Philosophie – cours O

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Philosophie – cours O
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
LA MORALE, LE DROIT ET LA POLITIQUE
INTRODUCTION
Pour guider leurs actions au sein de la société, les hommes se sont dotés de différents
moyens :
 la morale : elle inscrit dans les consciences les valeurs relatives au bien et au mal ;
 le droit : il édicte les règles distinguant ce qui est permis de ce qui est interdit et
sanctionné ;
 la politique, qui organise et dirige la collectivité.
Dans les sociétés modernes, ces trois domaines ont pris leur autonomie : on distingue
aisément, par exemple, une mauvaise décision politique d’une infraction au regard du droit et
d’une faute morale : ce qui est interdit par la loi ne l’est pas forcément par la morale, la
politique peut parfois être amenée à prendre des décisions que la morale réprouve. Un dirigeant
politique qui n’a pas su réduire le chômage en répondra sur le plan politique devant ses
électeurs. Mais s’il a commis des abus de pouvoir en transgressant les lois, il devra en répondre
sur le plan juridique devant les tribunaux. Quant à savoir s’il a agi par manque de scrupules ou
en homme exclusivement inspiré par le bien public, c’est une question qui relève de la morale.
Surtout, c’est la séparation de la morale et de la politique qui paraît, de nous jours, la plus
tranchée et qui se fonde sur une séparation entre la vie privée et la vie publique : les vertus
qu’on réclame d’un homme politique n’ont rien à voir avec les vertus morales ordinaires. Si la
vertu est le fondement ou le principe du régime républicain, la vertu dont il s’agit est la vertu
publique et non la vertu chrétienne, par exemple.
Qui plus est, le libéralisme classique transforme les vices privés en vertus publiques :
l’égoïsme, la cupidité, pour condamnables qu’ils soient, considérés en eux-mêmes, sont en
même temps les moteurs du progrès économique et de la civilisation et donc apparaissent
comme les moyens utilisés par la Providence en vue d’assurer l’avancement du genre humain
(thème de la « main invisible » chez Adam Smith). Pour les Modernes, c’est dans la vie privée
et dans ses vertus que se trouve le ressort de la morale publique.
Ainsi la séparation de la morale et de la politique se fait-elle suivant une double ligne de
fracture :
 une ligne rationaliste causaliste, voire matérialiste ou scientiste, qui cherche à
remplacer les bonnes intentions morales par une connaissance objective des lois de l’histoire et
de l’action humaine ; être moral, dans cette perspective, c’est consentir aux lois de l’histoire ;
 une ligne rationaliste finaliste qui cherche à voir dans les processus sociaux réels la
manifestation d’un plan divin ; si les maux individuels concourent au bonheur collectif, c’est au
fond parce que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, conformément aux
calculs de la divine providence.
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Ce qui pose donc problème, dans l’intitulé « la morale, le droit et la politique », est la
conjonction de coordination « et ». Il s’agit d’envisager la nature des relations entre ces trois
domaines apparemment séparés, voire exclusifs, l’un de l’autre. Or, une telle séparation est loin
d’être évidente. Il nous est en effet difficile d’admettre qu’une mesure puisse être justifiée sur
l’un de ces plans et non sur un autre, et, en particulier, que nos exigences morales ne fassent pas
toujours la loi dans le droit ou en politique. En même temps, force est de constater que la
confusion de la morale, du droit et de la politique comporte des risques d’abus qui ont conduit à
une sorte de séparation des pouvoirs.
Dès lors, si chacun de ces domaines a des objectifs et des règles qui lui sont propres, fautil pour autant les séparer totalement, et considérer que le droit n’a pas à se soucier de la morale,
que la politique n’a pas à se soumettre au droit, ou encore que la morale ne peut pas juger la
politique ?
I) LA MORALE, JUGE DE LA POLITIQUE ?
La morale et la politique ne semblent pas faire bon ménage quand l’homme d’action tient
seulement compte du réalisme, et quand le défenseur de la morale s’en tient exclusivement aux
principes. Qu’en est-il réellement ? Peut-on opposer radicalement morale et politique ? La
politique peut-elle se passer de la morale ? La morale peut-elle juger la politique ? Si toute
action humaine vise un but à atteindre et, pour ce faire, a besoin d’employer des moyens, sur
quoi doit-on juger une action ? Sur les objectifs poursuivis ou sur les procédés employés ? Sur
les motifs qui l’inspirent ou sur les résultats auxquels elle aboutit ?
A) LA MORALE SUPPOSE LA POLITIQUE
Idée que le fondement de la morale est politique, idée d’une subordination de la morale
aux principes politiques : la morale concerne l’individu parce qu’elle pose le problème de la
valeur de l’action – alors que le droit définit les obligations, interdictions et permissions dans le
cadre desquelles l’action peut s’accomplir. Mais la morale ne concerne l’individu qu’en tant
qu’il est en rapport avec les autres. De sorte que la morale suppose la politique.
A.1) Morale et politique, définitions
Par politique il faut entendre la dimension de ce qui est commun, de ce qui est mis en
commun, par opposition au privé ou au particulier (politique vient de polis, la cité qui, au sens
grec du terme, désigne l’ensemble des citoyens, des hommes libres déterminant eux-mêmes les
modalités de leur vie commune).
Le terme « morale » vient du latin moralis, de mos, moris, moeurs, coutumes. Il désigne
l’ensemble des règles en vigueur que les membres d’une société donnée rencontrent comme
guides de leur conduite, règles énoncées en termes de bien et de mal. La morale apparaît ainsi
comme le système des règles que l’homme suit ou doit suivre dans sa vie aussi bien
personnelle que sociale. Le problème moral constitue ainsi le centre de toute réflexion puisque
toute entreprise humaine est soumise à la question de savoir si elle est justifiée ou non,
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nécessaire, admissible ou répréhensible, c’est-à-dire si elle aide à la réalisation de ce qui est
considéré comme souhaitable, à la prévention ou à l’élimination de ce qui est jugé mauvais.
La distinction entre « morale » et « éthique » n’est pas claire. Le terme « éthique » est
fréquemment employé aujourd’hui comme synonyme de « morale ». Si l’usage contemporain
parle d’une « éthique des affaires », d’une « éthique des médias », désignant par là un ensemble
de règles, de codes, d’obligations ou d’interdits inhérent à telle ou telle profession ou
branche d’activité, en son acception originelle le terme « éthique » signifie souvent la théorie
de la morale, le système réfléchi des principes moraux édifié par une philosophie, une religion,
une société.
Mais, plus fondamentalement, la morale désigne la valeur de nos actions en tant qu’elles
concernent nos rapports avec les autres, alors que l’éthique désigne la recherche individuelle de
la vie bonne et ne concerne que moi. La morale est donc universelle, tandis que l’éthique est
particulière : « Tu ne tueras point » est un commandement moral, alors que les prescriptions de
la morale sexuelle de l’Eglise relèvent de l’éthique.
Certaines questions sont conçues tantôt comme des questions de morale, tantôt comme
des questions d’éthique. Les mouvements religieux ont tendance à considérer que la question de
l’avortement est une question de morale, alors que les mouvements féministes et la gauche
tendent à considérer qu’il s’agit d’une question d’éthique. Le problème du suicide est une
question d’éthique, alors que l’euthanasie relève de la morale.
Retenons donc la définition de la morale comme ce qui est obligatoire dans nos rapports
avec les autres et voyons maintenant en quoi elle a une dimension politique essentielle.
A.2) La dimension politique de la morale
La morale est politique par essence parce que nos rapports avec les autres en général sont
politiques : ils sont déterminés par le fait que nous vivons dans une cité sous le gouvernement
des lois. Exemple de la politesse qui est, étymologiquement, ce qui définit l’homme vivant dans
une cité – le civilisé, celui qui sait faire preuve de civilité. Aristote montre que puisque la cité
est le lieu où l’homme s’accomplit, la morale individuelle - l’éthique – ne peut être qu’un
moyen pour permettre à l’homme de trouver sa place dans la cité. La connaissance des moyens
n’est possible qu’à partir de la connaissance des fins.
Cette relation semble paradoxale à nos esprits modernes puisqu’elle suppose une sorte de
subordination de l’individu à la collectivité dans une relation organique, - subordination qui
semble contredire la reconnaissance de l’autonomie des individus comme fondement de la vie
sociale. Or, en réalité, Aristote définit surtout la liberté comme le fait de ne pas être soumis à un
autre homme, et le politique est l’institution d’un rapport entre égaux.
Pour Kant, c’est l’exigence du droit et d’une organisation politique fondée sur le droit qui
constitue la justification ultime de la morale telle qu’il la conçoit. Idée que si la morale est
violée, le droit est impossible ; le droit implique la rigueur morale.
Quelles sont, selon Kant les caractéristiques essentielles de la morale et de l’action
morale ?
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Une action n’est morale que si elle n’est liée à aucun mobile empirique. Par exemple,
n’est pas morale une action qui a pour finalité la recherche du bonheur. La caractéristique de
l’action morale est son caractère désintéressé. On peut parler d’action morale lorsque j’ai
intérêt à faire quelque chose, et que je ne le fais pas, au nom d’un principe supérieur (la justice,
la vérité, le beau…) : lorsque, par exemple, j’ai manifestement tout intérêt à voler ou à mentir,
et que j’y renonce parce que je juge que cela serait mal. Pour qu’un acte puisse être considéré
comme « moral », il faut donc qu’il soit effectué parce que cet acte est jugé moral en soi, et non
eu égard à quelque intérêt que ce soit : ne pas voler, ne pas mentir, ne pas tuer, parce que cela
serait mal, et quelles qu’en soient pour moi les conséquences. En d’autres termes, lorsque mon
acte est défini par l’intérêt, ou la crainte, ou l’espoir de la récompense, il n’a rien de moral,
même s’il est extérieurement en accord avec la prescription morale.
Par ailleurs, pour qu’un acte soit moral, il faut que son principe le soit, et que ce soit pour
ce principe que je l’accomplisse. Ce principe doit être universalisable, c’est-à-dire valable en
droit pour tout le monde : à travers l’acte moral, l’homme, en tant que personne, doit toujours
être considéré comme la finalité de mon intention ; mon acte est moral vis-à-vis des autres si je
peux vouloir qu’on agisse de la même façon avec moi en toute circonstance. Par exemple,
même si je mens pieusement pour faire plaisir ou rendre service à quelqu’un, il n’en demeure
pas moins que le mensonge en lui-même est immoral parce que je ne puis vouloir que l’on me
mente toujours, alors que dire la vérité est toujours et en toute circonstance désirable.
A.3) Le pouvoir à la morale ?
Si la morale revêt incontestablement une dimension politique, peut-on donner pour
autant le pouvoir à la morale ? En clair, si la politique est l’art de gouverner des hommes qui
sont animés par des passions, et que les gouvernants sont eux aussi des hommes, la priorité en
politique devrait-elle être de s’assurer de la moralité des dirigeants ?
Platon pense qu’un gouvernement de sages serait la solution idéale au conflit entre morale
et politique. Dans La République, il propose de confier la direction de la cité à des philosophes
qui auront été formés à ne pas aimer le pouvoir.
Or, la question qui se pose et qui constitue presque une aporie est la suivante : à supposer
qu’on trouve des dirigeants vertueux, comment s’assurer qu’ils le resteront ? L’expérience
montre en effet que très souvent le pouvoir corrompt ceux qui l’exercent.
La solution envisagée par les sociétés modernes consiste à privilégier une autre voie que
la recherche de dirigeants incorruptibles. On peut, comme à Singapour, opter pour une
rémunération excessivement généreuse des hommes politiques afin qu’ils ne soient pas tentés
par la corruption. Mais chacun sait que l’argent est loin d’être un gage d’honnêteté. La plupart
des Etats démocratiques supposent les gouvernants immoraux et mettent en place des gardefous qui les empêcheront d’abuser du pouvoir : séparation des pouvoirs, contrôle démocratique
sur les revenus des hommes politiques, le financement des partis politiques, des campagnes
électorales, condamnation sévère de la corruption, etc.
B) LA POLITIQUE SANS LA MORALE
Si la morale se fonde sur la politique, sans que la morale ait pour autant le pouvoir, la
politique peut-elle se passer de la morale ? Peut-elle même s’opposer ouvertement à la morale ?
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B.1) Ethique de la conviction, éthique de la responsabilité
Selon Kant, du point de vue de la morale, la seule chose qui soit bonne véritablement,
c’est une volonté bonne : une action devrait être jugée morale en fonction des convictions qui
l’inspirent, des principes ou des maximes qui la sous-tendent, et non des conséquences qu’elle
entraîne.
Or, l’action politique, qui vise à agir sur le destin des hommes, entraîne parfois des
conséquences désastreuses pour la société. L’innocence de son auteur, la pureté de ses
intentions, ne peut suffire à l’excuser. Qu’est, en effet, une décision, sinon une prise de risque
dont il convient d’évaluer toutes les conséquences possibles, en tentant de faire la preuve de
l’imprévisible ? Un homme politique ne peut pas se tenir pour irresponsable des conséquences
de son action en se drapant dans la pureté de ses convictions.
C’est ce que montre Max Weber, dans Le savant et le politique, en distinguant éthique de
la conviction et éthique de la responsabilité qui constituent deux maximes différentes et
opposées orientant toute activité éthique.
Celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction ne se soucie guère des
conséquences de ses actes, il agit par devoir et conviction ; lorsque celles-ci sont fâcheuses, le
partisan de cette éthique n’attribuera pas la responsabilité à l’agent, mais « au monde, à la
sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi ».
Le partisan de l’éthique de responsabilité, au contraire, comptera avec les défaillances
communes de l’homme et « il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des
conséquences de sa propre action, pour autant qu’il aura pu les prévoir » et se considérera donc
comme responsable des conséquences imputables à sa propre action.
B.2) La fin et les moyens
La formule « la fin justifie les moyens » signifie que les moyens politiques les plus
cruels cessent d’être moralement répréhensibles quand ils sont mis au service d’une juste
cause. Idée qu’en politique tous les moyens sont bons. Raisonnement qui permet à des
gouvernants de justifier l’emploi de la torture, ou à des mouvements terroristes, les attentats
contre des civils. Si la fin est bonne, les moyens le deviennent aussi, et tout peut être fait avec
bonne conscience. Logique qui justifie les pires crimes commis au nom des idéaux les plus
purs.
La cruauté des moyens employés préfigurent souvent le but poursuivi : on juge une fin sur
ses moyens. Si un mouvement politique s’autorise aujourd’hui à commettre des assassinats dans
le but proclamé d’établir une société juste, une fois au pouvoir, l’assassinat des opposants
deviendra sans doute un moyen normal de gouvernement.
