Les grèves du Tarn. Mazamet et Graulhet - CEDIAS

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Les grèves du Tarn. Mazamet et Graulhet - CEDIAS
BIBLIOTHÈQUE DU
MUSÉE
LES
JV\AZAMET & GRAULHET
(1909-1910)
PAR
LÉON de SEI LHAC
Délégué permanent du Musée Social
au Service] ndustriel et Ouvrier
PARIS
ARTHUH
14.
ROUSSEA U.
RUE SOUFFLOT,
ÉOITRUR
14
1910
Numérisé par la
bibliothèque du CEDIAS-Musée social | http://cediasbibli.org
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LES
GRÈVES DU TARN
MAZAMET ET GRAULHET
(1909-1910)
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BIBLIOTHÈQUE DU
MUSÉE SOCIAL
LES
GRÈVES DU TARN
MAZAMET & GRA li LH ET
(1909-1910)
PAR
LÉON de SEILHAC
Délégué permanent du Musée Social
au Service Industriel et Ouvrier
PARIS
ARTHUI\ RO USSEA U,
1 +,
RUE SOUFFLOT,
ÉDITEUR
1+
1910
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Les Grèves de Mazamet et de Graulhet
INTRODUCTION
Le département du Tarn est des plus industri eux; il fai t contraste avec la plupart des
départements du Midi, qui sont purement agricoles. Dans chaque village du Tarn existe une
industrie. Cette particularité tient-elle à la configuration du pays, où des cours d'eau rapide
sont retenus dans des gorges étroites et forment
des cascades dont la force peut être industriellement employée? Ou bien cette particularité
a-t-elle pour origine les guerres de religion,
pendant lesquelles les protestants traqués dans
les campagnes se réfugiaient dans les villes et
les bourgades et y créaient une industrie pour
ne pas mourir de faim (1)? Ces deux causes
peuvent être invoquées. Quoi qu'il en soit, cette
(1) C'est à cette cause assurément que l'on doit, dans les
pays protestants et catholiques, de voir toute l'industrie
entre les mains des protestants, comme à Mazamet, par
exemple.
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-2's urvivanc0 de la petite industrie des campagnes
qui existait un peu partout et qui consistait
surtout dans la tannerie, dans le tissage et la
préparation de la laine à domicile est curieuse à
signaler.
Les deux grèves que nous allons décrire sont
fort intéressantes à des points de vue divers.
D'abord, il y a connexité entre les deux villes
où elles se sont développées et on ne peut trop
s'étonner que la grève se soit transmise de
Mazamet à Graulhet, de même que l'industrie
de Mazamet se continue et se termine à Graulhet.
A Mazamet,sont reçues d'Amérique, d'Australie et d'autres centres d'élevage du lTIOuton, les
peaux entières des moutons écorchés. Ces peaux
arrivent par balles dont le nombre des peaux
varie suivant leur grandeur, mais dont le nombre est à peu près fixe d'après l'origine de ces
peaux.
Ces peaux sont entièrement rasées par l'industrie de Mazamet, qui est l'industrie du délainage. Elles sont aussitôt séchées, puis envoyées
à Graulhet pour y être tannées et corroyées.
l\1:ais quelle différence entre ces deux villes et
ces deux industries!
A Mazamet, il faut plusieul's centaines de
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-3mille francs pour établir une usine. Les i ndustriels trav ~illent toujours à découvert, c'est-àdire yu ' il se passe un certain temp s, souvent
plusieurs mois, entre le moment où ils ont
acheté et payé les peaux brutes et celui où ils
revendent les laines arrachées au cuir, lavées et
triées, prêtes à être üardées, peignées et filées.
Et alors la spéculation intervient.lls esüomptent,
non pas tant le produit du travail qu'ils auront
fait subir il la peau brute, que la hausse, qui
se sera produiLe sur ln. laine , entre le Inoment
où ils l'auront achetée et le moment où ils la
revendront. Mais, dira-t-on, la bai sse pourra se
produire aussi bien que la hausse, et les bénéfices que les patrons peu vent retirer de la spéculation, ils peu vent aussi bien les perdre à ce
jeu? Cela arrive. En 1900, il Y eut une crise
qui coûta vingt millions à cette petite ville de
17.000 habitants. En 1907, le même phénomène se reproduisit, causé par la crise américaine et la stagnation des affaires. Pourtant la
baisse est bien moins fréquente que la hausse.On
nous en a donné l'explication suivante, mais elle
est contestée par If>;S patrons. Lorsque les Maza111étains se présentent sur les marchés américains de la laine, ils arrivent les premiers et sans
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-4nombreux concurrents. Plus tard, ils se trouvent maîtres du marché de revente et jouissent
presque d'un monopole, car Mazamet possède
vraiment le monopole du délainag-e en Europe.
Voilà donc les industriels de Mazamet. Ce sont
des seigneurs de grande importance. La plupart
sont fort riches. Beaucoup d'entre eux sont apparentés.
Presque tous sont protestants. Et ceci s'ex·
plique facilement, puisq ne toutes les maisons
de Mazamet sont ou de vieilles maisons fondées
par les créateurs de l'industrie dans le pays, les
Houlès, les Cormouls, les Olombel, ou bien par
les employés que ceux.-ci avaient à leur serv ice
et qu'ils avaient choisis dans leur religion. Presque tous les ouvriers, par contre, sont catholiques et des plus pratiquants. Le dimanche, on
les voit, lorsque l'église est pleine - ce qui est
fréquent - entendre la messe , agenouillés devant le porche. II faut remarquer qu'on ne trouve
cette ferveur que dans les pays où existent des
protestants à côté de catholiques.L'antagonisme
des doctrines stimule la ferveur de chacun.
Les patrons de Mazamet ont des directeurs
d 'usine, ils ne s'occupent que fort peu de l'in-
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-5dustrie, ils ont l'air de faire fi de leur rôle
industriel pour Re complaire dans leur rôle
commercial et dans la spéculation : tels des
commerçants du Havre qui spéculent sur les cafés, ou des commerçants de Marseille qui spéculent sur les grains et les huiles. A certaines
heures de la journée, tout le monde est au café.
Les affaires s'y traitent placidement.
Quarante kilomètres séparent Mazamet de
Graulhet. Il est vrai que, si on n'emploie pas de
moyens automobiles, la distance est longue à
parcourir. On doit prendre un premier train
jusqu'à Castres, un second vers Albi et un tram
à vapeur et sans rapidité pour arriver dans la
ville vassale de Mazamet.
A Graulhet l'aspect des choses est tout différent. Il serait bien difficile, le plus souvent, de
distinguer un patron d'un ouvrier mégissier.
Il n'y a - sauf quelques exceptions - que des
petits patrons, vêtus ùe la même façon que les
ouvriers (blouse et sabots), fréquentant les
mêmes cafés, jouant aux cartes ensemble. Et
l'installation d'une usine ne eoûte que quelques
lllilliers de franc~.
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-()-
Aussi des ouvriers passent-ils facilement du
salariat au patronat. Et ce ne fut pas un spectacle banal que de voir la grève de 19'10 conclui te,
du côté patronal, par des hommes qui, quelques
années plus tôt, la conduisaient du r,ôté ouvrier.
Il suffit, dans la mégisserie, d'acheter les
peaux et de les préparer rapidement. Il n'est pas
i ci question de marché à terme, de spéculation et
de gros bénéfices. Quelques sous d'augmentation
accordés aux ou vriers peu vent détruire le gain
de l'entreprise. On comprendra que ces patrons
robustes et ouvriers d'hier aient résisté jusqu'au
bout et finalement remporté la victoire par leur
décision et leur entêtement. Ils se seraient ruinés
plutôt que de céder. Ils en auraient été quittes
pour redevenir ouvriers, et le fossé qui sépare
les uns des autres est si étroit que ce n'est pas
là une idée extrême et qui nécessite un superbe
courage.
Au contraire, les patrons de Mazamet di rent,
dès le début et de façon un peu indiscrète, que
la question de salaire n'étal t rien pour eux. Les
ou v1'iers furent donc encouragés à· réclamer,
voire même à exiger cette revendication facile.
Et les patrons furent vaincus, de la façon la plus
complète et la plus humiliante.
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-7POlIr donner une idée de la différence conSIdérable qui existe entre les patrons de Mazamet
et ceux de Graulhet, il suffit de dire que ceuxci, lorsqu'ils vont faire leurs achats de peaux
brutes à Mazamet, ne sont pas reçus par les
patrons et ne traitent pas avec eux, mais avec
les commis de ces patrons.
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L'industrie de Mazalllet.
Mazamet est une ville de 18.000 habitants qui
a progressé depuis un sièele d'une manière continue.
Elle comptait ~80 habitants en 1790.
1.360
en '1800.
en 1820.
4 .670
en 1830.
7.170
en 1875.
1.4168
Elle est située au pied de la Montagne Noil'e,
à l'entrée d'une gorge où coule l'Arnette , dont
l'eau linlpide convient admirablement au lavage
des lai nes.
Cette rivière fut dérivée par un canal, c.reusé
par les seigneurs de Nogarède, et où s'élevèrent
les premières usines. On y fabriquait d'abord
des cordelats ou bures. Au moment de la Révo·
lution, les étoffes fabriquées étaient moins grossières : c'étaient des ?'iwlletons, des ségoviennes,
des espagnolettes qui se vendaient au x négoçiants en g l'OS de Montauban et bientôt à ceux
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de Limoges et d'Agen. Quelques -i ndustriels
allaient eux-mêmes à cheval ou à pied vendre
leurs étoffes dans les grandes foi res, telles
que Toulouse et Beaucai 1'e (1). Enfin un des
principaux fabricants, M. Olombel, habitué des
marchés de Toulouse, y remarqua les draperies
de l'Aude et consacra sa fabdcation à ce nou·
veau genre. Il put envoyer à l'Exposition de
1803 du drap bleu, qui rivalisait avec celui de
Sedan. - D'autre part, un voyageur des tabacs,
M. Cabibel, fondait une société d'une dizaine
d'industriels au capital de 280.000 francs. Cette
société, dite Société des Casernes, eut un grand
nombre de voyageurs, créa des ateliers d'apprêts, de teinturerie et des fabriques de 17wlletons, de jrisés et de cadis. Et 10 l'sq ue cette
société prospère, dont la durée fut de 7 ou 8 ans,
fut dissoute en 1814, il en résulta la création
d'un certain nombre de maisons de fabrication
ou d'achat et de commission, bien que les transports fussent difficiles et que la marchandise dùt
être portée à dos de mulet.
Les machi nes Cockel'ill à carder et à filer la
(1) Voir il. ce sujet le remarquable uuvrage de Jean Loup,
avocat il. Castres : L'industrie lainière dans le Tam, 19tO,
TOll louse, Librairie des Etudiants, 6, rue des Lpi \3 .
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laine venaient d'ètl'e inventées en Belgique;
Mais leur prix élevé et le peu de hardiesse des
industriels de Mazamet firent qu'un seul modèle
fut installé chez 1\1. Cabibel.
iVI. Pierre Olombel fils avait parcouru toute
la France cl cheval, de Perpignan à Nancy et de
Bayonne à Brest, pour placer les draps fabriqués
par son père, et il avai t obtenu un réel succès.
Il imagina de partager la carte de France en
sections, dont chacune fut donnée à un voyageur. La formule fort habile était d'aller trouver le client chez lui au lieu de l'attendre au
magasin, et de régler la production sur l'importance des commandes, en évi tant ainsi les soldes
désastreux.
Dans la maison Olombel se trouvait utt employé fort intelligent, lVl. Pierre-Elie Houlès. M.H oulès se retira en 1.819, pour fonder une maison destinée à devenir célèbre et qui ne s'oceupa
d'abord que de commission. M. Houlès prit auprès de lui un de ses frère s. Ils parcoururent
tout d'abord la province et, se voyant à la tête
d'une clientèle importante, ils commencèrent
eux-mênles il fabriquer en 1830. Leur fabrique
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se développa rapidement, grâce aux marchés
importants que les frères Olombel passèrent avec
les ports de Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort pour la fabrication du n1011eton de la Marine. Puis le maréchal Sonlt, qui étai t originaire de la banlieue de Mazamet, eonfia à la
fabrique Houlès des commandes importantes
pour l'équipement des troupes. La fabrique occupa 1.500 ouvriers. En 1837, .M. Houlès introduisit le métier Jacquard qui produisit une véritable révolution dans l'industrie. En 1843, il
introduisit également les .~Ij-ull-Jenny , métiers à
filer en fer à 200 broches.
Mais c'est en 1854 que se produit l'événement le plus important dans l'histoire économique de Mazamet. Les fabriques de drap étant
en pleine production, les laines de pays ne suffir
saient pas à les alimenter. C'est alors que M. Augustin Pél'ié, gui avait vu, sur le port de Marseille, des laines expédiées de Buenos-Ayres,
eut l'idée d'envoyer dans la République Argentine un de ses employés, M. Hippolyte Mas,pour
faire l'achat direct (1).
(1) Le développement ùtdusll'iel el commercial de Mazamet,
par M. GasLon Mercier, avocat a la COU\' d'appel de Montpellier. :Brochure.
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-12 M. Mas remarqua que, dans lescampagnes. un
grand nombre de peaux était perdu. Il en acheta
et les envoya à Mazamet où on les nettoya en
les frappant avec des barres de fer garnies de
manches. Ce fut l'origine du sabrage. On n1ouillait ensuite les peaux et on les enterrait pour les
faire venir à un certain degré de décomposition
qui permettait d'arracher la laine; mais les peaux
étaient perdues. Plusieurs autres industriels
envoyèrent des acheteurs à Buenos-Ayres. Des
comptoirs se fondèrent également en Australie;
mais n'eurent pas un égal suceès. Bientôt Mazamet devenait le plus grand marché du n10nde
pour les laines de peaux, importées en Europe ,
tandis que le plus grand marché des laines-?nèTes est Londres. L'arri vage des laines en peaux
pour Mazamet en 1909 s'élèye il près de 47 mil lions de kilos.
On appelle laine-mère, la laine de tonte et
laine de peau, celle qui est enlevée sur la peau
de l'animal écorché. Celle-ci est naturellement
en quantités beaucoup moins considérables que
la première qui est fournie par les tontes de
toutes saisons (1). La laine de peau prov ient
(1) Voir L'industrie !rtirtÎèl'e dan s le Ta 1'11 , pP),
J e(l l1
Loup .
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en grande partie d'animaux morts d'épidémie,
ou par suite de sécheresse ou d'inondations.
De plus en plus aussi, les moutons sont abattus
pour êt.re livrés à la consommation, grâee à la
facilité des transports dans les appareils frigorifiques.
Mazamet expédiait en 1909 21.8~8 . 465 kilos
de laine à 3 fr. 85le kilog (valeur moyenne), soit
pour 85 millions 1~~.000 fI'. et 2.500.000 douzaines de cuirs à 3 fr. la douzaine, soit pour
22 millions 500.000 francs: en tout 106 millions
6~~.000 francs.
Mais le prix de la laine est extrêmement variable sui vant les années. Il monte de 2 fr. 75
(rarement) à 4 fr. 20 et 4 fr. 40.
Le prix de la douzaine de cuirs ou cuirots
varie de 3 Ir. à 12 fr. et 17 fl'.
La moyenne de la production est de cent millions de francs. Mazamet compte également
d'autres industries, telles que la draperie, les
molletons, flanelles, la bonneterie, la mégisserie. Mais c'est l'ind ustrie du délainage qui prédomine.
Cette petite "ille industrielle jouit, sous ce rapport, d'un véritable monopole. On a essayé d'établir le délainage à Bordeaux, où arrivent les
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bateaux de la Plata, ainsi qu'à Gènes, dans le
Nord de la France,en Angleterre,en Allemagne.
Ce fut toujours· sans succès.
Explique qui pourra ce problème. Mazamet
est loin des ports cl 'arrivée. Une halle de laine
paie d'Australie à Marseille 72 fr.75 la tonne,et
de Marseille à Mazamet 24 fr. 2:5. Une balle de
laine paie 24 fI'. 25 la tonne, de la P lata à Bordeaux et 23 fr. 75 de Bordeaux à Mazamet. De
plus Mazamet est éloignée du Nord où se trouvent les grands centres de consommation.
