Aérien : les vrais bénéficiaires de la concurrence low cost

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Aérien : les vrais bénéficiaires de la concurrence low cost
Tous droits réservés - Les Echos 201024/12/2010P.9Idées
Aérien : les vrais bénéficiaires
de la concurrence low cost
LE POINT DE VUE D’EMMANUEL COMBE
ongtemps en retrait, le low cost
L aérien connaît depuis trois ans une
croissance marquée dans notre pays,
pour représenter aujourd’hui près de
30 % du trafic court/moyen-courrier.
Mais cet essor renvoie à deux réalités
distinctes, dont l’impact sur les consommateurs apparaît très différencié.
Un premier modèle, incarné par Ryanair, repose d’abord sur la création de
nouveaux marchés, par ouverture-fermeture de lignes sur lesquelles aucune
compagnie aérienne n’opère. Dans ce
cas de figure, la concurrence est quasi
inexistante et le faible prix du billet pratiqué par le low cost résulte pour
l’essentiel d’une baisse drastique des
coûts unitaires, de l’ordre de 40 à 50 %
par siège kilomètre offert.
Mais un second type de compagnies
low cost, incarné par easyJet, choisit
d’entrer délibérément sur des lignes
déjà existantes et vient même parfois
s’implanter au cœur des hubs. La concurrence avec l’opérateur historique
devient alors frontale. Le cas de la
France est à cet égard révélateur : au
départ des deux grands aéroports parisiens, sur 80 lignes opérées par des low
cost, 72 % se trouvent aujourd’hui en
concurrence avec un opérateur historique. Au départ des grandes métropoles
de province, la major – le plus souvent
Air France ou ses franchisés – doit
désormais affronter des compagnies
low cost sur pas moins de 39 lignes.
A qui profite cette nouvelle concurrence ? Pour répondre à cette question, nous avons mesuré l’impact de
l’entrée d’un low cost sur le pouvoir
d’achat des passagers, en prenant le
cas de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (1). La low cost easyJet y a en effet
ouvert 11 lignes en concurrence avec
un opérateur, qui se trouvait jusqu’ici
Les grands gagnants sont en
réalité les clients restés fidèles
à l’opérateur historique.
Car face à la menace low cost,
la compagnie installée ajuste
ses prix à la baisse.
en situation de monopole. Les premiers gagnants sont bien entendu les
anciens clients de l’opérateur historique, qui ont rejoint la compagnie low
cost. Selon des études américaines, la
baisse de prix du billet atteint en
moyenne 49 %. Dans le cas de Lyon, à
partir de données historiques de prix
et de trafic, nous estimons le gain de
pouvoir d’achat à 67 millions d’euros
sur la période 2007-2009.
Mais la concurrence du low cost
aérien profite aussi, et surtout, à ceux
qui ne l’utilisent pas : les grands
gagnants sont en réalité les clients restés fidèles à l’opérateur historique. En
effet, face à la menace low cost, la compagnie installée a dû ajuster ses prix à la
baisse. D’après ce qu’on a pu constater
aux Etats-Unis, la diminution du prix
des billets serait de l’ordre de 30 % et
intervient souvent de manière préventive, avant même l’entrée du low cost.
Dans le cas de Lyon, nous estimons ce
gain indirect de pouvoir d’achat à plus
de 86 millions au cours de la période
2007-2009. Si l’on extrapole nos résul-
tats sur l’ensemble des lignes en France
avec une concurrence low cost, il est
probable que le gain total de pouvoir
d’achat dépasse le milliard d’euros sur
la période 2007-2009.
La concurrence low cost contribue
également à élargir la taille du marché :
la baisse du prix donne accès à l’avion à
des clients qui voyageaient peu jusqu’ici ou utilisaient d’autres modes de
transport alternatifs. A Lyon, l’entrée du
low cost a conduit à une augmentation
du trafic de 112 %. Cet effet d’induction
a profité à la compagnie low cost mais
aussi… à la compagnie historique, qui a
capté une partie de cette clientèle additionnelle. Au-delà du gain de pouvoir
d’achat, la concurrence low cost participe ainsi à une certaine forme de
démocratisation du transport aérien.
(1) : «Les vertus cachées du low cost
aérien », note pour la Fondapol,
novembre 2010
Emmanuel Combe est professeur
à l’université de Paris-I
et professeur affilié à ESCP Europe.