Elles vivent leurs fantasmes

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Elles vivent leurs fantasmes
Elles vivent leurs fantasmes
Sans complexe, les Québécoises explorent leur
sexualité. Et font d’excitantes découvertes.
Photo: Yu Tsai / Contour by Getty Images
Sans complexe, les Québécoises explorent leur sexualité. Et font d’excitantes
découvertes.
Isabelle* est une grande blonde d’un peu plus de 40 ans. Toujours élégante dans des
tailleurs bien coupés, cette fille enjouée, plutôt rigolote, vit avec le même homme depuis
20 ans. Ils ont deux ados et habitent en banlieue de Montréal. Une vie rangée ? Pas
vraiment. Une vie sexuelle du tonnerre, ça oui. Et sans son mari. Isabelle déniche ses
amants sur les réseaux sociaux pour adultes avertis.« Correspondre par courriel me
permet de savoir à qui j’ai affaire, dit-elle. Sur 100 invitations, j’en retiens une ou deux. »
Ensuite ? Elle les rencontre pour prendre
un verre. Si ça clique, la soirée se termine
à l’hôtel. Comme elle se déplace
beaucoup pour son travail, son conjoint ne se doute de rien. « C’est quelqu’un de bien »,
dit-elle. Mais, au cours des ans, la passion s’est éteinte. « Je suis une chasseuse. Et la
séduction, c’est une drogue pour moi. »
Au moment où le roman Cinquante nuances de Grey (Fifty Shades of Grey, par la
Britannique E. L. James) connaît un succès planétaire, les fantasmes féminins attisent la
curiosité. Pas seulement celle des médias, mais aussi celle des femmes elles-mêmes… qui
passent à l’action. Les ventes de cordes, de menottes, de vibromasseurs et de manuels
pratiques sur l’art de manier le fouet grimpent en flèche. « Maintenant, ce sont les femmes
qui achètent les jouets érotiques du couple », note Cindy Cinnamon, chroniqueuse sexe et
propriétaire de quatre boutiques érotiques dans la région de Québec.
Une étude récente sur les fantasmes sexuels des Québécoises le confirme : près de la
moitié souhaitent être dominées au lit, le tiers rêvent d’être ligotées et le quart imaginent
parfois recevoir une fessée. « Elles veulent être dominées mais sans violence. Elles rêvent
d’une brute au cœur tendre », explique Amélie Cossette, étudiante au doctorat en
psychologie et coauteure de l’enquête avec le psychologue Christian Joyal, de l’Université
du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Bref, sans étude de marché ni sondage, l’auteure de
Fifty Shades of Grey avait donc visé en plein dans le mille.
Pour l’originalité, on repassera. Étrange, tout de même, qu’après des années de lutte pour
accéder à l’égalité, une femme sur deux souhaite être soumise ! « Obligées de jongler
avec leur emploi et les tâches ménagères, elles veulent peut-être lâcher prise et perdre le
contrôle », explique le sexologue Alain Gariépy. Et Internet leur facilite les choses. Le Web
– les tablettes électroniques en particulier – rend la porno plus accessible, sans parler des
rencontres dans le cyberespace.
S’exposer sur les réseaux sociaux
Mariposa, 32 ans, se définit sur son fil Twitter comme une fille « infidèle, assumée et
passionnée ». Sur son blogue (infid-elle.com (http://www.infid-elle.com)), elle parle de
sexe sans pudeur et affiche des photos de couples en train de baiser. Elle y fait aussi
quelques allusions à des nuits torrides…
Son prénom exotique laisse présager une bombe sexuelle. Mais avec ses vêtements
sages et sa chevelure luxuriante, Mariposa ressemble plutôt à une étudiante sympathique.
Mariée durant 10 ans et mère d’un enfant de 7 ans, elle a mené une double vie pendant
des années. Avec son mari, elle ne pouvait être elle-même, sexuellement du moins. « Je
craignais qu’il me trouve perverse », dit-elle. Lasse des mensonges, elle a fini par le
quitter. « Il y a des samedis soir où je me sens seule, confie-t-elle. Mais, au moins, j’ai la
liberté d’être moi-même. » C’est-à-dire ? « De temps en temps, je ne déteste pas recevoir
une bonne claque sur les fesses. Et puis, j’aime bien le sexe avec un couple. »
Elle n’est pas la seule. L’enquête d’Amélie Cossette et de Christian Joyal révèle aussi
l’intérêt des femmes pour d’autres femmes. Si les deux tiers des hommes interrogés
souhaitent voir deux femmes faire l’amour, c’est aussi le cas du tiers des répondantes.
Encore plus étonnant : coucher avec deux femmes à la fois n’est pas un fantasme
strictement masculin, puisque le quart des répondantes rêvent d’un tel trio. « Malheureusement, nous n’avons pu évaluer dans quelle mesure elles sont passées à
l’acte », dit la chercheuse.
