Qualité et compétence en médecine

Transcription

Qualité et compétence en médecine
Qualité et compétence en médecine
Qualité et compétence en médecine
Un défi déontologique
Introduction
Actes du colloque
Le colloque du 23 juin 2000 dont nous vous présentons les
actes était organisé par le Conseil national de l’Ordre des médecins
sur le thème suivant : « la qualité et la compétence en médecine :
un défi déontologique ». Un défi d’importance car les objectifs de
ce colloque étaient nombreux : d’une part proposer des éléments
de base pour l’émergence d’une culture de la qualité des soins
auprès des médecins et du monde de la santé dans l’intérêt des
patients, mais aussi auprès des conseillers ordinaux qui seraient en
charge de promouvoir cette démarche. D’autre part, il s’agissait de
procéder à l’étude et à une ébauche de conception du cadre de
réalisation et de mise en œuvre d’un système de gestion des compétences, tenant compte de nos particularismes et du contexte sociomédical français. Enfin, ce colloque permettait de consolider auprès
de nos partenaires notre volonté de s’impliquer largement dans ce
défi et de contribuer à des solutions opérationnelles.
Afin de préparer ces débats, les organisateurs du colloque ont
travaillé une demi-journée avec tous les intervenants afin de capitaliser encore plus en profondeur leurs expériences, qu’elles concernent d’autres secteurs que la santé ou qu’elles nous proviennent
de pays ayant mis en place des structures et projets qui nous paraissaient exemplaires, sur le plan de la qualité et de la compétence.
Ainsi au terme de ce colloque, nous espérons que chacun aura
pu se familiariser avec l’univers de la compétence et de la qualité
qui sont des thèmes-clés pour l’avenir du monde médical et de
l’Ordre des médecins.
1
Qualité et compétence en médecine
Colloque du jeudi 22 juin 2000
Discours d’ouverture
Bernard GLORION
Je suis heureux d’accueillir M. Auquier, Secrétaire perpétuel de
l’Académie de Médecine et nos amis québécois, Mme Lescop et
M. Jacques avec qui nous entretenons des relations chaleureuses.
L’un et l’autre font partie du Collège des Médecins du Québec.
Enfin, je remercie Mme Jolis, Directeur des ressources humaines
de la Caisse d’Epargne du Languedoc-Roussillon et MM. Desprez
et Jaubert. L’idée de ce colloque sur la compétence est issue de
l’équipe de direction du Conseil national que je remercie beaucoup.
La compétence est une grande innovation pour notre organisme. Il est bon que nous puissions garantir la qualité des médecins tant sur le plan moral que sur celui de la compétence. Depuis
les ordonnances de 1996, il semble que les médecins ont pris
conscience de la nécessité d’évaluer leurs pratiques et d’approfondir
la formation continue dans une optique d’efficacité. Un certain
nombre d’associations telles que l’Unaformec et MG Form ont
déjà effectué des démarches considérables auprès des médecins pour
évaluer leurs compétences. Il faut saluer cet effort. L’Ordre des
Médecins se sent concerné par la question de la compétence en
raison de sa mission. Un projet de loi sur la modernisation du
système de santé est en cours de finalisation. Ce projet de loi
devrait confier à l’Ordre la mission d’attester de la compétence
des médecins. Cependant, l’Ordre ne sera pas chargé de réaliser la
formation proprement dite.
3
Qualité et compétence en médecine
Le phénomène « compétence »,
notions essentielles, écueils à éviter
Pierre-Louis DESPREZ
Consultant en ressources humaines
Le phénomène de la compétence nécessite que l’on prenne un
peu de recul. J’ai donc choisi de revenir à quelques questions de
sens avant que d’autres intervenants ne se focalisent plus précisément sur des notions plus pragmatiques.
D’abord, on peut se demander si le phénomène de la compétence n’est pas un phénomène marchand. Des consultants ou des
auteurs vivent de ce concept. De grandes institutions sont engagées
dans des démarches identiques : l’école, la justice, et la santé. La
compétence est-elle une mode, un phénomène dû à notre économie libérale ? Est-elle un nouveau vocabulaire pour renvoyer à l’apprentissage ou à la professionnalisation ? Enfin, d’un point de vue
sociologique, est-elle la traduction de quelques mouvements plus
profonds qui affectent notre société ? En tous cas, si beaucoup de
sociétés se sont engagées dans de telles démarches, c’est sûrement
parce qu’elles y trouvent un intérêt. Le premier volet de ma
réflexion consistera à exposer les grandes caractéristiques de la
notion de compétence.
Définition de la compétence
La notion de compétence ne va pas de soi. Il est communément
admis aujourd’hui que la compétence se mesure en actes et en
situation. Cette vision témoigne de la distinction très importante
qui existe entre la compétence et la connaissance. Cette distinction
a été admise dans les dix dernières années, mais elle n’est pas encore
véritablement passée dans les esprits. Dans la presse ou certains
ouvrages, on trouve encore le mot de connaissance pour parler
de compétence. Cette tournure d’esprit nous vient de certaines
4
Qualité et compétence en médecine
dispositions liées au système latin, qui placent la connaissance au
pinacle, et en font le cœur du développement d’un métier. Il ne
s’agit pas de remettre en cause l’utilité de la connaissance, néanmoins, les travaux et expériences menés par les entreprises montrent bien qu’il faut en élargir le cadre. A cet égard, je citerai une
formule prononcée par un jeune entrepreneur : « quand j’embauche
un maçon, il est qualifié au pied du mur, mais il est compétent en
haut. » Cette phrase est une manière cocasse de nous rappeler que
la compétence se juge a posteriori beaucoup plus qu’a priori. Cela
ne signifie pas que l’on ne puisse pas parler de compétences
requises pour un poste. Néanmoins, la compétence ne peut être
séparée du résultat.
Si nous pensons que la compétence est une capacité de mise
en œuvre en situation, pour autant, toutes les situations ne se
valent pas. Certaines situations sont plus critiques ou stratégiques
que d’autres. Le seuil de définition de ces situations se déplace
au cours des différentes époques. En effet, du fait d’évolutions
technologiques ou de l’accumulation du savoir, les pratiques et la
façon de les considérer changent. Certaines pratiques considérées
comme difficiles peuvent devenir banales. La compétence n’est
donc pas un acquis stable mais une construction continue.
Ensuite, il importe de bien distinguer l’ancienneté et l’expérience de la compétence. L’époque actuelle, où certains jeunes
créent des offres dans les nouvelles technologies alors que leur expérimentation est faible, illustre bien cette idée.
La richesse des situations rencontrées est certainement un point
de réflexion sur lequel chacun doit s’interroger. Dans différents
métiers, est-on confronté à des situations critiques ? Sur cette question, les avis sont partagés.
Par ailleurs, je citerai le principe de l’Américain Peter, qui dit
que tout homme atteint un jour son seuil d’incompétence. L’acquisition de la compétence est-elle un phénomène cumulatif, ou bien
touchons-nous tous un jour notre propre niveau d’incompétence ?
En matière de connaissance, l’opinion communément reçue
consiste à dire qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre. Mais on peut
5
Qualité et compétence en médecine
réfléchir au fait qu’il existe probablement une courbe de la compétence, avec un seuil d’incompétence. Une réflexion sur la compétence ne peut pas se passer d’une interrogation sur l’incompétence.
A partir de quel moment franchit-on le seuil de l’incompétence ?
Cette question n’est pas facile à poser parce qu’elle revêt, en France,
un certain tabou. Il est presque dangereux de parler d’incompétence dans certains milieux, parce que ne pas savoir, ne pas savoir
faire ou ne pas savoir se comporter est disqualifiant. La question
de sa propre incompétence n’est pas souvent posée chez nous, parce
que nous avons survalorisé le savoir et l’information.
Pour aller plus avant dans ces réflexions, nous devons aborder
la question de l’évaluation. Le couple compétence/mode d’évaluation est indissociable. Mais le risque de devenir compétent est
moins important que celui de se faire évaluer. Il semble que la
question de l’évaluation est une question plus idéologique que celle
de la compétence. Quand on dit qu’il faut évaluer l’école, l’idée
immédiate sous-jacente est que le système ne fonctionne pas bien.
Dans ce cas, l’évaluation a toujours un relent de jugement critique
négatif. Pour une institution comme l’Ordre des médecins ou
comme le Medef, qui a stimulé récemment la démarche compétence dans les entreprises, réfléchir sur les modes d’évaluation me
semble très important, pour ne pas effrayer les populations, et rester cadré dans un objectif de stimulation de la recherche individuelle et collective de nouveaux savoirs et savoir-faire.
Certaines entreprises se sont demandé s’il était toujours pertinent ou jusqu’à quel niveau il était utile d’expliciter les compétences. Un grand groupe agroalimentaire, notamment, préfère
parler de talent que de compétence. En effet, un observateur fiable
utilisant des outils fiables est bien obligé de constater que, dans
certaines situations, tout ne s’explicite pas. Il reste une part de
tacite, d’implicite dans la combinaison entre les connaissances, les
savoir-faire et les comportements en situation. Ecrire une procédure
sur la combinaison des connaissances, savoir-faire et comportements serait peut-être satisfaisant pour un esprit rationaliste, mais
sûrement peu efficace pour maîtriser les situations elles-mêmes. Il
est donc intéressant de se demander jusqu’où la notion de compé-
6
Qualité et compétence en médecine
tence peut servir de référence, et à partir de quand elle n’est plus
pertinente. Il ne faudrait pas croire que la compétence puisse devenir l’outil qui permet de maîtriser toutes les situations. Il reste une
large part d’implicite.
Enfin, on parle souvent de compétence individuelle. Mais il
faut souligner que nos compétences ne peuvent pas se passer d’une
facette collective. L’une des réponses aux situations est de savoir
mobiliser d’autres compétences, se mettre en lien avec d’autres,
échanger avec ses pairs, pour pouvoir produire une réponse adaptée
à celle du client ou patient. A cet égard, il faut prendre garde au
fait que la compétence peut devenir un facteur hiérarchisant des
individus. Si nous entrons dans cette voie, une dérive vers l’individualisme risque de se produire. Il n’y a de réflexion et de pratique
à travers des outils que dans un certain humanisme.
Tels sont les premiers constats que je voulais faire. Mon propos
consistait à attirer votre attention sur le fait qu’il existe des écueils
dans la voie de la compétence. D’autres pays se sont engagés,
depuis plus de dix ans, dans des systèmes qui valident l’acquisition
de la compétence. On peut produire des systèmes qui peuvent
tourner à vide. De même, au cours des dernières années, les entreprises ont beaucoup développé les systèmes qualité pour le meilleur
et pour le pire : pour le meilleur, lorsque les entreprises ont posé
la qualité comme facteur de réussite de leur stratégie ; pour le pire,
lorsque les entreprises ont produit des normes et du papier. Le
risque de la normalisation est très important. Michel Foucault a
montré en quoi le pouvoir cherche toujours à circonscrire de façon
extrêmement précise les comportements des individus.
Les questions à se poser avant de s’engager
dans une démarche de stimulation du développement
de la compétence
Plusieurs questions fondamentales doivent être posées pour
réussir la mise en œuvre d’une démarche de compétence.
7
Qualité et compétence en médecine
●
●
●
●
●
●
8
Jusqu’où peut-on expliciter la compétence, mettre sur papier le
contenu même d’un savoir professionnel ?
Autrement dit, quelle est la part qu’il est inutile de décrire ?
Comment ne pas concevoir des systèmes clos, des référentiels
trop fermés ?
Cette deuxième question est en rapport avec le fait que les
métiers changent vite. Quelle est la part laissée à la prospective
dans les descriptions faites ?
Sous quelle forme expliciter la compétence ?
Nous avons trop vu d’outils mal intégrés ou assimilés, qui partaient de bonnes intentions. Or l’utilité de l’outil est la priorité
dans la matière.
Quel est l’objet de l’évaluation ?
Evalue-t-on des attitudes en situation ou un contenu a priori ?
Qui est dans le cabinet pour évaluer ? Qu’est-ce qu’un évaluateur
professionnel ? Il n’y a pas de réponse théorique sur ces sujets.
Qui évalue ?
Le modèle scientifique de l’évaluation est celui où ce sont les
pairs qui évaluent, à travers un débat contradictoire, où la contreargumentation par principe est acceptée. Ensuite, il existe dans
les entreprises de nombreux systèmes d’évaluation par le management et le rapport hiérarchique. Si l’évaluation n’est pas faite en
toute morale, le risque est évident de tomber soit dans des jugements de valeur, soit dans des a priori.
Qui garantit la qualité du système d’entretien des compétences ?
Un système peut très bien se développer durant quelques années
puis dériver, récupéré par des acteurs qui y verraient un enjeu
de pouvoir. Il y a forcément un enjeu de pouvoir à mettre en
place un système régissant 200 000 médecins. A travers une
démarche compétence sur ce public, un fantastique levier de
mobilisation dans un sens ou dans un autre peut se produire.
En outre, les médecins peuvent être orientés selon des objectifs
qui ne sont pas forcément les leurs.
Qualité et compétence en médecine
Quelle est la place du destinataire final dans la démarche ?
Le destinataire du référentiel de compétence est-il le formateur,
l’université, le médecin, ou le patient final ?
● Quelle place à l’auto-évaluation ?
Un système « adulte » est un système dans lequel chacun prendrait en charge son auto-évaluation. Le code de déontologie
comprend une invitation formelle à se préoccuper de l’entretien
de ses compétences tout au long de son exercice professionnel.
Mais, la déontologie suffit-elle à motiver la personne ? On pourrait se demander quel chemin l’Ordre pourrait trouver pour
encourager l’auto-évaluation, tout en mettant en place un système d’évaluation.
Ces questions posées, il me semble important de prendre garde
aux écueils qui risquent de se faire jour.
●
Quelques écueils à éviter
●
●
●
Ces écueils sont les suivants.
La dérive bureaucratique
La dérive bureaucratique, avec l’élaboration de dispositifs lourds,
rationalisants et déconnectés du besoin de l’utilisateur, est le premier écueil possible dans une démarche compétence.
L’emprise sur les individus
Il existe des façons implicites de contrôler ou d’établir des normes
coercitives. Heureusement, il existe des exemples d’autres institutions où l’emprise est extrêmement limitée.
L’opposition entre le système de formation initiale et le système
d’entretien et de développement de la compétence
Comment travailler en continuité entre l’université et le système
auquel nous pourrions penser ? L’écueil serait de faire du retour
à l’école une fin en soi. Le système d’entretien de la compétence
ne passe pas nécessairement par un système de formation continue. Cela supposerait que la réponse à l’acquisition de la compétence passe nécessairement par la formation. Or, nous voyons
9
Qualité et compétence en médecine
que l’organisation du travail et les changements de contexte peuvent être des situations qualifiantes.
● Négliger quelques acteurs essentiels
Les démarches pertinentes que nous voyons se produire autour
de nous semblent associer différents types d’acteurs : les destinataires, les partenaires sociaux, les acteurs du monde économique,
du système de santé et les pouvoirs publics. Il y a bien une
concertation à mener, parce que la démarche englobe bien tout
un ensemble de personnes.
● Enfin, le détournement du système par les utilisateurs euxmêmes
J’ai plusieurs fois constaté que les esprits stratégiques peuvent lire
les référentiels de façon à déterminer les situations critiques qu’ils
doivent utiliser et sur lesquelles ils feront l’impasse. On peut
aboutir à une forme de zapping, qui consisterait à trier entre le
plus et le moins important.
Tous ces écueils montrent bien que derrière un système qualité
ou compétence, la question du sens et le retour aux missions fondamentales d’un métier sont essentielles. La compétence n’est pas
seulement une question technique, qui consisterait à dire quel système de développement mettre en œuvre et comment le manager.
C’est une question idéologique. Elle engage des acteurs dans des
conflits d’intérêts. Notre travail est de faire converger les intérêts
entre les différents acteurs.
10
Qualité et compétence en médecine
La compétence au quotidien,
les aspects pratiques dans la vie d’une entreprise
Nadine JOLIS
Responsable de Département des Ressources Humaines,
Caisse d’épargne Languedoc Roussillon
Auteur de La compétence au cœur du succès de votre entreprise,
Les Editions d’Organisation, 2000
Parler compétence en entreprise n’est pas nouveau. Le fait nouveau, c’est la façon dont on aborde aujourd’hui ce sujet. En effet,
il est désormais question d’introduire une démarche compétence
qui remet profondément en question l’organisation du travail. Et
ce n’est pas le seul fait du hasard si le MEDEF accorde à cette
notion une attention soutenue depuis 1997.
Après avoir fait un état des lieux, le MEDEF a constaté que
les entreprises françaises avaient pris quelques retards par rapport
à d’autres pays dans la mise en œuvre du concept compétence.
Celles-ci fonctionnent encore dans l’ensemble selon une organisation du travail largement inspirée du modèle taylorien.
Dans ce type de fonctionnement, la caractéristique principale
est de fonder l’organisation du travail non pas sur la compétence
des individus, mais sur les tâches qui leur sont prescrites selon une
hiérarchie pyramidale (celui qui pense est en haut, celui qui exécute
est en bas). Dans ce système, l’information circule de haut en bas,
et fait l’objet d’un véritable jeu de pouvoirs fondé sur sa détention
et associé souvent à des phénomènes de rétention de l’information.
Précisément l’élément majeur qui caractérise le profond changement de notre environnement réside dans l’introduction d’un accès
rapide à l’information grâce aux nouvelles technologies. On est
propulsé dans un monde de transparence où chacun peut aller
puiser l’information de son choix. Dans ce nouvel univers que nous
abordons, vouloir maîtriser le flux même de l’information devient
totalement illusoire. C’est une mutation fondamentale des nouvelles donnes de notre économie qui nous propulse sur un champ
11
Qualité et compétence en médecine
de préoccupations centré sur les aspects de qualité et de compétence.
Devoir faire preuve de qualité et de compétence est une véritable révolution stratégique qui met en jeu la survie même des
entreprises. Il en est de même pour la médecine où ces éléments
prennent l’aspect d’un réel défi déontologique.
I. Les nouvelles conditions du défi actuel
Entre les entreprises et la médecine, de nombreuses donnes
sont communes.
Pour les entreprises comme pour la médecine, la concurrence
est de plus en plus sévère.
La mondialisation a considérablement élargi les marchés et
introduit de nouvelles exigences de prestations. De nouvelles technologies de plus en plus nombreuses et complexes sont à intégrer
et à maîtriser. Les clients sont de plus en plus imprévisibles et
volatiles. La notion de services devient centrale et les exigences des
marchés porteurs se traduisent de plus en plus selon des besoins
de nature immatérielle.
1. Les nouveaux enjeux
Du côté des entreprises, les enjeux économiques sont forts. On
parle du rapport qualité/prix, on s’affronte en termes de compétitivité et de rigueurs budgétaires.
En médecine on décèle de nombreux points communs. Une
tendance lourde émerge autour de la question de sa légitimité.
Entreprises, tout comme médecine, doivent faire preuve de plus
en plus d’efficacité, de garanties et de sécurité. Les produits, les
services, les soins font l’objet de comparaisons menées à partir du
critère de qualité, voire sont soumis à des normes à respecter. Audelà du client même, intervient la notion de collectif, de société à
satisfaire. Il faut faire preuve des meilleures performances, tant au
niveau des marchés à gagner (ou à conserver) qu’au niveau de la
12
Qualité et compétence en médecine
typologie des services à proposer. La maîtrise de technologies de
plus en plus sophistiquées constitue un véritable enjeu de pouvoirs.
Enfin, tant au niveau des entreprises que de la médecine, il
faut être prospectif, anticiper, innover, créer, stimuler les développements.
2. Les objectifs
Vouloir introduire une démarche compétence traduit une
volonté de répondre à certains objectifs. Les principaux objectifs
souvent visés sont les suivants :
2.1. Pour l’entreprise
●
●
●
●
●
●
●
Garantir la qualité du produit et du service
Mieux gérer les Ressources Humaines par la reconnaissance de
la compétences des individus, ou des compétences stratégiques
critiques
Faciliter les mobilités professionnelles
Se donner les moyens du développement des compétences et de
leur actualisation
Evaluer et valider les compétences identifiées
Un acte professionnel qui ne serait réussi qu’une seule fois pourrait être considéré comme un accident. Les actes professionnels doivent être reproduits pour que l’on reconnaisse la compétence et
la valide.
Introduire de la transparence et de la lisibilité par rapport aux
exercices professionnels
Maî triser la masse salariale
L’intérêt est de payer la compétence mise en œuvre et non plus
la tâche prescrite.
13
Qualité et compétence en médecine
2.2. Pour la médecine, les objectifs sont similaires
●
●
●
●
●
●
●
Garantir la qualité des soins et prescriptions
Attester les compétences
Répondre aux évolutions des pratiques
Se donner les moyens de développement des compétences et de
leur actualisation
Evaluer et valider les compétences identifiées
Communiquer sur l’état des lieux des compétences
Maî triser les coû ts médicaux
II. La définition de la compétence
Nombreuses sont les définitions de la compétence. Parmi un
panel de propositions, nous pourrions citer :
● « des ensembles stabilisés de savoirs » ;
● « savoir mobiliser des connaissances et qualités pour faire face à
un problème » ;
● « surtout pas les diplômes ! » (Hervé Serieyx) ;
● « un ensemble de savoirs, savoir-faire, savoir-être » (Répertoire
Officiel des Métiers et Emplois, utilisé par l’ANPE) ;
● « un savoir-agir reconnu » (Le Boterf)
● « une disposition à agir » (Minvielle et Vacquin, sociologues d’entreprises)
Pour le MEDEF, « la compétence professionnelle est une
combinaison de connaissances, de savoir-faire, d’expériences et
comportements s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constate
lors de sa mise en œuvre en situation professionnelle, à partir de
laquelle elle est validable. C’est donc à l’entreprise de la repérer,
de la valider et de la faire évoluer ».
Le fait que ce soit uniquement et exclusivement à l’entreprise
de la valider a fait l’objet de vigoureuses polémiques. De même,
la définition de M. Le Boterf, qui fait allusion à sa reconnaissance,
pourrait prêter à discussion dans le sens où ce terme de « reconnu »
introduit la subjectivité de l’appréciation d’un tiers. La définition
14
Qualité et compétence en médecine
de Minvielle et Vacquin présente l’avantage d’être plus facilement
mise en pratique pour élaborer un référentiel identifiant les compétences en entreprise. Par ailleurs, elle peut s’articuler avec la mise
en place d’une mesure des performances et des contributions sans
y être confondue.
III. Le schéma d’organisation et de sollicitation
des compétences
C’est la combinaison des compétences ressources qui permet
l’exercice professionnel. Ces compétences sont de types théoriques,
opératoires, relationnels (argumenter, informer) et stratégiques.
⽧ Les compétences théoriques
Elles sont les ensembles de savoirs acquis en milieu de formation et d’information.
⽧ Les pratiques
Les pratiques professionnelles confirmées sont la façon dont on
décline en actions les informations apprises.
L’association des compétences théoriques et pratiques constituent les compétences ressources techniques.
⽧ Les compétences relationnelles
Cette nature de compétences posaient quelques problèmes à ce
jour pour accepter de les reconnaître en tant que paramètres à
prendre en compte dans le bon exercice professionnel. Considérées
souvent comme une ingérence dans la personnalité des salariés, ces
critères étaient souvent contestés par les syndicats. Sur ce point
encore apparaît un changement de conception, notamment on souligne l’impact fort de la façon dont on agit sur, réagit face à, ou
anticipe des dysfonctionnements ou des événements. L’ensemble
des acteurs acceptent à présent les conséquences de tel ou tel type
de comportement lors de l’exercice professionnel, pour autant que
15
Qualité et compétence en médecine
l’on sache circonscrire l’investigation dans l’unique champ professionnel. Par exemple, quels schémas de communication adopte-ton pour accueillir un client ? Comment s’engage-t-on collectivement dans l’équipe où l’on travaille ? Comment mutualise-t-on
l’information ? Comment s’implique-t-on par rapport au développement des compétences collectives ? Avec quelle aisance géronsnous un imprévu ?
⽧ Les compétences stratégiques
Comment chacun combine-t-il les compétences ressources pour
aboutir à une réalisation concrète des actes professionnels ? Cette
dernière compétence relève de la façon dont on organise, coordonne, conjugue les informations et les savoirs, les recherches d’informations, comment on transmet, comment on apporte des
solutions nouvelles, comment on réagit, anticipe, et crée.
L’identification de ces principales compétences permet de
construire un référentiel de compétences selon un classement typologique TRS (technique, relationnel, stratégique).
# Technique
Il regroupe la connaissance des produits, des services, des techniques, de la réglementation applicable, des outils, des procédures,
de l’environnement, du risque professionnel, des règles de garanties
et de contrôles.
# Relationnel
Il regroupe les domaines de rédaction, communication, argumentation, négociation, animation, management.
# Stratégique
Les domaines stratégiques relèvent de la gestion, organisation,
adaptation, saisies d’opportunités, transformation.
Ce classement typologique peut permettre de soutenir des
réflexions et de faciliter des travaux de groupes constitués pour
décrire des métiers centrés sur des compétences, lorsqu’une
démarche compétence est entreprise dans une organisation.
16
Qualité et compétence en médecine
Discussion
Pr Bernard GLORION
Il est séduisant de voir que la médecine et l’entreprise ont beaucoup de points communs. La compétence semble être la solution
à notre besoin. D’ailleurs, une solution très intéressante que vous
avez suggérée est celle de la disparition du diplôme. On pourrait
suggérer la professionnalisation de la médecine, c’est-à-dire que ce
ne soit plus l’université qui délivre le diplôme mais la profession
elle-même, à travers les certificats d’aptitude.
Dr Yves GERVAIS
Madame Jolis s’est prononcée à l’encontre de la définition de
la compétence comme un « savoir-agir reconnu ». J’ai cru
comprendre, à la lecture de M. Le Boterf, qu’il s’agit, plutôt que
d’un « savoir agir reconnu », d’un « savoir agir validé », ce qui est
un peu différent ; cette validation peut provenir d’une instance,
mais aussi du consensus d’un groupe professionnel.
Pr Michel DETILLEUX
Madame Jolis a abondamment parlé de l’expérience des entreprises. Le monde médical a la caractéristique de ne comprendre
que des micro-entreprises, les cabinets d’un médecin, ou bien des
établissements hospitaliers, qui sont des entreprises très singulières.
Le découpage, le cloisonnement qui les définit font de l’hôpital un
établissement qui n’a rien de comparable avec des entreprises à
caractère commercial qui auraient pourtant les mêmes effectifs.
Disposez-vous d’une expérience sur la validité de la transposition
des concepts que vous nous exposez à ces situations très particulières ?
17
Qualité et compétence en médecine
Nadine JOLIS
Effectivement, ce que je présente est totalement transposable.
Si nous considérons la gestion de la micro-entreprise, on peut
rechercher toutes les compétences-clés qui sont nécessaires pour la
gérer en termes techniques, relationnels et stratégiques. En Europe,
il existe deux grands modèles de gestion des compétences : le
modèle par business et le modèle par métier. Je vous ai exposé le
deuxième de ce modèle. Mais dans le premier modèle, on identifie
directement les domaines de compétences, puis on y articule l’énumération des compétences. Quel que soit le modèle adopté, on
peut s’exprimer en TRS.
Dr Etienne DUSEHU
Le fait est que les médecins fonctionnent comme des entreprises individuelles. Mais si l’on raisonne du point de vue du
patient qui cherche à être guéri, chacun d’entre eux est un élément
de la chaîne de sa prise en charge. L’objectif est bien de mettre
toutes les ressources du système de santé au service du résultat,
c’est-à-dire la guérison ou l’amélioration de la santé du patient. La
raison d’être de chacun des médecins, ou des unités de soins, ne
peut se concevoir désormais qu’à l’aune de ce résultat final.
18
Qualité et compétence en médecine
Restitution des ateliers
Dr Pierre HAEHNEL
Le premier atelier était intitulé « qualité des soins et compétences des médecins ». En voici la restitution.
Dr Franç ois Xavier LEANDRI
Les deux grands chapitres mis en évidence lors de l’atelier
numéro 1 sont les suivants.
Une définition des concepts de qualité et de compétence
La compétence correspond à une nouvelle formulation de
l’obligation de moyens exigée par les patients. On peut se poser la
question de la place de la connaissance dans la compétence, avec les
savoir-faire et les comportements. Les connaissances apparaissent
nécessaires mais non suffisantes. Les évaluations devront s’adapter
à ces différents types de compétence, la difficulté étant que la
compétence est multifactorielle. Du fait de la complexité de la
notion de compétence, nos collègues du Canada nous ont fait part
de leur choix que les évaluations soient avant tout fondées sur des
problèmes d’exercice et de pratique.
Les finalités
La demande très forte des patients et de la société est le moteur
principal de la mise en place du système de compétence. Les médecins se focalisent souvent sur des risques ou sur l’impossibilité de
l’évaluation. Nous pensons qu’ils usent de faux arguments. Les
obstacles seront réels, du fait de la pluri-activité de l’exercice médical. En conclusion, le code de déontologie donne tous les fondements théoriques des principes d’évaluation et de la compétence
des médecins. Sa compréhension reste encore limitée pour certains,
et certains redoutent une évaluation. L’un des objectifs de l’Ordre
19
Qualité et compétence en médecine
est d’expliciter toutes ces notions. Elles offriront des garanties aux
patients. Bien faites, avec une information appropriée, elles peuvent
constituer la confiance entre les médecins et leurs patients.
Les quatre grandes questions abordées ont été la qualité des
soins pour les patients, la nécessité de susciter une auto-évaluation,
les obstacles à franchir, et l’éducation des patients comme de nos
confrères à une lecture moderne du code de déontologie.
Dr Pierre HAEHNEL
Effectivement, il est important de noter que la résistance viendra des médecins qui ne verront pas toujours la nécessité d’une
évaluation. L’Ordre des médecins n’a pas pour mission d’évaluer.
L’Ordre des médecins ne souhaite qu’attester des actes d’évaluation
des médecins, effectués par d’autres organismes. La communication
devrait être parfaitement effectuée à la fois en direction des médecins et du public pour que la notion d’évaluation soit assimilée et
qu’elle rentre dans les mœurs. C’est une question de changement
de mentalité. Comme tout changement de mentalité, il est très
long à se mettre en place.
Dr Louis-Jean CALLOC’H
A présent, voici la restitution que l’on peut faire de l’atelier
numéro 2 : « Modalités d’acquisition et d’entretien des compétences ». L’objectif était de dresser un plan de la carrière professionnelle du médecin. Ce plan se déroule en trois temps : l’acquisition
de la connaissance, la confrontation et l’identification de besoins
de compétences autour de la validation, et la mise en action du
diagnostic.