N éanm.o ins elle reste le centre le plus important
du délainage dans le monde entier. Aujourd'hui, cette industrie y compte 44 établissements
et 3.500 ouvriers.
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La grève de Mazamet.
Le 12 décembre 1~03, s'était terminée une
première grève qui, pour n'avoir pas été aussi
longue, avait été aussi violente.
Au moment où les ouvriers se 1110ntraient le
plus menaçants, des dissensions patronales
avaient obligé les patrons à capituler. Cette
capitulation ne rendit pas l'administration des
usines chose aisée.
Aussi, lorsqu'à la fin de 1908 il fut, de nouveau, question d'une nouvelle grève, les patrons
acceptèrent sans hésitation l'occasion qui leur
était offerte de rétabli L' leur au.torité méconnue
et se refusèrent à transiger sur la question
d'augmentation desalaire qui leur était réclamée,
surtout eette demande se produ.isant après l'année de crise économique (contre-coup de la
crise Alnéricaine) que Mazamet venait de tra-.
verser, et qui avait coùté vingt millions à cette
peti te cité industrielle.
Les patrons étaientconvaincus q ue,s 'ils accor-
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-16daient ee qU I leur éta it Jemalldé~ cette . 1lOLlvelle concession serai t considérée comme un
acte de faiblesse dicté par la erainte et qu'ils
finiraient ainsi de perdre toute autorité dans
l'administration de leurs usines. Aussi répondirent-ils par une fin de non-recevoir absolue
à toute revendication de leurs ouvriers.
Cette intransigeance eut pour résultat l'abandon immédiat du travail par les ouvriers, et,
par suite, la perte de nomb'reuses marchandise::;
qui ne pouvaient attendre. Cet acte de sabotage
eut pour résultat de couper les ponts entre les
deux partis en présence.
Enfin la grève eut pour résultat l'affiliation
d'ouvriers, catholiques pratiquants et réactionnaires, en général, à la Confédération Générale
du Travail.
Il faut bien insister sur ce point: que la seule
question du salaire aurait pu être tranchée dès
le début, à la satisfaction des ouvriers, si les
patrons n'avaient pas craint de voir leurs intentions de conciliation travesties en actes de faiblesse, et si le sabotage, qui suivit leur refus un
peu rude, n'avait pas discrédité d'avance les
sentiments de conciliation de beaucoup d'entre
eux .
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-17La querelle devait êtee .vidée une bonne fois
et la grève ne devait se terminer que par la
victoi re complète nès patrons ou des ouvriers.
Ce fueent les ouvriers qui triomphèeent.
La grève de ·1903 avait eu pour résultat d'élever le salaire des sabreurs, en laissant de côté
les salaires des peleu1's, dont le métier est aussi
pénible, et des manœuvres ou maJ'1'agos,
Il nous faut en deux mots expliquer le rôle
de ces différents ouvriers pour comprendre les
causes du confii t.
La préparation de quinze b8.11es (1) de laine
exige 1~ sabreurs et HO peleurs ou ma1'tagos.
Les sabreurs travaillent il la machine. Ils font
passer sous des rouleaux acérés les peaux hrutes, pour es dépouiller des ordures, de la boue
et des chardons qui les remplissent. La grande
habileté du sabreu r est de ne pas laisser couper
les peaux par les rouleaux tranchants sous lesquels i.lles glisse et de gL~ider avec les mains
les peaux, pour qu'elles ne se recroquevillent
pas sous les rouleaux,
('1) Les balles sont de 450 i.t ;j00 l<ilos suivant la provenance des toisons et lem' g'randeur,
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Le peleur a une sorte de hachoir tranchant
d'un côté, arrondi de l'autre. Avec le côté tranchant, il coupe la tête et les pattes. Avec le côté
arrondi, il sépare la laine de la peau,
Cette opération a été rendue facile ·par le passage de la peau à l'étuve, où elle a fermenté,
où les pores se sont ouverts, ce qui rend l'arrachage de la laine plus aisé.
Enfin les marragos servent à toutes les manœuvres, à toutes les manutentions de l'usine,
mettent les peaux à l'eau avant qu'elles passent
au sabrage, et les portent à l'étuve avant de les
livrer au pelage.
Le travail des sabreurs est pénible. Les mains
constamment dans l'eau froide, lorsqu'lIs retournent les peaux pour les repasser sous les cylindres, ils sont éclaboussés par l'eau souillée des
immondices de la toison.
Le travail des peleurs est aussi difficile qlle
celui des sabreurs et il est pénihle à cause de la
situation penchée dn corps pour rtlcler les penu x
sur les chevalAts et en détacher la laine.
Oes femmes sont employées comme peleuses.
:\1ais les sabreurs étaient des ouvriers pri vilégiés depuis la grève de 1903. Ils avaient retiré
de cette grève un bénéfice de ~o cen ti mes par
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balle, tandi s que les peleurs et le s marragos
n'avaient pas été augmentés.
La grève de 1909 n'éclata donc qu'au s ujet
des peleurs et des manœuvres. Les sabreurs ne
réclamaient rien et ne se mirent en grève que
par solidarité.
Voici quels étaient à peu près les salaires:
Un sabreur peut gagner , en moyenne , 1.500
francs par an ,
U Il peleur : 9:30 francs.
U Ile peleuse : 770 francs .
. Un marrago : 814 francs.
Une femme man'ago : 470 francs.
Pour 10 heures de travail; nlaü~ tous ces
chiffres variellt avec les périodes de chômage.Cette année, à la suite de la grève, les usines
fonctionnent à plein!
Tous les prix sont établis à la tàche. Dans
ulle journée, un peleur pourra travailler 200
peaux, tandis qu'une femme n'en pèlera que 170
à 180. Pour les marl'agos qui font la manutention de l'usine, les hommes et les femmes sont
payés à l'heure. Avant la grève, les hommes
étaient payés 30 centimes par heure, soit 3 francs
par jour, les femmes étaient payées 17 eent. 1/ 2
par heure, soit 1 fr. 75 par journée de 10 heures.
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Pour établir les conditions dans lesquelles fut
déclarée la grève, nous donnerons ici la correspondance échangée entre patrons et ouvriers.
La grève fut annoncée aux patrons par une
première lettre des ouvriers, en date du 28 décembre 1908. En voi ci la teneur:
Lettre du Syndicat ouvrier
Syndicat de l'exploitation de la peatÎ de ??wuton.
Mazamet, le 28 décembre 1908.
Monsieur,
Le Syndicat de l'exploilation de la peau de mouton,
après étude de quelques revendications formulées par
les peleurs et marragos, m'a autorisé à vous en informer, afin que ces revendications soient disctltées et
solutionnées entre les patrons pris individuellement
ou représentés par une délégation qui se mettra en
rapport avec une commission ouvrière nommée à cet
efl'et.
Ci-après le texte des revendications:
Considérant, d'une part, la cherté croissante de la
vie et, d'autre pad , les longs chôma ges de l'industrie
lainière;
ConsidéTClnt encore que les peleu?'s et les mrlT'i'Cl""
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gos sont les ouv?'iets les moins ?'ét?'ibués pa?' rapport
à La somme de leU?' ttavail.
Nous avons mi ssion de vous demander:
1. ° Pout les pelew's , une augmentation de 0 fr. nO
pat 1.00 peaux, ce qui met les 1.00 peaux à 2 fr. 75;
2° La laine se lèvera dans toutes les u sines à. ['aison de 0 fI'. 35 par jour de travail;
3° Les morceaux provenant des peaux sabrées seront
payés à raison de 0 fr . 30 la caisse;
Les balles de morceaux feront l'objet d'une entente
entre patrons et ouvriers ;
4° Les peleul's demandent que les peaux soient
comptées dans toutes les usines et que, chaque fois
que les femmes prendront dix peaux, les hommes en
prendront treize;
nO POUT les m,l.l?'?'agos des usines et des magasins,
capables de (aire leur travail, une augmentation de
1.0 centimes par heure, soit 4 (1'. la j01l1'née de
1. 0 heUTes de travail;
6° Pow' les ( em,mes mal'Tagos des usines ou magasins, 2 (1'. 2n par jan?', soit une augmentation de
5 centimes pa?' hew'e ;
7° Pour les enfants des étuves et des étendages,
nous demandons que l'au gmentation soit propot'tionnelle à celle de s m arr'agos ;
8° Nous demanderion s, en outre , que les patt'ons
veuillent bien n'occuper que des ou vriel's sy ndiqués.
Vous pouv ez ou bi en accepter indi viduellement ces
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conditions, auquel cas nous vous prions d'aviser de
votre acceptation le Secrétaire du Syndicat, à la
Bourse du Travail, rue Méjanel, ou bien vous entendl'e avec vos collègues du Patronat, afin de vous faire
représenter par une délégation qui se mettra en rapport avec la Commission syndicale ouvrière.
Vous voudrez bien, dans l'un et l'autre cas, nous
avise1' avant le 5 janvier 1909, aBrt que, dès cette date,
nous soyons en mesure soit de faire valoir nos raisons auprès de la Délégation patronale, soit d'insister
auprès des patrons qui auraient repoussé nos demandes et refusé d'entrer en discussion avec nous.
Nous tenons à vous faire remarquer que nous ne
vous menaçons nullem,ent de gTève.
Le travail continuera, comme pa?' le passé, P('11dant les pou1'parle1's nécessaÏ1'es à l'élaboration des
nouveaux tm'ifs, que 'nous voud1'ions voi?' mettre en
application à pa1,tir du 15 Janvi,e1' ]'J1'ochain.
L'éventualîté d'une cessation brusque de tTavaîl
doit, quoi qu'il advienne, être écartée de vos préoccupations.
Recevez, Monsieul', nos sincères salutations.
Pour le Synd icat et par ol'dre:
Le Secrétaire:
ISIDORE BARTIIÈS,
Cette première lettre étai t très digne, les réclamations formulées très justifiées, et les ouvriers
y donnaient l'assnrance que , dans aucun ca~,
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le contrat du 10 août 1903 ne serait violé. Par
ce contrat, les ouvriers s'étaient engagés à terminer le travail en cours avant de se mettre en
grève, en cas de désaccord ...
Combien est regrettable l'abandon qu'ils firent
ensuite de ces engagements'
Réponse des industriels délaine urs
Mazamet, le 29 décembre 1908.
Messieurs les Membl'es du Syndicat de l'exploitation de la peau de mouton, à Mazamet.
Les questions des salaires qui ont fait l'obj et de
votre lettre du 22 courant soulèvent une question pré~
judicielle, que nous avons le devoir de vous signaler
tout d'abord.
L'industrie du délainage a vu la question des salaires de son personnel solutionnée par la convention
du 12 décembre 1903.
Dans un but de conci liation que vous vous êtes
plus à reconnaître vous~mêmes à cette époque, des
salaires très élevés dans leur ensemble furent alors
consentis et constituent, depuis lors, une charge très
lourde pour notre industrie.
Peut-être leU?' TépaTtition en fut-elle un peu hâti-
vement étab lie.
Un e ?'év1sion de ces conventions ne pOl.lTntit donc
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être envisagée que si elle visait seulement une nouvelle répartition reconnue plus équitable entTe les
diverses catégo?'ies des ouvriers délaineuTs.
/
Cette question de nouvelle répartition ne pounait,
d'ailleurs, être examinée qu'à la suite d'une entente,
préalable entre eux,des ouvriers des diverses catégo.
ries.
Nous devons rappeler aux ouvriers déJaineurs, et ceci dans leur propre intérêt. - que l'industrie
de la laine est pleine d'aléas et que le commerce de
Mazamet est encore tout meurtri de la ct'ise terrible
qu'il vient de traverser, et dont les conséquences
lamentables ne pourront être réparées qu'au prix de
nombreuses années d'efforts.
Au sUl'plus, l'industrie du délainage, qui implique
des opérations à lon~ terme et à fOl'me spéculative,
ne peut vivre dans une pel'pétuelle incertituoe, tant
au point de vue du taux des salaires qu'à celui de la
durée des conventions intervenues entre employeurs
et employés.
Il faut reconnaître enfin que les taux actuels de la
main-d'œuvre pour les ou vriet's délaineurs à Mazamet) - eu égard au prix de la vie matérielle, prennent rang, par voie de comparai son, parmi les
salaires les plus élevés qui exi stent à Mazamet et dans
la région.
Nous ne doutons pas , Messieurs, que , r econnaiss ant le blen fondé et l'exactitud e de ce qui précède,
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vous renoncerez à vos demandes et que, demain
comme hier, vous nous continuerez votre collaboration assidue.
Veuillez agréer Messieurs, l'assurance de nos meilleurs sentiments.
Pou?' copie can(onne:
LA COi\IMISSION.
Alby Félix, Augé Jacques, Balfet Jacques,
Bénézeeh Auguste, Brieu Jean Cadet,
Cèbe Jean, Eug.Cormouls-Houlès et G.de
Latour, Cormouls-Houlès G. père et fils,
Croses-Boudou J., Cormouls-Houlès Jules
et Fils, Daure Paulin, DUl'and frères,
Escande Augé A., Estrabaut Joseph, Estrabaut Pujol Vve, Galibert André Vve,
Galibel.' t Ernest fils, Guiraud Jules, Gase
M. et A., Guilhou A., Huc P. fils, Louet
M., Pourcines, Rives et Armengaud, Rives Vidal E., Sabatié Ch . et Co, Tournier
Georges, Vidal Edouard père et fils.
Cette lettre contenait une expression impru ..
dente et qui fut mal comprise de tous. C'était
un mot de trop, dans la phrase suivante:
(~ Une révision de ces conventions ne pourrait donc être envisagée que si elle -visait seule2
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ment une nouvelle réparti tion reconnue pl us
équi table)).
Cette expression fut immédiatement mal interprétée, ainsi qu'on le verra par la réponse
des ouvriers.
Le journal de l\L Amédée Reille, l'Union libéTale, qui prenait nettement parti pour les ouvriers, répliquait à cette proposition par les
considération8 suivantes:
« La grève de 1903 a eu pour résultat d'augmenter de 0 fr. 50 le prix de sabrage des balles.
Il ne pouvait ètre question d'établir un salaire
inférieur à celui d'avant la grève de 1903. Et
cependant la proposition patronale équivaut à
rétablir l'ancien tarif et à abaisser de 0 fr. ;50 le
prix du sabrage. Cela admis, il convient de calculer que le sabrage de 15 balles exige environ
tiO peleurs ou marragos : donc la réduction de
fr. 50 par balle eût produit" fI'. 50 à répartir
entre 50 ouvriers, soit une augmentation de
o
quinze centilnes
pOUT
chacun. ))
L'intention des patrons était ainsi mal comprise. Ils n'entendaient nullement faire la répartit.ion d'une somme prise sur le salaire des
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sabreurs, considérés comme trop payés par rapport aux autres catégories. Ils déclaraient qu'ils
consentiraient à augmenter pe leurs et ma1'l'agos,
si les sabreurs acceptaient une réduction.
En tout cas, cette proposition était maladroite.
On ne peut pas rédnire les salaires d'ouvriers,
alors qu'on n'a aucune raison pour le faire et que
J'industrie est florissante, alors surtout qu'on
dit assez haut pour être entendu des indiscreiJ,
que la question du salaire n'existe pour ainsi dire
pas dans l'industrie du délainage, qu'elle est
d'importance secondaire et que le délaineur t ire
la plus grosse part de ses bénéfices, non de
l'industrie,mais de la spéculation ~ qu'enfin l'importance de la main-d' œuvre est tout à fait accessoire dans ce métier où la préparation des peaux
se fait rapidement et avec un petit personnel.
Les plus grandes usines n'ont pas cent ouvriers;
La plupart n'en comptent que 50 à 60.
Mais la plus grande maladresse que pouvaient
commettre les patrons, c'était, par cette restriction de « seulement)) apportée dans leur lettré
du 29, de clore délibérément la discussion avec
leurs ouvriers.
Ceux-ci répondirênt par un ultùnatum. Lé
ton de la conversation a changé.
