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Chapitre 3
L’École des Beaux-Arts
Muni de la recommandation de Jean-Paul Alaux, William entre dans l’atelier réputé de François Édouard Picot,
au coin de la rue La Bruyère et de la rue de La Rochefoucauld. Le maître a la soixantaine. Fils du brodeur de
Napoléon Ier et ancien élève de François-André Vincent1,
rival de David2, Picot est l’un des porte-drapeaux de la
tradition classique. Premier grand prix de Rome en 1813
et membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 1836,
c’est un peintre officiel, ne vivant que de commandes
publiques. Ses fresques ornent plusieurs églises de Paris
et de villes de province3, le musée du Louvre, le château
1. François-André Vincent (1746-1816) : peintre néo-classique,
prix de Rome en 1768, membre de l’Académie royale de peinture en
1777, professeur aux Beaux-Arts et à Polytechnique. Royaliste, il
s’oppose à David, son principal concurrent, durant la Révolution.
2. Louis David (1748-1825) : chef de file de l’école néo-classique se
réclamant de Poussin. Il devient un peintre renommé en 1784 avec le
Serment des Horaces. Membre de la Convention, ami de Robespierre, il
est l’ordonnateur des fêtes révolutionnaires et vote la mort de Louis XVI.
Admirateur de Napoléon, il réalise pour lui Le Sacre de Napoléon. Il
meurt à Bruxelles où il s’était exilé après la chute de l’Empire.
3. Il a peint L’Annonciation, à la cathédrale de La Rochelle et Le
Couronnement de la Vierge à Notre-Dame-de-Lorette à Paris.
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de Versailles et le palais du Luxembourg. Son atelier est un
des hauts lieux de l’enseignement académique.
Les journées sont longues chez Picot. Le matin, les élèves
dessinent d’après un modèle vivant. Après un déjeuner
rapide, ils passent l’après-midi au Louvre à copier les
anciens maîtres et le soir venu, ils retournent à l’atelier
pour un cours de dessin. Picot est un homme généreux,
toujours prêt à aider les élèves aux moyens financiers limités. Isidore Pils4, qui lui succédera à son fauteuil de l’Académie des Beaux-Arts, le décrit comme un professeur
apprécié et libéral : « Il laissait deviner et faisait réfléchir ; c’est
pourquoi ses leçons, plutôt théoriques que pratiques, n’imposaient
aucune exécution particulière, laissant à ses élèves une plus
grande latitude d’interprétation. » Picot a la fibre de l’enseignement. Il organise pour ses élèves des concours préparatoires à celui des Beaux-Arts, assortis de distributions de
médailles. Les toiles primées sont exposées dans son atelier.
Bouguereau passe moins de deux mois dans l’atelier de
Picot. Durant ces quelques semaines, il côtoie plusieurs
élèves qui auront leur heure de gloire : Lenepveu5, Cabanel6,
4. Isidore Pils (1813-1875) : premier prix de Rome en 1838. Ses
premières peintures sont d’inspiration religieuse. Puis il s’oriente vers
la peinture militaire. Nommé professeur aux Beaux-Arts en 1863, puis
membre de l’Académie. Il séjourne en Algérie en 1863 et 1864, d’où il
ramène des tableaux orientalistes. Pendant le siège de Paris en 1871, il
peint de nombreuses scènes militaires. Il est choisi pour exécuter une
partie du plafond du grand escalier de l’Opéra de Paris. Son tableau le
plus célèbre est Rouget de l’Isle chantant la Marseillaise (1849).
5. Jules Eugène Lenepveu (1819-1898) : premier prix de Rome en
1847. Célèbre pour ses compositions historiques et allégoriques. On
lui doit l’ancien plafond de l’Opéra de Paris et certaines décorations
du Panthéon. Il est directeur de la Villa Médicis de 1873 à 1878.
6. Alexandre Cabanel (1823-1889) : peintre académique d’histoire,
de genre et portraitiste. Second prix de Rome en 1845. Membre de
l’Académie des Beaux-Arts et professeur à l’École des Beaux-Arts, il
est l’ennemi farouche des impressionnistes. Son œuvre la plus célèbre
est la Naissance de Vénus, achetée par Napoléon III. Comme Bouguereau, il est adulé du public et éreinté par la critique.
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Henner7, Gustave Moreau8, les frères Benouville9, Désiré
Laugée10, Adrien Tournachon11, Paul Seignac12 et Isidore
Pils. Le maître apprécie particulièrement le jeune William
avec lequel il partage un goût prononcé pour l’Antiquité.
Ce dernier lui voue, en retour, un profond respect. Bouguereau, devenu célèbre, sera fier d’accoler à son nom la
mention : « élève de Picot ».
Les débuts de William Bouguereau à Paris, comme ceux
de la plupart des artistes de l’époque, sont marqués par les
soucis matériels. Il vit chichement des maigres subsides de
la famille. Les vingt sous13 quotidiens que lui octroie sa
7. Jean-Jacques Henner (1829-1905) : portraitiste et peintre de nus.
Il fréquente l’atelier de Drölling puis celui de Picot. Premier grand
prix de Rome en 1858. Il cumule commandes de portraits et achats
de l’État, exposant sans relâche au Salon. Bien que membre de
l’Académie des Beaux-Arts et contrairement à ses collègues académiciens, il fréquente les impressionnistes et défend Manet.