Tout autre est la conception de Machiavel. Dans Le prince, Machiavel fait émerger cette
question décisive : comment s’emparer du pouvoir et le conserver ? Réponse : à travers une
stratégie maîtrisée et réfléchie de la domination et de la violence, en enracinant, dans les sujets,
l’amour du maître. Le prince doit se faire obéir, c’est-à-dire qu’il doit se faire craindre. Se faire
craindre et engendrer l’amour dans le coeur des sujets (la crainte est très semblable à de
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l’amour). La cruauté et la crainte mesurées désignent de réels instruments de domination, ainsi
que l’art de sa conquête. La politique est ici définie comme l’exercice du pouvoir qui établit
une relation de domination fondée sur la crainte et l’amour.
Machiavel innove en émancipant la politique de la tutelle de la morale qui forment deux
univers distincts. Le fait de l’action politique passe devant la valeur. Le rôle de l’Etat est de se
conserver. Le chef de l’Etat ne peut vouloir d’autre fin que la conservation de son Etat.
Dans Le prince, Machiavel expose les moyens propres à réaliser cette fin. La fin justifie
effectivement les moyens : si je veux diriger un Etat, alors je dois m’en donner les moyens.
Mais Machiavel ne confond pas pour autant le bien et le mal. Si une cruauté peut être un bien,
elle ne le sera jamais que d’un point de vue politique ou historique ; une cruauté sera habile,
efficace, indispensable peut-être, non pas bonne ni louable moralement. Machiavel donne
l’exemple d’Agathocle : son courage et son habileté le placent au premier rang des capitaines ;
mais « sa cruauté, son inhumanité et ses nombreuses scélératesses, ne permettent pas de le
compter au nombre des grands hommes » (Machiavel, op.cit.). La vertu n’a aucune valeur
politique, pas plus que le vice.
Dès lors, si la conduite de l’Etat exige quelquefois du prince une conduite contraire à la
vertu, c’est en tant qu’homme public, au service du bien public, que le souverain peut se
permettre de tels écarts. Le prince ne saurait légitimement profiter de sa situation dans l’Etat
pour soustraire sa personne privée à la loi morale : « Aux lois universelles de la morale le prince
est tenu dans sa vie privée, comme le plus humble de ses sujets » (ibid.). Si, en politique, la fin
justifie les moyens, la fin dont il s’agit n’est pas n’importe quelle fin privée mais la fin
absolue : la liberté. Machiavel distingue, en effet, les fins purement privées, égoïstes, du bien
de l’Etat.
En ce sens, l’Etat n’est pas la simple expression de la force brutale. Il apparaît souvent
comme l’instance capable de réfréner l’affrontement violent des égoïsmes particuliers. C’est en
dehors de l’Etat que la méchanceté des hommes se donne libre cours. Nécessité, selon
Machiavel, d’un Etat fort, capable de s’imposer contre les menées égoïstes.
C) LA POLITIQUE SUPPOSE LA MORALE
Il s’agit maintenant de savoir où l’activité politique trouve son fondement et sa légitimité.
Qu’est-ce que la communauté politique ?
Rappelons le propos d’Aristote dans Les Politiques. Si l’homme vit en couple pour se
reproduire et organise sa maisonnée pour assurer les conditions de la vie matérielle, s’il règle
ses affaires avec ses voisins dans des communautés plus larges – des villages -, seule la cité est
véritablement une communauté politique, c’est-à-dire une communauté fondée sur des lois,
réglée par des principes de justice, organisant le partage des valeurs communes.
Il y a une forme de gouvernement particulière qu’Aristote appelle politique par opposition
à la monarchie et à la tyrannie, à l’aristocratie et à l’oligarchie : ce gouvernement est celui dans
lequel des égaux décident ensemble du sort de leur communauté. La monarchie et sa
dégénérescence – la tyrannie- ne sont pas vraiment des formes politiques de domination : elles
ne font que reproduire à une plus grande échelle le rapports qu’on trouve à l'intérieur de la
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maisonnée ; les rapports du père à ses enfants qui forment le modèle du gouvernement
monarchique ; les rapports maître-esclave qui forment le prototype de la tyrannie.
De même, l’aristocratie et l’oligarchie comportent encore ces éléments qui correspondent
à un état de choses dans lequel l’homme n’est pas encore développé. Or la domination politique
est celle qui correspond justement à l’essence de la cité, elle est la seule qui soit adéquate à la
nature de l’homme puisque l’homme ne se réalise que dans une cité. La cité doit dès lors être
organisée par des hommes libres qui sont des égaux, tour à tour gouvernants et gouvernés.
Autrement dit, pour la question qui nous concerne – celle du rapport entre morale et
politique -, est proprement politique un type de rapport fondé sur des conceptions morales
de l’homme. Dire, à la façon d’Aristote, que les hommes, dans la cité, sont des égaux, c’est dire
qu’ils ont tous la même valeur du point de vue moral, puisqu’on voit bien qu’ils sont inégaux
par ailleurs.
C’est dire qu’on peut a contrario fonder une monarchie, une tyrannie ou une aristocratie
sur des principes non moraux. Par exemple, la technocratie moderne est une forme
d’aristocratie qui repose sur un principe d’efficacité. La monarchie, comme le dit Marx
ironiquement, repose sur la zoologie puisque c'est le fait d'être fils qui fait que x ou y est un bon
candidat au rôle de monarque. Les dominations traditionnelles ont toutes peu ou prou besoin
d’une légitimation d’ordre religieux.
Or le gouvernement politique au sens d’Aristote ne peut avoir d’autre légitimation que
morale : celle qu’on peut découvrir par le simple exercice de la raison. Ainsi les premiers
républicains modernes ont-ils accordé dans les prémisses de leurs constitutions une grande
place aux valeurs morales attachées à l’égale dignité de tous les hommes. En organisant la
rupture avec l’Eglise catholique, la IIIe République a veillé à ce que l’école soit le principal
vecteur d’une morale laïque dont on pensait qu’elle seule rendait possibles la cohérence et la
stabilité des institutions politiques.
De même, la démocratie repose sur une conception morale et humaniste de l’homme en sa
qualité de citoyen : idée cartésienne que « le bon sens est la chose du monde la mieux
partagée » et que tous les individus sont égaux en dignité. Une démocratie exige des citoyens un
certain sens de l’universel, la capacité d’adopter des principes d’action acceptables par tous,
correspondant à l’intérêt de la communauté dans son ensemble. Elle leur demande une forme de
moralité que le XVIIIe siècle appelait vertu.
La démocratie est cet Etat qui éduque les hommes, par ses lois, ses institutions, l’esprit
qui les anime, dans lequel les individus s’humanisent en apprenant à consituer une
véritable communauté, fondée sur le refus de la violence et de l’arbitraire. Il s’agit de
former des citoyens actifs, assumant leur statut de “ gouvernants en puissance “. Cette
question de la démocratie sera approfondie dans le cours sur l’Etat.
Conclusion :
Peut-on donc opposer radicalement morale et politique ? La politique peut-elle se passer
de la morale ? La morale peut-elle juger la politique ? Si la morale suppose la politique, nous
avons vu que la politique n’a pas pour fonction de mettre la morale au pouvoir et d’éradiquer le
mal ; elle peut même, dans un Etat de droit, définir des garde-fous contre les excès et les travers
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inhérents à une « politisation » de la morale. Mettre au pouvoir la morale, en effet, et lui
soumettre la politique, conduit sans conteste à instaurer un ordre moral intolérant. Mais quand
les défenseurs d’une politique se sont autorisés à ignorer la morale, ou en faire de simples
instruments, ils ont fait régner une justesse sans bornes. La politique repose sur une conception
morale de l’homme et sur un choix de valeurs – celles de la raison, de la dignité, du respect de
la personne humaine, du progrès social -, comme on le voit avec la démocratie. Qu’en est-il
maintenant du droit qui semble avoir partie liée avec la politique plus qu’avec la morale ? Peutil ignorer la morale ?
II) LE DROIT SANS LA MORALE ?
Il arrive qu’une décision de justice heurte le sens moral, ne serait-ce que par sa dureté ou
son injustice manifeste. Exemple du personnage des Misérables de Victor Hugo, Jean Valjean.
Or le propre des règles du droit est qu’elles doivent être respectées par chacun, quel que soit le
jugement moral qu’on porte sur elles. D’où la question qui consiste à savoir si le droit n’aurait
pas à être juste sur le plan moral. Pour autant, le droit n’a-t-il pas à se soucier d’être juste sur le
plan moral ?
A) LA DISTINCTION DU DROIT ET DE LA MORALE
Qu’est-ce qui distingue le droit et la morale ?
A.1) Le fondement des commandements du droit et de la morale
Le droit et la morale ont d’abord en commun de dire ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut
pas faire. « Tu ne tueras point ! » est à la fois une injonction morale et un interdit légal. Leurs
commandements, pour communs qu’ils soient, ne se situent toutefois pas sur le même plan.
La morale, en effet, désigne, nous l’avons vu, un ensemble d’idées, de sentiments, de
valeurs qui obligent intérieurement un sujet humain à respecter des valeurs sous peine de
honte ou de remords de conscience. Le droit, au contraire, est un ensemble de règles extérieures
à la conscience que l’individu est contraint à respecter sous peine de sanctions. Le droit ne
demande que de respecter des règles égales pour tous ; il tolère même à l’individu mal
intentionné ou n’agissant que par le seul souci de son propre intérêt, d’agir légalement de façon
à protéger ses droits et à éviter d’encourir des sanctions.
Comme le souligne Hegel, le « droit ne dépend pas de l’intention qu’on a en agissant ».
On peut faire quelque chose avec une excellente intention sans que pour autant la conduite soit
justifiée au regard du droit. D’autre part, une conduite peut être juridiquement justifiée (la
défense de ma propriété, par exemple) et faire place à une intention méchante. Le droit n’a donc
rien voir avec « la conviction que ce que j’ai à faire soit juste ou injuste ». Le criminel, par
exemple, est châtié qu’il soit ou non convaincu de la légitimité de la sanction. Le droit ne
dépend pas non plus de la disposition d'esprit dans laquelle un acte est accompli : on peut très
bien agir légalement par simple crainte de la punition ou en songeant à la récompense qu’on
obtiendra dans une autre vie.
La morale, au contraire, incite l’individu à éprouver des sentiments altruistes de respect,
de fraternité, voire d’amour. Notion kantienne de désintéressement, notion d’impératif
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catégorique consistant à « toujours traiter autrui comme une fin et jamais seulement comme un
moyen ».
Qui plus est, les conflits entre les morales ne peuvent pas être résolus par une
confrontation et ne peuvent pas non plus être soumis au jugement d’un tiers. Ils sont
indécidables contrairement aux conflits juridiques. Par exemple, les partisans de l’IVG n’ont
aucun moyen de s’entendre, alors que la société doit se prononcer sur cet acte, l’autoriser ou
l’interdire. Pour trancher entre des conflits d’intérêts et de convictions, il a donc fallu établir un
ensemble de règles et de procédures s’imposant à tous, un droit positif.
A.2) Le droit positif, le positivisme juridique
Le droit positif est justement le droit qui a été établi, l’ensemble des règles (lois,
coutumes, usages) données et existant réellement dans une société.
Comme légalité, la justice est de fait : en ce sens, « toutes les actions prescrites par la loi
sont justes » (Aristote, Ethique à Nicomaque). Il n’y a de cité, et de justice, possibles que si le
juge est tenu de respecter la loi davantage que ses propres convictions morales ou politiques. Le
fait de la loi (la légalité) importe plus que sa valeur (la légitimité). C’est l’autorité qui fait la loi.
Sous l’appellation de « positivisme juridique », on groupe essentiellement deux écoles
de pensée qui ont en commun de nier qu’il existe derrière la forme positive du droit une justice
supérieure capable de la juger : le positivisme volontariste, qui remonte aux sophistes et
surtout à Hobbes, et qui a eu un grand succès lors de la constitution des Codes au moment de la
Révolution française (Codes Napoléon), mais qui s’est effondré après la première guerre
mondiale; le positivisme juridique proprement dit.
Pour le positivisme volontariste, une entité justice est inutile derrière le droit positif,
celui-ci étant considéré comme émanant de la volonté d’un souverain ou d’une assemblée qui
reçoivent leur légitimité d’un pacte social. C’est l’autorité qui fait la loi ici. La résorption du
juste dans le légal est l’ambition de l’époque révolutionnaire, d’un rationalisme universaliste
correspondant à la volonté de rompre avec la pluralité particulariste (symbolisant l’arbitraire
féodal) pour faire régner la raison exprimée par des lois.
Le positivisme juridique proprement dit est notamment représenté par Hans Kelsen et
sa Théorie pure du droit. Il s’agit de définir un statut autonome du droit à l’égard de la morale.
Le droit doit être étudié comme un ensemble de règles cohérentes, et non à travers les
justifications qui peuvent être données de ces règles. La conséquence est un relativisme
éthique : puisque le droit n’a pas à être justifié, on doit considérer tout système juridique, s’il
est cohérent, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être; les valeurs sont relatives à un
système juridique donné, il n’appartient pas au droit de les discuter. La science du droit doit
considérer que tous les systèmes juridiques se valent et qu’aucune valeur n’est supérieure aux
autres. Le choix de la valeur est un arbitraire de la décision qui varie selon l’histoire, le
moment, sans qu’on puisse le discuter scientifiquement.
Dans cette perspective, il n’y a dès lors pas de sens à opposer la morale à la loi. Je ne
peux me soustraire aux lois au nom de la moralité, il n’existe pas de position
transcendante au régime de la légalité. Alors que la règle morale est un impératif catégorique
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et autonome commandant sans conditions cf. Kant), la règle juridique est un impératif
hypothétique et hétéronome dont le respect nécessite la force coercitive de l’Etat.
Le positivisme juridique considère donc que toute loi doit être respectée parce que c’est
une loi, quel que soit le jugement moral qu’on peut porter sur elle. Selon les partisans du
positivisme juridique, nous ne disposons pas des moyens de différencier ce qui est juste de ce
qui est injuste (divergence des opinions à ce sujet, incapacité des hommes à s’accorder entre
eux dans la représentation du juste et de l’injuste). Il faut alors renoncer à évaluer à évaluer le
droit positif au nom d’une super-norme, la justice. Il n’y a donc pas de définition universelle
de la justice. On appellera juste ce qui est contenu dans le droit positif, c’est-à-dire les lois
établies. Une décision juste est ainsi celle qui applique les lois en vigueur. Le droit positif ne se
fonde que sur l’acte de son institution par une autorité compétente. En ce sens, légal et légitime
sont assimilés.
A.3) Valeur et limites du positivisme juridique
Cette conception positiviste a un double mérite.
Elle soustrait d’abord l’idée de justice à des polémiques interminables et permet aux
tribunaux d’opérer de façon efficace; elle assure chaque citoyen que son sort ne dépend pas des
opinions de son juge, celui-ci devant se borner à appliquer la règle édictée par le législateur. La
loi est la loi, qu’elle soit juste ou pas : aucune démocratie ne serait possible si l’on n’obéissait
qu’aux lois qu’on approuve.
Elle cherche ensuite à exclure du champ de la loi les aléas de la subjectivité, à unifier
les obligations, à asseoir l’idée de Justice sur la clarté et l’universalité de la raison.
