nombreuses
implantations syndicales sont consolidées à partir de ce
travail (40). Mais la majorité des demandes
proviennent de salariés de très petites entreprises qui
souhaitent être conseillés et défendus. La réponse à
cette demande est le plus souvent improvisée en terme
de moyens. Les « permanences juridiques » sont ainsi
tenues par des militants retraités, des demandeurs
d’emploi militants, des conseillers prud’hommes, des
militants d’entreprise et dans quelques dizaines de cas
pour ce qui concernent les organisations de la CGT par
des salariés permanents d’unions locales ou
professionnelles (41), d’abord autodidactes et
maintenant de plus en plus diplômés (42).
C’est donc un ensemble hétéroclite de moyens
syndicaux qui sont consacrés à cette activité, ensemble
quelquefois bien maîtrisé par les organisations, mais
souvent bricolé, improvisé, dérivé, développé sans
contrôle. Ainsi, pour la seule CGT, un bon millier de
militants assurent cette mission syndicale, parmi eux
peut-être deux cents à trois cents conseillers
prud’hommes. Ces défenseurs ne perçoivent aucune
rémunération émanant des travailleurs accueillis ou
assistés. Des organisations, pour amortir le coût de
cette activité, établissent des systèmes de cotisations
syndicales et sollicitent des dons.
La
plupart
des
organisations
syndicales
interprofessionnelles sont tributaires de moyens en
locaux et subventions mis à leur disposition par les
collectivités locales ou dépendent de la force des
syndicats constitutifs de l’union. Ce fonctionnement est
très disparate d’un endroit à l’autre et peu adapté à la
demande et aux besoins réels des travailleurs en
difficulté, à la dimension et à la configuration des
agglomérations et bassins d’emplois, etc.
Ainsi, l’accès au droit dépend pour beaucoup des
moyens syndicaux. A population égale et à conseils de
prud’hommes à effectif semblable, il pourra y avoir des
(40) L’activité des conseillers du salarié d’origine syndicale permet ce
genre de suivi syndical. P. Rennes “S’organiser dans l’entreprise”,
mai 2001, VO-Edition / L’atelier.
(41) Quelquefois avec le statut « d’emploi jeune »
(42) Le rapport de la commission Paul Bouchet évoque l’existence de
900 emplois jeunes diplômés dans la sphère juridico-associative
pour l’information et le conseil.
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DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002
différences considérables d’utilisation de la justice
prud’homale. Dans de nombreux départements, y
compris en région parisienne, des salariés sont
contraints d’avoir recours à un avocat ou de présenter
seuls leur demande. Dans d’autres localités, il sera
souvent difficile de trouver un avocat ayant une
sensibilité au droit social ou acceptant même de
défendre des salariés et ceux qui le font avec
compétence sont surchargés. Rappelons aussi qu’un
salarié sur deux abandonne la procédure avant
d’obtenir un jugement (43). Cette situation appelle des
réformes : elle est déplorable pour les justiciables les
plus humbles, elle est malsaine pour l’image, le
fonctionnement des organisations syndicales qui sont
unanimes pour demander la mise en place de moyens
d’accès au droit et à la justice au travers notamment
d’un statut de la défense syndicale.
Une réforme bien nécessaire pour faciliter l’accès
des salariés les plus démunis au droit devrait passer
par deux voies : l’amélioration et la sécurisation des
organisations syndicales de proximité que sont les
unions locales interprofessionnelles de syndicats et la
création d’un statut de la fonction de défenseur
syndical.
2) Le maillon essentiel
des unions locales de syndicats
Les unions locales de syndicat ont les mêmes
prérogatives que les syndicats, notamment pour ester
en justice, désigner des délégués syndicaux ;
organisations chargées de coordonner, aider à
l’animation de la vie syndicale, elles assurent d’autres
missions de participation à de multiples aspects de la
vie locale, elles sont un maillon important de la
cohésion sociale. Elles assurent un lien vital avec les
salariés isolés cherchant à se défendre, à s’organiser.
Ces fonctions d’animation, de solidarité, de
représentation reconnues ne sont assorties d’aucun
moyen de fonctionnement assuré. Locaux, équipements,
moyens humains, subventions existent de façon inégale
et aléatoire. La jurisprudence administrative reste pour
le moins en dent de scie (44) rendant précaire et
timorée l’aide des collectivités territoriales.
15
telle subvention facilitant le fonctionnement des unions
locales au prétexte que les activités de ces
organisations ne présentent pas d’intérêt communal. Le
législateur avait, dans la loi de finances 2001, retenu
un amendement parlementaire légalisant ces
subventions ou fournitures de locaux. Ce texte, censuré
par le Conseil Constitutionnel, a été réintroduit dans le
projet de loi de modernisation sociale maintenant
définitivement adopté.
