François Dubet - Sgen-CFDT Nord-Pas-de

Transcription

François Dubet - Sgen-CFDT Nord-Pas-de
29 mars 2015
article suivant
Le rude apprentissage européen de...
Défendons la réforme du collège contre tous les
conservatismes
Le socle commun des connaissances n'abaissera pas le niveau scolaire. Avec les
options choisies, il permettra de concilier l'universalité des programmes et la
singularité des élèves
L
es contradictions du collège unique sont inscrites dès son acte de naissance en 1975.
D'un côté, il accueille tous les élèves et prolonge l'école élémentaire ; de l'autre, il est
défini comme le premier cycle du lycée " bourgeois ", les programmes et la pédagogie
préparant au lycée général où la moitié des collégiens n'ira pas. Le résultat n'est guère discuté :
le collège creuse les inégalités et, à l'âge de 15 ans, les élèves français sont loin d'être parmi les
meilleurs.
Dès lors, la crise et le débat s'éternisent. Pour les uns, il faut refuser le collège unique, tout en
ne sachant pas quoi faire des élèves et des professeurs qui n'y seraient plus. Pour les autres, on
ne doit pas renoncer à l'excellence pour tous, quitte à multiplier les dérivations et les
dispositifs pour les élèves qui ne suivent pas. Dans les faits, les arbitrages sont plus brutaux
que dans les débats. Côté excellence, le collège unique fonctionne bien pour les classes
moyennes par la grâce de la carte scolaire, des choix de langues, des classes européennes, de la
stabilité des équipes éducatives expérimentées… Côté défavorisé, le collège unique offre un
enseignement moins exigeant, des équipes éducatives jeunes et moins stables, des options
moins prestigieuses, et on s'y épuise à courir après une excellence irréaliste. La dénonciation
vertueuse de cette situation n'empêche pas de la soutenir pratiquement : les familles informées
fuient les établissements réputés difficiles, il va de soi que les jeunes enseignants sont nommés
là où c'est le plus dur, et on ne saurait transiger ni sur les heures consacrées aux disciplines, ni
sur l'ambition des programmes, ni sur la manière de noter…
Il n'est jamais simple de défendre un projet de réforme ; on a l'air de se compromettre quand il
est plus facile et tellement plus honorable de dénoncer tour à tour la timidité des réformes ou
leur hardiesse irresponsable. Mais aujourd'hui, la réforme du collège proposée par Najat
Vallaud-Belkacem doit être défendue parce qu'elle peut sortir le collège de certaines de ses
contradictions.
un modèle moins injuste
La réaffirmation de l'idée de socle commun, ou de culture commune, n'abaisse pas le niveau,
elle définit ce que tous les élèves doivent savoir et savoir faire au terme du collège. La priorité
donnée au socle – dont il faut rappeler qu'il placerait la France avant la Finlande dans les
enquêtes PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) si tous les élèves
l'avaient acquis – conduit à ne plus séparer les élèves en fonction de leur niveau, réel ou
supposé, et à se fixer les mêmes objectifs pour tous les élèves. On peut exiger l'acquisition du
socle par tous ; on ne peut pas exiger l'excellence pour tous.
Certains élèves auront probablement des difficultés à acquérir ce socle et auront besoin d'une
aide spécifique. D'autres, au contraire, auront envie et besoin d'aller au-delà du socle. Enfin, la
plupart des élèves auront besoin de se confronter à des apprentissages plus actifs, plus
collectifs, plus proches aussi de leurs goûts et de leurs intérêts. Les élèves ne sont ni
semblables ni parfaitement égaux. Le bon élève d'un collège populaire trouvera des réponses
dans un collège capable d'offrir des modules de lettres classiques ou de sciences sans être
conduit à fuir l'établissement, de la même manière que l'élève plus faible d'un collège favorisé
sera soutenu dans son établissement sans être mis radicalement à l'écart. De plus, les
meilleures performances des uns ne pénaliseront pas forcément les autres puisque la logique
du socle doit garantir le meilleur niveau possible à tous. Ce modèle ne réalise pas l'utopie d'une
école parfaitement égalitaire, mais il sera sans doute moins injuste que celui que nous
connaissons.
En associant l'école du socle à un jeu d'options plus ou moins choisies par les élèves, ce projet
de réforme est une manière de surmonter l'épreuve centrale de l'école démocratique de masse :
comment garder ensemble tous les enfants de la République, tout en tenant compte de la
diversité et des singularités de ces élèves. Comment faire du grec, du latin et plus de
mathématiques, sans en faire des modes de regroupement social ? Rappelons que les latinistes
du collège abandonnent massivement au lycée quand la sélection ne passe plus par là.
Comment valoriser l'informatique ou la musique sans en faire des manières de séparer
définitivement les élèves ? En choisissant une part de leurs apprentissages, les élèves
pourraient aussi apprendre progressivement à savoir ce qu'ils aiment et ce qu'ils valent plutôt
que de confier leur avenir à la seule somme de leurs notes.
Cette réforme des collèges n'est pas une révolution, bien des collèges " expérimentaux "
fonctionnent déjà de cette façon, mais c'est une réforme décisive parce qu'elle induit d'autres
manières de travailler quand le métier de professeur n'est plus réduit aux classes homogènes,
aux heures de classes et aux programmes. Entre les classes disciplinaires, les modules
disciplinaires et les modules pluridisciplinaires, les enseignants devront diversifier leurs tâches
et leurs compétences, ce que beaucoup font déjà avec bonheur.
l'immobilisme refuge
On peut déjà anticiper les oppositions à ce projet : défendons les heures consacrées aux
enseignements disciplinaires classiques ; défendons les classes élitistes où se joueraient
l'avenir culturel du pays et, plus sûrement, la reproduction des élites ; dénonçons le
pédagogisme rampant qui ruinerait l'école de Jules Ferry et installerait le collège " light "…
Bref, défendons le collège comme il fonctionne si bien pour une minorité d'élèves, et obtenons
plus de moyens afin que ce collège persévère dans son être. Tant pis si tous les élèves n'ont pas
le bon goût de réussir !
L'histoire du ministère de l'éducation nationale est jonchée de réformes combattues, avortées
ou noyées dans les sables des routines… Toutes ces réformes n'étaient pas bonnes, mais il
semble que les pires d'entre elles, la semaine de quatre jours à l'école élémentaire en 2008 par
exemple, sont passées plus facilement que les autres. Aujourd'hui, le gouvernement n'est pas
populaire, les Français ont le sentiment que c'était toujours mieux avant, les enseignants sont
fatigués par l'immobilisme et par la fébrilité réformatrice, l'air du temps est au conservatisme…
Pourtant cette réforme ne doit pas être rejetée ; aussi " modeste " soit-elle, elle appelle d'autres
manières de faire l'école et nous sort un peu des impasses dans lesquelles nous aimons tant
nous enfermer, tout en dénonçant vigoureusement leurs conséquences.
ParFrançois Dubet
© Le Monde
article précédent
article suivant
Les humanités sont indispensables...
Le rude apprentissage européen de...

Documents pareils