8. Gustave Moreau (1826-1898) : peintre, graveur et dessinateur, il
est le plus illustre représentant du courant symboliste. Entré aux
Beaux-Arts en 1846, il échoue deux fois au prix de Rome. Il effectue
deux séjours en Italie, à titre privé, pour y étudier les maîtres de la
Renaissance dont il s’inspirera. Membre de l’Institut, il professe à
l’École des Beaux-Arts, où il a notamment pour élèves, Matisse,
Rouault et Marquet. Il laisse 850 huiles d’inspiration religieuse et
mythologique, 350 aquarelles et 13 000 dessins.
9. François Léon Benouville (1821-1859) : prix de Rome en 1845,
il est tourné vers la peinture religieuse. Jean Achille Benouville (18151891) : premier prix de Rome, peintre de paysage. Il vit durant 25 ans
en Italie.
10. Désiré François Laugée (1823-1896) : ami d’Alexandre Dumas
et de Victor Hugo. Proche de l’École de Barbizon, il peint surtout des
portraits, des scènes de la vie paysanne, et décore des églises. Il est
représentatif du mouvement naturaliste.
11. Adrien Tournachon (1825-1903) : frère de Nadar, il se tourne
rapidement vers la photographie.
12. Paul Seignac (1826-1904) : il expose au Salon à partir de 1849.
Il y obtient une mention honorable en 1889. Il est connu pour ses
scènes familiales pleines d’enfants.
13. Vingt sous = un franc.
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mère l’obligent à se contenter d’un repas frugal, composé
uniquement de pain et de fromage, et encore, pas tous les
jours. Mais peu lui importe : « Je ne dînais ou ne dînais pas.
Tant pis, tant mieux. Je n’avais d’autre souci que de dessiner
ou de peindre ». Accaparé par son travail, il en oublie les
problèmes quotidiens. « Qui peint dîne ! », aime-t-il à dire.
Arrivé le premier à l’atelier, il en sort le dernier. Dans
la chambre qu’il occupe dans son petit hôtel du 5 rue
Corneille, en bordure du jardin du Luxembourg, il passe
ses soirées à étudier l’anatomie et l’histoire naturelle. Il ne
fréquente pas les cabarets comme la plupart de ses amis
artistes. S’il va de temps en temps au théâtre, ce n’est pas
pour se distraire, mais pour y étudier les poses de Rachel14
qui le fascine ou de la Ristori15 qu’il trouve un peu
vulgaire.
Le 8 avril 1846, Bouguereau est présenté par son maître
au concours de l’École des Beaux-Arts. La prestigieuse
école est un passage obligé quand on aspire à une carrière
dans l’art officiel. Le diplôme des Beaux-Arts est le sésame
qui assure à son détenteur les commandes de l’État, de
l’Église et des grandes villes.
Fondée par Mazarin, l’école est alors sous la tutelle de
l’Académie des Beaux-Arts16. La scolarité y est de quatre
ans. On y apprend le dessin et rien que le dessin17. La
peinture est enseignée dans les ateliers privés des peintres,
dont la plupart sont sous l’influence de l’Académie. En
14. Rachel (1821-1858) : grande tragédienne, elle fut le modèle de
Sarah Bernhardt. Elle entre au Théâtre français à dix-sept ans et
triomphe dans Racine, Corneille et Voltaire. Elle a eu deux enfants,
l’un du fils du maréchal Bertrand, l’autre du comte Walewski, fils de
Napoléon Ier et de Marie Walewska.
15. Adélaïde Ristori (1822-1906) : grande tragédienne italienne,
surnommée La Marquise et rivale de Rachel.
16. Napoléon III en fera une institution indépendante de l’Académie en 1863.
17. La peinture n’y sera enseignée qu’à partir de la réforme de
1863.
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première année, on copie et recopie des gravures représentant les éléments du corps humain dans toutes les positions, jusqu’à acquérir la maîtrise complète de l’exercice.
Les élèves débutent par la forme jugée la plus simple à
reproduire, le nez et terminent par le pied ou l’oreille,
considérés comme les plus difficiles. Après avoir acquis
les bases du dessin, ils passent à la reproduction de gravures d’après des œuvres consacrées, comme les marbres de
Raphaël18. Ils apprennent à rendre le contour et le relief
par des hachures. L’étape suivante de la formation est
l’exercice « d’après la bosse ». Placé devant une copie en
plâtre d’une œuvre classique, l’élève se familiarise avec
les mystères de la demi-teinte, des proportions, de l’ombre
et de la lumière. L’ultime stade de l’enseignement est la
reproduction d’un modèle vivant, au cours de nu académique. L’enseignement du dessin est complété par un
cours de perspective, bête noire des élèves, un cours de
géométrie et un cours d’anatomie pour lequel l’École de
Médecine fournit régulièrement des cadavres. La réforme
impériale de 1863 ajoutera de nouveaux enseignements
théoriques au programme.
