Alexandra Ionascu Les principes de la bonne

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Alexandra Ionascu Les principes de la bonne
Alexandra Ionascu
Les principes de la bonne comparaison dans la vision de G. Sartori
Volumele Civitas99Alumni, vol. V, noiembrie-decembrie 2005
« L’analyse comparative est devenue inconstante avec ses objectifs »i. L’affirmation de Sartori
annonce l’angle de son article : la politique comparée est en crise car les études de ce domaine sont
construites d’une mauvaise façon. En se demandant sur les manières dans lesquelles se construisent
« les bonnes » approches comparatives, Giovanni Sartori part de trois grandes questions qui portent
sur l’objet du domaine de la politique comparée : Pourquoi comparer? Qu’est-ce que c’est
comparable? Et Comment comparer? Cette triade épuiserait le noyau dur de l’analyse théorique du
domaine de la politique comparée conçue en tant que discipline qui se différencie par rapport aux
autres par sa méthode. Pour l’auteur, la politiqué comparée est dans une situation critique suite à
l’absence des l’application des exigences logiques et linguistiques au niveau de la construction des
recherches, ce qui empêche que la politique comparée atteint le rôle qu’elle seule s’est fixée – le
contrôle des généralisations.
Dans ce qui suit, nous nous proposons de construire notre démarche en deux grandes
parties : premièrement, nous allons suivre les lignes de l’argumentation de Sartori selon les axes de
questionnement qu’il utilise dans son étude. Dans la deuxième partie de notre présentation nous
essayerons de mettre en évidence les délimitations du domaine (telles qu’elles sont conçues par
Sartori), ainsi que les tensions qui existent entre les différentes parties du texte dans la construction
d’une méthode unitaire d’application pour toutes les recherches.
I. La politique comparée – un domaine qui s’identifie par sa méthode
A.
Le triptyque de toute analyse en politique comparée. Pour Sartori, la spécificité du
domaine de la politique comparée est donnée par sa méthode, une méthode assumée au niveau des
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études menées. Afin de construire une discussion sur le domaine de la démarche comparative, il
propose trois grandes questions. La première d’entre elles porte sur les objectifs du domaine :
« Pourquoi comparer? » Pour Sartori, le rôle de l’analyse comparative est celui de contrôler si les
généralisations du domaine restent ou pas valables. En considérant une différence de nature entre les
études statistiques et empiriques et la méthode comparative en soi, Sartori soutient que la méthode
comparative, même si elle n’est pas le contrôleur le plus puissant, comme c’est le cas des analyses
empiriques ou statistiques, donne la possibilité de fournir des solutions à des cas que ceux-ci ne
peuvent pas contrôler où il y a, comme dit Lijpphart ii, beaucoup de variables et peu de cas.
Par la suite, la méthode comparative a des objectifs clairs et très importants pour la science
politique, mais où peut elle s’appliquer? Qu’est-ce que c’est comparable? Ou, comme l’affirme Sartori,
la question est plutôt « Comparable par rapport à quelles autres propriétés ou caractéristiques? »iii
Pour l’auteur, comparer signifie « assimiler et différentier par rapport à un critère »iv et pour pouvoir
construire une recherche valide, la méthode comparative employée devrait répondre aux exigences
d’ordre logique en faisant notamment appel aux notions de genus et de differentiam. Ainsi, pour Sartori
« bien comparer » signifie l’application des principes logiques qui requièrent une construction des
classes complémentaires et exclusives, qui se fondent sur des principes de similarités. La délimitation
des classes se construit sur un principe de différence. Alors, nous pouvons comparer selon des
différentes propriétés, selon des attributs communs qui correspondent aux entités que nous voulons
analyser.
Sans comprendre ces principes de la logique formelle élémentaire, nous ne pouvons pas bien
comparer, car les problèmes du domaine comparatif sont apparus par le fait d’avoir ignoré ces
principes. Afin de montrer comment l’erreur est apparue dans les théories comparatives actuelles,
Sartori introduit un concept qui a fait carrière « le chat-chien ». Pour lui, ce conceptv devient illustratif
pour les erreurs d’ordre logique qui apparaissent au niveau des recherches scientifiques à la suite
d’une mauvaise construction de l’étude. Alors, ce qui intéresse Sartori dans ce point est : Comment
est-il possible que de tels concepts contradictoires et sans valeur scientifique prennent naissance?
