Bulletin de veille stratégique

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Bulletin de veille stratégique
Volume 10, numéro 2, juin 2013
Dans ce numéro
Collaborations externes ................................................................................................................2
Identité nationale et intégration selon René Lévesque. ........................................................................ 2
Stratégie interculturelle : une vision d’ensemble en trois volets........................................................... 3
Travailleurs saisonniers mexicains et agriculture du Québec .............................................................. 5
De quoi la citoyenneté active est-elle le nom ?.................................................................................... 8
Immigration ...................................................................................................................................11
Migration et changements environnementaux ................................................................................... 11
Développement économique : l’apport confirmé de l’immigration ................................................. 12
Recrutement des étudiants internationaux : diversification en vue ................................................... 13
Huit politiques pour accroître la contribution de l’immigration de travail ........................................ 14
Intégration .....................................................................................................................................15
Adaptation des interventions : état des pratiques ............................................................................... 15
«Identités à trait d’union», une menace pour la cohésion sociale? .................................................. 16
Ouverture à la diversité ...............................................................................................................17
Modèle de gestion de la diversité en Catalogne ................................................................................ 17
Sujets divers ...................................................................................................................................18
Principe de l’exception culturelle remis en cause en Europe ............................................................ 18
Sortie de crise économique: focus sur la population immigrante ..................................................... 19
Fin de l’expression « Illegal immigrant » ............................................................................................... 21
Réalisation de la Direction de la recherche et de l’analyse prospective (DRAP)
Anne-Marie Fadel, directrice
Coordination : Lucie Bernier, agente de recherche et de planification socio-économique
Mise en pages : Line Gosselin
Collaborations externes
Identité nationale et intégration selon René Lévesque.1
Joëlle Quérin, enseignante en sociologie au Cégep de Saint-Jérôme;
doctorante en sociologie à l’UQÀM.
Le colloque de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et
citoyenneté (CRIEC) : Les nationalismes québécois face à la diversité
ethnoculturelle qui s’est tenu en mai 2013 fut l’occasion d’éclairer
quelques questions « sensibles » au Québec notamment : la nation, la
langue française et la politique en matière linguistique, l’intégration
des personnes immigrantes, la place de l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui encore, les positions de René Lévesque sur ces questions
constituent un point de référence privilégié.
En effet, grand démocrate, défenseur des droits de la minorité
anglophone et adversaire féroce du « nationalisme qui veut dire
racisme ou fascisme », tel que qualifié dans Attendez que je me
rappelle, Lévesque a défendu sans complexe un nationalisme fondé
sur la langue et la culture de la majorité, un nationalisme
d’affirmation de soi qui n’avait rien à voir avec le racisme.
Sources bibliographiques
LÉVESQUE, René. Option Québec.
Montréal, les Éditions de l’homme,
1968.
LÉVESQUE, René. La passion du
Québec. Montréal, Éditions Québec
Amérique, 1978.
LÉVESQUE, René. Attendez que je me
rappelle. Montréal, Éditions Québec
Amérique, 1986.
PICARD, Jean-Claude. Camille Laurin:
l’homme debout. Montréal, Boréal,
2003.
Pour Lévesque, une nation doit posséder un territoire, mais aussi des
caractéristiques communes : des traditions, une langue, une religion,
une mentalité propre et des structures sociales 2 (1964). Ainsi, le
nationalisme qu’il prône se fonde-t-il sur une volonté « de maintenir et
de développer une personnalité qui dure depuis trois siècles et demi.
Au cœur de cette personnalité se trouve le fait que nous parlons
français » (Option Québe, 1968). Dix ans plus tard, dans La passion du
Québec, il fait encore une fois référence à une identité qui aurait
« bientôt quatre cents ans ». (La passion du Québec, 1978).
Une politique linguistique renforcée
Fervent défenseur du français, Lévesque considère que la langue
française doit être la langue « normale » de tous les Québécois,
s’imposer d’elle-même, dans un Québec souverain. « Selon lui, un
peuple normal doté d’un vrai pays n’a pas besoin d’imposer sa
langue; celle-ci se répand dans tous les recoins de la société, comme
l’anglais aux États-Unis ou l’allemand en Allemagne ».3 Il est vrai qu’à
l’époque, très peu d’États avaient besoin d’accorder une protection
légale à leur langue nationale, parce qu’il allait de soi que tous
devaient l’apprendre et l’utiliser dans leur vie publique.
La position de Lévesque sur la question linguistique fut la suivante :
puisque le français ne s’impose pas de lui-même, alors il faut
l’imposer. Dans le contexte actuel en 2013, tout porte à croire que
Lévesque accepterait de renforcer la loi 101, mais qu’il se désolerait
d’avoir à le faire.
Ce texte reprend les grandes lignes d’une conférence intitulée Le nationalisme
conservateur face à la diversité : Un retour à Lévesque?, prononcée dans le cadre du
colloque de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC),
le 16 mai 2013.
2 Ce discours peut être écouté à l’adresse suivante:
http://www.youtube.com/watch?v=wp2jY5bEYSE&feature=plcp
3 Picard, Jean-Claude. Camille Laurin: l’homme debout. Montréal, Boréal, 2003, p.262.
1
2
Une politique d’intégration fondée sur le principe de convergence
culturelle
Favorable à une immigration qui respecte la capacité d’accueil des
Québécois, Lévesque craignait que l’identité québécoise soit
« "minorisée" par la politique d’immigration d’un État fédéral que nous
ne contrôlerons jamais ». Il affirmait d’ailleurs que « l’immigration doit
pouvoir être surveillée par la collectivité. C’est vital pour nous »,
comme il écrivait dans La passion du Québec.