Le rang de classement au concours d’entrée détermine
l’atelier auquel chaque candidat est affecté ainsi que la
place qu’il y occupe. William Bouguereau est reçu quatre18. Raphaël (1483-1520) : peintre et architecte italien de la Renaissance. Né à Urbino, il est initié par son père, peintre officiel du duc
d’Urbino. En 1500, il part pour Pérouse auprès du Pérugin, où il peint
des tableaux à caractère religieux. En 1504, il s’installe à Florence, où
il fréquente Michel-Ange et Léonard de Vinci. Il quitte Florence pour
Rome en 1508, où il est chargé de la décoration des salles du palais du
pape Jules II. En 1513, Léon X lui confie le chantier de la basilique
Saint-Pierre. Il meurt à Rome, après avoir achevé son chef-d’œuvre,
La Transfiguration. Raphaël a longtemps été considéré comme le plus
grand peintre ayant jamais existé, et on le tient toujours pour l’artiste
en qui la peinture a trouvé son expression achevée. Son art, fait de
mesure, de grâce et d’harmonie, a profondément influencé la peinture
occidentale jusqu’au xixe siècle.
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vingt-dix-neuvième sur cent, un résultat très décevant
pour ce jeune homme plein d’ambition. Sans doute doiton attribuer cette contre-performance à un malheureux
hasard, car, dès les premiers jours, le candidat médiocre
regagne les premières places, au grand étonnement de ses
congénères et des professeurs.
Cette nouvelle période de la vie du peintre s’annonce
sous les meilleurs auspices. Il déménage en décembre
1846, quittant son petit hôtel de la rue Corneille pour
s’installer dans le neuvième arrondissement, au 10 bis
rue de Trévise. Il peut maintenant, affranchi de ses problèmes d’intendance, se consacrer totalement à son art. Il
visite les monuments et églises de Paris, s’imprégnant de
leur architecture et de leur décoration.
Aux Beaux-Arts, tout se passe pour le mieux. Au
cours de l’année 1847, il reçoit plusieurs récompenses
qui témoignent des progrès accomplis : une médaille pour
la perspective, deux autres au concours de figures et une
dernière au concours de composition.
Le 23 mars 1848, il entreprend l’écriture d’un journal,
qu’il intitule pompeusement Mémorial. Il y transcrit, au
jour le jour, ses réflexions sur l’art et y décrit, par le
menu, son existence parisienne. Ce document est une
source précieuse d’informations sur sa vie quotidienne et
ses états d’âme. Il révèle en particulier l’incroyable soif de
connaissances du jeune artiste et sa prodigieuse énergie au
travail : « Le plus tôt qu’il me sera possible, j’étudierai l’architecture, c’est un besoin essentiel [...] Profiter de mes promenades
pour étudier les différents monuments que je rencontrerai et en
faire un résumé [...] Aujourd’hui, j’ai travaillé les costumes des
Romains et des Grecs, je suis allé au musée du Louvre, à l’École
des Beaux-Arts, j’ai travaillé l’anatomie. [...] Aujourd’hui,
j’ai étudié le voyage du jeune Anarchasis19, la vie de Lord
19. Anarchasis : philosophe grec du vie siècle avant J.-C., d’origine
scythe.
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Byron20, les coutumes des Romains, le dessin à l’École des
Beaux-Arts, la physiologie, comprenant la digestion, la circulation et la respiration, un peu du docteur Gall 21, la ligature et la
compression des artères et des veines. »
Il fréquente les amphithéâtres, ne rechignant pas à pratiquer la dissection. Bouguereau manifeste une véritable
addiction au travail : « Tous les moments de la vie doivent
être employés à l’étude. Ayons toujours présente cette grande
vérité. » Le soir, épuisé, il dit ne plus voir clair et tomber
de sommeil. Le matin, pour se réveiller de sa courte nuit, il
se verse une carafe d’eau froide sur la tête.
Le jeune peintre ne se lasse pas des beautés que lui offre
la nature : « La nature est réellement le seul grand maître, tout y
est réuni, couleur, dessin, caractère, composition. C’est que le
maître des maîtres s’y montre partout ; rien n’est négligé, rien
n’est inutile, tout porte le cachet de la puissance infinie. »
Comme un enfant, il s’émerveille de la forme des nuages,
de leurs nuances, de leur transparence. Il croque les
personnages qu’il croise au hasard de ses promenades :
baigneurs du canal Saint-Martin, penseurs, causeurs.
Parfois, il se donne des conseils à lui-même : « Avant de
commencer à travailler, pénètre-toi de ton sujet, si tu ne le
comprends pas, cherche ou fais autre chose. Souviens-toi que
tout doit être pensé d’abord, mais tout jusqu’aux plus petites
choses ; alors, songe au dessin, à la couleur, à l’arrangement ; ne
travaille pas sans penser à tout cela également, car la nature ton
seul vrai maître n’a rien oublié. Ne t’écarte jamais de ces
20. George Gordon Byron (1788-1824) : un des plus illustres
poètes de langue anglaise. Grande figure du romantisme, il s’est rendu
célèbre par ses poésies mélancoliques et semi-autobiographiques.