L’auteur va donc identifier quatre causes distinctes qui reposent, selon lui, sur une mauvaise
application des concepts de différence et de genus, pour montrer donc quels sont les ressorts du
désordre tératologique dans les études comparatives : le localisme, une mauvaise classification, le
gradualisme et l’élasticité conceptuelle. Le localisme signale la tendance des chercheurs d’ignorer les
catégories classiques et les concepts consacrés en utilisant une terminologie définie autrement (en
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faisant ainsi aussi une confusion entre le niveau noétique et le niveau linguistique). Le deuxième type
d’erreur consiste à une mauvaise classification en pseudo classes, ainsi le critère unique appliqué à la
classification n’est pas bien choisi et on assiste à la construction des classes très hétéroclites qui ne
peuvent pas être correctement analysées. Le troisième type d’erreur vient du grad ualisme, qui
implique selon Sartori le fait que les différences de genre sont perçues en tant que différences de
degré et qu’on favorise la représentation conceptuelle continuelle et non pas dichotomique. Enfin, le
dernier type d’erreur vise l’élasticité conceptuelle qui implique une définition des concepts qui les réduit
à une série de notes conceptuelles (attributs) qui ne l’identifie pas et qui font qu’on ait une très grande
souplesse du concept.
La dernière grande question de l’étude de Sartori porte sur la méthode. Alors « Comment
comparer? » Devant la complexité du phénomène social, Sartori propose une énumération de ce que
le chercheur doit analyser : identifier et classer les trois types de variables - indépendantes,
dépendantes et intervenantes et établir clairement ce qu’il utilisent comme principe de ceteris paribus
(principe d’invariation de certains paramètres) et les variables opératoires. En outre, les chercheurs
doivent choisir la stratégie de la recherche en choisissant une des deux stratégies existantes : du
système le plus similaire ou du système le plus différent.
Avant de conclure la présentation des principes généraux qui procèdent à la construction des
bonnes théories dans la perspective comparative, Sartori se pose une dernière questio n : « Quelles
sont les exceptions qui peuvent infirmer la règle établie par les généralisations empiriques? »v i En fait,
Sartori délimite clairement le pouvoir de modification des exceptions. Tout d’abord, il précise qu’il ne
s’agit pas d’une loi ayant un caractère déterminé et que les généralisations désignent plutôt des lignes
de tendance; pourtant, à l’égard des exceptions il existe deux attitudes théoriques possibles.
Dans le cas d’une démarche hypothético-déductive, on peut considérer d’une part les
conditions du départ comme des conditions nécessaires et non pas suffisantes et, de cette manière,
nous pouvons délimiter la sphère de l’application de la théorie, ou on peut additionner un affinement
des hypothèses par l’introduction d’une condition de nécessité ultime. Sartori va opter pour la stratégie
de l’évacuation des exceptions sur la base des raisons ad hoc, en prélevant la méthode poppérienne
la manière de construction des conjectures sur la base d’un critère de falsification (Sartori par ailleurs
est un critique de la théorie épistémologique de Popper).
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B. La remise en question de l’approche comparative et les réponses de Sartori. A part les
possibles erreurs qui peuvent surgir à cause de la non application des principes logiques dans
l’élaboration des recherches, la démarche comparative comprend aussi des tensions intrinsèques à
l’approche, qui ont été soulevées par les comparatistes. Afin de conclure sa démarche, Sartori va offrir
sa solution par rapport aux difficultés théoriques qu’on a reproché à ce domaine – il s’agit de la
question de l’incommensurabilité des concepts et celle du rapport entre l’individualisation et la
généralisation.
L’idée de l’incommensurabilité des concepts, l’impossibilité d’avoir des concepts universels
ayant le même sens et la même utilisation indépendamment du contexte et de l’espace culturel dans le
cadre duquel on les emploie, ont engendré une question théorique portant sur la possibilité même
d’une telle approche. Par la suite, Sartori donne une réponse à la question : la recherche comparative
est-elle réellement possible?
L’idée de l’incommensurabilité des concepts soutient que les concepts sont contextuels. De
plus, la distinction consacrée entre sciences idéographiques qui expliquent les phénomènes par le
biais du contexte et les sciences nomothétiques qui se forgent dans les sciences exactes qui portent
sur les lois indépendantes du système dans lequel elles sont conçuesvii va consolider cette conception.