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Lettre du Syndicat des Ouvriers.
BoU?'se du TTavail (Rue Mejan el)
Syndicats des oum'ie1's de l'exploitation de la
peau dp- mouton.
Mazamet, le 6 janvier 1909,
Monsieur,
La Commission patronale dont nous avions prévu
la constitution par notre lettre du 22 décembre 1908,
de même que nous avions prévu qu'elle se metlr'ait
en rapports avec nous, s'est bornée à opposer à nos
revendications une réponse que, pOUl' rester polis;
nous appellerons ironique,
Que demandions-nous, en effet? Une augmentatation de salaÏ?'e pOUT les peleuTs et maTragos,
Que nous propose votTe Commission? Une diminution de salaÏ?'e poU?' les sabTeU?'s !!1
Sans doute elle reconnaît aussi implicitement que
le salaire des peleurs et man'agos mérite d'étre relevé,
mais il est indigne de gens sérieux de mettre comme
condition à ce relèvement une diminution correspondante du salaire des sabreurs,
Cela, au surplus, ne rbsiste pas à l'examen; il Y
B. environ, et en moyenne, 24 peleurs ou marragos
pOUl' 6 sabreurs; lorsque donc la Commission vient
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insinuer qu'on ne peut augmenter les uns que sous
conditi on de diminuer les autres, elle dit que pour
donner un salaire de 4 francs aux premiers! soit
24 francs, il faut diminuer les seconds de 24 francs
soit de 4 fmncs chacun; le salaire quotidien d'un
sabreur varierait ainsi de 0 fI'. 25 à 1 fr.
Nous estimons que de telles raisons ne sont pas
raisonnables, pas plus que celle qui consiste à parler de la moyenne des sabreurs.
La moyenne des salaires n'a de valeur et d'intérêt
qu'au point de vue de l'établissement des prix de re·
vient, mais elle ne nous intéresse pas nous, cal'
lorsqu' un ouvrier gagne 4 francs, par jour, et un
autL'e 1 franc, ça ne fait pas du tout une mo)'enne de
2fr . nO.
De même quand un riche gourmand attrape une
indigestion en mangeant des perdreaux, tandis qu'un
pauvre bougre dîne avec du pain et de l'eau claire,
ça ne fait pas du tout la mo)'enne d'un bon repas.
Ce que nous, ouvriet's, avons à considérer, c'est si
le salait'e des uns et des autres est la jus~e rémunération du tra vail ; à ce point de vue, nous reconnaissons que le sabreur doit êtt'e pa)'é plus que ses camarades des autres catégories, et nous disons que
cette différence est légitimée pal' la différence de travail.
Cette question de diminue?' les uns pour augmen-
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te?' les autres doit êt?'e donc éca?'tée, pane qu'elle
c0171,porte?'ait une solution injuste.
Nous refusons nettement de l'examine?', et nous
sommes surpris que là Commission ait osé la soulever
dans un but qu'il est facile de deviner.
Ce but n'est autre que de diviser les ouvriel's et
de dresser les uns contl'e les autres, par la jalousie
des salaires, les camarades de diverses catégories.
Nous estimons que ce n'est pas le rôle du Patronat ; ce que vous avez à envisager, c'est uniquement .
si les salail'es son t mérités et si l'augmentatiQn
que nous demandons est juste.
En essa-yant de mettre en avant d'autres questions,
vous usez des moyens indignes d'une A.ssemblée patronale ; aussi nous ne vous suivrons pas SUl' ce tel'rain. Nous nous bornerons à répondre à la Commission que nous ne voulons même pas exam,iner la
question de l'abaissement du salaire d'une que lconque calégo?'ie et, cela. fait, nous considérons comme
inexistante une Comm ission qui ne ?'é]Jond pas aux
denwndes posées.
Et,cette Commission patronale considérée par nous
comme inexistante, nous nous adressons de nouveau
directement à vous pour solliciter une réponse précise à nos demandes précises. Nous vous demandons
donc qu'à partir du iD jan vier courant, les salaires
des marragos et des peleurs soient ainsi établis:
1 0 POUL' les peleurs une augmentation de 0 fr . nO
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pal' .~ 00 peaux, ce qui met les 100 peaux à 2 fr. 70 ;
2 0 Chaque usine conseeve son organisation pour
l'enlèvement de la pelade, Là où les peleurs enlèveront la pelade, il leur sera alloué une indemnité d e
o fe. 35 pal' JOUl' de travail. Les usines où les pe~
leurs ne lèveront pas la pelade, le patron sera tenu
de mettrr, le personnel nécessaire pour la faire enle\'er, à seule fin que les peleurs soient dégagés pOUL'
faire leut' travail ;
30 Les morceaux provenant des peaux sabrées se
l'ont payés à 0 fI'. 30 la caisse. Les balles de moe~
ceaux feeont l'objet d'une entente entre patrons et
ouvriers;
4° Les peleut's demandent que les peaux soient
comptées dans toutes les usines et que chaque fois
que les femmes prendront dix peaux, les hommes en
pl'ennmlt treize;
DOPour les marragos des usines èt magasins, capa .
bles de faire leur travail, une augmentation de
o fl'. 05 pal' heure, soit 3 fe. 50 ponr la joumée de
10 heures de travail ;
6° Pour les femmes des usines et magasins, capables de faire leur teavail, une augmentation de
2 c. 1/2 par heure, soit 2 francs pOUL' la jouL'née de
Lü heures;
7 0 Pour les enfants des étuves et des étendages,
nous demandons que l'augmentation soit prop0L'tionnelle à celle des managos ;
1
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8° Nous demanderions, en outt'e, que les patt'ons
veuillent n'or,cuper que des ouvriers syndiqués;
go Les sabreurs et peleurs refusent formellement
de faire tout marragos ;
10° Les heures des dimanches et jours fériés
seront payés double.
- Les ouvriers de l'exploitation de la peau de mouton demandent que, quand ils auront besoin d'une
pel'mission, elle ne leur soit pas refusée.
Ce sont là nos dernières conditions pour arriver à
une solution rapide, et pour prouver au PatL'Onat que
nous savons tenir compte des difficultés qu'il a à
vaincre, nous avons de beaucoup réduit nos 7Jréte'YI~
tions ; nous ne saurions les réduire davantage.
Et comme, depuis le 22 décembre, vous avez eu le
temps d'étudier les questions posées, nous sommes
en droit de solliciter aujourd'hui une réponse à bref
délai. Il nous serait agréable de la recevoir le samedi
SOil' 9 janvier, afin que l'Assemblée générale décide
le 10 courant, en toute connaissance de cause; si
vous ne ?'épondez pas, vot1'e silence se?'a considéré
comme la pu?'e et simple confirmation de la lett?'e de
la Commission, que nous considàons comme ne ?'épondant pas, et nous vous faisons remw'que?' qu'à
Pa1'ti?' du 9 janvie7', le Syndicat ne répond de rien et
gue toutes les conventions que nous avons si.qnées ensemble sont toules a'fl.nulées, et nous prendrons toutes
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les rneSUTes utiles
POU?'
33la défense de nos droits .
Pour les deux Syndicats réunis:
Le Secrétaire,
ETIENNE ALQUIER.
Le Secrétai?'e,
I SIDORE BARTHÈS.
Réponse des industriels délaineurs.
Mazamet, le 8 janvier 1909.
Messieurs les Membres du Syndicat de l'exploitation de la peau de mouton, à Mazamet.
La Commission des industriels délaineurs a l'honneur de portel' à votre connaissance la lettre suivante
que les industriels délaineurs, réunis en Assemblée
générale, l'ont chargée, à l'unanimité, de vous communiquer.
Notre lettre du 22 décembre 1908 n'avait aucun
des sous-entendus que vous avez voulu y voir et il
ne peut y être question ni d'il'onie, ni de caprice.
Elle a été éCl'ite après une étude raisonnée des salaires des ou vriers délaineul's et avec le souci de sauvegarder l'industl'ie de .Mazamet qui, dans l'intérêt
de toute notre région, doit pouvoir lutter aVf;lC la conCUlTence étrangère.
Le travail avait continué dans toutes les usines,
sous la foi des conventions réciproques passées entre
patrons et ouvriers en août 1903, confirmées par votre
lettre du 22 décembre 1908.
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l,es menaces que contient vot1'e lett1'e du 6 janvier
courant empêchent toute conve1'sation avec ceux
qui l'ont éC1'îté et nous nous bornons à confi1'7ner
dans son intégrité, notre letl1'e du 29 décembre 1908.
LA CmlMIssION :
Gaston COl'mouls-Houlès fils, E. Durand,
J. Fraisse, P. Huc fils, Nègl'e, Ph. Rives,
A. Sabatié.
A la suite de cette lettre, la grève est déclarée.
Elle est effective le lundi 11 janvier. Cependant
les ouvriers ne s'opposent pas au travail de leurs
camarades, que les patrons ont recrutés pour
essayer de sauver les marchandises en péril,
dont le travail ne peut être retardé.
Lettre de la Fédération des Syndicats ouvriers du
canton de Mazamet
du 15 janvier 1909 :
Messieul's les patt'ons industl'iels,
Messieurs,
Le Comité Génél'al de la Fédération et de l'Union
des Syndicats, après élude des revendications formulées pal' les ouvriers de l'exploitation, a décidé, dans
sa séance du 14 janvier, de vous demancle1' une en·
trevue,qui aurait lieu clans '1.l~ lo cal quelconque POU?'
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vider si possible les diffé1'enrls qtlÏ vous ilépa1'ent,
entre la Commission pat1'onale et la Com,nûssion de
g1'ève ouvrière.
Persuadés que vous voudrez bien accepter l'entrevue demandée, agréez l'assurance de nos sentiments
dévoués.
Pour et par ordre de la Fédération et
de l'Union des Synd icats.
Le SecTétaire Général,
LOUIS
BARTHÈs
Le Sec1'étaÏ1'e Général,
Huc AARON.
Lettre de la Commission patronale, en réponse à
celle de la Fédération des Syndicats ouvriers
du 15 janvier 1909.
Messieurs les Secrétaires généraux,
Bourse du Travail
Messieurs,
Nous vous accusons réception de votl'e lettt'e de
ce jour nous demandant une entrevùe.
Nous accepte l'ons de causer de la situation actuelle
avec des délégués ouvriers,à condition toutefois qu'ils
appartiennent tous à la corpo1'ation des ouvrie1's
délain eurs.
Agl'éez, Messieurs, l'assurance de nos sen timents
distingués.
Pour la Commission:
Si gné: P. NÈGRE.
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Le lundi (11 janvier) la grève, qui avait déjà
été partielle l'avant-veille, était générale pour
tous les ouvriers.
*
". ".
Deux points méri tent d'être examinés spécialement au début de cette grève:
Les causes directes et accessoires de la grève.
Le programme des patrons et celui des ouvriers.
La cause la plus importante de la grève, ainsi
que nous l'avons dit, c'est que, non seulement
les patrons ne la redoutaient pas, mai s qu'ils la
désiraient, pour trouver l'occasion de rétablir
leur autorité compromi se. La discipline des ateliers s'était considérablement relâchée depuis la
victoire ouvrière de 1903 et par suite du développement syndical qui en avait été la conséq uence. Le syndicat imposait à tout propos son
autorité. Les patrons en avaient assez et ne
redoutaient pas le conflit. C'est ce qui explique
leur attitude peu bienveillante, n1ême un peu
brusque, du début.
Puis, ces événements se déroulèrent au
moment où venait de se terminer une longue
grève chez M. Sarrat, président de la Chambre
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de commerce. Cette grève de 6 mois,déclarée non
dans le délainage, mais dans la mégisserie, s'était terminée par le triomphe complet du patron,
et cet exemple de fermeté et de succès avait
souvent été invoqué par les patrons mazamétains.
. Par un curieux hasard, M. Sarrat, dont les
usines de délainage sont en dehors du centre
touché par la grève, se trouvait hors du conflit,
et on lui reprochait d'y avoir pris part, de
l'avoir même attisé, en préconisant la manière
forte, sans encourir aucun risque.
C'est ce que l'Union libérale du 28 février
nançait en ces termes :
dé~
« Le public s'étonne et s'irrite. Il s'étonne à bon
droit de voir les patrons de Mazamet menés, tels des
ânes à la foire,par quelques usiniers de l'extérieur, à.
qui la grève profite singulièrement, car ces « malins»
ùnt répondu aux revendications de leurs ouvriers pal'
la promesse formelle d'une augmentation égale à celle
que les patrons mazamétains accorderaient aux grévistes; puis, au syndica t patl'onal de Mazamet) ils
poussent à la plus farouche des intransigeances et
s'a.ssurent ainsi de beaux bénéfices pal' la prolonga.
tion de la gl'ève. »
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On découvrit également chez les patrons
une autre raison d'intransigeance, c'est que
ces patrons sont protestants et républicains,
tandis que la plupart des ouvriers sont catholiques et réactionnaires. Le syndicat ou··
vrier était considéré comme l'atout du baron
Amédée Reille dans sa lutte électorale, et un
certain nombre de républicains, qui étaient
en même temps patrons, considérèrent la bataille économique comme une simple bataille
politique, où l'influence de M. Reille devait être
battue en brèche et succomber. Les grévistes
trouvèrent donc des secours du côté du parti
conservateur.
Aussi vit-on, dans cette grève, ce spectacle
nouveau de l'archevêque d'Albi venant apporter
lui-même un secours personnel de ~oo francs
aux grévistes, ordonnant . des quêtes en leur
faveur, et le curé, soutenu par les catholiques de
Mazamet, organiser des cantines scolaires et
apporter aux grévistes tout son concours.
tes patrons n'étaientpas constitués en syndicat.
Tandis que les ouvriers avaient une organisation puissante, les patrons étaient divisés pal' la
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divergence de leurs intérêts et aussi par la différence de leurs conceptions sociales. Dès le début,
l'un d'eux essaya de briser le pacte qui les unissait tous pour la défense commune. Il accorda
aux ouvriers ce que ceux-ci lui demandaient;
mais il dut se soumettre à l'ultimatum du comité
patronal, qui lui interdit toute concession.
Par la suite, à travers les divers événements
qui se produisirent, la cohésion entre les patrons
fut diffieile à établir, et pour une raison bien
étonnante et bien simple. Plus la grève durait,
plus la hausse de la laine sc dessinait, de telle
sor te que cette grève ne coûtait pas d'argent aux
délaineurs de Mazamet mais leur en rapportait,
à une condition pourtant, c'est que le travail reprit et que la laine pût être préparée pour être
ve ndue. A ussi se produisit-il une certaine impatience chez la plupart des patrons, de voi r cesser les hostilités et se réaliser des ventes qui
devaient être rémunératriees. Naturellement,
c'étaient les plus petits patrons qui étaient les
plus pressés d'en finir, et le Comité de grève eut
quelque difficulté de ce côté. S'il avait voulu
prolonger la grève, il eût été abandonné par un
grand nombre d'entre eux.
Les ouvriers, qui étaient au courant de ces
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difficultés intérieures du Comité, sentaient leur
victoire assurée, pour peu qu'ils attendissent.
Et ils attendirent. Mais pour faire cesser la grève,
il fallait que les patrons fissent l'abandon de leur
première intransigeance. Ils avaient déclaré, au
début de la grève, ne pouvoir rien accorder en
fait d'augmentation de salaire. - Et, au fur et à
mesure que se déroulait la grève, leur intransigeance faiblissait. Ils se trou vaient dans la fausse
situation d'industriels, qui commencent une
grève en déclarant que des concessions leur sont
impossibles .. et qui sont obligés de faire ces concessions. Ils furent longtemps à piétiner dans
cette difficulté d'agir , qu'une déclaration trop
catégorique avait créée.
Voici comment un patron établissait son
compte théorique, pour nous montrer combien le
côté commercial du délaineur de Mazamet l'emporte sur le côté industriel, qui, par comparaison, paraît presque négligeable.
Un industriel achète à Buenos-Ayres, dans
son année, 9.000 balles de peaux à 800 francs ,
il devrait donc débourser 7.200.000 francs.