Défenseur de la liberté, il s’est engagé dans toutes les luttes contre
l’oppression, en Angleterre, en Italie et en Grèce. Sa vie sentimentale
est agitée et parfois scandaleuse.
21. Franz Joseph Gall (1758-1828) : médecin allemand, considéré
comme le père fondateur de la phrénologie. Il défend l’idée que la
morphologie du crâne reflète les traits du caractère.
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principes et tu ne feras pas un peintre médiocre. » Il se reproche
ses moindres défauts, comme celui d’être bavard : « Encore
un vilain défaut dont il faut me corriger. Pourquoi cette rage de
parler, pourquoi apporter au milieu des discussions sérieuses des
paroles légères et indécentes. Je devrais pourtant me souvenir
que les paroles futiles ne font pas l’esprit [...] on ne rit que des
gens qui parlent beaucoup pour ne rien dire. »
Si ce journal manifeste une ambition de réussite, celle-ci
a des limites : « Je ne désire pour moi aucune fortune, que
seulement je puisse rendre un peu de bonheur à mes parents, à
ma mère qui compte et aura besoin de moi. Que mes œuvres me
satisfassent et mon ambition s’arrêtera ! »
À certains moments, le doute s’empare de lui : « Quand
viendra donc le jour où je pourrai faire quelque chose de digne
d’un homme, malheureusement, que de choses à acquérir avant
d’y arriver ! [...] Plus j’avance, plus je vois la petitesse
de l’homme, et mon âme est indécise. » « Je suis un âne ! »,
s’exclame-t-il. Les toutes dernières lignes du journal,
datées du 5 décembre 1848, sont de la même veine :
« Qu’écrirai-je aujourd’hui ? Rien, si ce n’est que je sais bien
peu et que je ne suis rien. » Quand il est en proie à la solitude
et au doute, Bouguereau en appelle à Dieu : « Dieu, aie pitié
de moi et de ma peinture ! Mon Dieu, secourez-moi ! » Mais,
quelques jours plus tard, il retrouve confiance en lui :
« Aujourd’hui, je suis plus confiant, mon cœur s’ouvre à l’espoir. J’ai foi en moi-même. Non, mon travail n’est pas inutile,
le chemin que je suis est le bon, et avec l’aide de Dieu, j’atteindrai la gloire, une gloire pure et juste. »
L’image que Bouguereau donne de lui-même dans son
journal n’est pas très différente de celle perçue par ses
camarades des Beaux-Arts. L’un d’entre eux, René
Ménard22, écrit : « Il était très travailleur, ne perdant jamais
22. René Ménard (1827-1887) : littérateur, philosophe et peintre.
Rédacteur en chef de la Gazette des Beaux-Arts de 1873 à 1875.
Professeur d’histoire à l’École nationale des arts décoratifs.
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un moment et affectant un parfait mépris pour les distractions
recherchées par ses camarades. Pas très causant et dénué de
l’humour sarcastique si communément employé par les jeunes
gens, il avait les idées très arrêtées sur la ligne qu’il souhaitait
suivre, et au milieu des tendances conflictuelles de l’époque, il
n’éprouva jamais l’ombre d’une hésitation. »
Les événements politiques vont bientôt mettre un terme
aux atermoiements du jeune William. En février 1848,
éclate à Paris un mouvement populaire qui met à bas la
monarchie louis-philipparde. Il est suivi au printemps
d’une insurrection du peuple parisien, révolté par la suppression des ateliers nationaux. Bouguereau se range aux
côtés du pouvoir établi et rejoint les rangs de la garde
nationale.
Dans son journal, il relate les événements : « Le tambour
bat et appelle aux armes les citoyens. Que s’est-il donc passé ?
Telle était la question que tout le monde s’adressait ; des bruits
courent que la Chambre a été envahie. À cette réponse, chacun
s’empresse de courir s’armer. Des colonnes nombreuses se
forment et attendent les ordres... nous défilons vers le Palais
des Représentants. » Simple soldat, il fait le coup de feu
aux côtés du peintre Gérôme23, capitaine dans la garde
nationale, et de son camarade de l’atelier Picot, Isidore
Pils. Pils défend l’existence d’un régime politique stable
condition, selon lui, du plein épanouissement de l’art. En
janvier 1877, retraçant dans son discours à l’Institut la vie
de Pils, au fauteuil duquel il succède, Bouguereau rappelle
cette ancienne complicité : « J’eus l’honneur d’être son jeune
camarade pendant l’insurrection de juin 1848. Il avait compris
que l’art ne peut fleurir au milieu des tempêtes et s’était levé
23. Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : peintre et sculpteur académique, il est l’auteur de compositions orientalistes, mythologiques,
historiques et religieuses, qui se caractérisent par le souci du détail.
Il voyage en Italie et en Turquie. Mari de la fille du marchand d’art
Goupil, il diffuse facilement ses toiles. Tardivement, il s’adonne à la
sculpture polychrome. Professeur à l’École des Beaux-Arts.
