Télécharger - Dolores Promesas
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À tous mes amis Bonjour ! Je m’appelle Dolores Promesas, un nom qui me va comme un gant et qui est comme une sorte de résumé de ma vie. Dolores mon prénom, Promesas, mon nom. Parfois un des deux est plus lourd à porter que l’autre, mais ensemble ils disent bien des choses sur ma personnalité. Sur mon nom, j’ai tout entendu : « C’est très original », « Ça sonne bien », « C’est chouette », « Ça fait très chanteuse andalouse »…Pour être sincère, je dirai que ce n’est pas mon vrai nom, je l’ai inventé et je me suis baptisée moi-même. Mon vrai nom est Nube (Nuage), mais bon, comment je fais moi dans la vie avec un nom pareil ? C’est ma mère qui me l’a donné. Ma mère : un esprit libre à la recherche d’émotions pour alimenter son âme, une hippie qui ne veut pas avoir d’attaches et qui, selon ce qu’on m’a dit, vit à Las Alpujarras à Grenade. Elle est née dans le sud de la France et alors qu´elle passait des vacances en Espagne, elle a rencontré mon père, un beau gosse de Malaga qui a volé son cœur. Ils se sont mariés et peu après, je suis née. Ennemie de la convention, elle n’a pas pu supporter le tour que prenait sa vie et un beau jour elle est partie nous laissant seuls, mon père et moi. Elle a laissé, en partant, un petit mot qui est resté gravé dans ma mémoire et, pourquoi le cacher, dans mon cœur : « Nube, chérie, poursuis toujours ton étoile ». La phrase n´en dit peut-être pas long, mais elle est jolie et je la verrais bien sur un tee-shirt ou un pyjama. Mon père a beaucoup souffert et pour comble de malheur, mon grand-père est mort quelque mois plus tard, ce qui nous a obligés à aller vivre avec ma grandmère dans un petit village côtier de Cadix. C’est là-bas que peu de jours après, j’ai perdu mon nom. Ma Mamie Dolores refusait d´accepter que quelqu´un puisse s’appeller Nube, et surtout pas sa petitefille! C’est ainsi que j’ai commencé à être « la petite » : la petite ceci, la petite cela…Même mon père me disait « je t’aime la petite » ! Mon grand-père avait toujours tenu la mercerie du village, un petit commerce qui nourrissait la famille et permettait d’économiser un peu. Et moi j’y étais heureuse, entre les coupons, les boutons et les pelotes de laine. J’aidais au comptoir et j’accompagnais aussi mon père quand il faisait des livraisons dans une maison ou un restaurant qui demandait des tabliers, des torchons de cuisine, des nappes ou des serviettes, car dans la boutique, on vendait aussi du linge et des vêtements. Ce n’était pas comme une boutique mais il y avait des habits, des chemises, des pantalons et des chaussons. Les tee-shirts et les salopettes en jean ne manquaient pas et j’en ai porté jusqu’à ce que je puisse convaincre ma grand-mère de les bannir de mon existence. J’ai été heureuse ou, tout au moins, j’en ai ce souvenir-là. 1 Quand j’ai eu dix-huit ans j’ai demandé à connaître Madrid et ma chère famille m’a acheté un billet d’autocar pour monter à la capitale. Mon amie Pepa, la seule fille de mon âge au village, déménageait à Madrid et le prétexte que mon aide lui était absolument nécessaire pour le déménagement et pour s´installer dans sa nouvelle maison a été déterminant au moment de convaincre mon père. Ma grand-mère, elle, ne s´est pas laissée convaincre. L’émotion ressentie pendant ce trajet a été le signe d’un changement dans ma vie. Pepa et moi, nous nous souvenons toujours de ce voyage. Elle, qui a toujours été très ouverte est devenue copine en deux secondes avec des types dans un restaurant du quartier madrilène appelé Chueca. Moi, j’avais entendu parler de « la Movida » que la ville avait vécue quelques années auparavant et j’ai vu un Madrid en ébullition, où chacun refusait de rester à la maison même si les années et les drogues y avaient fait des ravages. Avec nos nouveaux amis nous avons rencontré Hanol, Archy, Stella, Voltereta, des noms qui ont marqué un circuit nocturne que je suivais avec intensité. Un des garçons était homo et travaillait comme coiffeur pour les défilés de la pasarela Cibeles. Il s’entêtait à vouloir couper ma crinière - c´est ainsi qu´il nommait ainsi ma longue chevelure brune – et pour ce faire, il m’a fait entrer dans les coulisses de la Cibeles, où je pouvais voir les couturiers et les mannequins. Ce fut une super expérience et je l’en remercie encore aujourd’hui. Lors d’une de ses pauses, il a pris les ciseaux et a changé mon look, disant adieu à la crinière et bonjour à une nouvelle coupe qui, encore aujourd’hui, est un de mes signes d´identité. Fascinée par la nuit madrilène et par l´univers de la mode, et heureuse de