Cette démarche s’expose toutefois à de nombreuses critiques.
Le positivisme juridique tend à évacuer toute position critique quant au droit, à ne pas
faire intervenir les valeurs dans la résolution des problèmes de justice auxquels sont confrontées
les sociétés humaines. Rappelons que des juristes nazis ont cherché dans un tel légalisme des
appuis à leurs thèses. Pensons également à ces fonctionnaires zélés dont le seul souci est
d’appliquer de la façon la plus efficace possible des lois et des règlements, sur la légitimité
desquelles ils estiment ne pas à avoir à s’interroger, comme si le fait de la légalité tenait lieu de
raison.
Or, après 1945, le choix fut fait de tenir rigueur aux accusés de s’être conformés à la loi
nazie, d’adopter une position rejetant le légalisme et d’intégrer, dans la sphère juridique, des
principes, des exigences valant au-dessus de tout droit positif. Les tribunaux condamnèrent les
officiers allemands au nom de principes valant comme norme pour tous les Etats, à savoir les
droits de l’Homme, consacrant la notion de crime contre l’humanité.
S’il ne saurait y avoir de démocratie sans obéissance aux lois, aucune démocratie ne
serait acceptable s’il fallait, par obéissance, renoncer à la justice ou tolérer l’intolérable.
Lorsque les lois sont manifestement inhumaines, le sentiment de justice nous commande de leur
désobéir : justice d’Antigone contre Créon, des résistants contre les lois de Vichy… La
conformité à la loi ne définit que la légalité; ce qui est légal n’est pas toujours légitime,
c’est-à-dire conforme à ce qu’exige la conscience morale. Respecter les lois, leur obéir, les
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défendre, certes. Mais pas au prix de la justice, pas au prix de la vie d’un innocent ! La morale,
la justice passent d’abord (la liberté de tous, la dignité de chacun, les droits de l’autre). Cette
dimension morale de la justice sera approfondie dans la deuxième partie du cours consacrée à
l’idée de justice.
D’où, dans le droit moderne, la reconnaissance fondamentale d’un droit de la victime
aux minorités qui possède une légitimité supérieure à toute autre légitimité, y compris celle de
la Constitution. Est victime celui qui subit une transformation de ses conditions d’existence sans
y consentir. Cette définition va plus loin que la notion strictement juridique de subir un
dommage : elle fait intervenir le consentement, le préjudice subi, qui est plus éthique que
légaliste. D’où l’importance des “circonstances atténuantes”, atténuant la responsabilité,
marquant qu’il existe dans la société moderne des rôles, et que personne ne peut revendiquer
d’être l’auteur radical de son acte. Des lois iniques sont alors des lois qui font des victimes.
Les juges constitutionnels confèrent au droit de la victime et aux droits de l’homme une valeur
quasi constitutionnelle. Impératif selon lequel “il ne doit pas y avoir de victime” et qui limite la
liberté et le droit.
Qui plus est, si l’on ne peut réduire le droit et la justice à la loi, le légitime au légal, c’est
parce que la loi, étant par définition générale, ne peut prévoir tous les cas qui se présentent : le
magistrat, au lieu d’appliquer mécaniquement un règlement, doit faire preuve d’équité : face à
un cas qui n’a pas été prévu par la loi, il doit se demander dans quel esprit le législateur aurait
tranché, s’il avait été confronté à cette situation.
Aristote affirme ainsi que le juge est chargé de « corriger les effets de la loi » : la loi est
trop générale et rigide, alors que les actions humaines sont marquées par la contingence et
l’irrégularité. Adapter la loi, corriger la justice par l’équité engage la vertu de justice qui
s’exprime par la conduite propre du juge : la prudence. Aristote résout le problème de
l’adéquation du général au particulier par le moyen d’une vertu, la justice, et d’une conduite, la
prudence du juge. C’est ce qu’on appelle la jurisprudence (l’autorité d’un ensemble de règles
qui se dégagent des décisions des tribunaux). Le juge, dans ses sentences, ne se borne pas à
mettre en relation le cas particulier dont il a à juger avec les principes généraux contenus dans
le texte de la loi. La justice n’est pas uniquement ce que stipule la lettre de la loi. Le juge
l’interprète et chacun attend de la loi qu’elle envisage les cas les plus particuliers.
Ainsi, par fidélité à la justice, à l’esprit de la loi, la décision du juge doit-elle parfois aller
à l’encontre de la lettre de la loi. Trop général, le texte de la loi n’est pas exempt d’ambiguïtés
qui ne sont manifestes qu’en présence des cas d’espèce. Le législateur ne peut prévoir les
difficultés résultant de l’évolution en tout domaine : pratique sociale, économique,
connaissances, techniques, etc. C’est donc pour des raisons à la fois techniques - liées à la
nature de la loi et du réel - et morales - l’exigence d’une meilleure justice - que l’application du
droit comporte une jurisprudence.
Conclusion :
Il semble donc que la justice ne soit réductible ni au sentiment que nous en
éprouvons, ni au droit positif, qui pourtant constitue le dépassement du sentiment de justice
dans la loi stable et objective. Il n’est pas possible de résorber la notion de légitimité dans
celle de légalité. Qu’est-ce qui dès lors permet de juger le droit, de fonder sa légitimité ? A
quelles conditions les règles du droit sont-elles indiscutablement justes ?
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B) L’IDEE DE JUSTICE
Qu’est-ce que la justice et quand une loi ou une décision politique peuvent-elles être
considérées comme justes ? A contrario, y a-t-il des lois injustes et, dans l’affirmative, en quoi
consistent-elles exactement ?
B.1) La justice, fait et valeur
L’idée de justice renvoie à l’exigence de réciprocité, d’équivalence entre ce que l’on
prend et ce que l’on donne, d’égalité, d’impartialité mais aussi de correction et de
compensation. La justice se dit en deux sens : comme conformité au droit et comme égalité ou
proportion. Nous jugeons injustes aussi bien l’écart trop criant des richesses que la
transgression de la loi; le juste, au contraire, est celui qui ne viole ni la loi ni les intérêts
légitimes d’autrui, ni le droit en général ni les droits des particuliers. La justice se joue donc
tout entière dans ce double respect de la légalité, dans la cité, et de l’égalité entre individus.
La justice désigne donc à la fois le fait de la légalité mais aussi une valeur ou une vertu
(l’égalité, l’équité). Lorsque nous disons d’une décision de justice qu’elle est injuste, nous
mesurons une réalité à l’aune d’une idée, d’un idéal. Comme vertu, c’est-à-dire comme
disposition habituelle à accomplir le bien, à réaliser un acte moral, la justice, considérée dans la
philosophie grecque comme une vertu cardinale avec le courage, la tempérance et la prudence,
est la capacité à faire rayonner en soi et hors de soi l’égalité et l’équité.
L’esprit de justice se caractérise d’abord par la conscience du fait qu’il y a des choses à
faire et des choses à ne pas faire dans la relation avec les autres : des obligations et des
interdictions. Etre juste, c’est faire ce qu’on doit. A mes devoirs, correspondent les droits des
autres. Etre juste, c’est aussi donner à chacun ce à quoi il a droit, ce qui lui revient. Ainsi, être
juste, au sens moral du terme, c’est refuser de se mettre au-dessus des lois (la justice, même
comme vertu, reste liée à la légalité) et des autres (par quoi elle reste liée à l’égalité). La justice
repose sur le principe de l’égalité (« la loi doit être la même pour tous”) et celui de l’équité
(“on doit offrir à chacun ce qui lui dû”).
Définition d’André Comte-Sponville (Petit traité des grandes vertus) : « Qu’est-ce qu’un
juste? C’est quelqu’un qui met sa force au service du droit, et des droits, et qui, décrétant en lui
l’égalité de tout homme avec tout autre, malgré les inégalités de fait ou de talents, qui sont
innombrables, instaure un ordre qui n’existe pas mais sans lequel aucun ordre jamais ne saurait
nous satisfaire ».
La justice n’est pas une vertu comme une autre : elle est l’horizon de toutes, toute
valeur la suppose et toute humanité la requiert; elle est ce sans quoi les valeurs cesseraient d’en
être (ce ne seraient plus qu’intérêts ou mobiles), ou ne vaudraient rien. « Si la justice disparaît,
écrit Kant, c’est chose sans valeur que le fait que des hommes vivent sur la terre » (Doctrine du
droit, II, 1) : s’il fallait, pour sauver l’humanité, condamner un innocent, torturer un enfant,
l’humanité ne vaudrait pas la peine de vivre. La justice vaut plus et mieux que le bien-être ou
l’efficacité; même l’humanité, même le bonheur, même l’amour, ne sauraient, sans la justice,
valoir absolument : être injuste par amour, c’est faire de l’amour favoritisme ou partialité; être
injuste pour son propre bonheur ou pour celui de l’humanité, c’est faire du bonheur égoïsme ou
confort.
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Sans justice, en somme, il n’y aurait ni légitimité ni illégitimité.
B.2) Les différents critères du Juste
Quels sont les critères du Juste ? Quelles sont les principales formes que revêt l’idée de
justice ?
B.2- 1 L’égalité juridique
Etre juste, c’est d’abord respecter l’égalité juridique. C’est celle qui est proclamée et
garantie par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : les hommes
naissent et demeurent libres égaux en droits. Egalité de tous devant la loi qui garantit qu’un
homme n’est pas jugé pour ce qu’il est mais pour ce qu’il fait et pour l’infraction qu’il a
commise. Cette égalité juridique s’oppose à l’arbitraire et garantit que le ministre, le chef
d’Etat ont les mêmes devoirs au regard de la loi que le citoyen de base. Les droits et les devoirs
sont en théorie les mêmes pour tous. Et si tel n’est pas toujours le cas, il est possible de
défendre ce principe devant les tribunaux et de déférer devant les tribunaux le ministre ou
l’homme politique corrompu.
Cette notion d’égalité juridique est précisément un des fondements de l’Etat de droit. Le
citoyen peut faire valoir ses droits contre les prétentions et l’arbitraire du gouvernement ou de
l’administration. Dans l’Etat autocratique, au contraire, le citoyen ne dispose d’aucun recours
légal contre les actes de l’administration. Ce recours, dans un Etat de droit, existe soit devant les
tribunaux ordinaires, soit devant des cours spéciales. Le citoyen peut obtenir du gouvernement
ou de l’administration, si sa plainte aboutit, soit qu’une mesure illégale soit invalidée, soit qu’un
tort soit redressé (dommages-intérêts, restitutions…). Le gouvernement et l’administration sont
donc soumis au juge et les organes du gouvernement sont tenus d’exécuter les décisions
judiciaires. Cela exclut les emprisonnements arbitraires, l'usage de la violence est limité.
B.2-2 La justice distributive
Aristote distingue trois formes de justice et d’égalité : la justice distributive qui concerne
les rapports entre l’Etat et les citoyens pour la distribution des biens et des honneurs ; la justice
corrective qui a trait aux torts et à leur réparation ; la justice commutative qui porte sur les
contrats.
Ce qui revient à chacun, est-ce exactement autant ? Il y a des cas où il serait injuste de
réserver à tous le même traitement. L’égalité n’est pas tout. Est-il juste, le juge qui inflige à tous
les accusés la même peine ? Le professeur qui attribuerait à tous les élèves la même note?
L’égalité est ici définie comme égalité de proportions. La justice distributive concerne
essentiellement les biens de l’Etat, même si elle est également à l’oeuvre dans les relations
interpersonnelles. Les récompenses doivent être proportionnées aux mérites. Dans une
famille, par exemple, ce qui est juste, ce n’est pas de donner la même part d’argent de poche à
chaque enfant, mais de les distribuer à proportion de l’âge et des besoins. Le bon candidat
recevra la bonne note, le mauvais candidat la mauvaise note. Notion de mérite : si un salarié
fournit un travail plus important ou de meilleure qualité, on peut envisager de lui donner un
salaire supérieur; si un crime plus grave a été commis, la sanction doit être plus lourde. Le
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mérite est la valeur morale, considérée en fonction des efforts déployés par le sujet pour
surmonter des difficultés ou vaincre des obstacles. Ces efforts rendraient la personne estimable.
Selon Aristote, toute société est forcée de définir des normes de classement si elle ne veut
pas être injuste en traitant tous les hommes de la même manière, l’injustice étant de traiter
également ce qui est inégal. On peut ainsi rapprocher la justice distributive d’Aristote des
procédures par lesquelles les Etats modernes attribuent les emplois publics en proportion du
mérite (par les diplômes, les concours, l’ancienneté, etc.), et non par des relations d’amitié (le
« piston ») ou selon le bon vouloir des dirigeants.
B.2-3– La justice corrective
La justice corrective relève de ce qu’on appelle aujourd’hui la justice pénale. C’est
l’égalité arithmétique stricte qui l’emporte ici. La loi n’envisage que la nature de la faute, sans
égard pour les personnes qu’elle met sur un pied d’égalité. Celui qui commet une injustice crée
une inégalité. La justice rétablit alors la mesure en infligeant au fautif une peine qui compense
négativement l’avantage que lui avait procuré la faute, et en donnant à la victime des indemnités
qui compensent la perte causée par l’injustice. Balance des torts causés et des peines pose de
nombreux problèmes :
Conclusion :
A quelles conditions donc les règles du droit sont-elles justes ? La justice consiste à
attribuer à chacun lui est dû, ce qui suppose qu’on dispose d’une règle permettant de mesurer
ou d’évaluer ce qui revient à chacun, et qu’on applique cette règle équitablement. Toute la
difficulté étant de définir la règle qui permet d’évaluer de façon juste ce qui revient à chacun.
Est-ce à dire qu’aucune règle ne peut être universellement considérée comme juste, que toutes
les lois se valent d’un point de vue moral et qu’il faut donc se borner à suivre aveuglément le
droit en vigueur – le droit positif ?
C) LES DROITS DE L’HOMME ET LE DROIT NATUREL
La question est de savoir ce qu’il convient de faire quand les règles du droit semblent
entrer en opposition avec la morale et la justice. Comment résoudre le conflit entre le droit et la
morale ? Y a-t-il des valeurs universelles au-dessus des lois ?
C.1) Les droits de l’homme : définition et fondement. L’exemple de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen.
La Déclaration de 1789 s’inscrit dans la lignée des déclarations anglaise (Bill of Rights de
1689), qui limite les prérogatives du pouvoir royal, et américaine (Déclaration d’in dépendance
de 1776.
Les droits de l’homme sont les droits de l’individu dans son rapport à la société et à
l’Etat. Les droits de l’homme sont des droits naturels qui n’existent qu’en société. Ils sont
antérieurs en droit à la société mais irréalisables en fait hors d’un Etat de droit. Les droits de
l’homme n’existent que comme droits du citoyens. Comme Hobbes l’a théorisé, le droit n’existe
pas à l’état de nature. L’état de nature est une fiction théorique qui permet de penser la société
comme contrat passé entre individus qui veulent vivre en commun sans pour autant perdre leur
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statut de contractants donc d’hommes libres. Les droits sont dits “naturels” parce qu’ils sont
fondamentaux, c’est-à-dire qu’ils servent de fondements légitimes aux sociétés. Ils
permettent de résoudre le problème de légitimité de tout régime politique commençant.