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parmi les premiers pour défendre sa cause, qui est celle de la
civilisation elle-même. » Bouguereau, lui, s’engage tout simplement par patriotisme. Le 2 juillet 1848, il note dans son
journal : « Quelque chose peut-il encore contenir le peuple ? Hélas
non ! La foi a disparu, ou elle est bien rare, et la puissance
décline. Oh que l’horizon est sombre ! Paris, France, auriezvous assez vécu ! J’ai peur, la corruption est générale, les philosophes, les socialistes, faussent l’esprit des masses, la décadence
approche, ces signes furent toujours précurseurs de la chute des
empires. » Le 5 juillet, il poursuit : « Que de misère ! Grand
Dieu ! Le cœur le plus dur en serait contristé. Des gens infâmes,
dont la bouche prononce des paroles de bonté, d’amitié, ne pensent qu’à leur intérêt personnel ; et pour arriver séduisent les
masses et les excitent jusqu’à répandre le sang... du sang qui du
sein de la terre crie vengeance contre ces nouveaux Caïn. »
Avec le recul, ces événements sanglants, qui font dix
mille morts parmi les insurgés, heurtent l’artiste jusqu’à
l’écœurement. À l’enthousiasme du néophyte, succède un
profond dégoût de la politique. Il se promet de ne plus
jamais s’en mêler. Il tiendra parole. Jusqu’à sa mort, il se
refusera, en effet, à exprimer publiquement ou en privé,
toute opinion favorable ou défavorable au gouvernement
en place. Contrairement à un Gustave Courbet24 qui se
retrouve au cœur de la bataille durant la Commune, Bouguereau prônera toujours un art politiquement neutre. Cela
ne l’empêche pas de porter très haut, dans ses œuvres, des
24. Gustave Courbet (1819-1877) : peintre de paysages de marine
et de portraits dans sa jeunesse, il verse ensuite dans le réalisme, à
partir des années 1850, avec L’Enterrement à Ornans et de grandes
compositions de nus. Il devient le chef de file d’un courant qui fait
scandale. En 1862-63, il séjourne à Saintes, où il participe à un atelier
de plein-air, le Groupe du Port-Berteau. Élu de la Commune de Paris, il
est accusé d’avoir fait renverser la colonne Vendôme et est condamné
à payer son relèvement. Il se réfugie en Suisse, à la Tour-de-Peilz, où il
est très actif dans le milieu des proscrits. Il s’adonne frénétiquement à
la peinture pour s’acquitter de sa dette envers la République. Ses
dernières productions sont de qualité inégale.
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valeurs profondément républicaines : le bonheur familial, la
culture classique et la beauté humaine. Dans sa vie publique
et privée, il incarne le travail et l’effort, vertus, elles aussi,
éminemment républicaines. Il exprime, à travers sa peinture, une forme de souci de la justice sociale, même si, à
l’instar de la classe bourgeoise et catholique, il estime que
l’amélioration des conditions sociales est davantage l’affaire
de personnes compatissantes que du gouvernement25. La
charité, oui ! La révolution, non !
Dans le discours qu’il prononce lors des obsèques du
peintre, le maire de La Rochelle, Eugène Decout, exalte le
patriotisme dont il a toujours fait preuve : « Il sut toujours se
tenir à l’écart de la politique mais s’il n’affirma jamais des
opinions pour ou contre un régime quelconque, il fut du moins
un excellent citoyen, aimant passionnément son pays et sachant
le prouver dans les moments difficiles. »
La tourmente de Paris apaisée, Bouguereau se remet
au travail, avec une toile romantique et sombre : Égalité
devant la mort, censée symboliser les événements révolutionnaires qui viennent de se dérouler. Le thème en est
évidemment dramatique. On y voit l’ange de la mort
recouvrant d’un linceul le cadavre entièrement dénudé
d’un homme. Sur un dessin préparatoire, Bouguereau
inscrit cette phrase : « Lorsque l’ange de la mort étendra sur
vous son linceul, à quoi vous aura servi la vie, si vous n’avez
fait le bien sur la Terre ? » Allégorie morale, ce tableau
exprime l’idée que l’égalité n’existe que dans l’au-delà.
Bouguereau en a trouvé l’inspiration dans plusieurs
œuvres contemporaines : Le Larmoyeur d’Ary Scheffer26,
25. Il faudra attendre 1891 et l’encyclique Rerum Novarum de
Léon XIII pour que la doctrine sociale du catholicisme évolue dans
un sens plus réformateur.
26. Ary Scheffer (1795-1858) : peintre français d’origine hollandaise, il s’est imposé parmi les maîtres de la peinture romantique
française. Ses compositions dénotent une inspiration mystique et
rêveuse. Il peint des portraits, des sujets religieux et une longue série
de sujets issus de Faust.
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daté de 183427, la Pietà de Flandrin28 peinte en 1842 et La
Délivrance d’Antoine Étex29, exposée au salon de 1845.