Le premier temps, celui du bilan de l’acquisition, avait comme
problématique la question de savoir comment un médecin accède
à la compétence professionnelle, après avoir reçu le diplôme. Pour
l’essentiel, nous avons retenu que le bilan de l’acquisition initiale
passait par un retour vers la mise en situation, une confrontation à
la réalité du terrain, la résorption des effets d’une pratique médicale
20
Qualité et compétence en médecine
solitaire et la réflexion pour pallier les défauts de communication
des médecins vers les patients ou vers leur environnement.
Le temps de la confrontation nous a amené à la question suivante : comment le médecin est-il validé par le terrain et par son
environnement professionnel ? En réalité, la réussite professionnelle
n’est pas forcément synonyme d’une compétence. Mais la compétence passe par la reconnaissance constante et maintenue de la
confiance du patient et, le cas échéant, de l’employeur. La reconnaissance doit passer par les pairs. Enfin, dans cette reconnaissance,
il convient de bien distinguer la validation des actes intellectuels
de celle des actes techniques.
Enfin, nous nous sommes demandé comment l’expérience du
médecin était accompagnée au cours de sa carrière. L’exercice sera
de plus en plus en équipe, occasionnant un échange constant et
permanent des compétences au sein des cabinets, mais aussi entre
anciens et jeunes médecins en stages de parachèvement de leurs
compétences. Ce maillage nouveau correspondrait à un retour au
troisième cycle pour tous. Enfin, nous avons insisté sur le fait que
le bilan de compétences doive être très personnalisé.
Dr Daniel GRUNWALD
D’emblée, on retient que le temps de formation en contact
avec le terrain rejoint des préoccupations universitaires. Certaines
propositions actuelles évoquent le fait que les jeunes médecins puissent être accompagnés dans un exercice réel et responsable. En
outre, on pourrait ajouter que la confiance des pouvoirs publics
dans nos médecins est une dimension importante de la confiance.
Enfin, l’accompagnement, ou le compagnonnage, est une idée tout
à fait essentielle dans l’acquisition de la compétence.
Dr Etienne DUSEHU
Au sein de l’atelier 3 : « évaluation de la qualité de l’exercice
professionnel et des compétences », cinq questions ont été posées :
par rapport à quoi évaluer ? Faut-il évaluer ? Qui peut évaluer ?
21
Qualité et compétence en médecine
Comment évaluer ? Quelle reconnaissance donner à la compétence ?
Il a d’abord, été question de la double nature de l’étalonnage,
qui correspond à un tronc commun de pratiques et à un classement
hiérarchique par degré d’urgence des problèmes à traiter. Nous
nous sommes accordés pour dire que l’efficacité du système médical
dépendait avant tout de la gestion des interfaces entre chacun des
maillons du système.
Ensuite, il est important de distinguer compétence et performance. Performer, c’est faire. La performance est une manière de
faire, la compétence est une capacité à atteindre un résultat. Fautil évaluer ? Oui. Mais non pour sanctionner. Ce qui compte est
l’amélioration continue de la qualité du service rendu au patient.
Qui évalue ? Les patients, d’abord, évaluent. Mais ils ne sont
pas les seuls. La qualité technique est du ressort de l’application
par les professionnels.
Comment évaluer ? Deux perspectives différentes peuvent être
posées. Soit on cherche à repérer les déviants, soit on cherche à
améliorer la qualité de la pratique collective. Ce dernier est le processus le plus intéressant à mettre en œuvre. En effet, en le mettant
en pratique, on repère secondairement les déviants. Si l’on se limite
au premier objectif, les déviants « intelligents » feront tout pour
éviter de faire fonctionner le système.
Enfin, quelle reconnaissance donner à la compétence ? Tous les
modèles que nous avons connus jusqu’à présent étaient sanctionnant. Pourtant, les modèles fondés sur la récompense semblent
plus efficaces. L’auto-évaluation, à savoir un renvoi d’information
sur la pratique personnelle de chaque médecin, est déjà une récompense en soi. Elle permet à chacun de se comparer puis de déterminer quelles sont les carences personnelles à compenser. Pour aller
au-delà, on peut trouver d’autres moyens d’évaluation. Les médecins craignent le « fliquage » et le fait que l’évaluation ne soit pas
effectuée par des professionnels du métier. Enfin, le temps consacré
à la formation ne doit pas compromettre l’entreprise et la situation
financière du médecin.
22
Qualité et compétence en médecine
Dr Pierre HAEHNEL
Nous pouvons laisser la parole à nos invités.
Bernard JAUBERT
Ce qui me frappe est le fait que, dans la profession médicale,
le tabou de l’argent ne soit toujours pas évacué. Pourquoi ne pas
parler de récompense financière à la compétence ? Pourquoi ne pas
aussi considérer la réussite financière comme une réussite professionnelle ? Dans le monde de l’entreprise, la perspective financière
est tout à fait explicite. Ici, le sujet de l’argent est présent, mais il
n’est pas explicite.
De la même manière, la question des bonnes manières me
paraît sous-jacente. On renvoie la question du savoir-être à une
dérive et une perturbation de séducteurs, attirant plus des clients
que des patients. Qu’est-ce qu’une bonne manière ? Pour moi, c’est
une façon d’associer le patient à sa guérison. Ces deux questions
sont compliquées.
Dr Etienne DUSEHU
Je voudrais repréciser mon propos. La question que je soulevais
était de savoir comment récompenser la reconnaissance de la
compétence autrement que par l’argent.
Dr Michel LEGMANN
Jusqu’à présent, la politique de compétence était celle d’une
politique de sanction financière négative. Si l’on reprend aujourd’hui la question à la fois sous l’angle de l’éthique et sous celui de
faire adhérer les médecins à une politique de formation, il est certain qu’un système de récompense devra être mis en place, et ce,
sous forme de lettre clé promotionnelle. Cela n’est que par ce
biais et par un biais de promotion positive que l’on peut recueillir
l’adhésion des médecins.
23
Qualité et compétence en médecine
Dr Jackie AHR
La notion de patient malheureusement est aujourd’hui révolue.
Elle a été remplacée par celle de consommateur. Il est important
de le prendre en compte.
Dr Pierre HAEHNEL
Les opinions ne me semblent pas aussi tranchées à ce sujet.
Certaines associations se comportent de manière consumériste.
Mais ce n’est pas l’opinion générale.
Dr Yves GERVAIS
J’ai entendu dire lors de la réunion qu’il était impossible de
définir la compétence. En effet, le concept de compétence au sens
le plus général du terme est extrêmement flou. Mais les travailleurs
en ressources humaines nous ont bien montré que l’on pouvait
parler de différentes compétences précises, et que, dans cette perspective, il était possible de les définir et de mobiliser des ressources
pour les obtenir. Donc, je crois qu’on ne peut en rester à ce
constat d’impuissance.
Ensuite, nous n’avons pas posé la question de ce que nous
voulions évaluer au juste. Au fond, quels sont ingrédients qui font
qu’une prestation est de qualité ? La réponse à cette question va
de l’organisation du cabinet médical, à sa facilité d’accès, la tenue
du fichier, l’hygiène du cabinet, la maîtrise des procédures stratégiques, la relation avec le patient, etc. On peut décliner un certain
nombre d’éléments constitutifs de la chaîne de la qualité. Je ne
pense pas qu’il faille rester dans une considération vague. Il faut
rentrer dans le détail. Il faut donc trouver des solutions à partir
desquelles on peut construire des indicateurs et des éléments de
référence.
Dr Vladimir GUIHENEUF
Nous n’avons pas abordé la question du coût de la démarche
compétence. Je crains que ce système ne revienne plus cher que
les économies qui en ressortiront. C’est une question à éclaircir.
24
Qualité et compétence en médecine
Dr Daniel GRUNWALD
Je voulais répondre à M. Gervais. Il ne me semble pas que nous
en soyons rester au constat que la compétence était difficile à définir. Nous avons dit que de multiples facteurs se combinant pouvaient correspondre au métier de médecin et définir la compétence.
Nous avons retenu que chacun de ces facteurs serait à évaluer de
façon différente. En fait il faut partir des problèmes pratiques qui
se posent pour analyser la compétence. Pour en venir à la question
des coûts, il est vrai que l’évaluation a un coût. Manifestement,
nous devons cibler ce que nous désirons apprécier et optimiser le
système. La question des finances est très importante. Beaucoup
de pays ont abouti à des systèmes de sanctions, presque toujours
financières.
Dr Pierre HAEHNEL
Je m’adresse à nos amis canadiens pour leur demander combien
coûte, chez eux, l’évaluation, et ce qu’ils donnent aux médecins
qu’ils souhaitent gratifier.
Dr Joëlle LESCOP
Les activités de l’Ordre coûtent 12 millions de dollars canadiens, et le tiers de cette somme est dévolue aux programmes d’évaluation.
Dr Pierre HAEHNEL
On peut mettre ce chiffre en rapport avec les 4 millions de
francs suisses dépensés par les Suisses pour l’évaluation sur leur territoire.
Dr Joëlle LESCOP
Pour ce qui concerne la gratification, les médecins compétents
reçoivent une lettre de félicitation. Ceux qui reçoivent un profil
de leur pratique la considère comme une gratification en ellemême. Le phénomène intéressant est que les médecins canadiens
qui ont connu ce type d’évaluation redemandent leur profil.
25
Qualité et compétence en médecine
Nadine JOLIS
J’ai ressenti une certaine crainte, dès lors que l’on parle d’identifier et d’évaluer. Je crois que c’est la première barrière à franchir.
L’enjeu en est en effet la légitimité de la profession.
Dr André CHASSORT
Je tirerai un parallèle entre la médecine et l’informatique. On
peut considérer que les médecins sont des gestionnaires de données
médicales. Devant cette information, il existe des prédateurs :
l’Etat, les patients, les assureurs. Si nous ne prenons pas en main
la gestion de notre compétence, d’autres personnes risquent de le
faire.
Bernard JAUBERT
Il existe un paradoxe à l’évaluation. On estime en effet que le
premier évaluateur pertinent est le regard des pairs. Mais en même
temps, une évaluation honnête suppose que l’on sorte de son pré
carré et que l’on accepte le regard des autres. Les autres en question
peuvent être les patients, les pouvoirs publics, les médias. Sinon,
on risque de sombrer dans le travers des intellectuels qui lisent les
mêmes livres et décident entre eux qu’ils sont des personnes cultivées.
Dr Pierre HAEHNEL
Tout à fait.
Pierre Louis DESPREZ
Je reviendrai sur quelques éléments qui ont été évoqués. Il me
semble d’abord que tant la sanction que la récompense sont l’apanage d’un système infantilisant, avec le positionnement du Conseil
national comme distributeur. Le monde libéral nous a habitués au
paradoxe que le monde de l’argent distribue de la gratuité, notamment avec Internet. Je pense qu’il faut réfléchir à d’autres types de
26
Qualité et compétence en médecine
récompenses que l’argent. L’argent doit être considéré comme la
conséquence directe de la compétence.
La deuxième remarque concerne le fait que quelqu’un a suggéré, lors de l’atelier 1, de supprimer la page de réflexion sur les
obstacles. Au contraire, il me semble que le Conseil national rentre
dans une stratégie, et que prendre en compte les obstacles existants
est nécessaire afin de développer des scénarios. Identifier et
connaître les obstacles permet d’anticiper des ripostes possibles. La
difficulté vient du fait que le Conseil national des Médecins
navigue dans un univers politique, et qu’on lui demande de faire
de la stratégie pour la première fois. Il y a un apprentissage à faire
dans ce domaine.
Troisièmement, quelqu’un a dit que si l’Ordre ne s’engageait
pas dans le débat, d’autres le feraient. Je dirais que la place est
presque déjà prise. Certains grands malades s’expriment par exemple sur Internet. Il me semble que l’Ordre des médecins doive
fédérer sa communauté scientifique. A travers ces débats, l’enjeu
est de revenir à une identité de fédération, lié à votre statut de
corps intermédiaire.
Dr Pierre HAEHNEL
L’évaluation est un sujet important pour notre institution. Elle
pose un certain nombre de questions, d’autant plus que nous
sommes entrés dans un nouveau système par rapport aux années
1970. Un syndicat médical nous avait demandé, il y a quelques
mois, de redéfinir la place du médecin dans la société française. Il
est temps de répondre à cette demande. Le MEDEF a inauguré il
y a quelques mois une refondation sociale qui a pris les syndicats
au dépourvu, en remettant en cause la gestion paritariste des
risques. Nous sommes dans la même démarche stratégique au sein
du Conseil, parce que nous représentons l’ensemble des médecins.
Nous avons donc la mission de réfléchir à la stratégie de remise
en question de la place du médecin dans la société actuelle. Cette
question sera l’enjeu du congrès de demain. Je vous remercie tous
de votre présence aujourd’hui.
27
Qualité et compétence en médecine
Colloque du vendredi 23 juin 2000
Qualité et compétences des médecins :
une nouvelle approche dans l’intérêt des patients
Pr Bernard GLORION
Mesdames et Messieurs, nous ne sommes pas très loin de
l’époque où les médecins étaient jugés par leurs patients selon des
critères personnels, intimes et subjectifs. La confiance absolue que
pouvaient avoir les patients envers leurs médecins reste une condition de la réussite de la médecine. Mais ces jugements subjectifs
se référaient plus à un comportement qu’à une réelle compétence
médicale. Depuis longtemps, les titres affichés sur les plaques et
ordonnances conféraient aux médecins une compétence reconnue
par la société, les plaçaient dans une catégorie à part et leurs donnaient une notoriété particulière. Ces marques étaient acquises une
fois pour toutes et consacraient les médecins à vie. Pourtant, les
grandes entreprises avaient déjà depuis longtemps introduit la
notion de compétence reconnue et contrôlée périodiquement, dans
le but d’assurer à leur production une qualité sans cesse renouvelée.
Considérant la médecine comme une profession à part, et l’homme
comme une matière unique échappant à tout modèle, les médecins
cherchaient à mieux connaître leurs résultats à partir de l’analyse
de leurs activités, les prévisions de dossiers, certains travaux scientifiques, mais en fait mesuraient encore leur propre compétence par
la taille de leur clientèle.
Il est difficile de dater le début de l’ère de l’évaluation et de la
compétence. Mais il est certain que les relations avec les organismes
de sécurité sociale et les assureurs ont marqué une étape dans
l’émergence des concepts de compétence et de qualité. Au risque
de soulever des contestations, il faut admettre qu’un raisonnement
inhabituel est apparu, qui fait référence à la consommation, à l’usa-
29
Qualité et compétence en médecine
ger et à un organisme payeur qui devient acheteur de soins de
qualité. Cette présentation provocante n’exclut pas la démarche de
la compétence dont le contenu éthique est indiscutable. Toute
action visant à promouvoir la qualité et à accroître les compétences
est au service du malade. La recherche du bien, du bon, de l’utile,
du juste, de la bienfaisance dans la solidarité est une démarche
éminemment éthique. Cet objectif recueille l’approbation de tous
les médecins et il semble inutile de se référer à des arguments
économiques. La seconde approche constitue une précaution juridique essentielle. Avec le progrès scientifique et technique, la prévention des risques devient de plus en plus difficile et la pression du
juge de plus en plus menaçante. La compétence est une condition
nécessaire pour prévenir les risques. La crainte du juge pourrait
aboutir à l’abstention, ce qui serait catastrophique, ou au contraire,
devenir l’aiguillon qui encourage la recherche de la compétence.
Les gestionnaires du risque sont, après le patient, demandeurs
de compétence. La relation entre un acte médical et la réalisation
d’un risque est en grande partie reliée à la compétence du médecin.
Bien pénétré de ce principe fondamental, il appartiendra à Monsieur Le Boterf de nous dire que la compétence obéit à des règles
rigoureuses, qui s’appliquent aussi à la médecine. L’éternel débat
de la médecine comme art ou science ne doit pas être un prétexte
pour ne pas soumettre nos actes techniques à une rigueur absolue.
Cette exigence, qui consacre le professionnalisme, n’élimine en rien
le facteur personnel que l’on doit reconnaître à la relation entre le
malade et le médecin. Convaincu de l’association entre la compétence et l’exercice professionnel, il appartiendra à nos collègues et
amis des pays voisins de nous persuader que, si les chemins qui
mènent à la compétence sont variés, le but en reste le même :
assurer aux malades des soins éclairés, dévoués, consciencieux et
conformes aux données acquises de la science. C’est autour de cette
exigence universelle que nous clôturerons cette présentation de la
compétence des médecins. Nous apprendrons comment nos collègues envisagent l’acquisition, l’entretien et l’évaluation de cette
compétence. Mais le plus dur restera encore à faire : convaincre les
médecins que nous sommes tous concernés par la compétence.
30
Qualité et compétence en médecine
La culture de la compétence s’inscrit en lettres d’or dans les
exigences déontologiques, et l’Ordre des médecins devra s’en porter
garant devant la société. Cette démarche ne doit pas rester un vœu
pieux. Elle doit se concrétiser comme réalité tangible et mesurable.
Notre autorité morale nous contraindra alors à accompagner ceux
qui ont fait la preuve de difficultés dans leur compétence, pour les
aider à retrouver une aptitude à exercer, selon des références qui
seront constamment actualisées et garanties. Les médecins ne doivent pas se contenter de la gloire et d’une réputation assise auprès
de leurs patients. Il ne faut pas qu’ils excluent une évaluation plus
précise de leurs pratiques et une recherche inlassable de la compétence.
31
Qualité et compétence en médecine
Introduction aux débats
Philippe LEFAIT
Journaliste, modérateur des débats
En tant que journaliste et observateur, je voudrais faire plusieurs remarques que m’ont inspirés les débats de préparation à
ce colloque auxquels j’ai pu assister. Elles concernent trois points
particuliers : la société, la compétence et le regard de l’autre.
Depuis les années 70 ou 80, les sociologues sont assez unanimes
pour dire que les détenteurs de statut ont un impératif de communication. Parmi ces détenteurs de statut, on compte le père de
famille, le chef d’entreprise, ou encore le médecin par rapport à
son patient. Nous vivons dans une société de plus en plus exigeante
en termes de communication et de transparence. Tous ceux qui
ont un statut particulier sont donc tenus de communiquer, et audelà, de témoigner de la compétence. C’est l’objet de ma deuxième
remarque concerne la compétence. En tant que journaliste, je dirai
que la compétence est un terme extrêmement ambigu. On dit souvent : « quel incompétent ! », mais beaucoup plus rarement, « quel
compétent ! » On peut donc imaginer que l’idée de la compétence
est difficile à valider dans notre culture. Simplement, sachez que
le mot « compétent » apparaît au XIIIe siècle, qu’il est d’origine
latine, et qu’il signifie à l’origine : « qui tend vers un même but ».
A partir de 1680, le terme prend sa dimension actuelle. L’idée de
la compétence devient celle de la capacité par ses connaissances et
par son expérience. En conclusion des débats de préparation à ce
colloque, j’ai retenu l’idée que la compétence était un savoir-faire
en situation, avec le meilleur outil possible et dans l’intérêt
commun. Ma troisième remarque concerne le regard de l’autre.
Accepter le regard de l’autre, que celui-ci provienne d’un gouvernement, d’une société ou d’un patient, correspond fondamentalement
à la remise en cause d’un pouvoir, mais aussi au passage d’un statut
de toute-puissance à un statut de réelle autorité, dans une société
considérée comme responsable. Mais en même temps, accepter ce
32
Qualité et compétence en médecine
regard suppose de l’organiser. Cela suppose également de privilégier
des critères scientifiques et humains plus tôt que des critères économiques ou comptables. En effet, j’ai entendu pendant la préparation de cette table ronde la remarque que nous étions dans un
contexte pollué par des logiques budgétaires ou comptables, par
rapport à l’évaluation de la compétence. Accepter le regard de
l’autre, c’est enfin éviter de laisser les autres faire, que ce soit l’Etat,
la presse, ou bien l’un des organismes qui gère les deniers de la
santé publique. C’est surtout à cela que ce colloque nous conduira
à réfléchir.
Vous verrez à travers les exemples des pays étrangers que, finalement, l’évaluation en médecine est chose facile. Mais il est vrai
que c’est la culture anglo-saxonne qui a largement permis cet état
d’esprit. En France, il me semble que nous avons quelques dizaines
d’années de retard par rapport à cette capacité à accepter que quelqu’un regarde vos compétences. Les questions de savoir qui juge,
comment et pourquoi sont également essentielles. J’en ai terminé
pour ces propos liminaires. Je voulais simplement dire qu’il ne
fallait pas que le dernier classement réalisé par l’OMS, qui place
la France parmi les meilleurs pays du monde en termes de système
de santé, ne lui donne une rente de situation. Enfin, je finirai par
cette anecdote. En contactant nos invités canadiens, je me suis
aperçu que le Collège des Médecins canadiens avait mis en place un
standard électronique d’accueil, offrant aux patients la possibilité
naturelle, de se plaindre, d’affirmer son regard sur la compétence
du médecin. C’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui de s’entretenir,
de cette façon d’améliorer la qualité pour tirer vers le haut le système de soins en France globalement.
33
Qualité et compétence en médecine
Qualité des soins - Compétences des médecins.
Les enjeux
Dr Daniel GRUNWALD
Représentant du Comité scientifique,
Secrétaire général adjoint du Conseil National
de l’Ordre des Médecins
Durant une rencontre préparatoire à ce colloque, les membres
du Conseil National de l’Ordre des médecins ont appréhendé les
notions de qualité des soins, et de compétence des médecins, et ce
qu’impliquaient dans la réalité ces concepts.
A l’évidence en effet, la complexité de l’exercice médical actuel,
plus encore le besoin de sécurité et de garanties exprimées par les
patients, de même que l’impact économique des coûts de la santé
créent un besoin de confirmation, de contrôle, de la qualité des
prises en charge et de la compétence des médecins au travers d’évaluations appropriés.
Nos réflexions peuvent se résumer en cinq points :
Messages autant qu’interrogations que nous vous soumettons
au début de ce colloque.
Qu’est-ce que la compétence ?
En premier lieu de quoi parle-t-on quant-on évoque la compétence des médecins ? Nous avons retenu (fig. 1) que la compétence
pouvait être définie par la conjonction de trois données utilisées
de façon successive et simultanée :
Les connaissances (indispensables), le savoir-faire dans la pratique, les aptitudes relationnelles et organisationnelles. Leurs
combinaisons, en situation, définissent la compétence.
Cette approche est novatrice, constituant une rupture par rapport aux conceptions anciennes, amenant à s’interroger sur le mode
de formation, et de validation des études, l’évaluation, en
matière médicale.
34
Qualité et compétence en médecine
En raisonnant ainsi on ne réduit plus la compétence aux seules
connaissances (stade du diplôme). Tout devient affaire de situation
pratique : le médecin compétent résout des problèmes concrets en
combinant ces trois volets en fonction des situations rencontrées.
Est intégré le fait que les moyens évoluent : Ce qui était autrefois
pratique indispensable peut devenir banale et moins utile ; exemple
anecdotique du stéthoscope, mais ce raisonnement concerne aussi
de nombreuses techniques d’examens complémentaires diagnostics
voir de thérapeutique.
Conséquence de ces approches : la gestion des compétences se
construit en permanence, c’est une dynamique évolutive (fig. 2) et
non la reproduction de dogmes figés. L’on peut être compétent
dans certaines situations et pas dans d’autres : invitation à se
remettre perpétuellement en question, réfutant également toute
simplification binaire entre compétence et incompétence. Ces
notions caractérisent enfin le métier de médecin, reposant sur les
capacités personnelles des praticiens s’intégrant également dans
l’approche d’une compétence collective au sein d’un système de
distribution des soins au bénéfice des patients.
Qui a intérêt à la confirmation des compétences des médecins ?
En premier lieu le patient bien sûr, consultant, client, voir
consommateur de soins exigeant de plus en plus des garanties pour
accorder sa confiance à son médecin.
Le médecin aussi a comme objectif de créer en permanence un
climat de confiance avec son patient, facteur déterminant de la
qualité finale des soins qu’il dispense. Les démarches d’évaluation
vont ainsi permettre de valoriser l’activité des praticiens. Elles pourront conduire si utile à un accompagnement du médecin par la
collectivité professionnelle pour adapter ou modifier des écarts
relevés, estimés non souhaitables ; l’éventualité de sanction n’étant
pas à envisager qu’après échec de ces démarches ou en cas de
conduites dangereuses pour les patients.
Les autres acteurs de la santé sont également concernés : le
législateur définissant les modalités de l’offre de soins ; ainsi que
les différents organismes participant à leur financement.
35
Qualité et compétence en médecine
Quels sont les objectifs d’un système visant au maintien
et au développement continu des compétences ?
Un premier niveau est celui de la mobilisation individuelle des
praticiens : Auto-évaluation, permettant une auto-adaptation des
pratiques, étape nécessaire, bien que non suffisante.
Un deuxième niveau vise une qualité des pratiques fondée et
reconnues, par une véritable démarche qualité pouvant être concrétisé selon différentes formes possibles (fig. 3). L’Ordre des Médecins pourrait en être le garant, et non pas seulement le bras séculier
en cas de faute caractérisée.
La gestion des compétences : un enjeu déontologique
La gestion des compétences des médecins, tel que nous l’envisageons, est en fait une invitation à revenir aux sources : Le code de
déontologie médicale est la matrice du système. Il suffit d’en faire
une lecture en fonction des besoins de notre société et des patients,
pour voir qu’il contient tous les éléments inclus dans les démarches
d’évaluation de qualité et de compétence en médecine.
Les difficultés
Il y aura des difficultés, voir des obstacles à de telles démarches
(fig. 4). Ce n’est pas une raison pour ne pas les entreprendre,
mais cela impose de définir une stratégie tenant compte des écueils
possibles, s’appuyant sur l’ensemble du corps médical et sur tous
les organismes partageant sans aucune ambiguïté la même volonté
de recherche de la qualité des soins au bénéfice des patients.
L’Ordre des Médecins garant du respect de la déontologie par tous
les praticiens est donc au premier chef concerné par les objectifs
ainsi poursuivis et les garanties déontologiques de leurs procédures.
36
• CAPACITÉS RELATIONNELLES
ORGANISATIONNELLES
• SAVOIR-FAIRE
• CONNAISSANCES
OBJECTIF :
QUALITÉ DES PRISES
EN CHARGE
MÉTIER DE MÉDECIN
COMPÉTENCE
=
COMBINAISON
PERTINENTE
EN SITUATION
QU’EST-CE QUE
LA COMPÉTENCE ?
Qualité et compétence en médecine
37
38
COMPÉTENCE
E
VIS
POSITIONNE
QUALITÉ
ÉVALUATION
PE
RM
ET
UNE PRATIQUE ÉVOLUTIVE
LA GESTION DYNAMIQUE
DES COMPÉTENCES
Qualité et compétence en médecine
• ATTESTATION
• LABELLISATION
• QUALIFICATION
• (RE)-CERTIFICATION
+ ACCRÉDITATION DES STRUCTURES
(= AGRÉMENT)
2e FINALITÉ : QUALITÉ RECONNUE DES PRATIQUES
AUTO-ADAPTATION
ÉTAPE NÉCESSAIRE NON SUFFISANTE
1re FINALITÉ : AUTO-ÉVALUATION
FINALITÉS
DE LA DÉMARCHE
Qualité et compétence en médecine
39
40
• MANQUE « D’UN ÉTAT D’ESPRIT »
DE LA QUALITÉ
• COLLECTE DE DONNÉES :
RÔLE DU DOSSIER MÉDICAL
• COMPÉTENCE DES ÉVALUATEURS
• MULTIPLICITÉ PRÉVISIBLE
DES STRUCTURES D’ÉVALUATION
• COMPLEXITÉ - COÛTS
OBSTACLES
Qualité et compétence en médecine
Qualité et compétence en médecine
Conférences
Gestion des risques en santé
et enjeux de la compétence
François EWALD
Professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers
I. La notion de risque appliquée à la médecine
1. Tout risque est relatif
Une réflexion autour des risques et de la compétence invite
d’abord à souligner qu’il n’existe pas de risque en soi. Il n’existe
de risque que par rapport à certains projets, par rapport à une
volonté, ou par rapport à ce que l’on appelle en théorie du risque,
une espérance. Il peut y avoir un risque pour le médecin, en fonction de son projet, un risque pour le malade, en fonction de ce
qu’il attend, un risque pour le système de santé, en fonction de
ses objectifs. Mais il n’existe pas de risque purement objectif.
2. Les quatre objectivations du risque
En matière de santé, on peut distinguer quatre types de risques.
Le premier est le risque de tomber malade. Ce risque relève de
la santé publique, qui gère les chances ou malchances pour une
population déterminée d’être affectée par une maladie.
Un deuxième risque a pris dans notre société une importance
considérable. Il consiste à ne pas être soigné ou à être bien soigné
quand on est malade. Il s’agit du risque de l’accès aux soins. Ce
risque est couvert dans nos pays par un système d’assurance maladie obligatoire et, en principe, universel. En France, nous pensons
que toute personne doit avoir un accès aux soins. Deux exigences
41
Qualité et compétence en médecine
supplémentaires existent, qui définissent certaines dimensions du
risque : l’accès aux soins doit être égal et d’égale qualité.
Le troisième risque lié à la santé consiste dans la perte du
revenu lorsque l’on est malade. Cette dimension sociale du risque
a été prépondérante jusqu’en 1958. Ce n’est qu’en 1958 que la
part du remboursement des soins prend le pas sur l’indemnité journalière dans les comptes de la Sécurité sociale.
Le quatrième risque est que le patient soit plus malade du fait
d’avoir été soigné. Il s’agit du risque iatrogène ou des accidents
médicaux.
Un cinquième risque peut être ajouté à cette énumération. Il
s’agit du risque, pour le médecin, d’être mis en cause sur le plan
judiciaire pour avoir prodigué des soins.
Parmi ces différentes dimensions du risque, il existe des corrélations et des distinctions. La dimension de l’accès aux soins est en
corrélation avec la dimension du risque iatrogène. En effet, plus
on offre de soins, plus on augmente statistiquement le risque d’accidents. Mais on sait aussi que la qualité des indicateurs de santé
ne varie pas nécessairement avec les indicateurs concernant les
soins. Le fait que l’OMS ait décerné à la France le premier prix
en matière de qualité des soins ne signifie pas que la population
française ait la meilleure santé. Ces réflexions font apparaître que
la notion de risque était tout à fait relative en matière de santé.