Pour ce chiffre d'affaires, un capital de
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2.000.000 francs seulement est nécessaire, car
ri ndustriel-peut ?'enouveler 3 fois 1/4 à peu près
ce capital dans son année (par ses ventes Rucces~
si ves).
Ce capital de 2.000.000, l'industrielle paye
!l % ; mais,comme il peut le placer en titres de
rente 3 0/ 0, sur lesquels la Banque lui avance à
3 0/0, il ne lui reste plus que 2 % d'intérêt à
payer.
L'avance de 2 millions coûte donc comme intérêt 40.000 francs.
Mais, comme négoeiant, l'industriel a également besoin d'un magasin, d'employés ... Ces
frais peuvent s'élever à 20.000 francs environ,
dont voici le déeompte :
Employé chef
Comptable
Magasinier
Employé
Assurances accident.s
Impositions, patente.
Assurance Incendie.
Loyer du magasin
Total.
6.000 francs.
))
4.000
2.000 »
1.500 »
»
!lOO
1.000 »
1.000
»
»
4.000
20.000
»
Commercialement, l'industriel a donc 60 .000
2.
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42-
francs de frais généraux pour 9.000 balles qu'il
a il traiter.
*
Passons au côté industriel
L'industriel s'adresse à une usine, il y envoie
ses 9.000 balles de laine à traiter,et on lui prend,
pOlll' frais de façon, 40 francs par balle.
Si l'u sine lui appartient, il aura comme bénéfice industriel la 111arge qui existe entre cette
somme de 40 francs et celle qu'il dépensera réellement pOUl' le irai temen t de chaque balle et qui
s'élève à 30 francs environ, ainsi décomposés:
Frais de main-d'œuvre
15 fI'.
Charroi,charhon
5 fI'.
Loyer, impositions, assurances,
amortissement,employé d'usine
10 ff.
L'usinier a donc à son usine un bénéfiee de
10 francs par balle.
Dans l'exemple, choisi par nous, d'un commerçant qui est en même temps usinier, les
bénéfices sont donc de 90.000 francs au point de
vue industriel; mais, pour gagner cette somme,
le commerçant industriel aura dû se charger de
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60.000 francs de frais gé néraux commerciaux.
Son bénéfice ne sera donc plus que de
30.000 franc s, pour un chilfre d'affaires de
7.200.000 francs etpour~.OOO balles ; soit3 fr.2~
par balle.
La balle coûtant 800 francs, le bénéfice industriel se traduit par 0 fr. 40 pOUT cent, c'est-àdire qu'il est à peu près nul.
Le bénéfice ou la perte ne provient que de la
hausse ou de la baisse SUl' la laine ou le cuù'ot,
à la réalisation.
La balle qui coûte 800 francs est composée
de hlÎ nes et de cuirs.
.
Une fois délainée, la laine et les cuÏ1'ots vendus laisseront ou non un bénéfice; suivant que
le prix de vente dépassera ou atteindra 800 fl' .
U n autre industriel de Mazamet nous di~ait : Il
ne vaudrait pas la peine de faire ce métier s'il
n'y avait la spécqlation.
En effet la spéculation est tont. JI peut se produire des hausses de 100 francs sur chaque balle
de laine, et l'on voit quel serait le bénéfice de
l'industriel dans le cas cité plus haut, où il est
question de 9.000 balles de laine. Les bénéfiees
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44-
peuvent se chiffrer ainsi par plusieurs centaines
de mille francs.
Il est vrai que le jeu est dangereux.
Plusieurs données interviennent, qui peuvent
contrarier toute prévision.
11 y a des questions économiques g6nérales,
telles que la crise américaine en 1907 et la baisse
générale des produits pendant l'année 1900.
Tl Y a des questions économiques spéciales. La
grève de Graulhet, par exemple, a entravé la
ven te des cuirots, c'est · à-d ire des peaux délainées
destin~es à la mégisseri e. La fabrique de Graulhet représente la moitié des débouchés de Mazamet.·-Un changement de mode peut faire baisser le cours de la laine fine d' A u~tralie, ou au
contraire de la laine grossière de Buenos~Ayres.
nne grande mortalité à Buenos-Ayres peut donner une année de bonne production à Mazamet et
parfois aussi préparer une crise pour l'année suivante. Il peut y avoir peu de laine commune en
perspective (et c'est une cause de hausse) et
beaucoup de laine fine (donc cause de baisse et
néeessité de préjuger l'avenir). C'est le cas de
cet~e année; nlais à Roubaix on prétendait que
le mode va être aux étoffes fines. Donc la baisse
de la laine fine devait être entravée.
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Enfin, il Y a des causes diplomatiques: guerres du Japon et de la Russie, guerres de tarifs
entre les différents pays.
On voit combien la question est délicate.
Nous avons dit comment on pou vai t expliquer
que la hausse étai t plus fréquente que la baisse
et pourquoi les industriels de Mazamet ont à se
louer des cours que suivent les laines, une fois
leurs achats terminés. C'est qu'ils se présentent
les premiers sur les marchés de la laine brute,
surtout dans le dernier trimestre de l'année, et
qu'ils n'y trouvent pas une très forte concurrence. Au contraire, le moment où. ils portent
leur laine apprêtée sur les marchés, c'est celui
où les filateurs et les tisseurs ùe laine ont besoin de matière à œuvrer.
Les industriels de M.azamet gagnent donc de
l'argent. C'est incontestable. Mais lorsqu'on
leur demande d'élever les salaires de leurs
ouvriers, ils répondent imperturbablement :
comme industriels, nous ne faisons qu'un gain
médiocre, et nous n'avons à considérer nos
ouvriers d'industrie qu'au point de vue industriel.
Nos gains commerciaux et nos bénéfices de spé-
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culalion, les ouvriers n'y sont p~ur flen et nous
n'avons pas à les partager a vec eux.
Et pourtant ils seraient bien venus d'associer
leur ouvriers à leurs bénéfices et de pratiquer
cette participation,dont les résultats ont été souvent si précieux pOIU la paix sociale.
li est entendu que les industriels de Mazamet
pourraient donner des salaires plus élevés que
ceux qui sont payés pal' eux; mais il faut observer ici une incidence qui pourrait provenir de
cette majoration el retomber sur les autres professions. Ces professions peu vent avoir des bénéfices très étroitement limités et la moindre
augmentation pourrait parfois détruire une
industrie dans le pays et la faire émigrer dans
une autre région, en un mot la tuel' sur place.
Ce danger est à craindre, dans certaines indus·
tries qui ne se maintiennent que grâce à une
sévère économie et à la modération des frais:
telle est l'industrie de la mégisserie.
Et cependant, si les ouvriers du délainage
reçoivent de hauts salaires, nul doute que 18s
ouvriers des autres industries n'en réclament ùe
semblables, sans se douter que les conditions
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ne sont pas les mêmes. La gl'ève des peleurs et
des ma1'7'agos de Mazamet ne provient que du
haut salaire aceordé aux. sabreurs en 1903.
Pourquoi les sabreurs étaient-ils davantage payés
que les peleurs, dont le métier est aussi délicat
et aussi pénible ~
Nous pouvons citer ici un exemple bien typi~
que. A Reims, les ouvriers des caves recevaient
un salaire cl e ~francs et jouissaient du repos
hebdomadaire. Ils se croyaient heureux, surtout
par comparaison, lorsqu'ils regarda.ient les ouvriers du taxtile qui gagnaient 3 fr. ~O et travaillaient semaine et dimanches. Des grÈwes
éclatent, qui donnent aux ouvriers du textile un
salaire presque équivalent à r.elui des ouvriers
des caves, une loi est promulguée qui leur
accorde le repos du dimanche. Et voilà les
ouvriers des caves mécontents de ne pas suivre
la mème progression que les autres et prêts à se
mettre en grève à leur tour.
Les raisons q Ul firent se prolonger si longtemps cette grève de Mazamet sont faciles .l
exposer.
Tout d'abord, patrons et ouvriers parlaient,
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chacun, un langage différent. lies patrons réclamaient des garanties tout d'abord, tandis que
les ouvriers réclamaient avant toute chose une
augmentation de salaires.
Et le refrain des patrons étai t toujours le
même:
« Il nous est impossible, disaient-ils, d'encourager l'abandon brusque du travail, qui a
menacé de perdre toutes nos marchandises, en
donnant une augmentation de salai re, qui aurait
l'air d'un encouragement, pour nos ouvriers, à
persévérer dans ces méthodes brutales.
Aussi leur semblait-il naturel de eommencer par prendre des précautions et d'exiger des
garanties.
*
Plusieurs solutions furent proposées pour
mettre fin à la grève.
Le premier systè,me, proposé par les patrons
aux ouvriers, fut très mal compris par ceux-ci.
Il consistai t à prélever 10 % sur le salaire,jusqu'à ce qu'une somme suffisante fût réunie
et pût servir de gage à la bonne exécution du
travail. Les ouvriers considérèrent ce prélèvement eomme une simple diminution du salaire.
Les patrons proposèrent alors un autre sys.
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.
'"
i!..
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49
~
tème. Ils imposèrent à leur personnell'accep la tion d'un règlement, en vertu duquel chaque
ouvrier, en cas d'abandon du travail laissant la
marehandise en péril , s'engageait à payer aux
patrons un dédit de 50 francs pour les hommes,
et de 30 francs pour les femmes. Tout ouvrier
devait d'ailleurs, dans un cas urgent, contribuer
à sauver la marchandise en péril et accepter,
pour ce faire~ n'importe quel emploi.
Mais quand les patrons parlaient de garanties.
les ouvriers continuaient à réclamer l'augmen.
tation de salaires qui était la base de leurs revendications.
Enfin, il sembla, un moment, qu'on était prêt
d'aboutir à une entente.
Le 29 mars, une conversation s'engage en·
tre la commission patronale et la commission ouvrière. On commence, par diplomatie,
par diseuter les dernières conditions, en réservant les plus essentielles pour la fin. Peut.
être, lorsqu'on sera d'accord sur toutes les
questions accessoires, pourra-t-on faire passer le morceau de résistance, c'est- à-dire
l'augmentation des salaires ? Vain espoir !
On se met d'accord sur la question de la commission mixte d'atelier, dont on espère qu'elle
3
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50
~
cal mera loutes les difficultés de ménage entre
patrons et ouvriers .- Sur toutes les questions
accessoires:on tombe d·accord. Mais,sur la question d'augmentation, l'entente ne peut se faire.
La proposition patronale, qui consiste à donner
aux ouvriers, comme augmentation, des primes
proportionnelles sur les salaires annuels rencontre une vive opposition.Il est vrai que ces primes
ne seront acquises que si le travail n'a pas été
interrompu pendant l'année.- Mais les ouvriers
n'ont-ils pas déclaré qu'ils étaient prèts à offrir
des garanties pour un travail suivi et que ne
viendraient pas interrompre des caprices de
grève?- Ce qu'ils veulent, c'est que leurs salaires soient augmentés chaque jour, que cette
augmentation soit tangible, qu 'ils puissent en
calculer l'effet dans leur salaire quotidien.
Ce que proposent les patrons, c'est une augmentation de salaire payable en une fois, à la
fin de l'année commerciale, c'est-à-dire le 30 juin,
à condition que, pendant toute l'année, il n'y ait
pas eu d'abandon brusque du travail.
Ainsi les patrons offrent cette augmentation
de salaire, qu'ils avaient déclaré ne pouvoir accorder. Et les ou vriers ne sont pas satisfaits! Ils
refusent, les pourparlers sont rompUfL la g rève
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reprend plus vigoureuse que jamais et l'état d'esprit de la population devient nerveux.
M. Jaurès arrive à Mazamet et reproche aux
ouvriers de se buter dans un refus stupiùe.
Le fi avril· les deux Commissions patronale et
ouvrière se réunissent de nouveau.
Là, tout est rompu.
Les patrons, qui avaient aceepté une augmentation de salaires, sous la forme de prime, reviennent sur leur concession, ils dédarent que
cette augmentation est impossible, ils lisent la
déclaration suivante, qui rompt tous les pourparlers:
(( Considérant que la situation ne pel'metll'aû
pas une augm,entation de sa laù'es , sans portel'
atteinte à l'industrie du délainage;
« Considérant que, pour appuyer leurs revend ications, les ouvriers:
1. - Malgré les engagements pris par leur
syndicat,ont cessé brusquement le travail,occasionnant au commerce de MaZiamet une perte de
plus de 500.000 francs ; sans avantage pour personne.
2,- Se sont livrés à des déprédations sur les
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- 52immeubles, occasionnant de lourdes charges à
tous les habi tants de la ville et se sont efforcés
d'entraver]a liberté du travail;
« Considérant que, malgré tous les efforts
possibles pour la conciliation, en accordant une
augmentation de salaires, qui, tout en donnant
une satisfaction a ux ouvriers, les intéresse à ne
pas laisser le travail en souffrance;
« Considérant que les ouvriers ont répondu
par un ultimatum à ces propositions;
« Les patrons regrettent que les ouvriers ne
veuillent pas continuer la diseussion sur ces propositions, leur en laissent l'entière responsabilité, les renouvellent et les précisent:
« Il sera accordé une augmentation de salaires
aux peleurs et aux man'agos, ainsi qu'aux catégories qui y sont assimilées, sous forme de 7 0; 0
sur le total de leurs salaires, payable en fin d'année commerciale, soit le 30 juin. »)
Les ouvrlers répondent à cette déclaration
quïls ne veulent discuter que su r la question de
Faugmentation journaliè1'e du salaire.
La di scussion s'aigrit.
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Nous ne pouvons discuter sous le coup de la
menace, disent les patrons.
Nous ne nlenaçons pas, répond le secrétaire
du syndicat ouvrier M. Barthès; car lorsque je
menace, je frappe 1
Et il ajoute:
Nous nous refusons de continuer la discussion
avec la commission patronale. Nous ne la pou_r~
suivrons qu'avec tous les patrons réunis,
Tout est rompu.
Les ouvriers étaient vertement blàmés de leur
intransigeance par le journal de M, Reille,
Ne voyaient-ils pas que c'était « le ra'deau de/'l'iè1'e lequel le patronat veut abriter sa défaite »)
(Union libérale du 18 avril 1~09),
Il Y a plus, ajoutait le journal conservateur,
heaucoup de patrons se lasseront bien vite d'avoit' à tenir une comptabilité spéciale.
Mais, après avoir blâmé les ouvriers, l'Union
libérale morigénait les patrons,
(\ Il fau t reconnaître que, pOUl' l'incohérence,
le pompon revient aux patrons! Ils écrivent:
« Nous proposons une augmentation de salaires»
. ,.Et quarante huit heures après,ils écrivent sans
sourciller: « Considérant que la situation ne
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permettrait pas une augmentation de salaires ... »
« La retenue, écrivait encore le principal rédacteur de ce journal, qui est le secrétaire de
M. Reille, constituera pour les patrons une garantie plus morale que matérielle.
« En admettant que l'augmentation de 50 centimes soit accordée, la retenue sera de 125 francs
pour 2~0 journées de travail, payahle par semestre de 62 fr. 50.
\( Qu'est-ce, pour un patron qui occupe 100
Olt v l'iers peleurs ou 'lnarragos, que cette retenue
de 0.250 francs? Pour une industrie qui opère
il coups de millions!
« Les ouvriers vont
prolonger la grève pOlir
toucher 5 francs par quinzaine au lieu de 60
francs tous les 6 mois! ))
Le H avril, la commission patronale déclarait
a li préfet que les pourparlers ne seront repris
qu'aux conditions suivantes:
1 La demande écrite devra en être faite pal'
0
les ouvriers.
2° Les négociations continueront entre la commission patronale aetuelle et la commission ouvrière.
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3° La discussion s'ouvrira sur la question de
la prime ,
Le 14 avril, se tint une réunion publique, où
M. Griffuelhes fit ironiquement entenùre que,
si la grève est désastreuse pour certains patrons,
elle est une source de bénéficp,s pour d'autres.
Le 17 a "ril, l'usine du moulin Lautier, il sept
kilomètres de la ville, est incendiée. Une bouteille vide de benzine est trouvée dans un buisson.