Ainsi, tandis que les sciences exactes peuvent épistémologiquement se constituer sur le modèle de
lois scientifiques, des généralisations, dans le domaine des sciences humaines cette approche ne
serait pas épistémologiquement soutenable.
Pour Sartori une telle position n’est pourtant pas judicieuse. En fait, il argumente que cette
approche contextuelle nous pouvons la retrouver dans les études de cas. Pour l’auteur, les études de
cas, surtout celles heuristiques qui ont une très grande importance dans la découverte des nouvelles
hypothèses, sont en fait celles qui traitent les phénomènes sociaux de cette perspective approfondie
du contexte. A l’opposée, la démarche comparative, même si elle sacrifie de la part de la
compréhension et le contexte, elle a le but de contrôler la généralisation. Sartori reconnaît pourtant
que le comparatiste est plutôt limité dans son étude par le fait qu’il doit utiliser les données fournies par
un spécialiste d’un pays.
La question qui surgit sur ce point est donc la suivante : si nous pouvons affirmer qu’il existe
deux approches: une approche qui porte sur le contexte et l'autre comparative, est-ce que la vérité leur
échappe? Est-ce que nous arrivons en fait à des démi-vérités scientifiques? Sartori va rejeter une telle
approche en soutenant que l’application d’une bonne méthode de la recherche permet qu’on évite de
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tels difficultés et il invoque deux éléments : l’existence des sous catégories explicatives et un affinage
à l’argument causal avec une interprétation du contexte.
Une telle position est pourtant tout à fait contraire à la position de Verba qui rejette tout essai
de convergence entre les deux démarches. L'approfondissement de la démarche comparative par
l'addition des données de configuration et du contexte, amènerait, dit Verba, à un « étouffement de la
politique comparée »viii. Le brouillage des frontières entre les deux démarches donc mélangerait
l’individuel et le général sans aboutir à un aucune finalité valable.
Pourtant Sartori montre que ce n’est pas cette imbrication méthodologique qui a fait qu’il n’y
existe pas de lois générales. Malgré le fait d'ignorer le contexte, la politique comparée n’est pas
arrivée à fournir des lois. Par la suite Sartori, propose une nouvelle méthodologie pour les études
comparées qui combinerait les avantages des études de cas et des études comparatives. Il s’agit en
fait d’un enrichissement de l’approche comparative par une démarche qui réunit et, dit Sartori, résout
le problème de l’individuel et du général, de l’universel et du particulier. Il propose d’organiser les
catégories sur une échelle d’abstraction construite sur une règle de transformation (agrégation en
remontant spécification en descendant), en partant de son propre observation que la connotation et la
dénotation des concepts sont inversement corrélés.
Pour Sartori l’enquête comparative est décevante. Il va compter auprès les problèmes cidessous mentionnés encore l’idée de l’absence d’une dimension de la discipline qui porte sur les
principes épistémologiques en fixant les principes logiques, la méthodologie, ainsi que les principes
linguistiques, et cette absence marque en fait l’impossibilité de la discipline de se définir. En absence
d’une méthode bien établie, la comparaison ne peut pas fonctionner et ne peut pas constituer et
accomplir ses objectifs de contrôle.
II. Les tensions sous-jacentes et les débats possibles
Le texte de Sartori représente en fait une remise en cause des résultats de la politique
comparée à cause d’une mauvaise application et compréhension de la démarche comparative. Le
texte va donc reprendre les grands principes de base énoncés dans les débats portant sur la politique
comparée en reproduisant, avec des différences, les grands problèmes du domaine. Ainsi en
reprenant la logique illustrative de l’article de Lijphartix portant sur la politique comparée et les exploits
de L.Kalleberg dans le besoin de classification en politique comparée, Sartori va rouvrir le débat
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portant sur les développement du domaine. En ce qui concerne sa propre position, il existe trois
grands éléments qui lui appartiennent : la distinction entre la comparaison explicite et celle implicite, la
théorie portant sur la construction des concepts et la proposition portant sur une possible solution au
problème entre l’individuel et le général.
