Contribution : Le couscous, ou l`histoire ancestrale d`un grain magique

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Contribution : Le couscous, ou l`histoire ancestrale d`un grain magique
Le couscous, ou l’histoire ancestrale d’un grain magique.
Le couscous n’est pas le fait du hasard. Il est réellement né là où il devait naître.
Aujourd’hui, chaque pays du Maghreb se targue d’être à l’origine de ce plat aux
saveurs berbères. Présent dans les circonstances de fête et de peine, le couscous s’est
toujours entouré d’un rituel qui lui confère une certaine sacralité.
Raconter le périple du couscous, c’est restituer sa mémoire première, le frémissement des
premières graines, les premiers gestes dont il garde le souvenir, le goût et l’odeur qui l’ont
marqués. C’est aussi un voyage dans le temps et dans l’espace qui le réintègre dans les rituels
liés aux étapes de la vie, aux traditions agraires, aux fêtes, à l’eau et au feu. Intemporel, il est
à la fois légendaire et familier. Le couscous est ce plat de convivialité qui a gardé son histoire
millénaire.
Le couscous (en berbère « seksu ») est le plat de référence des habitants de l’Afrique du Nord.
C’est aussi leur plus grande et plus belle création culinaire. Les Amazigh furent les premiers à
faire cuire à la vapeur les semoules de blé et d’orge. Ils amélioraient ainsi le traitement des
graines jusque là utilisées seulement pour la confection de bouillies et de pains. Le couscous
dont l’invention remonte vraisemblablement à la fin de la période romaine, n’est mentionné
que vers la fin du VIIIème siècle par les auteurs musulmans qui firent l’éloge de ses qualités
nutritives et médicales. Il parvient à sortir des frontières et à être prisé selon Rabelais dès le
XVIème siècle sous le nom de Coscoton à la moresque. Ce n’est qu’avec l’arrivée des
Hafsides que le nom de couscous est évoqué.
Le couscous remonte certainement à l’aube de l’Histoire même si ce plat, ainsi que
l’affirme Ibn Khaldoun, n’est cité dans les chroniques qu’après la conquête arabe et
l’islamisation du Maghreb. C’est à la table médiévale, au Maghreb mais aussi en Espagne et
au Portugal que ce met gagne véritablement ses lettres de noblesse, passant des steppes nord
africaines aux cours royales d’Europe. Les théories divergent sur l’origine du couscous et sur
la date de son apparition au Maghreb. Il semblerait que le couscous soit originaire du Soudan,
via l’Egypte. Au Soudan, on cuisait du pilpil et du “couscous” de mil ou de sorgho dans des
paniers tressés soumis à la vapeur de la même manière que l’on cuit aujourd’hui la semoule
de blé ou d’orge dans la passoire du couscoussier.
Son origine divise les historiens mais une chose est sure : des fouilles archéologiques ont
permis de découvrir des couscoussière datant des IXème et Xème siècles. Il a par ailleurs
connu de nombreuses transformations au gré des trajets des caravanes à travers le Sahara, et
ensuite avec la conquête de l’Andalousie. Quoiqu’il en soit, le couscous est depuis longtemps
le “plat national” d’Afrique du Nord. Il a fait partie de la vie quotidienne et religieuse ; il
accompagne tous les grands événements de la vie.
Couscous d’hiver et couscous d’été
Le couscous est aux Maghrébins ce que les pâtes sont aux Italiens et le riz aux Chinois. C’est
un aliment de base qui est le pilier de la vie au Maghreb. L’origine du mot Couscous viendrait
de l’arabe classique kouskous et du berbère kseksu qui désigne à la fois la semoule de blé dur
et le plat populaire dont elle est l’ingrédient de base.
Certains pensent qu’il provient d’une onomatopée faisant référence au souffle et au cliquetis
des grains de semoule quand on les roule sous la main. D’autres, sont d’avis qu’il pourrait
être dérivé de l’arabe classique kaskasah, qui signifie “broyer, piler”. On l’appelle Seksou en
Kabylie, Taberboucht dans les Aurès, Ta’âm chez les Ouled Naïl, Lem’hawar chez les gens
de Mila, Naâma et Constantine. Dans la région de Chenoua, on fait même du Taâm oubelout
(couscous à base de glands). Le couscous sera accompagné d’une sauce appelée marga faite
de légumes tels les tomates, oignons, navets, ail, fèves, pois chiches, courgettes ; de viandes
blanches, rouges et de condiments depuis Ras el hanout, (coriandre, poivre, sel) jusqu’au
piment pour avoir une cuisine relevée. Les gens du littoral comme à Collo ont la spécialité du
couscous au mérou.
A chaque cérémonie, son propre couscous. Il y a le mesfouf sucré au miel et raisins secs, ou
seffa avec beurre, raisins secs, cannelle, fleur d’oranger et amandine dans l’Ouest du pays. Il
existe le couscous de couleur brunâtre appelé lemziet dont les citadins de Constantine en
raffolent. Les pieds-noirs se sont accoutumés au couscous merguez emprunté de l’art culinaire
juif. Or, le couscous algérien et maghrébin en général, a pénétré l’Andalousie dès le XIIIème
siècle. Sa cuisson à la vapeur qui remonte aux temps reculés, fait que le couscous a bien une
légende. On peut classer le couscous dans la famille des panades. En roulant la semoule dans
une bassine avec la paume des mains, qu’on passe au tamis bien calibré, les grains sortent et
sont séchés sur un drap blanc puis sont passés à la vapeur dans un couscoussier pour être cuit.
