Quelles conceptions de l`impartialité des Conseils de Prud`hommes ?
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Quelles conceptions de l`impartialité des Conseils de Prud`hommes ?
DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 1 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 1 Quelles conceptions de l’impartialité des Conseils de Prud’hommes ? (à propos de Cass. Soc. 3 juillet 2001, Bonnaffé) par Pascal MOUSSY, Directeur des études de PRUDIS CGT, Chargé d’Enseignement à l’Université d’Evry Val d’Essonne L a personne la plus importante, dans une salle d’audience, étant naturellement la partie qui va perdre, il se posera inlassablement à son endroit la seule question qui englobe toutes les autres : aura-t-elle un motif raisonnable de croire qu’elle n’a pas reçu justice ? » (N. Commaret, « Une juste distance ou réflexions sur l’impartialité du magistrat », D. 1998, Chr. 264). « Il ressort de cette belle interrogation, émise par un magistrat soucieux de l’impartialité de son corps, que la partie perdante au procès serait le destinataire privilégié des dispositions de l’article 6.1 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes desquelles « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ». Il convient alors de relever qu’originellement, la conduite du procès consacré à la résolution des litiges du travail mettait en évidence que le travailleur avait à souffrir du manque d’impartialité de magistrats tout acquis à la classe possédante. Jean Jaurès, à l’époque, eut l’occasion d’en témoigner. « En 1895, Jean Jaurès, interpellant le ministre de la Justice Trarieux à propos de l’attitude du gouvernement dans la grève des verriers de Carmaux, dénonce le jeu de la répression en s’en prenant aux juges et au gouvernement qui profite de ces inclinations à la sévérité : “Ces magistrats, enveloppés des luttes politiques et sociales qui sévissent nécessairement sur notre pays, se laissant aller à leurs impressions, à leurs émotions et à leurs colères, ils se grisent peu à peu, si on ne les rappelle pas au respect de la loi et de leur propre dignité” » (voir N. Olszak, “Mouvement ouvrier et système judiciaire”, thèse Strasbourg, 1987, 223). Le grief de partialité atteignait particulièrement les Conseils de Prud’hommes, dont la composition se révélait peu propice à la prise en compte des arguments présentés par le plaignant ouvrier. Jusqu’en 1948, le collège « ouvrier » réunissait des contremaîtres et des « ouvriers patentés » (ouvriers travaillant pour le compte d’un marchand avec l’aide d’autres ouvriers), perçus comme des « petits maîtres » qui « oppriment et pressurent » les ouvriers (voir N. Olszak, op. cit. 167). Ce n’est qu’au fil du temps, et grâce à l’action déployée par les militants des Bourses du Travail ayant « investi » le champ prud’homal, que le Conseil de Prud’hommes a gagné sa crédibilité auprès des travailleurs, en se présentant sous l’aspect d’une juridiction construite sur un équilibre entre le point de vue patronal et celui du monde du travail. Et un pas a été franchi, visant à une meilleure perception du procès prud’homal par le travailleur, lorsque le droit prud’homal moderne, à partir d’un décret du 12 septembre 1974, a pris en compte le caractère alimentaire de la créance du demandeur salarié, en conférant des pouvoirs juridictionnels au bureau de conciliation. La Chambre Sociale de la Cour de Cassation a eu l’occasion de consacrer le parti pris du procès prud’homal en faveur de la partie qui est atteinte dans ses revenus de subsistance en rappelant, à propos des provisions pouvant être allouées par le bureau de conciliation, qu’il résulte de l’article R. 516-18 du Code du Travail que « ce texte n’est applicable qu’à des sommes dues par l’employeur au salarié » (Cass. Soc. 6 mai 1997, Dr. Ouv. 1997, 471, note Arnaud de Senga). L’impartialité du Conseil de Prud’hommes s’est donc construite à partir de son affranchissement d’une logique corporatiste attachée à l’image d’un tribunal de famille dominé par les patrons et de la reconnaissance du conflit d’intérêts entre les aspirations patronales et les revendications des salariés. C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la pertinence de la position prise le 3 juillet dernier par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans le (déjà) fameux arrêt Bonnaffé (en page 3 du présent numéro). Par son arrêt, la Cour de Cassation pose le principe que l’exigence d’indépendance et d’impartialité attendue du tribunal implique qu’un conseiller prud’homme n’exerce pas de mission d’assistance ou de mandat de représentation devant le Conseil de Prud’hommes dont il est membre. Cet axiome d’une incompatibilié entre les missions de juge et de défenseur, au sein d’un même tribunal, s’inscrit dans le droit fil de réflexions provenant du Président Gélineau-Larrivet, qui, après avoir relevé que DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 2 2 l’article L. 516-3 du Code du Travail interdisait seulement aux conseillers prud’hommes d’exercer leur mission d’assistance ou de représentation devant la section, ou la chambre, à laquelle ils appartiennent, et éventuellement, devant la formation de référé, a tenu à souligner qu’il lui semblait que les fonctions de juge et de défenseur étaient « très éloignées l’une de l’autre » et qu’une réforme mériterait d’être envisagée, « au moins pour étendre les incompatibilités existantes » (G. Gélineau-Larrivet, « Quelques réflexions sur les Conseils de Prud’hommes et la procédure prud’homale ». Le juge entre deux millénaires. Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, p. 349 ). Mais, si l’on se réfère aux dispositions du Code de l’organisation judiciaire, cette contrariété entre les fonctions de juge et de défenseur ne relève pas du phénomène naturel. Il ressort en effet des dispositions de l’article L. 213-2 du Code de l’organisation judiciaire qu’« à défaut de conseiller disponible, les avocats dans l’ordre du tableau et, après eux, les avoués selon la date de leur réception peuvent être appelés à suppléer les conseillers pour compléter la Cour d’Appel ». Il s’agit là moins d’une incitation que d’un devoir : l’avocat appelé à compléter la Cour et qui n’y défère pas commet une faute professionnelle (voir E. Putman, « Cour d’Appel », Répertoire Procédure Civile, 9). Et il a notamment été jugé que la Cour qui cherchait à se compléter n’avait pas à se préoccuper de savoir si l’avocat appelé était par ailleurs député, « cette circonstance étant sans influence sur la validité de la décision qui serait rendue avec son concours » (Cass. Req. 17 mars 1913, D.P. 1914, I, 140). Force est ici de relever que la présence d’un défenseur parmi les magistrats composant la Cour d’Appel ne suscite pas d’inquiétude particulière quant à l’impartialité de la Cour, le débat portant plutôt sur la question de savoir si la règle traditionnelle selon laquelle, lorsque la Cour a été complétée par un avocat ou un avoué, la majorité doit demeurer constituée de magistrats ne serait pas « d’une excessive rigidité » (voir. E. Putman, art. préc. 9). Il est dès lors curieux que le fait que des conseillers prud’hommes puissent être amenés à exercer des fonctions de défenseur provoque autant de remous, l’organisation paritaire de la juridiction prud’homale étant de nature à constituer une sérieuse garantie contre le risque de connivence. La « suspicion » a été définie comme « la crainte légitime qu’une juridiction ne se prononce pas avec l’impartialité requise, compte tenu des tendances ou des intérêts des juges qui la composent » (voir DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 J.J. Daigre, « L’avocat conseiller prud’homme », Dr. Soc. 1981, 704). Aussi, une demande de récusation pour « suspicion légitime » doit reposer sur des faits graves et sérieux. « Elle ne saurait se fonder sur de simples allégations sur des appréhensions du demandeur, sur une ambiance défavorable » (J.J. Daigre, art. préc., 704). La suspicion de connivence entre les juges prud’hommes et le défenseur, qui exerce également les fonctions de conseiller, ne saurait donc se fonder sur de simples « impressions » ou sur la seule allégation que l’activité juridictionnelle créerait des liens de nature à amoindrir la rigueur qui doit présider à l’examen des arguments présentés par le défenseur. L’hypothèse la plus propice à entretenir un risque de connivence remettant en cause la perception de la juridiction prud’homale comme impartiale serait celle de conseillers entretenant entre eux des relations de caractère « familial ». Il serait alors tout à fait normal de ne pas accepter que le conseiller défenseur fasse de la convivialité prud’homale le critère déterminant de la recevabilité de ses arguments. Mais comme l’a fort justement relevé il y a encore peu de temps la Cour d’Appel de Paris (18e Ch. C) (en page 3 du présent numéro), cette perception des relations entre les conseillers prud’hommes ne correspond pas au fonctionnement d’un Conseil de Prud’hommes comme celui de Paris. Plus exactement, lorsque le conseiller prud'homme, élu sur liste syndicale, intervient comme défenseur syndical, l’organisation paritaire de la juridiction prud’homale réduit à peu de choses le risque de « connivence », si l’on admet que le « conflit d’intérêts » est au cœur de l’institution prud’homale (voir, dans ce sens, M. Th. Lanquetin, « L’indépendance des Conseils de Prud’hommes », Revue juridique des Barreaux, février-juin 1999, 84). La probabilité d’une partialité, inhérente à une conception familiale du procès prud’homal, se révèle des plus infimes. On voit mal pourquoi les conseillers employeurs feraient des cadeaux à un militant syndical qui se bat sur tous les fronts prud’homaux... Consacrer, par la réédition des contestables attendus de l’arrêt Bonnafé, l’extension à l’ensemble du Conseil de l’incompatibilité entre les fonctions de conseiller et de défenseur reviendrait à ériger en vertu l’ignorance du conflit d’intérêts qui définit aujourd’hui l’institution prud’homale et, ce qui est encore plus condamnable, à priver le salarié de la liberté de choix de son défenseur. Pascal Moussy DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 3 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 3 ANNEXE CONSEILS DE PRUD’HOMMES – Conseiller défenseur – Cumul de fonctions devant le Conseil dont il est membre – Invocation de l’art. 6-1 CEDH (deux espèces) – 1° Présomption prétorienne de partialité – Incompatibilité (1re espèce) – 2° Suspicion de connivence devant être objectivement justifiée – Absence de rapports d’autorité entre conseillers prud’hommes – Caractère paritaire constituant une garantie d’impartialité (2e espèce). PREMIÈRE ESPÈCE COUR DE CASSATION (Ch. Soc.) 3 juillet 2001 Bonnaffé contre Ducrocq Sur le moyen unique : Vu l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Attendu que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que cette exigence implique qu’un conseiller prud’homme n’exerce pas de mission d’assistance ou de mandat de représentation devant le Conseil de Prud’hommes dont il est membre ; Attendu que dans un litige opposant M. Bonnaffé à Mme Ducrocq cette dernière était représentée à l’audience par son époux membre de la juridiction prud’homale saisie ; Qu’en statuant dans ces conditions, le Conseil des Prud’hommes a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : Casse et annule, dans toutes ses dispositions. (M. Gélineau-Larrivet, Prés. - Mme Maunand, Rapp. M. Duplat, Av. gén.) DEUXIÈME ESPÈCE COUR D’APPEL DE PARIS 29 mars 2001 (18e Ch. C) Entreprise Grenon contre J. Boyer Jacques Boyer qui était employé en qualité de conducteur de travaux par la société Grenon et a fait l’objet d’un licenciement pour motif économique, a saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris, section encadrement, de demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préjudice moral ; Dans le cadre de cette instance, Me Vaillery-Radot, conseil de la société Grenon a, par lettre recommandée du 3 mai 2000, saisi le Président du Conseil de Prud’hommes d’une requête en suspicion légitime tendant au renvoi de l’affaire devant un autre Conseil de Prud’hommes en faisant valoir que M. Boyer était assisté par M. Frerson, délégué syndical FO, par ailleurs conseiller prud’homme de la section commerce du même conseil, et que cette qualité de fonctions dans la même juridiction était contraire aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Par ordonnance du 27 septembre 2000, le Président du Conseil de Prud’hommes de Paris a dit la demande irrecevable après avoir relevé que Me Vallery-Radot n’avait pas justifié d’un pouvoir spécial pour la présenter ; Cette décision a été confirmée par arrêt du 26 octobre 2000 ; Par Iettre recommandée du 7 novembre 2000 le conseil de la société Grenon a renouvelé sa requête en y joignant un pouvoir spécial de son mandant ; Par ordonnance du 10 janvier 2001, le Président du Conseil de Prud’hommes de Paris a dit irrecevable en la forme et mal fondée sur le fond la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime déposée par Me Vallery-Radot ; La requête et cette ordonnance ont été transmises le même jour à la Cour d’Appel ; A l’audience du 31 janvier 2001, Me Vallery-Radot a conclu à la recevabilité et au bien fondé de sa requête ; Le Ministère public a été entendu en son avis et M. Boyer a présenté ses observatIons ; MOTIVATIONS : Me Vallery-Radot a justifié d’un pouvoir spécial à l’appui de sa nouvelle requête en sorte que celle-ci doit être déclarée recevable ; Aux termes de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de I’homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; Le moyen tiré de la confusion des fonctions juridictionnelles et de défense est sans portée dès Iors que M. Frerson n’est pas appelé à statuer sur le litige introduit par le salarié qu’il assiste ; De même, l’analogie avec les dispositions de l’article 47 du Nouveau Code de Procédure Civile est inopérant, M. Frerson n’étant pas partie au litige. Il y a lieu d’examiner si l’on peut considérer les appréhensions de la société Grenon comme objectivement justifiées ; Les conseillers prud’hommes sont à parts égales des salariés et des employeurs élus pour cinq ans par leur homologues sur des listes électorales distinctes pour chacune des cinq sections autonomes, correspondant à des activités professionnelles spécifiques, qui composent un Conseil de Prud’hommes ; M. Frerson est un salarié élu au Conseil de Prud’hommes de Paris dans la section du commerce dont il préside l’une des chambres en alternance avec d’autres conseillers prud’hommes ; Cette fonction ne Iui confère pas d’autorité sur l’ensemble des membres du Conseil de Prud’hommes et notamment sur les conseillers des autres sections, élus par d’autres collèges et nommés le cas échéant à des fonctions présidentielles par d’autres assemblées ; Plus généralement, la nature spécifique de la juridiction prud’homale, composée paritairement de salariés et d’employeurs, magistrats non professionnels ne dépendant que de leurs mandants pour leur réélection éventuelle, constitue, avec les dispositions de l’article L. 516-3 du Code du Travail, une prévention suffisante contre la connivence redoutée par la société Grenon ; Le seul fait que M. Frerson, membre du Conseil de Prud’hommes de Paris, est susceptible d’entretenir des relations avec les 720 conseillers qui le composent ne suffit pas pour considérer comme rompue l’égalité entre les parties et comme objectivement justifiées les craintes de la société Grenon à l’égard de cette juridiction ; La requête sera donc rejetée ; PAR CES MOTIFS : Déclare la société Grenon recevable mais mal fondée en sa requête en suspicion légitime, L’en déboute. (M. Feydeau, Prés.) DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 4 4 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 La Cour de Cassation pouvait-elle, dans son arrêt du 3 juillet 2001, prendre une telle décision sans méconnaître, ni violer l’article L. 516-3 du Code du Travail ? par Jean-Claude LAM, Directeur de PRUDIS CGT L e style provocant, volontairement adopté, de la question exprime l’émotion soulevée par l’arrêt du 3 juillet 2001 dans les rangs des conseillers prud’hommes salariés, plus généralement dans ceux des acteurs au procès prud’homal. La question, et donc la réponse qu’elle suscite, sont composées : 1. Quels sont le sens et la portée de la décision de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation ; quelle valeur garde l’article susvisé au regard de l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ? (A) 2. Quelles attitudes possibles pour les conseillers prud’hommes assurant une fonction de défense ? (B) A - Les articles L. 516-3 du Code du Travail et 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme 1) Ce qui est posé ici est la supériorité de la norme internationale sur la norme interne. Passons sur le préambule de la Constitution qui fait de l’action de se conformer au droit international une tradition française. Plus conséquent, l’article 55 de la Constitution qui dispose que la norme internationale régulièrement ratifiée ou approuvée a une autorité supérieure à celle des lois, ce qui a pour conséquence que la loi qui entre en conflit avec une norme internationale doit s’effacer devant elle. Cependant, aucune juridiction n’étant en droit français compétente pour censurer une loi, la question s’est rapidement posée de savoir si le juge judiciaire ou administratif pouvait l’écarter au profit de la norme internationale, en application de l’article 55 de la Constitution (1). La réponse n’est pas douteuse. Longtemps discordantes, les jurisprudences respectives sont aujourd’hui à l’unisson pour assurer la primauté de la norme internationale (Ch. Mixte, Cass. 24 mai 1975, Société des Cafés J. Vabre et C.E. 20 octobre 1989, Nicolo). 2) Mais encore faut-il pour que la solution s’applique qu’il y ait conflit entre deux normes, l’une nationale et l’autre internationale. « En cas de concours de textes sur une même question et lorsque ceux-ci ne sont pas opposés, c’est la loi nationale que la juridiction française doit appliquer » (conclusions L. Charbonnier, Cass. Civ. Epoux Baucher c/ Epoux Vattaire, 1986). Et c’est bien là qu’avec l’arrêt du 3 juillet 2001, le bât blesse. En adoptant la loi du 18 janvier 1979 portant réforme de la juridiction prud’homale qui a abrogé toutes les dispositions législatives antérieures, le législateur ne pouvait ignorer la CEDH du 4 novembre 1950, d’autant moins que la France n’a ratifié la convention que très tardivement et moins de cinq ans avant la réforme des CPH (entrée en vigueur de la convention le 3 mai 1974). L’article L. 516-3 qui interdit au conseiller prud’homme d’exercer une fonction d’assistance ou de représentation devant sa section ne poursuit d’autre but que de garantir l’impartialité de la juridiction (2). Non seulement il y a bien concours des deux textes en question mais poursuivant le même objet, ils ne s’opposent pas, tout au contraire. L’application de l’article L. 516-3 ne devait donc pas être écartée. Mais là n’est pas le seul aspect choquant de cette décision. (1) Question d’autant plus aiguë que le Conseil Constitutionnel s’était (2) En effet, une mauvaise lecture est souvent faite de cet article, qui déclaré de longue date (15 janvier 1975) incompétent pour censurer considère qu’il confère au conseiller une habilitation à cette fonction, une loi non conforme à un engagement international. alors qu’il pose a contrario une interdiction, certes partielle. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 5 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 Si, pour garantir la primauté de la norme internationale (et donc le respect de l’article 55 de la Constitution), le juge judiciaire ou administratif est confronté ordinairement au problème de l’interprétation de la norme internationale (3), ce ne fut pas le cas de la Chambre Sociale dans sa décision du 3 juillet 2001 qui a interprété… la norme nationale. En décidant qu’un jugement pris par un Conseil de Prud’hommes en faveur d’une partie assistée par une personne, certes habilitée, mais membre de la juridiction, était entaché de partialité, la Chambre Sociale édicte une sorte de présomption irréfragable 5 (4) dont on sait qu’elle est normalement l’œuvre du législateur, présomption qui pèse sur la juridiction. Car c’est bien, dans cette décision, la juridiction prud’homale qui est en cause et non le défenseur « par ailleurs conseiller prud’homme » (cf. L. 516.3) qui aurait grand tort de se sentir concerné a priori par la décision de la Chambre Sociale. Dans ces conditions, on ne peut alors qu’espérer que cette décision est d’espèce compte tenu par exemple de la double qualité d’époux et de conseiller prud’homme du défenseur. B - « Que faire » quand le ver est déjà dans le fruit ? 