Nous proposons de regarder de plus près la position de Sartori par rapport au domaine de la
politique comparée en deux temps. Dans un premier temps, nous analyserons comment de la
présentation des principes de la méthode en politique comparée (surtout dans la première partie du
texte) résulte une image très limitée du domaine d’application. Dans notre deuxième sous-partie nous
essayerons de voir quelles sont les tensions épistémologiques entre la théorie du concept envisagée
par Sartori afin de résoudre la tension entre l’individuel et le général et les stratégies identifiées pour
éviter des erreurs dans la recherche comparée.
A.
La politique comparée : une science à portée limitée. Pour Sartori la politique comparée
est considérée comme un domaine qui se définit par sa méthode et qui a comme but le contrôle des
généralisations. La méthode comparative est conçue par Sartori comme différente per essentiam des
autres méthodes telles que la méthode statistique et non seulement, comme l’envisage Lijphart,
comme différence qui tient du nombre des cas limités disponibles pour l’analysex . Alors quelle est la
sphère d’application de la politique comparée? Afin de répondre à cette question, nous devons
regarder les principes logiques que Sartori identifie comme étant à la base du domaine : notamment
en ce qui concerne la question de qu’est-ce qu’il est comparable.
Comme nous avons vu, une des conditions nécessaires afin de construire de bonnes
recherches comparatives est l’existence d’une classification qui doit précéder l’étude empirique
proprement dite. Sans une classification conceptuelle bien construite, on arrive à des concepts tels
que « chat-chien » qui mènent à des recherches absurdes. Conformément à l’auteur, l’erreur la plus
fréquente dans les recherches sociales vient du fait que nous devons comparer des entités
comparable, cela signifiant des entités qui ont une série d’attributs communs. Tout semble clair et
pourtant il existe des questions, car la politique comparée rencontre ses difficultés non pas tellement
dans l’acceptation des contraintes logiques qui s’appliquent dans toute discipline, mais dans
l’application de ces contraintes et principes aux concepts et aux analyses complexes.
Revenons à l’idée que ce qu’il est comparable doit présenter des attributs communs dans des
différents degrés. Le problème d’un tel principe logique est d’une part qu’il suppose une omniscience
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du comparatiste par rapport aux entités à comparer (ce qui exclut la comparaison des cas sur lesquels
on n’a pas une connaissance approfondie préalable) et d’autre part, car il suppose indirectement
l’élimination des grandes surprises mais aussi des grandes découvertes de la recherche.
En fait, le problème de la présentation de Sartori est qu’il considère, seulement dans la
première partie du texte, la politique comparée plutôt comme une science nomothétique, une science
qui cherche les lois générales en dehors de tout contexte. Afin de pouvoir faire cela on a bien sûr
besoin que les cas analysés soient comparables et donc d’avoir explicitement des attributs communs.
Sartori présente cette nécessite non pas en terme de possibilité, mais en terme de réalité, ce qui
demande donc une recherche préalable de la part de chercheur. Autrement dit, pour l’auteur les
notions sont comparables en tant que caractéristiques intrinsèques de l’objet et non pas comme le
résultat du jugement du chercheurx i. De la sorte et paradoxalement, le but de la politique comparée
devient en ce moment un but strictement de quantifier ce qu’on sait déjà, une simple vérification –ce
que nous savons comme d’existant pour chaque cas est-il généralisable pour l’ensemble? - Ce qui
premièrement, n’est pas toujours possible et deuxièmement, réduit considérablement la portée de la
politique comparée.
Paradoxalement, en suivant le principe de classification tel qu’il est décrit par Sartori dans son
texte, il arrive à la position de Lijphart qui la rejette au début de son texte, conformément à laquelle, la
méthode comparative ressemble à la méthode statistique à une seule exception – elle analyse les cas
où le nombre des variables est trop petit pour construire des corrélations.
Par la suite, malgré l’annonce conformément à laquelle il considère la portée de la politique
comparée plus grande, Sartori limite l’approche, par le biais de l’idée de la nécessité des propriétés
bien identifiées et semblables dans un certain degré. Nous devons préciser le fait que Sartori
reconnaît la possibilité de la comparaison par différence, mais cet aspect là reste suffisamment
ambigu et peu développé dans l’économie générale de son texte. De toute façon, soit qu’il s’agit d’une
comparaison par différence, soit qu’il s’agit d’une comparaison par similarité, dans les deux cas la
possibilité de classification est préexistante et l’étude en soi ne fait que de vérifier et de contrôler la
généralité, en les quantifiant. Dans cette manière d’envisager la politique comparée, il est vrai qu’elle
arriverait à des assertions générales valides, mais elle n’aurait pas un très grand rôle dans la
production du nouveau. Nous considérons donc que Sartori réduit la portée de la politique comparée à
un simple quantificateur qui n’a même pas le droit d’établir son unité de mesure et qui s’utilise dans
des cas exceptionnelsxii.