Le rôle du médecin est de délivrer des soins. Il ne délivre pas
nécessairement la santé, quoique beaucoup de médecins aient cette
ambition. C’est d’ailleurs ce que rappelait l’arrêt Mercier. Les
médecins n’ont pas à fournir la santé, mais des soins, dans un
certain état de la science. On sait aussi que la santé n’est pas nécessairement liée à la maladie. Selon la définition de l’OMS, la santé
est un état de bien-être, et non un état lié à l’absence de maladie.
3. La mesure du risque
La notion de risque ne renvoie pas spécialement à la notion de
dommage. Elle renvoie avant tout à une notion d’espérance, et
dans la médecine, d’espérance de guérison. Le malade accepte un
42
Qualité et compétence en médecine
traitement parce qu’il veut être guéri. La notion propre du risque
est donc toujours liée à une espérance, mais à une espérance qui
a un prix. Pour obtenir quelque chose, il faut mettre en jeu autre
chose. La décision joue au moment de savoir où l’on met la balance
entre ce que l’on espère et ce que l’on veut mettre en jeu. Le
risque, en lui-même, n’est jamais là. Il est toujours imaginé, virtuel,
envisagé. Seulement, ce qui caractérise le risque est qu’on lui donne
une valeur, qui confère au risque une dimension actuelle.
Il existe bien des manières de mesurer le risque. La première
en est la mesure psychologique, par le sentiment. Chacun a son
évaluation des risques. Les économistes expriment le caractère personnel de l’évaluation des risques par la notion d’aversion au
risque. Chacun a une aversion au risque particulière. Face à chaque
traitement, on peut trouver des malades ayant une aversion tout à
fait particulière. De ce constat découle une question ayant trait à
la compétence. Les malades doivent-ils tous être traités de la même
manière ? Faut-il tenir compte de leurs attentes ?
La deuxième forme de mesure du risque est la forme statistique
et probabiliste. Cette forme est très utilisée dans une perspective
rationnelle, objective, épidémiologique. On combat la perception
du risque par l’idée de son objectivation à travers des mesures à
partir d’une collection de faits probabilisés. C’est aussi la manière
dont l’assureur objective le risque.
Enfin, il existe une mesure proprement sociale du risque. Elle
est par exemple exprimée à travers la manière dont un système
juridique sanctionne la réalisation d’un risque. On peut lier une
peine très importante à la réalisation d’un risque, qui objectivement
n’est pas très élevée, parce que l’on considère que ce comportement
est socialement inacceptable.
Les trois mesures, psychologique, statistique, et sociale du
risque ne coïncident pas. Le médecin a tendance à se référer à
l’évidence statistique objective. Il se désespère de la façon dont le
droit refuse de prendre en compte l’évidence statistique pour des
condamnations judiciaires qui ne lui semblent pas correspondre à
la réalité objective du risque.
43
Qualité et compétence en médecine
II. Compétence et risque
La compétence pourrait-elle jouer le rôle d’étalon autour
duquel les perceptions objectives, subjectives, et sociales pourraient
se rejoindre ? Dans la relation médicale le malade est dans une
situation de demande, qui le conduit à accepter un risque en fonction d’une espérance de guérison. Dans cette logique, c’est le
malade qui porte le risque, puisque c’est lui qui le choisit. Dans
cette analyse très simple le risque n’est pas transféré sur le médecin,
sauf exception et faute de sa part. Mais cette analyse ne suffit pas.
En effet, la demande du malade est totalement corrélée à une offre,
offre du médecin, mais aussi offre du système de santé. C’est d’ailleurs l’un des gros problèmes posé par le risque médical. Ce risque
est-il à imputer à l’offre ou à la demande ? Ce risque est-il lié au
fait que tout le système de santé répète qu’il est capable de faire
des exploits à votre endroit ou au fait que l’assurance sociale bouleverse les frontières ? En effet, l’intérêt des soins va bien au-delà de
la seule reconnaissance d’une souffrance. On a intérêt, dans beaucoup de situations, à aller voir un médecin. D’ailleurs, le système
solvabilise ce type de demandes.
A partir de ces remarques, on peut voir que les manières dont
la médecine et le droit analysent le risque sont conflictuelles. Pour
un médecin, il me semble qu’un risque se mesure toujours par
rapport à un autre risque. Le médecin ne raisonne jamais dans
l’hypothèse d’un risque zéro. Le médecin balance constamment
entre plusieurs risques. Ces risques ne sont pas nécessairement
objectifs. Ils sont liés à la perception du risque ou à ce que
demande le malade. La situation peut changer d’un type de traitement à un autre, d’un âge à un autre. Le fait de comparer les
risques n’est jamais, sans doute, un acte purement médical. On
peut considérer qu’un médecin est satisfait s’il a maximisé, dans
un sens économique, l’espérance d’utilité du malade. L’objectif
n’est pas nécessairement de guérir, de mettre le patient hors risque,
mais de réduire relativement son risque. Le judiciaire raisonne
selon un critère totalement distinct, qui est celui de la faute, par
rapport à un référentiel abstrait.
44
Qualité et compétence en médecine
Dans cette réflexion, que nous apporte la notion de compétence ? Indépendamment de la gestion des risques médicaux et
judiciaires, la notion de compétence introduit un troisième type
de rationalité. La notion de compétence est fondamentalement
relative à une attente. Ce qui est en jeu dans le choix n’est pas
l’objectivité mesurée d’un risque médical. Ce n’est pas non plus la
faute par rapport à un schéma abstrait. C’est l’adéquation à une
attente, et à ce que le client a demandé. La compétence est la
réponse adéquate à une attente formulée. De ce point de vue, la
compétence n’est pas équivalente au risque zéro, même si l’on peut
mesurer la compétence par des risques.
Qu’est-ce qui caractérise maintenant l’évolution judiciaire du
risque dans la relation médicale ?
III. L’évolution judiciaire du risque
dans la relation médicale
1. Les deux tendances récentes
Deux phénomènes caractérisent l’évolution judiciaire du risque
dans la relation médicale.
Le premier est que le risque médical tend à devenir un risque
de système et non plus un risque de médecin. C’est la grande
innovation de l’arrêt Bianchi, qui a permis d’impliquer une responsabilité médicale indépendamment du médecin. Depuis l’arrêt
Bianchi, on a vu se multiplier des cas de responsabilité médicale
impliquant d’autres acteurs que les médecins : les lieux de soins,
les médicaments, l’Etat ou la Sécurité sociale. Je pense que votre
réflexion sur la notion de compétence est très liée à cette situation.
Le médecin n’est plus saisi par le droit comme le centre de l’acte
médical, mais comme un élément d’un système plus global. Le
problème désormais est de savoir si ces différents intervenants sont
ou non solidaires vis-à-vis du droit. La grande innovation des arrêts
de 1999 est l’idée posée d’une solidarité entre le médecin et la
clinique. C’est un fait important pour le médecin.
45
Qualité et compétence en médecine
Le grand deuxième fait judiciaire est que le médecin n’est plus
seulement responsable de ses actes, mais il est responsable de la
relation avec ses malades. Jusqu’à récemment, le médecin était responsable d’actes. Mais avec les arrêts de 1997 sur le devoir d’information, c’est le rapport qu’entretient le médecin avec son malade
que l’on vise. C’est la relation elle-même qui devient une source
de responsabilité médicale et éthique.
2. La compétence et l’évolution du risque judiciaire
Quelle innovation la compétence est-elle susceptible d’introduire dans ces évolutions récentes ?
D’abord, il semble que la démarche compétence exprime la
volonté par les médecins de se réapproprier un processus qu’ils ont
jusqu’alors subi. Les médecins sont de plus en plus des acteurs
d’un système. La volonté des médecins est de ne pas subir, mais
d’agir, de gérer leurs propres transformations.
Deuxièmement, la démarche compétence est une démarche qui
n’a pas de sens dans l’absolu. C’est une démarche relative à un
objectif, à une attente toujours déterminée et qu’il convient de
mesurer. On ne peut pas développer une démarche compétence
sans définir ce que telle population, tel groupe attend. La compétence est donc relative, dans l’espace et dans le temps. Il y a presque
autant de compétence qu’il y a de malades. La compétence est une
notion complètement contextualisée.
Par ailleurs, et c’est peut-être ce qui peut modifier le rapport
du médecin avec lui-même, la compétence n’a de sens que si elle
est mesurée. La compétence décrit un ensemble de techniques à
travers lesquelles le médecin est susceptible d’avoir un nouveau
regard sur lui-même. La compétence est d’abord un principe de
visibilité, un rapport à soi. Lorsque l’on s’engage dans une
démarche compétence, on décide de se doter d’instruments d’observation de ses propres pratiques.
Dans la visibilité qu’un médecin veut se donner à lui-même,
quelle est la place que l’on donne au risque ? Peut-être ne peuton pas répondre abstraitement à cette question. On dira sans doute
46
Qualité et compétence en médecine
que pour une spécialité neuve, la part du risque doit être beaucoup
plus faible que pour une technique médicale devenue courante.
Le problème de l’utilisation du risque pour objectiver sa propre
compétence est un problème de pondération. La notion de risque
n’est pas nécessairement liée à la compétence qui signifie le fait de
répondre adéquatement à une demande. La difficulté du sujet est
que l’on demande beaucoup plus au médecin que de répondre à
la demande. On lui demande d’être responsable pour le malade.
C’est en cela que la juridicisation de la relation médicale peut
devenir dangereuse. Tout le problème est de savoir si le médecin
doit imposer un traitement au malade ou s’il répond à sa demande.
La compétence médicale est sans doute entre les deux, dans la
manière de prendre en charge une demande, mais aussi d’aider une
personne à affronter un risque objectif.
Par ailleurs, il me semble que la notion de compétence n’est
pas individuelle. C’est une notion indissociable d’une organisation.
Dans le monde de l’entreprise, la démarche compétence est bien
une démarche qui implique toute l’entreprise. La question est de
savoir quelle est l’entreprise en médecine susceptible de mettre en
place cette démarche. L’Ordre prend cette affaire en main. Mais
on peut se demander si la CNAM n’est pas aussi responsable. Quel
est le titulaire, l’acteur de la compétence en médecine ? On peut
dire que l’introduction de la notion de compétence en médecine
suppose que de nouvelles formes d’organisation de la médecine
sous forme de réseau soient engagées.
Je ne pense pas que la notion de compétence affranchira les
médecins du risque judiciaire. En revanche, l’Ordre des médecins
peut certainement obtenir que le risque soit collectivement assumé.
Ce serait une très grande nouveauté en médecine. On pourrait
transformer le risque en risque choisi. L’idée serait de fixer pour
chaque activité, un degré d’acceptation du risque. Cette démarche
pourrait conférer aux médecins une certaine protection vis-à-vis
des tribunaux. Le risque sera pris individuellement, mais assumé
collectivement.
En conclusion, la démarche compétence est une démarche de
responsabilité non pas subie mais assumée. Deuxièmement, l’ex-
47
Qualité et compétence en médecine
pression de cette démarche est extrêmement importante pour vous,
médecins, parce qu’il me semble que vous vous réappropriez votre
autonomie, votre responsabilité, et votre identité, à un moment où
elles me semblent doublement menacées. Elles sont menacées d’une
part par une sorte d’utopie plus ou moins sourde, technocratique,
administrative, et scientifique, qui, avec une domination de la
rationalité économique des choix médicaux, réduirait l’exercice de
la médecine à ce qu’une procédure scientifique peut dire de telle
ou telle situation, et lierait la décision médicale à ces procédures.
On peut penser que cette utopie est contenue dans les notions de
« juste soin » ou de « panier de soins », qui peuvent réduire le
médecin à un administrateur de soins objectifs. D’autre part,
l’identité du médecin me semble menacée par les débats sur le
dossier médical. Il correspond au fait de savoir quelle est la place
du médecin dans la maladie du malade. Jusqu’à présent, le médecin
avait la tutelle de la maladie. Si c’est le patient qui tient le dossier
médical, il ne restera pas seul. Il ira chercher sur Internet ou auprès
d’associations, le support de la décision qu’il recherche, et c’est
cette décision qu’il imposera au médecin, celui-ci devenant le technicien à qui l’on demande d’exécuter un acte. C’est peut-être par
rapport à ces deux risques que résident les enjeux de la compétence.
48
Qualité et compétence en médecine
Vers une nouvelle approche du professionalisme :
assurer une relation de confiance
par la construction des compétences
Guy LE BOTERF
Docteur d’Etat en lettres et sciences humaines,
Fondateur et directeur de LE BOTERF CONSEIL,
Auteur de « Construire les compétences individuelles et collectives »
(éditions d’Organisation, 2000)
Je voudrais tout d’abord remercier le Conseil de l’ordre, et plus
particulièrement son Président le Professeur Bernard Glorion, de
m’avoir invité à participer à vos travaux sur la « qualité et la compétence en médecine ».
Je ne suis pas médecin. Et bien qu’il me soit arrivé de travailler
avec le secteur médical, je n’en suis absolument pas un spécialiste.
Mon métier consiste à aider les entreprises et des organisations très
diverses, en France et à l’étranger, à monter et à améliorer des
dispositifs de développement et d’évaluation des compétences professionnelles.
Ce que je vous propose donc dans cette communication est de
vous faire part des leçons que l’on peut tirer d’expériences de gestion et de développement des compétences qui ont été lancées et
réalisées au cours de ces quinze dernières années.
Je n’oublie certes pas que la compétence médicale possède un
caractère très spécifique : elle ne peut être de la même nature que
celle d’un conducteur de machine automatisée ou d’un ingénieur
des ventes. Il n’en reste pas moins qu’il existe des comparaisons
intéressantes à faire entre les processus que des professionnels très
divers mettent en œuvre pour agir avec compétence, pour
construire des réponses compétences à des problèmes qu’ils doivent
résoudre dans les contextes de travail qui sont les leurs.
Je vous invite donc à prendre connaissance de ces enseignements de l’expérience en prenant le recul nécessaire et en vous
49
Qualité et compétence en médecine
posant avec moi la question de savoir dans quelle mesure ils ne
pourraient pas alimenter la réflexion que vous avez entreprise sur
la compétence médicale.
Je vous propose d’organiser mon exposé autour de quatre
leçons de l’expérience qui me semblent essentielles :
1) La première concerne la relation entre la confiance, les procédures
et le professionnalisme.
Nous vivons dans une économie qui se caractérise par une exigence de plus en plus forte de « confiance », de recherche de la « fiabilité » :
– Les procédures d’assurance qualité (le contrôle des conditions
en amont pour « garantir » la qualité au client, pour assurer qu’il
peut « faire confiance »).
– Les procédures concernant la sécurité ou la sûreté dans les
systèmes à risques (centrales nucléaires, pilotage d’avion...).
Mais, avec le développement d’une économie de service qui
vise à offrir des services personnalisés, d’une part, et avec la croissance de la complexité des problèmes professionnels à résoudre,
d’autre part, les procédures, même si elles sont utiles, ne suffisent
plus à assurer la confiance. Un excès de procédures peut même
s’avérer contre productif et entraîner de la non qualité. On ne peut
pas créer des procédures pour toutes les situations de service qui
peuvent se présenter et qui se caractérisent par leur « singularité »
ni pour arbitrer dans toutes les situations de complexité.
Il faut pouvoir faire confiance aux compétences du professionnel. La relation de confiance se fonde de plus en plus sur le professionnalisme.
Que faut-il donc entendre actuellement par « professionnel » ?
Je crois que l’on peut actuellement définir le professionnel
comme une personne à qui un commanditaire ou un bénéficiaire
(client, patient...) peut faire confiance pour qu’il prenne l’initiative
de fournir des réponses pertinentes à une situation problème car
qui ne laissera rien échapper d’important concernant à la fois :
– la demande et les spécificités du destinataire (client, patient,
usager, bénéficiaire...) ;
50
Qualité et compétence en médecine
– la situation-problème particulière sur laquelle il doit intervenir et qui peut être inédite ;
– les exigences, les « règles de l’art » (on pourrait dire des
« données actuelles de la science » pour un médecin) et l’éthique
propres au domaine professionnel ou au métier qui est le sien ;
– les ressources non seulement personnelles mais également de
son réseau professionnel qui peuvent être activées et combinées
pour construire une réponse pertinente.
C’est donc bien une relation de confiance qui est demandée au
professionnel et qui le caractérise. Ce qui est attendu de lui, c’est :
– la mise en œuvre d’une relation de service : prise en compte
et écoute des besoins d’un client, et non seulement mise en œuvre
de savoir faire techniques. Un architecte qui concevrait une maison
en respectant les règles techniques et selon ses critères esthétiques
mais qui aboutirait à un bâtiment invivable pour ses habitants
parce que ne correspondant pas à leur mode de vie ne peut pas
être considéré comme un professionnel. Il n’aura pas su prendre
en compte et anticiper les besoins de ses clients ;
– la capacité d’initiative pour construire des réponses pertinentes par rapport à des situations variées, complexes, imprévues :
il sait aller au-delà des procédures. En médecine, il faut souvent
prendre des décisions dans l’incertitude et dans un univers de probabilités ;
– « l’intelligence des situations » : il ne laisse rien échapper
d’important, il ne laisse rien au hasard, il saura prendre en compte
les diverses dimensions techniques, économiques, qualité, sécurité,
préservation de l’environnement ;
– la mobilisation d’un réseau professionnel de ressources. Prenons un exemple dans le secteur médical : un chirurgien qui se
trouve placé devant un coma post opératoire inexpliqué et ne correspondant pas à un cas qu’il a déjà rencontré ne peut pas a priori
être taxé de non professionnalisme. En revanche, il ne saurait être
reconnu comme un professionnel s’il ne consulte pas les banques
de données pertinentes qui permettraient peut être de trouver un
cas similaire dans une autre partie du monde ;
– les exigences éthiques ou déontologiques.
51
Qualité et compétence en médecine
Toutes ces caractéristiques posent la question des « compétences » du professionnel.
2) Deuxième leçon de l’expérience : Disposer d’un concept dynamique de la compétence et adapté aux exigences actuelles de l’organisation du travail et de la complexité.
– Un concept dynamique : cela signifie disposer d’un concept
qui permette de répondre à la question : qu’est-ce qu’agir avec
compétence ?
Car si nous comprenons mieux le processus par lequel une
personne agit avec compétence, construit des réponses compétentes, alors nous pouvons monter des dispositifs qui conforteront
ce processus, qui lèveront des obstacles à sa mise en œuvre.
– Un professionnel agit avec compétence s’il sait sélectionner,
combiner et mobiliser des « ressources » pertinentes pour agir
conformément à des exigences professionnelles et produire un
résultat escompté pour un destinataire (ex et schémas).
On peut dans les entreprises et les organisations utiliser un
« curseur de la compétence ».
Ce schéma (voir tableau 1) indique que la définition de la
compétence varie selon le contexte de travail où elle s’insère.
Lorsque le curseur de la compétence se trouve proche des situations à « prescription stricte », c’est-à-dire où les employés doivent
se limiter à appliquer des instructions précises et à effectuer les
tâches d’un travail fragmentaire, la compétence doit se définir en
termes de « savoir-faire ». Elle se réduit à savoir exécuter des opérations prescrites.
Si le curseur de la compétence est voisin du pôle marqué par
des prescriptions ouvertes, par l’exigence de savoir faire face à des
événements imprévus, par l’affrontement à la résolution de problèmes complexes, alors la compétence se définira davantage en
termes de « savoir agir ». Le professionnel devra alors savoir prendre
des initiatives et des décisions, faire des choix, prendre des risques
ou choisir entre des risques, innover au quotidien et prendre des
responsabilités. Dans une telle situation, pour être reconnu comme
un professionnel compétent, il ne suffit plus d’être capable d’exécu-
52
• RÉPÉTITION
• EXIGENCE
UNIDIMENSIONNELLE
(technique)
• EXÉCUTION
PRESCRIPTION STRICTE
ORGANISATION
TAYLORIENNE
Tableau 1
SAVOIR-FAIRE
(Exécuter
une opération)
C
SAVOIR-AGIR
(Gérer des situations
complexes
et événementielles ;
prendre des initiatives)
C
Le curseur de la compétence
• INNOVATION
• EXIGENCES
PLURIDIMENSIONNELLES
(techniques,
économiques,
qualité,
relationnelles…)
• INITIATIVE
PRESCRIPTION OUVERTE
ORGANISATION
Qualité et compétence en médecine
53
Qualité et compétence en médecine
ter le prescrit mais d’aller au-delà du prescrit. Il va de soi que la
compétence médicale se définit par rapport au « savoir agir », même
si elle doit être en mesure d’intégrer plusieurs « savoir-faire ».
On peut définir la compétence d’un médecin comme un
« savoir agir en situation ». Il s’agit bien de savoir gérer des situations complexes et événementielles et de savoir prendre des initiatives pertinentes dans le contexte de « situations cliniques ».
Je me suis risqué à traduire cette approche dans le cas du médecin généraliste. Les schémas des tableaux 2 et 3 montrent que les
activités que le médecin doit être capable de réaliser (et qui ne
sont en rien exhaustive, bien entendu, dans mon exemple) doivent
aboutir à un certain nombre de résultats. Pour réaliser ces activités
avec compétence, le médecin doit être capable de sélectionner,
combiner et mobiliser un ensemble de « ressources » pertinentes
qui peuvent être de deux sortes : des ressources individuelles
(connaissances, savoir-faire, expérience, culture, qualités personnelles...) et des réseaux de ressources qui lui sont extérieures
(banques de données, réseaux de santé, collègues, spécialistes...). Ce
double équipement de ressources montre bien que la compétence
individuelle et la compétence collective sont de plus en plus intimement liées. Un professionnel pourra de moins en moins être
compétent, agir avec compétence en étant isolé. La réponse compétente deviendra essentiellement une réponse de réseau, même si
celle-ci n’exclut pas la forte implication de la personnalité du professionnel.
Mais le simple libellé d’une activité n’est pas significatif de la
compétence. Il convient d’être plus précis. « Etre capable d’effectuer un diagnostic global de la situation » suppose de savoir le faire
en prenant en compte un ensemble d’exigences telles que : « en »
identifiant le degré de gravité de la maladie, « en » informant de
l’évolution possible de sa maladie, « en » s’informant sur les antécédents de consultation du patient, « en » consultant le dossier médical du patient... Ces formulations « au gérondif » sont très
importantes et elles peuvent être traduites de façons variées et pertinentes selon la personnalité du médecin.
54
– RÉSEAU DE SANTÉ
– BASES DE DONNÉES
– GUIDE D’EXERCICE PROFESSIONNEL
– DICTIONNAIRE VIDAL
❏ QUALITÉS :
* RÉSEAUX DE RESSOURCES
– …
– MAÎTRISER LES LOGICIELS DE GESTION
DES DOSSIERS MÉDICAUX
– RÉALISER UN EXAMEN DE DÉPISTAGE
PRÉCOCE
❏ SAVOIR-FAIRE :
– …
– SIGNES D’APPEL DES PATHOLOGIES
RARES
– DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
– ANATOMIE
❏ CONNAISSANCES :
* RESSOURCES PERSONNELLES
Tableau 2
…
ORGANISER
SON CABINET MÉDICAL
PROPOSER
UN PROJET
DE SOINS ADAPTÉ
EFFECTUER UN
DIAGNOSTIC GLOBAL
DE LA SITUATION
DU PATIENT
ACTIVITÉS
…
LE CABINET EST
ORGANISÉ POUR
L’ACCESSIBILITÉ
ET LA PERMANENCE DES
SERVICES A TOUS
LES PUBLICS
LE PATIENT DISPOSE
D’UNE PRESCRIPTION
LE PATIENT EST INFORMÉ
DE SON ÉTAT DE SANTÉ
ET DE SON ÉVOLUTION
RÉSULTATS
Qualité et compétence en médecine
55
56
– BASES DE DONNÉES
– GUIDE D’EXERCICE PROFESSIONNEL
– DICTIONNAIRE VIDAL
* RÉSEAUX DE RESSOURCES
– …
– MAÎTRISER LES LOGICIELS DE GESTION
DES DOSSIERS MÉDICAUX
– RÉALISER UN EXAMEN DE DÉPISTAGE
PRÉCOCE
❏ SAVOIR-FAIRE :
– …
– SIGNES D’APPEL DES PATHOLOGIES
RARES
– DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
– ANATOMIE
❏ CONNAISSANCES :
❏ EN CONSULTANT LE DOSSIER
MÉDICAL DU PATIENT
❏ EN S’INFORMANT SUR LES
ANTÉCÉDENTS DE CONSULTATION DU PATIENT
❏ EN INFORMANT LE PATIENT
DE L’ÉVOLUTION POSSIBLE
DE SA MALADIE
❏ EN NOMMANT LA MALADIE
ET EN IDENTIFIANT SON
DEGRÉ DE GRAVITÉ
EFFECTUER UN DIAGNOSTIC
GLOBAL DE LA SITUATION
DU PATIENT
ACTIVITÉS
+ EXIGENCES
PROFESSIONNELLES
Agir avec compétence : le médecin généraliste
* RESSOURCES PERSONNELLES
Tableau 3
LE PATIENT
EST INFORMÉ
DE SON ÉTAT
DE SANTÉ
ET DE SON
ÉVOLUTION
RÉSULTATS
Qualité et compétence en médecine
Qualité et compétence en médecine
On pourrait prendre ici une analogie musicale : de même qu’il
y a plusieurs bonnes interprétations d’une même partition de
musique, il y a plusieurs bonnes traductions d’une même compétence requise si celle-ci relève davantage du savoir agir que du
savoir-faire. Je ne pense pas qu’il faille concevoir la compétence
médicale en termes de normes. Les compétences requises doivent
être des points de repères, descritères de références. Il n’y a pas qu’une
seule façon d’être un bon médecin généraliste, de la même façon qu’il
n’y a pas qu’une seule bonne façon d’interpréter Schubert.
En conclusion, agir avec compétence, c’est savoir construire et
mettre en œuvre une combinatoire de ressources qui permette de
gérer de façon pertinente une situation complexe, même si celleci est inédite.
Les diplômes sont des témoins de l’acquisition de ressources à
un moment donné. Ils peuvent aussi attester de l’acquisition de
premières compétences si les modalités de la formation entraînent
à construire des combinatoires de ressources dans des domaines particuliers : c’est le cas de la formation par la simulation, par la pédagogie
de résolution de problèmes, par l’alternance... Mais les compétences
se construisent surtout en situation professionnelle réelle.
3) Réunir les conditions de réussite d’une démarche de gestion et de
développement des compétences. Parmi les principales, on peut noter :
– des référentiels de compétences qui vont à l’essentiel, qui
sont synthétiques. Ces référentiels doivent identifier les principales
situations qu’auront à gérer les professionnels. (pour les médecins,
ce seront des « situations cliniques », comme : « assurer la prise en
charge d’une pathologie lourde à domicile »).
L’expérience montre qu’il faut éviter les listes interminables de
savoirs, savoir-faire, savoir être ;
– associer l’ensemble des acteurs concernés à l’élaboration des
référentiels ;
– considérer les référentiels comme des points de repères, des
« références » à interpréter, à traduire et non comme des normes
aboutissant à produire des comportements stéréotypés ;
– mettre en place un dispositif d’actualisation périodique des
référentiels ;
57
Qualité et compétence en médecine
– concevoir un système de développement du professionnalisme qui intègre des modalités variées de formation et qui entraîne
à sélectionner, combiner et mobiliser des ressources variées ;
– adopter comme règle essentielle qu’il vaut mieux établir
une cohérence forte entre des outils simples (référentiels, projets
individualisés de professionnalisation, évaluation, formation, validation...) que d’avoir une cohérence faible entre des outils sophistiqués ou compliqués.
4) Concevoir l’évaluation des compétences dans une perpective positive
d’analyse et de progrès des pratiques professionnelles.
Cela signifie en particulier :
– utiliser les exigences professionnelles décrites dans les référentiels comme des critères à interpréter. Il n’y a pas qu’une seule
bonne façon d’écouter un patient. (analogie avec la partition musicale et ses interprétations) ;
– faire porter l’évaluation non pas sur la personne mais sur ses
pratiques médicales ;
– organiser des situations d’évaluation qui correspondent aux
situations professionnelles à gérer ;
– distinguer les trois niveaux ou « entrées » possibles pour l’évaluation : les résultats, les pratiques professionnelles, les ressources ;
– veiller à la transparence des finalités et des règles d’évaluation
nécessaires à l’établissement d’un climat de confiance ;
– combiner l’auto-évaluation et l’évaluation collégiale qui permet de s’approcher d’une plus grande objectivité.
J’aimerais conclure en disant que la question qui se pose pour
vous n’est pas « qu’est ce que la compétence » ? Elle me semble
davantage être « de quel concept de compétence avons nous besoin
pour ce qui est de la compétence médicale ? » Dans cette perspective, les quelques « leçons de l’expérience » que vous m’avez donné
l’occasion de vous communiquer ne peuvent être que des sources
de réflexion possible pour trouver votre propre réponse. J’espère
qu’elles pourront vous être utiles pour relever ce grand et passionnant défi de la confiance qui est celui du professionnalisme.
58
Qualité et compétence en médecine
Débat
Philippe LEFAIT
De votre point de vue, la population des 220 000 médecins
français est-elle prête à s’approprier ce système ?
Guy LE BOTERF
Je ne connais pas suffisamment bien la population médicale
pour répondre à cette question. Mais, de mon point de vue, l’une
des questions qui peut se poser est essentiellement culturelle, et
porte non pas sur la compétence elle-même, mais sur son évaluation. Quelle définition de l’évaluation les médecins français peuvent-ils accepter ? En outre, il me semble que la situation des
médecins préfigure de plus en plus celle que d’autres métiers, plus
industriels, rencontreront. Les médecins affrontent la complexité,
arbitrent entre plusieurs risques, et font de plus en plus appel à
d’autres acteurs faisant partie du même système. Le travail que
vous entreprenez me semble donc très important, non seulement
pour vous, mais aussi pour d’autres professions.
Philippe LEFAIT
Qu’est-ce que la latinité et quels sont les obstacles qu’elle
induit ?
Guy LE BOTERF
La latinité est une caractéristique culturelle. J’ai eu l’opportunité de travailler en Amérique latine, en Espagne, mais aussi en
Amérique du Nord. Quand je compare les deux, j’observe la crispation qui peut régner sur la notion d’évaluation dans les pays latins,
parce qu’elle met en cause la personne. Mais je crois que cette
conception est à la fois un obstacle et un point positif. En effet,
je crois de plus en plus qu’il ne faut pas évaluer la personnalité
elle-même mais la façon dont on a su mobiliser les ressources d’une
59
Qualité et compétence en médecine
personnalité pour répondre à une exigence professionnelle. Beaucoup d’entreprises dans lesquelles je travaille sont confrontées au
problème que les dirigeants ont toujours recruté des gens semblables à eux. Avec l’ouverture des marchés à la concurrence, il
leur devient important de recruter une variété de personnes.