L’arrangement dans l’espace des deux figures superposées
parallèlement, qui symbolise l’égalité parfaite, est déroutant à bien des titres. Cette grande toile, de un mètre
quarante sur deux mètres soixante-dix, étonne par son
niveau technique, s’agissant d’un artiste encore en devenir.
Œuvre ténébreuse, elle reste la seule incursion du peintre
dans un art pseudo révolutionnaire. Égalité devant la mort
correspond à la période de découragement que traverse
alors l’artiste, bouleversé par l’agitation sociale dont il
craint qu’elle ne compromette sa future carrière. Cinquante ans plus tard, en 1896, il confie à un journaliste30,
à propos de cette œuvre de jeunesse, qu’il qualifie d’« hardie et violente » : « Si j’avais continué à faire des tableaux semblables, il est probable que, comme celui-ci, ils seraient encore
dans mon atelier. Que voulez-vous ? Il faut marcher avec le
goût du public. C’est pourquoi j’ai changé avec le temps, ma
manière de faire. » Conservée par les héritiers du peintre
jusqu’en 2010, Égalité devant la mort se trouve aujourd’hui
au musée d’Orsay, suite à une dation en paiement de
droits de succession.
En mai 1848, Bouguereau est admis à participer au plus
prestigieux des concours, celui de Rome. Il ouvre aux
27. On sait que Bouguereau copia ce tableau au musée du Luxembourg.
28. Hipollyte Flandrin (1809-1864) : élève d’Ingres, représentatif
du mouvement néo-classique. Premier prix de Rome en 1836. Il
renouvelle la peinture religieuse dans ses peintures murales à SaintSéverin, Saint-Germain-des-Prés et Saint-Vincent-de-Paul. Membre
de l’Académie des Beaux-Arts en 1853, il meurt en Italie, où il s’était
retiré.
29. Antoine Étex (1808-1888) : peintre, mais surtout sculpteur. Il
séjourne à la Villa Médicis bien qu’il ait vainement tenté d’obtenir un
prix de Rome. Il réalise deux des haut-reliefs de l’Arc de Triomphe de
l’Étoile en 1833.
30. Interview au Journal des débats du 24/5/1896.
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artistes les portes de tout ce qui fait une brillante carrière :
commandes de l’État, élection à l’Académie et enseignement à l’École des Beaux-Arts. La perspective de séjourner
pendant plusieurs années en Italie, aux frais de l’État,
immergé dans la culture antique et la peinture de la
Renaissance, en constitue un attrait supplémentaire, et
non des moindres.
Obtenir le premier prix dans la catégorie peintre
d’histoire est la récompense suprême pour un artiste. La
peinture d’histoire est la plus prisée dans la hiérarchie des
genres. Exalter les sentiments et les passions sur un thème
issu de la Bible, de l’histoire antique ou de la mythologie,
est une tradition instaurée par Poussin31 et institutionnalisée par Le Brun32. Après la peinture d’histoire, viennent
le portrait, puis les paysages et enfin la peinture de genre.
Ces deux dernières catégories de peinture sont dédaignées,
car elles ne transmettent ni message, ni vertu, ni moralité.
Au xixe siècle, les prix de Rome sont systématiquement
attribués à des peintres d’histoire.
Le concours de Rome se déroule chaque printemps.
Il est ouvert aux candidats français, célibataires, de sexe
masculin, ayant moins de trente ans33 et porteurs de la
31. Nicolas Poussin (1594-1665) : représentant majeur du classicisme pictural. Il séjourne longuement en Italie à partir de 1624 et
jusqu’à sa mort. Louis XIII lui demande de superviser les travaux du
Louvre et le nomme premier peintre du roi et directeur général des
embellissements des maisons royales. Peintre d’histoire, il laisse des
compositions religieuses, mythologiques, à personnages, et des paysages animés. Il est l’un des plus grands maîtres classiques de la peinture
française.
32. Charles Le Brun (1619-1690) : peintre et décorateur, il est le
premier peintre du roi de Louis XIV, directeur de l’Académie royale
de Peinture et de Sculpture et de la Manufacture royale des Gobelins.
Il s’est surtout illustré dans la décoration du château de Vaux-leVicomte et du château de Versailles, où il travaille pendant trente
ans. Il est le fondateur avec Colbert de l’Académie de France à Rome.
33. La réforme de 1863 ramènera à vingt-cinq ans l’âge limite.
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recommandation d’un maître reconnu, toutes conditions
que remplit le jeune William. La compétition s’apparente à
une course d’obstacles. Avant de se présenter à l’épreuve
finale, les postulants doivent avoir franchi avec succès,
plusieurs étapes intermédiaires. Une centaine de postulants sont autorisés à se porter candidats, chaque année.
Seuls dix parviennent à l’ultime épreuve de sélection.
Cette année-là, cinquante-sept artistes seulement se présentent pour la première esquisse, une huile sur toile de
petites dimensions34, dont le thème est La Mort de Démosthène. Vingt sont reçus. Cinq jours plus tard, se déroule la
deuxième étape. Elle comporte quatre sessions de sept
heures, consacrées à une figure nue masculine, de dimensions moyennes35. Bouguereau est classé troisième sur dix.