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Un des problèmes soulevés dans les dernières années dans la politique comparée est le fait que
les Etats qui ont été jusqu’à présent utilisés en tant qu’unités d’analyse supportent eux aussi des
dynamiques internesxiii, la solution adoptée fut celle d’utiliser autres unités d’analyse que les Etats.
Une solution est d’utiliser la variation temporelle de la manière dans laquelle Lijphart le fait en
analysant les systèmes électoraux xiv , en multipliant le nombre des cas. Nous demandons dans l’esprit
de perpétuation et d’affinement des cas analysés à travers le temps qu’est-ce qu’il va rester de la
méthode comparative si elle consiste seulement dans cette différence énoncée par Sartori ?
B.
Entre l’individuel et le général. Dans quelle mesure la politique comparée est une
science nomothétique. Mais la portée de la politique comparée ne constitue pas le seul problème
que nous rencontrons dans son analyse. En fait, les problèmes que Sartori énumère dans son article
sont des problèmes réels de la politique comparée. On a la tendance d’utiliser des concepts trop
généraux qui perdent la différence spécifique et donc qui restent sans contenu conceptuel, et de plus,
on fait des comparaisons entre des pays différents en les considérant a priori comme étant de la
même catégorie quand il ne le sont pas. Par la suite, nous avons toute sorte de résultats absurdes. Le
problème pourtant n’est pas tellement un d’ordre logique, qu’on a oublié les principes de logique
élémentaire, mais à notre avis il a une double source : (1) la complexité conceptuelle des sciences
humaines et (2) la manière d’envisager la politique comparée comme une science de la généralité
dépourvue de tout contexte. Nous considérons que cette difficulté réside surtout dans le caractère
non-mathématique des sciences sociales. Pourtant, Sartori qui reconnaît surtout la deuxième difficulté
présente sa propre solution, une solution qui va résoudre les problèmes non seulement de la
classification, de l’application des contraintes ci-dessus mentionnées, mais aussi le problème auquel
se confronte toute discipline en sciences sociales : le rapport entre le général et l’individuel.
Nous procédons donc à une analyse de la manière dans laquelle, sur une voie conceptuelle,
Sartori veut résoudre le dilemme qui fonctionne depuis des années dans les sciences sociales, en
montrant en quoi sa méthode comprend une difficulté d’application simultanée des voies pour éviter
les erreurs dans la politique comparée. Face au possible reproche que la politique comparée n’est pas
une science dans le sens des sciences exactes et que c’est en fait le principe de subjectivité qui
permet aux chercheurs de construire des catégories, Sartori choisit de ne pas admettre cette positionx v
relative (même dans son sens faible qui n’implique pas la contextualité des concepts, mais seulement
des perceptions différentes) et il choisit en échange de fournir une méthode d’analyse comparative
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différente qui se forge sur la théorie des concepts.
La solution proposée par Sartori porte sur sa remarque conformément à laquelle la
connotation et la dénotation des concepts sont inversement corrélées. Ainsi le sens du concept (le
nombre des notes conceptuelles= les attributs) est corrélé négativement avec le nombre des cas
auxquels il s’applique. Par la suite, Sartori propose d’organiser les catégories sur une échelle
d’abstraction de haut en bas. Pour traduire, il propose une hiérarchisation des concepts en partant des
concepts les plus abstraits sur une échelle qui permettrait ainsi 1. un langage commun, 2. des
comparaisons valides entre les mêmes niveaux d’abstraction etc.
La démarche proposée par Sartori comprend deux grands types de difficultés, selon la
manière d’apercevoir sa solution. La première grande difficulté consiste dans le fait que l’approche qui
suppose cette hiérarchisation conceptuelle implique la nécessité que nous évitons toute récursivité au
niveau de l’échelle d’abstraction de l’explicitation des concepts. Ainsi si nous allons comprendre la
démarche de l’auteur comme un essai de construire des strates conceptuels, des schémas
universellement applicables pour toute recherche, on se retrouve dans une situation très difficile, car
on doit établir le niveau d’abstraction de chaque concept et d’éviter toute interdépendance
conceptuelle. Une telle position est pourtant sans solution, car on ne peut pas arriver à de telles
hiérarchisations exclusivesx v i.