Lévesque souhaitait une intégration linguistique et culturelle à la
majorité francophone plutôt qu’à la minorité anglophone.
En
réponse à la politique canadienne du multiculturalisme, le
gouvernement Lévesque a fait adopter une politique québécoise
d’intégration,
Autant de façons d’être Québécois. Dans ce
document, on affirmait que « la culture québécoise doit être d’abord
de tradition française » et agir à titre de « foyer de convergence des
autres traditions culturelles », un modèle qui présente l’intérêt d’être
clair, connu sous le nom de « convergence culturelle ».
Une réappropriation des pouvoirs de l’Assemblée nationale
Lévesque croyait que les parlements, et en particulier l’Assemblée
nationale du Québec, était l’endroit où devaient se prendre les
décisions qui concernent l’intérêt collectif. Il s’est opposé
farouchement à la Charte canadienne des droits et libertés dans la
Constitution canadienne qui transforma en droits individuels un
ensemble de questions qui relevaient autrefois du débat public et
parlementaire. Il se méfiait de « ce "gouvernement des juges" qu’on
prétendait instaurer au-dessus des parlements » (…) considérant
simplement qu’on « pouvait se passer de ce carcan juridique sans
pour autant brimer les droits de la personne », tel que formulé dans
Attendez que je me rappelle.
Ceux qui craignent aujourd’hui que les tribunaux invalident une
éventuelle Charte de la laïcité, une citoyenneté québécoise ou une
loi contre les écoles passerelles devraient se rappeler que Lévesque a
toujours refusé de laisser les questions fondamentales entre les mains
des juges. Contre le « chartisme » de Trudeau, Lévesque a toujours
défendu les pouvoirs de l’Assemblée nationale.
Stratégie interculturelle : une vision d’ensemble en trois volets
Ricard Zapata-Barrero, professeur de sciences politiques, Université
Pompeu Fabra (Barcelone, Catalogne, Espagne). Directeur du
Groupe de recherche interdisciplinaire en immigration (GRITIM-UP).
Expert au programme des Villes Interculturelles du Conseil de
l’Europe.
L’interculturalisme en tant que discours politique a permis au Québec
de se distancier du multiculturalisme canadien (Alain G. Gagnon,
2009). Comme stratégie politique, elle peut être un instrument
capable de réduire l’espace du racisme et de la xénophobie par une
nouvelle approche des politiques publiques (Zapata-Barrero, 2011).
L'interculturalisme que je voudrais présenter constitue une vision
d’ensemble qui englobe trois volets complémentaires : le volet du
contrat social que j’identifie avec Gérard Bouchard (2012), le volet
de la cohésion sociale de Ted Cantle, (2012) et le volet constructiviste
3
selon ma propre lecture de l’approche liée aux « avantages de la
diversité » de Phil Wood et Charles Landry (2008).
Trois plans communs à ces volets constitutifs d’une vision d’ensemble
peuvent être distingués :
Sources bibliographiques
1) La promotion d’une « technique de l’interaction positive», un
processus dynamique qui résulte du contact réciproque.
2) Une approche centrée sur la personne, définie comme porteuse
d’expressions d'identité différentes. La culture est ici considérée en
termes dynamiques, de sorte que les personnes peuvent entrer et
sortir librement de leur catégorisation culturelle. Par exemple, un
Québécois peut être libre d’être musulman, un arabe d’être
chrétien ou athée. La nationalité ne peut, en conséquence,
prédéterminer un comportement, une langue, une conception du
monde.
À partir de ces deux points, il appert que l’interculturalisme vise la
promotion des rapports, parce qu’on voit ici une fonction de
socialisation, de se connaître mieux pour vivre ensemble, sans
préjudices avec une éthique de respect de la différence. Ces
rapports peuvent être verticaux (avec l’État), horizontaux (avec les
autres membres de la société), ou bien viser le développement
réciproque des parties impliquées.
3) On constate qu’il y a au moins trois possibles hypothèses pouvant
justifier l’intervention en matière de diversité et qui sont à la base
de trois volets différents des politiques interculturelles.
Hypothèse sociale: la diversité tend à provoquer la ségrégation
et de l'exclusion, et à réduire le sentiment d'appartenance de la
ville.
Hypothèse politique: la diversité tend à modifier l'expression de
l'identité nationale du pays d’accueil, les valeurs traditionnelles
qui assurent la stabilité et le sens de la loyauté d’une société.
Hypothèse culturelle : la diversité tend à fermer les possibilités de
développer les capacités culturelles des citoyens et des
immigrants, qui ne sont pas pleinement développés dans une
société diversifiée. L'interculturalisme, en tant que technique
d'interaction positive, cherche alors à donner aux personnes les
moyens de développer leur créativité.
BOUCHARD. Gérard,
L’interculturalisme: un point de vue
québécois. Montréal. Boréal. 2012.
CANTLE, Ted. Interculturalism: The
New Era of Cohesion and Diversity.
London. Palgrave. 2012.
CONSEIL DE L’EUROPE. Living Together
As Equals in Dignity. White Paper on
Intercultural Dialogue. Strasbourg.
Conseil de l’Europe. 2008.
GAGNON, Alain-G. « Immigration in a
Multinational Context : From laissezfaire to an Institutional Framework in
Quebec » in R. Zapata-Barrero, éd.,
Immigration,
Self-Government
of
Minority
Nations.