Le 18, l'archevêque d'Albi, Mgl' Mignot, réunit 1800 grévistes à l'église métropolitaine et
leu r donne des conseils de calme, puis il fai t
remettre 500 francs au Comité de Grève. Les
journaux raillent cette grève de catholiques conduite par la Confédération Génél'ale dIt Tl'avail.
Le 20, l'usine de Linouère, où le travail a
repris, est assiégée par les grévistes. Un bloc de
rocher est lancé de la montagne dans la gorge
et frôle deux gendarmes à cheval. Les fantassins
sont chargés d'explorer les àètes. et d'en déloger les grévistes.
Lesjollrs suivants, des convois sont arrêtés et
dévalisés, des pierres sont jetées sur la troupe,
11n(} cartouche de dynamite explose, un roch~r
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de 1))00 kilos est lancé sur une usine remplie
de soldats dans les gorges de l'Arnette.
Enfin le 4 lnai, a lieu une réunion ùe trois
patrons choisis hors de la commission patronale
et de trois ouvriers pris dans la Commission
syndicale.
A u lieu des 50 centimes d'augmentation
demandés par les ouvriers, les patrons en
offrent 40.
A u lieu du paiement immédiat demandé pal'
les ouvriers, leurs représentants acceptent :2f)
centimes par jour de t.ravail à payer à la fin Je
la quinzaine et Hi centimes par jour payable à
la fin de chaquA semestre.
Et la paix est conclue le 6 Inai.
La grève est terminée, l'allégresse est générale, et tout le monde s'aborde en disant: « Vous
savez, c'est fini! »
C'est fini, mais ~près 1 t 7 jours de grève. Le
contrat suivant était signé par les deux parties:
Payement diffél'é.
supplémentaire:
~
Il sera allollé un salaire
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De 0 , 'l5 par 100 peaux pour les pe]eurs ;
De 0,015 l'heure pour les marragos;
De 0,01 l'heure ponr les femmes d'usine.
Le 1er janvier on arrêtera le compte des som ..
mes ainsi gagnées du 30 juin au 31 décembre.
Ces sommes seront payées le 31 mars.
De même,le 30 juin,on fera le compte des sommes ai nsi gagnées du 31 décembre au 30 j ni n, et
ces sommes seront payées le 30 septembre. Dans
le cas Ol! il Y aurait un abandon brusque du travail, laissant de la marchandise en sOllff~ance, les
sommes sus-indiquéesreviendraientaux patrons.
Les patrons s'engagent il s'efforcer que les
marragos touchent des quinzaines équivalentes.
Les ouvriers demandent qu'autant que possible les · quinzaines soient arrêtées le jeudi SOl r
ou le vendredi et payées le samedi,
Le reste du eontrat avait trait aux tarifs généraux et en voici le texte:
Sous confirmation de l'accord du 10 août 1903
refait le 6 mai 1909, les tarifs suivants seront en
v igneur à parti r du 7 mai 1909 :
Sabrage. - L'opération du sabrage est payée
il raison de 3 fI'. 50 la balle, avec deux hommes
par sabreuse.
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.Le travail comprend les mani pulations SUlvantes:
1 0 Amener les balles en peaux et les tremper;
2° Les retirer des bacs de trempage et les sabrer;
3° Remettre les peaux dans le second bac de
trempage;
4° Enlever le fumier de sur les grilles, choisir
les morceaux de peaux et sabrer tous ceux qui
peuvent être sabrés.
La balle type sera de maximum:
DOO kilos en Montévidéo ;
470 kilos en Buenos-Aires;
4DO kilos A ustralie , Cap et divers.
Le sabrage à l'heure sera compté à 0 fr. 50
l'heure.
Pelage. - 2 (1'. 50 les 100 peaux, morceaux
payés en sus à iD centimes, la caisse de 40 centimètres de hauteur, longueur et largeur.
Chaque usine conservera son ol'gani~ation
pour l'enlèvement de la pelade et le pelage à un
ou deux bancs. La Commission mixte pourra
être faite juge d'une demande de changement de
cette organisation, dans le cas d'une modification de l'usine.
Là où les peleurs enlèveront la pelade , illeLlf
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sera alloué une indemnité de 0 fr . 30 pal' jour de
tra vail.
Travail à la journée . - Les salaires à lajournée pour les hommes adultes et valides seront
de 3 fr. 25.
Les salaires à lajournée pour les femmes adultes et valides seront de 1 fr. 90.
Les salaires des hommes de magasin adultes
et valides seront de 3 fr. 25.
Les salaires des femmes de magasin adultes
et valides seront de 1 fr. 75.
Il ne sera renvoyé aucun ouvrier, et aucun
d'eux ne sera mis à l'index à la suite de la grève.
La durée de la journée est de dix heures de
travail effectif, commençant à 6 heures le matin
et finissant à 6 heures le soir, avec deux heures
de repos de 11 heures à 1 heure. Les heures supplémentaires du dimanche et jours fériés seront
p'a yées double.
Tout ouvrier, qui aura été commandé pour
venir à l'usine et qui à son arrivée n'aura pas de
travai l , aura droit à une indemnité de déplace.m ent de 0 fI'. 35.
Les ouvriers assimilés aux luarragos auront
une augmentation proportionnelle.
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L'industrie de Graulhet.
Graulhet est une petite ville de 8.000 hahi.
tants, dont le développement industriel, a-t-on
fait remarquer ,est d'au tant plus étonnant qu'elle
est en dehol's des voies de grande circulation.
Mais Graulhet est la vassale de Mazamet et, Il
ce titre. elle profite de l'étonnante fortune de sa
voisine. C'est Mazalnet qui lui prépare la besogne et lui expédie les peaux de moutons délainées. qui doivent être I?égissées. 700.000 douzaines de peaux sont ainsi préparées.
Graulhet domine le Dadou qui est une petite
ri vière coulant dans un ravin profond et dont
l'eau alimente ses usines.
Voici en quoi consiste l'industrie .
.La peau de mouton peut être séchée et se
conservel'; mais, en c.et état, elle est dure, cassante et demande il être amollie. Pour cela, on
doit lui faire subir un certain nOtr~bL'e de prf1pa-
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- 61 tions et la traiter au moyen d'agents chimiques
et surtout uu tannin qui se trouve dans l'éeorce
des arbres,et,dont l'effet empêche les fibres de la
peau de se coller et de perdre leur élasticité.
La première opération du mégissier, qui reçoit
les peaux séchées sans apprêts, est de reverdi e
ces peaux , e' est-à-dire de leur rendre l'humidité
nécessaire pour qu'elles puissent être travaillées.
Le mé gissier met donc les peaux trempel' dans
un bain.
Puis vient l'opération de la mise en chaux,
dans le but de détruire, par la fermentation,
l'adhérence des poils qui restent.
Et alors commence le travail de 1'Ïvièl'e.
Lorsque les peaux sont entièrement délainées,
on les la ve à grande eau et on les écharne.
Cette opération se fait au moyen d'une écharneuse, machine actionnée par la vapeur, qui
enlève à l'intérieur des peaux tout ce qui reste
de chair.
Le pelage est l'opération semblable pour l'extérieur de la peau , la partie qui portait la laine
et qu'on appelle la fleur de peau. Ici le travail
est plus délicat, car c'est l'end'l'oit du cuir qui
ne peut êlre trop rudement raboté; aussi ne
doit-on pas se servir pour cette opération d'une
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machine actionnée à la vapeur. Le trava il se
fait donc à la maù~, à l'aide d'une sorte de hachoir à deux mains, tranehant d'un côté et non
tranchant de l'autre. Le côté tranchant sert à
couper les pattes et la tête; le côté non tt'anchant sert à aplanir les peaux et à en enlever
délieatement toutes les adhérences et toute la
111atière grasse.
Ce travail de pelage occasionne, chez les
ouvriers qui en sont chargés, des pigeonneaux
ou œils de perd1'i.x a11 bout des doigts.
Par le cœu1'sage l'ouvrier adoucit le grain de
la fleur de peau.
La g1'and'façon ou façon de chair consiste à
laver la peau jusqu'à ce que l'eau de lavage
sorte absolument limpide; mais cette opération
tend à disparaître eomplètement, par suite de
l'introduction des (oulons et des turbulents dans
les usines.
La mise lm confit est tout simplementla mise
des peaux dans un bain de son aigri, qui détermine une certaine fermentation, dilate les pores
et les dispose à se laisser pénétrer par la matière tannante, Aujourd'hui, le son est remplacé
par des acides.
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G3-
Les peaux sorties de ces bains sont mises en
r..uve ponr le tannage.
Pour l'opération du tannage, certains produits
étaient employés, dont la saveur pénétrante proYog nait des accès de toux; c 'étai t le cas du
sumac qui a l'avantage de conserver à la peau
sa hlancheur. A cause de sa saveur, on le remplaça par le quebracho pIns économique, ma.is
qui donne à la peau une cou leur de tisane. Les
peaux ainsi tan~ées doivent être colorées en
foneé: noir, grenat ou havane.
Les peaux tannées son t sorties des cuves et
passées il la machi ne appelée éhutleuse qui enlève du côté de la chair toutes les parties de chair,
encore adhérentes ai nsi que les excès de matières tannantes déposées sur la peau par suite
du long séjour qu'elle 11. fait dans la cuve.
Les peaux sont mises au vert. E lles passent
dans une machine semblable à l'ébuttellse, mais
dont le couteau, au lieu d'avoir des lames tranchantes en ac.ier,a des lanles arrondies en cuivre
pour ne pas enlever la fleur, car eeUe opération
se fait du cô té de la peau qui doit supporter la
teinture et qui est l'endroit du cuir.
La mise au vert a pou r effet d'aplanir la peau
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et de faire disparaitre les veines et les plis qui
laisseraient difficilement pénét.rer la teinture.
La teinture s'opère de deux façons:
A la plonge (ou à l'auge).
A la brosse.
C'est dans ces opérations que l'on est forcé
d'employer certains acides et produits chimiques
nuisibles à la santé de l'ouvrier.
Le teinturier à la plonge prend deux peaux
tendues l'une contre l'autre, chair contre chair
et les passe à l'auge avec les mains.
Pour teindre à la brosse, l'ouvrier étend, l'une
après l'autre, les peaux sur une table, après
qu'elles ont été mordorées, et il passe la brosse
sur la peau. Cette teinture est généralement faite
par des femmes.
Après leur passage à la teinture, les peaux·
renferment un excès de liquide colorant; on les
en débarrasse en les soumettant à l'action d'une
presse, et, de là, on les passe au séchoir; mais
auparavant, surtout pour certaines couleurs, on
les imbibe d'une légère couche d 'huile de lin
pour leur donner plus de souplesse et un brillant plus naturel.
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65 -
.Le corroyage termine ces diverses opérations.
Il sert à lustrer les peaux , tout en les assouplissant. Le lissage du cuir est fait par des femmes.
Les peaux sont ensuite portées au magasin
par paquets de douze.
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La. grève de Graulhet
La grève de Mazamet s'était terminée le 6 mai
1909 ; la grève de Graulhet commença le 5 dé.
cembre.
Le secrétaire général de la Fédération des cuirs
et peaux , M. Griffuelhes, se trouvait dans la
région et il voulut faire d'une pierre deux coups.
La grève de Mazamet avait admirablement
réussi pour les ouvriers. Les gens de Graulhet
devaient d'autant plus s'inspirer de cet exemple
que, chez eux, le syndicat est plus fort.. Graulhet
s'honore d'avoir vu naître un des premiers syndicats ouvriers, en 1880, - avant la loi sur les
syndicats.
La petite ville industrielle, dont nous nous
occupons, est éloignée de toute voie de chemin
de fer. Un tram à voie étroite la relie à la ligne
de Castres à Albi. Sa seule industrie est la mégisserie, elle est le principal centre pour la production des maroquins employés à la doublure
des chaussures et des peaux employées pour la
reliure, la maroquinerie, la gainerie.
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G7 -
En 1896, on cornptait à Graulhet plus Je cent
ateliers dans lesquels travaillaient 1. vOO hommes
et 2vO ou 300 femmes occupées au finissage
(corroyage et piquage). Mais, comme la maind'œuvre était insuffisante, cinq des plus importants patrons firent appel au machi nisme perfectionné : ce qui leur mit à dos les quatre-yingtquinze autres patrons, qui n'avaient pas assez
de ressources financières pou r tra nsforme l' len r
matériel primitif. La lutte fut grave entre les
gros et les petits patrons.
L'arrivée des machines avait inquiété les ou\Tiers. Les petits patrons on profitèrent pour
attiser cette hostilité naturelle Je la force humaine contre la force de la maehi ne. Ils dénoncèrent la catastrophe q ni allait s'ensuivre, de
telle sorte que les ouvriers se mirent du côté des
petits patrons, et s'en prirent aux gros patrons.
Ceux-ci, pour se défendre, durent fonder un
syndicat philanthropique, d.ont voici les staluts,
déposés à la mairi e le 28 jan,' ier 1896.
Syndicat mixte et philanthropique pour le développement de l'industrie à Graulhet.
Statuts et Tèglement.
Le Syndicat a
pOUl'
but, la défense des intérêts
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68-
commerciaux, industriels et économiques de la mégisserie à Graulhet et établit en conséquence les statuts suivants:
ART, 1 er , Il se compose:
De membres fondateurs ayant versé à la Société
une somme de cent francs au moins.
ART. 2. - De membres adhérents payant une cotisation de cinquante centimes par semaine,
ART. :J, - Les membres fondateurs paieront, en
outre du versement indiqué à . l'article premier, une
cotisation de un franc par semaine.
ART. 4. - Les sociétail'es se l'éunil'ont en assemblée ~énérale tous les mois, tous les membres de la
Société ont le droit d'y assister.
ART. D. - Seuls les membres adhérents recevront
des subsides de la caisse de la Société et établis ainsi
qu'il suit:
1 0 En cas de chômage, chaque sociétaire ouvrier
recevra un secours journaliel' du tiers du salai re
moyen;
2° En cas de maladie, le secours est fixé R la moitié du salaire moyen ;
3° Les soins ct médicaments, fournis à l'ouvl'iel'
sociétai re, seront gt'atis et à la charge de la Société.
ART. 6, - Les membres adhérents seront garantis
des accidents du tt'avail par des Compagnies d'assurances,et la prime, à ces Compagnies, sera ft la chat'ge
individuelle de chaque membre fondateur.
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69-
ART. 7. - " La Société sel'a administrée pal' un bureau composé de:
1° Un Prés id ent; 2° un V ice-pj'ésident; 3° un
Secrétaire; 4° un Trésorier, pris parmi ses membres et élus ù la mnjori té des suffl'ages expl'imés au
vote secl'et.
ART.
8. -
Le bureau est élu pOUl' un an et rééli-
gible.
ART. 9. - L'assemblée nommel'a, à la majorité
des suffl'ages expr im és, des commissions pour étudier les questions soumises au hUl'cau. Ces comm issions se l'éuniront au lieu ol'dinail'e des séances SUI'
a con vocat ion du pt'ésident.
ART. 10. En cas de dissolution de la Société, les
fonds l'estant f\n caisse seront versés au bureau de
bienfaisance de Grau lhet.
Fait à Gl'8ulhet, le 28 janvier 1896.
Le P.résident,
Le Vice-P1'ésident,
CHARLES CATHALAfJ
PONS PÈRE ET FILS
Le Sec1'étai.re,
~IAnIUs CHABBAL
Le Trésorier,
MIQUEL
ct
TAYAC
Les ou vriers, excités pal' les peti t.s patrons,
essayè ren t d'interdire les machines. Tls mirent
les cinq usines à l'index, et il s'ensuivit une
grève de plusieurs mois, pendant lesquels le
synd icat ouvrier dépensa cent mille francs. A la
suite cle la grève, les patrons se refusant à sacri-
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l
-
70 -
fier leur machin1sme perfectionné, les OUVI'lers
furent 0 bligés de réintégrer les usi nes sans autre
bénéfic.e que de s'être ruinés dans l'intérèt un1que des petits pa trons.
Des cinq g ros patrons d'alors, il en existe
deux, MM. Chabbal et Armengaud, qui font
encore partie des dlssidents rl u syndicat patronal.