1. Contrairement aux apparences et pour choquante qu’elle soit, la décision du 3 juillet 2001 n’est pas une révolution, pas même une innovation. imaginer ce que serait la position de la Cour à propos d’un contentieux prud’homal, la juridiction n’étant même pas (encore !) échevinée (5). Elle n’est que l’aboutissement, la formulation explicite de ce qui est dans l’air du milieu et de son temps. 2. Revenons à l’arrêt du 3 juillet 2001 ; faut-il retirer au conseiller prud’homme l’habilitation à assister ou représenter une partie au procès prud’homal ? La récusation, par exemple, à propos de laquelle le raisonnement juridique est le même que celui qui soustend la décision du 3 juillet 2001, est au cœur du débat qui agite le monde judiciaire de la prud’homie. Si des Cours d’Appel ont pu décider que l’article L. 518-1 s’interprétait de façon restrictive (CA Aix-enProvence, 18 juin 1981, CA Paris 29 mars 2001, cidessus p. 3), il n’en est pas de même pour la Chambre Sociale de la Cour de Cassation qui reproche à une Cour d’Appel de s’en être tenue aux motifs légaux de récusation prévus par l’article L. 518-1, sans aller au delà chercher les circonstances objectives d’une transgression du principe d’impartialité et de s’être bornée à énoncer que les manquements éventuels à ce principe ne peuvent être sanctionnés qu’a posteriori par la nullité de la décision rendue (Cass. Soc. 18 novembre 1998). Plus problématique encore, la jurisprudence de la Cour Européenne qui, de manière constante, privilégie l’apparence d’impartialité et d’indépendance objectives. Ainsi, dans une affaire (Lamberger c/ Suède – 1990), la Cour a conclu à une violation de l’article 6-1 en déclarant que même si des particuliers sont techniquement qualifiés pour traiter d’un problème et même s’il n’y a pas de raisons subjectives de douter de leur intégrité personnelle, il est important que soit préservée l’apparence d’impartialité et d’indépendance objectives. Dans cette affaire, les « particuliers » étaient les assesseurs échevins d’un tribunal. On ose à peine (3) Certes l’article 6.1 ne souffre pas d’un problème d’interprétation ; s’appliquant au civil comme au pénal, cette règle est devenue une sorte de principe universel, de portée générale donc. (4) Une connivence naturelle et inéluctable des membres d’un même corps ! Soyons francs : l’intérêt et l’attachement que nous portons à la juridiction prud’homale ne réside pas dans la faculté du conseiller prud’hommes d’y pratiquer la défense syndicale. Une incompatibilité partielle (devant son conseil) ou totale (devant tous les CPH) entre les fonctions de conseiller et de défenseur ne justifierait pas EN SOI un scandale. Il ne s’agirait pas là d’un coup mortel porté à la juridiction prud’homale. Mais restons lucides : a) La décision du 3 juillet peut s’inscrire dans une logique qui, poussée à son terme, conduit à la dénaturation pure et simple de la juridiction prud’homale. Entre l’interdiction pour un conseiller prud’homme de plaider devant son conseil et la désyndicalisation, même paritaire, des CPH et l’échevinage, il y a certes un grand pas ; mais beaucoup de détracteurs de la juridiction ont déjà chaussé leurs bottes de sept lieues pour le franchir ; certains faux amis de la prud’homie leur fournissent même le chausse-pied. b) La compatibilité entre le statut (pas le mandat) de conseiller prud’homme et celui de défenseur n’est pas une fin en soi ; c’est la conséquence logique d’une certaine conception du traitement judiciaire des conflits du travail et de la place que chacune des parties y occupe. En l’absence (coupable) d’un véritable statut du défenseur syndical, c’est à cette fonction qu’une telle incompatibilité porterait (5) Notons d’ailleurs que la CA de Versailles n’a pas attendu la C.E.J. pour tenir un tel raisonnement (CA de Versailles du 18 mai 1982), in Droit Ouvrier janvier 2001 p. 15. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 6 6 gravement atteinte. Beaucoup de conseillers assument en effet une fonction de défense, non pas parce qu’ils sont conseillers mais parce qu’ils sont militants détenteurs d’un savoir-faire juridique et judiciaire. Devant l’arrêt du 3 juillet 2001, il n’apparaît pas judicieux de se camper crânement sur des positions certes bien inspirées mais mal assises ; l’aventurisme semble peu recommandé là où il est possible de faire autrement. Ne donnons pas à la Cour de Cassation l’occasion de construire et densifier une jurisprudence de principe qui pourrait bien fournir des « attendus DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 alibis » au gouvernement pour une réforme de la législation en vigueur. L’enjeu reste de ne pas céder de terrain dans le débat sur l’impartialité du juge prud’homal qui fait aujourd’hui office de pierre angulaire pour l’avenir de la juridiction. Il reste que la question du statut du défenseur syndical est entière et qu’il faudra bien que syndicats et pouvoirs publics s’accordent un jour à son sujet. Il y va là aussi de l’avenir d’une bonne justice du travail. Jean-Claude Lam DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 7 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 7 Les travailleurs et l’accès à une justice prud’homale efficace (au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales) par Pascal RENNES, Directeur du Travail P L A N Introduction I. Le juge prud’homal, respectueux de ses électeurs salariés, dérange A) Est-ce vraiment l’impartialité de la juridiction prud’homale qui est en cause ? B) Remarques autour de la formation paritaire C) Le bilan moyen des Conseils de Prud’hommes cache des disparités significatives II. Développer l’accès à la justice pour les salariés A) L’accès à la justice prud’homale demeure difficile, aléatoire pour nombres de salariés B) L’objet des syndicats et l’accès à la justice C) Pour un mode syndical d’accès à la justice : 1. Une indigence de moyens hétéroclites 2. Le maillon essentiel des unions locales de syndicats 3. Un statut pour les défenseurs syndicaux Conclusion INTRODUCTION L ’arrêt du 3 juillet 2001 a fait l’objet d’une étonnante diffusion par un nombre incalculable de zélateurs, beaucoup de magistrats de tous grades, avocats patronaux, greffiers. Il a laissé sans voix la Ministre de la Justice. On espère bien sûr que d’autres arrêts fondés sur le même visa de l’article 6.1 mais portant par exemple sur le délai raisonnable ou le libre choix d’un défenseur connaîtront le même engouement spontané. Ce phénomène de propagation reflète l’air du temps qui consisterait à détecter la moindre faille permettant au justiciable d’avoir un sentiment très subjectif que le tribunal auquel il a affaire n’est pas le meilleur, le plus impartial. Cette recherche peut, à terme, avoir des effets insoupçonnés, par exemple, à propos des tribunaux de commerce mais aussi s’il advenait qu’à partir de critères aléatoires, on se mette à définir le profil politiquement correct d’un juge, notamment dans nombre de tribunaux fonctionnant à juge unique. On abandonnera ce terrain malsain pour proposer quelques pistes autour de la question de savoir si, à propos de l’impartialité, ce n’est pas le rôle du juge (prud’homal) qui est visé (I) et s’il ne vaudrait pas mieux, au delà, se poser la question des moyens de l’accès à la justice (II) (prud’homale) pour le monde du travail. Mais avant d’évoquer ces préoccupations, on pourrait susciter l’intérêt des partisans sincères d’une impartialité convenable en leur proposant de vérifier que le mini-procès organisé dans l’entreprise lors d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement, sans indemnité, du travailleur, se déroule bien conformément à un droit élémentaire de la défense et à l’article 6 de la CEDH dans son intégralité (1). (1) Article 6 de la CEDH : 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. Tout accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 8 8 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 I. Le juge prud’homal, respectueux de ses électeurs salariés, dérange A) EST-CE VRAIMENT L’IMPARTIALITÉ DE LA JURIDICTION PRUD’HOMALE QUI EST EN CAUSE ? Depuis ses origines, la juridiction prud’homale est remise en cause régulièrement, comme sont remis en cause le droit du travail lui-même, le droit syndical, l’inspection du travail, etc. Cette remise en cause s’exprime de façon de plus en plus agressive à l’encontre du juge prud’homal mais aussi à l’encontre des autres juges à mesure que les tribunaux usent plus sûrement des compétences novatrices et font preuve de plus d’indépendance en face des puissants, hommes politiques ou managers, élus locaux, notables, ou que des décisions de justice enrayent des stratégies politiques, économiques, des restructurations. Ce ne sont pas, en réalité, l’impartialité, l’indépendance des magistrats (prud’homaux ou autres) qui sont visées, ce sont le rôle même du juge, sa fonction de contrôle du respect de la légalité (de l’état de droit) qui sont contestés. Quelques exemples : a) Le juge prud’homal est suspecté de partialité et les conseillers récusés parce qu’ils osent requalifier en CDI les contrats précaires massivement utilisés par la Poste et qu’ainsi, ils contrecarrent toute une politique de gestion de l’emploi par un grand établissement public (2). b) On voudrait « sécuriser » les plans sociaux de licenciement en les habillant par un accord qui dessaisirait les non-signataires et surtout le juge judiciaire. Après l’Administration suspectée d’incompétence, de lenteur, de bureaucratisme (avant 1986), c’est le rôle du juge judiciaire