Presses
interuniversitaires
européennes.
Peter
Lang. Pages 39-55. 2009.
SEN, Amartya. Inequality reexamined.
New York. Oxford University Press.
1992.
WOOD, Phil. & Charles LANDRY. The
Intercultural City: Planning for Diversity
Advantage. London. Earthscan. 2008.
ZAPATA-BARRERO,
Ricard.
Antiimmigration populism: Can local
intercultural policies close the space?
Discussion Paper - Policy Network 1-9.
2011.
Mon argument est qu’à partir de chaque hypothèse se développe
une théorie : théorie sociale de la diversité, théorie de l’État, théorie
culturelle de la diversité, qui constitue un volet particulier des
politiques interculturelles : volet cohésion, volet contractuel, volet
constructiviste.
Volet cohésion : tend à vouloir transformer les zones initiales de
conflit en zones de contact pour assurer une situation optimal de
« vivre ensemble », d’inclusion sociale.
Volet contractuel : vise à accepter les changements nécessaires
de la tradition nationale dans un contexte de diversité, tout en
préservant le contrôle de ces changements afin d’en gérer les
effets possibles sur les citoyens nationaux, notamment en
équilibrant le rapport entre diversité et tradition nationale, et donc
sans affecter la loyauté des citoyens et les droits des immigrants.
4
Volet constructiviste : vise la personne selon «ce que chacun veut,
peut, et est capable de faire ». Cette définition de la capacité
s’oppose à la perspective utilitariste qui définit l'égalité en termes
de biens matériels ; elle s'applique aux biens et aux ressources
primaires culturelles dont les gens ont besoin pour réaliser leur vision
particulière du monde, dans un contexte de promotion de
l’innovation et la créativité.
Il y a bien sur un lien entre la théorie politique sociale de Ted Cantle et
la théorie politique d’État de Gérard Bouchard de la diversité. Grâce
à la première, on assure le sentiment d’appartenance qui est clé
pour le second. Mais aussi dans l’autre direction, le sens de la loyauté
des nationaux, spécialement important lorsqu’il peut avoir des
sentiments d’identité partagés comme au Québec.
Site de Ricard Zapata-Barrero :
http://dcpis.upf.edu/~ricard-zapata/
Les deux premières théories reposent sur une perspective commune:
celle des droits humains individuels. Le volet constructiviste se fonde
sur une notion d’égalité différente : au sens de capacités et non au
sens matériel ou de droits. C’est cette idée que j’emprunte à
Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, que je propose
appliquer. La diversité est une ressource pour l’innovation et la
créativité, un bien public qu’il faut savoir distribuer afin qu’elle
développe les capacités créatives de la société et de sa population.
C’est ici qu’une citoyenneté basé sur les rapports culturels prend un
sens, autres les droits civils, sociaux et politiques.
En résumé, nous avons trois volets de politiques interculturelles qui ne
sont pas contradictoires, qui s’appliquent à différents degrés selon les
besoins concrets et différenciés de villes, leur coexistence donnant
une vision d’ensemble. Ma conviction est que cette complémentarité
des trois volets ne peut être que bénéfique pour générer une
dynamique sociale, politique et culturelle nouvelle, liée à la diversité.
La vision d’ensemble que je défends nous dit que le secret du succès
de la stratégie interculturelle n’est pas de défendre une voie contre
les autres, mais de les équilibrer. Ces trois volets peuvent très bien
définir le cadre d'un nouveau paradigme, qui affecte des politiques,
des comportements, des routines sociales et institutionnelles, des
pratiques culturelles et artistiques, des programmes de gestion
administratifs. Sans cette valeur ajoutée l’interculturalisme peut très
bien être une nouvelle phase du processus historique de gestion de la
diversité, mais sans atteindre le niveau d'être un nouveau paradigme
historique des sociétés démocratiques, particulièrement adapté pour
les gouvernements locaux.
Travailleurs saisonniers mexicains et agriculture du Québec
Sara María Lara Flores, chercheuse, Universidad Nacional Autónoma
de México.
L’ampleur de la migration mexicaine aux États-Unis est sans aucun
doute un phénomène de grande importance. En 2012, l’Institut
National de géographie et statistique du Mexique (INEGI) a rapporté
une perte de population de 27.6 personnes pour mille habitants
(Boletín de prensa 330/12). On calcule que 13 millions de personnes
nées au Mexique vivent aux États-Unis de façon légale ou illégale, soit
l’équivalant de 11.5% de la population totale du Mexique. Ils forment
la première minorité hispanophone des États-Unis. Néanmoins, depuis
la crise mondiale de 2009, la migration mexicaine vers les États-Unis
5
stagne. Les transferts de fonds qui étaient, après le pétrole, la
deuxième source de devises pour le Mexique, ont décliné de façon
alarmante. Selon la Banque de Mexico, les transferts de fonds vers le
Mexique sont passés de 26 058 millions $US en 2007 à 22 445 millions
$US en 2012. De plus, le retour d’un grand nombre d’émigrés
mexicains vers le Mexique, faute d’emploi ou à la suite d’une
déportation, est préoccupant à cause des conséquences
économiques, politiques et sociales que cela implique dans un
contexte national fort peu favorable où les indices de marginalité et
de pauvreté progressent sans cesse. Par exemple, au Mexique la
population en situation d’extrême pauvreté est passée de 11,7
millions en 2010 à 13 millions en 2012.