Les ouvriers devaient faire tous les frais de
la lutte stupide, dans laquelle ils s'élaient lancés aveuglément. Les peti ts patrons réduisirent
tout d'abord les salaires de leurs ouvriers pour
soutenir la concurrence des gros patrons, que
servait un machinisme perfectionné. Les gros
patrons, an contraire, augmentèrent les leurs,
dans le but de vaincre la résistanee des ouvl'lers et de se venger de la guerre hypocrite
que lenr avaient faite les petits patrons, - tant
et si bien que ces derniers durent se résoudl'e à
disparaitre ou à moderniser leur ou tillage. Ceux
qui. manquaient de capitaux trouvèrent à eq.
em prunter à .Mazamet, qui avait besoin de
Graulhet pour l'écoulement et l'utilisation de
ses peaux délainées.
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71 -
Mais la machi ne a eu deux résultats:
10 d'accroître les chômages, en activant la
production clans les périodes de presse,
2 0 cl'allgmen ter considérablement le nombre des
ouvrières uu détriment des hommes employés
dans l'indllstrie.
Sur ce dernier point, la tactique du syndicat a
été extrèmement habile,
Le synùicat ouvrier a réclamé pour les femmes une augmentation de salaire, de telle sorte
que les patrons eussent moins d'avantage à employer les femmes,
Les ouvrières étaient enchantées de ces ùemandes faites en leur faveur et des augmentations qui pouvaient leur être concédées, sans se
douter que le résultat ob't enu, c'était la diminution du nombre des remmes, qu'on avait moins
d'intérèt à employer, du moment que leur salaire
se rapprochait de celui des hommes,
Une grève avait éclaté en 1889, qui avait été
terminée par la convention suivante
ART. fer, POW' evite?' tout conflit, les deux Com-
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7?, -
missions d'inle1'médiaÏ?'es se1'ont, à l'avenÏ?' et touj Otl1'S, saisis des desiderata des d3ux Syndicats, qui
deV1'ont ém,ett1'e leU?' avis dans leu1's assem,blées 1'espectives, avant qu'elles se soient P1'O?10ncées, Copie
de toute délibération devra êtTe transmise à titTe de
?'écip?'oci té.
ART, 2. - Toutes les fois qu'un désacco?'d quelconque sU1'gÏ?'a dans une usine, les Commissions
d'inte1'médiaÏ?'es se1'ont Téunies, et, en pTésence des
inculpés, vide1'ont les diffé1'ents.
ART. 3, -Les patt'ons restent entièrement lil.Jl'es
pOUl' le développement et le perfectionnement de
leur outillage; quant au chômage, il sera réglementé,
conformément aux articles 1 et 2,pal' les Commissions
intel'médiail'es des deux Chambres.
ART. 4. - Dans toutes les usines où il y aura un
contt'emaitre, cet employé sera le représentant abso lu du pa1l'on, il aura le dl'oit d'embauche et de
ren voi, de direction entièi'e et, pour mandat pal,ticuliel', de veiller ù ce que les hommes fassent leUl' tra-'
vail, toujours bien entendu, conformément aux lois
de la morale et de l'équité. Comme ga l'antie de cet
article et pour évite!' toute contestation de ce chef,
le contl'emaître cessera de fail'e partie d u S~'nd icat
ouvrier, le JOUl' où le patron le présentera aux ouvriel's de son usine comme son l'eprésentanL, et il
sem réintégré de droit dans son Syndicat avec toutes
les pl'él'ogatives d'ouvrier syndiqué, le jouI' où il
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cessera d'occuper son emploi; il lui suffira de vel'sel' une somme égale à l'allgmentation ' qu'aUl'a pu
subir, depuis son départ, le chiffre de la répartition
pal' tête de la caissp, commune.
ART. 5 . - A la demande du patron, les ouvriers
devront donner le tour le dimanche et jours fél'iés
(le SOil' en payant) ; également un ou vrier sera dési·
gné pour l'allumage des fourneaux. avant l'heure réglementaire, les jours de teinture.
ART. 6. - Pour entrer dans les vues du Syndicat
ou vrie l' et afin que toute liberté soit lai ssée à l'ouvrier
qui voudrait sortir de l'usine, les patTons consentent
à supp?'im,e?' la huitaine réciproque.
ART. 7. Tout. apprenti au-dessus de se ize ans,
pour entrer dans le Synd icat ollvl' ier et profiter de
tous ses avantages, devra sub ir, durant la ~remière
année et chaque semaine, une retenue de 10 centimes par franc sur son salaire.
ART. 8. - Les ouvriers laissent aux patrons la li·
berté de faire trois heures supplémentaires par semaine à raison de 40 centimes l'heure. Le travail
du dimanche est fixé à trois heures à raison du prix
da l'heure de la journée, mais les heures en sus seront cons idérées corn me supplémentaires et payées
comme telles.
Tout sera oublié à J'égard de l'ouvrier, tous sans
exception seront réintégrés . dans leurs usines respectives. La bonne harmonie étant une condition
4
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74 -
J'existence pour les deux Chambres; à cette fin, les
conditions établies entre patrons et ouvriers sont
maintenues. Les patrons syndiqués ne doivent occuper que des ouvriers syndiqués, et réciproquement,
les ouvriers syndiqués ne doivent travailler que chez
des patt'ons syndiqués. Comme application de ce principe, les ouvl'iers qui ne se confol'meront pas à cette
décision seront aussitôt considérés comme non syndiqués.
En Tésum.é, la seule voie à suivre pOUT tout ce qui
a tTait aux Tapports des patTons et des 01lVrieTS, c'est
de se con!'onne?' strictement aux articles i et 2 cidessus mentionnés.
Toute contravention à ces (~ivers articles sera considérée comme une déclaration de conflit.
Copie des présents accol'ds sera signée pal' les représentants des deux parties.
Fait double à Graulhet, le 22 août 1889.
Pour le Syndicat des ouvriers,
Signé:
P?'ésidel/t.
SeaétaiTe.
PERRY ALFRED,
BARTIlÈS JEAN,
Pour le Syndicat des patrons,
Signé:
Président,
Sec1'étaire.
FONVIELLE COl\IBÈS,
BIŒTHOUMIEUX JEAN,
La grève de 1\HO avait donc éclaté en violation
de cet aceord, subitement; brutalement et par
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75
~
surprise. Les ouvriers ne furent pas longtemps
à reconnaître leurs torts.
L'échange des lettres entre le Syndicat patronal et le Syndicat ouvrier jette la plus vive lumière sur les circonstances dans lesquelles cette
grève fut déclarée.
11'. lettre du Syndicat des ouvriers moutonniers
au Syndicat patronal.
Grau lh et, le 4 décembre 1909.
A M. le Président du Syndicat des Patrons Mégissiers de Graulhet et MM. les Membres du Syndicat.
Après la réunion des femmes travaillant dans
votre industrie et faisant partie de notre Syndicat,
réunion qui a eu lieu le samedi soir 4 décemhre à la
Maison du Peuple,
Je tiens à porter à votre connaissance la décision
qui a été votée à sCl'utin secret et qui consiste en
l'augmentation du salail'e de la femme dans les conditions sui vantes:
Question unique: « Salaire de la femme porté à
o fr. 2D l'heure, à partir de lundi 6 décembre, »
N .-B. Il est bien entendu que la durée de la j OUt'née de tL'avail devra restel' la même, c'est.à-dil'e
9 heures,
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~
Dans l'espoir, Monsieur le Président, que vous
prendrez vos dispositions pOUL' communiquer à vos
collègues la présente et que vous voudrez nous donner
une réponse dans le plus bref délai, c'est-à-dire ce
soir dimanche 0 décemb?'e 1909,
Pour le Syndicat et par mandat:
Le SecrétaiTe pe?'manent,
A, CALVIGNAC.
Cette première lettre fut remise au fils du Président du Syndicat des patl'ons:au café, à 10 heures du soir. Rentré chez lui, il ne voulut pas
réveiller son père. Le lendemain matin, celui-ci
étant parti de très bonne heure pour l'usine, la
lettre ne put lui être remise qu'à 9 heures. Il
convoqua immédiatement la commission patronale et répondit au t5yndicat ouvrier.
Première lettre des patrons,
C hamb?'e syndicale des pat?'ons mégissie?'s.
Graulhet, le 0 décembre 1909.
Monsieur le Secrétaire permanent du Syndicat
des ouvriers moutonniers.
j'ai reçu votre lettl'e d'hier au soir. 'route diligence
a été füite il ce sujet. J 'ai réuni la commission Ce
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matin à 10 heures; mais, ne pouvant prendre sur
elle la responsabil ité, elle a décidé de convoqller
notre Syndicllt pour demain au soir lundi.
Veuillez agréer, Monsieur le Secl'étaire, mes saiu·
tations empressées.
FONVIEILLE-COl\1BÈS.
Réponse des ouvriers.
Chamb1'e syndicale des ouvrie1's moutonniers.
Graulhet, le fi décembre 1909.
(au matin)
Monsieur le Président et MM. les membl'es
du Syndicat des Patrons Mégissiers.
A la suite de votre réponse d'hiel', nous tenons à
vous av iser que, dans votTe réunion de ce soir, vous
aurez à tenir compte de la décision p1'ise par not1'e
Syndicat dans sa Téunion de dimanche 5 décemhre.
En voici la teneur: « Le travail ne sem rep,'js dans
les usines que lorsque les femmes auront obtenu
satisfaction à la demande d'augmentation générale
de leur salail'e , qui doit être podé à 0 fl'. 25 l'heUl'e9 heures .de travail par joUI' (1) sans autres conditions aléatoi res.
Agréez, Mess ieurs, mes salutations empressées.
Pour le Syndicat et par mandat,
Le Seaétai?'e permanent
A. CALVIGNAC.
(1) Les honimes ont 9 h. 1/2 de travail à l'usine. Les fem-
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N .-B. Vous voudrez bien faire parvenir votre réponse tt la Maison du Peuple.
Sur l'initiative de quelques membres du Syndicat patronal, le bureau avait avancé à 2 heures
de l'après-midi la réunion qui avait été annoncée
pour le soir.
Deuxième lettre des ouvriers, du même jour.
reçue par les patrons dans leur réunion,
(vers 3 heures).
Chamb1'e syndicale des ouvrie?'s moutonnie?'S.
Graulhet, le 6 décembre 1906.
Monsieur le Présid!;llt et MM. lcs l\'l embres
du Syndicat des Patrons Mégiss iers.
Nous tenons il porter à votrc connaiss::ll1çC la décision votée pal' notre Synd icat, dans sa réunion du
lundi 6 décembre, 2 heures de l'après-midi:
« Vu la nwuvaise volon té des patro1/s (1) pOUT
trancher une a(fai?'e d'une si faible importance, Le
Syndicat estime que les pat?'ons doivent supporte?'
mes ont un quart d'heure de plus avant onze heures et
avant 6 heures du soil' pour aller préparer les repas.
('1) Cette mauvaise volonté avait consisté il. ne pouvoir
convoquel' sur l'heure 70 patrons, sur tout un dimanche. où la
poste ne fonctionne pas normalem e nt ,
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7~-
les fl'ais de pe1'te de temps des ouvriers et ouvriè1'es
pOU1' la fou1'née du lundi 6 décen~bre, foutes réserves
j'aites pou?' la suite. »
Veuillez nous donner une l'éponse sur le tout, pour
la réunion de ce SOil' qui a lieu à 8 heures sous la
halle.
Pour le Syndicat et par mandat,
Le .SecTétaÎ1'e permanent,
A. CALVIGNAC.
Réponse des patrons.
Chambre syndicale des patrons 1négissie1's de Graulhet.
Graulhet, l~ 6 décembr'e
(4 heures)
Messieurs,
Nous a.vons l'honneur de portel' à volt'e connaissance la décision de notre Syndicat pl'Îse en assemblée générale, à la réunion de ce jour:
« Conformément aux accords établis entre le Syndicat patronal et le Syndicat ouvriel', le Syndicat patronal donne mission ù son bureau et à sa commission de s'a lJoucher avec le bureau et la commission
du S)ndicat ouvrier pour étudier la réglementation du
travail et du salaire des femmes dans les usines. »
Nous sommes donc à votre disposition pour nou~
réunir'
à t'heure qui
vous conviendl'a~.
.
,
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80-
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire permanent,
mes meilleures salutations.
Le PTésident,
FONVIEILLE-COMBÈS.
Troisième lettre des ouvriers, du même jour.
Chamb1'e syndicale des o1LV1'ie1's mo'UlonnieTs.
GI'aulh et, le 6 décemhre 1909.
M. le Président du S-yndicat . des Patrons Mégissiers,
A lu suite de vott'C t'ép0nse de ce so il' et apt'ès ùé~
cision prise pal' notre Synd icat à ce sujet, je dois
vous dire que nous SC t'ons à la disposition de votre
commiss ion demain matin ù ·8 heures , pOUl' discuter
sur les questions suivantes:
1" Augmentation du salaire de la femme porté à
o ft'. 25 de l'heut'e : 9 heures de travail pat' jour.
2° Le lundi de perte de temps à la charge ùes patrons.
3° Diminution de la joul'née de travail pour
l'homme; journée portée à 9 heures.
Sauf communication contrôire, nous sel'ons au
Tivoli demain matin à 9 heures.
Agréez, Mons ieur, nos salutations empl'essées.
1?ouf le Syndicat et par mandat,
le
Sec1'étaÎ1'e pe1'1nanent,
Al
CALYIGNAC,
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81
Ainsi au fur et à mesu re que les lettres se suc_
cèdent, les revendications s'accumulent.
La grève s'était faite sur.la question du salaire
des femmes.
Voilà que pour n'avoir pas répond u assez tôt
au gré du Syndicat, les patrons sont frappés d'une
sanction,d'une amende d'une journée de tra vai!.
C'est nettement compliquer la question. Il est
bien certain que les patrons n'accepteront pas
eetteamendehumillante, pourun retarddontils ne
sont pas responsables. L'augmentation du salaire
des femmes n 'es t pas une question d'heures. Elle
peut attendre un jour, sans que la justice sociale
en soit ren versée.
Il faut remarquer, en outre, que par un précédent eontrat, les ouvriers ne peuvent décider une
grève immédiate. Ils sont tenus à sauvegarder
les matières que l'on a commencé à préparer et
dont le travail ne peut être suspendu sans danger de perte.
Mais cette complication de la deuxième revendication ne suffit pas encore au Comité. Il en
ajoute une troisième.
Fa vorisés par rapport aux autres métiers, les
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8'2-
ouvriers mégissiers ne font que neuf heures 1;2
de travail, alors que la journée normale est eneore de dix heures et que nombre d'ouvriers,non
privilégiés par la loi, ont des journées de onze
heures et plus. Ils exigent tout d'un coup neuf
heures.
Il semble que le syndicat ouvrier ait voulu la
grève. S'il s'était contenté de réclamer pour les
femmes, il aurait sans doute obtenu gain de
cause. Mais on dirai t qu'il redou te d'obtenir trop
facilement satisfaction. Il accumule les difficultés comme à plaisir. Il impose une humiliation
aux patrons et il réclame une réforme de la
journée de travail, contre laquelle il sait que les
patrons sont irréductibles.
Le Syndieat ou vrier aurait dû, s'il voulait présenter un programme complet de revendications,
le présenter en bloc, dès la première minute.
Une transactionaurait pu alors intervenirentre
le Syndicat patronal et le SyndicaL ouvrier. Il aurait dû éviter surtout cette demande anormale du paiement d'une journée non faite, qui
indisposa au plus haut point les patrons et les
poussa à la résistance à outrance.
Les lettres se suivent cependant, l'entrevue
ayant eu li811 entre les ol:\.vriers et les ·patrons,
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83-
et ceux-ci ayant exigé tout d'abord la reprise du
travail.
Le Syndicat patronal reçoit cette nouvelle
lettre des ouvriers.
ChambTe syndicale des ollV1'iel's ?1wutonnieTS.
Graulhet, le 7 décembee 1909
11 hcuees du matin.
Monsieur le Président, MM. les Membres du
Syndicat des Patl'ons Mégissiers.