ma nouvelle image, je suis rentrée à la maison. Mon très cher père m’a reçue avec son plus beau sourire et une embrassade bien tendre ; ma grand-mère avec un « mon dieu, qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ? », maudissant le moment où mon père m’avait laissé partir à Madrid et faisant le signe de croix au moins vingt fois de suite. J’ai vécu alors les semaines les plus ennuyeuses de ma vie. L’envie me rongeait chaque fois que Pepa me téléphonait pour me raconter comment elle s‘était amusée pendant le week-end, et les gens si chouettes qu’elle avait rencontrés. Un soir, alors que j’étais assise dans le patio de la maison, ma grand-mère a coupé une fleur d’un pot et me l’a mise dans les cheveux. Elle a souri et m’a dit : « ton père, je m’en charge ». J’ai téléphoné à Pepa tout de suite et deux jours plus tard j’étais dans le bus en route vers la capitale. Pepa avait trouvé un travail de fille à tout faire dans un magazine de mode. Elle travaillait beaucoup mais elle trouvait quand même le temps pour étudier le journalisme et aussi pour sortir le soir. Moi, je touchais à tout…vendeuse dans un grand magasin, hôtesse d’accueil pour des congrès, réceptionniste dans un hôtel homo, où j’ai rencontré mon ami le coiffeur, Matías, que j’aimerai toute ma vie pour avoir toujours été si sympa, si gentil et si tendre avec moi. On sortait beaucoup et on dépensait tout notre salaire. Pepa essayait de me convaincre d’étudier mais les livres, ça n’avait jamais été mon truc. Je suivais quand même un cours d’anglais, un autre d’informatique et deux de dessin. 2 Quand Pepa avait des examens je partais de la maison pour ne pas la distraire. J´allais faire du shopping avec Matías, on allait au cinéma ou on prenait un café dans un bar où se trouvaient généralement des célébrités, espérant ainsi rencontrer Pedro Almodóvar qui nous verrait et nous élèverait au rang de vedettes. Sachez que nous ne l’avons pas encore aperçu. Un soir d’été madrilène chaud et dangereux, Matías, Pepa et moi rigolions sur une terrasse du centre. On riait tellement que tout le monde nous regardait du coin de l’œil, certains avec agacement, d’autres avec un sourire d’envie. A l’entracte du festival de sottises, comme nous appelions ça, je me suis approchée du bar pour commander. Je n’avais pas fait attention qu’à côté de moi il y avait un mec super beau, mais Matías s’est chargé de me le signaler depuis la table pour que je le remarque. C’est sûr, il était beau, mais pas seulement ça, il était aussi élégant, sympa, drôle, agréable et un excellent amant. Je le sais parce que j’ai vécu avec lui une belle histoire d’amour pendant 5 ans. Il s’appelait Thomas et était représentant d’une entreprise de textile. Il était de Vigo et avait une chienne qui répondait au nom de Tula. Ces deux-là vivaient dans un bel appartement sous les toits du le quartier de Malasaña, et je les ai très vite rejoints. J’étais follement amoureuse de lui et nous nous sommes mariés civilement sans rien dire à personne. C’était un bon prétexte pour faire un long voyage dans les îles grecques – le décor parfait pour l’amour qui rend heureux – sans savoir à ce moment-là, éloignée et ignorante, qu’en Espagne, dans un petit village de Cadix, ma grand-mère se mourrait. Pepa me l’a dit au retour et Thomas et moi sommes descendus voir mon père. Il n’y a pas eu de larmes mais du chagrin oui. Beaucoup de chagrin. A partir de ce moment-là, j’ai décidé de porter son prénom et j’ai promis de toujours garder une fleur dans les cheveux. C’est mon hommage à la femme qui a pris soin de moi comme une mère. Non seulement j’ai promis de toujours porter une fleur dans les cheveux mais j’ai aussi promis de m’occuper de mon père, une entreprise qui s’est révélée plus difficile que ce que je pensais au départ. Il n’a pas voulu venir à Madrid avec moi, ni non plus rester au village dans la petite maison près de la mer. Les mains presque vides, il est reparti là où il était né, dans une bourgade des montagnes de Malaga. Depuis lors, il vit là, avec des amis, des cousins éloignés, des chiens et des chats. J’y vais de temps en temps, moins souvent que je ne le devrais, mais je lui téléphone toutes les semaines. Bon, je ne veux pas devenir triste car j’ai promis que j’allais éloigner les peines de ma vie. Avec Thomas, j´ai vécu cinq ans. Ça s’est passé comme un cycle de machine à laver : une relation avec une étape adoucissante, ensuite un bain d’eau de Javel pour faire partir les taches et pour finir un essorage énergique qui nous a séparés définitivement. Ses voyages pour son boulot s’étaient accélérés autant que ses conquêtes dans toute la région