De son côté, la migration du Mexique vers le Canada est
quantitativement peu significative. Cependant, il n’en est pas moins
vrai que ce pays est la deuxième destination internationale des
Mexicains. Dans ce cas, la migration irrégulière est pratiquement
inexistante. Le profil des Mexicains au Canada est très diversifié du
point de vue de la qualification professionnelle, du statut migratoire
et des formes d’insertion dans l’économie canadienne 4 ; le groupe le
plus nombreux de migrants est celui des travailleurs saisonniers qui
rentrent au Canada grâce au Programme de Travailleurs Agricoles
Saisonniers Étrangers (PTAS). Selon Alan Simmons, Statistiques Canada
a comptabilisé 50 000 immigrants mexicains en 2006, la moitié d’entre
eux étaient arrivés avant 1995. En 2010, on enregistre l’arrivée de
3 866 Mexicains (1.4% du total des entrées dans le pays), dont une
proportion importante était représentée par des travailleurs qualifiés; il
y avait aussi des étudiants et des personnes sollicitant l’asile politique.
Le nombre de travailleurs agricoles saisonniers a connu une constante
progression depuis 1974, année de la signature d'un protocole
d'entente entre les gouvernements du Mexique et du Canada.
Aujourd’hui, le Mexique est la deuxième source de travailleurs
saisonniers pour le Canada, après les États-Unis. En 2010, les
travailleurs saisonniers mexicains, essentiellement une main d’œuvre
non qualifiée, représentaient 9.9% de l’ensemble des travailleurs
saisonniers étrangers au Canada.5 D’après les sources du ministère
de travail du Mexique, pour la saison 2012, on compte plus de 17 000
travailleurs saisonniers mexicains qui ont rentrés par le PTAS pour
travailler dans l’agriculture canadienne. Selon les données de la
Secretaría del Trabajo y Previsión Social, (Mexico, 2012), ils sont
répartis ainsi par province canadienne: 49% en Ontario, 20% au
Québec, 20% en Colombie Britannique, 5% en Alberta, 2% au
Manitoba et 4% dans le reste du pays. On constate que le modèle de
migration contrôlé par des programmes d’embauche temporaire et
de visas de travail constitue une différence importante par rapport à
la situation de la migration mexicaine aux États-Unis.
Sources bibliographiques
INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICA
Y GEOGRAFIA, Boletín de prensa
330/12, 17 septembre, 2012, pp.1-5;
BBVA, Research. Documentos de
trabajo, février, 2011, pp. 9.
SIMMONS, Alan. “La actualidad de
las políticas migratorias del estado
canadiense y su impacto en
México”, communication présentée
dans le cadre du Seminario
Permanente de Investigación sobre
Migración
México
Canadá,
Universidad Nacional Autónoma de
México, 30 de Noviembre 2011.
PEW HISPANIC CENTER. A portrait of
unauthorized Immigrants in the
United States, 2011. Janvier 2013. 8
pages.
INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICA
Y
GEOGRAFIA,
Migración.
Características
demográficas,
consulté
in
www.inegi.gob.mx,
4/06/2013.
COMMISSION SUR L’AVENIR DE
L’AGRICULTURE
ET
DE
L’AGROALIMENTAIRE
QUÉBÉCOIS.
Agriculture et agroalimentaire :
assurer et bâtir l’avenir, janvier 2008.
274 pages.
ROBERGE, Geneviève. La maind’œuvre agricole mexicaine et
guatémaltèque
au
Québec :
perspectives de classe sociale,
d’ethnicité et de genre, Mémoire de
maîtrise en anthropologie, Université
de Laval, 2008. 148 pages.
FERME
http://www.fermequebec.com/4Realisations-et-temoignages.html,
consulté le 03/05/2012
Au Québec, ce n’est qu’en 1995 qu’arrivent pour la première fois
833 travailleurs mexicains. Ce nombre a augmenté peu à peu et en
2008, ils étaient 3 536 selon la Commission sur l'avenir de l'agriculture
et de l'agroalimentaire québécois, dans son rapport : Agriculture et
agroalimentaire : assurer et bâtir l’avenir (2008). Selon les estimations
Alan Simmons, “La actualidad de las políticas migratorias del estado canadiense y su
impacto en México”, communication présentée dans le cadre du Seminario
Permanente de Investigación sobre Migración México - Canadá, Universidad Nacional
Autónoma de México, 30 de Noviembre 2011.
5Simmons, Ibidem.
4
6
du Consulat du Mexique à Montréal, ils étaient plus de 4 000 en 20126.
Le recours à la main d’œuvre étrangère est un atout pour les fermiers
québécois pour faire face à la crise de l’agriculture dans cette
province. Selon le Rapport de la Commission sur l’avenir de
l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, les agriculteurs de la
province du Québec signalent comme principaux problèmes :
•
•
•
•
•
•
La compétition accrue provenant des autres pays
de
l’hémisphère sud et émergents;
La courte saison de production québécoise qui n’est que de
3-4 mois;
La parité du dollar qui limite les exportations et favorise les
importations;
L’endettement généralisé des producteurs;
La très forte concentration de la commercialisation à travers
trois entreprises (Loblaw, Sobeys et Métro) qui contrôlent 75%
de la distribution alimentaire;
La pénurie de main d’œuvre.
Cette dernière problématique a commencé à devenir grave pour les
agriculteurs québécois à la fin des années 1990, dû à différents
facteurs sociodémographiques, mais surtout à l’augmentation de la
superficie des fermes, de plus en plus spécialisées, modernisées et
intégrées par le secteur de la distribution agroalimentaire.