Les dix candidats restants sont invités à entrer pendant
soixante-douze jours en loge, enfermés à l’intérieur de
l’École, dans de petits boxes séparés, pour y réaliser une
esquisse dessinée, puis une huile sur toile de grandes
dimensions36, sur un thème tiré de l’histoire antique ou
biblique. Les candidats entrent en loge le 29 mai 1848.
Ils en sortent le 22 août. Le sujet, tiré des Actes des Apôtres, est : Saint Pierre après sa délivrance de prison vient
retrouver les fidèles chez Marie. Bouguereau, encore sous le
coup des événements politiques qu’il vient de vivre, peine
à réaliser son tableau. Les travaux des candidats sont présentés au public du 27 au 29 septembre. Le jury délibère le
30 septembre. Il note à la fois le tableau dans son état final
et les esquisses dessinées de la future toile. À cause des
événements politiques et de l’absence de crédits qui en
résulte, aucun premier prix n’est attribué en 1848. William
Bouguereau obtient un deuxième second prix, derrière
34. 32,5 cm640,5cm.
35. 81 cm665 cm.
36. 113,7 cm6146,5 cm.
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Gustave Boulanger37. De l’avis général, son tableau est de
bonne qualité. Beaucoup voient dans son travail la patte
de Poussin, le grand peintre académique du xviie siècle.
Aucun artiste ne prend donc le chemin de Rome en
1848, seul un premier grand prix permettant le séjour
italien.
Ce second prix de Rome obtenu à seulement vingt-deux
ans, est remarqué. Les journaux s’en font l’écho et particulièrement la presse charentaise. La ville de La Rochelle
encourage le jeune peintre en lui versant une subvention
annuelle de cinq cents francs, que le Conseil général de
Charente-Inférieure abonde du même montant.
Fort d’une mention honorable obtenue deux mois plus
tôt, pour une tête d’expression, Bouguereau se présente
pour la deuxième fois au concours de Rome, en mai
1849. Il est moins bien classé que lors de sa première
tentative, septième sur dix et n’obtient même pas une
mention pour Ulysse reconnu par sa nourrice à son retour de
Troie. Le premier prix est attribué à Gustave Boulanger et
le second à Alfred de Curzon38. Le critique Étienne Jean
Delécluze39 déplore que le travail de Bouguereau ait été
« gâché par les grimaces sur ses visages et ses figures. » En
37. Gustave Boulanger (1824-1888) : peintre orientaliste, d’origine
créole. Premier prix de Rome. Élu à l’Académie des Beaux-Arts en
1882, il enseigne à l’École des Beaux-Arts et à l’Académie Julian. Il
réalise des commandes de décoration pour l’Opéra de Paris, celui de
Monte-Carlo et la mairie du treizième arrondissement.
38. Alfred de Curzon (1820-1895) : élève de Drölling et Cabat à
l’École des Beaux-Arts. Second prix de Rome en 1849, il séjourne tout
de même quatre ans à la Villa Médicis, par dérogation. Il en profite
pour voyager en Italie et en Grèce. Il débute au Salon de 1843.
Curzon pratique tous les genres, avec une préférence pour le paysage.
39. Étienne Jean Delécluze (1781-1863) : peintre d’histoire et critique d’art, il a été l’élève de David. Il expose au Salon à partir de
1808. En 1822, il devient critique d’art au Journal des Débats. Peu de
ses tableaux ont été conservés. Il est l’oncle de l’architecte Viollet-leDuc.
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octobre, l’artiste sollicite des édiles de La Rochelle le
renouvellement de sa bourse, en échange du don de son
Ulysse à la ville.
Au printemps 1849, trois ans seulement après son
entrée à l’École des Beaux-Arts40, Bouguereau, qui vient
de quitter la rue de Trévise pour s’installer au 8 rue de la
Tour d’Auvergne, expose pour la première fois au Salon
de peinture et de sculpture de Paris. L’événement est
d’importance dans une vie d’artiste. Le Salon est le
rendez-vous de l’année. Des mois à l’avance, le ToutParis se prépare au vernissage et quand le grand jour
arrive, une nuée d’équipages se presse autour du lieu d’exposition. La foule des femmes revêtues de leurs plus beaux
atours et des hommes en jaquette et haut de forme, s’engouffre dans les salles d’exposition à l’atmosphère chargée
de poussière, de parfums capiteux et d’odeurs humaines.
Au milieu du xix e siècle, la présence au Salon est
l’unique moyen pour un peintre de se faire connaître du
grand public et donc de vendre sa production. Mais pour
cela, il faut se distinguer des autres, attirer l’attention du
public. Au cours des siècles précédents, seuls l’État,
l’Église et l’aristocratie achetaient la peinture, mais au
xixe siècle, la classe moyenne a pris l’habitude d’habiller
de tableaux les murs de ses appartements. En l’absence de
marchands d’art – ceux-ci n’apparaîtront que quelques
années plus tard – le seul lieu où l’on puisse acquérir des
toiles est le Salon. Dans les années 1850, il se tient tous
les deux ans. Pour satisfaire l’engouement du public et
répondre à l’augmentation de la production picturale, il
deviendra annuel en 1863. Plus de trois mille peintres
français jouissent alors d’une reconnaissance nationale.