madrilène. Fatiguée de porter les cornes, de ma jalousie, de mes cauchemars et de mon humiliation, j’ai mis ses valises dans la rue. Grossière erreur. Sa colère fut énorme et c´est moi qui ai dû partir, puisque l’appartement était à lui, mais la chienne est quand même venue avec moi. 3 Pepa nous a accueillies, moi et la chienne Tula. Sans question, sans sarcasme. Avec amour. De nouveau ensemble, maintenant à quatre : Pepa et sa chatte Trini, Tula et moi. On s’entendait très bien et nous nous sommes promis de ne plus jamais nous laisser faire par un homme. Pepa traînait derrière elle une déception amoureuse que je raconterai à un autre moment. Trini avait des mœurs légères et Tula flirtait quand on la promenait dans le parc mais elle ne voulait pas aller plus loin. Quel quatuor nous faisions ! Les filles en or ! Pepa a fini ses études et a continué à travailler au magazine mais à partir de ce moment-là comme rédactrice et styliste. Elle était mal payée, mais elle voyageait souvent et on lui offrait beaucoup de vêtements. Sa générosité allait jusqu’à remplir mon armoire de marques très chères que, bien sûr, je n’aurais pas pu me permettre : avec la pension que me donnait Thomas et les petits boulots que mon amie me trouvait au magazine, je vivais sans excès. Quelques mois plus tard mon père m’a dit que quelqu’un était intéressé par la mercerie de mes grands-parents. Le local était abandonné depuis plusieurs années mais il était encore en bon état. Pepa et moi sommes retournées au village de notre enfance et, pendant qu’elle rendait visite au peu de famille qui lui restait, moi je négociais avec le beau gosse de Séville qui voulait faire de la mercerie une agence immobilière. Il cherchait à draguer, mais j’avais juré de ne pas me laisser faire par un crâneur -beau brun- bronzé -aux yeux clairs-gominé -grand-fort- avec une voiture de sport et une chemise Hermès. La façade n´est pas tout dans la vie. J’ai conclu le marché avec l’adonis sévillan et je suis restée seule un bon moment dans le magasin. Je pouvais sentir le renfermé, le vieux, mon enfance, mon père, mes grands-parents. Je me suis vue petite fille, jouant, montant sur le comptoir. Je le respirais ce magasin, je le parcourais des yeux, puis j’ai fouillé dans les cartons, les étagères, les armoires. J’ai trouvé des choses sympa pour Pepa, les salopettes en jean que, petite fille, je détestais tant, des boîtes avec des paillettes de toutes les couleurs et des pierres en cristal, d’autres avec des perles en bois et des petites boules de jais, des cartons pleins de chemises de toutes les couleurs. Soudain, tout a été clair pour moi. Mon avenir était ici, sous mes yeux. J’ai chargé tout ce que j’ai pu dans la voiture de Pepa et nous sommes reparties à Madrid avec le même espoir que nous avions lors de notre premier voyage de jeunesse vers la capitale. Mon premier jour de travail a été comme un chaos créatif, ou plutôt une création chaotique. J’ai dû mettre en pièces vingt chemises pour que deux seulement reçoivent l’approbation de Pepa. Ensuite, j’ai fait de la peinture sur papier. Mes deux cours de dessin me servaient enfin à quelque-chose de productif. Quand j’ai montré les esquisses à l’implacable membre du jury, elle m’a décoché une phrase qui m’a accablée : « des cœurs, des nuages, des étoiles et des poissons, Agatha Ruiz de la Prada le fait déjà ». Cette phrase a laissé la place à une étape de négation de mon moi artistique, une sécheresse de talent, un désert d’idées…Pepa essayait de m’encourager et je lui répondais qu’un jour ou l’autre j’y arriverais. 4 Je le lui ai promis. Avec un sourire elle m’a dit : « Promesses, promesses…Tu es Dolores Promesas ». Une nuit je me suis levée et je me suis assise devant le miroir dans ma chemise de nuit blanche. J’ai regardé mon reflet, je l’ai bien regardé, je l’ai regardé encore une fois et j’ai compris. Moi, MOI en majuscules. Moi-même. J’ai pris le polaroid de Pepa et je me suis prise en photo. Ensuite, je me suis dessinée sur des fiches et, à l’aube, j’ai préparé le petit déjeuner de mon amie. Je lui ai raconté le projet et je lui ai montré les dessins. Elle a adoré l’idée. Nous sommes tombées dans les bras l’une de l’autre et nous avons mis la main à la pâte. Je me suis dessinée de différentes façons, dans différentes postures. Ma chienne Tula aussi, et même Trini, la chatte, ont posé pour moi - vous pouvez d’ailleurs les voir ci-dessous. Maintenant, avec l’aide de Pepa, du magazine de Pepa, de Matías et des amis de Matías, je vais essayer de faire avancer cette idée. Mais j’ai besoin de ton aide, parce que sans toi, Dolores Promesas ne verra jamais le jour. 5