Parler de droits de l’homme suppose :
1. Que le concept d’homme ait un sens; qu’il y ait donc un homme générique, comme
le christianisme l’a rendu possible (concept d’universalité).
2. Que l’homme soit l’individu, c’est-à-dire qu’il soit pensable hors de la société (état
de nature) comme préalable et condition de la société. L’individu n’est pas un produit de la
société au sens où il n’existerait que par elle ; c’est plutôt elle qui est la résultante de
l’association des individus. La conscience de soi individuelle est première et l’autonomie qui en
découle doit être sauvegardée dans la forme sociale qui est seconde.
3. Que les individus soient égaux ; comme l’a bien repéré Rousseau, la nature ne
produit que des différences mais pas d’inégalités. Les inégalités sont sociales, c’est-à-dire
postérieures à l’association. L’égalité en droits relève de la nature même de l’institution de la
société.
4. Que la souveraineté soit l’émanation de l’association et qu’elle découle de la
volonté générale et non de la volonté de tous. La démocratie ne doit pas être confondue avec
n’importe quelle sorte de dictature plébéienne : elle repose avant tout sur un Etat de droit qui
respecte tous les individus et pas seulement la majorité.
5. Que la plus grande liberté possible comprise comme coexistence des libertés des
individus soit le but de l’Etat de droit. La limite de cette liberté est d’une part la liberté d’autrui,
d’autre part l’utilité publique (paiement de l’impôt, expropriation), mais cette utilité doit
toujours être compensée et justifiée par l’intérêt général d’après une loi. La limite absolue
(jamais prise en compte comme droit individuel) est la sécurité extérieure et donc la
mobilisation en cas de guerre.
Fondés sur une conception universaliste et égalitaire de l’homme, les droits de
l’homme fournissent, dans les Etats où ils servent de référence, un critère pour juger de ce qui,
dans un programme politique, un projet de loi, dans l’organisation même de la communauté,
n’est pas conforme à ses principes fondateurs. Ils définissent donc des règles générales et des
principes de justice pour l’organisation pratique des pouvoirs publics. Les droits de
l’homme font en outre partie du droit positif, ils ont une valeur constitutionnelle et constituent
une référence ultime qui permet d’apprécier la constitutionnalité des lois : la constitution
française, par exemple, commence par une déclaration des droits que garantit la nation ; la
Déclaration est mentionnée dans le texte même des Préambules des Constitutions des IVe et Ve
Républiques ; elle a été reconnue, selon les termes du décret du Conseil constitutionnel du 16
juillet 1971, comme faisant partie intégrante du « bloc constitutionnel ».
C.2) Les droits-libertés de l’homme
Les droits de l’homme apparaissent comme une unité, découlant d’une idée de l’homme,
et comme une pluralité, une liste de droits, dont l’Etat doit assurer la réalité.
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L’article 1 de la Déclaration française de 1789 fait de la liberté l’essence de l’homme,
liberté qui est un titre à avoir des droits : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ». Principe d’égale liberté contre les privilèges de l’ancien ordre hiérarchique.
L’article 2 précise que la fonction de toute « association politique » est la « conservation
des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la
sûreté et la résistance à l'oppression ». C’est parce que ces droits appartiennent à la nature de
l’homme qu’ils sont “imprescriptibles” (qui n’est pas susceptible de prescription, la prescription
étant le délai au terme duquel on ne peut plus poursuivre l’exécution d’une obligation ou la
répression d’une infraction) et “inaliénables” (Préambule). Ils s’imposent à toute autorité
politique quelle qu’elle soit. Ces droits sont donc attachés naturellement à l’homme, il est
nécessaire de les conserver, l’Etat est fait pour l’individu et non l’inverse.
Deux catégories de droits : les droits de l’homme, antérieurs à la société, indépendants de
son existence ; les droits du citoyen, qui concernent la participation de ceux-ci au pouvoir
politique. Les droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen des pouvoirs.
La liberté : premier de tous les droits. Définie comme faculté : « faire tout ce qui ne nuit
pas à autrui… ». L’homme est libre de faire ce qu’il veut de sa liberté, la seule détermination de
la liberté étant la non-ingérence dans l’espace de la liberté d’autrui ; le rôle de la loi n’est que de
placer des bornes pour protéger ces espaces de tout empiétement des uns sur les autres. La loi
est faite pour m’interdire qu’on m’empêche de jouir de mes droits.
La Déclaration en déduit un certain nombre de libertés particulières :
 liberté personnelle (article 7) : « Nul ne peut être accusé, arrêté, ou détenu, que dans
les cas déterminés par la loi, et selon les termes qu’elle a prescrites » ;
 liberté d’opinion et de conscience (article 10) : « Nul ne doit être inquiété pour ses
opinions, même religieuses » ;
 liberté d’expression et de presse (art.11) : « La libre communication des pensées et
des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par
la loi » ;
 la propriété, condition essentielle de la liberté de l’individu (art.17).
Après la liberté, le principe d’égalité est précisé : égalité devant la loi et devant la justice
(« La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » (art.6) ; égalité
devant l’impôt (« Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration,
une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les
citoyens, en raison de leurs facultés » (art.13).
Après avoir énuméré les libertés fondamentales auxquelles nul ne peut porter atteinte, la
Déclaration définit les bases d’un pouvoir politique capable de les garantir. Article 6 où l’on
retrouve les principes de la démocratie grecque : égale participation de tous les citoyens à la
formation de la loi ; les hommes auront accès aux fonctions politiques en fonction de leurs
« vertus et de leurs talents » - de leurs mérites – et non en fonction du privilège de la naissance.
La Déclaration envisage enfin la question de la mise en application des principes définis.
Comment ces principes peuvent-ils devenir une réalité effective face à des gouvernants, qui,
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bien que démocratiquement élus, voudraient abuser de leur pouvoir et porter atteinte aux droits
de l’homme ?
Première réponse apportée par l’article 2 : le droit de résistance à l’oppression qui ne vaut
que dans des situations extrêmes et qui, de ce fait, laisse entendre qu’on ne devrait pas avoir
besoin de recourir à ce droit si l’Etat offre dans son fonctionnement ordinaire des garanties
suffisantes. Il invite surtout à organiser les pouvoirs publics et la Constitution de façon à
empêcher qu’un gouvernement ne se comporte de façon despotique.
Montesquieu proposera comme solution à ce problème la séparation des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire.
C.3) Droits civils, politiques et sociaux
Les droits de l’homme sont ainsi définis de manière différente, suivant l’extension qu’on
donnera à ce principe d’égalité : les droits civils et politiques, appelés également droitslibertés, exigent, en effet, que tous les citoyens jouissent des mêmes libertés; les droits sociaux,
ou droits-créances, exigent la réduction de l’inégalité des situations.
La première déclaration des droits de l’homme de 1789 consiste essentiellement en
« droits à faire quelque chose » : liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, liberté
d’opinion, liberté de pratiquer la religion de son choix, etc. Il s’agit de droits civils et
politiques, ou droits-libertés, définissant pour l’individu des possibilités intellectuelles (liberté
de pensée, liberté d’expression, liberté de culte…) ou physiques (liberté du travail, liberté du
commerce, liberté de réunion…).
La révolution de 1848 inaugure une ère nouvelle en posant, pour la première fois, la
question des droits sociaux ou droits-créances: volonté d’apporter un complément aux
principes de 1789 rendu nécessaire par la révolution industrielle et l’apparition du problème de
la condition ouvrière. Double influence du marxisme et du catholicisme social. L’Etat va se
proclamer responsable sinon du bonheur, du moins du mieux-être de tous les citoyens, envers
qui il se reconnaît des devoirs.
Ces droits sociaux vont être inscrits dans les Constitutions, notamment après 1945 :
déclaration soviétique des “droits du peuple travailleur et exploité” (1918) ; mention, dans la
Constitution de l’URSS stalinienne (1936), des “droits économiques et sociaux” (droits au
travail, au repos, à l’instruction, etc.); en France, c’est dans le Préambule de la Constitution
de 1946 que les droits-libertés sont complétés par la proclamation des droits sociaux (“droit
d’obtenir un emploi”, “droit de défendre son emploi par l’action syndicale”, droit de grève,
etc.); Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par
l’Assemblée générale des Nations Unies (droits-libertés des art. 3 à 21, droits économiques et
sociaux des art.22 à 27 : droits à la sécurité sociale; au travail, droit au repos, droit à un niveau
de vie suffisant, etc.).
Ces droits sociaux signifient que chacun peut exiger de l’Etat qu’il lui donne l’instruction,
un travail, la possibilité d’avoir des soins de qualité, etc. On peut penser le lien entre les droitslibertés, ou droits formels, et les droits-créances comme le passage de la reconnaissance
formelle de la liberté à la liberté effective dans l’Etat. Mais ces droits peuvent aussi entrer en
contradiction et déboucher sur deux conceptions opposées de l’Etat.
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En effet, l’apparition, à côté des droits-libertés, des droits-créances, a introduit
d’importantes modifications dans la conception des rapports entre société et Etat. Les droits
civils et politiques participent d’une théorie des limites de l’Etat, conçu comme devant se
borner à garantir aux citoyens le maximum de possibilités d’action compatibles avec l’existence
d’une société; les drois civils sont des libertés que l’Etat garantit à tout homme, qu’il soit
citoyen ou non : égalité devant la loi, sécurité, protection contre l’arbitraire du pouvoir,
propriété, liberté de conscience et d’opinion; les droits politiques confèrent un pouvoir à
l’individu considéré comme citoyen : participation à l'élaboration de la loi, droit de consentir à
l’impôt. Ces droits permettent de défendre la liberté individuelle à l’égard de l’Etat.
Cette conception s’articule sur la représentation d’un Etat minimum se bornant à protéger
l’autonomie des citoyens. Les droits sociaux impliquent au contraire que l’on attende de l’Etat
la capacité de fournir des services, d’intervenir dans la sphère sociale, notamment pour assurer
une meilleure répartition des richesses et corriger les inégalités  Etat-Providence capable de
contribuer, par des prestations positives, à la naissance de cette “sécurité matérielle” garantie à
chacun.
De là un clivage entre la tradition libérale et la tradition socialiste : la perspective
libérale souligne le danger de toute politique qui se préoccupe de faire le bonheur des hommes;
refus des droits-créances, idée que l’affirmation des droits sociaux est un premier pas en
direction d’un Etat tentaculaire, sinon totalitaire. La perspective socialiste qui insiste sur les
droits sociaux, et n’attache qu’une importance relative aux droits-libertés considérés comme des
droits purement formels; valeurs de la justice sociale privilégiées.
Pourtant, il n’y a pas d’opposition entre les droits civils et politiques, et les droits sociaux,
et ce pour trois raisons (nous reprendrons ici l’analyse de P. Canivez, in Eduquer le citoyen ?) :
1. Fondement moral des droits de l’homme : reconnaître à autrui la qualité de sujet,
c’est lui reconnaître ipso facto le droit à l’éducation ; l’un des droits fondamentaux de tout
homme, avec la liberté, est d’avoir les moyens intellectuels de la liberté. Or, l’éducation, si l’on
veut qu’elle soit efficace, suppose les droits sociaux, c’est-à-dire un minimum d’aisance
matérielle.
2. Le problème n’est peut-être pas de défendre l’individu contre l’Etat, dans la
perspective libérale, condamnant ainsi les droits sociaux, mais de défendre l’Etat de droit qui
doit intervenir pour garantir l’éducation et l’instruction de tous. L’intervention de l’Etat dans la
vie sociale fait partie des garanties du respect des droits de l’homme. Dès lors, le respect des
droits de l’homme se confond avec la revendication de l’Etat de droit. Les droits de
l’homme sont à la fois une idée morale et une conception politique : ils définissent une certaine
conception de l’Etat, fondée sur le respect inconditionnel de la personne ; il s’agit de pousser
l’Etat à s’organiser en vue d’un respect toujours plus grand de l’égalité des individus en tant que
sujets;
3. Passé un certain degré de développement, un Etat qui veut rester puissant ne peut pas
se permettre de nier les droits de l’homme : ces derniers sont la condition fondamentale de la
participation active des citoyens à l‘effort collectif; intégrer les individus dans la société, en
liant les droits sociaux à un travail qui, pour être performant, doit être perçu comme un intérêt.
Ici le respect des droits de l’homme répond à une nécessité sociale et à un calcul politique
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(rappelons que ce point a été développé par Kant à propos de la possibilité de la paix mondiale,
in Idée d’une histoire universelle…).
D) CRITIQUES ET DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME
Loin d’être une évidence, les droits de l’homme ont été et sont toujours contestés. Les
droits de l’homme : évidence ou problème ?
D.1) Critiques des droits de l’homme
Venues d’horizons divers, on peut grouper ces critiques en trois catégories :
D.1-1) Critiques traditionalistes et naturalistes
Les doctrines racistes ou fascistes notamment. La déclaration des droits de l’homme est
un artifice humain qui contredit les hiérarchies naturelles et sape le principe d‘autorité
nécessaire à la cohésion sociale.
D.1-2) Critiques du formalisme des droits de l’homme
Des courants très divers constituent ce courant critique qui reproche aux droits de
l’homme leur abstraction. L’homme est toujours le produit d’une histoire, et cette histoire n’est
pas universalisable. D’une part, l’homme en général n’existe pas : il n’existe que des peuples
qui ont des traditions et des histoires spécifiques ; d’autre part, le droit ne peut être que positif,
c’est-à-dire relever d’une certaine dynamique nationale, d’un certain esprit qui n’est jamais
transposable. Enfin, chaque pays est à un moment de son histoire, et ne peut prétendre faire
table rase du passé et tout reconstruire brutalement. L’idée de droits anhistoriques d’un homme
général et donc abstrait serait une pure fiction intellectuelle déconnectée de la réalité. Fiction
dangereuse puisqu’elle n’envisage pas les devoirs que chacun a envers la communauté à
laquelle il appartient.
C’est notamment la critique qu’adressent Marx et les anarchistes aux droits de l’homme.
Les droits de l’homme sont purement formels et sont vides de tout contenu effectif. Ils sont
un des éléments de l’idéologie dominante et tendent à entretenir la fiction de l’universel que
prétend incarner l’Etat bourgeois.
Ces droits redéfinissent l’homme comme “homme égoïste” et “séparé de la communauté”;
l’homme devient une “monade isolée, repliée sur elle-même”. La liberté est à comprendre
comme indépendance, c’est-à-dire séparation, repliement sur la propriété dont la sûreté est
également assimilée à un droit. Les droits de l’homme sont en fait ceux du propriétaire. Cette
nouvelle conception de l’homme correspond à la spécificité du mode de production capitaliste
en tant qu’il se différencie du mode précédent. Les droits de l’homme ne sont pas transcendants
à l’histoire mais en sont un produit ponctuel appelés à être dépassé.
