art. 9 C. succ. - Berquin Notarissen

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art. 9 C. succ. - Berquin Notarissen
Planification patrimoniale : Achat scindé (art. 9 C. succ.) :
l’administration fiscale revoit (une nouvelle fois) sa position
Eric Spruyt, notaire associé chez Berquin Notaires, professeur à la KU Leuven et à la HUB & Fiscale
Hogeschool, Bruxelles
Petit rappel
Le mécanisme de l’achat scindé est bien connu aujourd’hui. Dans le cadre de leur planification
patrimoniale, les parents achètent un bien immeuble pour l’usufruit et leurs enfants acquièrent le
même bien pour la nue-propriété. Ainsi, les parents, en tant qu’usufruitiers, peuvent profiter euxmêmes de leur vivant du bien acheté, un appartement à la Côte par exemple, ou jouir de leurs revenus
locatifs, ceux d’un bien de rapport par exemple. Au décès des parents, l’usufruit s’éteint
automatiquement et les enfants deviennent pleins propriétaires du bien, et ce sans payer de droits de
succession. En effet, l’acquisition de l’usufruit par voie de succession est exonérée de tels droits. Le fisc
ne tolère cependant cette technique qu’à certaines conditions. En principe, il considère que cette
construction n’existe pas et que le bien immeuble fait bel et bien partie en pleine propriété de la
succession des parents. L’art. 9 C. succ. règle les aspects fiscaux de la question en se référant à une
fiction, en l’espèce en faisant comme si les enfants nus-propriétaires héritaient du bien immeuble au
titre de legs particulier. Pourtant, il était depuis longtemps possible d’échapper à cet article pour
autant qu’il fût satisfait cumulativement aux conditions suivantes :
a) à la mort de leurs parents, les enfants devaient prouver qu’ils disposaient à l’époque de l’achat
de ressources personnelles suffisantes pour financer leur part en nue-propriété ;
b) ils devaient de surcroît démontrer qu’ils avaient effectivement affecté ces fonds ‘propres’ à cet
achat ;
c) enfin, le prix de l’usufruit et celui de la nue-propriété devaient être calculés correctement, à
savoir en tenant compte des tables de mortalité et des coefficients qu’elles livrent.
Dès lors, à quoi cette technique se heurtait-elle souvent ? Sur le fait que les enfants n’avaient pas les
fonds requis pour acheter leur part en nue-propriété. Qu’à cela ne tienne, les conseillers en
planification patrimoniale avaient une solution toute trouvée. Il suffisait que les parents donnent à
leurs enfants, préalablement à l’acte de vente, la somme d’argent nécessaire au paiement de la part du
prix correspondant à la nue-propriété.
De la donation préalable
Longtemps, le fisc a fermé les yeux sur ce genre de donation anticipée dans le cadre d’une acquisition
scindée. Il acceptait la donation préalable et n’appliquait pas l’art. 9 C. succ. lors du décès ultérieur des
parents-usufruitiers. In illo tempore, d’illustres hauts fonctionnaires de l’administration fiscale ont
écrit que cette opération ne soulevait pas le moindre problème fiscal et qu’elle neutralisait les effets de
l’art. 9 C. Succ. (VAN ACOLEYEN, O, Successierecht, Deel 1, éd. Fiscale Hogeschool, 1976, n° 141, p.
181). Par deux fois, l’administration elle-même a décidé dans le passé que la donation antérieure était
[- 1 -]
autorisée (décision du 10 juillet 2002, Rec. gén. enr. not., 2004/2, n° 25.418, p. 84 ; décision du 13
décembre 2007, n° E.E./101.855, Rép. R.J., S9/06-03). Jusque là, tout allait bien.