Pourtant, la solution de Sartori peut être comprise dans un sens plus réduit et avoir des
applications pratiques. Dans cette deuxième interprétation, nous allons nous résumer à considérer sa
méthode comme moyen d’application pour une recherche ciblé e. Dans ce qui suit nous proposons
donc de voir comment sa méthode portant sur la théorie des concepts s’applique au moment où nous
devons éviter trois des principes qui portent selon Sartori à une mauvaise recherche : l’absence d’une
bonne délimitation des concepts (la question de la classification), le gradualisme et l’élasticité
conceptuelle.
Afin de mener une bonne recherche, nous devons tout d’abord bien délimiter les concepts
pour de ne pas arriver à des concepts tels que le « chat-chien ». Par la suite, la solution fut celle de
construire des hiérarchisations, des catégories de généralité. Si nous descendons sur les niveaux
inférieurs, nous pouvons retrouver des sous-catégories qui se caractérisent par plus d’attributs dans
leur sphère conceptuelle. Cet affinement conceptuel aiderait de cette manière à mieux identifier les
cas que nous analysons en décrivant mieux une certaine situation. Le problème qui peut surgir sur ce
point est le fait que cette descente sur une hiérarchisation conceptuelle fait seulement la différence
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entre les sous-catégories du même concept qui est à analyser. D’une certaine façon, en traduisant au
niveau logique, le genus devient le concept de maximum abstraction et les sous catégories deviennent
les espèces. Pourtant cet affinement ne contribue par à l’identification de l’appartenance au genus des
cas analysés et même plus de l’appartenance aux espèces (sous catégories). En d’autres mots, le fait
de choisir des sous catégories descriptives permet une meilleur compréhension du phénomène, mais
au risque que les différences entre les cas analysés produisent des effets de l’élasticité conceptuelle.
On fait ainsi des différences entre les catégories et non pas des différences de degré que par ailleurs
nous ne pouvons pas faire, car Sartori rejette toute idée de conception graduelle des concepts.
Reprenons l’exemple que Sartori cite dans le texte – l’étude de la corruption en Egypte avec
ses particularités. Vu le fait que la corruption est un phénomène endémique dans la région mais qui
présente des spécificités, Sartori propose une redéfinition des l’étude où la catégorie générale serait
l’échange et les sous-catégories – «échanges économiques » et « échanges extra économiques ». Le
problème vient donc du fait que si on reste aux Etats en tant qu’unités d’analyse, on arrive clairement
à une différenciation des Etats au niveau de degré d’application des deux sous-catégories, et donc à
une certaine élasticité conceptuelle. Afin de pouvoir d’expliquer et de comprendre en profondeur la
réalité économique des pays analysés, on applique des concepts qui ne portent pas en totalité sur la
réalité du pays analyséxvii .
Ainsi la seule solution qui nous reste à aborder et d’appliquer la méthode qui nous permet
d’éviter l’élasticité conceptuelle, corroborée avec la première manière de distinguer les concepts. La
solution serait donc de remonter sur les niveaux conceptuels afin d’éviter qu’on arrive à cette élasticité
conceptuelle. On abandonne donc de cette manière une analyse plus approfondie afin de répondre à
la nécessité de conformité entre les cas et le concept employé. Or comme nous pouvons observer,
une telle position est toute à fait opposée à notre démarche initial. On assiste donc à une contradiction
qui s’établit entre les deux principes employés du point de vue de leur application pratique xviii .
Avant de conclure, nous devons préciser encore un aspect. Même si les principes théoriques
de Sartori pourraient s’appliquer sans une contradiction, le problème serait loin d’être résolu. Il est vrai
que la raison pour laquelle nous pouvons construire des théories valides en sciences sociales, malgré
l’incommensurabilité conceptuelle intrinsèque est un processus qui nous permet une réduction des
concepts aux attributs que nous considérons définitoires pour notre étude (il s’agit d’une certaine
réduction du concept sans lequel on ne pourrait pas travailler). Un des problèmes les plus grands de la
politique comparée est justement la manière de choisir ces itemsxix qui recomposés formeraient la
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définition du concept. Cet élément qui porte sur la discussion de l’élasticité conceptuelle, composé
avec l’idée que le localisme, la tendance de fournir les propres définitions des concepts semble donc
fournir des bases bien fondées pour construire un langage scientifique commun.