En conséquence, ces droits ont beau prétendre valoir pour tous, ils ne valent que pour
ceux qui possèdent quelque chose. Quel sens peut bien avoir le droit à la sûreté et à la
propriété quand on ne possède rien et que l’égalité n’est que formelle ?
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La distinction de la société et de l’Etat, de l’homme et du citoyen, sur laquelle reposerait
l’idéologie des droits de l’homme est contestée. Marx condamne, dans la société bourgeoise,
l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat qui s’exprime notamment par la
séparation des droits de l’homme et des droits du citoyen. La distinction de l’homme et du
citoyen n’a lieu en réalité que pour garantir plus sûrement le libre jeu des intérêts privés
qui continuent de régir les relations entre les hommes. La société bourgeoise reste, malgré la
générosité de ses intentions affichées, une société égoïste, orientée vers le profit privé et fondée
sur des rapports de force qui tendent à isoler les individus les uns des autres. Il s’agit pour Marx
de soumettre la société civile au principe de l’intérêt commun dont l’Etat prétend se faire
l’instrument, de réintégrer le civil dans le politique, la société dans l’Etat, permettant ainsi la
disparition de l’Etat comme sphère distincte de la société.
La position libérale entend, au contraire, protéger la distinction entre société et Etat, ce
pour quoi la référence aux droits de l’homme doit être mobilisée. En effet, la valorisation de la
division entre société et Etat implique la présence insistante, dans la tradition libérale, d’un
discours sur les droits de l’homme, ces derniers étant considérés comme des limites capables de
prévenir les risques d’une confusion totalitaire entre le civil et le politique. Mais référence aux
seuls et authentiques droits de l’homme qui sont les droits-libertés. Refus de l’idée de justice
sociale considérée comme inégalitaire.
D.1-3) Critique relativiste
Cette critique relativiste, la plus redoutable et inexpugnable, est dirigée contre
l’universalité des droits de l’homme. Ces droits renvoient à une certaine conception de
l’homme qui est née en occident et qui ne vaudrait que pour ceux qui appartiennent à cette
culture.
Le relativisme est une doctrine très séduisante et fort utile, qui fonde le principe de la
tolérance et du respect des autres, comme l’a si bien montré Montaigne dans Les Essais.
Le relativisme semble d’abord avoir de son côté les sciences humaines (l’ethnologie et la
sociologie notamment) qui nous apprennent que les cultures sont diverses et spécifiques : la
culture est considérée comme l’ensemble des pratiques, des croyances, des institutions qui font
l’unité d’un peuple ou d’un groupe social. Idée d’une relativité des cultures : elles sont toutes
spécifiques, aucun critère ne permet de décider si l’une est supérieure à l’autre; les droits de
l’homme sont l’expression d’une culture occidentale; il est donc illégitime d’en tirer argument
pour condamner certaines pratiques qui ont un sens dans d’autres cultures. Ainsi la soumission
de la femme dans certains pays, la pratique des mutilations sexuelles ne pourrait - elles être
condamnées au nom des droits de l’homme puisque ce serait une sorte de « racisme culturel »
que de dénoncer une culture différente qui possède ses valeurs propres. Le refus de
l’ethnocentrisme empêche de juger; la compréhension de l’univers culturel impose d’accepter.
Définition de la tolérance comme acceptation inconditionnelle des différences.
La position relativiste est implicitement celle du positivisme juridique : la réduction
du droit au fait, le refus d’une norme du droit – le droit naturel – s’appuient généralement sur le
constat de la variabilité des systèmes de droit, suivant les Etats, les traditions nationales, les
religions, etc. Vouloir ramener cette diversité à des principes communs, c’est se comporter de
manière purement extérieure et manquer la compréhension de chaque système de droit positif.
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La question que pose la critique relativiste est de taille : l’idée de liberté et d’égalité entre
individus est-elle universalisable ? Au nom de l’égalité entre les cultures, peut-on accepter
ailleurs l’inacceptable chez soi (l’excision des filles, la soumission des femmes, le travail des
enfants, l’esclavage, etc.) ? L’attitude morale contraint-elle à respecter les différences entre les
cultures ou à dénoncer des violences qui restent immorales quand bien même elles seraient le
produit d’une autre culture ? La compréhension de la culture de l’autre conduit-elle à
l’acceptation de tout ou y a-t-il des valeurs transcendantes aux cultures et à leur relativisme?
D.2) Défense des droits de l’homme
Nous limiterons cette partie à la mise en évidence des dangers et paradoxes du relativisme
qui semble être la position critique la plus difficile à infirmer.
Le relativisme peut conduire à une position d’acceptation de l’ordre existant. Il peut
même devenir, au nom de l’exotisme, un auxiliaire du sous-développement. Si l’on ne peut pas
juger le droit, au nom de quoi va-t-on refuser des lois manifestement inacceptables ?
Certes, la relativité des cultures est un fait. La compréhension d’une culture est un
principe de non-violence et de tolérance. Mais la tolérance et l’acceptation des différences ne
sont pas les seules valeurs morales. La liberté, le respect de la dignité humaine sont sans doute
des valeurs bien plus fondamentales. Comprendre, connaître ne signifient pas accepter ; la
connaissance ne saurait se substituer au jugement, la science ne remplace pas la morale
(comprendre les causes, les circonstances d’un crime n’implique pas de l’accepter, comme le
montre le fonctionnement d’un procès judiciaire). Or, le relativisme aboutit justement à cette
idée que le nazisme, l’intégrisme religieux sont compréhensibles et donc acceptables.
Cette question du relativisme nous invite à réfléchir sur la signification de la tolérance
puisque, sur le plan moral, c’est au nom de la tolérance que le relativisme prétend se justifier.
Or, être tolérant, est-ce tout tolérer ? En réalité, même pour un esprit tolérant – et surtout
pour lui ! – il y a de l’intolérable, de sorte que la tolérance sans limite paraît synonyme
d’indifférence ou d’acceptation passive de tout. Donnons un exemple.
Sur le plan politique, une mentalité tolérante, c’est-à-dire démocratique, ne risque-t-elle
pas de se condamner à disparaître si elle admet comme tolérables les opinions et les actes qui
cherchent à la contester ou à la détruire (faut-il accorder la liberté aux ennemis de la liberté ?) ?
L’intolérance ne peut que se fortifier si elle ne rencontre pas d’obstacles (voir, en France, le
débat sur les responsabilités quant à l’émergence politique et électorale des organisations
d’extrême-droite). Etre tolérant ici, c’est ne reconnaître comme admissibles que les formes
« faibles » de l’intolérance, capables de s’insérer dans un débat, et compatibles avec la
démocratie et le respect de la personne humaine.
Si l’on définit la tolérance comme le principe fondé sur l’égale liberté et dignité des
convictions qui exige de ne pas contraindre une opinion lorsqu’elle est contraire à la sienne, la
tolérance suppose la réciprocité. Lorsque celle-ci n’est pas établie, l’intolérable apparaît
(camps d’extermination, génocides, tortures, etc.). La tolérance n’est pas synonyme d’un
relativisme absolu des valeurs qui n’aboutit qu’à la disparition de toute exigence éthique. Si les
comportements s’enracinent bel et bien dans des cultures différentes, cela ne signifie pas que
tout doit être justifié. Doivent demeurer intolérables les pratiques qui mettent en cause
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l’intégrité de la personne humaine. La tolérance se veut du côté de la raison et de
l’universalité.
Il ne suffit donc pas de prendre en compte la relativité des cultures, il faut reconnaître
également l’universalité de certains principes éthiques dont la validité n’est pas limitée au
domaine d’une culture donnée. Ces principes, ces normes sont posés comme transcendants,
dès lors qu’ils sont définis, non comme un fait, mais comme un idéal dont il faut sans cesse se
rapprocher. De même, les sciences humaines ne peuvent rien démontrer contre une exigence de
liberté puisqu’elles reposent elles-mêmes sur la certitude - ni démontrée ni démontrable - que la
liberté et l’universalité sont possibles. Les sciences humaines ne peuvent nier la certitude de la
liberté et le devoir de la préserver qu’en niant leur propre fondement.
Il est dès lors possible de concilier la science et le droit : la compréhension scientifique
n’implique pas l’approbation inconditionnelle. La relativité des cultures et les droits de
l’homme ne se situent pas sur le même plan. Notre façon de vivre comporte, en effet, un certain
arbitraire, de sorte qu’on peut la comparer avec d’autres modes d’existence. Mais les principes
de jugement fondés sur le respect de la personne nous servent pour juger de notre propre façon
de vivre. Le principe moral qui sert de critère fonde un jugement critique. Il ne définit pas un
mode d’existence parmi d’autres. Il ne nous dit même pas quel mode d’existence il faut adopter
(cela dépend de l’inventivité, des goûts propres à l’individu…).
Ce principe critique définit ce qui, dans notre façon de vivre aussi bien que dans
n’importe quelle autre, est inacceptable. Les droits de l’homme ne promettent rien :
principes d’évaluation critique, ils permettent de déterminer ce qui n’est pas acceptable;
ils ne fournissent aucun programme d’action; ils déterminent les critères qui permettent
de juger. Ils reposent sur un critère comparable à celui de la loi qui prévoit, par exemple, des
sanctions pour « non assistance à personne en danger » (Code pénal, art. 63). L’obligation
d’assistance ne contient pas la promesse que tous les accidents seront sauvés. Mais on peut être
condamné pour n’avoir rien tenté.
Enfin, on peut remarquer qu’un accord, au moins formel, est possible sur la définition
d’une éthique universelle, malgré la diversité des civilisations et la relativité des cultures. La
Déclaration universelle de 1948, par exemple, a été adoptée à une quasi-unanimité (aucun Etat
n’a voté contre, et huit seulement, contre quarante-huit, se sont abstenus), même si, bien
évidemment, il y a une distance entre l’affirmation des principes et la réalité des pratiques. Les
droits de l’homme, en somme, ne sont pas une culture; ils définissent les principes formels qui
permettent de juger des cultures, à commencer par la nôtre.
Conclusion :
Le droit désigne donc non seulement l’ensemble des lois existantes qui se forgent dans le
temps et dans l’espace au gré des rapports de forces, mais aussi un principe évaluatif qui
définit le légal et le légitime. L’idéal étant que le légal et le légitime coïncident, sans pour
autant que le légitime perde sa fonction évaluatrice et critique. Qu’il ait son fondement dans
quelque ordre transcendant (Dieu) ou immanent (nature) ou dans la volonté consciente et
raisonnable des hommes (les doctrines du contrat social), le droit a pour fonction de faire
régner la justice et l’ordre dans la cité, en garantissant la coexistence des libertés. Si le droit
et la justice ne s’épuisent pas dans le droit positif, on peut lire dans les droits de l’homme une
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incarnation authentique de l’exigence d’universalité et de distanciation critique par rapport à la
sphère du fait. En ce sens, la justice est bel et bien la vertu et la norme du droit. La question
se pose maintenant du rapport entre la politique et le droit : la politique peut-elle se conformer
au droit ?
III) LA POLITIQUE ET LE DROIT
A la différence de la morale, le droit doit pouvoir disposer de la contrainte pour atteindre
ses objectifs. D’où la nécessité, pour l’Etat et le droit, d’exercer une contrainte pour faire
respecter l’ordre de la loi, par le recours à la force. Il existe en effet une violence du droit, une
violence légale, voire légitime, qui fonde le droit, qui débouche sur le droit, même si le droit
substitue pourtant le règne de la règle à l’incertitude des rapports de force. Il est, en effet, des
cas où la violence semble se justifier (légitime violence, résistance à l’oppression, etc.. ). Mais
s’il peut y avoir un droit à la violence, l’Etat n’en est-il pas le dépositaire ? Que faire alors dans
le cas où l’Etat bafoue le droit, où le loi est injsute ? Comment donc envisager la dialectique du
droit et de la violence ? Comment donc faire en sorte que la justice soit forte et que la force soit
juste ?
A) LE DROIT ET LA FORCE : LA FORCE DU DROIT
La force peut-elle être au service du droit ?
A.1) Force et violence
Distinguons la violence de la force qui sont souvent confondues. La force, en son sens
philosophique fondamental, est énergie, maîtrise de soi (exemple de la fermeté stoïcienne),
principe de puissance et d’action, déploiement de la volonté souveraine. La violence désigne au
contraire la puissance déchaînée, non maîtrisée par la raison et le discours, une puissance
corrompue, à base de colère, par laquelle un sujet exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte
qu’il exécute et réalise ce qui est cependant contraire à sa volonté et à ses fins.
A la différence de la force qui est maîtrise de la volonté, la violence refuse de convaincre
par persuasion pour contraindre l’interlocuteur ; elle fait partie des moyens « durs » du pouvoir :
« La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par
raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion…La violence se situe à l’opposé de la
force, car l’énergie qu’elle met en oeuvre n’est que l’énergie du désespoir » (G.Gusdorf, La
vertu de force).
La violence naît souvent d’un effort pour compenser un sentiment d’infériorité, effacer
une frustration (la violence du coléreux), alors que la force est le pouvoir effectif d’exercer une
action sur quelque chose ou sur quelqu’un. La force morale, par exemple, est une puissance
souveraine, un principe d’action qui implique la maîtrise de soi. La violence apparaît alors
comme l’expression d’une faiblesse secrète.
Il faut aussi distinguer, selon Julien Freund (in Qu’est-ce que la politique ?), la force
publique, dont dispose le pouvoir, et la violence : « dès que la force est contestée naît la
violence ». Alors que la force contraint, la violence opprime : la violence consiste dans un
emploi de la force pour nier l’autonomie, l’intégrité physique, voire la vie de l’autre. En ce sens,
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la violence est une contrainte physique ou morale tendant à faire réaliser par un individu
ou un groupe ce qui est contraire à leur volonté.
Si le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de
loi, il a ceci de caractéristique qu’il transforme essentiellement la nature de la force: le droit
use de la force pour sanctionner une transgression et non comme motif des actions; la force est
alors proportionnée et son usage est décrété par une puissance impartiale. Le droit suppose ainsi
une puissance publique, supérieure aux rapports de force qui régissent inévitablement les
rapports interindividuels. Qu’est-ce, en effet, qu’un droit dont le respect n’est pas assuré ?
Comment assurer le respect du droit si les sujets de droit ne sont pas soumis à une autorité
commune ? Si la loi ne s’applique pas à tous et si personne n’est en mesure de la faire respecter,
on passe du droit à la force sans délai.
Si la force est du côté du droit comme nous allons le voir par la suite, la violence est
désordre, tandis que le droit a toujours pour fonction d’exprimer et de maintenir un certain ordre
social, de garantir la paix et la sécurité civiles. La violence est du côté du fait, alors que le droit
est de l’ordre de la valeur, du jugement, de la norme.