Nouvelle disposition anti-abus et décision du 19 avril 2013
Le 1er juin 2012, la nouvelle disposition générale anti-abus entrait en vigueur en matière de droits
d’enregistrement et de succession (art. 18, § 2 C. enr. et art. 106 C. succ., tels que modifiés par la loiprogramme du 29 mars 2012, M.B. du 6 avril 2012, éd. 3). Le fisc entend lutter par là contre les
contribuables qui se placent en dehors des objectifs économiques sous-tendant la législation fiscale en
recourant à des ‘constructions artificielles’. Lorsque, dans une circulaire suivante – la n° 8/2012 du 19
juillet 2012 (Rec. gén. enr. not., 2012/7, n° 26.410, 319-321 ; v. aussi www.fisconetplus.be) –, il
répertoria dans une ‘liste noire’ aujourd’hui tristement célèbre les constructions tendant à éviter les
droits d’enregistrement et/ou de succession qu’il combattrait dorénavant en vertu de la disposition
anti-abus, il apparut que l’achat scindé couplé à une donation préalable dans le chef de l’usufruitier
donnerait désormais lieu à l’application de l’art. 9 C. succ. L’opération était donc qualifiée d’abus fiscal.
Mais un peu moins d’un an plus tard arrive la circulaire n° 5/2013 du 10 avril 2013 (Rec. gén. enr. not.,
2013/6, n° 26.518, 251-253 ; v. aussi www.fisconetplus.be). Que constate-t-on ? L’achat scindé avec
donation préalable ne figure plus sur la liste ‘noire’. Ce n’est donc plus un abus. La joie est de courte
durée. Quelques jours plus tard, l’administration fiscale opère une nouvelle volte-face par le biais de la
décision du 19 avril 2013 (n° E.E./98.937, Rép. R.J., S 9/06-07 ; Rec. gén. enr. not., 2013/6, n° 26.524,
p. 278 ; v. aussi www.fisconetplus.be), laquelle sortirait ses effets pour les acquisitions réalisées à
partir du 1er septembre 2013. Il ressort de ce texte que la donation préalable ne sera plus possible dans
le cadre d’un achat scindé à compter de cette date. S’appuyant sur de vieux documents parlementaires
fondant l’art. 9 C. succ., le fisc est d’avis qu’il doit revoir totalement sa vision du problème. Il est donc
décidé que la présence d’une donation antérieure est en fait une confirmation de la présomption légale
de libéralité déguisée dont il est question à l’art. 9 C. succ.
Dernière épisode en date : la décision du 18 juillet 2013
Il était écrit dans les astres que la décision du 19 avril 2013 ne passerait pas l’hiver. En effet, sa
publication n’a pas tardé à susciter de tumultueux débats au sein de la Commission Finances et Budget
de la Chambre. Divers membres de cet organe ont soumis ce revirement à un feu roulant de questions
(Quest. or. n° 17388 et 17537 de Carl Devlies, n° 17553 et 17761 de Veerle Wouters, n° 17623 de Luk
Van Biesen, n° 17729 d’Olivier Maingain et n° 17753 de Hagen Goyvaerts, 15 mai 2013, Commission
Fin., Criv 53 Com 746, 16-21). Ces critiques ont été entendues par le ministre des Finances qui a
déclaré qu’il demanderait à son administration « de soumettre cette question à un réexamen et de
rectifier le cas échéant son point de vue… » (Chambre, Compte rendu intégral, Commission des
Finances, 15 mai 2013, CRIV 53 COM 746, 16 et suiv.).
Depuis, encouragé par son ministre de tutelle, le fisc a défini un nouveau point de vue énoncé dans la
décision du 18 juillet 2013, n° E.E./98.937, Rép. R.J., S9.06, www.fisconetplus.be.
Que dit la nouvelle décision ?
Une donation préalable pourra désormais valoir comme preuve contraire pour l’application de
l’art. 9 C. succ. dans 2 cas :
[- 2 -]
1.
lorsque la donation préalable aura été soumise à la perception du droit d’enregistrement de
donation, ou
2. lorsqu’il sera démontré que le bénéficiaire de la donation pouvait librement disposer des
avoirs, ce qui est par exemple le cas s’il est démontré que la donation effectuée par l’acquéreur
de l’usufruit n’était pas spécifiquement destinée à financer l’acquisition de la nue-propriété
dans le cadre de l’acquisition scindée.