Ces données n’étonnent pas le sociologue
de la sexualité Michel Dorais, de
l’Université Laval. « Deux femmes
ensemble, c’est considéré comme de
l’érotisme. On en voit dans presque tous
les films pornos. Mais deux hommes ensemble, c’est une autre histoire ! » s’exclame-t-il.
Quand on la lui rapporte, cette dernière remarque fait bien rire Mariposa. « Dans la vraie
vie, c’est toujours plus compliqué que dans nos fantasmes », dit-elle. Elle a tenté l’amour à
trois avec son mari et une copine… Un flop magistral. « Le genre de situation où personne
ne sait trop quoi faire », ajoute-t-elle.
Depuis, elle a tenté l’expérience avec d’autres couples. « La plupart du temps, ça se
déroule bien, mais il y a parfois des moments de malaise. »
Isabelle a aussi connu quelques ratages. Comme cette rencontre avec un ex-joueur de
hockey après de torrides conversations téléphoniques. Lorsqu’ils se sont trouvés en face
l’un de l’autre, la surprise a été de taille. « Sa tête m’arrivait à la hauteur des seins,
raconte-t-elle en rigolant. Il avait menti sur sa grandeur et comme je mesure presque six
pieds… Nous avons pris le parti d’en rire. »
Il est arrivé qu’au premier coup d’œil un homme lui dise : « Je n’irai pas plus loin, tu n’es
pas mon genre. » Traumatisant, comme expérience ? « Ça fait partie des risques », dit-elle
sans s’émouvoir.
Ne craint-elle pas de tomber sur un tordu ? Non, pas plus que Mariposa, d’ailleurs. Toutes
deux sont convaincues que les échanges de courriels leur permettent d’éliminer les
indésirables.
Tripant, la sodomie ?
Il existe tout de même des femmes qui mènent une vie sexuelle excitante… avec leur
chum. C’est le cas de Julie, la quarantaine, en couple depuis 22 ans et mère d’un enfant.
« On a essayé pas mal de choses, sauf inclure d’autres personnes », dit-elle.
Leur mot d’ordre : complicité. « Il arrive qu’on se ligote, mais ce n’est jamais pour humilier
l’autre ou lui faire mal », précise-t-elle. Ils font aussi l’amour dans des lieux inusités, le
fantasme de 82 % des hommes et des femmes. Mais leurs expériences ne les propulsent
pas toujours au nirvana. « Perdre la clé des menottes, être piqué par un insecte au
mauvais endroit ou se faire un tour de reins dans une chaloupe, ça coupe les élans… »
La dernière barrière, c’était le sexe anal. « Mon mari en avait envie. Moi, j’ai pris du temps
à y consentir. » Est-ce qu’elle a aimé ? « Hum ! C’est comme être touchée dans un endroit
encore plus intime. Comme si j’avais perdu ma virginité une deuxième fois. »
Isabelle aussi l’a expérimenté. « L’idée ne m’excitait vraiment pas, dit-elle. Mais un jour,
dans le feu de l’action, un amant m’a dit : “Laisse-moi faire, je sais comment.” À ma
grande surprise, ça m’a plu. »
Selon une enquête menée aux États-Unis et publiée dans le Journal of Sexual Medicine en
2010, la pratique de la sodomie progresse : en 1992, le tiers des femmes l’avaient
essayée. Quelque 20 ans plus tard, elles sont près de la moitié. « Je crois que les femmes
se plient surtout au désir de leur partenaire, soutient Michel Dorais. C’est la même chose
pour l’échangisme : elles le font parce que les hommes le leur demandent. »
Effectivement, l’étude de l’UQTR révèle que 47 % des hommes fantasment sur le sexe
anal, contre seulement 19 % des femmes. Mais pourquoi cet intérêt de la part des
hommes ? « C’est un des derniers tabous, répond le sociologue de l’Université Laval. Or,
ce qui est excitant, c’est justement ce qui est interdit. »
Mais, selon lui, il y a des limites à ce qu’on peut expérimenter. « Le sexe reste toujours du
sexe, ajoute-t-il. On ne peut pas toujours franchir des barrières. L’intensité des émotions
compte parfois plus que l’intensité sexuelle. » Les chiffres semblent lui donner raison.
Quelque 92 % des Québécoises et 88 % des Québécois jugent que les émotions
constituent un élément important du plaisir sexuel.
Sont-elles détachées de leurs sentiments, ces femmes qui vivent librement leurs
fantasmes ? « Bien sûr que non, répond Isabelle. Je suis une chasseuse qui s’attache à ses
proies. » D’ailleurs, certaines relations se sont poursuivies pendant des mois. « Le sexe ne
prend pas toute la place, ajoute-t-elle. Nous parlons beaucoup. Il y a des partenaires qui
sont devenus des amis. »
* Prénom fictif