Inévitablement, ce processus de concentration a permis une
importante augmentation du chiffre d’affaires des entreprises
agricoles restées en place.
Ce sont donc les fermes dédiées aux cultures maraîchères qui
demandent de plus en plus de travailleurs saisonniers étrangers ; 74%
des agriculteurs qui ont recours à la main d’œuvre étrangère sont
spécialisés dans les cultures maraîchères, selon la Fondation des
Entreprises en Recrutement de la Main d’œuvre Étrangère (FERME).
Selon la même source, en 2011 le secteur maraîcher du Québec était
constitué de 1 469 producteurs dont 600 avaient recours à la main
d’œuvre étrangère, essentiellement mexicaine et guatémaltèque.
Cette dernière remonte à 2003 avec 215 travailleurs saisonniers
guatémaltèques venus grâce au Programme des travailleurs peu
spécialisés de l’époque. En 2013, les deux groupes de travailleurs
agricoles saisonniers sont en semblable nombre présents au Québec.
Ces travailleurs effectuent les tâches considérées les plus pénibles
(températures extrêmes, en plein champs, etc.) et souvent
dangereuses à cause de la manipulation de produits chimiques.
Différentes recherches mettent l’accent sur la précarité de leurs
conditions de travail et de logement.7 Elles constatent en particulier
les inégalités de leurs salaires fixés à la tâche ou à l’heure par rapport
aux salaires de la population québécoise, et des horaires de travail
qui se prolongent en fonction de la demande du marché allant
jusqu’à douze heures par jour et sans respecter les jours de congé.
Finalement, les conditions de vie de ces travailleurs agricoles
saisonniers sont également précaires ; ils sont séparés de leurs familles,
Entrevue réalisée avec la consule Adriana Villanueva, chargée du PTAS au Consulat
du Mexique à Montréal (septembre 2012).
7 Une révision bibliographique exhaustive sur le sujet se trouve dans Karen Bronsard,
Main-d’œuvre mexicaine dans des terres agricoles québécoises : entre mythe et
réalité. Mémoire de maîtrise en sciences géographiques, Université de Laval, 2007,
Québec.
6
7
obligés de vivre chez l’employeur, parfois dans des logements qui ne
correspondent pas aux normes établies, isolés dans des fermes
éloignées des localités urbaines, souvent sous surveillance des patrons
qui s’arrogent le droit de contrôler leur vie privée, surtout dans le cas
des femmes. Ils sont également exclus de la vie quotidienne
québécoise par la culture, la langue et la pauvreté.
Ces conditions de vie et de travail clairement défavorables par
rapport aux conditions normales exigées par la population
québécoise font maintenant l’objet de débats qui mettent en
évidence non seulement la fragilisation sociale de ces travailleurs si
nécessaire à la bonne marche de l’agriculture régionale, mais aussi
des dérives concernant les droits à la personne. Il semble donc
maintenant nécessaire de trouver une véritable formule « gagnantgagnant» entre agriculteurs et travailleurs saisonniers étrangers qui
permettent le développement de l’agriculture québécoise tout en
offrant de meilleures conditions de vie et de travail aux travailleurs
migrants, ainsi que des possibilités d’insertion à long terme dans la
société d’accueil.
De quoi la citoyenneté active est-elle le nom ?
Mouloud Idir, coordonnateur du secteur Vivre ensemble du Centre
justice et foi
Il s’agit ici de préciser, succinctement, ce que l’on entend par l’idée
de citoyenneté active et/ou élargie, surtout en vue de mettre cette
perspective au crible des rapports de domination et d’exclusion qui
sont sous-jacents à certains de nos enjeux autour de la diversité
ethnoculturelle.
Centre justice et foi
http://cjf.qc.ca/fr/ve/index.php
Mon propos général consiste d’abord à rappeler que les
phénomènes d’exclusion que je décèle dans les débats relatifs à la
diversité ethnoculturelle sont de plus en plus documentés. Ils renvoient
autant aux stéréotypes qui découlent des débats récents sur
certaines catégories de notre immigration, mais aussi à la
configuration largement utilitariste de notre régime migratoire. Un
modèle d’ailleurs qui confine de plus en plus à la précarité des
réfugiés et de grandes catégories de personnes migrantes. Mais qui
tend aussi à induire l’idée que certains groupes seraient
incompatibles avec nos valeurs.
Les exclu-e-s de l’inclusion
Ce que je m’efforce de faire valoir ici renvoie moins à une exclusion
de droit qu’à une des formes d’exclusions intérieures, et ce concept
ne se rapporte pas seulement à un statut juridique, mais à sa
combinaison avec des représentations et des pratiques. L’importance
des droits formels est indéniable, mais leur rapport avec l’usage, avec
la disposition du pouvoir ou de la « puissance d’agir » ne l’est pas
moins. C’est donc à une sorte d’exclusion de l’inclusion effective que
je souhaite que l’on s’attarde dans nos débats.
Il s’agit là de remarques abstraites, mais dont la signification est
immédiate quand on veut étudier des phénomènes d’exclusion
intérieure : dans sa définition la plus générale, celle-ci signifie qu’une
frontière « extérieure » se trouve redoublée d’une frontière
« intérieure », ou encore qu’une condition d’étranger se trouve
projetée à l’intérieur d’un espace politique ou d’un territoire national
de façon à y créer une altérité inassimilable, ou au contraire qu’une
8
catégorie anthropologique se voit affectée d’un supplément
d’intériorité et d’appartenance, de façon à la repousser au-dehors.