Mythe et superstition
Le couscous pèlerin est pourtant bien plus qu’un simple plat et il dépasse la dimension
strictement culinaire. Sa préparation contient une dimension spirituelle qui n’est pas sans
rappeler le rite de la prière. Le couscous est un acte social de partage qui marque les grandes
étapes de la vie (mariage, grossesse, naissance, célébration des jours saints …). Il est né dans
le giron des femmes et représente l’insigne de leur pouvoir car “seules des mains féminines
peuvent l’apprivoiser”. On parle même de couscous “mythique” car “il porte en lui
l’empreinte des quatre éléments nécessaires à la transmutation alchimique” : le feu (qui
concourt à sa cuisson, lui donne sa chaleur), la terre (qui à porté le grain et lui donne son
odeur, sa couleur, et son goût), l’eau (nécessaire complémentarité pour le révéler et lui faire
atteindre sa pleine maturité).
L’air (représenté par la vapeur qui se dilue dans l’atmosphère). Dans les croyances berbères,
l’asli, élément mâle, semble dans la plupart des cas, un personnage céleste, matérialisé dans la
pluie. Pour implorer Dieu afin que la pluie tombe, à ce jour les enfants sortent dans certaines
de nos régions avec Boughandja appelé aussi Taghoundja, sorte de marionnette en pièces
d’étoffes multicolores. Les femmes superstitieuses s’assurent la fidélité de leur mari pour
l’année à venir si elles leurs servent un couscous où elles auront dissimulé les morceaux les
plus tendres de la queue de mouton. Compte tenu de ces associations particulières, les
émigrants d’Afrique du nord ont emmené le couscous dans leurs bagages où qu’ils aillent, de
sorte que les meilleurs aussi bien à Marrakech et Meknes qu’à Marseille ou Montréal. C’est
ainsi que les pieds noirs débarquent d’Algérie en 1962 en France ont ramené dans leurs
bagages ce plat, symbole du “là-bas” et qui est devenu aujourd’hui le plat préféré des jeunes
en France.
Rites des labours et semailles
Les rites des labours, les rites destinés à faire tomber la pluie, les rites des moissons, tous ces
rites qui sont innombrables sont célébrés tout au long de l’année agricole. A partir de là, on
perçoit aisément la place des céréales dans le système agraire amazigh.
La récolte est ce produit né d’un mariage magique renouvelé chaque année, entre un élément
femelle, la terre, et un élément mâle, la pluie. Pour assurer cette union et pour la rendre
féconde, l’homme amazigh s’est entouré de toutes les cérémonies symboliques qui se
déroulent dans toute la Numidie.
La terre meurt avec la moisson et renaît à l’automne. De là, est née la préparation du couscous
qui se soumet à des rites que la cérémonie soit funéraire ou festive. Outre ses valeurs
nutritionnelles certaines, le couscous est également la nourriture spirituelle des Nord Africains
pour qui la semaine ne saurait se terminer sans le bol de couscous du vendredi après-midi
après la prière. Au cours du ramadhan, le mesfouf – couscous sucré à la cannelle et aux raisins
secs – est servi avant le lever du soleil juste avant le jeûne pour permettre à tous de tenir
jusqu’au coucher du soleil. Pas un évènement rassemblant la famille et les amis ne se fait sans
couscous. Mais au-delà de son caractère festif, il est le symbole de la générosité envers autrui.
Il porte comme le pain, la baraka.
Des petites mains à l’industrialisation
Fabriqué à partir de blé dur, céréale aux nombreuses qualités nutritionnelles, le couscous est
un aliment chargé de protéines, fibres, phosphore et vitamine B3 et pauvre en lipides et en
sodium.
Si son mode de préparation est constant (une semoule roulée, cuite à la vapeur et assaisonnée
d’un bouillon) les ingrédients qui entrent dans sa composition renseignent sur le rang social
de la famille. De plus, on pourrait tracer une carte des couscous où se dessinent nettement
deux axes.
Du jardin au désert en passant par la côte les assaisonnements et les légumes changent.
Produit simple, il s’accommode aussi bien d’une préparation compliquée et riche en
ingrédients que d’une simple noix de beurre et d’un peu de sucre et de cannelle.
En dépit des divergences voire des désaccords sur ce qui fait un “vrai” couscous, la méthode
de préparation et de présentation demeure plus ou moins la même partout. La graine de
couscous est faite avec de la semoule de blé dur, de l’eau et éventuellement du sel et de la
farine soit à la main selon une méthode qui demande beaucoup de travail et de temps soit de
plus en plus de manière industrielle.
La première machine reproduisant le geste humain du roulage des grains de semoule a été
mise au point en 1953 par les frères Ferrero. Les grains ainsi formés sont passés deux ou trois
fois à la vapeur dans une passoire placée au dessus d’une marmite dans laquelle cuit le
bouillon.
Pour faire un bon couscous, chacun possède sa recette. “Le couscous d’orge et d’avoine fait
baisser le taux de cholestérol et de glycémie” raconte un célèbre cuisinier marocain se basant
sur les résultats d’études scientifiques américaines et britanniques sur l’impact du riz, de
l’orge ou de l’avoine sur la santé. Et pour ceux qui veulent mettre un peu plus de goût dans
leur semoule, il propose une série de couscous aromatiques : au miel, sauce soja, ketchup,
pruneaux et raisin sec, moutarde ou au kiwi…
Tout un programme qui allonge encore la vie millénaire du couscous.