Pourtant, nous considérons que le constat du fait qu’il n’existe des lois générales en politique
comparée n’est pas une conséquence du fait que la recherche soit mal menée, mais que même si en
ne pas dépassant les bornes fixées par Sartori sur les classification, en sciences humaines nous ne
pouvons pas avoir «des lois générales tout court », mais au plus « des lois générales dans la
perspective de l’approche X »x x . De cette manière, le problème n’est pas seulement un problème
méthodologique, mais aussi un problème épistémologique non résolu. Prenons l’exemple de l’étude de
l’instabilité gouvernementale. Comme il s’agit d’un domaine d’analyse qui prend naissance dans les
années où les analyses institutionnalistes étaient très développées, la plupart des études portent sur
une définition de l’instabilité qui considère les cabinets en tant que structures définies par la
composition politiquex x i. De cette manière, une approche qui porterait sur une analyse des élites
gouvernementale ne pourrait pas reliée à ces approches générales. De cette manière, la démarche de
Huberxxii de définir l’instabilité en terme de « volatilité des portefeuilles », de changement des acteurs
gouvernementaux, représenterait une tendance de localisme, car on n’emploierait pas les termes qui
ont été consacrés par la littérature. Il est vrai, que Huber lui-même pendule entre les concepts il a la
tendance d’utiliser le terme de volatilité et non pas directement le terme instabilité gouvernementale.
Même dans ce registre, selon Sartori, on ne serait pas sur un bon chemin car on perpétuerait la
tendance de multiplication des concepts. Ce qui, d’une certaine manière est vrai. On peut ainsi arriver
à des confusions dans les analyses, mais de l’autre côté une question s’impose : est-ce que nous
devons rester avec les définitions consacrées portant sur une manière structuraliste de penser les
cabinets? Est-ce que nous devons employer seulement les concepts consacrés qui se réclament de
certaines positions ontologiques? Et si la réponse est affirmative, comment pouvons nous avancer
dans les recherches menées?
Conclusions. Au delà de toutes ces observations nous devons reconnaître que l’approche de Sartori
prend en compte, dans sa deuxième partie, l’élément contextuel et il essaie de fournir un exemple de
comment les études comparatives à portée générale peuvent fonctionner et bien se construire. Dans
la lumière de la manière dans laquelle il envisage le travail de comparatiste – en collaboration avec
l’expert national et en utilisant les études de cas, Sartori soutient le propos de sa première partie
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portant sur la classification en montrant une possibilité rationnelle de construction des classifications.
En ce qui concerne son affirmation de départ, celle -ci reste au niveau métaphorique. Les
résultats décevants de la politique comparée sont plutôt un lait motif, car il n’existe pas une discussion
concrète sur cette question. Sartori clarifie beaucoup de problèmes de la science politique, mais en
même temps, il ouvre le champ du débat pour autres tels que : comment comparer sur la base de
données qui sont construites par d’autres spécialistes, comment régler la collaboration proprement dite
entre les chercheurs qui font des études de cas et les chercheurs qui s’occupent de la politique.
G. Sartori, «Bien comparer, mal comparer » Revue Internationale de la Politique Comparée, Vol n°1, Avril 1994, p.19
A. Lijphart, « Comparative Politics and the Comparative Method », American Political Science Review, 65, 1971, p.686
iii G. Sartori, «Bien comparer, mal comparer » …, p. 22
iv Op. Citée, p. 22
v Il s’agit en fait d’un concept contradictoire qui de point de vue de la philosophie du langage a une sphère d’application vide, donc il n'est pas à
prendre en compte et toute énonce qui le contient devient une énonce sinnloss une énonce dont c’est impossible d’associer une valeur de vérité
(Voir R. Carnap, Vechea si noua logica, ed. Paideia, Bucuresti, 2001, p.16)
vi G. Sartori, «Bien comparer, mal comparer » …, p. 28
vii G Sartori reprend ici la distinction faite par Rickert et Dilthey. Voir G. Sartori, «Bien comparer, mal comparer » …, p. 31
viii Op.Citée, p.33
ix A. Lijphart, « Comparative Politics and the Comparative Method », American Political Science Review, 65, 1971, p.686.