L’Oréal, par exemple, est un groupe où systématiquement, on
recrute des personnalités différentes, disposant de styles d’apprentissage, de formations, et de modes de raisonnement différents.
L’idée est donc de considérer la personnalité comme une ressource.
Evaluons, non pas des personnes, mais des façons d’agir.
Pr Bernard GLORION
François Ewald a parlé d’appropriation par l’Ordre des médecins de nouvelles missions. Je souhaitais intervenir pour qu’il n’y
ait pas d’ambiguïté sur le rôle de l’Ordre. L’Ordre des médecins
a des missions qui lui sont confiées par le législateur. Il doit attester
de la qualité morale des médecins. Or, on ne peut pas imaginer
d’attester de la qualité morale des médecins sans évoquer leur
compétence. Je pense d’ailleurs que dans le projet de loi de modernisation du système de soins, l’Ordre sera cité dans le chapitre
concernant la qualité des soins. Mais cette mission est très limitée.
L’attestation signifie que l’inscription au tableau de l’Ordre
comporte des renseignements sur la compétence initiale du
médecin, et comportera bientôt les mêmes renseignements sur la
compétence entretenue. Mais toutes les actions de contrôle de
l’acquisition de la compétence ne relèvent pas de l’Ordre. L’Ordre
a pour mission de constituer une interface entre la société et la
profession.
De la salle
Comment arrivez-vous à différencier l’analyse des pratiques
professionnelles de la personnalité d’un praticien ? En effet, si l’on
n’est pas capable de séduire son patient avec ses compétences, aussi
bonnes soient-elles, on n’est pas un bon médecin.
60
Qualité et compétence en médecine
Guy LE BOTERF
Je ne dis pas qu’il faut éliminer la question de la personnalité
dans la construction de la compétence. Dans la construction d’une
réponse compétente, la personnalité intervient comme une ressource. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il n’y a pas une seule bonne
réponse compétente à une situation. Selon les personnalités, on
crée des combinatoires différentes de ressources. Par exemple, pour
un manager en entreprise, il n’y a pas qu’une seule façon de gérer
une équipe en temps de crise. Selon la personnalité du manager, la
méthode utilisée sera différente. Mais on peut reconnaître ensuite à
un certain nombre de critères la bonne gestion de la crise. La
personnalité intervient de plus en plus dans la construction des
compétences. Certains ergonomes du CNAM parlent de « prescription de la subjectivité ». Cela signifie que l’on demande aux personnes de s’engager de plus en plus dans la construction de
réponses compétentes. Cela n’empêche que l’on ne fait pas porter
l’évaluation sur la personnalité mais sur la façon dont une personne
a su mobiliser des ressources de sa personnalité dans une pratique
professionnelle précise. On évalue la façon d’agir, la pratique professionnelle, la combinatoire singulière de ressources que la personne a su créer. Plus on est dans une situation de services, plus
les possibles sont variés. Prenons le cas d’une hôtesse d’accueil. Il
y a plusieurs façons de produire un accueil personnalisé et chaleureux. Certaines entreprises ont essayé de codifier ces attitudes. Mais
il n’est pas certain que cela fonctionne toujours, parce que les
situations rencontrées sont extrêmement diverses. Ensuite, on
aboutit à mettre les gens dans des conflits psychologiques souvent
très importants, parce qu’on les oblige à avoir tel type de comportement, alors qu’il est possible de trouver un comportement
beaucoup plus juste en mobilisant ses ressources personnelles. La
personne compétente est celle qui sait mobiliser au maximum ses
ressources, et les ressources des autres. Donc, je relie très fortement
la personnalité à la compétence, mais je fais porter l’évaluation sur
les façons d’agir.
61
Qualité et compétence en médecine
De la salle
Je suis président de la conférence des doyens. M. Le Boterf a
montré le caractère universel et adapté de ses concepts par rapport à
notre profession médicale. Je voudrais insister sur l’un des derniers
messages qu’il a émis à la fin de son exposé. L’Oréal, pour disposer
de compétences globales, a associé des compétences de formation
différente. A un moment où l’on veut réformer les études de médecine, et nous comptons sur le concours de tous les acteurs du
système de santé pour le faire, nous devons être capables de mélanger les cultures des professionnels à l’intérieur de notre culture
médicale. Nous devons amener d’autres professionnels aussi à l’intérieur de notre filière de médecine. M. Le Boterf a été lumineux
et je le remercie en ce sens.
De la salle
Je travaille dans une mutuelle d’assurance qui couvre près des
deux tiers des médecins libéraux français. L’assureur a été presque
absent de l’ensemble des propos qui ont été tenus ce matin. Mais
je voudrais signaler deux points importants.
D’abord, la profession médicale restera-t-elle assurable si les
dérives actuelles continuent ? On ne peut pas travailler sans assurance, mais le montant des sinistres et des condamnations judiciaires augmente dangereusement, du fait de l’incompétence de
certains.
Ensuite, je voudrais dire que cette incompétence n’est pas difficile à évaluer. Elle est même flagrante. Mais seul l’assureur médical
la connaît. Il sait que certains médecins sont des tueurs ou des
accidentaires sériels ! Mais l’assureur n’a pas le droit de faire état
de cette information, dans le système actuel. Il est donc placé dans
une situation très problématique. Connaissant la sinistralité de ses
assurés, il se trouve en quelques sortes complice de la mise en
danger de la vie d’autrui, ce qui est contraire à ses dispositions
éthiques. L’assureur n’a que deux moyens d’action : résilier l’assuré
ou augmenter le montant de sa cotisation. Ce problème déontolo-
62
Qualité et compétence en médecine
gique est tout à fait alarmant. Il est nécessaire de trouver une
solution, à travers un système de reporting.
Nous sommes dans une société qui oblige tout professionnel
de la santé ayant connaissance de sévices faits à enfant de saisir le
procureur de la République. En revanche, il n’y a aucune obligation à saisir une autorité compétente quand on a connaissance,
dans son exercice professionnel, de sévices graves causés à des
adultes. Je voulais signaler cette incohérence.
De la salle
Je représente des associations d’usagers. Je voulais dire que la
compétence n’est pas l’objet d’une reconnaissance uniforme. La
plupart des médecins sont compétents en général et ont des problèmes dans certains domaines. Pour les usagers, la reconnaissance
de ses limites de la part d’un médecin, et le relais qu’il pourrait
faire vers certains de ces confrères, seraient des compétences très
appréciées.
Guy LE BOTERF
Votre remarque souligne bien la relation très forte entre la
compétence individuelle et la compétence collective, qui est la
coopération entre les compétences individuelles.
Philippe LEFAIT
Un autre mot très important a été cité, qui est celui de réseau.
De la salle
Je voulais souligner la difficulté dans laquelle se trouvent les
médecins, du fait qu’on leur présente leur profession comme un
art, une vocation et non un commerce. Il faudrait peut-être que
les médecins admettent que leur métier est un métier. Cette disponibilité et implication qu’on leur demande dans leur métier est
peut-être la raison pour laquelle ils vivent mal l’évaluation.
63
Qualité et compétence en médecine
Guy LE BOTERF
J’aurais une position plus nuancée que vous. Je crois que la
médecine est aussi un art. C’est un métier où il y a une grande
partie de non-exécution de procédures, où il faut trouver une solution entre plusieurs risques et critères. C’est là qu’il est important
de ne pas avoir un dispositif d’évaluation qui conduise à comparer
à un modèle unique, mais où l’on travaille beaucoup plus sur l’interprétation de la partition. C’est un métier de compromis entre
plusieurs solutions.
64
Qualité et compétence en médecine
La situation en France, enjeux et perspectives
Pr Yves MATILLON
Directeur de l’Agence nationale d’accréditation
et d’évaluation en santé (ANAES)
Ayant pratiqué la médecine interne et la kinésithérapie, je
conserve de nombreuses questions sur ces notions de frontières de
compétence, et de pratique de l’exercice, y compris sur la manière
dont le contact avec le patient peut jouer un rôle dans la pratique
professionnelle. Par ailleurs, j’ai le privilège de diriger une agence
créée dans les années 90, l’ANDEM, qui a été transformée en 1996
en Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé,
ANAES. L’un des mécanismes de base de cette structure est d’être
à taille limitée, de favoriser l’échange avec les professionnels médecins, paramédicaux, et directeurs d’établissements.
Le sujet qui nous réunit est proche des notions de certification,
d’accréditation, d’évaluation et de la qualité. Ces concepts peuvent
paraître banals. Nous sommes tous attachés à la qualité. Mais quel
est le sens de la qualité ? Il est assez complexe de la formaliser.
Dans les publications professionnelles des mois de janvier à mai
2000, 59 articles ont été consacrés aux sujets de qualité, de la
certification et de l’accréditation du corps médical. Parmi eux, 53
faisaient une confusion entre les termes de « qualité », d’« évaluation » et de « compétence ». C’est tout à fait normal. Le débat
actuel vise à donner du sens à ces mots et aux actions qui ont été
et/ou seront engagées dans ces domaines. De la clarté des objectifs,
des actions et des conséquences de ces actions, dépendront la qualité de l’intégration de la compétence individuelle et de la compétence collective.
65
Qualité et compétence en médecine
I. Historique de l’évaluation en médecine
(la décennie 1990-1999)
L’ANDEM a permis l’échange entre les professionnels de la
santé pour structurer une démarche, qui a des limites, mais qui a
le mérite d’exister.
D’abord, en 1990, nous avons souligné l’importance de la synthèse de l’information, devant la production considérable de
connaissances scientifiques et professionnelles. L’élaboration de
références professionnelles était en 1990, un concept nouveau et
une action mal maîtrisée par les professionnels qui se sont lancés
dans cette démarche.
L’élaboration de recommandations pour la pratique clinique
n’est pas l’élaboration de normes de pratiques figées. Ce sont des
propositions élaborées par les professionnels, permettant de situer
l’état des connaissances, de mieux pratiquer la médecine et d’aider
le patient dans la prise de décision du traitement. Cette définition
est importante parce que le risque était omniprésent, en 1990,
d’être critiqué dans la perspective d’élaborer des normes rigides.
Mais la plupart des pays anglo-saxons ou européens partagent
notre objectif.
Deux types de méthodes ont été développées. La première, avec
le public, prend la forme des conférences de consensus. Mais en
France, le débat public n’a qu’une portée limitée. L’autre méthode
est l’élaboration de référentiels par des groupe de travail. L’objectif
n’en est pas toujours facile à atteindre, compte tenu des intérêts
particuliers en jeu.
Les démarches élaborées depuis dix ans en France ont conduit
à rediscuter des bases d’élaboration de ces référentiels de bonne
pratique. Deux courants de pensée sont opposés. Le premier
affirme que l’on ne peut pratiquer en médecine que ce qui a été
prouvé scientifiquement, sur des bases statistiques indiscutables. A
l’opposé, on trouve les partisans de la médecine en tant qu’art, sur
une base subjective, respectant le dialogue avec le malade. Ces deux
approches ne sont incompatibles. Entre ces deux approches,
l’option choisie très largement partagée par les sociétés savantes
66
Qualité et compétence en médecine
participant à cette élaboration, est d’associer les bases scientifiques
existantes quand elles existent et un accord professionnel dans le
cas inverse. Le débat concerne principalement les bases scientifiques
publiées, sachant que certaines données ne sont pas publiées. Par
ailleurs, certaines publications sont contestées. On sait bien qu’à
chaque fois qu’une étude aboutit à un résultat positif d’un médicament par rapport à un autre ou d’une stratégie par rapport à une
autre, ces résultats positifs sont facilement publiés. Lorsqu’un résultat est négatif, il est très rarement publié. Il y a donc indiscutablement un biais dans la structuration des connaissances de base en
médecine.
L’ANAES diffuse les référentiels produits par les sociétés
savantes sur Internet et les publie. Je dirai que nous nous engageons
dans un processus qui vise de plus en plus à responsabiliser les
acteurs professionnels pour qu’ils les élaborent le mieux possible et
se les approprient.
Les professionnels de santé manquent de temps pour analyser
les données de la production scientifique, manquent de filtres
d’analyse. Les outils pédagogiques existent et doivent être maîtrisés
pour avoir une analyse critique de l’information proposée aux praticiens et professionnels de santé. Il y a donc un travail considérable
à engager au plan de la formation des médecins.
Constat positif, les sociétés savantes et de nombreux groupes
universitaires s’engagent dans cette démarche de formation à l’apprentissage critique de la lecture des données. Par les conférences
de consensus, une dizaine de thèmes sont traités chaque année. La
France est le premier pays producteur de recommandations de cette
nature en Europe.
De quelle manière la diffusion de ces recommandations
influence-t-elle la pratique professionnelle ? Des études démontrent-elles l’intérêt de la diffusion de ces recommandations et leur
intégration dans les cursus de formation ? Quels sont les autres
facteurs qui influencent la pratique du professionnel dans sa pratique quotidienne, et dont le malade devrait bénéficier ?
67
Qualité et compétence en médecine
II. Les facteurs influençant la pratique des professionnels
La question des facteurs influençant véritablement la pratique
des médecins est complexe. Les critères à mesurer sont relativement
nombreux, ce qui explique que les résultats de la plupart de ces
études sont discutables.
Je rappellerai d’abord les résultats d’une étude ancienne, menée
par John Eisenberg, qui dirige actuellement l’agence fédérale américaine équivalente à l’ANAES. Il avait publié un ouvrage sur les
facteurs de modification des pratiques médicales en 1985. Les éléments qu’il avait présentés à l’époque étaient :
● La formation initiale et la formation continue
Très peu d’études montrent que la formation initiale est déterminante. Beaucoup plus d’études montrent l’utilité de la formation continue.
● La diffusion de recommandation de pratiques cliniques
Nous verrons que les résultats de cette démarche sont à nuancer.
● L’information des praticiens sur leurs pratiques professionnelles
C’est un élément très important. Le fait d’observer dans le but
d’améliorer et non de sanctionner a un impact indiscutablement positif.
● Les moyens incitatifs financiers
Le moteur le plus puissant de changement des pratiques professionnelles est l’argent. Beaucoup d’études sur ce sujet sont
conduites dans les pays anglo-saxons.
● Les stratégies mixtes sont plus efficaces
Aucune bonne solution n’est prépondérante. Ce qui compte est
l’ensemble formation continue, formation initiale, et moyen
financier.
Quelques faits permettent de mettre ces résultats en perspective.
Voici d’abord le fruit d’une étude réalisée par Pierre Durieux
à l’ANAES, il y a quelques mois.
La première conférence de consensus organisée au Etats-Unis
concernait le traitement du cancer du sein en 1978. Sa conclusion
68
Qualité et compétence en médecine
en était de limiter la pratique d’intervention chirurgicale d’ablation
du sein. Mai en fait, une étude réalisée ultérieurement a démontré
qu’il y avait une décroissance naturelle de la pratique de la mastectomie depuis longtemps. La conférence de consensus n’avait donc
probablement pas servi à grand-chose, sinon à fédérer l’ensemble
des chirurgiens pour limiter cette intervention. Cette étude montre
bien la complexité qui existe dans les mesures. La formation médicale continue est-elle utile et fait-elle évoluer favorablement les pratiques professionnelles ?
En outre, une étude publiée en 1996 dans le JAMA et reprise
par Pierre Gallois dans son livre sur la formation médicale continue
montre que globalement, la formation médicale continue traditionnelle modifie peu les pratiques. La formation médicale continue
interactive, en revanche, a un impact plus élevé.
Le fait d’informer le médecin dans une situation de prescription
influence-t-il sa pratique ? Dix-huit études comparatives ont été
observées. Toutes conduisent à un résultat positif. Globalement,
on sait que cette stratégie fonctionne. C’est d’ailleurs celle qu’utilise
l’industrie pharmaceutique le plus souvent.
L’influence des leaders d’opinion est très débattue et difficile à
évaluer. Les « patrons » de CHU, leaders de spécialités, ont-ils une
influence sur les pratiques professionnelles ? Les études sont peu
nombreuses et difficiles à analyser. Il serait donc intéressant de
renforcer l’étude de ce sujet.
Le personnel de santé dans les pays anglo-saxons pratiquent le
clinical audit. Cette méthode est utilisée pour mesurer si la pratique
d’un médecin est conforme aux standards en vigueur que les
patients sont en droit d’attendre. Les dossiers sont-ils tenus correctement ? La méthode est relativement simple. En deux après-midi
de quatre heures, une dizaine de médecins peuvent être évalués par
leurs pairs. Cette méthode a été testée sur des sujets différents. Les
études comparatives montrent que cette démarche conduit à un
changement, néanmoins limité dans le temps. En effet, les habitudes reviennent. Il est donc nécessaire de resensibiliser les médecins périodiquement à leur évaluation, pour qu’ils poursuivent leurs
efforts dans le temps.
69
Qualité et compétence en médecine
La pratique professionnelle peut-elle être modifiée par les rappels lors de la prescription ? Le support informatisé lors de la prescription par des systèmes de rappel ou reminders, modifie-t-il la
pratique des médecins ?
Quatorze études sur dix-neuf montrent que ces reminders mentionnant le potentiel dangereux de certaines prescriptions sont
utiles.
Au niveau international, la question de l’efficacité des méthodes
d’évaluation et de formation professionnelle continue est très
débattue.
En conclusion, on peut dire que la littérature actuelle conclut
à la nécessité de diffuser les manuels de bonne pratique, des publications de bon niveau. L’information par des biais traditionnels
peut aussi avoir un impact. Il faut sûrement à l’avenir mieux préciser l’impact sur les pratiques professionnelles des leaders d’opinion,
des actions que sont susceptibles de générer les malades, ainsi que
l’influence produite par les supports grand public. Des études sont
certainement nécessaires. En amont de l’étude, il est nécessaire de
renforcer le partenariat avec les usagers dans l’élaboration des référentiels. Nous avons pris l’option, avec le conseil d’administration
de l’agence, de développer systématiquement de petits documents
de synthèse de toutes les recommandations professionnelles que
nous faisons, qui ont pour vocation d’expliquer aux usagers les stratégies.
Enfin, il faut retenir l’idée qu’il faut associer plusieurs mécanismes pour améliorer les pratiques : formation interactive, audit
par les pairs, évaluation de pratiques professionnelles, efficacité de
visites à domicile et des rappels au moment de la prescription. Car
il n’existe pas de méthode parfaite transformant les attitudes !
III. L’évaluation des pratiques professionnelles
Un dispositif est prévu par la loi pour qu’en secteur libéral, les
médecins développent sur la base du volontariat l’évaluation des
pratiques professionnelles.
70
Qualité et compétence en médecine
La loi publiée en 1998 et le décret d’application de décembre
1999, publié au Journal Officiel permet le développement, dans
le champ de la pratique libérale, d’une évaluation de la pratique
professionnelle. Cette démarche est basée sur le volontariat, porte
sur l’ensemble de la pratique professionnelle. Elle sera individuelle
ou collective, effectuée par des médecins, et placée sous la responsabilité des unions régionales de médecins libéraux.
Les trois missions de l’ANAES dans cette intervention sont
les suivantes :
● habiliter les médecins évaluateurs ;
● former les médecins habilités sur les référentiels de bonne pratique ;
● fournir les outils nécessaires à l’évaluation.
L’ANAES a effectué un travail préparatoire de comparaison du
système français avec ceux d’autres pays. En voici quelques conclusions. En Australie, la démarche d’évaluation est obligatoire, alors
qu’elle est facultative en France. La France a les deux orientations
d’évaluation individuelle et collective, l’Allemagne est plutôt dans
une démarche collective, l’Australie et les Pays-Bas plutôt dans une
optique individuelle. Le plus souvent dans les autres pays, l’évaluation se pratique au cabinet du médecin. L’évaluation française
porte sur les pratiques de soins. Enfin, les spécialistes et les généralistes sont concernés en France.
L’ANAES publiera un document dans les mois à venir qui
visera à repréciser pourquoi les pratiques sont évaluées, quels en
sont les objectifs, les personnes concernées, les outils, et l’organisation générale.
Pour conclure, l’évaluation des pratiques professionnelles ne
doit pas être confondue avec la formation. Elle vise en effet à
mesurer un écart entre la pratique de référence et la pratique réelle,
pour améliorer cette dernière. La formation est un processus différent, qui se situe à différents moments de la vie professionnelle. Il
ne faut pas confondre non plus l’évaluation avec l’accréditation.
En France, il existe deux sens à l’accréditation. Par exemple, le
COFRAC, comité français d’accréditation, l’utilise pour signifier
71
Qualité et compétence en médecine
la certification des processus organisationnels, qui touche le monde
industriel et les laboratoires de biologie dans le monde de la santé.
Le deuxième sens du mot accréditation pour le système de santé
est celui de la loi, des ordonnances de 1996, qui précisent que les
établissements de santé publics et privés vont devoir développer
une démarche visant à s’assurer que les procédures en leur sein
garantissent la sécurité et la qualité des soins. Au Québec l’accréditation est traduite par l’agrément des établissements de santé.
Enfin, la certification peut aussi signifier l’obtention d’un diplôme.
Je vous engage à consulter le site web de l’ANAES, parce qu’il
a été décidé d’y diffuser le résultat de l’accréditation des établissements de santé. A quand l’apparition sur un site Internet de la
certification des médecins ?
72
Qualité et compétence en médecine
Discussion
Pr Bernard GLORION
Je répondrais à votre dernière question. Le fichier du Tableau
de l’Ordre sera en ligne à compter du 1er juillet 2000.
De la salle
Je dirai à Yves Matillon que certaines incitations financières
existent. C’est le cas de l’assureur mutualiste médical, qui a le choix
entre l’instauration d’un système de bonus/malus a posteriori, et
un système de diminution de charges aux praticiens qui s’engageraient à une démarche qualité validée. Cette seconde option serait
d’ailleurs beaucoup plus intéressante.
De la salle
Je suis conseiller national, représentant pour les régions Guadeloupe, Guyane, Antilles. Vous avez parlé de référentiels de bonne
pratique. A partir de quel environnement sont-ils établis ? En effet,
il est évident que dans notre environnement, les référentiels élaborés en France hexagonale posent parfois des problèmes dans nos
régions éloignées. Dans quelle mesure pourrons-nous valider et élaborer nos propres référentiels ?
Pr Yves MATILLON
Effectivement, les référentiels ne s’appliquent pas partout.
Nous avons beaucoup travaillé avec les anglo-saxons pour étudier si leurs référentiels étaient transposables en France. Il s’est
avéré par exemple que le nombre d’échographies proposées par les
américains dans le cas d’une grossesse normale est diffèrent du
nombre proposées en Grande-Bretagne et en France. A l’évidence,
le fond scientifique est le même dans tous ces pays. Seul le contexte
socio-culturel est différent. Il faut donc bien adapter les référentiels
aux pays et aux régions.
73
Qualité et compétence en médecine
Mais l’impact le plus important de la démarche qualité n’est
pas tant le contenu des référentiels que son effet pédagogique sur
la communauté des médecins. Il a été très long de pouvoir réunir
autour d’une même table, des spécialistes avec des généralistes, de
faire en sorte qu’un journaliste et une personne issue du monde
paramédical soit bien accueillie.
74
Qualité et compétence en médecine
Compétence et qualité
de l’exercice professionnel
Approches comparées
Philippe LEFAIT
La question de la compétence des médecins est abordée de
différentes manières selon les pays. Les médecins sont jugés, parfois
jaugés. C’est globalement l’économie d’un système de santé qui
progresse. Joëlle Lescop sera la première à venir présenter le système
de son pays. Comment évalue-t-on la compétence au Québec ? Je
vais trahir un secret. Alors que le Canada est très en avance, je
vous ai demandé tout à l’heure comment vous jugeriez la situation
française, et si elle vous semblait archaïque. Vous m’avez répondu
qu’elle n’était pas archaïque, mais seulement pas suffisamment
concrète. Merci de nous décrire la situation dans votre pays.
Le cas du Québec
Dr Joëlle LESCOP
Secrétaire générale du Collège des Médecins du Québec
Au Canada et au Québec, le système de santé est en crise. Il
est en transition. Nous sommes en train de nous adapter aux exigences du XXIe siècle. Je crois que tous les pays devront passer par
là, du fait des contraintes financières, de l’avancement des technologies, du vieillissement de la population, et des attentes croissantes
de la population par rapport au système de santé. Autant du côté
des professionnels de santé que de la population, un certain degré
d’insatisfaction se fait sentir par rapport au système de santé. Le
Québec regroupe 7 millions d’habitants et 16 000 médecins, ce
75
Qualité et compétence en médecine
qui n’a rien à voir avec la population de 200 000 médecins constatée en France. Cependant, il me semble que l’on peut apprendre de
plus petit que soi, et c’est ce que j’espère vous apporter aujourd’hui.
I. Compétence et performance
Compétence et performance ne sont pas assimilables. Au Québec, nous avons d’emblée opté pour une évaluation de la performance, parce que nous pensons qu’il y a une meilleure adéquation
entre la qualité des services offerts et la performance des médecins.
Par ailleurs, nous avons également pris le parti de ne pas évaluer
la performance en général, mais de cibler les problèmes de performance les plus importants. Je vous présenterai le modèle canadien
de monitoring et d’amélioration de la performance des médecins,
en particulier son application québécoise. Au niveau des collèges
des médecins, une direction de l’amélioration de l’exercice a été
créée et des programmes de monitoring et d’intervention auprès des
médecins et des établissements ont été mis en place. Nous faisons
très attention aux termes que nous employons. En effet, l’optique
de l’amélioration de l’exercice a été choisie pour montrer que nous
cherchons à améliorer les services des médecins et non pas à identifier les médecins à problèmes.
Nous définissons la compétence très simplement comme « ce
qu’un médecin peut faire », c’est-à-dire sa capacité de mettre à
profit, dans une situation donnée, ses connaissances, ses savoir-faire
et son jugement. La performance, c’est ce qu’il fait réellement. Le
médecin applique sa compétence à une situation clinique donnée,
dans un contexte particulier.
Nous avons défini les dimensions de la performance. La performance comprend :
● la compétence
● l’aptitude à utiliser des ressources
On peut en effet être très compétent et pour autant mal utiliser
ou surutiliser des ressources.
76
Qualité et compétence en médecine
●
●
l’attitude du médecin
Cette catégorie comprend l’empathie ou le respect du code de
déontologie.
l’aptitude à exercer
C’est ici la santé physique ou mentale du médecin qui est en jeu.
L’alcoolisme, la toxicomanie, ou un stress important du médecin
peuvent le conduire à ne pas rendre les meilleurs services.
Tout programme de monitoring devrait s’attacher à regarder
toutes ses dimensions de la performance.
Les principaux problèmes auxquels renvoie le déficit de performance du corps médical ont été répertoriés par les Ordres de médecins au Canada. Ces problèmes sont les suivants : prescription
inappropriée ; communication déficiente ; absence de prise en
charge du patient ; mauvaise utilisation de tests diagnostics, mauvaise tenue de dossier ; examens cliniques déficients ; incapacité de
travailler en équipe ; médecins non disponibles.
C’est le genre de problèmes qui sont spontanément soumis à
l’attention de ceux qui s’intéressent aux problèmes de compétence.
Pour les hôpitaux, l’un de nos collègues nous disait l’absence de
prise en charge, la difficulté à travailler en équipe, et les examens
cliniques déficients, sont les problèmes les plus importants au
niveau de la performance des médecins. Le problème dépasse donc
de loin le déficit en connaissances ou en compétence technique.
II. Le modèle canadien de monitoring
1. Vis-à-vis des médecins
Le modèle canadien élaboré par les ordres des dix provinces est
un modèle à trois niveaux. Le niveau 1 vise à dépister tous les
médecins et le défi des années à venir est de mettre en place des
indicateurs de performance qui vont nous permettre de tous les
dépister. Ce dépistage permet à la fois d’avoir une idée de la pratique médicale effective, et d’identifier des médecins en difficulté,
77
Qualité et compétence en médecine
auxquels s’adresse le niveau 2 du modèle, au travers d’interventions.
Si les difficultés sont très importantes, on en arrive au niveau 3,
où il s’agit de faire une évaluation approfondie des besoins du
médecin.
Quand ce modèle a été présenté aux diverses organisations
médicales, facultés, collèges des médecins du Canada, on nous a
tout de suite mis en garde vis-à-vis du fait que le monitoring ne
suffisait pas, et qu’il fallait prévoir des activités d’amélioration de
la performance. C’est ainsi que nous avons développé le modèle
canadien à trois niveaux, où à chaque fois que l’on parle de surveillance, on parle d’amélioration :
● Niveau 1 : dépistage de tous les médecins, mais rétroaction des
résultats à tous les médecins ;
● Niveau 2 : évaluation des médecins en difficulté, et programme
d’éducation médicale continue ;
● Niveau 3 : évaluation approfondie des besoins, et stade de perfectionnement.
Je voudrais préciser que le mandat de l’Ordre du Collège des
Médecins est plus étendu que celui de l’Ordre des Médecins français. Sa première mission est de contrôler l’exercice des médecins
pour protéger le public.
Au niveau du collège des médecins, nous avons créé une direction de l’amélioration de l’exercice. Cette direction regroupe l’ancien service d’inspection professionnelle avec le service d’éducation
médicale continue. En fait, nous avons intégré les activités de surveillance de l’exercice à des activités d’intervention auprès des
médecins, qu’ils travaillent en cabinets ou en établissements, et
nous avons développé et validé des indicateurs de performances à
la fois applicables aux médecins et aux établissements. Voici des
exemples d’indicateurs de performance qui ont été développés.
a. Niveau 1 : dépistage des médecins
Nous nous sommes intéressés au traitement qui était fait de
l’angine stable. A travers les banques de données de la régie de
l’assurance maladie, nous avons eu accès au profil de prescription
de près de 4 000 médecins.
78
Qualité et compétence en médecine
Le résultat de cette étude a montré que 50 % des patients
atteints d’angine stable ont eu une prescription d’acide salicylique,
54 % prennent un béta-bloquant, 23 % ont une prescription de
statine, et 73 % ont des nitrates en courte action en pulvérisateur.
Les médecins québécois respectent-ils les lignes directrices ? Les
lignes directrices ont été élaborées par un groupe d’expert dans le
domaine, et ont été diffusées à médecins avec le slogan : « c’est
simple comme A,B,C,D. » (A pour Aspirine, B pour Béta-bloquant, C pour Cholestérol, D pour Dérivé nitré). Ces lignes sont
simplifiées parce que l’on sait que les médecins n’ont pas le temps
de lire des lignes directrices de trente ou quarante pages. On leur
a aussi envoyé un petit cœur autocollant portant le slogan, qu’ils
collent sur le dossier du patient porteur de l’angine stable, de façon
à ce qu’ils se le rappellent.