héritant du contentieux des licenciements économiques qui est contesté. Le débat préalable sur le motif économique arrivant à temps, devant les représentants du personnel et éventuellement le juge, était tout l’enjeu du projet de loi de modernisation sociale. c) Ce n’est pas l’impartialité du juge des référés qui est contestée, c’est sa capacité à pouvoir modifier le cours des choses voulu par un employeur : empêcher un licenciement, empêcher un processus de harcèlement, rétablir une évolution de carrière, réintégrer un candidat aux élections, imposer une consultation démocratique des travailleurs (3). sont en jeu. Limiter l’accès à la justice des salariés, empêcher l’action syndicale en justice, restreindre l’intervention et le pouvoir du juge apparaissent comme des tendances lourdes, parallèles à l’affaiblissement de la légitimité de l’Etat, du législateur, de la norme générale, de la hiérarchie des normes. On renvoie aux parties contractantes au niveau le plus bas (faible) le soin d’assurer une fiction de régulation sociale. Cela paraît quelque peu paradoxal au moment où l’effacement de la norme étatique, du rôle des services publics est préconisé au profit d’une généralisation de la norme d’origine contractuelle. Certains avaient imaginé que le juge habituel du contrat trouverait la plénitude de sa mission. Le juge remplit peut-être cet office selon des modes imprévisibles que la « pression sociale » infléchit. Alors, si l’Etat, le législateur ont d’abord été diabolisés, il semble que ce soit un peu maintenant le tour du juge judiciaire, celui des conflits collectifs, de la négociation collective, ou des plans sociaux, mais aussi le juge prud’homal lui-même assez modéré habituellement, sauf quand il s’empare des droits de la personne, de la discrimination, de l’emploi… Ainsi, les reproches apparents de partialité visant soit les juges eux-mêmes individuellement et directement, soit certains d’entre eux quand ils ont une activité militante de défense ou autre, ne sont en réalité qu’un petit aspect d’une attaque contre le rôle du juge lui-même et contre la capacité des syndicats ou d’autres acteurs à agir aussi par la voie judiciaire. B) REMARQUES AUTOUR DE LA FORMATION PARITAIRE La composition paritaire des Conseils de Prud’hommes n’est pas une garantie d’impartialité puisqu’elle consiste à mettre fictivement à égalité les élus salariés et les élus employeurs alors qu’il s’agit dans 98 % des cas d’examiner la demande d’une victime déjà licenciée, sanctionnée ou privée d’un droit, d’un salaire par l’acte unilatéral d’un employeur qui n’a fait l’objet d’aucun contrôle préalable (4). Le salarié demandeur a, en quelque sorte, déjà été condamné par un employeur et sa situation va être à nouveau examinée par deux juges employeurs à égalité avec deux juges salariés. Ce sont en fait beaucoup plus l’action syndicale en justice et la compétence des juges, des tribunaux qui Par crainte d’allonger les délais déjà préjudiciables au demandeur, les quatre juges vont avoir tendance à s’arrêter sur un compromis dans 90 % des cas. Ils renonceront à se mettre en partage de voix avec le (2) J.-Cl. Lam - P. Moussy : « Vous avez dit impartialité ? » Dr. Ouv. 2001 p. 11. (3) T.I. Clermont-Ferrand, Référé 26 février 2001, note C. Baumgarten I. Tharaud, Dr. Ouv. 2001 p. 161. (4) La procédure de l’entretien préalable réglée dans des délais expéditifs, l’utilisation massive de la mise à pied conservatoire désarment le salarié visé par une procédure de licenciement qui ne dispose d’aucun recours suspensif. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 9 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 souci de préserver leur autorité, la formation paritaire. Le recours à un juge départiteur étant considéré comme un échec, une incapacité à trancher le litige, même si ce renoncement se fait au détriment des droits complets des salariés demandeurs, c’est-à-dire en dépit du droit lui-même. La moyenne des gains (42 000 F), s’agissant de la rupture d’un CDI ancien et qualifié montre que le compromis est bien loin des six mois minima d’un salaire moyen (5). Cet accord à 90 % porte aussi bien sur les sommes que sur les mesures prises en bureau de conciliation, le référé, l’exécution provisoire et pour admettre la demande du salarié ou le débouter. La formation paritaire, c’est aussi la collégialité dés le bureau de conciliation, en bureau de jugement comme en formation de référé, et cela est donc bien différent des autres juridictions du premier degré et de nombreux tribunaux européens fonctionnant à juge unique. On notera d’ailleurs utilement que l’article 6.1 de la C.E.D.H. précise tribunal impartial (et non juge impartial). En France, la tendance au tribunal siégeant à juge unique semble devenir la généralité et la formation collégiale doit le plus souvent être demandée alors qu’au Conseil de Prud’hommes, la collégialité est obligatoire. Même s’il y a un président dont l’influence n’est pas négligeable, chaque voix compte pour une (6). On pourrait d’ailleurs s’interroger sérieusement sur l’attitude de certains juges départiteurs qui s’accommodent fort bien de l’absence de conseillers pour le délibéré ou qui affichent un léger mépris pour le débat et les prises de décisions démocratiques. 9 Conseil de Prud’hommes et encore moins d’avoir un préjugé subjectif contre la composition du conseil. En bref, ils n’ont théoriquement rien à « perdre » en se présentant devant les prud’hommes (7). Il en va tout autrement de l’employeur défendeur qui, lui, n’a que peu de chance de gagner quelque chose (8) ; il peut espérer ne pas perdre mais il a toutes les raisons de craindre qu’une formation normalement constituée le condamne et son appréhension objective (de ce risque) pourra trouver des traductions subjectives, pourra fonder le sentiment, l’impression que le tribunal peut être, par sa composition, partial. Ainsi, la Poste, spécialisée dans l’abus de contrats précaires, a toutes les raisons objectives et subjectives de demander la récusation des conseillers prud’hommes CGT quand un syndicat CGT plaide la requalification desdits contrats. Mais elle pourrait demander la récusation de tous les conseillers salariés de France, de Navarre et d’Outre Mer, pour peu que la CGT, la CFDT, FO interviennent ensemble dans les procédures en requalification. Il en serait de même qu’elles le fassent par le truchement de défenseurs syndicaux ou par le recours à des avocats. Ainsi, c’est le droit d’ester en justice des syndicats et la fonction du juge lui-même qui sont visés. La formation de départage à trois (en référé) ou à cinq (au fond) n’est-elle pas une garantie d’impartialité supplémentaire puisqu’elle reflète le fait que les deux parités ont bien débattu, qu’elles n’ont pu s’influencer et qu’il va falloir qu’elles redébattent en présence d’un autre juge qu’il faudra convaincre normalement plus sur les faits et le droit que sur un compromis. La mise en cause de l’impartialité des premiers juges fait abstraction du double degré de juridiction alors que le contentieux social devient la première activité des cours d’appel en volume (9). C’est donc dés la première instance que les employeurs défendeurs tentent de contester la compétence (par exemple du juge des référés), l’impartialité du juge, de faire l’impasse sur la procédure de conciliation (10). La Cour d’Appel de Toulouse rappelle, à juste titre, qu’un employeur en demandant la récusation d’un juge prud’homme en cause d’appel invente « une nouvelle voie de recours en suspectant systématiquement son juge » (11). La formation paritaire par nature risque d’être « paritairement » sensible aux arguments, à la situation du demandeur et à celle du défendeur. Il faut souligner à nouveau que ce sont les salariés lésés qui forment l’immense majorité des demandeurs, ils ont perdu leur emploi, des salaires, des droits et ils viennent les réclamer. Ils ont quelque raison d’espérer gagner ou récupérer des droits, des créances, des dommages intérêts et quelquefois leur emploi, et a priori peu de raisons de contester objectivement la composition du Malheureusement, on ne connaît pas statistiquement avec précision la nature des décisions frappées d’appel et qui sont les demandeurs à l’appel. On ne sait pas non plus si les décisions prises avec le juge départiteur sont plus ou moins favorables aux salariés que celles prises en formation paritaire. Bien qu’un salarié sur deux soit débouté de sa demande principale, on observe que très majoritairement les employeurs défendeurs sont demandeurs à l’appel. On sait que globalement les Cours d’Appel confirmaient les (5) Le salaire moyen se situe à 10 500 F. Ces chiffres datent de 1996 et proviennent d’une enquête IDHE-Cachan CERCRID Saint-Etienne, juin 2000 : « Les litiges du travail au temps du jugement prud’homal » étude dirigée par Evelyne Serverin, Directeur de Recherches au CNRS. Sauf références précisées, les chiffres ou pourcentage évoqués sont tirés de cette étude. La rédaction du Droit Ouvrier dispose de quelques exemplaires de cette étude particulièrement intéressante. (7) Sauf la condamnation à payer une indemnité au titre de l’article 700 du NCPC décidée en formation de départage le plus souvent. (6) Le groupe CGT du Conseil de Prud’hommes de Créteil établit des statistiques intéressantes par section, chambre et présidence sur l’issue des litiges et les gains moyens, et cela depuis plusieurs années. (8) cf. l’article de Pascal Moussy dans ce même numéro. (9) 53 253 affaires en matière sociale en 2000. Les chiffres clés de la justice, octobre 2001 p. 12. (10) Le RPR demande d’ailleurs la suppression du bureau de conciliation et relaie ainsi les pressions du patronat qui, depuis le début, refuse que cette formation joue son rôle de mise en l’état… (11) CA Toulouse, référé 30 mars 2001, SA Calberson Sud-Ouest c/ Mustapha Khay, à paraître dans le Dr. Ouv. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 10 10 décisions prud’homales. L’accroissement des appels dans les dernières années a peut-être modifié ces proportions. On remarque que ces appels provenant des employeurs sont, pour beaucoup d’entre eux, dilatoires. Il s’agit de gagner dix-huit mois (12). Les employeurs sont encouragés à interjeter appel par le fait que les décisions prud’homales sont rarement assorties de l’exécution provisoire (13). Il serait d’ailleurs fort intéressant qu’une étude soit diligentée pour savoir avec précision quelles sont les litiges faisant l’objet d’un partage des voix ; quel type de solution les juges départiteurs contribuent-ils à donner et bien au delà, il serait utile de connaître les caractéristiques des litiges et décisions frappées d’appel et le sort que les cours d’appel font à ces jugements. Ce fonctionnement, en somme très paritaire et consensuel, des conseils de prud’homme est assez peu contesté par le patronat et les organisations patronales. Ce que les organisations patronales combattent surtout, c’est beaucoup moins la partialité des prud’hommes que tout ce qui en fait un accès au droit à la justice, facile, rapide, efficace pour les salariés. On peut énumérer en vrac : la possibilité de se défendre soi même, avec un défenseur syndical, mais aussi l’oralité (14), la compétence et les ordonnances du bureau de conciliation, la comparution personnelle, la compétence réelle de la formation de référé, les mesures d’instruction, l’exécution provisoire, les constats de nullité des licenciements et les remises en l’état, les requalifications de contrats précaires, les ordonnances sous astreintes, etc. Les lecteurs habitués du Droit Ouvrier auront d’ailleurs noté les efforts inverses faits par la Revue pour une utilisation par les défenseurs des salariés et par les juges prud’hommes de la plénitude de leurs prérogatives légales (15). C) LE BILAN MOYEN DES CONSEILS DE PRUD’HOMMES CACHE DES DISPARITÉS SIGNIFICATIVES Contrairement aux autres contentieux civils (sauf en ce qui concerne le droit de la famille), les demandeurs sont des petits demandeurs fragiles (salariés licenciés) (12) C’est la durée moyenne de traitement des affaires par les Cours d’Appel en 2000. Les chiffres clés du Ministère de la Justice, Octobre 2001. (13) L’étude IDHE s’interroge sur les raisons qui font que l’exécution provisoire est très peu ordonnée et même très peu mentionnée quand elle est de droit et donc vraiment peu de salariés rentrent dans leur droit quand il y a appel. Cette réticence des demandeurs mal conseillés proviendrait de la crainte de ne pouvoir restituer les sommes en cas d’échec éventuel en appel mais elle a pour effet d’inciter les employeurs à faire appel pour suspendre le versement des sommes dues ! L’étude souligne aussi que la jurisprudence de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation sur le taux de dernier ressort a accru le flux des recours au lieu de le canaliser. (14) D. Boulmier, “Oralité de la procédure et mesures d’instruction, pour un juge prud’homal metteur en scène des affaires inscrites au rôle”. Dr. Ouv. 1999 p. 309. (15) P. Moussy, “A propos de l’article R. 516-0 du Code du Travail (existet-il une approche syndicale du procès prud’homal ?)”, Dr. Ouv. 1998 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 contre des défendeurs qui ont, eux, le plus souvent largement les moyens d’agir et surtout d’attendre, de faire traîner. C’est à partir de ces constats que des procédures assez spécifiques ont été mises en place devant les conseils de prud’hommes (conciliation, oralité, comparution personnelle, référé, délais, exécution provisoire, taux de dernier ressort). Or, la partie patronale a toujours œuvré pour anéantir l’efficacité de ces dispositifs originaux (16). D’un autre côté, pour des raisons différentes, les professionnels du droit et nombre de magistrats continuent de vouloir « normaliser » la prud’homie en neutralisant la conciliation, l’oralité, en instituant des contrats de procédure séduisants pour certains (17). Le salarié demandeur « abandonne » une fois sur deux son affaire ou, au mieux, n’obtiendra pas un jugement (18). Dans le cas où il parvient à faire juger le litige, il sera débouté en moyenne une fois sur deux de sa demande principale (19), et une fois sur deux, il devra encore agir en appel (en demande ou en défense). Rappelons qu’en moyenne, devant les autres juridictions, les demandeurs sont de bien plus « gros » demandeurs et ne sont déboutés de leur demande principale seulement qu’à hauteur de 12 %. On ne connaît pas l’influence sur les chiffres des conseils de prud’homme des décisions des cours d’appel. On sait seulement qu’elles confirment les jugements prud’homaux à la même hauteur que ceux des autres juridictions (20). Ce taux de confirmation, même élevé, ne donne aucune indication sérieuse, sauf éventuellement sur la qualité ordinaire des décisions des conseils. La moyenne des gains (il s’agit essentiellement des sommes obtenues lors de contestation de licenciement en très grande majorité non économique) tourne autour de 40 000 F mais la moitié des jugements au fond n’accordent que 21 000 F au plus. Les délais s’allongent au fil des ans pour atteindre en moyenne douze mois (neuf mois dans la section industrie, quatorze mois dans la section commerce). A cela s’ajoute les délais d’appel une fois sur deux. Les chances de succès varient considérablement en moyenne d’une section à l’autre. Dans l’industrie, les p. 145 ; K. Derouvroy, “Le juge prud’homal face à la demande du salarié”, Dr. Ouv. 1996 p. 186. (16) La circulaire Sorel du CNPF à l’époque est éloquente. (17) G. Gélineau-Larrivet “Quelques réflexions sur les Conseils de Prud’homme et la procédure prud’homale” in “Le juge entre deux millénaires”, Mélanges offerts à Pierre Drai p. 343, Dalloz 2000. Le président sortant de la Chambre Sociale se livre à des réflexions et propositions dont certaines sont très intéressantes et d’autres critiquables. (18) Les salariés sont moins souvent déboutés selon le repertoire statistique du Ministère de la Justice qui ne fait pas de distinction entre demande principale et demandes accessoires contrairement à l’étude IDHE précitée qui l’a faite. (19) Annuaire statistique du Ministère de la Justice. (20) B. Münoz-Perez - E. Serverin : “L’exercice des voies de recours contre les décisions prud’homales”. Dr. Ouv. 1991 p. 318. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 11 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 11 accord paritaire déboute les salariés ou reçoit leurs demandes à un niveau très bas sous forme d’un compromis à leur détriment qui n’a rien à avoir avec le droit ou quand les bureaux de conciliation et formations de référés ne jouent pas leur rôle plein et entier. Mais les écarts en dessus de la moyenne peuvent provenir aussi de bonnes stratégies juridiques émanant de défenseurs syndicaux ou d’avocats des salariés qui vont rencontrer des juges prud’hommes salariés ayant une conception vivante de leur compétence et qui se montrent perspicaces pour utiliser la plénitude de leurs attributions, quitte à être amenés à convaincre un juge professionnel. salariés ont près de six chances sur dix d’obtenir gain de cause sur leur demande principale, alors qu’ils en ont moins de cinq dans le commerce et cinq dans l’encadrement. Et dans ces deux sections, les résultats obtenus seront plus éloignés des demandes initiales. On rappellera modestement que c’est dans la section Industrie qu’il y a en proportion le plus de conseillers élus sous l’étiquette CGT. Cette constatation gagne à être connue par les travailleurs dans cette période proche des élections prud’homales. La juridiction prud’homale saisie au fond est actionnée près de neuf fois sur dix pour apprécier les conditions de la rupture d’un CDI et presque toujours d’un CDI d’un salarié qualifié et ancien. Ce juge est très peu sollicité par les salariés précaires, ou fragiles, il est très peu sollicité à propos des conditions de travail, d’emploi, d’évolution de carrière… Le juge des référés, lui, intervient essentiellement sur des créances salariales ou pour l’obtention de documents, attestations… Il n’y a pas beaucoup de mystère à constater que c’est la qualité de l’animation syndicale devant le conseil et la dynamique des juges salariés dans le conseil qui vont faire réagir ici et là les directions des entreprises et leurs défenseurs, plus particulièrement lors de demandes que les statistiques font apparaître pourtant comme marginales. Ce sont les demandes qui proviennent des salaires précaires (21), des salariés licenciés pour raisons économiques, ceux qui veulent faire annuler leur licenciement, faire cesser et réparer une discrimination, un trouble manifestement illicite ou empêcher un dommage imminent (par exemple un licenciement), etc. C’est donc au moment où les Conseils de Prud’hommes peuvent être utilisés efficacement pour corriger les situations précaires abusives, protéger les droits de la personne au travail, assurer l’égalité de traitement que leur composition est critiquée ou que l’action en justice des syndicats est contestée. Cette homogénéité massive du contentieux prud’homal fait apparaître comme anormales, parce que rares, les actions en requalification de contrats précaires, de remise en l’état du contrat de travail, des carrières, des conditions de travail, surtout quand elles sont initiées par le truchement d’une organisation syndicale et qu’elles consistent à modifier ou à empêcher les actes unilatéraux des patrons. Le bilan « moyen » des Conseils de Prud’hommes est considérable. Chaque année près de 100 000 salariés recouvrent une partie de leurs droits après une procédure, certes âpre et longue. Ce bilan moyen positif est aussi constitué de disparités importantes d’un conseil à l’autre et même d’une section à l’autre à l’intérieur d’un même conseil. Ces écarts à la moyenne ne gênent pas le patronat quand ils se situent en dessous, c’est-à-dire quand la formation en plein Alors que les populations concernées sont considérables, ces actions en justice sont statistiquement marginales. Ainsi, l’accès au droit, à la justice mériterait, au regard même de l’article 6 de la CEDH, une attention aussi précise que celle qui consiste à sonder les âmes des juges ou des tribunaux. II. Développer l’accès à la justice pour les salariés A) L’ACCÈS À LA JUSTICE PRUD’HOMALE DEMEURE DIFFICILE, ALÉATOIRE POUR LES SALARIÉS Les revendications de réforme de l’aide juridictionnelle proviennent essentiellement des milieux intéressés en tant que professionnels du droit, intermédiaires de l’accès au droit, avant tout la (21) J.M. Lagorsse “Le contrat de travail à durée déterminée”, Dr. Ouv. 2000 p. 224. P. Rennes “Au-delà d’un éternel recommencement”, Dr. Ouv. 2000 p. 223 (22) Voir la déclaration de la CGT “Ouvrir grand les portes de la justice” Dr. Ouv. 2000 p. 527. profession libérale d’avocat (22). Ce mouvement revendicatif spectaculaire a abouti pour le moment aux propositions d’une commission ad hoc (23) et à un tout récent avant projet de loi relatif à l’accès au droit et à la justice. La profession d’avocat est considérée comme ayant (ou devant avoir) le monopole de l’assistance des justiciables. (23) Cette commission de réforme de l’accès au droit et à la justice présidée par M. Paul Bouchet a rendu son rapport en mai 2001. Il a été édité par le service d’information du Ministère de la Justice. On trouvera la conclusion et le résumé des principales propositions dans la partie « Documents » de ce numéro du Droit Ouvrier p. 17. Pour la commodité, quand on évoquera cette commission, on l’appellera la commission Paul Bouchet. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 12 12 Services publics d’information, de conseil, de contrôle et associations ou syndicats, dont le rôle primordial est reconnu, sont laissés sous le boisseau et les propositions faites par la commission Paul Bouchet conduisent à encadrer, contrôler leur action au lieu d’envisager les moyens de leur développement. Depuis plusieurs années apparaissent des intentions récurrentes de limiter le flux (le flot) du contentieux judiciaire sans qu’à aucun moment on ne s’intéresse aux raisons de son développement (précarisation de populations, endettement, individualisation, contractualisation, affaiblissement des statuts collectifs et des services publics). Cela se traduit par une volonté de limiter l’accès au droit et aux contentieux en en alourdissant le coût ou les procédures, de rendre obligatoire le ministère d’avocat en cause d’appel (y compris dans le contentieux administratif de l’excès de pouvoir) et aussi en cassation (tout le contentieux social prud’homal et le contentieux des élections professionnelles). Sont aussi mises en place des modalités non juridictionnelles de règlements des conflits, les multiples médiations, plus ou moins facultatives proposées ou imposées par le juge à diverses phases de la procédure avec une forte dose de chantages variés sur les délais, les issues, auxquelles la partie la plus faible doit la plupart du temps se plier. Ces modalités non juridictionnelles sont aléatoires, longues, jamais gratuites et se substituent souvent à des procédures existantes qui pourraient être plus rapides et efficaces comme par exemple, les mesures prises par le bureau de conciliation, le juge de la mise en l’état, le juge des référés et le pouvoir habituel du juge de concilier (24). L’engouement, l’apostolat de certains magistrats (25) et de professionnels du droit pour ces règlements non juridictionnels mériterait d’être examiné de près au seul critère du résultat obtenu par la partie la plus faible. A cette volonté de déjudiciarisation relative des conflits, on peut rajouter la tendance lourde qui consiste à vouloir réserver aux seuls partenaires au contrat la capacité d’interpréter et de trancher les désaccords éventuels dans des institutions réservées aux seuls signataires. Le MEDEF ne cache pas sa volonté d’évacuer tour à tour le législateur, les pouvoirs publics et maintenant le juge judiciaire (26). (24) Art. 12 du NCPC. (25) La présidente de la Chambre sociale de la Cour d’Appel de Grenoble semble partie en croisade et se répand en saintes paroles vers cette terre de médiation (voir Le Monde du 11.09.2001) et les CSBP n° 134 p. 389. Pour une première critique de la médiation : B. Augier : “La médiation dans les conflits individuels de travail, une chance pour le patronat, un piège pour les salariés”. Dr. Ouv. 1999 p. 225 (26) Le MEDEF, dans les premiers projets de l’accord sur les voies et les moyens de l’approfondissement de la négociation collective, proposait d’instaurer des commissions d’application et DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 Toujours à propos de l’accès à la justice mais cette fois-ci en matière prud’homale seulement, une enquête récente (27) permet de mieux cerner les caractéristiques des parties, des litiges et de l’issue de ceux-ci. On savait que l’immense majorité des demandeurs (98 %) sont des salariés. Au nombre de 200 000 par an environ, la moitié d’entre eux, pour des raisons diverses mais peu expliquées, abandonnent leur demande. On ne possède pas d’indications sur ces « abandons », sur la qualité de ces demandeurs, la nature de leur demande et encore moins sur l’issue concrète du litige, sauf que pour moins de 10 % d’entre eux, il y a conciliation ou (et) transaction. Mais le déchet est considérable si l’on retient qu’un salarié licencié sur huit seulement essaie de contester son licenciement et que l’immense majorité des salariés précaires ne demande pas la requalification des contrats illégaux et ne demande que très rarement la requalification de la rupture elle-même. Seul un salarié sur deux, à peu près, parvient à faire juger son affaire, qui est dans 80 % des cas au moins centrée sur la contestation du licenciement de la part d’un salarié qualifié et disposant d’une ancienneté importante. Ces travailleurs(ses) qui obtiennent un jugement sont assistés par un avocat dans 58 % des cas et par un défenseur syndical dans 30 %. Douze pour cent d’entre eux organisent leur procès seuls. Moins de 8 % d’entre eux aussi ont recours à l’aide juridictionnelle. Il apparaît aussi qu’en moyenne les défenseurs syndicaux assistent les demandeurs les moins « fortunés et anciens », et que les avocats, eux, ont la partie de la clientèle la plus aisée et exigeante (28). Rappelons aussi que devant le juge du fond, les employeurs sont assistés quasiment systématiquement par un avocat. On pourrait dire que sur cent affaires jugées au fond, les avocats interviennent autour de cent soixante fois, dont soixante fois côté salarié et cent fois côté patronal, et les défenseurs syndicaux trente fois côté salarié. Intervention volontaire syndicale et droit de substitution par le syndicat, peu utilisés, n’apparaissent pas dans les statistiques. Même si, ici ou là, cette intervention est mise en œuvre, cela ne suffit pas à rendre cette bonne pratique visible. L’action syndicale se traduit seulement par l’assistance d’un défenseur proche des travailleurs. d’interprétation des accords dont la saisine préalable était obligatoire avant tout contentieux et dont l’avis s’imposait au juge judiciaire. G. Lyon-Caen “A propos d’une négociation sur la négociation” Dr. Ouv. 2001 p. 1. (27) Précitée note n° 5. (28) Mais un quart de cette « clientèle » bénéficie de l’aide juridictionnelle. D. Delabruyère - S. Lumbroso : “La diffusion de l’aide juridictionnelle dans les procédures judiciaires”, Infostat Justice sept. 2001 n° 60. L’enquête citée note 5 indique aussi que ces salariés assistés par les avocats obtiennent moins souvent gain de cause et alors les sommes gagnées sont plus éloignées de leur demande. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 13 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 B) OBJET DES SYNDICATS ET ACCES À LA JUSTICE Les syndicats et la CGT en l’occurrence se préoccupent avant tout de la qualité et de l’effectivité des droits des salariés et pour cela des meilleurs outils accessibles ou à créer pour la mise en œuvre des droits. La situation faite aux salariés en matière d’accès au droit et à la justice est loin d’être satisfaisante. C’est pourquoi ce serait illusoire et dangereux de penser que défendre le statu quo est la meilleure forme de riposte par rapport aux agressions et aux questions posées, même après l’arrêt déjà évoqué du 3 juillet 2001 (29). Avant tout, il faut rappeler la mission essentielle, légale des syndicats (revue en 1982) L. 411.1 « les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits individuels et collectifs et des intérêts matériels et moraux des personnes visées par leurs statuts… ». Depuis plus d’un siècle, ils ont acquis le droit fondamental d’ester en justice dans l’intérêt collectif de la profession, L. 411.11 (30) et bien avant les avocats, celui d’assister les salariés devant les conseils de prud’hommes, puis encore récemment le pouvoir dans de multiples cas de figure de se substituer au salarié dans les actions prud’homales (31) concernant des situations fragilisées par la précarité, les licenciements économiques, les discriminations, les agressions morale, sexuelle… (32). A cela se rajoute le plus souvent par impulsion syndicale les possibles actions en justice des comités d’entreprise, des CHSCT et plus récemment des délégués du personnel (L.422.1.1) (33). Rappelons que les unions de syndicats ont les mêmes prérogatives dans les champs géographiques et professionnels correspondants. Ainsi, les salariés ont acquis plusieurs voies d’accès à la justice. Un mode direct individuel essentiellement devant le juge prud’homal (et accessoirement le TASS), un droit d’être assisté notamment par un militant (29) Philippe Masson : “ Défendre et renforcer les prud’hommes”, Le Peuple n° 1551 p. 15. Kléber Derouvroy “Les salariés les plus démunis seront lésés par cette décision”, SSL 1er octobre 2001 n° 1044 p. 7. (30) Francis Saramito - Maurice Cohen : “Les prérogatives syndicales en matière d’assistance et de représentation des salariés devant les juridictions”, Mélanges en l’honneur de J.M. Verdier p. 143, éd. Dalloz. N. Olszak : “Mouvement ouvrier et système judiciaire (18301950)” thèse 1987. (31) H. Peschaud : “Le droit de substitution et les garanties des salariés” Dr. Ouv. 2000 p. 478. (32) La loi du 16 novembre 2001 sur les discriminations au travail a élargi encore l’exercice du droit de substitution. (33) Les syndicats mais aussi les