La contribution des collectivités territoriales devraient
être constituée d’un minimum de moyens matériels et
financiers proportionnels à la population concernée et
aussi accordée à chaque organisation syndicale en
fonction de sa représentativité.
Les CDAD (46) pourraient être incités à coopérer
avec les unions locales de syndicats et à les aider
matériellement dans leur rôle d’accueil, de conseil et de
défense des salariés.
Les entreprises devraient être aussi mises à
contribution pour qu’un minimum de droits mutualisés
permettent d’aider à la représentation professionnelle
et interprofessionnelle des salariés aussi bien dans le
secteur privé que public. Actuellement, rien n’existe
pour les organisations syndicales interprofessionnelles
qui dépendent entièrement du bon vouloir ou de l’esprit
de solidarité de syndicats qui cèdent leurs droits
internes, soit aux unions locales, soit aux fédérations.
Seules, quelques grandes entreprises publiques et de
très rares entreprises privées accordent des facilités de
détachement ou des autorisations d’absence. La
multitude de PME ou TPE dont les dirigeants sont
hostiles à toutes formes d’organisations syndicales sont
ainsi exonérées de toutes charges internes et externes
en matière de représentation et de moyens de défense
des salariés de leurs entreprises. Même les modalités
de représentation élues interentreprises restent au stade
à peine embryonnaires (47).
Malgré des réponses gouvernementales, une
circulaire du Ministre de l’Intérieur (45), il n’est pas rare
que les tribunaux administratif annulent les
délibérations des conseils municipaux octroyant telle ou
Pourtant, ces entreprises emploient la majorité des
salariés dans des conditions qui les laissent désarmés
jusqu’au moment où, licenciés, ils pourront tenter de
faire réparer leur préjudice par le conseil de
prud’homme dont ils forment l’essentiel des justiciables.
Avant la rupture du contrat, la perte de l’emploi, les
unions locales de syndicats assurent le premier contact
permettant de s’organiser, d’éviter le pire. Ce sont
souvent les mêmes militants qui vont assurer un rôle
(43) Annuaire statistique de la Justice 1991-1995.
(44) cf. TA Paris 19 décembre 1997, note P. Rennes ; CE 21 juin 1995,
note F. Hamon - P. Rennes Dr. Ouv. 1997 p. 38.
(45) Circulaire du 28 juillet 2000 du Ministère de l’Intérieur à propos des
subventions aux unions de syndicats, Dr. Ouv. 2000 p. 488 Le
Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2001-455 DC a sur
l’article 216 de la loi de modernisation sociale émis la réserve que
ces subventions soient attribuées de façon égalitaire aux
organisations syndicales représentatives. Egalité doit rimer ici avec
mesure de la représentativité et proportionnalité.
(46) Les conseils départementaux de l’accès au droit créés par la loi du
10 juillet 1991 et dont les moyens ont été renforcés par la loi du
18 décembre 1998. Le rapport de la commission Paul Bouchet
déplore le manque de ressources et l’inégalité des CDAD tributaires
de financements aléatoires et l’avant-projet de loi déjà évoqué
n’élargit pas leurs moyens ni leur rôle de soutien aux associations,
syndicats…
(47) L’accord signé le12 décembre 2001 avec l’UPA est une amorce
heureuse mais bien timide de ce qui pourrait être une contribution
syndicale généralisée et un droit d’intervention des salariés des TPE.
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préventif, aider à l’implantation de syndicats, et qui, en
aval, vont être chargés de la défense des salariés. Dans
l’un et l’autre cas, ils sont dépourvus de moyens et de
statuts (48).
3) Un statut pour les défenseurs syndicaux
Un statut pour les défenseurs syndicaux n’est pas
difficile à imaginer en s’aidant des repères que
constituent les statuts des conseillers prud’hommes et
des conseillers du salarié. Comme ces derniers, ils ont
besoin d’un système de protection contre le
licenciement, d’autorisations d’absences conséquentes
et d’une formation solide.
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de l’ensemble des confédérations lors d’un tour de
table resté sans lendemain au Ministère du Travail en
1995. Sur d’autres domaines de l’accès au droit,
diverses associations sont intéressées par un tel
dispositif. Il est regrettable que les propositions retenues
dans le rapport de la commission Paul Bouchet et dans
l’avant-projet de loi fassent l’impasse sur le
renforcement du rôle et des moyens en direction des
syndicats et des associations. S’il y est indiqué qu’il
serait utile de faciliter « l’action de groupe » (52) de
syndicats et des associations, il est précisé que cette
action devra être diligentée « vu son importance » par
le recours à un avocat (53).