Une nouvelle analyse de prescription pour déterminer dans
quelle mesure notre intervention a amené une amélioration de la
prescription et donc du traitement des patients porteurs d’angines
stables sera faite dans un deuxième temps..
b. Niveau 2 : visites d’évaluation auprès des médecins
Un avis est envoyé avec un questionnaire et une visite est effectuée au cabinet du médecin. Pour les médecins généralistes, nous
disposons de standards pour les problèmes courants, mais lorsqu’il
s’agit de médecins spécialistes, un expert de la discipline accompagne les équipes d’intervention.
Suite à cette visite, un rapport est écrit avec un projet de recommandation, présenté au Comité d’inspection professionnelle du
Collège des médecins du Québec.
Qui étaient les médecins faisant l’objet de visites particulières ?
Dans 41 % des cas, il s’agissait de demandes acheminées par, la
direction des enquêtes, qui reçoit les plaintes concernant les médecins. Dans ces cas, le médecin enquêteur n’a pas suffisamment
d’éléments pour porter une plainte, mais certaines informations le
portent à croire que la qualité d’exercice du médecin est déficiente.
Il le signale à la direction de l’amélioration de l’exercice, pour
79
Qualité et compétence en médecine
évaluer l’ensemble de la pratique du médecin. Ceci prend la voie
d’amélioration de son exercice, et non pas une voie disciplinaire.
L’année dernière, nous avons effectué 187 visites. Dans 180
cas, le cabinet a été bien tenu. Les critères d’évaluation sont les
suivants : la tenue des dossiers, le suivi des activités de formation
continue, la justesse du diagnostic, la pertinence des soins et le
traitement. En gros, la pratique des médecins, lorsqu’ils sont évalués, est quand même relativement satisfaisante.
Suite à ces visites, des actions visant l’amélioration de la pratique sont entreprises si cela est nécessaire. Visite de contrôle, en lui
expliquant comment bien tenir son dossier, demande de rapports
particuliers, références pour formation médicale continue, rencontre avec le secrétaire du Comité d’inspection professionnelle
pour les médecins âgés qui tardent à prendre leur retraite, référence
à la direction des enquêtes pour qu’un processus disciplinaire puisse
être éventuellement amorcé, recommandation de stages ou recommandation au Comité de direction du Collège.
c. Niveau 3 : entrevue orale structurée
Pour les médecins qui ont des problèmes importants, nous
avons développé un outil spécifique, qui s’appelle l’entrevue orale
structurée, qui permet d’évaluer les médecins dans leurs pratiques
quotidiennes, quelles que soient leurs profils de pratique. Le but
en est une prescription pédagogique personnalisée. Dans le cas de
médecins spécialistes, l’entrevue orale structurée est remplacée par
un stage d’évaluation dans un milieu universitaire. Les interventions peuvent en être des stages de perfectionnement, des lectures
dirigées, tutorats cliniques, ateliers sur la tenue de dossiers, cours
sur la phamarcothérapie. L’organisation des activités individuelles
Lors de stages de perfectionnement, l’individu est envoyé dans un
lieu de stage avec de jeunes résidents et un précepteur, pendant
trois à six mois. On peut aussi proposer des lectures dirigées quand
le déficit est relativement limité à un secteur d’activité, ou un tutorat clinique, une fois par semaine, où le médecin vient rencontrer
un tuteur.
80
Qualité et compétence en médecine
2. Vis-à-vis des établissements
Pour les établissements, le système est analogue.
Des outils en développement vont nous permettre d’identifier
des établissements à problèmes, avec rétroaction à tous les établissements au niveau 1, alors que nous procéderons à l’évaluation des
établissements.
a. Niveau 1 : renvoi de l’image comparative
Au niveau 1, nous évaluons la performance clinique des établissements. Nous utilisons toutes sortes d’indicateurs, administratifs,
de qualité de soins, selon une pathologie ou une spécialité. Par
exemple, en psychiatrie, en 1999, une cinquantaine d’établissements ont été évalués. Plusieurs critères ont été vérifiés : le nom du
médecin de famille est-il identifié ? Les patients ont-ils un examen
clinique avant 72 heures ? Est-on capable d’évaluer le pourcentage
de réadmission de ces patients ? Quel est le pourcentage de sismothérapie pour le traitement de la dépression ? Des profils d’établissements en ressortent. On n’interprète pas ces résultats, mais on
renvoie à chaque hôpital l’ensemble des résultats en lui indiquant
où il se situe. En cas de exception d’un hôpital par rapport aux
autres, on lui pose la question de sa singularité.
Pour le cancer du sein, les résultats de la dernière enquête réalisée ont été surprenants. Cela amené tout de suite les pathologistes
à se prendre en main, avec l’élaboration d’un programme de formation pour l’ensemble des pathologistes, placé sur un Cdrom.
b. Niveau 2 : visites d’établissement
Ces enquêtes concernent 85 établissements en 1999-2000. Une
fois la visite faite, des recommandations sont envoyées. Une évaluation est faite des activités du conseil des médecins de l’établissement, qui est chargé de suivre la qualité de l’exercice dans son
établissement, de faire fonctionner les comités de mortalité et de
morbidité. L’évaluation de la qualité des soins concerne des dossiers
particuliers : par exemple, le traitement de l’infarctus en salle d’ur-
81
Qualité et compétence en médecine
gence, le traitement des diabétiques, et enfin, la tenue des dossiers
en centres hospitaliers.
Les recommandations d’amélioration de l’exercice sont faites
par le Comité d’inspection professionnelle et font l’objet d’un suivi,
Il arrive qu’on organise des cours avec d’autres groupes, pour
répondre au besoin spécifique de formation. On peut aussi organiser des activités de formation pour l’évaluation de la qualité de
l’acte.
c. Niveau 3 : visites de contrôle avec expert
Le niveau 3 concerne les centres très préoccupants. En 1998,
nous sommes retournés dix fois dans les centres hospitaliers de
soins généraux. Les recommandations que nous faisons ne sont
plus limitées au Conseil des médecins, mais au Conseil d’administration de l’établissement. En huit occasions, nous avons été jusqu’à
la régie régionale de la région pour amener des correctifs dans
ces établissements. Il arrive que nous rencontrions directement la
Ministre de la Santé.
En conclusion, l’approche utilisée au Collège des Médecins lui
permet de réaliser sa mission, qui est de promouvoir une médecine
de qualité pour protéger le public et contribuer à l’amélioration
de la santé des québécois.
82
Qualité et compétence en médecine
Débat
Philippe LEFAIT
Je trouve que vous avez une facilité à parler des problèmes
d’alcoolisme et psychologiques des médecins. Cette fluidité du discours ne se retrouve pas forcément dans d’autres pays. Comment
les médecins québécois vivent-ils le contrôle ?
Joëlle LESCOP
Les médecins vivent ce contrôle comme une intrusion acceptable. Depuis les années 70, le Collège a été mandaté pour mettre
en place des programmes de surveillance de l’exercice, après un
scandale important dans un l’hôpital qui a fait la une des journaux
pendant plusieurs semaines. Le gouvernement s’apprêtait à demander à un organisme extérieur de s’assurer de la qualité de la médecine dans les centres hospitaliers. A l’époque, le collège des
Médecins a offert son aide et s’est engagé à mettre lui-même en
place ce mécanisme d’évaluation qu’on appelait l’inspection professionnelle. Avant cela, le rôle unique du collège était de répondre
à des plaintes de patients. Mais les patients ne sont pas les mieux
placés pour juger de la qualité professionnelle des médecins. Depuis
trois ans, la nouvelle approche d’amélioration de l’exercice est de
mieux en mieux perçue. Les pathologistes ont hâte que l’on mette
en place d’autres études, parce qu’elles permettent d’agir sur leurs
membres et de donner des services de meilleure qualité.
83
Qualité et compétence en médecine
Le cas de la Suisse
Dr Eduard EICHER
Membre du Comité central de la Fédération
des médecins suisses
I. L’histoire de l’assurance-qualité en Suisse
En Suisse, les médecins ont toujours été convaincus d’offrir à
leurs patients et à l’Etat une médecine de qualité irréprochable,
tout en étant conscients que de nombreux mécanismes du système
de santé pouvaient être améliorés, que nos ressources abondantes
pouvaient être mieux exploitées, et que notre formation n’a pas
toujours su intégrer les progrès les plus récents. Nous avons aussi
dû revoir notre mode de pensée lorsque l’assurance-qualité s’est
introduite au sein de nos industries et que nous avons appris l’introduction aux Etats-Unis et au Canada d’une assurance-qualité
pour les soins médicaux.
La première publication dans le domaine de l’assurance-qualité
en Suisse est parue au milieu des années 70. Les premiers congrès
de l’Isqua ont eu lieu dans les années 80, sans que la Suisse n’y
participe. Elle y a pris part en 1988. Le premier débat officiel sur
ce sujet a débuté dans les années 90, avec la création du groupe
national de travail pour l’assurance-qualité en 1993, qui réunit des
représentants des prestataires de services, des assureurs et d’autres
institutions. Le seul résultat concret de ce groupe a été l’introduction d’une terminologie uniforme.
En 1994 est entrée en vigueur la nouvelle loi sur l’assurance
maladie. La nouvelle loi stipulait la mise sur pied de systèmes d’assurance-qualité dans tous les domaines de la santé, en laissant aux
associations professionnelles la mission de prévoir des projets en ce
sens, et d’élaborer des accords avec les assureurs, au début de 1998.
En 1996, la FMH a élaboré un concept d’assurance-qualité,
qui tient compte des principes éthiques et des propositions
84
Qualité et compétence en médecine
concrètes quant au type d’assurance-qualité à mettre en place. La
première des exigences était d’éviter de démotiver les médecins par
une bureaucratie excessive.
II. Les priorités définies par la FMH
en matière d’assurance-qualité
La pièce majeure est la formation post-graduate des médecins,
avec une meilleure qualité de structure.
En outre, un processus de recommandations pour la pratique
clinique a été mis en place. Chaque société médicale devait entreprendre la rédaction de cinq recueils de recommandations avant
l’an 2000. Afin d’uniformiser cette démarche, nous avons élaboré
une directive concernant les recommandations pour la pratique
clinique (guideline for guidelines). Nous comptons ainsi rendre utilisable par les médecins puis plus tard par les patients et éventuellement par les assureurs, des recommandations fondées sur des
données probantes et faisant l’objet d’un large consensus.
Enfin, pour ne pas laisser entièrement le corps médical à la
merci des prestataires, nous avons l’intention d’instituer une formation de la gestion de la qualité des soins médicaux, dispensée par
notre organisation professionnelle et sanctionnée par un certificat.
Par ailleurs, la FMH soutient toute activité visant à obtenir des
informations chiffrées à partir des données obligatoirement
communiquées à l’office de la statistique.
Un nouveau projet prévoit la certification des centres de formation post-graduate.
III. Assurer la compétence par l’éducation et la formation
La plupart des facultés suisses de médecine ont réformé leurs
études et introduit l’enseignement selon le concept d’apprentissage
par problème. La qualité de la formation peut être sensiblement
améliorée par ce moyen. La formation post-grade et son aboutisse-
85
Qualité et compétence en médecine
ment, la délivrance d’un diplôme de spécialiste, sont soumises
depuis peu à une nouvelle réglementation. Les sous-spécialités ont
été supprimées.
Pour les domaines hautement spécialisés, nous avons défini des
formations approfondies, des attestations de formations complémentaires, et des certificats d’aptitude technique qui impliquent de
suivre un nombre défini d’heures de cours et un programme qualitatif.
Par ailleurs, un groupe d’experts a pour mission de surveiller
la qualité des examens.
Depuis cette année, la formation continue permanente est obligatoire. (50 heures par an de participation à des congrès et à des
cours, 30 heures d’études personnelles par média électronique). Les
sociétés médicales sont responsables des programmes de formation
continue et de leur évaluation quantitative.
IV. Assurer la compétence par le biais des tarifs
Une loi qui remonte à 1899 autorise jusqu’à présent n’importe
quel médecin à pratiquer n’importe quel type d’intervention,
même dans une autre spécialité. Cet état de fait changera avec
l’entrée en vigueur en Suisse d’un nouveau tarif de prestation.
Selon ce nouveau tarif, la prestation d’un médecin ne sera payée
que si la qualité des infrastructures est établie, et que le médecin
a bénéficié d’une formation adéquate. D’autre part, le nouveau
tarif prévoit la conclusion de contrats de qualité.
V. Evaluer les compétences
Quels sont les procédés d’évaluation de la compétence ?
Pour la formation universitaire, les certifications externes des
facultés de médecine sont réalisées par des experts neutres de
l’étranger. Etant donné que nous formons trop de médecins, il est
possible qu’une ou deux des facultés de médecine fermera. La
86
Qualité et compétence en médecine
FMH est dorénavant responsable de l’évaluation des centres de
formation post-graduate, ainsi que de la formation post-graduate
proprement dite. La formation continue relève de la responsabilité
des syndicats régionaux et des sociétés médicales spécialisées.
VI. Les cercles de qualité
Les cercles de qualité sont nombreux en Suisse surtout dans les
domaines de la médecine de premier recours. Plus de 50 % des
prestataires de soins de base sont intégrés dans des cercles de qualité locaux.
Les cercles de qualité sont des groupes de huit à dix médecins
animés par un agent spécialement formé. Il se forme pour étudier
un problème médical spécifique d’ordre thérapeutique ou technique. Bien souvent ces cercles de qualité faillissent à leur mission.
Les dynamiques de groupes finissent par empêcher toute discussion. De même, un groupe auquel seul un petit nombre de
membres prend une part active finit souvent par être paralysé par
la lassitude de personnes actives vis-à-vis des éléments paresseux.
Enfin, quelques-uns de ces cercles finissent par s’éteindre parce que
l’animateur ne parvient pas à motiver les membres du groupe faute
de leur faire entrevoir l’utilité potentielle de cette activité. Dans
les réseaux de médecins où il existe une certaine pression et un
devoir d’animer les cercles de qualité, ceux-ci fonctionnent souvent
très bien.
VII. Certification, accréditation, et sanction
En Suisse, il n’existe aucune obligation pour les hôpitaux de
participer à des processus de certification. La pression de la concurrence pousse de nombreux établissements à choisir d’eux-même la
voie de la certification ou accréditation.
Il existe plusieurs organisations à vocation commerciale, qui
certifie ce genre de système ou accrédite les hôpitaux selon un
87
Qualité et compétence en médecine
système similaire à celui de la join commission aux Etats-Unis.
L’obligation de certification n’existe que dans certains secteurs :
chirurgie ambulatoire, radiologie, et examens cliniques.
Enfin, quelles sont les sanctions possibles au cas où une évaluation fait apparaître des insuffisances ?
Les médecins qui omettraient de satisfaire aux obligations de la
formation continue permanente peuvent être exclus de leur société
médicale respective. En principe, les hôpitaux peuvent être sanctionnés par une non-certification.
88
Qualité et compétence en médecine
Le cas des Etats-Unis
Dr James GOLDBERG
Directeur des Relations Internationales à l’ANAES
La déontologie médicale représente les valeurs essentielles sur
lesquelles reposent les fondements de notre société. Elle régit notre
façon de vivre et de nous comporter. Dans l’application de la déontologie « compétence et qualité de l’exercice professionnel aux
USA », les Académies de Médecine et organisations professionnelles
ont défini quatre grands axes :
– un Conseil pour les Affaires Médicales qui est un forum de
discussion où sont évoqués les problèmes de formation médicale,
– un Comité de Liaison des Affaires Médicales qui a pour
mission d’accréditer les formations diplômantes,
– un Conseil d’accréditation et Evaluation pour les programmes de formation médicale (médecine générale et spécialisée),
– et finalement, un Conseil d’Accréditation et Evaluation pour
la formation continue (cf. tableau en annexe).
La présentation suivante tend à présenter, de façon synthétique,
l’historique de ces quatre pôles depuis le début du siècle et souligne
les aspects qui rapprochent les USA et la France dans le développement de l’évaluation des compétences et des qualités du corps
médical.
Il est indispensable de respecter cette histoire pour mieux
comprendre les opportunités futures en matière d’échanges et de
collaboration entre ces deux pays. Il est, en outre, évident que les
pratiques médicales nécessitent aussi une étroite collaboration avec
l’ensemble des professionnels de santé, les patients et les citoyens.
Analyse du système américain en terme de compétence
L’American Medical Association a fait l’analyse de ce système
qui connaît actuellement une crise déontologique.
89
Qualité et compétence en médecine
Historique et analyse
Au début du siècle, en 1901, 26 000 étudiants préparent le
diplôme de médecine. En 1910, Abraham Flexner, professeur à
Harvard, décrit l’éducation médicale comme étant une variation
allant des idéaux universitaires à des attitudes purement mercenaires. Flexner constate que les étudiants bénéficient de très peu
de pratique au niveau des laboratoires et de peu de contact avec
les patients. En 1901, la qualification pour rentrer en médecine
est celle de l’obtention d’un diplôme secondaire.
Cent ans d’évaluation du système
Historiquement, en 1901, il y avait 26 417 étudiants inscrits
dans 157 écoles américaines préparant au diplôme de médecin. Le
nombre total des facultés de médecine (professeurs à lecteurs) était
de 5 958.
En 1999, le nombre des écoles de médecine était de 125. Le
nombre total des étudiants en médecine à temps complet était
de 96 733.
Voici les résultats d’un questionnaire envoyé auprès des Doyens
des écoles de médecine. Cent vingt-cinq écoles de médecine y
ont répondu.
En 1998, aux Etats-Unis, il y a beaucoup de médecins qui
enseignent : pour chaque étudiant, il y a 1,5 universitaires à temps
complet. On ne peut pas dire que la formation manque de professeur.
Le nombre d’heures enseignées a diminué. Mais le temps de
l’externat reste égal ce qui marque l’indice de l’inquiétude des étudiants au début de leur cursus universitaire, problème tout à fait
déontologique.
L’Académie de médecine a fait un postulat : l’augmentation de
doyens ayant un titre était liée à l’augmentation de leur revenu
dérivé de la pratique clinique. Ceci exprime bien la problématique
du système de santé aux Etats-Unis. Encore la déontologie !
L’évaluation des compétences des étudiants comprend celui de
la compétence médicale, ajouté d’un « objective structure clinical
90
Qualité et compétence en médecine
exam », pour être sûr que chaque étudiant a effectivement la
compétence médicale clinique. Les médecins utilisent des tests de
comportement. On évalue le comportement de chaque étudiant
face à la pratique de la médecine et vis-à-vis des patients afin de
produire un esprit médical.
En effet, 63 des 125 facultés de médecine américaines incluent
un ou plusieurs postes liés au comportement professionnel dans
un examen intitulé « Objective Structured Clinical Examination
(OSCE) ». Encore un autre point déontologique !
Les pas effectués pour changer l’éducation médicale à l’avenir
devraient être ancrés dans un cadre conceptuel et un ensemble de
résultats attendus.
Des sociologues ont critiqué les formateurs en médecine pour
leurs croyances communes à savoir que les cours peuvent servir de
« Balles Magiques Intellectuelles ».
Nous devons nous souvenir que les valeurs sont absorbées
comme des Modèles de Rôles tout autant que l’enseignement
didactique.
Les sociologues ont critiqué les formateurs médicaux pour leur
croyance dans le fait que « les cours puissent servir comme une
balle magique intellectuelle ».
Seize mille (16 000) nouveaux diplômés sortent de ces écoles
chaque année. Il n’y a pas de prévision systématique pour confirmer que les répartitions adéquates par spécialité seront représentées
dans les prochaines années.
En outre, il n’y pas de moyen de production systématique pour
déterminer le nombre total de médecins pratiquants et par conséquent, le nombre de stagiaires nécessaires pour les spécialités. Le
nombre de résidents permanents a chuté et le nombre de médecins
diplômés étrangers a augmenté de manière significative.
Conclusions
Suite à cette analyse, les recommandations de l’AMA concernent les sept points suivants.
● Le coût et le financement de la formation médicale : aux EtatsUnis, le coût d’une année de formation est de 125 000 francs
par an.
91
Qualité et compétence en médecine
●
●
●
●
●
●
Le changement des principes éthiques. La déontologie est le
deuxième problème à résoudre aux Etats-Unis.
Les interconnexions entre les agences gouvernementales et la formation supérieure.
Cet aspect représente un des grands défis des nouvelles réformes
médicales. La France a commencé à aborder ce problème avec
les changements successifs démarrés en 1990, poursuivis en 1996
avec les réformes Juppé et amplifiés dans les démarches actuelles.
Beaucoup reste encore à faire pour assurer les interconnexions
sont constructive et synergique.
Le droit d’exercer au niveau de chaque Etat.
Un spécialiste formé dans un Etat ne peut pas facilement exercer
dans un autre Etat. Les examens et les contrôles sont en effet différents.
Les attentes de la société en ce qui concerne la compétence des
médecins. Ces attentes doivent être étudiées.
La méthodologie pour évaluer les performances cliniques.
L’Ordre, les Unions, les sociétés savantes doivent tous collaborer
pour élaborer les référentiels de la performance clinique.
La planification à long terme sur le plan national au niveau pré médical, médical, résident et formation continue.
Il n’existe pas encore de cohésion entre tous les acteurs dans
ce schéma américain.
On peut citer le premier conseil émis à l’Ordre des médecins
par l’ancien Président d’un Collège de Médecine aux Etats-Unis,
Kenneth Ludmerer, qui constate que « si les leaders médicaux ont
le courage de faire part de leur problème de structure face à la
formation médicale, et qu’ils acceptent de lutter pour les patients
et le public, la société des patients et des professions médicales
seront alors bien récompensées de leurs efforts ».
92
Qualité et compétence en médecine
ANNEXE
Council for
Medical Affairs
Liaison
Committee on
Medical Affairs
Accreditation
Council for
Graduate
Medical
Education
Accreditation
Council for
Continuous
Medical
Education
Forum
de discussion
des problèmes
de formation
médicale
initiale
Accréditer
les formations
diplômantes
Accréditer
les programmes
de formation
médicale
spécialisée
Accréditer
les structures
de formation
médicale
continue
Représentants :
ABMS/AMA/
AHA/AAMC/
CMSS
Représentants :
AMA/AAMC/
CACMS/
Public/
Etudiants/
Federal
Représentants
ABMS/AMA/
AHA/AAMC/
CMSS/PH
Public/Fed./
RRC Council
Représentants
ABMS/AMA/
AHA/AAMC/
CMSS/FSMB
Public/Fed.
93
Qualité et compétence en médecine
Le cas du Royaume-Uni
Dr Brian KEIGHLEY
General Medical Council
Le travail accompli par le General Medical Council (GMC) en
matière d’évaluation de la compétence professionnelle des médecins
ces dernières années a suivi deux axes : l’élaboration de procédures
de performances, dans les années 90, puis la validation professionnelle, selon les critères ainsi définis.
Les missions du GMC sont : l’inscription des médecins, le
contrôle continu, et la qualité de la formation médicale universitaire. Le GMC a également défini les règles de comportement
attendues des médecins inscrits comme généralistes. Les sanctions
prises à l’égard des confrères qui transgressent ce code de conduite
vont de la mise sous condition à la suspension de l’inscription à
l’Ordre. Depuis notre création en 1858, nous pouvons agir sur
l’inscription des médecins qui commettent ce que nous appelons
une faute professionnelle.
Ce mécanisme nous permet de fixer des conditions à l’inscription d’un médecin et des limites à sa pratique. Il peut permettre
par exemple de ne pas autoriser le médecin à exercer seul. Un tel
mécanisme va dans le sens de la protection du patient.
Les maladies auxquelles nous sommes principalement
confrontés sont liées à la dépendance, soit à l’alcool, soit à la
drogue. Les procédures de santé autorisent le médecin à continuer
à exercer, tout en assurant une meilleure protection des patients.
Il y a environ dix ans de cela, nous avons réalisé que les trois
groupes que nous servons, le public, le gouvernement et la profession elle-même, ne se berçaient plus d’illusions à notre égard. En
effet, plusieurs médecins convoqués pour répondre de transgressions échappaient à des poursuites pour fautes professionnelles
graves. Ces fautes exigent en général des preuves du même ordre
que dans les affaires criminelles. Plusieurs incidents mineurs, pris
dans leur ensemble, dessinaient un schéma de comportement très
94
Qualité et compétence en médecine
insatisfaisant. Le GMC jugeait que ces médecins fautifs faisaient
du tort à la réputation de la profession et mettaient peut-être les
patients en danger. Néanmoins, la législation ne lui donnait pas le
pouvoir d’agir.
Un sentiment de frustration est né, qui a permis la mise en
place de nos procédures de performance. Désormais, nous pouvons
soumettre le médecin à une évaluation de sa pratique. Une fois la
décision de cette évaluation mise en place, nous avons élaboré des
dispositions pour assurer l’équité et l’efficacité du processus. La
participation d’acteurs n’appartenant pas à la profession nous a
semblé essentielle, pour des raisons de transparence et de responsabilité. Le GMC compte ainsi 25 membres qui ne sont pas des
médecins.
A la suite de la mise en place de ce système d’évaluation, nous
avons lancé un appel à candidatures en direction des médecins et
des personnes extérieures à la profession. A notre grand plaisir, cet
appel a été suivi de 8 000 candidatures. Une autre procédure de
sélection a été élaborée pour désigner les responsables d’évaluation,
censés encadrer des équipes de trois personnes.
Il nous a semblé important de mener l’évaluation sur le lieu
de travail du médecin, afin de connaître son environnement professionnel, étudier ses dossiers médicaux et interroger ses collègues et
ses patients. Cet aspect est très important dans la mesure où nous
avons réalisé qu’il pouvait exister une différence très nette entre les
compétences du médecin et ses performances.
L’évaluation des performances fait l’objet d’un processus quasiment judiciaire, avec des règles à respecter. Un médecin devant
être le sujet d’une procédure d’évaluation peut faire appel devant
le comité d’appel des évaluations. Si l’appel du médecin est reçu
favorablement, l’affaire est classée. Si le comité persiste à estimer
une telle évaluation nécessaire, le médecin ne dispose plus d’aucun
recours. S’il refuse de se soumettre à l’évaluation, le médecin est
convoqué devant le comité des performances professionnelles, qui
peut le radier pour refus de respecter la règle. Ce dernier comité
est également chargé de vérifier le maintien de l’inscription du
médecin si l’évaluation conclut qu’une amélioration est impossible.
95
Qualité et compétence en médecine
Ce nouveau système, mis en place après de nombreuses consultations, semble bien fonctionner. A ce jour, 80 cas ont été traités
et doivent passer devant le comité. Cet outil est beaucoup plus
sophistiqué qu’une simple procédure de conduite. Les inconvénients de cet outil résident dans l’impossibilité légale de prendre
en compte les faits antérieurs au 7 juillet 1997 et dans le coût
élevé des évaluations, qui est environ de 15 000 livres sterling.
La seconde initiative à laquelle nous travaillons, la revalidation
professionnelle, appartient au nouveau système d’évaluation des
performances. Certains médecins rencontrent sans aucun doute des
difficultés sans pour autant avoir été signalés au GMC. En outre,
le public place une très grande confiance dans le fait que les médecins sont inscrits à l’Ordre. Les médecins s’inscrivent à cet Ordre
à un stade très précoce de leur carrière. Personne ne vérifie si ces
médecins entretiennent leurs compétences et se tiennent au courant
des progrès de la médecine. Une telle inscription signifie seulement
que le GMC ne dispose d’aucune information négative relative
au médecin.
Il y a quelques années, notre Président a proposé que cet état
de fait change, grâce à la mise en place de la revalidation professionnelle. L’inscription à l’Ordre peut donc redevenir, avec un tel système, une référence positive. Ce travail ne doit pas être un doublon
du travail sur l’assurance-qualité mené par le Ministère de la Santé.
Nous avons demandé aux médecins d’établir le profil de leur
pratique locale. Cette opération doit s’effectuer avec l’aide d’un
regard externe, de façon à éviter les divergences entre les différentes
régions du Royaume-Uni. Les propositions préconisées envisagent
que les médecins constituent un dossier où ils décriront quelle est
leur pratique médicale et quelles sont leurs performances dans les
domaines décrits à l’intérieur du manuel de la profession. Ce dossier contiendra en outre la liste des facteurs s’opposant à une bonne
pratique, ainsi l’absence de contrat social ou le manque de moyens
financiers. Ce dossier sera un document dynamique, assujetti à une
évaluation annuelle. Tous les cinq ans, un processus synthétique
aboutira normalement à une réévaluation formalisée par le GMC.
96
Qualité et compétence en médecine
Si l’évaluation annuelle révèle des lacunes, des mesures collectives pourront être mises en place. Le refus de validation pour un
médecin ne sera pas assorti d’une interdiction d’exercer immédiate.
Ce refus constitue simplement la preuve que des problèmes existent
et permet l’envoi du dossier aux procédures d’évaluation susmentionnées.
Les deux dispositifs que je viens de décrire vont dans le sens
des objectifs fondamentaux du GMC. Le premier de ces objectifs
est de mieux protéger les patients des médecins dont les performances laissent à désirer. Le second de ces objectifs est de bâtir
un système de contrôle simple, équitable et efficace pour la grande
majorité des médecins britanniques dont les performances et la
conscience professionnelle n’ont jamais failli.
97
Qualité et compétence en médecine
L’acquisition et l’entretien des compétences
Table ronde
Ont participé à cette table ronde :
Dr Philippe BONET, Président de l’Union nationale des Associations
de Formation Médicale Continue (Unaformec)
Dr Louis-Jean CALLOC’H, Conseiller national
Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL, Président de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES)
Dr André JACQUES, Directeur de l’évaluation de la pratique professionnelle au Collège des médecins du Québec
Bernard JAUBERT, Consultant en ressources humaines
Dr Bertrand LUKACS, Coordinateur du Comité de terminologie à l’Association française d’urologie
Pr Jacques ROLAND, Doyen de la faculté de médecine de Nancy, Président de la Conférence des Doyens
Michelle VEDRINE, Présidente de la Commission de la Sécurité des
consommateurs
La table ronde a été animée par Philippe LEFAIT
Dr Louis-Jean CALLOC’H
Je vais vous rendre compte d’un travail élaboré hier dans un
atelier qui avait pour thème l’acquisition et l’entretien des compétences. Trois questions ont été traitées au cours de cet atelier. Ces
questions tentaient de suivre chronologiquement la carrière d’un
médecin, en se penchant sur le temps de l’acquisition, le temps de
la validation par la confrontation à la pratique quotidienne et enfin
le temps de l’accompagnement.