A.2) Du droit du plus fort
Mais cette distinction entre fait et norme se brouille quand on fait mention du « droit du
plus fort », en suggérant par là que celui qui dispose en fait d’une supériorité physique est en
droit d’imposer sa loi à ceux sur qui il l’emporte (« le plus fort a toujours raison »). C’est au
nom d’une telle conception qu’on a justifié, dans l’Antiquité, la fréquente réduction en
esclavage des prisonniers de guerre. Or y a-t-il un droit du plus fort ? La thèse de Rousseau (in
Contrat social, I, 3) est la suivante : la force ne saurait à elle seule fonder l’autorité ; la
supériorité physique ne peut créer aucun pouvoir durable. La fontaine, dans Le loup et l’agneau,
n’a pas raison d’affirmer que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».
Le raisonnement de Rousseau est le suivant : si la force ne fonde pas le droit, le droit
suppose une soumission volontaire, une reconnaissance, un acte d’assentiment de l’esprit.
Or la force, si elle peut me contraindre, ne m’oblige pas : elle n’implique pas que je me
soumette à elle en esprit. Ma soumission est le fruit de ma faiblesse. Mais ce constat n’entraîne
pas une reconnaissance légitime. L’obligation est une obéissance volontaire et légitime ; la
soumission est le fait d’obéir à une puissance contre son gré ; l’autorité est le pouvoir
légitime d’imposer l’obéissance, de commander à autrui (il s’agit ici d’une obéissance
acceptée excluant la violence directe) ; l’obéissance est l’acte par lequel les individus se
plient volontairement à la loi ou à l’ordre légitimes. La force est une puissance physique de
l’ordre du fait, et non du droit, un principe de puissance corrompue, un impatience dans la
relation à autrui.
Le rapport nature / force / droit avait déjà été exposé par le sophiste Calliclès dans le
Gorgias de Platon. La force fait droit parce qu’elle relève de la nature, alors que la convention
est contre-nature : « le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force,
constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à
la nature, ne sont que niaiseries et néant » (Gorgias, 491-492). Tous ceux qui prétendent aller
contre la nature au nom de la morale, dit Calliclès, ne font que masquer leur propre faiblesse :
ce détour par la morale est une ruse des faibles contre les forts pour leur subtiliser le pouvoir.
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Or, si la force prétend faire droit, c’est parce qu’elle ne peut plus se soutenir comme
force. Le prétendu droit du plus fort est un subterfuge, un “sophisme” pour que le fort puisse se
maintenir, alors qu’il n’est plus en mesure de la faire. Le problème du pouvoir instauré par la
force est, en effet, la durée. Machiavel avait bien vu qu’il s’agissait là d’un problème de
technique politique essentiel, puisqu’il s’assignait un double objet dans Le Prince (publié en
1532) : étudier la conquête du pouvoir et sa conservation.
La force est une puissance physique. Comme telle, elle a des effets qui durent autant
qu’elle. Mais le plus fort n’est jamais assez fort pour faire durer sa position par la force. Il
a alors recours à une mystification, qui constitue la ruse politique par excellence : il dissimule le
véritable état de fait (rapport de forces), et substitue à la force un fondement juridique. Toute
l’opération consiste à entériner l’état de fait, à camoufler l’origine réelle du pouvoir, en lui
donnant un fondement intemporel, de façon à garantir l’avenir.
« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa
force en droit et l’obéissance en devoir… » La force a par nature un caractère instable : le
plus fort exerce sa domination aussi longtemps qu’il ne rencontre pas un plus fort que lui; elle a
donc besoin de l’artifice du droit pour dépasser cette caducité (faire croire que la soumission n’a
pas pour motif la seule force physique mais la référence à un principe de légitimité).
Il y a contradiction entre les termes “force” et “droit” : la force produit ses effets avec
nécessité; céder à la force est un fait inévitable et prévisible, qui est contenu dans la force
comme l’effet dans la cause. D’un fait on ne peut tirer une norme : obéir au plus fort n’est
pas un devoir, c’est tout au plus une nécessité (sauf pour les têtes brûlées ou les kamikazes),
et celui qui dispose d’une supériorité physique n’est pas en droit d’imposer quoi que ce soit. La
relation au droit, à l’opposé, suppose une autorisation ou une injonction qui peut être ou non
suivie d’effets : elle n’est efficace qu’en vertu de l’adhésion de la volonté et suppose donc la
liberté du sujet. Mais aucune force ne peut se transformer en droit : la force étant une
puissance physique, aucun effet moral (juridico-politique) ne peut en sortir. Céder à la force est
donc une simple nécessité physique, non un devoir moral.
Il ne faut donc pas obéir à la force par devoir : le devoir ne convient qu’envers le
pouvoir légitime. Il n’y a pas plus d’obligation d’obéir à celui qui exerce un pouvoir par la
force qu’à un brigand ; désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner
quand on souffre d’une maladie. Encore faut-il être en mesure de faire la différence entre un
pouvoir fondé sur la force, mais qui s’est paré d’un discours de légitimité, et un pouvoir
réellement légitime. Cela suppose la capacité d’analyser le discours politique de façon à le
démystifier : cela suppose l’éducation.
L’argument de Rousseau met bien en valeur la différence de nature existant entre le fait et
le droit. La référence au droit suppose toujours la parole : elle relève d’abord du jugement : “Tu
n’as pas le droit”; “J’ai le droit”. Il s’agit, dans ces expressions, de comparer ce qui est à ce qui
doit être. Le fait s’impose: produit par des causes, il est toujours explicable et son existence est
incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du fait, a toujours une certaine forme
d’autorité : “ça ne se discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le bien-fondé
de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.
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Conclusion :
Le droit n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de valeur sur un fait, mais
aussi pour conformer la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle de justice, en
l’occurrence). Aussi le droit doit-il avoir une certaine efficacité, pour ne pas rester cantonner
dans l’idéal : il doit avoir “force de loi”. Le droit a besoin de la force pour sanctionner les
transgressions et pour avoir force de loi. En ce sens, la force est la violence légale et
légitime, au service du droit et de la justice. Nous sommes alors confrontés à un paradoxe : le
droit exclut la force, la vengeance, la violence privée, il est du côté de la raison , de l’ordre, de
la non-violence, de la paix; il suppose pourtant la force s’il veut se faire respecter et s’incarner
dans la réalité, c’est-à-dire dans la loi. La question du rapport entre la violence et le droit
rebondit avec le problème du droit et de punir.
B) LE DROIT DE PUNIR
Si l’idée de droit équivaut à un désaveu de la violence, la violence est présente à la source
même du droit, dans son exercice et notamment dans les sanctions prévues contre ceux qui
violent le droit. Mais le droit transforme la violence en force par un processus de rationalisation,
de légalisation et de légitimation. On ne confondra donc pas sanction et vengeance, de même
que la peine de mort ne saurait être assimilée à un seul assassinat de la part de l’Etat. Certes,
plus les lois sont justes et moins la contrainte est nécessaire. La sanction semble justifiée par la
possibilité permanente, inscrite dans la notion de loi elle-même, de la transgression, de la
désobéissance, qui renvoient à l’égoïsme ou à la méchanceté de l’homme. Le problème est alors
posé du droit de punir, de la violence pénale, de la sanction juste : pourquoi punir et de quelle
manière ?
B.1) La notion de peine
« Le droit pénal englobe l’ensemble des sanctions pénales attachées à des attitudes ou
manières déviantes précisément définies, comme le Droit est l’ensemble des sanctions civiles
ou pénales attachées à des attitudes réprouvées par le groupe… » (F.J. Pansier, La peine et le
droit, p.8). Selon Durkheim, la peine est « une réaction personnelle, d'intensité graduée, que la
société exerce par l'intermédiaire d'un corps constitué sur ceux de ses membres qui ont violé
certaines règles de conduite ». On parle ainsi de « déviance » pour qualifier toute attitude non
conforme à la convention sociale.
La peine ne prévient pas seulement des atteintes injustes à l’ordre social, elle est aussi
censée protéger des punitions injustes. On peut penser la peine soit comme le fait d’affliger et
de punir (il ait sévir parce qu’une faute a été commise), soit comme la juste rétribution par la
société d’une attitude déviante, en fonction du besoin de sécurité de l’ordre public. La doctrine
de la rétribution se divise en rétribution morale et rétribution juridique. La rétribution
morale désigne une exigence profonde que le mal soit rétribué par le mal, comme le bien doit
être récompensé d'un bienfait. La doctrine de la rétribution juridique (Kant, Hegel) considère le
délit comme rébellion de l’individu à la volonté de la loi, et de ce fait exige une réponse qui sera
une réaffirmation de l’autorité étatique.
Nous avons vu que la justice corrective, au sens aristotélicien, est la justice qui rétablit
l’égalité violée par l’acte délictueux, c’est-à-dire contraire au droit. Or, cette définition apparaît
insuffisante, dans la mesure où elle limite l’action du droit à la simple réparation des torts (le
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voleur doit rendre ce qu’il a volé ; si j’ai causé un tort, je dois indemniser la victime…) et
tombe ainsi dans la loi du talion (le meurtrier doit être tué, le voleur doit avoir la main coupée,
etc.)
D’où la notion moderne de proportionnalité de la peine. Il s’agit d’établir une relation
entre une série d’attitudes déviantes et les peines. Cette idée remonte sans doute à Platon qui,
dans le Gorgias (523 a-524 a), décrit les hommes, à l’heure de la sentence finale, qui sont jugés
et sanctionnés sur leur vie, leurs actes, leurs mérites, avec un strict respect du principe de la
proportionnalité et de la personnalisation de la peine : non à tous la même peine, mais à chacun
selon sa faute. Ce principe de proportionnalité a aujourd’hui valeur de principe constitutionnel
ayant vocation à régir l’ensemble du droit pénal.
Cette proportionnalité de la peine est elle-même fondée sur une hiérarchie des
infractions selon le principe du degré de gravité. Ainsi le code pénal français distingue-t-il
trois catégories d’infractions qui sont jugées par différentes juridictions compétentes (du
tribunal de police pour les infractions les moins graves – les contraventions – jusqu’à la cour
d’assises pour les infractions les plus graves – les crimes) : contraventions, délits, crimes.
B.2) La vengeance (texte de Hegel)
La punition, envisagée comme sanction légale, voire légitime, est à distinguer de la
vengeance, violence privée et illégale, en vertu du principe que la loi transforme la violence en
force et que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même ». Sur quoi cette distinction se fondet-elle ? C’est à cette question que le texte suivant de Hegel répond.
Texte de Hegel
« La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par
un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l'œuvre d'un juge. C’est pourquoi il faut que la
réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le
droit se trouve ainsi troublé. De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de
l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi
bien le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense, n’est
senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l'infini, de nouvelles
vengeances. »
1. La thèse de Hegel
En tant qu’acte de droit, la punition s’oppose rigoureusement à la logique purement
passionnelle de la vengeance. Ce texte justifie l’opposition de la vengeance et de la punition
qui ne sont pas de même nature et qui renvoient à deux logiques différentes. La punition,
comme acte de droit et réparation légale, n’a rien à voir avec la vengeance, fondée sur la
logique passionnelle et rattachée à l’arbitraire.
2. Expressions
« Un acte de la partie lésée » : une réaction de la victime qui, ayant subi un préjudice, veut
obtenir réparation elle-même.
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« Le droit se trouve ainsi troublé » : le droit, défini comme ensemble de règles qui rend
possible la cohésion et la concorde d’un groupe, ne peut s’affirmer que dans le silence des
passions. Le droit est la détermination rationnelle des normes de la vie commune et requiert
l’avènement, en chaque individu, de la raison.
« Un mobile subjectif » : le mobile, c’est ce qui pousse à agir, à mettre en mouvement. Le
mobile peut relever soit de l’affectivité, de la subjectivité, soit d’un examen réfléchi et
rationnel. Est subjectif un mobile qui relève de la subjectivité, c’est-à-dire de l’affectivité
propre à chaque homme, considéré dans la particularité de son existence et de ses réactions.
3. Commentaire
Le précepte du droit est que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même ». S’il peut
sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la
légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la
possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ
clos de luttes incessantes, de « vendetta » (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à
l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute
passion.
Pour conjurer la violence paroxystique et échapper à la loi du plus fort, il faut placer les
rapports entre les hommes sous la juridiction d’un Etat de droit, où doit prévaloir la norme de ce
qui doit être, conformément à une exigence de justice. Toute infraction, après avoir été dûment
établie et caractérisée, doit être sanctionnée conformément à la loi , et non selon l’appréciation
personnelle ou le désir de vengeance de la victime. Placer ainsi toute punition sur le plan de la
loi, c’est lui assurer sa force et sa légitimité : nul n’en peut contester le principe ou l’application
(sauf sur le plan et par les moyens du droit) dès lors qu’elle s’impose à tous de la même façon.
Cette rationalisation de la violence par le droit aboutit historiquement à une rationalisation
progressive des sociétés qui tendent à devenir de moins en moins violentes et à régler leurs
différends par les dispositions rationnelles du droit.
Dès lors, la punition légale ne peut plus relever d’une logique de la vengeance, quand bien
même, comme l’a montré Michel Foucault (in Surveiller et punir), les dispositifs de sanction
renverraient à des dispositifs de pouvoir, de contrôle, de quadrillage des individus et du corps
social. Même si la réalité peut démentir cette distinction entre la punition et la vengeance (voir
le film de Tavernier, Le juge et l’assassin), il convient de ne pas confondre le fait et le droit.
Pour que la punition ne doive rien à la vengeance, deux conditions sont requises : il
convient que les attentes légitimes de toute victime à l’égard de la loi soient prises en charge par
celle-ci ; mais il faut aussi que la victime admette la nécessité d’un « traitement » juridique de la
faute commise. La punition légale doit répondre à une exigence impersonnelle en son principe,
dépourvue de toute dimension subjective ou particulière ; elle fait dépendre la réparation
accordée à la victime non d’un ressentiment enclin naturellement à une réaction
disproportionnée (que ne ferait-on pas à l’assassin pour venger la victime ? la vengeance a
l’esprit fécond lorsqu’il s’agit d’imaginer maints raffinements pour faire souffrir l’assassin et le
châtier !), mais d’un principe d’évaluation des dommages aussi objectif que possible.
Certes, une telle conception se heurte à l’approche passionnelle et à l’opinion commune,
ce qui rend la peine capitale tellement populaire. Le désir de vengeance, en effet, reflète la
souffrance et la difficulté, pour la victime, de prendre ses distances. C’est pourquoi d’ailleurs la
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punition légale n’est souvent perçue que comme vengeance. Mais ce qui est compréhensible
(comment ne pas partager la souffrance des parents dont on a tué l’enfant et comprendre leur
volonté bien humaine de vengeance qui exprime, à sa façon, l’exigence de justice, c’est-à-dire
ici de réparation ), sans être acceptable, lorsqu’il s‘agit de victimes sous l’emprise de la
souffrance et de la passion immédiate, ne peut l’être de personnes qui sont en mesure de
prendre leurs distances et de faire droit aux exigences de la raison. Il est ainsi abusif et
illégitime d’étendre la clause, très précise et rigoureusement délimitée, de la légitime défense
(Code pénal, articles 122-5 et 122-6), à un prétendu droit de se faire justice soi-même.