Cela veut dire aussi que cette dynamique s’applique
quotidiennement dans l’expérience politique : exclusion et inclusion
ne décrivent pas tant des règles ou des situations fixes que des enjeux
de conflits au travers desquels, en quelque sorte, la citoyenneté
« réfléchit » ses propres conditions de possibilité. Si quelqu’un est exclu
de la citoyenneté de façon radicale, en particulier au titre de ce
qu’Étienne Balibar appelle des « exclusions intérieures », cela ne veut
jamais dire qu’il reste simplement au-dehors de la communauté. Cela
veut dire qu’il est exclu de l’inclusion, autrement dit d’un statut, mais
plus profondément d’un pouvoir ou d’une capacité. Il s’agit ici moins
d’une réflexion sur l’institution de la citoyenneté que sur l’accès
effectif à celle-ci.
Étienne Balibar.
Auteur prolifique et engagé.
Professeur émérite de philosaphie.
Université de Paris Ouest, Nanterre
/ La Défense.
La perspective ici esquissée pose maintenant la nécessité de clarifier
en quoi la notion de citoyenneté active aide à mieux penser les
enjeux d’exclusion. C’est globalement le fait de donner au plus grand
nombre non pas seulement des droits, mais les conditions et le
pouvoir de dire leur vision sur le monde commun qui est ici posé.
Citoyenneté active et conflit politique
Dans nos débats sur le pluralisme, une telle approche peut aider à
éviter l’écueil des débats interminables entre ce qui est universel ou
particulariste ou entre ce qui est conservateur ou progressiste. Se
pose pour moi avec plus d’intérêt une approche qui poserait
dialectiquement une perspective pensée par le recours à
l’expérience - en fonction des possibilités concrètes d'émancipation
qu'elle induit concrètement sur le terrain politique - et non a priori
suivant un dogme ou une loi. De la sorte, le conflit des universalismes
n'aurait pas de solution préétablie, mais donnerait plutôt lieu à des
« cosmopolitismes alternatifs », et même à des « sécularismes
alternatifs »8.
La citoyenneté active n’est donc pas un mode d’être, mais un mode
d’agir où des sujets ou des individus brisent des identités, voire des
appartenances, qui les assignent à des places déterminées et
oppressives qui délimitent leur capacité de prendre part au monde,
au commun.
Se pose aussi la question de la solidarité : celle-ci peut laisser croire à
une sorte de permanence dans l’« agir politique ». Le plus important à
retenir ici est surtout le déplacement des positions dites naturelles
dans l’ordre social. Car le propre de la politique consiste notamment
Balibar, qui m’inspire sur ces enjeux et auquel je dois tout sur ce point, souligne
qu’«’il n’existe rien de tel qu’un conflit purement religieux dans le monde d’aujourd’hui,
et tout affrontement entre des représentations et des communautés religieuses, ou
entre elles et leurs antithèses séculières, est toujours fondamentalement politique. Un
discours et une institution « publics » qui tirent essentiellement leur légitimité d’une
formation historique nationale (et donc nationaliste, y compris sous la forme
« républicaine ») n’est pas en lui-même plus universel ou universaliste que le discours
d’une religion transnationale. En tout cas son degré supérieur d’universalité ne peut se
proclamer a priori : il faut le démontrer expérimentalement, en particulier sur le terrain
des possibilités d’émancipation qu’il offre à ses citoyen(ne)s. Lorsqu’une différence
religieuse ou théologique devient conflictuelle (et il nous appartient à chaque fois de
déterminer les conditions qui cristallisent le conflit ou le rendent antagoniste). Il est plus
juste de dire qu’elle ouvre tout grand le champ de la concurrence entre des
cosmopolitismes alternatifs. Et de la même façon je voudrais essayer de montrer qu’elle
forme le siège d’une concurrence entre des « sécularismes alternatifs ».
Pour en savoir plus :
www.raisonpublique.fr/article452.html#n
b11
8Étienne
9
dans les reconfigurations à l’échelle sociale, mais aussi dans
l’apparition de nouveaux sujets citoyens.
La citoyenneté active pose ici la nécessité de l’écart entre les
identités. Elle pose la question de la subjectivation politique. Un sujet
politique n’est pas un groupe ou une partie de la société qui défend
ses intérêts et ses valeurs ou qui demande sa part en fonction de ce
qu’il est. Les sujets politiques sont des sujets du litige – ou du dissensus.
Ils permettent de mesurer l’écart de la citoyenneté à elle-même.
Quand des Noirs, des migrants ou sans-abris (pour ne prendre que ces
exemples) prennent la parole, ils contribuent à nier les dispositions
que l’on rattache à leur condition ou leur incapacité spécifique du
fait de l’identité que nous en avons.
Dans cette optique, les groupes qui se mobilisent collectivement ne
manifestent pas les traits d’une identité. Ils mettent plutôt en scène
des rapports entre identités : mieux encore, ils mettent en scène un
rapport entre inclusion et exclusion. Nous en comprenons donc que
les identités exclues peuvent parvenir à une remise en cause du
décompte social en dévoilant, par leur mobilisation, des torts ou des
injustices. C’est cette potentialité, qui n’est pas réductible au seul fait
d’avoir des droits qui nous aide à comprendre et poser l’idée de
citoyenneté active.
Car l’émancipation procède de la possibilité de s’extirper d’une
identité sociale : l’émancipation passe par une connaissance de soi
comme être voué à autre chose que ce que l’on est censé être.
C’est la subjectivation politique qui rend cela possible.