Comme le texte de la décision relie ces deux cas par la conjonction ‘ou’, ils ne doivent pas être réalisés
cumulativement.
Première exception : donation enregistrée
Dorénavant, l’usufruitier est donc autorisé à donner anticipativement la somme requise à condition
que l’opération soit soumise à des droits de donation (sur les biens meubles). Ceux-ci sont tout à fait
raisonnables et se montent en ligne directe à 3 % (3,3 % en Région wallonne). Ils seront de toute façon
exigibles si la donation a lieu par le biais d’un notaire belge (application de l’art. 19, 1° C. enr.). Cela dit,
la décision ne réclame pas l’intervention d’un notaire belge. Donc, une donation préalable qui est
exonérée en soi, à l’instar de celle accomplie devant un notaire étranger (néerlandais ou suisse par
exemple), tout comme le don manuel ou bancaire, entre également en ligne de compte pour autant
que, dans ces cas, l’on opère spontanément la présentation de la donation à l’enregistrement.
Seconde exception : le bénéficiaire a pu disposer librement des fonds donnés
Si l’on peut démontrer que le bénéficiaire de la donation pouvait disposer librement des avoirs, la
donation est à même d’annihiler l’effet de l’art. 9 C. succ. Il ne peut donc pas en ressortir que le
donateur a imposé au bénéficiaire d’utiliser les fonds faisant l’objet de la donation pour financer la part
de la nue-propriété en vue de la réalisation d’une acquisition scindée. Si, dans le 2e cas d’exception,
cette ‘obligation’ peut être déduite de la donation ou des circonstances propres au dossier, l’opération
ne sera pas admise. À notre sens, une telle contrainte sera manifeste lorsque la donation de l’argent ira
de pair avec une charge consistant en l’obligation d’affecter l’argent donné à l’achat de la nuepropriété. Donc, les donations subordonnées à une charge de cette nature sont absolument contreindiquées si l’on souhaite appliquer le 2e cas d’exception et que l’on veut échapper aux droits de
donation. Cependant, il y aura aussi beaucoup de cas limites et donc ambigus. Quid du scénario dans
lequel une somme d’argent donnée grosso modo 1 an plus tôt sert finalement à effectuer un achat
scindé ? Un délai de 1 an est-il suffisant pour démontrer qu’il n’y a pas de lien entre la donation et
l’acquisition scindée, et que l’argent n’était donc pas ‘spécifiquement’ destiné à cet usage ? Il se
‘murmure’ déjà aussi çà et là qu’il est conseillé de faire en sorte que la somme donnée ne corresponde
pas exactement à la part à payer par le nu-propriétaire dans l’achat. En effet, dans ce cas, la question se
pose de savoir si le fisc acceptera que le second cas sorte ses effets si le prix de la nue-propriété s’élève
par exemple à 100 et que le nu-propriétaire a reçu 80 par voie de donation et finance le solde (20) avec
ses ressources propres. Nous en doutons. Et où se situera la limite dans de tels cas ? Quel devra être
l’écart entre le montant donné et le prix correspondant à la nue-propriété ? Voilà qui promet de
soulever d’interminables débats où chaque solution possible sera forcément arbitraire.
Il est évident que le 1er cas d’exception (donation préalable enregistrée) est celui qui offrira la plus
grande sécurité juridique dans la pratique !
[- 3 -]
Entrée en vigueur
Concernant l’entrée en vigueur, il est dit dans la décision du 18 juillet 2013 que ce tout nouveau point
de vue sera applicable à toutes les opérations juridiques réalisées à partir du 1er septembre 2013. Et il
est de plus précisé que cette nouvelle décision remplace la précédente, celle du 19 avril 2013.
On peut supposer que, comme c’était le cas avec la décision antérieure du 19 avril 2013, il faut
entendre par ‘opération juridique’ l’acquisition scindée. La date de l’acte authentique d’achat est donc
déterminante.
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