Ils produisent en moyenne deux cent mille toiles par
décennie. Certains en peignent jusqu’à cinquante par an !
40. À cette époque, il s’écoule en moyenne six ans entre l’entrée aux
Beaux-Arts et la première participation au Salon.
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Le Salon accueille, pendant deux mois, plusieurs centaines de milliers de visiteurs. Son budget est conséquent,
plus de quatre cent mille francs. Les tableaux exposés sont
sélectionnés par un jury d’artistes renommés. Tout peintre
remarqué au Salon est assuré d’une belle carrière. Auguste
Renoir41 l’avait bien compris : « Je veux vous expliquer pourquoi j’expose au Salon. À Paris, il n’y a pas plus de quinze
collectionneurs susceptibles d’apprécier un peintre qui n’a pas
l’appui du Salon. Et il y en a quatre-vingt mille qui n’achèteraient même pas une carte postale d’un tableau s’il n’avait
pas été exposé au Salon. Cette participation est uniquement
commerciale. C’est pourquoi j’envoie deux portraits, petits
cependant. C’est comme certains médicaments, s’il ne vous
fait pas de bien, il ne vous fait pas de mal ! »
Pour cette première apparition, Bouguereau expose
deux toiles : Égalité devant la mort et Portrait de Mme C.C.
Il ne manquera plus aucun Salon pendant cinquantesix ans.
En 1850, il est retenu pour la troisième fois à l’épreuve
finale du concours de Rome, mais cette fois-ci de justesse,
dixième sur dix, son plus mauvais classement. Quand il
achève de vernir sa Zénobie retrouvée par les bergers sur les
bords de l’Araxe, un thème tiré de l’histoire romaine, il
envisage évidemment ce que seraient les conséquences
d’une troisième désillusion. Aurait-il le courage de tenter
un quatrième essai ? Il n’ignore pas que David avait envisagé le suicide après avoir échoué trois fois. Et le fait que
41. Auguste Renoir (1841-1919) : membre du groupe impressionniste, il évolue dans les années 1880 vers un style plus réaliste
sous l’influence de Raphaël. Peintre figuratif de nus, de portraits,
de paysages, de marines, de natures mortes et de scènes de genre.
Pastelliste, graveur, lithographe, sculpteur et dessinateur. Il est plus
intéressé par la peinture de portraits et le nu féminin que par celle
des paysages. Pendant soixante ans, il peint à peu près six mille
tableaux.
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Delacroix42 n’ait jamais été sélectionné pour le prix ne
suffirait pas à le consoler d’un échec. Mais il est plutôt
confiant. Le sujet proposé l’a inspiré. Comme les autres
candidats, il a été un peu gêné de ne pouvoir dessiner la
figure principale d’après un modèle vivant, le règlement
n’autorisant que des modèles masculins. Mais il pense
s’en être plutôt bien tiré. Après tant de semaines passées
en sa compagnie, il est presque tombé amoureux de cette
Zénobie, reine de Palmyre qui, seize siècles auparavant,
avait étendu sa domination sur l’Asie mineure.
Le jury décerne, cette année-là, deux premiers grands
prix, le premier à Paul Baudry, le second, assorti d’un
séjour à la Villa Médicis réduit à trois ans, à William
Bouguereau, qui a obtenu quelques voix de moins que
Baudry. Ce relatif succès, notre artiste le doit paradoxalement au mouvement révolutionnaire qu’il a combattu, les
armes à la main. On se souvient qu’en 1848, l’Académie
des Beaux-Arts n’avait pas accordé de premier grand prix,
en raison des événements. Une pension restait donc disponible. C’est Bouguereau qui, deux ans plus tard, en
bénéficie !
42. Eugène Delacroix (1798-1863) : peintre majeur du romantisme
français. Formé dans l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin, il entre aux
Beaux-Arts en 1816. En 1820, il échoue au prix de Rome. Il s’initie à
l’aquarelle en Angleterre. De retour en France, il décore des hôtels
particuliers parisiens, en s’inspirant des fresques d’Herculanum. En
1822, il expose au Salon Dante et Virgile aux enfers. Sous l’influence de
Géricault, il se met à peindre des chevaux. Les tableaux qu’il expose
au Salon de 1827 sont violemment critiqués et le brouillent avec le
mouvement romantique. Au Salon de 1831, il expose La Liberté guidant le peuple, relégué pendant des années dans les réserves du Louvre.
En 1832, il effectue un voyage en Afrique du Nord. En 1833, il décore
la Salle du Trône du Palais Bourbon et en 1838, la bibliothèque de
l’Assemblée nationale. En 1855, à l’exposition universelle, il est
reconnu comme le peintre qui a su dépasser la formation classique
pour renouveler la peinture. Élu en 1857 à l’Académie des BeauxArts, Delacroix reste le symbole de la peinture romantique.
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