Je dirais donc que c’est notamment à travers une réflexion sur la
précarité qui afflige une grande partie des migrants et des réfugiés –
tout comme les personnes les plus vulnérables et exclues de notre
société – que le questionnement sur la citoyenneté prend ici toute
son importance. Un tel cheminement permet de faire émerger une
conception plus substantielle et élargie de la citoyenneté, en faisant
de cette dernière une pratique collective plutôt qu’un seul statut
d’ordre juridico-politique. De nombreuses personnes qui ont à cœur
de rompre le cycle d’inhumanité dans lequel sont confinés les
migrants affirment d’ailleurs que leurs luttes représentent des
moments privilégiés de développement de la citoyenneté active,
sans laquelle il n’y a pas de cité, mais seulement une forme étatique
coupée de la société et empêtrée dans son abstraction. Le politique
prend en effet tout son sens lorsque les personnes auxquelles aucune
place n’est assignée dans l’ordre social commencent à rendre
audibles leurs doléances et à s’organiser. Cela ne veut pas dire
prendre inconditionnellement partie pour les exclus (comme les plus
précarisés des migrants), mais plutôt opter pour l’égale participation
de tous aux affaires de la cité. Et il s’agit surtout de comprendre que
la citoyenneté n’est pas quelque chose que l’on donne. Elle se
construit collectivement, notamment à travers les conflits. Or, nous
vivons dans une société qui ne sait plus accepter les conflits, les
organiser et en négocier les sorties de crise. Dans un tel contexte, il ne
faut pas s’étonner de voir des formes de citoyenneté active qui
consistent à désobéir, comme le font les groupes qui aident des
travailleurs temporaires traqués ou encore des migrants en situation
irrégulière et sans statut qu’on maintient souvent dans une situation
de grande vulnérabilité et précarité.
10
Pour moi, l’immigré fonctionne comme un excellent analyseur de
l’inconscient social et collectif d’une société. Il nous permet
d’interroger la force coercitive de la structure étatique. Au fond, la
vertu politique et la force heuristique de l’immigré et de l’immigration
résident en ceci qu’ils dénaturalisent le rapport au monde. Pour le
dire autrement, l’étranger oblige à re-historiciser les rapports sociaux
et les données jugées « naturelles » comme l’État, le territoire ou la
nation.
Immigration
Migration et changements environnementaux
Lucie Bernier, Direction de la recherche et de l’analyse prospective.
Dans Policy Brief Series du Migration Policy Institute Europe de mai
2013, Andrew Geddes et Will Somerville consacrent un article à la
question des migrations et des changements environnementaux en
étudiant l’Union européenne (UE) de plus près.
Ils constatent d’abord que l’on est loin des analyses initiales qui
établissaient un lien fort peu complexe entre changements
environnementaux et migrations. Tout au contraire à présent, les
milieux scientifiques abordent ces questions dans une vaste
perspective holistique aux causes et aux impératifs multiples et
divers, et aux relations toujours de plus en plus complexes qui
s’étendent bien au-delà des pays d’immigration.
Ces deux chercheurs constatent que la plupart des migrations
résultant de changements environnementaux surviennent à
l’extérieur du territoire européen. Les populations migrantes
désavantagées économiquement, à cause de bouleversements
environnementaux souvent dus aux changements climatiques et
voulant améliorer leurs conditions, migrent des zones rurales vers les
zones urbaines toujours de plus en plus denses, privilégiant les villes
côtières, d’abord et surtout à l’intérieur d’une même région
géographique d’Asie et d’Afrique, surtout. Parallèlement, la qualité
de vie dans ces villes démesurées diminue alors que la pauvreté
augmente. Or, cette pauvreté croissante des populations réduit
inéluctablement la capacité migratoire de certains groupes, selon
un effet « souricière » qui les figent sur un territoire. Ainsi, bien
qu’immigrer puisse constituer la meilleure stratégie d’adaptation de
ces populations aux changements environnementaux, elles peuvent
fort bien ne pas disposer des ressources leur permettant d’opter
pour cette stratégie.
Sources bibliographiques
GEDDES,
Andrew
et
Will
SOMERVILLE.
Migration
and
environmental
change :
Assessing
the
developing
European approach. Policy Brief
Series. Research from Migration
Policy Institute Europe. Mai 2013.
7 pages.
http://www.migrationpolicy.org/
pubs/MPIEuropeEnvironmentalMigration.pdf
EUROPEAN
COMMISSION.
Climate change, environmental
degradation, and migration.
European
Commission,
Commission
Staff
Working
Document, 2013.
http://ec.europa.eu/clima/polici
es/adaptation/what/docs/swd_2
013_138_en.pdf
C’est dire, selon Geddes et Somerville, qu’on ne saurait s’attendre à
une hausse de l’immigration en Europe qui soit le résultat direct de
changements environnementaux. La même conclusion nous semble
pouvoir être formulée à l’égard des autres pays d’immigration.
Partant d’un document récent de l’Union européenne (UE) :
Climate change environmental degradation and migration,
Geddes et Somerville constate une tendance nouvelle à vouloir
inscrire les politiques migratoires à l’intérieur des stratégies de
développement et de les penser comme partie d’un ensemble de
politiques, non plus comme politique unique et isolée. Toutefois,
constatent-ils, les actions concrètes proposées dans le document
11
sont faibles. Or, la situation européenne actuelle appelle à des
solutions énergiques : des mesures visant le renforcement et
l’amélioration de la coordination de l’UE en situation de crises,
également l’amélioration de la gouvernance et, lorsqu’approprié, le
support aux migrations. Ces dernières peuvent ultimement et sous
certaines conditions véritablement améliorer la qualité de vies des
communautés d’origine également celles de destination.