Ils pourraient être désignés par les organisations
syndicales représentatives dans le ressort d’un conseil
en nombre correspondant à l’audience de ces
dernières lors des élections prud’homales. Leur
formation obligatoire pourrait être assurée dans les
mêmes conditions que celle des conseillers
prud’hommes avec au début du mandat un droit à trois
semaines de stage. Les autorisations d’absence
devraient être assorties d’un maintien du salaire
remboursé à l’employeur par l’Etat (49) comme les
conseillers du salarié mais selon un forfait horaire par
salarié défendu aux prud’hommes et devant les cours
d’appel. Le bénéfice des sommes octroyées au titre de
l’article 700 du NCPC permettrait d’indemniser
l’organisation syndicale qui a assuré l’accueil du
salarié et la logistique autour du procès (50).
Il est regrettable aussi que le rapport assortisse les
missions d’information et de conseil des syndicats et
associations d’un contrôle de qualité qui serait
sanctionné par l’attribution d’un label ou l’obtention
d’un agrément.
Même esquissé, un tel statut faciliterait l’accès au
droit et à la justice pour les salariés démunis et aiderait
les organisations syndicales à sortir de l’improvisation,
du détournement d’autres droits syndicaux et aussi du
cumul des mandats. On pourrait ainsi, dans ce cas,
envisager que les mandats de conseillers prud’hommes
et de défenseurs devant le même conseil puissent être
rendus incompatibles (51).
Ils auraient besoin de droits protégeant l’accès au
droit ou à la justice (55), d’un recours suspensif efficace
avant tout licenciement, d’un droit à la réintégration ou
à des dommages intérêts autrement plus dissuasifs, ou
par exemple aussi que la requalification de contrat
précaire induise le maintien ou le retour dans l’emploi.
CONCLUSIONS
Ces propositions peuvent faire l’objet de précisions
ou de débats, de semblables avaient recueilli l’accord
(48) Sauf les conseillers du salarié qui ont un début de statut leur
permettant de s’absenter quinze heures par mois mais seulement
pour assister un salarié à l’occasion d’un entretien préalable à un
licenciement.
(49) Ces remboursements pourraient être imputés sur le budget réservé à
l’aide juridictionnelle. Il paraîtrait en effet peu conforme au concept
de « logique de service public » utilisé dans le rapport Paul Bouchet
d’utiliser l’aide publique à la seule rémunération de professions
libérales considérées comme seul mode d’accès à la justice.
(50) CA Nancy (Ch. Soc.) 25 février 1998, Dr. Ouv. 1999 p. 31.
(51) C’est déjà le cas pour les conseillers prud’hommes qui ne peuvent
être aussi conseillers du salarié (ces derniers ont un début de statut).
(52) L’action de groupe permet à une catégorie de personnes concernée
par un litige de bénéficier de la solution obtenue par une seule
d’entre elle ou par une organisation représentative.
Les salariés ont théoriquement le droit de choisir leur
défenseur, ils ont besoin de beaucoup plus que d’une
simple prestation de service, ou consultation quelle
qu’en soit la qualité. Bien au delà d’une protection
juridique par un système d’assurance (54), il leur faut,
avant l’irréparable, trouver conseil, assistance, suivi,
c’est-à-dire
des
possibilités
de
s’organiser
collectivement et durablement pour prévenir les
dommages et améliorer leurs situations, leurs conditions
de travail.
Statut moderne du salariat (56), moyens adaptés de
défense et d’accès au droit et à la justice assainiraient
certainement les flux judiciaires et permettraient des
coopérations plus efficaces entre travailleurs,
organisations syndicales, juridictions et professionnels
du droit.
Pascal Rennes
(53) Pages 21 et 22 du rapport.
(54) Apparemment, de très nombreux salariés ont souscrit de telles
clauses dans des contrats multirisques et l’ignorent. Dans ces
contrats, le libre choix du défenseur est le plus souvent éludé et la
tendance à des transactions de bas niveau est la méthode la plus
répandue de solution des conflits.
(55) Bizarrement, seuls les salariés agissant pour l’égalité professionnelle
sont protégés (L. 123-5) et maintenant les témoins en matière de
discrimination (nouvel article L. 122-45, alinéa 3 issu de la loi du
16 novembre 2001.
(56) Un nouveau statut du travail salarié est esquissé comme
revendication majeure de la CGT (voir Le Peuple, n° 1551,
déc. 2001 p. 8).

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