Où l’on voit, en conclusion, que la punition ne saurait rien devoir à la vengeance,
même lorsque la sanction pénale ressemble comme deux gouttes d’eau à la violence privée ou à
une forme édulcorée et impersonnelle de vengeance, comme cela semble être le cas avec la
peine capitale que d’aucuns pourraient qualifier d’assassinat légal et étatique. Avant d’examiner
cette question de la peine capitale, demandons-nous quelles sont les principales fonctions qui
sont généralement assignées à la sanction.
Conclusion :
Si la violence ne permet de définir que le seul ordre de la vengance, le droit régule
l’emploi de la force qui, de ce fait, est le moyen par lequel le droit peut se faire respecter. La
force, entendue comme sanction, assure donc l’efficacité du droit et lui est un allié nécessaire.
En ce sens, le droit est une force, la seule qui permette une alternative intéressante à l’emploi de
la force ; il réussit le prodige d’utiliser la force pour faire taire la force. Et c’est là tout le
paradoxe de la notion de droit que de transformer la force dont elle fait usage.
C) LA DESOBEISSANCE AU DROIT : LE DROIT A LA DESOBEISSANCE
Les impératifs de la politique justifient-ils la désobéissance au droit ? Et peut-on parfois
désobéir aux lois ? Deux cas de figure peuvent être évoqués : lorsque les intérêts supérieurs
d’un pays sont en jeu, les gouvernants invoquent parfois la raison d’Etat qui les autoriserait à
prendre des libertés avec la loi ; les Constitutions prévoient même que, dans certaines
conditions (insurrection, invasion, guerre, etc.), les garanties légales peuvent être
exceptionnellement suspendues. L’autre cas est celui du peuple ou d’individus qui prennent
l’initiative de la désobéissance à la loi, voire de la révolte, face à un pouvoir politique qui
l’opprime et ne lui laisse aucun recours juridique. Faut-il donc parfois désobéir aux lois, au
nom notamment des droits de l’homme ? A-t-on le droit de contester le droit en utilisant la
violence pour rétablir le droit ? Le mot « parfois » a ici toute son importance, dans la mesure
où, comme nous allons le voir, il ne s’agit pas, loin s’en faut, de désobéir toujours ou
systématiquement à la loi, faute de quoi celle-ci serait niée dans son principe même et, avec
elle, la justice tout entière. Dès lors, la désobéissance au droit n’est-elle pas ce qui garantit
paradoxalement la conformité de la politique au droit ?
C.1) Le devoir d’obéissance à la loi
Comme nous l’avons vu au tout début de ce cours, l’homme juste est d‘abord celui qui
obéit à la loi. La loi est par définition universelle, de sorte que tout individu a pour obligation de
la respecter et de lui obéir. La loi politique ou juridique impose à tous la même conduite : si je
prétends y échapper, je m’accorde alors une supériorité sur les autres, synonyme à nouveau
d’inégalité. De même, en ce qui concerne la loi morale, Kant a montré qu’une action n’est
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morale que si elle est universalisable ; mon devoir m’ordonne de respecter la personne d’autrui
parce que l’attitude contraire ne serait pas universalisable et serait immorale : j’entendrais ne
pas respecter autrui, mais j’attendrais qu’il continue à me respecter. J’instaurerais ainsi une
inégalité, une non-réciprocité.
L’universalité de la loi, qu’elle soit morale ou juridique, instaure une égalité entre les
hommes. Puisqu’il y a réciprocité des droits et des devoirs, tout devoir ressenti comme une
contrainte est équilibré par un devoir systématique d’autrui à mon égard. L’obéissance à la loi
paraît donc obligatoire. Le contraire serait synonyme d’inégalité et d’arbitraire : si n’importe
quel citoyen ou homme d’Etat pouvait déroger à cette obéissance, ce serait le règne de
l’injustice, voire de la violence. Or, la définition même de l’Etat de droit instaure une égalité de
tous (y compris le gouvernant) devant la loi, autorise le citoyen à faire valoir son droit contre
l’Etat ou l’administration, et à poursuivre devant les tribunaux compétents le ministre ou le chef
d’Etat qui violerait le droit commun ou la constitution.
D'un strict point de vue juridique, il y a donc une impossibilité logique à autoriser la
désobéissance et à faire de la révolte un droit. De ce point de vue-là, toute révolte est
d'abord révolte contre le droit. La révolte ne peut être un droit car elle se situe toujours en
dehors du droit. On peut bien résister mais on ne peut pas désobéir.
Mais que vaudrait une résistance au droit, aux lois et au pouvoir qui ne soit pas aussi
désobéissance ? La révolte n'est plus alors simplement résistance, comme nous l'avions
d'abord cru, elle est aussi et surtout désobéissance. Pourtant, il est impossible pour une telle
révolte d'être légale, c'est-à-dire autorisée par le droit positif. Pour rester cohérent avec cette
logique du droit, il nous faudra trouver une forme de révolte qui soit non seulement acceptable
moralement mais même prévue et autorisée par le droit positif.
C.2) Désobéissance et révolte : la révolte, un droit et un devoir
La désobéissance à la loi s’exprime notamment sous la forme de la révolte. La révolte
peut-elle être un droit, voire un devoir ? Si la désobéissance à la loi est l’autre nom de la
violence, dans quelle mesure cette forme de violence possède-t-elle une légitimité ? La révolte
peut-elle être finalement au service du droit et de la justice ?
La résistance à l'oppression apparaît dans la Déclaration des Droits de l'Homme et
du Citoyens du 26 août 1789, au côté des autres droits fondamentaux de l'homme: "Article 2 :
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."
En cela, nous pouvons dire que la révolte est un droit naturel, comme la liberté ou la
sûreté. Non plus au sens où ces droits appartiendraient à l'ordre naturel des choses, mais au sens
où ces droits appartiennent à la nature humaine, et sont le propre de l'homme. Bien plus, le
droit à la révolte, compris comme droit naturel à la résistance à l'oppression, n'est pas un
droit comme les autres. Ce droit de révolte est comme le garant de tous les autres droits
fondamentaux de l'homme. Il est le droit qui nous assure que nos autres droits seront
respectés. A cet égard, ce droit à la révolte a donc une importance capitale. Il est plus qu'un
droit auquel nous pourrions avoir recours, il est une véritable obligation. Ce droit est en fait un
devoir.
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La nouvelle rédaction des droits de l'homme du 24 juin 1793 porte trace de cette
ambiguïté puisque le droit à la révolte n'est plus énoncé en même temps que les autres droits
fondamentaux, mais apparaît au dernier article comme un devoir : "Article 35 : « Quand le
gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque
portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." (Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793) ».
Ainsi, non seulement la révolte est un droit, elle est même un devoir. En cela, ce droit
est fondamental, il est un droit naturel. C’est ce que montre Rousseau dans Du contrat social (I,
IV). La résistance à l’oppression, dans le cas où l’Etat confisque la liberté, est un droit, mais
surtout un devoir, une exigence morale. Un peuple qui subit l’oppression et qui ne se révolte pas
est indigne.
C.3) La révolte garante du droit : la désobéissance civile
S’il doit y avoir des limites au droit, le droit lui-même se doit de préciser quelles sont
ces limites. Un droit qui se voudrait illimité serait le signe d'un pouvoir tyrannique et totalitaire.
La question d'un possible droit de révolte doit donc se comprendre comme une
interrogation sur les limites du droit, mais aussi de l'Etat et de l'autorité. Le droit de
révolte, c'est d'abord le droit de s'opposer au droit. Quelles formes légales peut prendre cette
opposition?
La première limite au droit est le droit de partir de son pays. La première manière de
manifester son désaccord avec les lois d'un pays, c'est de partir de ce pays. L'exil est la
première forme de contestation d'un Etat de droit. A cet égard, il est significatif que la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ne mentionne pas de droit de révolte,
mais en contre-partie prend grand soin de définir un droit de circuler librement (article 13.1), un
droit de quitter tout pays (article 13.2), ainsi qu'un droit d'asile (article 14.). Cette possibilité de
s'exiler et de s'éloigner d'un régime que l'on considère injuste est une première forme de
contestation du pouvoir. Et on peut tout à fait concevoir qu'un tel droit fasse partie du droit
positif.
Toutefois, ce droit de révolte, compris comme droit d'exil, reste peu efficace. Toute
révolte aspire au changement. Or, ce n'est pas en s'éloignant de l'injustice qu'on la fait
disparaître. Il nous faut donc penser un autre droit de révolte qui soit non violent mais pourtant
qui soit de quelque efficacité pour changer un état de fait.
On peut voir dans la liberté d'opinion et d'expression un tel droit. Par cette liberté
d'opinion l'homme peut faire part de son désaccord avec une décision de justice. Il peut
s'opposer non pas physiquement mais verbalement au pouvoir. La liberté d'opinion est une
forme d'opposition qui ne prend pas la forme de la violence aveugle. De fait, elle est
présente dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 : "Article 19. Tout
individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être
inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de
frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit."
Le droit de révolte est fondamentalement un droit de critique éclairée. Il en résulte que
ce droit de révolte est d'abord le droit des intellectuels. C'est le rôle des intellectuels
d'intervenir dans le débat publique pour critiquer le pouvoir en faisant usage de leur savoir.
C'est ce que montre Kant dans son opuscule Qu'est-ce que les Lumières ? Les Lumières sont
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précisément la sortie de l'état de dépendance dans lequel se trouve le peuple lorsqu'il se sert de
sa raison pour éclairer et donc critiquer le pouvoir qui le gouverne. Ce travail est l'oeuvre
exclusive des intellectuels.
Mais si le droit à la révolte est avant tout le droit des intellectuels, n'est-ce pas faire de ce
droit à la révolte un droit élitiste, voire un privilège ? Or, par définition, un privilège,
avantage réservé àcertains, est le contraire d'un droit, ouvert à tous. N'y a-t-il pas une autre
forme de droit à la révolte qui soit moins élitiste qu'un droit à la critique ?
La désobéissance civile peut être définie comme un refus délibéré, public,
d'obéissance à une loi jugée inique, dans le but d'amener le pouvoir politique à agir en vue
de son abrogation. C'est un acte public, qui se distingue de la délinquance ordinaire en ce
que l'acte illicite est revendiqué comme tel. En cela, la désobéissance civile ne relève pas
précisément d'une stratégie de rupture : l'acteur de cette forme de résistance ne cherche pas à se
soustraire à la sanction, qu'il va jusqu'à réclamer, en un acte d'allégeance aux fondements de la
démocratie.
Indépendamment de ses motivations, la désobéissance civile peut être considérée comme
une provocation éthique. Le discours qui la sous-tend consiste à remettre en question la
validité éthique d'une législation jugée " scélérate " et à articuler sa désobéissance sur une
objection de conscience : on fait appel, selon les cas, à un dilemme de conscience, à un
impératif catégorique ou l'on relève les contradictions entre la législation enfreinte et une
législation supérieure : constitution, droits de l'homme, droit international etc.
-Exemple du mouvement pacifiste et antinucléaire des années quatre-vingts : résistance
non-violente tels que l'occupation de terrains militaires (Le camp militaire du Larzac, par
exemple), le refus de payer une part des impôts, l'objection de conscience ou la désertion
politique.
Alors que le délinquant cherche à s'extraire du champ légal en échappant aux
conséquences juridiques de l'infraction, la désobéissance civile réclame, au contraire, le
châtiment dans un geste paradoxal de reconnaissance de la légitimité du pouvoir. Nous
sommes ici loin des rebellions individuelles : la revendication publique de l'acte, la mise à
disposition des autorités sont des composantes essentielles du caractère "civil" de cette
désobéissance. Il y a donc un terrain commun, la reconnaissance commune de la légitimité du
pouvoir, qui rend possible le maintien d'un dialogue entre le citoyen critique et l'Etat qui, tout
en étant contraint de sévir (sous peine de perdre son autorité légitime), se voit amené à
réexaminer les fondements de la législation critiquée.
L'acte de désobéissance qui plus est, comme la plupart des actions non-violentes, est une
théâtralisation médiatique du conflit qui prend à partie l'opinion publique. C'est moins
dans le rapport de force entre les objecteurs et le pouvoir que dans l'espace médiatique et public
de discussion que se joue l'issue du conflit. D'avance, le désobéissant se met hors jeu, en
acceptant la sanction pénale, et renvoie la balle à l'opinion publique qui se voit contrainte
de prendre position. Ce qui était rendu licite dans le cadre institutionnel se voit remis en
question dans cet espace public que le politique, en démocratie, ne peut ignorer. Dès lors, les
citoyens ne peuvent simplement s'en remettre aux élus et se voient amenés à réévaluer, de
manière critique, la législation contestée. Le but des objecteurs est atteint : provoquer le débat
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public. Le but n'est pas d'échapper à la loi, mais de contraindre le corps social à débattre à
nouveau de ce qui avait été décidé trop précipitamment.
Dès lors, la désobéissance civile ne peut reposer uniquement sur la moralité de ses
mobiles. Elle doit démontrer de manière argumentée que la loi critiquée enfreint les bases
constitutionnelles ou éthiques de l'Etat lui-même et que cette désobéissance n'est, en fait, que
l'obéissance à une législation supérieure, ou à une règle éthique que même l'Etat ne peut - sous
peine de remettre en cause sa légitimité - enfreindre.
La démocratie ne se résume pas seulement au droit de choisir ses représentants au sein
du législatif et de l'exécutif, elle suppose en effet que soit laissé ouvert un espace autonome
de discussion et de critique. D'où une exigence formulée par Habermas et Balibar, à propos de
la désobéissance civile : qu'elle puisse être fondée en raison. Cette exigence maintient en fait
la possibilité d'une négociation sur une base autre que celle d'un rapport de force, elle permet la
discussion, par les acteurs sociaux, de la législation contestée sur une base qui puisse être
partagée par l'ensemble des citoyens.
Cette exigence de rationalité commune semble exclure du bénéfice de la légitimité les
objections de conscience pour des motifs irrationnels. Comment pourrait-on fonder en raison
un refus qui s’appuierait sur une conviction intime indémontrable et se référerait - pour juger la
loi humaine - à un ordre divin qui ne saurait prétendre, de fait, à l'universalité au sein d'une
société pluraliste ? L'objection religieuse est-elle condamnée pour autant à rester dans
l'illégitimité ?
Dans la pratique discursive, une loi ne pourra être contestée qu'en raison et qu'aux
arguments de conscience intime devra s'ajouter des arguments admissibles, ou du moins
pouvant être discutés, par tout un chacun, quelles que soient ses convictions. La
désobéissance civile se différencie donc de l'objection individuelle de conscience, même si
elle peut se conjuguer avec une telle attitude. Certes, dans la pratique, le droit légal à l'objection
de conscience n'a été acquis qu'au terme d'actions de désobéissance civile, mais cette dernière
ne répond pas aux besoins d'apaisement d'une conscience subjective, elle est un acte
politique qui interpelle l'ensemble de la communauté. Et cette interpellation n'est possible
que si un référent commun peut fonder l'argumentation critique.