Comment un médecin, à partir d’un savoir acquis à l’université,
accède-t-il à la compétence professionnelle ? Il est nécessaire que
la réalite du terrain soit présent dans l’enseignement initial pratique, de façon à ce que le décalage soit moins grand dans le futur
99
Qualité et compétence en médecine
entre formation initiale et exercice professionnel. Il s’agit d’apprendre à communiquer, entre médecins mais aussi entre médecins
et patients, de manière à traiter les hommes au-delà des cas cliniques.
L’interrogation inhérente à la deuxième partie de la vie professionnelle vise à se demander comment la compétence du médecin
est reconnue par le terrain, les patients et par l’environnement
professionnel du médecin. La notion de réussite doit être dépassée,
par une approche multicritères. La réussite, loin d’être simplement
médico-sociale, est aussi intellectuelle. L’évaluation est d’abord une
autoévaluation, sur un mode participatif et non normatif. Cette
compétence croise le regard des pairs et de la population.
La dernière interrogation relative à la vie professionnelle
consiste à se demander comment accompagner l’expérience du
médecin au cours de sa carrière. Il faut savoir privilégier les bilans
individuels et volontaires de compétences et sortir de l’isolement
professionnel de chaque thérapeute. L’avenir de l’exercice médical
réside dans les filières, les réseaux et le travail en équipe. Il faut se
demander comment organiser ce partage des moyens et des savoirs
dans le but de promouvoir l’idée d’une compétence collective.
Nous avons tiré de ces réflexions la conclusion que la thésaurisation progressive des compétences représentait l’opportunité pour
l’Ordre des médecins qui en est dépositaire, d’imaginer un nouveau
discours et une nouvelle communication.
Michèle VEDRINE
Je suis présidente d’une commission intermédiaire entre les
médecins et les consommateurs. Cette commission donne des avis
aux ministres chargés de la consommation. Dans cette commission,
des drames nous sont rapportés par les consommateurs et non par
les médecins. Ces drames sont des accidents de la vie domestique
qui concentrent 8 000 morts et 800 000 blessés par an, hors accidents de la circulation. De tels problèmes pourraient être abordés
au cours de la formation initiale et de la formation continue des
médecins, au travers de la prévention. Des produits sont dangereux,
100
Qualité et compétence en médecine
et en particulier de nouveaux produits, parmi lesquels on peut
trouver des produits médicaux ou paramédicaux, ainsi le laser permettant l’épilation ou le soleil, naturel ou non. Les infections nosocomiales ressortent de la même logique. Nous devons donner un
avis concernant ces infections aux ministères dans les jours à venir.
De plus en plus, les personnes atteintes d’affections nosocomiales
effectuent des recours.
La commission de la sécurité du consommateur se place du
point de vue du consommateur. Elle tente de faire en sorte que
le malade atteint d’une affection nosocomiale prenne sa part de
responsabilité dans la lutte contre ces affections. L’hygiène dans le
cadre des hôpitaux joue également un grand rôle. Il faut faire en
sorte que la personne atteinte d’une affection nosocomiale ne se
retourne pas systématiquement contre le médecin pour obtenir une
indemnisation. Ceci passe, en partie, par une bonne information
des malades. Nous sommes à la croisée des chemins. Nous prenons
connaissance de l’émergence de nouvelles technologies, que les
médecins ne connaissent pas. Par exemple, les ophtalmologues ne
connaissent pas les lésions dues aux lasers utilisés pour pointer des
informations sur des tableaux.
Il est nécessaire de mettre en place une formation initiale sur
la prévention des risques inhérents aux produits et une formation
continue sur les conséquences de l’utilisation de ces produits. Il
convient de faire remonter l’information relative aux produits dangereux. Ceci permettra d’éviter que des produits ou des actes dangereux continuent à exister.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes rapprochés du Professeur Portos, qui se dit inquiet de l’absence de formation des
médecins dans des domaines proches de l’industrie. Aujourd’hui,
les consommateurs font de nombreux recours auprès des industriels. Demain, ils adopteront cette démarche envers les médecins.
Bernard JAUBERT
Le fait d’être extérieur à la profession médicale est presque un
avantage. J’ai l’impression, même si ce propos va sembler provocateur, qu’il faut s’excuser de ne pas être médecin. La profession a
101
Qualité et compétence en médecine
très peur d’être confrontée à elle-même, sur le thème de l’incompétence.
Dans le monde de l’entreprise, qui est le mien, la question de
la compétence est posée depuis longtemps. Les jeunes sortent de
l’école munis d’un droit à exercer un métier. Le diplôme ne constitue en effet qu’un droit potentiel. Lorsque l’on recrute une personne de 45 ans, il s’est passé beaucoup de temps et d’événements
entre le diplôme acquis et les compétences réelles. Le diplôme est
ancien. Ceci explique que la question de l’évaluation soit posée
dans les entreprises depuis longtemps. L’exemple canadien est très
important. Les Canadiens ont en effet décidé de traiter à la fois
de la compétence et de la performance.
Dans l’atelier de travail auquel nous avons assisté hier, trois
temps forts du cycle de vie avaient été choisis : l’acquisition, la
professionnalisation ou confrontation au terrain, la transmission et
peut-être la remise en cause. Dans l’entreprise, nous avons appris
à rythmer ces trois temps. Mon métier consiste à organiser dans
l’entreprise ce que l’on appelle les 360 degrés. Il s’agit d’interroger
les collaborateurs d’un cadre et de leur demander ce qu’ils pensent
de leur management. Cette démarche aurait été impensable il y a
dix ans de cela. Un véritable audit est réalisé, puisque les clients
ou les fournisseurs sont également interrogés.
Deux significations de cet audit peuvent être soulignées. Une
origine anglo-saxonne de l’audit définit l’audit comme une
démarche de contrôle et de vérification. Une origine latine de l’audit consiste simplement à « accorder audience ». Beaucoup de
médecins praticiens, isolés dans leur pratique, ont besoin d’être
audités. Un tel audit peut les aider à se regarder soi-même. Or il
n’est pas possible de se regarder soi-même si l’on n’est pas
confronté à un miroir ou à un feed-back. Cette profession doit se
demander si elle est prête à la confrontation.
Philippe LEFAIT
Que pensez-vous de la sanction positive ou négative qui serait
assortie à l’évaluation de la compétence ?
102
Qualité et compétence en médecine
Bernard JAUBERT
Le fait d’être confronté est considéré en soi comme une sanction positive par la plupart des personnes qui l’expérimentent. Le
retour sur soi, la capacité à progresser en se regardant soi-même
sont perçus comme une sanction positive, sans nécessaire incitation financière.
Certaines cultures considèrent que la seule forme de reconnaissance officielle est l’argent, ainsi la culture américaine.
Pr Jacques ROLAND
Dans cet appel à la compétence, les Facultés de médecine sont
amenées à répondre à plusieurs défis passionnants et complexes, et
qui les mettent en constant décalage temporel. Nous devrions partir en effet d’une définition, la compétence que devrait détenir le
jeune médecin qui sort actuellement des études. Mais en fait, il
faut que nous donnions les éléments qui permettent aux étudiants
actuels d’être compétents dix à quinze ans plus tard compte tenu
de la longueur des études ! Cela veut dire que notre système doit
être plus souple, perpétuellement remis en cause, et qu’il tende à
donner plus des aptitudes que des connaissances. Le défi de l’exhaustivité ne peut plus être relevé, devant des masses croissantes
de connaissances, leur labilité, leur caducité. Internet a de plus
donné des possibilités immédiates d’accéder à des banques de données, utilisées par les médecins, certes, mais aussi par les malades
et leurs associations.
Acquisition et maintien d’une compétence sont naturellement
liés. C’est dire que les études de médecine doivent être en harmonie
complète avec la formation continue. Nous invitons donc le monde
professionnel à réfléchir avec nous à la conception, aux objectifs
des études. C’est un axe de travail majeur. Il est à suivre avec les
Unions professionnelles des médecins, les sociétés savantes, et
toutes les organisations qui jouent un rôle dans la Santé.
103
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Comment est-il possible d’ouvrir ce lieu clos qu’est l’université ?
Pr Jacques ROLAND
Il existe plusieurs moyens d’engager cette ouverture. Certains,
démagogiques, font appel à la confusion des rôles ; il faut en fait
que chacun soit conscient de ses responsabilités.
Notre rôle à nous n’est pas de fixer les objectifs de la formation : c’est à la société civile et professionnelle de nous les fixer.
Pour le moment, ce n’est pas encore le cas.
Il faut aussi que l’enseignement soit ouvert sur le monde professionnel, et cela nous l’avons réussi, les enseignants de médecine
pratiquent le métier qu’ils enseignent, les étudiants passent la
majeure partie de leur temps en stages dans les hôpitaux, les médecins généralistes libéraux apportent massivement leurs concours aux
stages et à la formation théorique.
Philippe LEFAIT
Comment faire, au niveau de l’université, pour casser les
logiques de mandarinat ? Comment faire en sorte que le médecin,
quel que soit son niveau hiérarchique, soit avant tout un homme
responsable dans une société citoyenne ?
Pr Jacques ROLAND
Je n’apprécie pas le terme de mandarinat que vous employez.
Il permet de nous gratifier d’un conservatisme particulier, alors que
celui-ci est présent partout. Nous sommes nous mêmes victimes de
ce conservatisme quand nous voulons provoquer les changements
spécialement dans nos pédagogies. Hors ces pédagogies, basées sur
l’enseignement en petits groupes devraient faire accéder les étudiants aux qualités que vous évoquez...
104
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Peut-on imaginer qu’à terme, le diplôme sera remplacé par un
processus de validation permanente ?
Pr Jacques ROLAND
Ne pas donner de diplôme en fin de formation ne paraît guère
concevable. Mais doit-il nécessairement servir de permis pour la
vie ? Ce débat de la re-certification ne sera en tout cas pas éludé
par l’Université...
Philippe LEFAIT
Monsieur Bonet, quel est l’état de votre réflexion sur l’acquisition de compétences en médecine ?
Dr Philippe BONET
De façon prémonitoire et pionnière, ma structure a commencé
à réfléchir à ces questions il y a cinq ans. Plutôt que de partir de
données qu’il faut adapter à la réalité, nous avons décidé de nous
demander comment l’entretien des compétences et l’acquisition de
nouvelles compétences pouvaient se trouver en adéquation avec la
réalité du cabinet. Nous avons avant tout travaillé pour des médecins généralistes dont les exercices et les réseaux sont fort différents
les uns des autres.
Notre première démarche a consisté à dire que cette initiative
ne serait bien reçue par les professionnels que si elle était personnalisée. Nous mettons au point différents outils permettant au médecin de faire le point sur la réalité de sa pratique, sur la réalité de
son mode de fonctionnement personnel et communicationnel et
sur les domaines médicaux auxquels il est confronté dans la pratique. La formation continue doit répondre au mieux aux besoins
d’un médecin donné, tout en prenant en compte des priorités de
santé publique. Nous espérons influencer des programmes de formation continue grâce à nos indicateurs. Une formation continue
qui se respecte doit répondre à des besoins réels. D’autres organismes doivent nous aider en ce sens.
105
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Vous prononcez-vous pour une segmentation fine de la formation continue ?
Dr Philippe BONET
La personnalisation est nécessaire. Le schéma législatif actuel
est bancal. Nous voulons apporter une alternative ou une complémentarité à l’évaluation des pratiques en cabinet. L’auto-évaluation
participative s’impose. Le médecin qui sait se poser les bonnes
questions est plus compétent. L’une de nos ambitions est également de dire que les citoyens français dépensent beaucoup d’argent
pour des recommandations pratiques. Ces recommandations sont
peu lues et pratiquement pas appliquées. Un problème d’incompréhension se pose entre les auteurs de ces recommandations et les
praticiens de terrain. Une étape supplémentaire doit être accomplie.
Philippe LEFAIT
Qui peut être à l’origine de cette étape ? Un modérateur ou
un arbitre peuvent-ils jouer ce rôle ?
Dr Philippe BONET
Notre choix se porte sur les associations de FMC. Depuis 5 ans,
nous sommes ballottés entre différents textes et différentes intentions des pouvoirs publics. Les petites associations locales continuent à faire de la formation continue. Notre pari est d’amener
ces associations à s’approprier les recommandations, à les traduire
concrètement et à travailler avec les associations de familles de
patients.
Philippe LEFAIT
Qui ne lit pas ces recommandations ?
106
Qualité et compétence en médecine
Dr Philippe BONET
Je suis un grand lecteur, mais sous leur forme actuelle, elles
n’incitent pas à les lire.
Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL
Nous avons tout intérêt à voir apparaître des membres de la
société civile au sein de nos instances. Des mots qui vont se développer dans les années à venir, comme : « évaluation », « épidémiologie clinique », « rendre compte » doivent être appris dès le plus
jeune âge. Deux facettes coexistent dans la médecine. La première
ne doit pas être sous-estimée : il faut toujours davantage de science.
La science évolue, le savoir et utilisation doit donc évoluer au
même rythme.
La deuxième facette réside dans le fait qu’un médecin doit
détenir un certain charisme relationnel. Il doit être naturel mais
aussi appris par l’apport de connaissances venant des sciences
sociales. En effet, soigner signifie guérir, mais aussi prédire et prévenir. Dans ces conditions, le charisme des médecins doit être
reconnu. Même si nous rendons plus de service que l’on ne le dit,
nous avons été élevés sur le modèle « je le pansai, Dieu le guérit »,
développé par Ambroise Paré dès le XVIe siècle. Nous étions isolés,
empiriques, persuadés que la maladie était une punition. Le « pansai » a été transformé par le progrès scientifique. Le progrès médical
vit avec deux mentalités différentes, la pensée scientifique et la
pensée mythique. Le doute permanent de la profession médicale
réside dans le fait que le savoir scientifique ne suffit pas toujours.
La pensée mythique a suffi pendant des siècles à calmer l’angoisse
de la mort, en apportant des solutions dirigées par des croyances.
La pensée scientifique permet de répondre à certaines des sollicitations qui sont posées. La pensée mythique peut se révéler plus
adroite à gérer l’angoisse de la mort et de la maladie grave.
107
Qualité et compétence en médecine
Dr Bertrand LUKACS
Nous pensons que l’Association française d’urologie a une triple
mission : assurer la formation, participer à l’évaluation de la qualité
des pratiques et au développement coordonné de la recherche en
urologie. L’AFU a été créée en 1896 par Félix Guillon. En 1985,
elle a connu un changement de structure. Depuis cette date en
effet, le Conseil d’Administration est élu démocratiquement par
l’ensemble des membres, et ce, quel que soit leur mode d’exercice.
L’AFU est donc une société savante très légitime.
Pour la formation initiale des urologues, l’AFU travaille en
étroite collaboration avec le Collège français des urologues. Ce Collège est une association loi 1901 qui fonctionne comme un comité
de l’AFU. C’est le Collège d’urologie qui organise l’enseignement
initial. Cet enseignement est théorique et national. Il est ouvert à
tous les chefs et les internes se destinant à l’urologie. Il est modulaire, dynamique et interactif. Il associe des universitaires et des
urologues de terrain. Ce programme d’enseignement s’inscrit dans
un programme d’accréditation des services et des programmes formateurs. Une telle démarche s’insère dans un cadre européen, à
travers « l’European Board of Urology ». Des liens très étroits ont
également été tissés avec l’association d’urologie du Québec. Notre
revue scientifique est d’ailleurs une revue franco-québécoise.
Pour la FMC, l’AFU coordonne un certain nombre de programme, par le comité de FMC en collaboration avec les différents
comités scientifiques.
Pour la FMC, nous avons deux objectifs principaux : les urologues, bien sur, mais aussi les médecins généralistes : certains des
domaines qui nous intéressent se trouvent en interface forte avec
le domaine des médecins généralistes, comme les troubles mictionnels chez l’homme, le cancer de la prostate ou l’incontinence et
l’AFU conçoit des « KIT » de FMC pour permettre aux urologues
d’animer des EPU avec les médecins généralistes.
Pour la FMC, nous pensons que les nouvelles technologies
d’internet ont un rôle clé à jouer en tant que facilitateur, pour
mieux échanger, communiquer et nous former. Internet, par le
108
Qualité et compétence en médecine
biais de notre site Urofrance nous a donné l’opportunité de permettre à chaque urologue de trouver l’information scientifique
dont il a besoin, quand il en a besoin, de développer une interactivité entre collègues et de casser une pyramide uniquement centrée
sur l’université.
Evaluation de la qualité des pratiques :
Si l’on veut améliorer la pratique quotidienne de la médecine,
il faut d’abord apprendre à bien décrire sa pratique. Ceci permet
ensuite de pouvoir comparer sa propre pratique à celle de ses pairs
et à des références de bonne pratique. C’est par ce cercle qu’il
semble possible d’améliorer de façon itérative la qualité de la pratique.
Depuis 10 ans, l’AFU est structurée par des comités scientifiques. Un comité transversal, le Comité de terminologie et des
systèmes d’information, a pour rôle de définir et de mettre en place
des outils permettant une bonne description de notre pratique et
la mise en œuvre d’une démarche qualité.
Nous avons commencé par construire un thésaurus permettant
de bien décrire la pratique. Nous jugions en effet que la classification internationale des maladies était insuffisante. Nous avons créé
un enrichissement de cette CIM 10, qui a été validé par le pôle
d’expertise et de recherche national en nomenclature de santé
(PERNNS).
Après la mise en place de ce thésaurus, nous avons élaboré des
guides de codage pour expliquer comment bien coder. Le cursus
universitaire de la médecine ne contient pas un seul cours relatif
aux descriptions de pratiques : il existe des règles, il faut les
connaître et les comprendre pour coder de façon fiable, reproductible et comparable. Puis régulièrement, nous organisons des réunions provinciales pour présenter ces guides, expliquer les règles.
Ces réunions associent les urologues hospitaliers et privés ainsi que
les responsables des départements d’information des établissements
publics et privés. Enfin, un « SOS codage » se trouve sur notre site
Internet et répond à toutes les questions.
109
Qualité et compétence en médecine
Parallèlement à cet apprentissage, les comités scientifiques, en
coopération avec l’ANAES, définissent des recommandations de
bonne pratique. A partir de ces recommandations, nous choisissons
quelques informations « marqueuses » qui vont être inclues dans
notre système d’information, dans le but de vérifier si ces recommandations sont suivies ou non.
Cette démarche ne peut être mise en œuvre sans l’appui d’un
système d’information approprié. Pour nous, urologues, la mise en
place du PMSI dans les établissement privés et public est considéré
comme un progrès même s’il présente encore de fortes lacunes.
Autour de toute l’infrastructure mise en place dans les établissement pour le PMSI, nous avons développé un système d’information complémentaire : BASAFU. BASAFU est plus riche que le
PMSI : il couvre les hospitalisations mais aussi les consultations
externes, ce qui est très important pour nous, et intègre des informations permettant de juger de la qualité des pratiques.
Une telle démarche s’appuie sur le volontariat et doit permettre
à chaque urologue y participant d’avoir, en retour, des informations qui lui sont parlantes et utiles. Nous avons créé un DIM
AFU permettant, à partir de ces données, de construire des profils
de pratiques, permettant à chacun de comparer sa pratique avec
celle de ses paires et aux références. Grâce à ce système, chacun
peut prendre conscience de ses limites et de ses retards et avoir
accès à une formation médicale continue centrée sur ces problèmes.
Toute cette démarche a pour but d’inciter, de façon positive,
au développement de l’autoévaluation. Ce dispositif est important
pour l’AFU. Les associations telle que l’AFU doivent pouvoir se
faire une idée du champ de leur pratique. Ce dispositif doit également servir aux comités scientifiques pour leur permettre de savoir
si leurs recommandations sont suivies.
Le rôle de l’AFU comme force de proposition sur l’évolution
du métier d’urologue peut de cette manière être renforcé et son
expertise peut être reconnue à un niveau national.
110
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Vous considérez-vous comme des précurseurs ?
Dr Bertrand LUKACS
Nous pensons que cette démarche fait partie de notre métier.
Philippe LEFAIT
Combien y a-t-il de volontaires dans ce dispositif ?
Dr Bertrand LUKACS
Il y a deux ans, nous avons réalisé une enquête pour étudier
la faisabilité de notre projet au niveau des résumés envoyés de
façon volontaire à l’AFU. Nous partions de l’idée de recevoir environ 1 000 résumés. En réalité, nous en avons reçu 90 000. Nous
avons, sur la base du volontariat, constitué la plus grosse base de
données d’informations européenne. Nous sommes environ 1 200
urologues en France, et l’AFU en regroupe les trois quarts.
Philippe LEFAIT
Quelles sont vos autres sources d’information ?
Dr Bertrand LUKACS
Il me faut rendre hommage ici au Professeur Buzelin, de
Nantes, qui a réalisé un travail considérable de sélection, dans les
documents français et internationaux, de tous les articles à qualité
scientifique. Le Professeur Buzelin a en outre créé un système d’indexation pour faciliter l’accès à cette sélection.
Urofrance est le premier média lié à l’urologie lu en France. Il
n’est pas lu seulement en France : la moitié des consultations sont
extra-territoriales et viennent du Canada, de l’Afrique ou encore
du Vietnam. Nous relevons 4 à 5 000 connexions par mois.
111
Qualité et compétence en médecine
Dr André JACQUES
Quel est le rôle d’un ordre professionnel dans le maintien de
la compétence ? En tant qu’ordre professionnel, l’on doit pouvoir
s’assurer que le produit qui sort de la faculté est compétent. La
même question s’était probablement posée au Collège des médecins
du Québec, fondé en 1847. Le Collège des médecins québécois
intervient en effet pour vérifier que le produit médecin est de
bonne qualité. Les médecins doivent subir un examen de médecine
générale et un examen de spécialité, et ce pour s’assurer qu’il
répond bien aux besoins de la population.
L’examen terminal, qui doit donner le permis d’exercer, est un
examen qui dure trois jours et où sont vérifiées les connaissances,
les aptitudes et les habilités. De ce fait, si le médecin n’a pas d’aptitudes en matières de communication, il n’obtient pas son permis
d’exercer. En effet, les aptitudes relationnelles s’apprennent : on
peut apprendre à parler, à écouter et à réagir. Cela s’enseigne dans
les écoles de médecine. Lorsque le médecin arrive sur le terrain, il
doit savoir comment réagir.
L’acquisition des compétences fait donc partie du rôle d’un
ordre professionnel. Pour ce qui concerne le maintien des compétences, notre modèle québécois a pu vous être expliqué plus haut.
Notre modèle consiste à améliorer les médecins avant qu’ils ne
tombent entre les mains d’avocats. Cette action ne se fait pas seulement au niveau de l’ordre professionnel : des partenariats sont créés
avec les universités, les syndicats et avec un organisme qui existe
depuis 25 ans, le Conseil de l’Education médicale continue du
Québec, qui organise des formations spécialisées à partir des
besoins déterminés par l’ordre des médecins. Je précise au passage
être opposé à la formation continue obligatoire. A mon sens, ce
système n’est pas utile et ne fait qu’ajouter des lourdeurs administratives au système actuel.
Philippe LEFAIT
Comment se passe une évaluation au Québec ?
112
Qualité et compétence en médecine
Dr André JACQUES
Le médecin est avisé quelques mois à l’avance du fait qu’il va
être évalué. En général, l’annonce de cette visite amène un certain
changement. Un inspecteur enquêteur, rémunéré par les membres
de l’Ordre des médecins, se déplace jusqu’au cabinet du médecin
et vérifie certaines informations au vu de critères de performance
dont nous disposons déjà sur le médecin en question. Une autre
méthode consiste à vérifier sur place, dans une cinquantaine de
dossiers, l’application de la norme scientifique reconnue. L’inspecteur enquêteur est un expert de processus et de contenus. L’évaluation à laquelle il parvient est soumise à un comité de pairs qui
doivent trouver la meilleure solution dans l’optique de corriger ou
d’aider ce médecin.
Philippe LEFAIT
Pourquoi vous prononcez-vous contre la formation continue
obligatoire ?
Dr André JACQUES
Le mot « obligatoire » me gêne. La formation continue obligatoire n’est qu’un processus bureaucratique qui n’a rien à voir avec
la compétence.
Pr Bernard GLORION
Monsieur Luckas a dit des choses fondamentales. La création
des collèges professionnels représente une innovation en France.
Désormais, toutes les spécialités chirurgicales possèdent leur propre
collège. Les urologues disposent d’une technique d’évaluation. La
totalité de la profession est concernée par cette évaluation, qui est
une évaluation par métier. Je souhaite que cette innovation soit
pris en compte par les pouvoirs publics.
113
Qualité et compétence en médecine
De la salle
Il est important que la profession puisse mettre en place son
propre système d’évaluation. Le savoir médical est un élément
indispensable. L’adéquation avec le patient ou avec le public a
également une certaine importance. Qu’en est-il lorsque l’on sort
du fonctionnement médical propre et que l’on s’adresse à des problématiques particulières ? Dans ce cadre, le travail en partenariat
nécessite de s’associer avec des personnes qui ne sont pas médecins.
Comment, dès lors, permettre une inscription dans une démarche
interactive ? Peut-on faire appel aux organismes de formation
continue que vous représentez ? La formation intramédicale est une
valeur sûre : il faut la développer. Néanmoins, nous devons nous
situer au-delà de cette démarche, dans le rapport avec autrui.
Dr Philippe BONET
Nous travaillons depuis plusieurs années déjà avec des patients
ou des associations de patients. Le problème qui se pose à moi,
en tant que responsable national d’un ensemble d’associations de
formation continue, est d’identifier les bons interlocuteurs, en
termes de structures représentant les patients.
Mon ambition est d’anticiper et de permettre à notre société
d’évoluer au mieux. Nous ne pouvons nous contenter d’expériences ponctuelles.
Nous souhaitons développer notre présence sur tous les points
du territoire et mettre en place des réseaux de soins coordonnés.
Le développement des complémentarités des différents intervenants
constitue un apprentissage extraordinaire. A l’Unaformec, nous
sommes très conscients du fait que cette dimension est inévitable.
Nous la souhaitons. Peut-être ne le faisons-nous pas suffisamment savoir.
Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL
La question de l’évolution de la pratique médicale est en jeu.
Nous avons besoin d’apprendre aux plus jeunes d’entre nous que
ce métier est un métier de transversalité et non de disciplines cloi-
114
Qualité et compétence en médecine
sonnées. Nous devons savoir travailler en réseau. Un certain
nombre de pathologies ne peuvent se traiter qu’en réseau. De surcroît, ce n’est pas parce que la transversalité est en place que le
concept d’évaluation ne doit pas être la base de cette transversalité.
Michèle VEDRINE
Internet devrait faire évoluer notre profession radicalement. Les
patients ont par ce biais la possibilité de mieux connaître leurs
pathologies et les opérations auxquelles ils sont exposés. S’ils estiment ensuite que leur médecin leur donne des indications trop
vagues, ils peuvent changer de médecin. Ils pourront même porter
plainte de façon plus argumentée.
Une autre évolution de la médecine est liée à la société. A
titre d’exemple, le problème de l’anorexie mentale était jusqu’alors
considéré comme un problème exclusivement médical. Il devient
social par le fait qu’un grand magazine féminin a pris la décision
de ne plus publier de photographies de top-modèles trop maigres.
Ce type d’interaction est souhaitable.
Nous devons comparer la démarche des médecins à la
démarche industrielle. Les industriels ont des textes ainsi qu’une
directive générale de sécurité qui leur ordonne de réaliser des teststypes. Dans certains cas, les industriels ont pu se regrouper pour
mettre au point des normes auxquelles ils acceptent de se conformer. Cela leur donne des garanties. Ces normes relèvent d’un
comportement volontaire. Elles donnent des garanties au consommateur.
Les industriels de la montagne par exemple étaient convaincus
du peu de dangerosité de la pratique du ski. De nombreux accidents de ski se produisent chaque année, dont beaucoup touchent
la tête. Lorsque la commission de la sécurité des consommateurs
a voulu préparer une campagne de prévention des accidents à la
tête chez les enfants en recommandant le port du casque, la plupart
des professionnels de la montagne ont indiqué que le ski n’était
pas une activité dangereuse. Il a fallu mettre en commun l’ensemble des informations. Une démarche générale des professionnels
115
Qualité et compétence en médecine
a montré que ce domaine pouvait évoluer. L’année dernière
presque, tous les enfants ont porté des casques. Très peu d’accidents graves sont survenus. C’est un progrès de prévention incontestable.
Nous tentons de mettre en place la même démarche pour les
piscines. Le LNE (Laboratoire National d’Essai) nous a aidés dans
ce cadre à étudier les comportements de l’enfant face à une piscine
et face à la barrière d’une piscine. Cela nous a permis de constater
qu’un enfant de deux ans était capable de faire beaucoup de choses,
mais pas de la même manière qu’un adulte et que des techniques
spécifiques devaient être mises en place pour sa sécurité basées sur
la maturité psychomotrice d’un enfant.
La démarche volontaire d’un fabricant est positive et n’entraîne
pas de sanctions. Cette démarche pourrait être utilisée dans le
milieu médical pour développer la prévention.
Dr Bertrand LUKACS
L’impact de la technologie Internet est très important. Il bouleverse les relations entre le citoyen et le milieu médical. Aux EtatsUnis, le secteur qui a été le plus bouleversé par l’arrivée d’Internet
est précisément le monde de la santé. Nous ne devons pas craindre
ce bouleversement en France, mais nous y préparer.
De la salle
Attendez-vous quelque chose du législateur en matière de
contrôle de la qualité ?
Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL
Les ordonnances de 1996 ont constitué un moment très fort
pour le législateur. Il a cru résoudre les problèmes de maîtrise
comptable de la médecine et a en fait permis, le développement
d’une culture nouvelle, celle de l’évaluation des structures, des pratiques des praticiens à la maîtrise culturelle en mettant en place
l’évaluation. Je demande au législateur une impulsion forte à ce
116
Qualité et compétence en médecine
mouvement qui se passe dans le monde de la santé. Il doit poursuivre dans cette direction, faciliter les actions qui rendent les professionnels participants à ce nouveau mouvement culturel.