délégués du personnel pourront agir aux lieux et places des salariés victimes de harcèlement moral et de façon 13 syndical mais aussi divers modes d’accès collectifs devant la plupart des juridictions civile, pénale, administrative, par le biais des syndicats et (ou) des représentants du personnel. Seules les actions devant le juge de droit commun (TGI) au fond ou en matière pénale dans certains cas requièrent le ministère d’avocat. Jusqu’à une dizaine d’années, le contentieux collectif devant le TGI restait embryonnaire (34). Il s’est développé considérablement avec la contestation des plans sociaux, y compris en référé et de plus en plus maintenant à propos de la négociation collective. De même, le contentieux prud’homal, sans que cela se chiffre en milliers de demandes, commence à comprendre des actions en référé pour obtenir des remises en l’état, des annulations de licenciements, des reconstitutions de carrières, la requalification de contrats précaires, des provisions importantes en cas de lettres de licenciement peu motivées. Ce type de procédure commence à poindre aussi devant le juge administratif (35). L’action syndicale en justice sort depuis quelques années de la défensive (dommages intérêts ou défense contre des expulsions de grévistes) pour être un outil d’enrichissement du rapport de force. Tout en gardant une appréciation réaliste sur cette évolution, il ne faut pas s’étonner que le patronat et les adeptes du calme plat social cherchent à dévier l’action en justice dans des méandres filandreux de règlements non juridictionnels, à enlever aux juges des compétences et à priver les salariés de certains modes d’action en leur refusant les moyens économiques de cette action. Ces évolutions sont maintenant perceptibles et de plus en plus perçues. Elles viennent en décalage croissant au regard de pratiques qui restent souvent routinières et laissent par ailleurs insatisfaits des besoins, notamment en matière de discrimination (36). préventive. Cf. nouveaux articles et les modifications de l’article L. 422-1-1 après la loi de modernisation sociale. (34) Valérie Carasco - A. Jeammaud : “Relations du travail, 200 000 affaires civiles en 1990 (dont seulement 1500 devant les TGI fond et référé contre 3200 au fond en 2000)” - Infostat Justice n° 27, janvier 1992. (35) P. Moussy : “La notion d’urgence devant le juge administratif des référés”, CE 29 juin 2001. Dr. Ouv. 2001 p. 409. (36) De gros succès ont été obtenus en ce qui concerne la discrimination syndicale et de nombreux dossiers de syndicats CGT sont en cours. La loi du 16 novembre 2001 devrait faciliter la mise en route de stratégies juridico-syndicales sérieuses sur l’égalité professionnelle, les discriminations raciales directes et indirectes. M. Miné : “La discrimination femmes-hommes”, Rebondir. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 14 14 C) POUR UN MODE SYNDICAL D’ACCÈS À LA JUSTICE Il a déjà été souligné que les syndicats ont vocation à agir en justice dans l’intérêt collectif de la profession, mais aussi pour assister les salariés devant les Conseils de Prud’hommes ou même se substituer aux salariés les plus précaires, exposés, pour obtenir la restitution de leurs droits, la requalification des contrats. L’action juridique des syndicats contribue aussi à promouvoir des droits nouveaux, à faire évoluer la jurisprudence, à révéler l’insuffisance ou l’inadaptation des textes pour peu qu’un combat judiciaire obstiné relaie l’action syndicale collective, le mouvement d’opinion (37). Cette action judiciaire n’est assortie d’aucun moyen particulier permettant aux salariés en difficulté de faire appel aux syndicats. On fait comme si les syndicats préexistaient, étaient une institution sociale disposant de lieux d’accueil, de militants, de moyens d’agir en justice, d’étudier des dossiers, de construire des stratégies syndicalo-juridiques. Beaucoup de salariés pensent que les syndicats sont une espèce de service public gratuit et leur doivent certaines prestations. Ce phénomène s’accentue bien sûr avec la crise de l’emploi, les licenciements, les politiques de flexibilité, de précarisation, de pression morale, d’individualisation et la destruction de collectifs de travail solidaires. C’est maintenant banal de constater que les services sociaux divers, ceux de l’inspection du travail renvoient à d’autres « guichets », et notamment vers les bourses du travail, les unions locales de syndicats, de nombreux salariés victimes ou menacés. De même, rappelons que beaucoup reconnaissent (38) que les associations dans de nombreux domaines de la vie sociale et les syndicats pour ce qui est des difficultés liées au travail, sont un mode populaire d’accès aux droits et à la justice pour les catégories les plus démunies de la population, essentiellement par leur activité de terrain et leur proximité géographique et culturelle avec les victimes. 1) Une indigence de moyens hétéroclites Ces rôles d’information de masse et de passerelle essentielle sont reconnus dans les enquêtes d’opinion (39) mais l’indigence des moyens concrets dont disposent associations et syndicats pour faire face à la demande décourage les familles modestes et pauvres, les salariés, et peut décourager aussi les militants associatifs et syndicaux pour qui l’investissement intellectuel, et en temps, dépasse largement ce qu’il est possible de faire complètement bénévolement. (37) L’action en cours des jeunes travailleurs des restaurants Mc Donald illustre bien le rôle que peuvent jouer des militants syndicaux hardis. (38) La commission Paul Bouchet le souligne mais sans en tirer aucune proposition correspondante. (39) Le baromètre CSA-CGT sept. 2001 note une forte attente des salariés en direction des Conseils de Prud’hommes. DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 Ainsi, par exemple, l’activité d’information, de conseil puis de défense devant les prud’hommes exige des organisations syndicales de consacrer une partie de leurs locaux, du temps des militants, des droits à la formation, de la documentation, du secrétariat à l’accueil et la défense des salariés qui frappent individuellement ou collectivement à leur porte sans être pour autant syndiqués. L’accueil syndical bien organisé permet de transformer cette demande d’assistance individuelle quand elle provient de salariés d’entreprises un peu importantes en début d’organisation collective et de nombreuses implantations syndicales sont consolidées à partir de ce travail (40). Mais la majorité des demandes proviennent de salariés de très petites entreprises qui souhaitent être conseillés et défendus. La réponse à cette demande est le plus souvent improvisée en terme de moyens. Les « permanences juridiques » sont ainsi tenues par des militants retraités, des demandeurs d’emploi militants, des conseillers prud’hommes, des militants d’entreprise et dans quelques dizaines de cas pour ce qui concernent les organisations de la CGT par des salariés permanents d’unions locales ou professionnelles (41), d’abord autodidactes et maintenant de plus en plus diplômés (42). C’est donc un ensemble hétéroclite de moyens syndicaux qui sont consacrés à cette activité, ensemble quelquefois bien maîtrisé par les organisations, mais souvent bricolé, improvisé, dérivé, développé sans contrôle. Ainsi, pour la seule CGT, un bon millier de militants assurent cette mission syndicale, parmi eux peut-être deux cents à trois cents conseillers prud’hommes. Ces défenseurs ne perçoivent aucune rémunération émanant des travailleurs accueillis ou assistés. Des organisations, pour amortir le coût de cette activité, établissent des systèmes de cotisations syndicales et sollicitent des dons. La plupart des organisations syndicales interprofessionnelles sont tributaires de moyens en locaux et subventions mis à leur disposition par les collectivités locales ou dépendent de la force des syndicats constitutifs de l’union. Ce fonctionnement est très disparate d’un endroit à l’autre et peu adapté à la demande et aux besoins réels des travailleurs en difficulté, à la dimension et à la configuration des agglomérations et bassins d’emplois, etc. Ainsi, l’accès au droit dépend pour beaucoup des moyens syndicaux. A population égale et à conseils de prud’hommes à effectif semblable, il pourra y avoir des (40) L’activité des conseillers du salarié d’origine syndicale permet ce genre de suivi syndical. P. Rennes “S’organiser dans l’entreprise”, mai 2001, VO-Edition / L’atelier. (41) Quelquefois avec le statut « d’emploi jeune » (42) Le rapport de la commission Paul Bouchet évoque l’existence de 900 emplois jeunes diplômés dans la sphère juridico-associative pour l’information et le conseil. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 15 DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 différences considérables d’utilisation de la justice prud’homale. Dans de nombreux départements, y compris en région parisienne, des salariés sont contraints d’avoir recours à un avocat ou de présenter seuls leur demande. Dans d’autres localités, il sera souvent difficile de trouver un avocat ayant une sensibilité au droit social ou acceptant même de défendre des salariés et ceux qui le font avec compétence sont surchargés. Rappelons aussi qu’un salarié sur deux abandonne la procédure avant d’obtenir un jugement (43). Cette situation appelle des réformes : elle est déplorable pour les justiciables les plus humbles, elle est malsaine pour l’image, le fonctionnement des organisations syndicales qui sont unanimes pour demander la mise en place de moyens d’accès au droit et à la justice au travers notamment d’un statut de la défense syndicale. Une réforme bien nécessaire pour faciliter l’accès des salariés les plus démunis au droit devrait passer par deux voies : l’amélioration et la sécurisation des organisations syndicales de proximité que sont les unions locales interprofessionnelles de syndicats et la création d’un statut de la fonction de défenseur syndical. 