Nous tenons il porter à votee connaissance la décision peise par notre Syndicat dans sa eéunion de ce
jour, 10 heures, concernant l'entrevue que nous
a vons eue ce même jour.
Votre proposition rr,lative à la reprise du travail
et à discuter ensui te a été rejetée. Le Syndicat maintient donc sa décision antérieure qui vous 11 été communiquée hier soir. C'est-à-di,'c que nous acceptons
la discussion, mai s sans reprendre le travail. Si toutefois vous croyez une deuxi ème en trevue possible,
nous sommes à 'Votre disposition) à l'heure qui vous
con viendra le mieux, si possible dans la soirée.
POUl' le Syndicat et pat' mandat,
Le Secrétaü'e pennanent,
A. CALVIGNAC.
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84-
Réponse des patrons.
Chamb1'e syndicale des patrons mégissiers
de Graulhet.
Graulhet, le 7 décembre 1909.
:M onsieur le Secrétaire pel'manent de la Cham ~
bre syndicale des Ouvriers Moutonniers.
Nous avons l'honneur de vous accuser réception
de votre lettre refusant de réintégrer nos usines en
continuant les pourparlers. - Le S~ndicat patronal se
voit obligé de fail'e le sauvetage immédiat de ses marchandises. Néanmoins la Commission et le bureau de
notre SJ'ndicat restent ù vott'e disposition, conformément à nos accords précédents, pour nous aboucher
avec le bureau et la Commission du Syndicat ouvl'ier.
- Il est bien entendu que les portes de nos usines
restent ouvertes aux ou vl'iet's qui veulent reprendre
le travail.
Veuillez agréer, l\fonsieul', l'assurance de notre parfaite considération.
Le Président,
FONVŒILLlt; COi\1Bl~ S.
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85 -
Deuxième lettre des ouvriers, du même jour.
Chamb1'e syndicale des ouvrie1'S l1wutonniers.
G-l'aulhet, le 7 décembre 1909.
Monsieur le Président et MM. les Membres du
Syndicat des Patrons Mégissiers.
En présence de votre réponse de ce so ir, que nous
avons communiquée à nos camarades dans nott'e réunion de ce soir, nous tenons à vous communiquet' la
décis ion prise dans cette dernière:
Le Syndicat ne tient pas les pourparlers comme
définitivement rompus, et la Commission de grève
est toujours à vott'e disposition, toutes les fois que
vous le jugel'ez utile et à l'heul'e qui vous conviendt'a.
Agréez, Monsieur, nos salutations empressées.
Pour le Syndicat et par mandat,
Le Sec1'étaire permanent,
A. CALVIGNAC.
On remarquera que, dans toute cette COl'res"
pondanee, il n'est nullement question du côté
hygiénique de la réclamation formulée par les
ouvriers au sujet des repos le matin et le soir.
Cette explication fut en effet trouvée par
M. Jaurès. Il ne suffit pas de de mander une
réduction de la journée de tra vail, indiqua l'ha-
Numérisé par la
._ -....1 . 1.... ..
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J. ' _ _
bile orateur, surtout lorsque lajournée se trouve
déjà plus réduite qu'ailleurs. Il serait néceHsaire
d'expliquer et de justifier cette demande. Les
ouvriers emploient les deux repos du matin et
du soir à de légers repas. D'autre part, ils manient des matières dégoùtantes et dangereuses.
Ils doivent se laver avant de manger, sous peine
d'empoisonnement; - qu'ils réclament donc]e
temps nécessaire pour se laver avant ees deux
repas!
Nous verrons dans la suite de la grève comrnent les patrons essayèrent de concilier ·ces
légi li mes exigences et quelles proposi ti.ons furent
faites aux grévis tes, que ceux-ci eurent le. grand
tort de ne pas accepter, car elles leur donnaient
à peu près entière satisfaction.
Le Syndicat ouvrier de Graulhet compte à peu
près tous les ouvriers et ouvrières de Graulhet:
1.1~O hommes et 6~O femmes.
Le Syndicat patronal comprend les 7~ patrons
de Graulhet moins deux dissidents, qui sont de
gros patrons, MM. Chabbal et Armengaud. Ils
faisaient partie des cinq qui uyaient formé, en
1896, ce Syndicat. philanthropique , dont nous
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avons indiqué la constitution. M.Chabbal occupe
275 ouvriers et ouvrières.
Nous avons dit qu'ils combattaient alors pour
l' introduction de la machine dans l' industrie de
Graulhet et qu'ils avaient été longtemps attaqués
par les autres patrons,soutenus par les ouvriers,
qui n'avaient pas su comprendre leur véritable
intérêt et qui le reconnaissent aujourd'hui. En
effet, la machine n'a pas eu pour résultat de supprimer le nombre des ouvriers et de réduire le
travail. - Au contraire. - Les usines pouvant
fournir avec plus de régularité et de célérité aux
commandes , tous les centres de consommation
du euir ont pris l'habitude de recourir à la fabrique de Graulhet (1). Mais le ressentiment des
patrons dissidents contre leurs ad versail'es de
jadis a persisté. Ils ont eu à subil', en effet,
grâce à l'hostilité combinée de leurs collègues
locaux et des ouvriers, des années de grèves
persistantes.
MM. Chabbal et Armengaud se trouvèrent
('1) On peul cependant observer que le machinisme a
accentué les périodes de crises en' accélérant la production
aux momenls de presse, tandi s que jadis on travaillait d'un
bout de l 'anné~ il. l'autre pOUl' sa tisfaire aux commandes.
Mais les ouvriers de Grau lh et, il demi-agricoles, savent s'em.. ;
ployer aux travaux ùe la terre pendant les chômages.
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. ,.. '
~
-
88-
dans une situation tout à fait plaisante au débu t
de cette grève. N'ayant pas à se concerter avec
de nom breux collègnes, ils avaient pu, dès le
dimanche soir, prévenir le Comité de la grève
qu'ils acceptaient de donner aux ouvrières employées chez eux les 25 centimes d'augmentation
rédamés. Ils se trou vaient donc en règle, si on
peut employer ce terme pour cette sommation
brutale, faite sous menace de grève. Les grévistes n'en empêchèrent pas moins les ouvriers de
ces deux pa.trons de se rendre au travaille lundi
matin. Les rues furent barrées par des piquets
de sentinelles. Et la suite joyeuse de leur concession fut que le Syndicat ouvrier leur imposa
le paiement de la journée du lundi, chômée
contre leur gré.Ils se refusèrent du reste à accepter cette plaisanterie.
*
Le 1 ~ janvier 1910, un modèle de contrat fut
proposé pal' M. Jaurès au. nonl des ouvriers.
En voici le texte:
Entre Messieurs .... ,
Représentants du Syndicat ouvrier.
Entre Messieurs .. , .. ,
Représen tants du Syndicat patronal.
Il a été convenu ce qui suit:
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89-
Il est accordé aux femmes 0 fr. 20 d'augmentation
par jour, ce qui porte la journée pOUL' elle à 2 fI'. 20.
Pour les hommes, pour une durée de présence à
l'usine de 10 heUL'es, il est accordé un quart J'heure
supplémentaire pOUL' chacun des petits repas, ce qui
porte lajournée de trava.il effectif à 9 heures, au lieu
de 9 heures 1/2.
L'application de cette journée de 9 heUL'es est
fixée à 8 jours après la reprise du travail) et cela pour
permettre à Messieurs les Patrons d'avoir le temps
d'organiser le travail, en se basant sur ces conditions
nouvelles.
Le présent accord est valab le jusqu'au 30 novernbl'e 191J.
POUL' loutes les autres conditions de t1'avail j us qu'ici appliquées dans les usines, les ou vriers s'engagent pendant cette période à les respecter, sous ré. serve qu'aucune modification nou velle, tant au point
de vue chimique .que mécanique, ne viendra changer ces conditions, aggraver le chômage el jeter un
trouble dans la répartition du travail.
Si pour un motif se rappol'tant_à ces faits, une difficulté surgissait, une Commission, composée à partie
égale de Patrons et Ouvriers (le nombre peut en
être fi xé d'un commun uccol'd) serait appelée à la
résoudre. Dans tous les cas, les ou vriers donner'ont
3 jours à Messieurs les patrons pOUL' répondre à leur
ëommuni ca tion; toutefois,pendant les pourparlers,le
4.
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~o-
travail sui vra. son:cou l's normal de pal't et d'alltl'e.
Toutes les modifications pour un nouveau conteat
devront être soumises, de pad et d'p.utl'e, avant le
31 octohre 19ti.
Passé cette date, le contl'at sera, de con vention taci te,
consid~l'é comme prol'ogé, pOUl' une nouvelle période
de même d ul'ée.
La discussion sur des pl'oposi tions nou velles devl'a
commencer le Hi novembl'e HH 1, pour qu'une solution intel'v ienne au jouI' de l'exp imtion du présent
contrat.
Fait en double et de bonne foi.
A Graulhet, le ....
Le 20 janvier, les patrons du Syndicat répond aient, par lettre, à cette propusition :
Ils déclaraient vouloir maintenir le principe
de la journée légale, telle qu'elle a été votée par
le Parlement, soit dix heures de travail interrompues par un ou plusieurs repos.
( .La gracieuseté du quart d'heure, pour chaq ne casse-cro'ùte matin et soir, reste consentie.
Si l'insuffisance du quart d'heure pour chacun des
ouvriers n'est pas un vain prétexte, ils seraient
autm'isés à ' raugmenter, en diminuant d'autant
le repos de deux heures. qui existe de onze heures à une heure, repos qu'on peu t remettre de
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YI -
onze heures ü midi 1/ 2, comme il l'avait toujours
é té. - Il nous est impos sible d'aller plus loin ,
ajoutaient les patron s g raulhetois, sans nous
'm eUre en infé riorité avec tous nos concurrents. »
C'était donc sur une question cIe principe que
se tenait la discussion.
Les ouvriers ne demandaient pas d'augmenta tion:
_L es hommes qui travaillent à la machine sont
payés de 4 à 4 fr . DO.
Les ouvriers de rivière ou mégissiers qui tra·
v aillent au chevalet reçoivent 4 francs.
Les manœuvres 3 h. ~ O.
Seules, les felumes qui n'avaient que 2 f['ancs
réclamaient une augmenLation de 0 fr. 25, qui
mettrait l'heure de travail (puisque les femmes
ne font que neuf heures) à 2:$ centimes.
Ces 25 centimes, tous les patrons étaient d'accord pour les accorder. Il n'y a donc plus de
difficultés de ce côté. C'est seulemenlla question théorique de lajournée de travail qui était en
jeu. Nous disons la question théorique, parce
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92-
qu'en fait les patrons ferment les yeux sur
. « l'allongement du quart d'heure ,» qui souvent
atteint 20 et 25 minutes. Il n'y a donc là, des
deux côtés, qu'une question d'amour-propre.
Les patrons ont peu!', en concédant les neuf
heures pour les hommes, que toutes leurs concessions soient épuisées, lorsque les ouvriers
sentiront le hesoin d'une nouvelle grève. D'autre
part,ilssont maldisposésà l'égarddeces ouvriers,
avec lesquels ils vivaient sur le pied de la familiarité la plus complète, et qui ont essayé de les
étranglljr en cessant brusquement le travail et
en risquant dlj leur imposer des pertes énormes.
Heureusement, les patrons sc sont vite rappelé
qu'hier encore ils étaient des ouvriers, et ils ont
fait comme les patrons boulllngel'S qui mettent
la main à la pâte, lorsque leurs ouvriers font
grève. Aidés de leurs employés, ils ont repris le
métier que beaucoup d'entre eux n'ont jamais
cessé d'exercer et ils ont sauvé toutes les mal'chandises en danger.
La grève est donc générale. Tout le mois de janvier se passe tranquillement. Les réunions se suc·cè'dent.On organise l'exode des enfants aux envi-
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93 -
rons, à Mazamet, à Alhi, à Toulouse. La verrerie
ouvrière d'Albi est surtout d'un grand secours,
elle fournit de l'argent et s'occupe des enfants.
A ces enfants qui vont partir ,on fait les honneurs
de l'estrade, aux réunions syndicales. Le secrétaire de la Fédération des Cuirs et Peaux, M. Griffuelhes, le secrétaire du Syndicat de Mazamet,
M. Barthez, le délégué de la C. G. T., M. Dret,
assistent le secrétaire de Graulhet, M. Calvignae,
M. Barthez donne des conseils de sagesse et
détourne les ouvriers de la violence. On lui reproche même son calme et sa modération.
c( Qu'on coupe des fils, qu'on décharge des
charrettes,disait-il,ce n 'est pas eela qui terminera
la grève. C'est de la discussion seule que peut
sortir l'entente ... Il faut renouer le:; pourparlers. Les ouvriers montreront ainsi leur bon vouloir» (Réunion du 1er février 1910).
Le 2 février,les grévistes décident de faire des
ouvertures aux patrons, en vue de la conciliation.
Mais les jours suivants, certains aetes graves
sont commis. Les femmes grévistes n'écoutent
rien : On assaille des officiers de gendal'merie, on
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84 -
arrète les cha l'rois et on les dépo u ille, le ehar})on
envoyé à l'usi ne il gaz est dispersé.Le 11 février,
une eal'touche de eheddite éclate dans le soupirail d'une maison appartenant à un mégissier et
casse 11 ne partie des carreaux de la rue étroi te
où se trouve cette maison.
L'autorité prend immédiatement des mesures
sévères t inslalle de nombeeux postes de soldats
et fait faire des patrouilles fréquentes il la gendarmerie. Toute personne rencontrée dans les
rues, après dix heures du soir, est identifiée.
Le 12 féveiel', les patrons dissidents font une
proposition aux grévistes ,
Voici queUe étai t la proposition, fort acceptable, de MM. Chabbal et Armengaud.
Ils concédaient un quart d'heure de plus pour
le petit déjeuner du matin. Il est vrai qu'ils reprenaient ce quart d'heure en le retenant sur
les deux heures du repas de midi ; mais ils
payaient ce quart d'heure aux ouvriers , en leur
donnant un (ranc de plus pm' semaine, ce qui
équivalait à 15 centimes du quart d'heure au lieu
de 10 centimes, puisque l'heure est payée aux
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-- 05ouvriers 40 centimes. C'étalt donc un paiement
avec prime légère.
11 était sous-entendu que les ouvriers auraient
le droit de refuser par la suite ce franc supplémentaire et de reprendre le quart d'heure qu'ils
\\.vaient vendu. Ils n'auraient donc plus fait que
neuf heures et quart de tra vai!.
Dans l'esprit des auteurs de la proposition,
cette concession avait pour but de donner une
satisfaction au Syndicat ouvrier, tout en parais~ant sauvegarder le principe de la journée de
dix heures, principe auquel tenait si fortement
le syndicat patronal (1).
Le syndicat ouvrier commi t la faute de ne
pas accepter cette habile solution du problème.
Il ne s'agissait iei que du temps de tt'avail de
l'homme. Nous avons dit que la femme était autorisée à partir un quart d'heure avant 'c hacun
des grands repas, pour les préparer, c'est-à-dire
à 11 heures moins le quart et à 6 heures mOlns
le quart.
L'horaire est, en eiIet, ainsi fixée:
6 heures: entrée à l'usine.
(1)' Ce principe n'était pas détruit par les arrê ts du travail
pour les deux casse-croûtes, ces arrêts étant considérés
comme une concession gracieuse des patrons.
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CJ6-
Vers 8 heures: repos d'un quart d'heure.
11 heures: sortie de l'usine pour les hommes.
(Pour les femmes: sortie à 10 h. 3/4).
1 heure : Rentrée.
Vers 4 heures: collation d'un quart d'heure.
6 heures: sortie de l'usine pour les hommes.
(Pour les femmes: sortie à 5 h. 3/4).
Avant cette proposition. il y avai t eu celle du
Syndicat patronal, qui avait offert de payer le
qùart d'heure, mais d'attribuer les sommes provenant de ces versements à la constitution d'une
caisse de garantie.