Dr Bertrand LUKACS
Nous ne pensons pas que des directives seulement normatives
auront un impact. Nous devons mettre en place des incitations
fortes pour développer des démarches telles que la nôtre. Nous
demandons simplement des moyens. Tout ce que fait l’AFU, à
titre d’exemple, est réglé sur fonds propres. Nous n’avons aucune
ligne budgétaire fléchée. Si nous faisions appel à l’industrie pharmaceutique, cela serait considéré comme un scandale. Il n’existe
pas de structure adaptée pour ceux qui souhaitent développer des
démarches de qualité.
De la salle
Je suis gynécologue. Il y a trois ans de cela, avec trois autres
gynécologues, nous avons mis en place une formation médicale
continue pour les généralistes. Cela fonctionnait très bien. Aujourd’hui, de nombreuses petites associations de formation continue
voient leur nombre de participants diminuer régulièrement. Après
avoir suivi des formations par crainte de sanctions, les médecins
ont abandonné ces formations.
Pr Bernard GLORION
Je précise, suite à l’intervention de mon collègue québécois,
que nous avons changé d’optique en matière de formation continue
obligatoire. Chacun s’est vite aperçu que l’idée de quota d’heure
ne servait à rien. Actuellement, dans le projet de loi qui se prépare,
il est simplement question de l’évaluation des pratiques. La formation continue doit être obligatoire sous cet aspect. Les médecins
doivent pouvoir attester du fait qu’ils ont été l’objet d’une évaluation.
117
Qualité et compétence en médecine
Pr Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL
Dans la langue latine, le mot « obligatoire » peut avoir plusieurs
acceptions. On peut s’obliger à être volontaire. Si nous réussissons
la formation initiale des médecins, ils en feront une obligation.
Le monde médical doit apprendre l’audit clinique et le regard de
l’extérieur. Le fait de rendre cette notion obligatoire va contre la
culture.
Dr André JACQUES
Nous n’évaluons pas les pratiques professionnelles de tous les
médecins. Cela n’est pas nécessaire. On estime entre 2 % et 3 % le
taux des médecins québécois en difficulté, concernés par le niveau 3
du système. Si on rendait obligatoire un système de formation
continue ou d’évaluation des pratiques professionnelles, ce serait
un système très important, pour aider finalement une minorité
de médecins.
Michèle VEDRINE
A propos de l’évaluation faite par les patients, un certain
nombre de démarches existent, par exemple sur la cataracte. Il est
évident que les patients actuellement observent la façon dont on
opère la cataracte ou la vésicule biliaire. Sur Internet ou ailleurs, ils
apprennent qu’il existe plusieurs façons d’opérer. Ils exigent donc la
moins chère, la moins douloureuse, la plus efficace, la plus rapide,
et choisissent leur praticien en fonction de ce critère. Je crois qu’il
y aura une forte poussée des consommateurs. Ce comportement ira
très vite. Il faut y prendre garde si les médecins et les responsables
d’établissements médicaux de veulent pas dans quelques années être
dépassés par leurs clients consommateurs.
De la salle
Je voudrais intervenir au sujet de l’intervention du législateur
dans l’évaluation. Dans un seul exposé ce matin, il a été fait mention du coût de l’évaluation. La question de savoir qui paiera et
118
Qualité et compétence en médecine
comment, est fondamentale. En France, c’est probablement les
Unions régionales des médecins qui paieront. Mais leur budget estil suffisant et le législateur a peut-être, là, un rôle à jouer.
Deuxièmement, Madame Védrine, je crois que l’avenir est à
Internet. Mais Internet est un média de riches et d’intellectuels. Je
travaille dans une banlieue pauvre, où les gens n’ont pas accès à
Internet. La qualité de l’information qu’on leur apporte est celle
des médecins et pas celle d’Internet.
Michèle VEDRINE
A la Commission de la sécurité des consommateurs, 95 % des
lettres que nous recevons proviennent d’analphabètes, quand elles
ne sont pas écrites par des écrivains publics. Je crois que dans ce
domaine, j’en sais pas mal.
Dr Bertrand LUKACS
Je dirai que ceci est un faux débat. Sur le site d’Urofrance,
nous avons des demandes d’avis d’urologues nigériens, vietnamiens,
de Patagonie. Leur environnement est isolé. Ils ont un ordinateur.
Mais je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il s’agit d’une « médecine
de riches ».
Philippe LEFAIT
Au Québec, qui paye pour l’évaluation de la compétence des
médecins ?
Dr André JACQUES
Au Québec, l’évaluation professionnelle est payée par les
membres du Collège des Médecins, à travers leur cotisation. La
qualité a un prix, mais de grandes études ont montré que la nonqualité coûte encore plus cher. D’autre part, je n’aimerais pas, personnellement, que ce soit le gouvernement qui paye pour l’évaluation des pratiques professionnelles, puisque celui qui paye a le
119
Qualité et compétence en médecine
pouvoir aussi de décider et de contrôler. J’aime donc mieux que
ce soit mon ordre professionnel, ou mieux encore une association
professionnelle qui s’occupe de cela.
Philipe LEFAIT
En France, a-t-on une réflexion dans cette direction ?
Pr Bernard GLORION
L’Ordre est régi par les textes officiels. Si l’on confie à l’Ordre
la responsabilité de procéder aux évaluations dans les mêmes modalités qu’au Québec, le financement de l’évaluation sera nécessairement issu des cotisations.
Dr Louis-Jean CALLOC’H
Je clôturerai cette table ronde par ces réflexions.
L’émergence de l’expression d’un patient, qui est un consommateur informé. Cette information motive au niveau de la compétence et aussi au niveau de la micro et macro-économie ou
économie de santé.
Les mots d’évaluation ont été plusieurs fois cités, mais c’est
aussi, au niveau de l’université, un partenariat nouveau, un défi
nouveau à relever, l’entrée dans le champ de l’université de nouveaux professionnels, ou de formation médicale continue plus
ouverte. Se fait jour l’obligation d’une nouvelle pédagogie avec le
recours à des collèges, associations locales de formation continue.
Des études restent à faire sur le rôle d’Internet qui informe tout
le monde, en bien comme en mal. Alors que l’on irait vers une
normalisation globalisante avec Internet, il faut revenir au bilan
individuel qui permettrait des relations plus incitatives que sanctionnantes (à l’image de nos amis canadiens). Nous sommes tous
des professionnels et l’émergence d’une compétence ouverte vers
des savoirs nouveaux de prévention, permettrait une redéfinition
de l’épidémiologie en santé. L’Ordre est tout à fait habilité à entreprendre ce genre de démarche.
120
Qualité et compétence en médecine
Enfin, je me permets de penser que les troisièmes cycles pourraient être l’espace d’un partenariat futur de compagnonnage,
« donnant-donnant », entre les anciens expérimentés et les jeunes
en stages. Et pour reprendre les propos de nos collègues canadiens,
rien ne doit être incitatif, mais participatif.
121
Qualité et compétence en médecine
La mesure de la qualité de l’exercice professionnel
et l’évaluation des compétences
Table ronde
Ont participé à cette table ronde :
Eric AVRIL, Secrétaire général de l’association Force Ouvrière des
Consommateurs AFOC
Dr Etienne DUSEHU, Conseiller national
Dr Pierre FENDER, Caisse nationale d’Assurance Maladie
Dr Yves GERVAIS, MG FORM
Nadine JOLIS, Directeur des ressources humaines de la Caisse
d’Epargne Languedoc Roussillon
Pr Alain LEDUC, Doyen de la faculté de médecine de Lariboisière
Saint-Louis
Pr Yves MATILLON, Directeur de l’ANAES
Dr Jean-Michel THURIN, Président de la Fédération des Sociétés nationales de spécialités médicales
La table ronde a été animée par Philippe LEFAIT
Dr Etienne DUSEHU
Au terme des réunions préparatoires à ce colloque, le Conseil
national propose une lecture en six points de la méthode d’évaluation des compétences.
● L’étalonnage
Pour mesurer, nous aurons besoin de références. L’objet de l’évaluation sera sélectionné soit selon le tronc commun des pratiques
transversales du groupe de médecins que l’on souhaite évaluer,
soit selon le degré d’urgence des problèmes à traiter. Une problématique adjacente déterminante est celle des interfaces, car la
médecine aujourd’hui est souvent une pratique de groupe. Même
le médecin généraliste dans son cabinet a recours au laboratoire,
à la radiologie, aux spécialistes, et aux services sociaux. Et l’effica-
123
Qualité et compétence en médecine
●
●
●
●
cité de ce système ne réside pas uniquement sur l’efficacité de
chaque acteur, mais sur le degré de cohérence entre ces acteurs.
Le champ d’observation
Quand on parle d’évaluation en termes de performance, on ne
parle pas de résultat, mais de savoir-faire du professionnel sur
l’ensemble du processus. Ce que demande un patient, c’est l’efficacité de la globalité du système de santé. L’observation doit
donc se placer du point de vue du patient.
Faut-il évaluer ?
Unanimement, nous répondons qu’il faut évaluer. Les raisons
en sont la qualité, mais aussi le soutien, l’accompagnement du
professionnel, parce que tout le monde tire un bénéfice à l’amélioration globale du système. En outre, l’évaluation permet aux
patients de gagner en confiance vis-à-vis du système de santé.
Qui évalue ?
Deux types d’évaluation sont possibles : l’évaluation interne, qui
comprend l’évaluation par les confrères et l’auto-évaluation, et
l’évaluation externe, effectuée par les tiers et notamment patients.
Cette dernière est importante, mais il faut savoir que les patients
ne sont pas toujours les meilleurs juges des prestations de leurs
médecins.
Dans le système d’évaluation interne, deux composantes sont
analysées : le processus et le contenu. Il ne doit pas y avoir de
sanctionnant et de sanctionné dans ce système, chacun à tour de
rôle doit participer au fonctionnement du processus, être évaluateur et évalué.
L’auto-évaluation est un domaine essentiel. Son utilité opérationnelle est indiscutable. Spontanément, le médecin semble ne pas
avoir le temps, du fait de sa charge de travail, souvent difficile
à planifier. Pourtant, l’auto-portait de pratique, ou l’envoi d’une
lettre indiquant que le médecin sera l’objet d’une évaluation
constituent des incitatifs à faire cette auto-évaluation.
Comment, avec quel outil ?
L’objectif n’est pas de repérer les déviants, mais d’améliorer la
pratique collective. Elle n’empêche pas de repérer les médecins
124
Qualité et compétence en médecine
●
en difficulté ; elle permet la prise en charge de la performance
par les professionnels.
Les outils sont nombreux. L’évaluation sur le site d’exercice
semble être le plus efficace, d’après l’expérience.
Quelle reconnaissance ?
La reconnaissance financière est un élément déterminant. Mais
on sait que les médecins fonctionnent aussi sur les valeurs. On
peut imaginer de nouveaux modes de récompenses, fondés sur
la reconnaissance.
Philippe LEFAIT
Eric Avril, vous êtes le destinataire des processus d’évaluation
des médecins.
Eric AVRIL
Les réformes actuelles sont effectuées au nom du consommateur ou du patient, sans tellement le consulter. Nous avons de plus
en plus de plaintes et de réclamations, concernant non seulement
la qualité mais la sécurité. On nous demande d’être le guide de
bonnes adresses pour des opérations. Je vous confirme que la
confiance vis-à-vis des autorités de régulation n’est pas la pratique.
D’où le nomadisme, la résistance à la carte Vitale, et des judiciarisations de plus en plus fréquentes. On a quitté un monde assez
structuré, pour un monde où l’Etat n’est plus l’arbitre, avec une
crise sanitaire qui laisse des traces importantes dans l’opinion
publique : l’amiante, l’hormone de croissance, le sang.
Les consommateurs et les patients sont à la recherche de l’information pour devenir des partenaires, coacteurs de leur santé. Lorsque nous analysons les dossiers, nous découvrons que si le patient
avait eu l’information dès le départ, il ne se serait jamais engagé.
L’obligation générale de sécurité. Les directives ont des impacts sur
le droit national, et nous sommes dans une nouvelle approche où
il faudra prouver que vous avez agi en bon professionnel.
Les consommateurs préfèrent l’engagement des médecins à la
constitution de chartes. L’engagement est une démarche volontaire,
125
Qualité et compétence en médecine
et nous avons obtenu que le législateur puisse modifier l’état de
l’instrumentation légale. En 1978, les premières grandes lois de
consommation ont précisé que l’on pouvait certifier les produits
industriels. Nous avons dû attendre 1995 pour avoir la mutation
sur les services qui représentent 70 % du produit intérieur brut. A
présent, le décret du 30 mars 1995 dit que l’on peut certifier les
services, par la définition d’un cahier des charges impliquant tous
les acteurs. Le contrôleur n’est pas l’Etat, mais une entreprise
spécialisée que l’on appelle certificateur. Ce n’est pas une autoproclamation.
Lorsque nous avons commencé à discuter avec la profession du
déménagement à l’AFNOR pour mettre en place la première
norme sur le déménagement, cela a pris quatre ans. La première
norme est passée et les entreprises sont les premières demandeuses.
Dans le monde médical, le médecin est le premier portail d’une
ingénierie de métier. Le consommateur demande d’avoir toute
l’information. Nous sommes d’accord pour continuer dans cette
démarche entreprise, de transparence des honoraires.
Philippe LEFAIT
Nous comprenons que la demande est loin d’être satisfaite.
Pr Alain LEDUC
Je m’exprimerais en tant que chef d’un service de chirurgie au
sein d’une structure hospitalière d’assistance publique. Il est normal
que le consommateur soit parfaitement informé. Donc des personnes vont se charger de lui donner des informations. Pour l’instant, les structures chargées de donner des informations sur la
qualité des services de chirurgie ou de médecine à l’intérieur des
hôpitaux et des cliniques sont très mal identifiées. On sait tous
que l’article Science et Avenir par deux journalistes. Fait une chose
à la fois louable et condamnable. Se sont servi d’un instrument
purement quantitatif : le MSI, pour en faire un instrument de
jugement qualitatif et un classement. Ceci ne doit plus être reproduit. Cet outil n’avait jamais été conçu pour la qualité.
126
Qualité et compétence en médecine
Le consommateur a le droit d’être informé. Qui va l’informer ?
Si on multiplie les structures chargées d’informer, presse, organismes privés, ANAES, nous risquons de générer du désordre et
l’évaluation sera très mal partie.
Philippe LEFAIT
Comment avez-vous le temps et l’organisation pour être à
l’écoute du patient ?
Pr Alain LEDUC
Je crois qu’il n’y a pas besoin de passer des décrets pour que
l’information soit transmise aux patients. Il suffit que les chefs de
service et leurs assistants donnent l’exemple de l’information. Il
faut que dans les conseils de service, nous faisions passer ce message
et que l’information soit la même donnée par le médecin et les
infirmières. C’est une question de culture interne. Je crois qu’aucun
décret ne pourra greffer cet état d’esprit dans un hôpital.
Cet état d’esprit se transmet très bien. Les promotions de
jeunes chirurgiens et de médecins qui arrivent maintenant à maturité ont déjà compris qu’il fallait informer les consommateurs et
tenir compte de leurs désirs légitimes. Il est vrai que lorsque je
débutais, j’ai vu beaucoup de chefs de service couper court aux
questions des patients.
Philippe LEFAIT
Donner de l’information est un sens de l’information. Ecouter
est un autre sens. Comment vous donnez-vous les moyens d’écouter les patients ?
Pr Alain LEDUC
Tout dépend de l’activité de consultation. Il faut savoir cibler
les patients qui ont besoin d’écoute et passer vite sur ceux qui n’en
auraient pas besoin. Le comportement psychologique des patients
fait que celui qui n’a aucun problème de santé va vous retenir,
127
Qualité et compétence en médecine
tandis que l’autre, bloqué par l’angoisse, ne va pas vous poser de
question. Là, je pense que c’est l’expérience qui doit jouer. Mais
la culture de l’information est à présent reconnue par tous et je
crois que c’est un travail très artisanal.
Philippe LEFAIT
A l’ANAES, comment entend-on les propos d’Eric Avril ?
Pr Yves MATILLON
L’ANAES les entend très bien. Concrètement, dans les représentants de l’ANAES, il y a des représentants de consommateurs.
Je fais la différence entre le moment où ils sont arrivés et la période
où ils étaient absents. Monsieur Guiraud-Chaumeil tout à l’heure
a dit que nous souhaiterions que les consommateurs soient plus
officiellement associés aux instances.
En pratique, on a commencé à les associer à l’élaboration de
référentiels. On voudrait renforcer ces liens. Le problème est d’ailleurs de savoir qui les représente. Nous essayons d’être le plus
ouverts possibles à cette écoute, parce que nous en tirons toujours
un bénéfice, de la même manière que l’on tire toujours bénéfice
d’échanger avec l’autre en général sur des problèmes complexes. Le
consommateur et la compétence : on préfère solliciter la personne
qui est bien formée, qui suit une formation continue, évalue ses
pratiques et a le sens de ses limites.
J’en viens aux rôles des acteurs. C’est un métier particulier que
d’évaluer des pratiques. Beaucoup de gens sont investis dans la
formation commerciale continue. Il y a donc des instances qui
font fonctionner le système. Ces résultats positifs de l’information
doivent être partagés pour redonner confiance aux personnes qui
veulent se faire soigner.
La compétence : certains acteurs ont une légitimité. Les ordres
professionnels ont une responsabilité et l’université a une responsabilité. Que ces acteurs renforcent la qualité des mécanismes mis
en œuvre et qu’ils le fassent savoir. De ce partage naîtra une dynamique sur la manière de gérer ces compétences.
128
Qualité et compétence en médecine
Chaque institution a des responsabilités. Qu’elle les assume
avec une interface claire. Et je pense que l’on pourra être optimiste
pour l’avenir.
Philippe LEFAIT
Selon vous, y a-t-il une limite à l’intervention du consommateur/patient dans le système d’évaluation des compétences ? A
priori, le consommateur a peu accès à des questions d’ordre scientifique, et plus à des questions d’ordre relationnel.
Pr Yves MATILLON
Il faudrait au moins qu’il soit écouté sur les problèmes relationnels.
Philippe LEFAIT
Merci de votre franchise.
Dr Jean-Michel THURIN
Le problème est que nous mettons au même niveau des questions d’ordre totalement différent. Il me semble que nous confondons ce qui est un moyen avec un but. La formation du patient
est un fait. Le patient est devenu acteur et demandeur d’information, tant sur la formation du médecin que sur son état. Tout cet
échange d’informations fait partie intégrante des soins. Ce n’est
pas l’information en soi qui compte, mais la mise en place d’un
partenariat avec le patient, que l’on appelle une alliance thérapeutique. C’est ainsi que l’on obtient une meilleure qualité des soins
et de meilleurs résultats.
De même, sur le plan institutionnel, les Sociétés nationales de
Spécialités médicales ont acquis le fait qu’il fallait apprendre à travailler avec les patients, avec une certaine inquiétude vis-à-vis de
la transparence de l’information. Mais il est acquis que les médecins doivent expliquer ce qu’ils font, et ce fait aura des implications
importantes, y compris scientifiques.
129
Qualité et compétence en médecine
Troisièmement, je voudrais revenir sur l’usage qui est fait par
les patients d’Internet. Très souvent, les patients posent des questions de base. Leur comportement est, pour nous, un enseignement. Internet nous invite à exploiter les possibilités nouvelles
d’interface avec les patients. Les Sociétés nationales conduisent une
réflexion à ce sujet, pour mettre en place un site commun, mais
aussi initier une démarche qualité au niveau des sites. Notre état
d’esprit est celui de l’innovation, et absolument pas celui de la
défense, qui serait la meilleure façon de tarir complètement la vitalité de la médecine.
Philippe LEFAIT
Peut-on imaginer que des sociétés de service, des associations
de consommateurs, ou des laboratoires pharmaceutiques, mettent
en chantier des processus de simplification du savoir médical disponible sur Internet, avec le risque d’y simplifier le savoir à outrance,
ou d’induire des types de thérapies par intérêt économique ?
Dr Jean-Michel THURIN
Vous soulevez une question très juste. On sait par exemple
qu’aux Etats-Unis, certaines entrées dans des filières de soins sont
complètement contrôlées par les sociétés d’assurance, elles-mêmes
contrôlées par les laboratoires.
Les Sociétés nationales tentent actuellement d’instaurer un système de règles qui éliminent ces dérives, et répondent aux besoins
de la population. Je prendrais l’exemple de l’urgence en psychiatrie.
Beaucoup de familles se trouvent totalement dépourvues devant ce
problème. Nous pourrions leur fournir les adresses dont elles ont
besoin sur Internet.
Philippe LEFAIT
On peut imaginer que plus les médecins seront simples, plus
ils éviteront les interférences et parasitages.
130
Qualité et compétence en médecine
Dr Yves GERVAIS
Dans l’état de mes réflexions jusqu’à aujourd’hui, il est vrai
que je n’avais pas beaucoup intégré la question des attentes des
consommateurs. La question des réponses à donner aux consommateurs est à lier avec l’état du système de soins et la mise en
œuvre de la démarche qualité.
L’état du système de soins renvoie aux décideurs institutionnels.
Il serait vain de raisonner sur des objectifs de progrès et de qualité
sans prendre en compte le contexte tel qu’il est. Or ce système
présente quelques lacunes. D’abord, il serait urgent de mieux définir les rôles à l’intérieur du système de soins entre les différents
métiers. Le problème est de savoir qui fait quoi. Ensuite, l’état des
relations entre les acteurs individuels et institutionnels : on observe
un degré important de cloisonnement, un déficit en termes de
circulation de l’information et de coordination. Tout ceci permet
de mettre l’accent sur un déficit de compétence collective, dans le
sens où M. Le Boterf l’a exposé ce matin.
Deuxièmement, la réponse aux attentes des consommateurs
renvoie à la mise en œuvre d’une démarche qualité. Dans ce
domaine, je pense que la communauté médicale a besoin d’avoir
les idées claires. Je pointerai quelques mots et idées sur lesquelles
il me semble y avoir souvent des confusions.
D’abord, nous sommes dans un milieu où l’on confond volontiers connaissance et compétence. Les exposés qui ont été faits
montrent que la compétence dépasse le simple chapitre de la
connaissance, même si la connaissance en est une ressource importante.
Ensuite, on confond fréquemment information et formation.
La formation médicale continue est fréquemment définie, y
compris dans certains textes officiels comme une mise à jour des
connaissances. Il faut savoir ce que cela veut dire. Est-ce simplement s’enquérir des éléments nouveaux de la science ou est-ce intégrer dans des pratiques à travers un processus pédagogique, des
éléments de connaissances s’agglomérant avec un ensemble d’autres
compétences qui permettront de produire un service de qualité ?
131
Qualité et compétence en médecine
Je crois qu’il est très important de préciser ces termes parce que je
crois qu’il y a un fond culturel qui confond le niveau du savoir
et des soins, le second étant un savoir-agir au sens le plus large
du terme.
Passées ces quelques mises au point, qu’est-ce qui nous permettrait de mettre en œuvre une démarche qualité et comment le
faire ? Il est nécessaire d’avancer avec une méthode. Il nous appartient, et je parle de la communauté professionnelle en général, mais
peut-être discipline par discipline, de mettre sur pied une stratégie
définie, qui soit réaliste, positive, et patiente. En effet, tout cela
demandera du temps.
Il faut prendre en compte un certain nombre d’ingrédients qui
favorisent la constitution de la compétence et son entretien. Ses
ingrédients en sont d’abord la formation. Et nous sommes dans
un pays qui n’a pas encore finalisé sa formation initiale, ni une
partie de sa formation continue en fonction de la réalité de ses
différents métiers. C’est en fonction des métiers que l’on pourra
donner un sens plus affirmé et cohérent à nos actions en matière
de formation.
Il faut aussi penser à un cadre d’exercice qui favorise pour les
professionnels, la prise de recul, et la confrontation avec les pairs.
Nous avons besoin de méthodes, concepts, standards de pratiques,
comme ceux qui nous ont été présentés aujourd’hui. Pour notre
part, nous avons élaboré un référentiel de la profession de médecin
généraliste, si cela en intéresse certains. En allant plus loin, il faudrait compléter cette démarche en allant vers des référentiels de
service. Dans cet ordre d’idée, il était déjà question lors de la table
ronde précédente, de bilan de compétences. MG Form a déjà travaillé dans ce sens-là, en élaborant un projet d’auto-évaluation
accompagnée et personnalisée. Je le cite parce que cela nous a
permis de tester l’accueil des médecins vis-à-vis de ces démarches,
sous forme d’enquête. Parmi les enseignements que nous en avons
retirés, au-delà d’une certaine réticence bien compréhensible dans
l’état actuel des discours sur la compétence, l’évaluation et la qualité, faisant écho au phantasme de contrôle précité, qui ne relève
132
Qualité et compétence en médecine
d’ailleurs pas toujours du phantasme, 70 % des médecins seraient
prêts à s’engager dans de telles démarches, sous certaines conditions. Notamment, l’encadrement devrait être assuré par des pairs.
Quels seraient les acteurs qui permettraient de s’engager vers
la construction d’un tel système ? L’Ordre des médecins ne fait
qu’attester. Sur le terrain, on peut penser qu’un certain nombre
d’associations locales, groupes de pairs, groupes de qualité, pourraient travailler dans ce sens, même si l’on peut les pousser à une
certaine mise en place, et les doter d’outils. On peut penser qu’un
collège par discipline médicale pourrait être responsable d’un certain nombre de démarches dans sa branche.
Je terminerai par une question. Faut-il, dans la stratégie que
j’évoque et qui nous reste à construire, commencer par l’incitation
ou par le contrôle ? Ma position est qu’il serait utopique aujourd’hui de commencer par le contrôle. En effet, la démarche reste à
promouvoir. Elle en est au stade de l’expérimentation. Par ailleurs,
l’incitation serait une preuve de pédagogie par rapport à un milieu
professionnel particulièrement susceptible, de façon à contourner
les résistances au changement.
Philippe LEFAIT
Dr Pierre Fender, quelle est votre position sur l’évaluation ?
Dr Pierre FENDER
Je dirais que la qualité est difficile à mesurer. Quelqu’un n’est
pas de qualité ou de non qualité. En revanche, on peut mesurer
des points de qualité, et ce, sur différentes actions particulières.
Il est facile de dire qu’un système est le meilleur du monde.
Mais cette représentation est toujours fausse. En effet, si on s’intéresse à la qualité, on s’intéresse obligatoirement à des parties de
la pratique.
Deuxièmement, il faut des référentiels opérationnels. Et je précise bien cela à l’ANAES. Des référentiels indiquant des marches
à suivre trop diverses selon les conditions n’aideront ni le médecin
ni l’auditeur.
133
Qualité et compétence en médecine
Sur des parties précises, et à partir de référentiels pertinents,
nous pouvons mesurer la qualité. Par exemple, nous ne dirons pas
« la pratique des anatomo-pathologistes est de bonne qualité », mais
nous pourrons dire « 85 % des comptes rendus anatomo-pathologiques indiquent la taille de la tumeur en cas de cancer du sein,
pour ce professionnel, cet établissement, cette profession à telle
date ».
Après avoir mesuré la distance entre la pratique réelle et un
référentiel, le problème qui se pose est de qualifier le niveau tolérable. C’est là-dessus que nous devons discuter. Pour partir d’un
exemple réel, quand on dit que « 16 % des malades hypertendus
déprimés sont traités par un antihypertenseur central déconseillé
en cas de dépression nerveuse », je dis aussi que pour 84 % des
malades, les médecins ont choisi d’autres classes thérapeutiques.
On pourrait qualifier cette situation de bonne, mais ne devrionsnous pas fixer le référentiel de cette pratique à 0 % ?
Qui peut évaluer ? La CNAM est tout à fait favorable à une
auto-évaluation. Mais nous sommes favorables aux évaluation
externes et nous revendiquons pour nous, le droit à une évaluation externe.
Sur quelle population doit porter cette évaluation externe de
la CNAMTS ? Il est certain que celle-ci ne peut pas porter sur tous
les professionnels. Elle concerne des professionnels ciblés. Certains
professionnels travaillent plus ou moins bien. Il reste à fixer des
seuils tolérables. Le zéro n’existe pas mais c’est un objectif impérieux en cas de dangerosité.
La CNAM n’a pas à définir ce qui doit rentrer dans le champ
de l’évaluation collective. Elle a proposé que ce soient la pratique,
la participation à la formation continue, l’organisation du cabinet.
C’est aux professionnels de le faire. En revanche, et nous serons
plus exigeants sur ce point, la CNAM exige qu’il y ait une reconnaissance de la compétence et de la performance.
134
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Nadine Jolis, que retenez-vous de ce colloque et quels sont les
outils de votre secteur que vous suggérez pour le monde médical ?
Nadine JOLIS
J’ai entendu un mot fort prononcé par M. Avril. Le malade
veut devenir co-acteur de la santé. Qui dit co-acteur implique, me
semble-t-il, une co-responsabilité. Or, jusqu’à présent, le médecin
était responsable vis-à-vis de son patient et des projets de santé de
son patient. Cette interpellation doit être dans les esprits. J’ai
entendu également l’importance mise sur la compétence collective,
qui renvoie également à une responsabilité collective.
Du monde de l’entreprise, je retiendrai pour votre cas la notion
d’employabilité. En entreprise, s’engager dans une démarche
compétence, c’est introduire une coresponsabilité dans l’employabilité des salariés. On accepte l’idée que désormais, on essaie d’éviter
les plans sociaux dans les entreprises. Lorsque quelqu’un n’est plus
adapté à l’évolution du monde du travail, on licenciait massivement. Introduire une démarche compétence, c’est donc introduire
une coresponsabilité dans la construction du professionnalisme. La
démarche qualité est donc un service rendu aux employés.
De la salle
Je suis présidente du Conseil de l’Ordre de l’Aube et pédopsychiatre. Vous avez raison de parler de co-responsabilité. Par exemple, l’adolescence est un sujet qui réunit des sociologues, des
éducateurs, des familles, et des médecins. Je pense qu’il faudrait
trouver un modèle de formation continue réunissant tous ces
acteurs.
Pr Bernard GLORION
Il serait bon de revenir à des événements qui nous ont tous
frappés, au sujet de la responsabilité et du patient. Les articles 35
et 36 du Code de déontologie sont très précis à ce sujet. D’abord,
135
Qualité et compétence en médecine
ils précisent l’information obligatoire, avec tous ces caractères. Mais
ensuite, ils font allusion au consentement du patient. En ce sens,
ce dernier prend une responsabilité. Certes, un patient n’aura pas
la responsabilité civile en cas de procès, mais l’état d’esprit consistant à considérer que le malade est autonome est essentiel. C’est
d’ailleurs une conception relativement nouvelle.
Eric AVRIL
Je ne suis pas d’accord pour parler de co-responsabilité du fait
de la co-action, et il me semble que l’employabilité est un argument d’employeur pour justifier un licenciement.