2) Le maillon essentiel des unions locales de syndicats Les unions locales de syndicat ont les mêmes prérogatives que les syndicats, notamment pour ester en justice, désigner des délégués syndicaux ; organisations chargées de coordonner, aider à l’animation de la vie syndicale, elles assurent d’autres missions de participation à de multiples aspects de la vie locale, elles sont un maillon important de la cohésion sociale. Elles assurent un lien vital avec les salariés isolés cherchant à se défendre, à s’organiser. Ces fonctions d’animation, de solidarité, de représentation reconnues ne sont assorties d’aucun moyen de fonctionnement assuré. Locaux, équipements, moyens humains, subventions existent de façon inégale et aléatoire. La jurisprudence administrative reste pour le moins en dent de scie (44) rendant précaire et timorée l’aide des collectivités territoriales. 15 telle subvention facilitant le fonctionnement des unions locales au prétexte que les activités de ces organisations ne présentent pas d’intérêt communal. Le législateur avait, dans la loi de finances 2001, retenu un amendement parlementaire légalisant ces subventions ou fournitures de locaux. Ce texte, censuré par le Conseil Constitutionnel, a été réintroduit dans le projet de loi de modernisation sociale maintenant définitivement adopté. La contribution des collectivités territoriales devraient être constituée d’un minimum de moyens matériels et financiers proportionnels à la population concernée et aussi accordée à chaque organisation syndicale en fonction de sa représentativité. Les CDAD (46) pourraient être incités à coopérer avec les unions locales de syndicats et à les aider matériellement dans leur rôle d’accueil, de conseil et de défense des salariés. Les entreprises devraient être aussi mises à contribution pour qu’un minimum de droits mutualisés permettent d’aider à la représentation professionnelle et interprofessionnelle des salariés aussi bien dans le secteur privé que public. Actuellement, rien n’existe pour les organisations syndicales interprofessionnelles qui dépendent entièrement du bon vouloir ou de l’esprit de solidarité de syndicats qui cèdent leurs droits internes, soit aux unions locales, soit aux fédérations. Seules, quelques grandes entreprises publiques et de très rares entreprises privées accordent des facilités de détachement ou des autorisations d’absence. La multitude de PME ou TPE dont les dirigeants sont hostiles à toutes formes d’organisations syndicales sont ainsi exonérées de toutes charges internes et externes en matière de représentation et de moyens de défense des salariés de leurs entreprises. Même les modalités de représentation élues interentreprises restent au stade à peine embryonnaires (47). Malgré des réponses gouvernementales, une circulaire du Ministre de l’Intérieur (45), il n’est pas rare que les tribunaux administratif annulent les délibérations des conseils municipaux octroyant telle ou Pourtant, ces entreprises emploient la majorité des salariés dans des conditions qui les laissent désarmés jusqu’au moment où, licenciés, ils pourront tenter de faire réparer leur préjudice par le conseil de prud’homme dont ils forment l’essentiel des justiciables. Avant la rupture du contrat, la perte de l’emploi, les unions locales de syndicats assurent le premier contact permettant de s’organiser, d’éviter le pire. Ce sont souvent les mêmes militants qui vont assurer un rôle (43) Annuaire statistique de la Justice 1991-1995. (44) cf. TA Paris 19 décembre 1997, note P. Rennes ; CE 21 juin 1995, note F. Hamon - P. Rennes Dr. Ouv. 1997 p. 38. (45) Circulaire du 28 juillet 2000 du Ministère de l’Intérieur à propos des subventions aux unions de syndicats, Dr. Ouv. 2000 p. 488 Le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2001-455 DC a sur l’article 216 de la loi de modernisation sociale émis la réserve que ces subventions soient attribuées de façon égalitaire aux organisations syndicales représentatives. Egalité doit rimer ici avec mesure de la représentativité et proportionnalité. (46) Les conseils départementaux de l’accès au droit créés par la loi du 10 juillet 1991 et dont les moyens ont été renforcés par la loi du 18 décembre 1998. Le rapport de la commission Paul Bouchet déplore le manque de ressources et l’inégalité des CDAD tributaires de financements aléatoires et l’avant-projet de loi déjà évoqué n’élargit pas leurs moyens ni leur rôle de soutien aux associations, syndicats… (47) L’accord signé le12 décembre 2001 avec l’UPA est une amorce heureuse mais bien timide de ce qui pourrait être une contribution syndicale généralisée et un droit d’intervention des salariés des TPE. DOCTRINE janv. 2002 28/01/02 10:41 Page 16 16 préventif, aider à l’implantation de syndicats, et qui, en aval, vont être chargés de la défense des salariés. Dans l’un et l’autre cas, ils sont dépourvus de moyens et de statuts (48). 3) Un statut pour les défenseurs syndicaux Un statut pour les défenseurs syndicaux n’est pas difficile à imaginer en s’aidant des repères que constituent les statuts des conseillers prud’hommes et des conseillers du salarié. Comme ces derniers, ils ont besoin d’un système de protection contre le licenciement, d’autorisations d’absences conséquentes et d’une formation solide. DROIT OUVRIER. — JANVIER 2002 de l’ensemble des confédérations lors d’un tour de table resté sans lendemain au Ministère du Travail en 1995. Sur d’autres domaines de l’accès au droit, diverses associations sont intéressées par un tel dispositif. Il est regrettable que les propositions retenues dans le rapport de la commission Paul Bouchet et dans l’avant-projet de loi fassent l’impasse sur le renforcement du rôle et des moyens en direction des syndicats et des associations. S’il y est indiqué qu’il serait utile de faciliter « l’action de groupe » (52) de syndicats et des associations, il est précisé que cette action devra être diligentée « vu son importance » par le recours à un avocat (53). Ils pourraient être désignés par les organisations syndicales représentatives dans le ressort d’un conseil en nombre correspondant à l’audience de ces dernières lors des élections prud’homales. Leur formation obligatoire pourrait être assurée dans les mêmes conditions que celle des conseillers prud’hommes avec au début du mandat un droit à trois semaines de stage. Les autorisations d’absence devraient être assorties d’un maintien du salaire remboursé à l’employeur par l’Etat (49) comme les conseillers du salarié mais selon un forfait horaire par salarié défendu aux prud’hommes et devant les cours d’appel. Le bénéfice des sommes octroyées au titre de l’article 700 du NCPC permettrait d’indemniser l’organisation syndicale qui a assuré l’accueil du salarié et la logistique autour du procès (50). Il est regrettable aussi que le rapport assortisse les missions d’information et de conseil des syndicats et associations d’un contrôle de qualité qui serait sanctionné par l’attribution d’un label ou l’obtention d’un agrément. Même esquissé, un tel statut faciliterait l’accès au droit et à la justice pour les salariés démunis et aiderait les organisations syndicales à sortir de l’improvisation, du détournement d’autres droits syndicaux et aussi du cumul des mandats. On pourrait ainsi, dans ce cas, envisager que les mandats de conseillers prud’hommes et de défenseurs devant le même conseil puissent être rendus incompatibles (51). Ils auraient besoin de droits protégeant l’accès au droit ou à la justice (55), d’un recours suspensif efficace avant tout licenciement, d’un droit à la réintégration ou à des dommages intérêts autrement plus dissuasifs, ou par exemple aussi que la requalification de contrat précaire induise le maintien ou le retour dans l’emploi. CONCLUSIONS Ces propositions peuvent faire l’objet de précisions ou de débats, de semblables avaient recueilli l’accord (48) Sauf les conseillers du salarié qui ont un début de statut leur permettant de s’absenter quinze heures par mois mais seulement pour assister un salarié à l’occasion d’un entretien préalable à un licenciement. (49) Ces remboursements pourraient être imputés sur le budget réservé à l’aide juridictionnelle. Il paraîtrait en effet peu conforme au concept de « logique de service public » utilisé dans le rapport Paul Bouchet d’utiliser l’aide publique à la seule rémunération de professions libérales considérées comme seul mode d’accès à la justice. (50) CA Nancy (Ch. Soc.) 25 février 1998, Dr. Ouv. 1999 p. 31. (51) C’est déjà le cas pour les conseillers prud’hommes qui ne peuvent être aussi conseillers du salarié (ces derniers ont un début de statut). (52) L’action de groupe permet à une catégorie de personnes concernée par un litige de bénéficier de la solution obtenue par une seule d’entre elle ou par une organisation représentative. Les salariés ont théoriquement le droit de choisir leur défenseur, ils ont besoin de beaucoup plus que d’une simple prestation de service, ou consultation quelle qu’en soit la qualité. Bien au delà d’une protection juridique par un système d’assurance (54), il leur faut, avant l’irréparable, trouver conseil, assistance, suivi, c’est-à-dire des possibilités de s’organiser collectivement et durablement pour prévenir les dommages et améliorer leurs situations, leurs conditions de travail. Statut moderne du salariat (56), moyens adaptés de défense et d’accès au droit et à la justice assainiraient certainement les flux judiciaires et permettraient des coopérations plus efficaces entre travailleurs, organisations syndicales, juridictions et professionnels du droit. Pascal Rennes (53) Pages 21 et 22 du rapport. (54) Apparemment, de très nombreux salariés ont souscrit de telles clauses dans des contrats multirisques et l’ignorent. Dans ces contrats, le libre choix du défenseur est le plus souvent éludé et la tendance à des transactions de bas niveau est la méthode la plus répandue de solution des conflits. (55) Bizarrement, seuls les salariés agissant pour l’égalité professionnelle sont protégés (L. 123-5) et maintenant les témoins en matière de discrimination (nouvel article L. 122-45, alinéa 3 issu de la loi du 16 novembre 2001. (56) Un nouveau statut du travail salarié est esquissé comme revendication majeure de la CGT (voir Le Peuple, n° 1551, déc. 2001 p. 8).