Avant-propos

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Avant-propos
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Avant-propos
Bouguereau, voilà un nom qui n’évoque rien pour la
plupart de nos contemporains, y compris ceux qui s’intéressent de près à l’art. Et pourtant, derrière ce patronyme,
se cache l’un des plus grands peintres français de la
deuxième moitié du xixe siècle, un des plus productifs
aussi, véritable stakhanoviste de la peinture. Sur les mille
deux cents toiles qu’il a exécutées, huit cent vingt-huit
sont aujourd’hui répertoriées. Elles couvrent un large
éventail de genres : histoire antique, mythologie, religion,
allégories, nus, portraits, et dominant tous les autres, ces
scènes agrestes, peuplées d’enfants, de paysans et de
bergères aux pieds nus, qui firent le succès et la fortune
du peintre aux États-Unis.
Tout au long de sa vie, William Bouguereau a collectionné les honneurs : premier grand prix de Rome, membre de l’Institut, professeur à l’École des Beaux-Arts,
président de la Société des Artistes français, grand officier
de la Légion d’honneur, membre de plusieurs académies
européennes et grand manitou du Salon des artistes pendant des dizaines d’années.
Bouguereau, c’est le moins que l’on puisse en dire, ne
laissa pas indifférents ses contemporains. Alors qu’il était
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porté aux nues par la petite bourgeoisie conservatrice, tout
ce que l’intelligentsia comptait alors de novateurs et de
progressistes le vouait aux gémonies. Beaucoup de ses
pairs nourrissaient à son égard une haine féroce, jaloux
d’un succès dont ils étaient souvent privés.
Aucun grand peintre ne suscita dans l’histoire des
réactions aussi contradictoires. Adulé du public, et pas
seulement en Amérique, William Bouguereau fut durant
toute sa carrière, la cible privilégiée des critiques d’art
qui lui reprochaient pêle-mêle, sa technique trop parfaite,
l’aspect lisse de ses toiles, le classicisme de ses sujets et son
indifférence aux réalités sociales et culturelles de son
temps.
Pour ses détracteurs, Bouguereau était et reste un peintre
fade et laborieux. Après sa mort, en 1905, il tombe dans un
total oubli. Sa cote chute brutalement. Commence alors,
pour son œuvre, une longue traversée du désert. Ses toiles
sont reléguées dans les réserves des musées, les collectionneurs privés les revendent à vil prix. Des générations
d’étudiants des Beaux-Arts ignorent jusqu’à son existence.
Son nom disparaît des encyclopédies.
Il faut attendre les années 1970 pour que de riches
collectionneurs américains se lancent dans une vaste entreprise de réhabilitation de l’artiste. Outre-Atlantique, la
démarche est couronnée de succès. La cote de Bouguereau
connaît une ascension vertigineuse. Mais en France, l’essai
n’est pas transformé. L’exposition du Petit Palais, consacrée au peintre en 1984, n’a pas le retentissement attendu.
En 1986, lors de la création du musée d’Orsay, Bouguereau n’est représenté que par trois toiles dans la salle réservée à l’art pompier, et beaucoup trouvent que c’est encore
lui faire trop d’honneur1 !
1. Elles sont aujourd’hui neuf à orner les cimaises du musée parisien, conséquence, notamment, d’une dation des héritiers de l’artiste,
en 2010.
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Aux États-Unis, un Bouguereau se vend aujourd’hui
plusieurs millions de dollars. Mais le public français qui,
cent cinquante ans plus tôt, avait porté le maître au
pinacle, n’est pas acheteur.
La postérité de ce grand artiste illustre, s’il en était
besoin, les fluctuations du goût du public. Bouguereau
eut la malchance de vivre à l’époque où naissait l’impressionnisme. Après la Grande Guerre, les valeurs officielles,
incarnées en peinture par l’académisme, sont vilipendées.
L’art triomphant se doit d’exprimer des idées progressistes, rejetant celles issues du pouvoir et de la bourgeoisie.
Les « nobles » impressionnistes l’emportent alors sur les
« vilains » officiels.
Écrire une biographie de William Bouguereau n’est pas
chose aisée, car si sa carrière se déroula sous les projecteurs, l’artiste a toujours fait assaut de la plus grande
discrétion sur les aspects privés de sa vie. Les documents
manquent pour relater avec la précision nécessaire, certaines périodes de cette longue existence. On ne sait, par
exemple, quasiment rien de la petite enfance du peintre.
Quant à sa vie amoureuse, fut-elle aussi peu aventureuse
que ce que nous en savons ? Le peintre François Flameng2,
qui lui succéda à l’Académie, était-il bien informé quand il
déclarait : « Sa vie semble un chemin tout droit, aucun
accident, aucune pierre ne s’y trouve » ?
2. François Flameng (1856-1923) : peintre, graveur, illustrateur,
élève de Cabanel, professeur à l’École des Beaux-Arts. Spécialiste
des scènes historiques.
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