Ensuite, il y en eut une autre présentée par
M. Fagnot, enquêteur permanent de l'Office du
Travail, qui laissait la durée de la journée de
travail à 9 heuTes et demie, mais faisait payer
cette demi-heure considérée comme supplémentaire., au prix onlinaire de l'heure, c'est-à-dire
à 20 eentlmes. Les ouvriers touchaient donc
1 fI' . 20 de plus pal' semaine; mais ils avaient,
comme dans la comhinaison des patrons dissident.s, la faculté de déclarer, par la suite, qu'ils
p référaient renoncer au bénéfice de c~tte demi-
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- 97heure supplémentaire: ce qui entraînait la suppression de cette demi-heure de travail.
A la suite de la réuniou où fut proposée la
combinaison de M. Fagnot, quelques patrons
ayant déclaré que probablement leur Syndicat
ne l'accepterai t pas, les ouvriers prirent les devants et déclarèrent qu'ils ne voulaient pas euxmêmes l'accepter.
Ils le regrettèrent depuis.
En présence de ce refus, le Syndicat patronal
décida de retirer toutes les concessions et propositions qu'il avait faites. Le Comité de grève
riposta par une lettre ouverte aux patrons, où
on lit notamment:
« Pau\Tres fous! Comme si la classe ouvrière
se laisserai t \r eprendre ce que vous avez reconnu
pouvoir lui donner et ce que vaillamment elle
sut conquérir! »
C'était le 84 e jour de grève . Les pourparlers
étaient aussi avancés qu'au premier jour.
*
Les violences étaient assez fréquentes. Les
convo is de peaux à livrer à la gare étaient arrêtés pal' les grévistes. Les femmes se couchaient sous les pieds des gendarmes. Elles
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- 98 -étaient les plus exaltées; on les connaissa it sou~
des sobriquets bizarres: la Canarde, la Pétrôle,
la l\1anara; un groupe de manifestants, où les
femmes étaient nombreuses, faillit jeter à l'eau
le Président du Syndicat patronal.
Enfin M. Chabbal fit à son personnel les propositions suivantes, qui furent ensuite adoptées
par le Syndicat patronal:
- 25 centimes d'augmentation pour les
femmes.
- Demi-fournée du premier samedi de chaque mois, pendant les six mois de bonne saison,
pO'Lu' tout le personnel (repos payé).
- Pendant les six autres mois, mêmes conditions qu'auparavant.
- Rngagement des ouvriers de s01·tir les
peaux en dépér-ition dans chaque catég01'ie de
t'favait.
- En cas de nouveau conflit, si les ouvriers
violaient l'engagement, ils se rése1"vent un droit
de poursuites individuelles.
Les contre17wît1'es feraient pm'tie du Syndicat,mais seraient exempts de toutes réunions (1).
(1 ) IL s'ag'it su l'tout des délégations . . Une section de
100 membres devait assister à tous les en terrements et à
toutes les cérémonies. Trois contremaîtres sur six ou sept de
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- 99
ils demandent en outre la nomùiatlon d'unè
Commission d'usine pourexaminel' lesnouveaux
èonflits. Si les différends n'étaient pas solutionnés, un arbitre serait p1'is au tirage au sort
parmi les quat?'c {J1'ésidents des tribunaux du
département.
En ce qui concerne le chômage, il ne serait
pas faz:t de renvoi partiel; le travail serait réparti d'une manière générale; les accords sel'aient établis jusqu'au 31 avril 1910,
Pour Tendre effectives les garanties, les oum'iers, à leur entrée dans l'usine, devaient individuellement reconnaître au patron le droit d'opérer pal' cession une retenue sw' le salaire, conformément à l'article 2 de la loi du 12 janvier
1895. - L'inventaÏfe des dommages causés, en
cas de bntsque cessation du travail, devait êt1'e
fait par la Commission d'atelier.
La Commission d'atr:lie1' devait être composée
de cinq membres p1'is panni les ouv'riers de l'usine. Le secrétaire du Syndicat ouvrier et le
patron étaient entendus à til1'e consu ltatif . et
devaient assiste1' à toutes les discussions.
l'usine pouvaient faire partie de la section désignée et cette
abse nce des èonLremaitl'es était préjudiciable aux intérêts de
la fabrication.
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100-
M. Chabbal ayant prié ses ouvriers de venir
causer avec lui, une vingtaine d'entre eux obéit
et se présenta à l'usine. Ceux-ci furent vertement
réprimandés à l'assemblée du Syndicat ouvrier,
qui les expulsa. Or il faut savoir en quoi consiste cette punition. Un ouvrier non-syndiqué
ne peut plus se placer dans les usines et, s'il
veut rentrer dans le Syndicat qui l'a banni, il
doit payer d'énormes amendes qui se chiffrent
parfois par 300 ou 400 francs. Ces amendes sont,
bien entendu, payées par le patron, s'il tient à
son ouvrier, celui-ci étant dans l'impossibilité
de se libérer.
Ces vingt ouvriers étaient donc jetés à la rue
par la sanction du Syndicat. M. Chabbal s'empressa de profiter de cette sévérité intempestive,
en les recueillant et en rouvrant son usine.
Cette réouverture se fit le 21 mars. - 35 ouvriers répondirentàl'appel du patron.Leur sortie,
à 11 heures , s'effectua sous les huées. Ils passè·
rent encadrés de gendarmes à pied et à cheval.
Leur retour fut également protégé,de même que
la sortie du soir.
Le Syndicat patronal s'empressa d'imiter
l'exemple de M. Chabbal, et des forces impo'"
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101 -
santes de gendarmerie durent protéger ceux
qu'on Hppelle là-bas les lVIacchabées.
Mais lorsque les grévistes les rencontraient
seuls, ils leur lançaient des insultes et des r..oups.
Pendant la nuit, ils défonçaient leurs jardins et
en arrachaient les arhres frui tiers. Enfin, ils
cadenassèrent pendant la nuit les portes et les
fenêtres de quelques-uns des renégats, qui se
trouvèrent ainsi emmurés et durent être délivrés par la gendarmerie.
Les péripéties de cette grève furent nombreuses.
Tout d'abord les soupes communistes fonctionnèrent de la façon la plus large. On servait
3.~00 portions par repas et le dépense journalière n'était pas inférieure il 900 francs ou
1.000 francs. Plus de 80.000 francs de secours
afl'ivèrent au Comité de grève. Les exodes d'enfants se firent en grand. Dans ce département du
Tarn,qui est si industriel,et dans les centres des
départements voisins, tels que Decazeville, les
enfants de lTraulhet furent reçus dans toutes les
familles socialistes.
Les heurts entre la gendarmerie et les grévis-
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102-
tes étaient fréquents. Les charrois étaient arrêtés
par la foule des grévistes qui se couehaient en
travers de la route deyant les chevaux. Les
femmes surtout étaient excitées.
Le représentant de la Confédération Générale
du Travail, M. Dret, disait au préfet:
«. Nous nous opposerons par tous le s moyens
à la circulation de n'importe quelle marchandise
venant ou allant aux usines. Mais, comme les
grévistes ne veulent pas porter préjudice au
commerce local, toutes les autres marchandises
pourront circuler librement, à la condition, toutefois, que les charretiers iront il III Maison du
Peuple prendre un sauf-cond.ui t . »
Le 22 jan vier, cent grévistes arrêtent et
essayent d,e brûler un convoi de peaux. finies
mélangées parmi les peaux brutes, dont la circulation n'avait pas été autorisée par le Comité de
grève. « Cette supercherie patronale, dit le correspondant de l'fIumanité, viole les accords concernant la circulation, qui n'avait été accordée
que pour les peaux finies (1). Trois balles ont été
(1) Les grévistes voulaient empêcher crue l'on pût donner
du travail aux 1'enégats, Mais il n'y avait eu aucune convent ion pour les charro is, entre palmns et ouvriers.
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103-
éventrées, jetées: piétinées par les g'eévistes. Les
femmes chantent et dansent au son de l'Internationale, les clairons sonnent. 300 grévistes arrivent au pas de course ... Les grévistes forment
un mur humain. Il est impossible de faire passer
la voiture.
Le sous-p réfet parlemente a vec la foule. Les
patrons veulent emporter les peaux à l'usine,
mais les grévistes crient: « Retour à la gare iJ.
Le sous-préfet propose aux patrons de faire conduire la voi tUl'e à leur domicile, leu r laissant lu
responsabilit é de la voie encombrée (1). Les
patrons, devant l'hostilité de la foule, ont préféré d'eux-lllèmes ramener le chargement à la
gare ... «Ce haut faitpatronalleurcoûte2.000 fr.»
Le 24 janvier une usine est incendiée.
, «Un certai n mystère plane SUL' cet incendie,
constate l'Huma.nité. Des peaux noires teintes
sont aperçues plongées dans des pelains contenant de la chaux (2). C'est au moins une anomalie dans la profession, qui provoque des
commentaires dans la population. »
(1) Le sous préfet menaça les patrons de leur dressel' procès-verba l s'ils ne désencombraient pas la voie.
(2) C'est-a-dire soumi ses aux opél'ations préparatoires a lors
qu'elles avaient déjà passé par la teinture . C'était exact;
mais les patrons dirent de leur côté que ce la prouvait que
l'incen di e de l'usine é tait dLl à un acte de sabotag'e.
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104-
Plus loin le même journal ajoute:
Le patron de l'usine incendiée c.e matin a
été conspué sur le pont neuf. Un patron nommé
MenaI a été jeté à l'eau et .battu. ))
Ce dernier fait était heureusement inexact.Il y
eut cependant, par la sui te, risq ue pour II n patron
d'être jeté à l'eau pal' un groupe d'ouvriers
et surtout de femmes excitées.
Des actes de sabotage étaient commis sur la
voie du tram à vapeur, Une aiguille fut brisée.
On s'en aperçut à temps.
Une nouvelle bagarre éclata le 'Lü février. Les
grévistes ' et surtout les femmes opposent des
barrages aux charges des gendarn1es et au
transport des marchandis'es, en se couchant au
travers des routes. Il y eut des coups échangés ; mais heureusement aucune blessure grave.
Le 11 février à 4 heures du matin, un pétard
éclate avec fracas dans le soupirail de la maison
d'un des patrons. Deux dames qui s'y trouvent
manquent mourir de peur.
En même ten1ps des poteaux de la transmission électrique avaient été sciés.
Le lendemain, un lieutenant de gendarmerie
est assailli par un groupe de grévistes qui veu t
«
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105-
le jeter à l'eau. Tl se défend, revolver au poing,
et 11 est secouru par une patrouille,
Le 18 févl'ier, M, Fagnot, délégué du Ministère du travail, essaie, mais en yain, de trouver
un terrain de conciliat.ion. Il se heurte à l'intransigeance des ouvriers,
Les patrons retirent leurs premières cont~es­
SlOns.
Les ouvriers se retournent du côté de
M. Chabbal, dans lequel .ils avaient une entière
confiance et qui toujours avait semblé prendre
leurs intél'êts.
On sait comment fut reçue par le Comité ouvrier de grève la proposition de M. Chabbal.
*
4- •
On vit alors se produire l'intervention d'un
briseur de grèves, fort connu d'ailleurs dans
l'exercice de ce métier, M. Raynier, de Charleville.
Son intervention fut peu efficace. Elle eonsista en une affiche violente signée du « Comité
ouvrier de protestation contre la grève)) et se
terminant ainsi: « Tous aux usines et reprenons
notre travail ! ))
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106 -
M. Raynier eut toutes les peines du monqe à
trouver des colleurs pour ses affiches. Lui-même
ne pouvait s'en charger, car, dès qu'il faisait
quelques pas en dehors de l'hôtel ou du c,afé où
il passait tout son temps, il se voyait suivi de
près par cinq grévistes qui lui manifestaient des
sentiments équivoques de sympathie. Enfin il
trou va un vieillard de 75 ans; mais le malheureux se vit enfoncer son pot de colle sur la tète
et ne put continuer ses opérations.
Cependant quelques ouvriers exprimaient leur
impatience. Ils reprochaient à leur Syndicat et
surtout au secrétaire, M. Calvignac, d'avoir
voulu la grève et de l'avoir renJue nécessaire
par la hâte à réelanler une réponse des patrons. Ces ouvriers s'abouchaient avec leurs patrons et cherchaient visiblement à reprendre le
travail.
Le lundi 21 mars,le travail reprenait à l'usine
Chabbal. On y comptait 35 ouvriers seulement.
Le luême soir, un de ces ouvriers est victime
d'une agression de la part des g rév is tes et un
patron reçoit un coup de fronde ou une balle de
revolver au front , alors qu ' il é tait à sa fenêtre.
Les autres usine s ont également ou vert, mais
le nombre des reprises de travail es t ex trême-
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107 -
ment faible. Les patrons déclarent qu'ils ne se
lasseront pas et que,peu à peu, tous les ouvriers
rentreyont clans les usines. Cette éventualité
paraît certaine; mais il faudra quelque temps,
avant que les ouvriers osent affronter les foudres
de leur Syndicat.
Les macchabées ou renégats sont hués par
u"ne foule de 1. DOO manifestants et cela quatre
fois par jour: le matin à six heures, à onze heures en sortant de l'usine pour déjeuner, en y rentrant à 1 heure et en sortant le soir à 6 heures.
Pour éviter la fati g ue des nombreuses troupes
de gendarmerie chargées d'organiser ces cortèges, on décide de garder les ouvriers déjeuner à.
l'usine. On leur organise des cantines et pour
DO centimes on leur donne des « soupes patronales »,qui sont composées de viande,légume ,des.
sert," eafé et vin. Beaucoup d'entre eux s'habitueraient à ce régime qui est certainement plus
confortable que leur menu ordinaire.
Les grévistes attribuent à M. Chabballa mauvaise tournure que prend la grève. (( M. Chabbal,
dit M. Calvi gnac, a été jadis l'adversaire du
Syndic,at patronal; aujourd'hui il en est l'auxiliaire. » Il a trompé la confiance que les ouvriers
avaient mise en lui , D'ailleurs le secrétaire du
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108-
syndicat ouvrier voit dans les événements un
commencement de victoire ouvrière. Les patrons
n'ont ils pas fait, à la suite de M.. Chabbal, des
concessions sur la rédnction de la durée de travail, alors qu'ils avaient déclaré que SUl' ce point
ils se refuseraient à toute concession? Mais
ils ne veulent pas trai ter avec le Syndieat et ils
prennent un biais pour se soumettre aux revendications ouvrières, d'Llne façon hypocrite et
atténuée et sans avoir l'air de vaincus (Réunion
du 23 mars).
Le délégué de la Confédération Générale
semble moins optimiste et il conseille aux gré ..
vistes de se venger de ceux qui les ont trahis.
Entre temps, les grévistes promènent des
bœul's vivants destinés aux soupes communistes, pour répondre à ceux qui prétendent que
la soupe est de plus en plus maigre. Deux boulangers suspendent le crédit au Comité de
grève. Le 2 avril, un renégat de l'usine Chabbal
reçoit un coup de couteau en plein visage.
Un nouveau syndicat est créé, syndicat indépendant, avec 1\1. Calvignac, frère du secrétai re
du Comité de grève, comme secrétaire. Il en
résulte une haine fratricide entre les denx organisations.
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109-
Le juge de paix essaie encore une tentative de
conciliation le HS avril.
Le Syndicat patronal lui répond:
« Les usines sont rouvertes, rère des né go ciations est définitivement close. )
Enfin le 27 avril, les ouvriers décidaient la
reprise du travail, sans avoir rien obtenu que ce
que leur avaient concédé de leur propre mouvement les patrons, et après avoir refusé d'accepter des combinaisons plus avantageuses.
Le 2 mai, eut lieu la rentrée générale. La grève
avait duré 144 jours, sans que les ouvriers aient
obtenu un gain appréciable, puisque les 25 centimes d'augmentation pour les femmes avaient
été concédés dès le début.
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TABLE DÉS MATIÈRE~
Pagt:s
•
5
L'industrie de Mazamet .
12
INTRODUCTION.
•
•
•
•
La grève de Mazamet .
19
L'industrie de Graulhet
64
La grève de Graulhet.
70
A. Rousseau, Imprimeur-éditeur. -
Paris.
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