Fondamentalement, il existe un déséquilibre de savoir entre le
patient et son médecin. Le consommateur le sait. Il ne revendique
pas une relation égale ; il demande qu’on lui donne des éléments
pour prendre sa décision. La santé est certes un marché, mais en
aucun cas analogue à autres marchés de biens et de services. Le
consommateur demande à être éclairé pour ne pas faire d’erreur.
La co-responsabilité juridiquement, est tout à fait autre chose.
Quand les entreprises agroalimentaires arguent du fait que le risque
zéro n’existe pas, et qu’il y a une co-responsabilité avec les familles
dans le cas de décès avec la listériose, on atteint un summum de
perversité. Nous savons que la notion de co-responsabilité provient
de cabinets de communication de gestion de crise, qui utilisent
cette dilution de responsabilité.
Dr Yves GERVAIS
Je crois qu’il y a un faux débat dans cette question. J’assistai
récemment à un colloque sur le thème du nouveau patient et l’arrivée en masse de l’information médicale dans le grand public. Aussi
averti que soit le patient, il n’y aurait de confusion que si cela le
menait à se considérer lui-même comme médecin. Or cette position est intenable. La notion de co-action est pertinente, si l’on
précise que patient et médecin ne sont pas acteurs de la même
chose. Le patient est acteur de sa santé, le médecin est acteur du
soin.
136
Qualité et compétence en médecine
En revanche, l’information du patient peut introduire un changement dans la relation médecin/patient, qui peut amener le médecin à considérer le patient comme un sujet à part entière.
Pr Michel DETILLEUX
J’entends des propos contradictoires dans ce colloque, notamment à propos de la population cible de l’évaluation. Certains ont
dit qu’il n’était pas question de l’appliquer à tous. D’autres visent
à obtenir de cette profession que tous ces membres fassent la preuve
de leur performance, à travers une évaluation.
Ensuite, on dit que l’évaluation doit être volontaire. Mais cela
ne marche que si incitations, notamment financières. La majorité
des médecins chercheront donc à se faire évaluer pour avoir la
récompense qui lui est attachée.
On a montré que le système devait être un accompagnement et
non sanctionnant. Mais on répète qu’il ne doit pas être obligatoire.
Au total, à qui cela sert-il ? Ne sommes-nous pas trop prudents ? Alors que Jean-Louis Porto rappelait ce matin que des
tueurs en série existaient, et que des médecins mettaient de façon
régulière en danger la vie d’autrui, allons-nous rester muets ? N’allons-nous pas déférer ces personnes à l’Ordre, les conduire devant
le Juge ? Le discours est un parfois un peu émollient, comme si
nous avions peur de prendre nos responsabilités. L’évaluation est
un outil solide, qui va loin, qui peut faire mal. N’ayons pas peur
de nous en servir.
Dr Jean-Michel THURIN
Nous devrions nous poser la question de l’évaluation par rapport à des objets précis. Par exemple, face aux tentatives de suicide
chez les adolescents, le ministre de la Santé a réagi à un étude
montrant que ce taux était très fort. Il téléphone à l’ANAES pour
que des recommandations soient effectuées dans les 48 heures.
Celles-ci sont faites. Mais ensuite, il n’est pas envisagé d’étudier
comment elles sont appliquées, si elles sont applicables et quelles
compétences sont nécessaires pour les appliquer. Des conférences
137
Qualité et compétence en médecine
de consensus ont montré au bout de dix ans que ces diffusions de
recommandations ne servaient à rien. Il faut donc plutôt raisonner
sous forme de responsabilité collective par rapport à un problème
qui nous concerne tous.
Dr Pierre FENDER
Je voulais rassurer M. Detilleux. Je ne crois pas qu’il y ait
contradiction, mais plutôt débat. Lorsque je dis que l’évaluation
que nous ferons à la CNAMTS concerne des populations et des
médecins ciblés, j’amorce un débat. L’auto-évaluation doit être
enrichie par une démarche plus ciblée. Ce colloque n’est pas une
conclusion ; il débouchera sur d’autres débats.
De la salle
Je voudrais revenir sur la notion de co-responsabilité pour dire
que la relation patient/médecin consiste avant tout dans un partenariat, et montrer combien le patient lui-même pouvait éduquer
son médecin avec des connaissances qu’il avait pu trouver sur Internet ou ailleurs.
De la salle
Depuis tout à l’heure, j’entends parler de consommateur. Si
les malades deviennent des consommateurs, j’ai bien peur que les
médecins ne deviennent des distributeurs de soins. C’est déplorable, et mais cette tendance se fait jour. Dans ces conditions,
comment reconnaître la compétence autrement que par des arrangements financiers ? Le problème récent des reversements d’honoraires a abouti à ce que les jeunes ne veulent plus prendre leur
garde, et se réservent à leur clientèle. Cette recherche de compétence et formation continue est indispensable, mais j’ai peur que
l’évolution des mœurs de nos jeunes confrères ne rende cette situation bien difficile.
138
Qualité et compétence en médecine
Pr Yves MATILLON
Ce constat doit être un moteur pour lutter contre les dérives,
à nos niveaux de responsabilité respectifs. Nous aurions un effort
collectif à faire pour l’intégration dans notre formation initiale
d’une approche différente. Nous sommes dans un modèle culturel
judéo-chrétien. Nous devons méditer sur les vecteurs pédagogiques
promus par les anglo-saxons. Leur expérience constitue une piste de
progrès considérable, notamment sur l’association des compétences
autres que dans l’apprentissage médical.
Dr Yves GERVAIS
Un courant fort dans notre société tend à une marchandisation
de tout. C’est le constat que vous tirer. On peut le déplorer parce
qu’on ne peut pas considérer que le problème de la santé se résume
à un problème d’argent. Les comportements de ce type du côté
des patients aboutissent soit à déconsidérer la profession médicale,
soit à des négociations et pertes de temps qui énervent les médecins.
De la salle
Je suis président du Conseil de la Gironde. L’article 460 du
code de la santé publique permet à un conseil de saisir devant
une commission d’experts un médecin qui présenterait des troubles
notamment psychologiques et rendant dangereux l’exercice de la
médecine.
De la salle
Je ne peux pas accepter que l’on parle de tueurs en série de
cette façon. Nous sommes 245 000 médecins. J’aurais plutôt aimé
qu’on nous dise quel est le pourcentage du corps médical qui aurait
des pratiques dangereuses.
Ensuite, une formation médicale continue obligatoire conduirait-elle à diminuer les pourcentages de déviants de notre profession ?
139
Qualité et compétence en médecine
Enfin, je reconnais que l’information du malade est importante,
mais si l’on veut que la relation médecin/malade perdure, il faut
que chacun reste à sa place. En effet, certains patients viennent
auprès de moi avec leur diagnostic, et font pression sur moi pour
obtenir un traitement particulier. Ils tirent notamment leurs informations de revues de vulgarisation, où apparaissent des informations médicales non contrôlées, et parfois fausses.
Dr Etienne DUSEHU
Je reprendrai le cri initial d’Eric Avril en citant cette expression : « Consommateur, que de crimes ont été commis en ton
nom ! » Une attente importante des consommateurs en termes
d’information se fait jour, mais l’information ne remplacera jamais
la connaissance acquise par le médecin tout au long de sa formation. L’information doit être délivrée et la qualité de l’information
délivrée se mesure à l’aune de la satisfaction des patients. Comme
le rappelle Yves Matillon, on tire toujours bénéfice à échanger avec
les autres sur des problèmes complexes. Le débat sur la compétence
collective est donc au cœur de la problématique dans la réponse
aux attentes des patients. C’est le cadre d’exercice de la médecine
qui semble en cause, parce que ce cadre ne favorise pas le recul
nécessaire aux médecins sur leur profession. Ce cadre d’exercice
doit donc être revu, mais en gardant à l’esprit que la non-qualité
concerne plutôt 5 % de chacun d’entre nous que 5 % des médecins. Le défi que nous avons à relever consiste à transformer la
nature de la relation des professionnels de la santé entre eux et
avec les patients.
L’évolution concertée de la profession passe par la nécessité de
se frotter un peu plus à la société dont les professionnels sont restés
trop longtemps écartés. En effet, jusqu’en des temps encore récents,
la société était heureuse que la gestion des exclus et des malades
soit assurée dans un milieu à part, ne perturbant le cours de sa
vie. C’est peut-être dans la réintroduction de la médecine dans la
société civile que se trouve le défi auquel nous devons faire face.
140
Qualité et compétence en médecine
Philippe LEFAIT
Merci de votre synthèse. Je voudrais vous citer Schopenhauer,
philosophe pré-existentialiste du siècle dernier et qui peut-être face
au défi avait cette formule : « Vous n’avez aucune chance, mais
saisissez-la. »
141
Qualité et compétence en médecine
Répondre au défi de la compétence
et de la qualité :
Quel positionnement
pour les institutions ordinales ?
Dr Pierre HAEHNEL
Secrétaire général du Conseil national de l’Ordre des médecins
Je voudrais vous livrer le fruit de la réflexion collective des
conseillers nationaux depuis trois ans sur la question de l’assurance-qualité.
Le principe d’une démarche qualité est en parfaite cohérence
avec les principes éthiques et moraux qui régissent l’exercice de la
médecine. Cependant, la qualité de l’exercice médical se trouve
aujourd’hui très fortement remis en cause, du fait de l’évolution
des sciences et des techniques. La démarche qualité est en vigueur
aujourd’hui dans tous les secteurs économiques et sociaux, et
notamment dans le secteur hospitalier depuis la mise en place de
l’ANAES. Il convient aujourd’hui d’encourager les médecins à s’engager à leur tour dans une telle démarche, en leur proposant une
méthode et des outils efficaces.
Afin d’éviter qu’une démarche d’assurance-qualité ne se réfère
à des critères d’inspiration économique ou comptable, qui en limiteraient forcément la portée, notre institution s’institue en force
de proposition. Une pression de la part des acheteurs de soins se
fait incontestablement sentir. Elle correspond à une volonté de
rationalisation du système de soins et vise, dans une approche
quantitative, à objectiver le bon soin. Il convient alors de mettre
en évidence trois aspects fondamentaux de ce que l’on peut appeler
le produit médical : la compétence du praticien, la référence au
contexte, et la spécificité de la relation client/fournisseur.
Dans la recherche de la qualité, il faut privilégier les processus
et non les résultats. Comme concourant à cet objectif, il faut citer
la mise en place des conférences de consensus, la création de
143
Qualité et compétence en médecine
l’ANAES, la Formation Médicale Continue, l’informatisation des
établissements et la mise en place du PMSI, l’informatisation des
médecins libéraux, la réforme des études médicales, l’évaluation de
la pratique des médecins libéraux par l’ANAES et les unions régionales de médecins libéraux, ainsi que l’émergence des prises en
charge de réseaux thématiques ou non. Un maillon essentiel
manque à cet arsenal de mesures. Il s’agit de la compétence des
ressources humaines, dans l’intérêt des patients. L’appropriation du
système par les professionnels eux-mêmes est au cœur de la
démarche et de la réussite d’une telle approche.
Face à cet objectif, quels problèmes se posent ?
La plupart du temps, une entreprise s’engage dans une
démarche qualité dans le seul souci d’assurer sa survie financière,
par la satisfaction du client. Le mécanisme d’assurance-qualité se
développe donc naturellement dans un secteur commercial ou
industriel selon un phénomène de capillarité. Dans la chaîne de
production, chaque client exige de son fournisseur l’assurance des
engagements qu’il a pris lui-même. L’analogie avec le système de
soins est sans doute facile, à défaut d’être pertinente. Le patient
est pris en charge par une chaîne d’acteurs, tant privés que publics.
L’exigence de la qualité nécessite de replacer le patient au cœur de
la dynamique de soins et passe par une révolution des méthodes
de gestion de problèmes de santé.
Par ailleurs, dans un système qui se veut toujours plus transparent, le praticien qui se prétend omnivalent doit pouvoir le prouver. Rendre des comptes devient un axe essentiel de l’exercice
professionnel et de reconnaissance.
Les évolutions actuelles consacrent l’idée selon laquelle la formation initiale n’est pas une garantie définitive de la compétence.
Quelle définition de la compétence donner afin que les partenaires
sociaux puissent élaborer de nouvelles règles sociales ? Comment
identifier les compétences détenues par un individu ? Comment
encourager les individus à gérer le développement de leur propre
compétence sous l’influence de la pensée libérale enjoignant à chacun de se prendre en charge ?
144
Qualité et compétence en médecine
La notion de compétence contient une dimension politique
puisqu’elle débouche forcément sur une modification des structures
de formation, des rôles et des contenus pédagogiques. De plus, elle
modifie les équilibres économiques et le partage des pouvoirs entre
acteurs. Il est donc indispensable d’en assurer la déontologie.
La mise en commun des compétences dans une logique de
réseau représente donc un enjeu actuel dans le secteur marchand
dans lequel les médecins généralistes sont les opérationnels et les
spécialistes les fonctionnels experts.
Nos systèmes de sélection évaluent des connaissances et non
pas des compétences. La compétence est l’une des conséquences
de la logique libérale dominante. Elle ne peut pas ne pas être reliée
à la valeur économique, qu’il s’agisse d’équivalent salarial ou des
prix. On risque donc de toucher aux grands équilibres de la nation.
D’où l’implication des personnalités politiques, qui ont intérêt à
négocier avec les partenaires sociaux, pour maîtriser le système.
Aucun secteur n’échappera à cette logique des compétences.
La compétence revêt de multiples aspects. Son évaluation n’est
donc possible qu’en situation multiple, en gardant à l’esprit de ne
pas mélanger l’essentiel et l’accessoire. Parallèlement à cette
démarche d’observation en situation, il est important de déterminer
des compétences stratégiques à acquérir. C’est le rôle du référentiel
de compétence. L’évaluation est donc un processus et non pas la
reproduction d’une sanction académique. De même que l’on parle
de formation continue, on devrait parler d’évaluation continue.
Les plusieurs niveaux de réflexion sur les principes de la
démarche qualité ont besoin d’être traités conjointement, en interaction les uns avec les autres, donc dans une logique de gestion
de projet.
Aujourd’hui, l’offre de soin se trouve manifestement inadaptée
à une demande, qui est d’ailleurs mal identifiée. Elle reste inférieure
aux besoins estimés de façon subjective par ceux qui la reçoivent.
Cet état de fait conduit à une rivalité entre le secteur public et
privé de santé. L’évaluation des résultats est quasiment impossible
à ce jour étant donné qu’il n’existe pas d’indicateur dont la validité
soit partagée par tous.
145
Qualité et compétence en médecine
Face à la complexité du système de soins, le patient se trouve
de plus en plus demandeur d’information. Le développement d’Internet, auquel le Conseil national est particulièrement vigilant,
accélère ce processus de transformation des fondements de la relation médecin/patient. Le patient informé génère des comportements médicaux parfaitement analysés en termes de conséquence
économique.
Au terme de cette analyse, il faut reprendre le positionnement
du Conseil national de l’Ordre. Quelles sont les propositions qui
seront soumises au Conseil national et aux Conseils départementaux la semaine prochaine ? Elles sont centrées sur trois objectifs :
garantir le système et la qualité des soins ; maintenir la compétence
des médecins ; accompagner et promouvoir les pratiques normales
et non plus seulement sanctionner les pratiques fautives. Pour ce
faire, le Conseil national de l’Ordre se donne quatre axes d’actions.
● Attester de la compétence du médecin
L’Ordre atteste la qualité des moyens mis à disposition des médecins pour maintenir leur niveau de compétence, et que les médecins sont dans une démarche d’entretien de leur compétence.
● Inciter
L’Ordre incite les médecins à recourir aux moyens leur permettant de maintenir leur niveau de compétence ; à utiliser un dossier médical ; à communiquer entre médecins ; à gérer leurs
dossiers sur informatique.
● Promouvoir
L’Ordre assure la promotion auprès des patients des médecins
qui maintiennent leur compétence à niveau, de la qualité des
soins et de la culture de la qualité.
● Corriger
L’Ordre assure la correction des dérives possibles du système de
qualité, et l’absence de l’entretien de la compétence.
La qualité représente donc une opportunité de modernisation
pour l’Ordre dans sa globalité et confère à l’Ordre un rôle d’ensemblier, puisqu’il sera amené à nouer des liens avec d’autres acteurs :
146
Qualité et compétence en médecine
universités, organismes de FMC, ANAES, URML, autres acteurs
institutionnels, patients et grand public. Il jouera le rôle d’interface
que les médecins et le public souhaitaient lui voir reconnaître dès
sa création. Enfin, la qualité est l’occasion de revoir la place du
médecin dans la société.
147
Qualité et compétence en médecine
L’Ordre des médecins comme coordinateur
de la démarche compétence
Pr Bernard GLORION
Président du Conseil national de l’Ordre des médecins
Madame la Ministre, je vous remercie d’avoir accepté de clore
ce colloque et je voudrais vous dire l’importance que nous attachons à votre présence au terme d’une journée de réflexion consacrée à la qualité des soins et à la compétence.
Cette préoccupation est partagée par les pouvoirs publics puisqu’elle est inscrite dans votre projet de loi sur la modernisation du
système de soins. Vous n’ignorez pas non plus que ce sujet est au
cœur des préoccupations de l’Ordre des médecins. Je me permets
d’insister une fois de plus sur la fait que nos missions ont pour
finalité d’assurer la qualité des soins et la protection des patients.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que vous avez accepté de faire figurer
dans votre projet de loi une nouvelle mission clairement exprimée,
celle de garantir la compétence des médecins. Votre présence vient
confirmer cette volonté commune.
Mais la tâche est rude, et les expériences étrangères nous font
prendre conscience du chemin qui nous reste à parcourir. Je voudrais évoquer quatre points qui me semblent avoir dominé nos
débats.
Faire un état des lieux
En France, actuellement, on dispose de l’évaluation des pratiques des médecins libéraux (décret de 1999), et de la formation
médicale continue. Il est bien entendu qu’elle persistera. Les expériences étrangères sont riches en enseignement. Nous avons du
retard, mais nous profiterons de leur expérience.
Définir
Deuxièmement, il est important de nous mettre d’accord sur
les définitions des termes de performance, compétence, évaluation,
accréditation. Tout le monde s’accorde à dire que l’application de
148
Qualité et compétence en médecine
ces concepts dans notre domaine d’activité devra être souple, adaptée à la personnalité du médecin, du patient, et de l’environnement. Néanmoins, des éléments de fond nous permettent de
définir un concept de compétence, associant des connaissances, un
savoir-faire, des expériences relationnelles, dans une situation
d’agir.
Acquérir la compétence
Il est urgent que par la voie législative, nous puissions parvenir
à une nouvelle formation des médecins, en fonction des besoins
de la population, des progrès de la science. La formation médicale
continue mérite d’être repensée à la lumière de la définition de la
compétence et doit privilégier la notion d’interaction.
Mesure et contrôle de la compétence
Mesurer la qualité et évaluer la compétence est certainement le
point le plus délicat. Il contient un jugement et les conséquences
de ce jugement. Désir de l’accompagner le médecin dans une
recherche de qualité et de compétence. Des dispositions sanctionnantes ont été évoquées, instituées dans le but d’assurer la sécurité
des malades, et ne devant intervenir que lorsque la démarche
confraternelle d’accompagnement s’est avérée inefficace.
Nous sommes tous conscients, Madame la Ministre, que la
mise en place d’un dispositif d’évaluation de contrôle de la compétence doit être assumé par la Profession. C’est à la fois sa mission,
la justification de son indépendance et le sens de sa responsabilité.
C’est aussi son honneur. C’est la raison pour laquelle l’Ordre, par
ma voix, et à l’image de ce qui se fait chez nos voisins et amis iciprésents, vous demande d’en assumer la coordination. Une telle
tâche doit être assumée collectivement et la participation de l’université, des collèges de spécialistes, des sociétés savantes et des associations doit contribuer à constituer un véritable observatoire de
la qualité et de la compétence médicale. L’Ordre a ainsi voulu faire
preuve, à travers ce colloque, de sa volonté et justifier le premier
rang mondial de la France dans le domaine de la santé.
149
Qualité et compétence en médecine
Clôture
Qualité et compétence en médecine
Dominique GILLOT
Secrétaire d’Etat à la Santé
Monsieur le président,
Mesdames, messieurs,
Je tiens tout d’abord à vous remercier Monsieur le président
du conseil national de l’ordre des médecins de m’avoir conviée à
cette rencontre et de me donner ainsi l’occasion d’intervenir sur le
thème de la compétence et de la qualité en médecine.
Ces deux mots, compétence et qualité, s’entrecroisent nécessairement quand il s’agit de caractériser la pratique médicale.
Compétence du médecin, qualité des soins, sans doute ? Mais
je suis tentée d’ajouter aussitôt, compétence dans les soins, c’està-dire sécurité dans les soins et évidemment qualité du médecin,
de sa relation avec son patient, de sa manière de faire et d’être.
Nous réduisons trop rapidement la compétence au seul savoir,
à la somme des connaissances, à l’instruction : bien entendu, c’est
un moment essentiel dans la formation du médecin j’y reviendrais.
Mais il me semble que la notion de compétence va plus loin
que ce moment d’acquisition initiale et qu’il est du devoir de tous
de veiller à ce que la compétence ne soit pas un acquis sur lequel
on peut se reposer mais qu’il s’agit d’une exigence permanente,
d’une aptitude à développer et à entretenir un véritable devoirêtre.
La qualité ne saurait se limiter aux seuls soins, comme si
l’homme qui les dispense avait disparu, comme si ce n’était pas
d’abord lui qui est et qui fait la qualité et qui en est le vecteur.
Je sais les médecins très attachés à ces valeurs humaines et
même humanistes, je partage totalement leur orientation : être un
« homme de qualité » ; derrière cette expression se dessine le
151
Qualité et compétence en médecine
modèle d’un médecin à l’écoute du malade, celui qui loin de se
défaire de ses responsabilités et de son jugement sur la technique
sait la maîtriser, la mettre à contribution et l’enrichir de son expérience humaine.
Vouloir une médecine de qualité, vous me permettrez de le
dire en ouverture de mes propos, c’est vouloir des médecins de
qualité ; nous travaillons tous dans ce but.
Ces deux principes, compétence et qualité, soulèvent la question de leur mesure ou plus exactement de leur évaluation.
Comment évaluer des compétences quand celles-ci ne se réduisent
plus au simple bagage scolaire ou universitaire, mais qu’il s’agit
d’estimer des professionnels à travers des pratiques certes spécialisées, quotidiennes adaptées à la personnalité et aux besoins de
leurs patients ?
Comment évaluer, c’est-à-dire d’une certaine manière quantifier la qualité alors que par définition la qualité nous renvoie aux
limites de toute évaluation ?
Et pourtant, peut-on pour autant échapper à cette nécessité ?
Je ne le crois pas !
Quelle qu’en soit la difficulté, l’évaluation est indispensable.
Elle ne peut cependant, à mon sens, que se concevoir dans un
esprit de partenariat ou chacun tient sa place et joue le rôle qui
lui est propre.
Evaluer les compétences d’un médecin, évaluer la qualité des
soins qu’il dispense : à qui revient cette tâche ?
Quel rôle doit jouer l’Etat dans ce processus ?
Telles sont les questions que j’aimerai aborder ici avec vous en
clôture de cette journée que le Conseil de l’Ordre a eu la riche
idée d’organiser.
Comme vous le savez, le gouvernement prépare un projet de
loi sur la modernisation du système de santé. Nous aurons l’occasion de rediscuter avec vous de ce projet d’ici quelques semaines.
Un des trois chapitres, de ce texte, autrement dit une part
importante du projet porte justement sur la qualité des soins il est
en effet apparu prioritaire d’associer, et cela n’est bien entendu pas
152
Qualité et compétence en médecine
anodin, à un chapitre sur les droits des malades, un autre chapitre
sur la qualité des soins.
Ce projet comprend des dispositions importantes sur l’encadrement de certaines pratiques, je pense notamment à la chirurgie
esthétique et surtout tout un chapitre sur la formation médicale
continue dont la réorganisation – l’organisation devrais-je dire –
est, je sais, très attendue.
En effet, la compétence professionnelle d’un médecin relève :
a) D’abord des connaissances qu’il acquiert
par la formation initiale
C’est pourquoi la réforme des études médicales est sans aucun
doute une sorte de socle sans lequel rien de solide ne peut se faire.
Vous le savez cette réforme est en marche. Les maquettes du
e
2 cycle sont en cours de révision sur la base d’une large concertation avec les professionnels et à travers les instances pédagogiques.
La réforme du 3e cycle, très attendue je le sais, devait être
portée par la loi de modernisation sociale qui a malheureusement
été décalée en raison de problème d’agenda parlementaire.
Mais ce n’est que partie remise, et je ferais passer ce texte dès
que cela sera possible en utilisant pour cela le premier vecteur
législatif. Ce texte est en effet le complément indispensable du
précédent et porte à travers la réforme de l’internat – qui devient
la règle pour tout médecin qu’il soit spécialiste ou généraliste – un
objectif clair d’amélioration de la formation des médecins généralistes.
Enfin, la concertation pour la réforme du premier cycle va
débuter dans les toutes prochaines semaines en liaison étroite avec
les collaborateurs de Jack Lang.
b) Mais la compétence du médecin relève aussi
de la formation continue
Vous le savez le dispositif prévu par les ordonnances de 1996
n’a pas fonctionné.
La partie strictement conventionnelle de la formation ayant été
traitée dans le cadre de la CMU, il nous restait à traiter de la
153
Qualité et compétence en médecine
formation dite parfois scientifique par opposition à la formation
conventionnelle plus centrée sur les problématiques professionnelles.
Nous avons rebâti un dispositif qui, me semble-t-il est à la fois
pragmatique et ambitieux, Ce texte, je le répète, sera un élément
fort du projet de loi de modernisation du système de santé.
Après la réflexion que nous avons porté en commun, notamment avec le conseil de l’ordre des médecins, mais aussi avec les
professionnels, sur la manière de débloquer la formation médicale
continue, le projet de texte vous sera communiqué très prochainement de façon à ce que la concertation puisse être lancée et que
nous aboutissions rapidement à un texte dont je souhaite qu’il
rassemble le plus largement possible. Il est, chacun en est conscient,
temps de passer à l’action.
Je peux cependant d’ores et déjà vous en tracer la philosophie :
L’obligation de formation, déjà prévue par le dispositif de 96,
est maintenue et étendue à l’ensemble des médecins qu’ils soient
libéraux, hospitaliers ou salariés non hospitaliers. En fait tout
médecin tenu de s’inscrire au conseil de l’Ordre sera concerné. Il
m’est en effet apparu important de ne pas introduire de différence
entre les praticiens, en fonction de la nature de leur pratique. Cela
correspond, me semble-t-il à une réalité qu’il faut défendre : l’unicité de la médecine au-delà de la diversité des pratiques.
Le dispositif sera essentiellement confié aux professionnels :
conseil de l’ordre, médecins, associations de formation, universités ;
l’Etat restant dans son rôle qui consiste à définir un cadre légal et
réglementaire et à créer les moyens permettant à un tel dispositif
d’exister.
C’est aussi un dispositif qui a été conçu pour être le plus pragmatique possible, afin d’éviter toute complexité excessive. Ainsi la
validation de l’obligation sera-t-elle possible selon différentes
modalités que nous voulons souples et qui seront dans les mains
des différents conseils qui seront créés pour cela au niveau régional.
154
Qualité et compétence en médecine
c) Cette compétence professionnelle, si elle relève de la
formation, appelle également une évaluation et notamment
une évaluation des pratiques
Le décret sur l’évaluation dus pratiques a été publié et doit
maintenant être mise en œuvre sur l’ensemble du territoire ce qui
est loin d’être le cas aujourd’hui. Cette évaluation, conçue sur une
base volontaire, est un pas important. A vous maintenant, les professionnels, de rendre la chose effective. L’ANAES est là pour vous
y aider.
d) L’encadrement de pratiques présentant des risques particuliers
est également un élément important du dispositif permettant d’assurer une qualité des soins adaptée à des contextes particuliers.
C’est ainsi qu’il est prévu de préciser et d’encadrer la formation,
ainsi d’ailleurs que les normes touchant à l’environnement technique, pour certaines pratiques dont on sait qu’elles ne sont pas
sans risque pour le patient en raison notamment du haut niveau
de technicité qu’elles requièrent. Il est important que le patient
sache, quand il a recours à ce type d’acte – l’implantation d’un
défibrillateur par exemple – que cet acte est réalisé par un professionnel particulièrement qualifié dans ce domaine et dans les conditions d’environnement humain et technique nécessaires qui seront
définies avec les professionnels eux-mêmes.
Conclusion
Au terme de ce bref exposé, il me paraît important de dire que
l’évaluation des compétences et de la qualité en médecine libérale
doit devenir une dimension habituelle du paysage médical, non
pas banale, mais normale. Il faut dépasser la dimension inquisitoriale que ce projet peut encore avoir dans l’esprit de certains pour
devenir une règle constante, une référence commune, une véritable
culture partagée.
Je n’ignore pas les réticences qui peuvent se manifester de la
part de certains médecins qui voient, à tort je le pense, dans cette
procédure un assujettissement aux normes.
155
Qualité et compétence en médecine
Je crois, tout au contraire, que ces procédures d’évaluation des
compétences et de la qualité sont de nature à améliorer la valeur
de nos politiques et à renforcer la confiance des malades à votre
égard, au bénéfice de tout le système de santé en général.
La loi de modernisation du système de santé à laquelle nous
travaillons, Martine Aubry et moi-même, depuis déjà de nombreux
mois, vise essentiellement à améliorer cette confiance réciproque
des médecins et des malades.
Vous ne l’ignorez pas, nos sociétés connaissent actuellement
des attitudes paradoxales dans le domaine de la santé : les malades
veulent être de plus en plus respectés en tant que personne ; mais
il leur arrive de traduire cette volonté à travers des procédures
juridiques parfois excessives à l’égard des médecins qui témoignent
d’un manque de confiance.
Affirmer leur statut d’usager du système de santé, leur permettre de participer davantage à l’élaboration et à la gestion de la
politique de santé, c’est, j’en suis persuadée, l’un des moyens de
consolider la confiance des malades.
Les médecins, par leur volonté d’accroître leurs compétences et
la qualité de leurs pratiques, par leur engagement dans l’évaluation
courante de celles-ci, sont les premiers artisans de cette confiance.
Je tiens à leur dire, par votre intermédiaire, que nous les accompagnerons dans cette démarche et qu’ils peuvent compter sur nous
pour réussir cette ambition.
156

Documents pareils