x Op.Citéé, p. 684
x i la prise de position d ’Adam Przeworski, « The role of Theory in Comparative Politics. A Symposium », World Politics 48.1, 1996, p. 17
xii Pour une discussion portant sur l’idée que quantifier signifie aussi établir l’unité de mesure et donc le besoin de n’avoir pas de limites a priori
dans la démarche comparative, voir S. Gene DeFelice, « Comparison Misconceived. Common Nonsense », Comparative Politics, Vol. 13, oct.
1980, p.119-126
xiii Robert E. Goodin, Hans-Dieter Klingemann, A New Handbook of Political Science, Oxford University Press. Oxford Scholarship Online. Oxford
University Press. 1998, p.326
xiv Arendt Lijphart, Electoral Systems and Party Systems. Oxford: Oxford University Press, 1994
x v Nous devons préciser pourtant que du point de vue de la logique formelle Sar tori devrait admettre cette base subjective de l’emploi des
concepts. La logique élémentaire fait une distinction claire entre « la notion » et « le concept » - la notion peut être épuisée par la série d’attributs
qui habitent sa sphère, tandis que les concepts ne sont pas épuisés par les notes conceptuelles qu’on peut les identifier. Etant donnée cette
distinction nous pouvons parler d’une incommensurabilité des concepts du point de vue logique et bien sûr non pas conceptuelle.
xvi L’idée du langage fondée sur les mathématiques et sur des hiérarchisations des concepts n’est pas du tout nouvelle. Il s’agit d’une idée assez
répandue au niveau de la philosophie et suppose en fait les premières deux étapes de la démarche théorique de Leibniz qui en sa recherche de
caracteristica universalis proposait de décomposer les notions jusqu’à ce qu’ils ont de simple, d’assigner un son ou un signe à chaque atome
linguistique et ensuite de les recomposer dans des notions complexes. L’approche de Leibniz a échoué et la raison pour laquelle on considère
cette démarche comme une utopie linguistique est justement le fait qu’il existe une certaine récursivité au niveau des définitions des concepts qui
ne permet pas une hiérarchisation
xvii G. Sartori, «Bien comparer, mal comparer » …, p.32
xviii Pour voir comment l’élasticité conceptuelle et le principe de la délimitation des concepts ne fonctionnent pas simultanément dans le cas de
l’analyse des démocracies, voir David Collier, Steven Levitski, «Research Note -Democracy with Adjectives: Conceptual Innovation in
Comparative Research », World Politics, 49.3, 1997, p. 430-451
xix Robert E. Goodin, Hans-Dieter Klingemann, A New Handbook of Political Science…, p.327
x x Notre observation peut être soutenue si nous regardons les travaux qui passent en revue la production du champ scientifique dans le domaine
de la politique comparée et qui illustre bien la pluralité des approches du point de vue théorique et donc les a priori de base portant sur les
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Alexandru Ionascu, Volumele Civitas99Alumni, vol. V, noiembrie-decembrie 2005
concepts de la science politique. Pour une telle étude voir Adrain Prentice Hull, « Comparative Political Science : An Inventory and Assessment
since the 1980’s », Political Science and Politics, vol. 32, n°1 (mars 1999), p. 117-124
x x i Tel est le cas des etudes jusqu’aux années ’90. A savoir :M ichel Taylor et V. M. Herman, « Party System and Government Stability »,
American Political Science Review, Vol. 65/1971 p. 28-37, Ian, Budge Hans Kerman, Parties and Democracy. Coalition Formation and
Government Functioning in Twenty States, Oxford University Press, New York, 1990, Chap. 6, Government Termination: Causes and effects, p.
159-188, Arendt Lijphart, « Measures of Cabinet Durability : A Conceptual and Empirical Evaluation », Comparative Politics Studies 17(2), 1984,
p. 256-279, etc.
x x i i John D. Huber, « How Does Cabinet Instability Affect Political Performance? Portofolio Volatility and Health Care Cost Containment in
Parliamentary Democracies? », The American Political Science Review, Vol.92, No.3 (Sept. 1998), p. 577-591
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