On distinguera la désobéissance civile des autres formes de résistance illégale qui
peuvent survenir dans le cas où le pouvoir perdrait sa légitimité, en violant gravement la
constitution, les engagements internationaux, le droit international ou les droits humains. Notre
analyse de la désobéissance civile s'inscrit dans le cadre de l'Etat de droit (n’est pas discuté
ici le problème de la légitimité d’une révolution – au sens marxiste du terme – qui sort du cadre
de la désobéissance civile). Face à une dictature, la question des limites éthiques de l'action
civique s'efface devant celle de la possibilité même d'une résistance : le choix éthique se
restreint ici entre celui d'une résistance illégale, mais légitime, et celui de la collaboration, fûtelle passive. La désobéissance civile est une forme d'opposition "extra-légale", acceptable
dans le cadre d'un Etat de droit, précisément en ce qu'elle se réfère aux fondements
métajuridiques du droit - droit naturel, droits humains, raison historique - et qu'elle réaffirme la
légitimité de l'Etat de droit, en reconnaissant la légitimité de la sanction.
Ainsi on peut résumer les conditions éthiques d'une désobéissance civile acceptable en
démocratie :
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1. Les motivations doivent prétendre à l'universalité ou du moins se référer à des
valeurs universalisables.
2. Pour cela, elles doivent être argumentées en raison, et répondre aux critères
d'universalité, c'est- à - dire que non seulement la loi critiquée doit être contestable en raison
mais que les conséquences de son abolition doivent répondre aux critères d'universalité exigés
de toute norme éthique : les conséquences doivent pouvoir être librement supportées par
l'ensemble de la communauté.
3. Le citoyen engagé dans un acte de désobéissance civile doit, dans le cadre d'un Etat
de droit, assumer les conséquences judiciaires de son acte.
Soulignons, enfin, que la possibilité d'une critique éclairée du pouvoir repose sur
l'accès à l'éducation (lire, à ce sujet, l’excellent livre de P.Canivez, Eduquer le citoyen). C'est
l'éducation qui a pour but de former l'esprit critique et le discernement (rôle fondamental, à cet
égard, de l'enseignement philosophique). C'est là un droit qui peut tout à fait être mis en place
dans le droit positif lui-même sans être élitiste. L'éducation est ce qui rendra le peuple
vigilant et sensible à l'injustice. Sans éducation, un peuple peut servir un tyran sans même se
rendre compte de son sort. Mais sans éducation, un peuple peut tout aussi bien sombrer dans la
guerre civile et dans la violence sans même y réfléchir.
Conclusion :
Il apparaît qu’il y a bel et bien un droit à la révolte, sous la forme notamment de la
désobéissance civile et, plus largement, de la libre critique. Le droit à la révolte est ainsi
constitutif de l'esprit démocratique, il incarne une vertu civique par excellence définissant des
garde-fous au pouvoir et obligeant ce dernier à travailler sans arrêt dans l'horizon du droit et de
l'universel. Ce droit à la révolte participe alors du droit à l'éducation. C'est par l'éducation
laïque à la liberté, en effet, que l'homme se rend capable de reconnaître et de refuser l'injustice,
sans pour autant n'avoir que la violence pour répondre à cette injustice. Le droit à la révolte est
un droit naturel de l'homme puisqu'il apparaît dans la déclaration des droits de l'homme.
Mais il peut aussi prendre facilement corps dans le droit positif sans exposer la société aux
tourments de la sédition. Dans cette perspective, si la désobéissance civile est une forme
légitime de révolte, elle reste exceptionnelle, faute de quoi c’est à nouveau le règne de la
violence et de l’arbitraire qui prévaut. La désobéissance légitime se justifie toujours par l’espoir
d’un retour prochain du droit, de la loi, de la justice, c’est-à-dire d’un ordre incontestable
substituant à la violence la force de la raison et de l’universel.
CONCLUSION GENERALE
La morale, le droit et la politique ne doivent être ni confondus, ni séparés. Il est dangereux
de donner à l’une de ces dimensions une position souveraine, en inféodant à celle-ci les deux
autres. Mettre au pouvoir la morale, et lui soumettre le droit et la politique, condit à instaurer un
ordre moral intolérant contraire à la pluralité des convictions. Mais lorsque les défenseurs d’une
politique s’autorisent à ignorer le droit et la morale, ou à en faire de simples instruments, ils
font règner une violence sans bornes. Le droit apparaît alors comme le recours dans tous les
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conflits privés et publics. Mais le droit lui-même résulte de choix moraux et politiques : c’est en
effet le pouvoir mis en place dans une société qui établit les règles du droit, en fonction des
valeurs dans lesquelles cette société se reconnaît et des problèmes qu’elle doit affronter. Les
hommes ont donc besoin de la morale, du droit et de la politique, avec leurs différences, leurs
tensions et leurs interactions, pour guider leurs actions au sein des sociétés.
La justice est une valeur et une exigence. Le souhaitable serait évidemment que lois et
justice allassent dans le même sens. Lourde responsabilité, dans nos démocraties, pour le
pouvoir législatif. Mais Aristote a montré que la justice ne saurait être tout entière contenue
dans les dispositions nécessairement générales d’une législation, de sorte que c’est se
méprendre que de rêver d ‘une législation absolument juste. La justice est bel et bien l’équité, égalité de droit, malgré les inégalités de fait et même, souvent, malgré celles qui naîtraient
d’une trop mécanique et intransigeante application de la loi. S’il faut résister en permanence à
l’injustice que chacun porte en soi, le combat pour la justice n’aura pas de fin.
SUJETS DE DISSERTATION
1) Nature du droit
- Le droit n’est- il que l’expression d’un rapport de force ?
- Est-ce au peuple qu’il appartient de faire les lois ?
- Pourquoi écrit-on les lois ?
- Dans quel but les hommes se donne-t-il des lois ?
- A qui reconnaît-on des droits : à l’individu ou au citoyen ?
- Le droit a-t-il pour fin d’abolir la violence ?
- Est-ce la même chose de faire respecter la loi par la force que de fonder le droit sur la
force?
- Le droit peut-il échapper à l’histoire ?
- Une société sans droit est-elle concevable ?
- Quel sens donner au mot droit dans l’expression : “J’ai le droit de...” ?
- La nature a-t-elle des droits ?
- Le mot “loi” a-t-il le même sens selon qu’on parle des lois de la cité ou des lois de la
nature?
- Pourquoi obéir aux lois ?
- Qu’est-ce que la force du droit ?
2) Droit et morale
- Ce qui est légal est-il nécessairement légitime ?
- Quand on se borne à exercer son droit, est-on pour autant en règle avec sa conscience ?
- La loi dit-elle ce qui est juste ?
- La loi n’est-elle juste que lorsqu’elle est justement appliquée ?
- Revendiquer ses droits, est-ce la même chose que défendre ses intérêts ?
- Pourquoi obéir aux lois ?
- Faut-il parfois désobéir aux lois ?
- La révolte peut-elle être un droit ?
- Peut-on en appeler à la conscience contre la loi ?
- Un citoyen peut-il se prévaloir d’un droit de résistance ?
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- Pourquoi l’union du droit et de la force dans l’Etat pose-t-elle un problème ?
- Le droit peut-il garantir le liberté ?
- Comment décider qu’un acte est juste ?
- Les hommes peuvent-ils avoir des droits sans avoir des devoirs ?
3) Droit et liberté
- Obéir aux lois, est-ce être libre ?
- Avons-nous le droit de discuter le droit ?
4) Les droits de l’homme
- Quel est “l’homme” des droits de l’homme ?
- Peut-on concevoir les droits de l’homme indépendamment des droits des citoyens ?
- En quel sens peut-on parler des droits de l’homme ?
- On parle des droits de l’homme. Cette notion a-t-elle un fondement philosophique ?
- Pour quelle raison faut-il affirmer les droits de l’homme ?
- Les droits de l’homme : évidence ou problème ?
- Affirmer des droits de l’homme universels, est-ce méconnaître la diversité des cultures ?
- Le droit à la différence est-il sans limite ?
- Peut-on subordonner les Droits de l’homme à la raison d’Etat ?
DEFINITIONS A CONNAITRE
- Le droit :
- Etymologie : latin directus, qui est en ligne droite.
- Un droit (avoir un droit) : usage objectif du droit défini comme ce qui est permis par
une règle, par les lois en vigueur ; pouvoir qui résulte de la volonté du législateur (= droit
positif, c’est-à-dire réel, qui définit la sphère de la légalité). Ce droit peut être coutumier
ou écrit (ensemble des lois : on distingue le droit privé (civil et commercial) du droit
public (droit pénal, administratif et constitutionnel). Pour être réel, il doit s’appuyer sur
une autorité chargée de le faire respecter. Ce droit est relatif à la législation d’un pays
considéré et peut être très différent d’un pays à l’autre.
Le droit objectif peut se trouver en désaccord avec une revendication subjective. Si ce
désaccord est marginal et seulement le fait de quelques individus, il est sans conséquence.
Mais si ce désaccord est massif et que le sentiment général va contre le droit positif, alors
la légalité est remise en cause au nom d’une légitimité.
- Le droit (avoir le droit) : le légitime, ce qui est conforme aux exigences de la morale,
par opposition au fait, au réel; l’ensemble des droits régissant les rapports des hommes
entre eux. Il s’agit d’un usage subjectif du droit entendu comme pouvoir moral de
posséder, de faire ou d’exiger quelque chose conformément à une règle ou à ce qui est
permis. Le fondement de cet usage repose sur le sentiment de ce qui est juste pour soi.
- Le droit naturel : ensemble de règles considérées comme appartenant à l’homme du
fait de la nature ou de l’essence de celui-ci (ou de la nature en général), et ce
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indépendamment de toute législation, de tout droit positif. Droit dont aucune autorité
politique, aucune loi ne peut priver l’homme (ex : les droits de l’homme).
- Le droit positif : ensemble de règles (lois, coutumes, usages) données et existant
réellement dans une société; droit existant à un moment donné, tel qu’il a été établi par les
autorités compétentes.
- Droits de l’homme : droits fondamentaux et inaliénables qui appartiennent à tout
homme du fait même qu’il est homme : égalité devant la loi, liberté de conscience, liberté
d’expression, droit à la propriété, etc.
- Egalité civile : principe selon lequel tous les citoyens ont, l’égard des lois, les mêmes
droits et les mêmes obligations.
- Equité : chez Aristote, forme de justice qu cherche à adapter la loi, dont la lettre est
nécessairement générale, aux cas particuliers qui peuvent se rencontrer et que la loi n’a
pas prévus. Elle s’efforce de traiter chacun, avec souplesse, sur un pied d’égalité.
- Etat de nature : fiction théorique d’un état préliminaire à la réunion des hommes en
société civile. Dans l’état de nature tel que le décrit Rousseau, les hommes sont à la fois
libres et égaux ; solitaires et pacifiques, ils ne se dirigent que d’après leurs sentiments
(l’amour de soi, la pitié).
- La justice :
- Etymologie : justicia, conformité avec le droit, sentiment d’équité.
- En tant que notion, la justice est d’abord la norme du droit, la notion de ce qui est dû.
- La justice est aussi une vertu par laquelle on respecte les droits des personnes en tant
qu’elles sont considérées comme égales.
- Ensemble des institutions publiques et des personnes ayant pour fonction officielle
d’appliquer les lois et le droit (pouvoir judiciaire).
- La justice commutative : celle qui règle les rapports entre personnes privées de façon
que les échanges s’accomplissent selon une loi d’égalité arithmétique (égalité de
proportion quant aux choses échangées).
- La justice distributive : celle qui concerne les rapports de la société avec ses membres
et assure une répartition des biens et des charges publics proportionnelle aux mérites et
capacités de chacun, y compris celle des récompenses et des échanges.
- Légal / légitime : est légal tout acte qui est conforme aux lois établies, au droit positif.
Est légitime ce qui est conforme à l’équité, aux principes naturels du droit. Légitimité et
légalité ne vont pas nécessairement de pair : une loi est légale sans pour autant être
nécessairement légitime (exemple des lois despotiques ou racistes).
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
LECTURES CONSEILLEES
-Aristote, Ethique à Nicomaque, Garnier-Flammarion
-Rousseau, Du contrat social, Gallimard
-Hobbes, Léviathan, Sirey
-Léo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion
-Luc Ferry, Philosophie politique, 1 et 3, PUF
-Platon, La république, Garnier-Flammarion
-John Rawls, Théorie de la justice, Seuil
-Jean Imbert, La peine de mort, PUF, collection Que sais-je ?
-La peine de mort dans le monde, quand l’Etat assassine, Amnesty international, 1989
-Frédéric-Jérôme Pansier, La peine et le droit, PUF, collection Que sais-je ?
Sur les droits de l'homme :
-P. Canivez, Eduquer le citoyen ? , Hatier, coll. Optiques (chap. 4 “L’éducation du
jugement: le droit et les droits de l’homme”).
-L. Ferry et A. Renaut, Philosophie politique, T III, Des droits de l’homme à l’idée
républicaine, PUF.
-Blandine Barret-Kriegel, Les droits de l’homme et le droit naturel, PUF
-Les constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion.
-La déclaration universelle des droits de l’homme, Gallimard, coll. Folio.
-B. Binoche, Critiques des droits de l’homme, PUF, coll. Philosophies.
-L. Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, coll. Champs.
-K. Marx, La question juive, 10/18.
-H. Arendt : Essai sur la révolution, Gallimard, coll. Tel (chap. 4 “Première fondation :
constitutio libertatis” et chap. 5 “Deuxième fondation : novus ordo saeclorum”).
EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE
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Qu'est-ce que la politique ?
Que recouvre le terme de "morale" ?
En quoi la morale a-t-elle une dimension politique ?
Que veut dire la formule " la fin justifie les moyens " ?
Qu'est-ce qui distingue le droit de la morale ?
Qu’est-ce que le positivisme juridique ?
Valeur et limites du positivisme juridique.
Quels sont les différents critères du Juste ?
Distinguez : justices distributive, commutative, corrective
Définir la notion de droit de l’homme
Quelle est la fonction des droits de l’homme ?
Expliquer : droits civils et politiques, droits sociaux
Lycée franco-mexicain
Cours Olivier Verdun
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A quelles conceptions de l’Etat ces droits renvoient-ils ?
La distinction entre droits civils et politiques, droits sociaux est-elle pertinente ?
Exposez les principales critiques des droits de l’homme
Le droit transforme-t-il la nature de la violence ?
Quelles sont les caractéristiques de la sanction pénale ?
Qu’est-ce qui distingue vengeance et punition ?
Qu’est-ce qui justifierait le droit de désobéir à la loi ?
Qu’est-ce que la désobéissance civile ?