Développement
l’immigration
économique :
l’apport
confirmé
de
Lucie Bernier, Direction de la recherche et de l’analyse prospective
Spécialiste des études macros et de la perspective globale, le
professeur Matthew R. Sanderson récidive en abordant le
phénomène contemporain incontestable : la globalisation de
l’immigration internationale, phénomène caractérisé à la fois par
l’important volume de personnes immigrantes, par l’extrême diversité
des pays d’origine et des pays de destination, également par
l’originalité et la diversité tout aussi remarquables des mouvements
régionaux observés. L’étude du professeur Sanderson : Does
Immigration Promote Long-Term Economic Development? vise
d’abord à vérifier l’hypothèse selon laquelle l’immigration permet de
hausser les niveaux de vie des populations, tant des pays d’origine
que des pays d’accueil; pour ce faire, il procéde à une vaste analyse
des données nationales de 122 pays, de 1965 à 2005. Sans
équivoque, les résultats de l’étude Sanderson permettent d’abord
permis de confirmer que tous les pays impliqués, à long terme, tirent
profit de l’immigration, précisément d’une hausse de revenus per
capita.
Sources bibliographiques
SANDERSON. Matthew R., Does
Immigration
Promote
Long-Term
Economic Development? A Global
and Regional Cross-National Analysis,
1965-2005. Journal of Ethnic and
Migration Studies. Vol. 39. No. 1,
Janiver 2013. Pages 1-30.
http://www.tandfonline.com/doi/abs
/10.1080/1369183X.2013.723244
RATHA. Dillip et William SHAW. SouthSouth Migration and Remittances.
World Bank Working Paper No. 102.
Washington DC. 2007. 38 pages.
http://www.migrationinformation.org/
Feature/display.cfm?ID=641
Dans un deuxième temps, le professeur Sanderson cherche à vérifier si
ce constat global est également valable d’une région à l’autre dans
le monde. Il faut rappeler que dès 2007, pour le compte de la Banque
mondiale, Ratha et Shaw ont établi que les migrations Sud-Sud
étaient quasi aussi importantes en nombre que les migrations NordSud. Or, constate le professeur Sanderson, les bénéfices économiques
de l’immigration ne sont pas pour autant uniformément répartis. Pour
en connaitre les causes, il prend l’Amérique latine et les Caraïbes à
titre d’exemple, la région qui compte le moins de migrants
internationaux au monde, soit 7 millions ou 3% de tous les migrants au
monde en 2012 selon les données de l’ONU. Dans ce contexte, les
conclusions qui concernent une région de cette zone Sud-Sud
acquièrent une importance globale accrue. Ses analyses
additionnelles mènent à conclure que le haut taux de fertilité d’un
pays réduit les retombées économiques de l’immigration dans la
mesure où des niveaux élevés d’immigration semblent exacerber les
problèmes associés à la croissance populationnelle dues aux
naissances et aux charges sociales qui y sont associées, atténuant
d’autant les gains économiques à plus long terme.
Finalement, Sanderson termine son analyse en situant ses résultats à la
lumière de précédentes recherches en développement économique
et en immigration. Et de conclure que l’immigration qui, d’une part
permet l’amélioration certaine des populations quelque soit le pays
concerné, d’autre part, tend à renforcer les disparités existantes entre
les pays plus ou moins développés, puisque que tous ne profitent pas
12
dans la même mesure des retombées économiques bénéfiques
certaines.
Il y a là une avancée scientifique de semblable nature que le constat
des migrations circulaires par rapport à l’exode des cerveaux, de
l’intérêt des transferts de fonds dans le développement des pays
d’origine, de l’importance des immigrants sans papier dans
l’économie américaine, ou des BRICS émergents contrepoids récent
à l’hégémonie des pays traditionnels d’immigration.
Recrutement des étudiants internationaux : diversification en
vue
Lucie Bernier, Direction de la recherche et de l’analyse prospective.
Les étudiants internationaux représentent une source potentielle
intéressante d’immigration temporaire mais également permanente,
et pour laquelle des efforts de recrutement sont déployés par les pays
d’immigration, souvent en compétition les uns avec les autres. C’est
pourquoi cet article du World Education Services : Beyond More of
the Same : The Top Four Emerging Markets for International Student
Recruitment présente un intérêt certain. Bien qu’il aborde la question
de recrutement par rapport aux États-Unis, l’analyse, les observations,
les conclusions et les recommandations peuvent fort bien s’appliquer
au Québec, et être prises en compte dans une perspective
nationale.
Les travaux de cette étude partent du constat que la moitié des
étudiants internationaux aux États-Unis proviennent d’un nombre
restreint de pays: Chine, Inde, Corée du Sud. Semblable phénomène
de concentration s’observe au Québec où la France avec les ÉtatsUnis et la Chine dans une mesure moindre constituent les principales
sources de provenance d’environ 45% des étudiants internationaux
au Québec en 2012. Or, il importe que les institutions d’enseignement
supérieur, quelles qu’elles soient et où qu’elles soient, puissent élargir
leur marché à un plus grand nombre de pays source, et balancer
ainsi leur potentiel de risques à puiser à quelques sources restreintes,
d’incertitudes, à s’ouvrir à des marchés émergents, à des formations
académiques insuffisantes, à des capacités financières limitées.
Les chercheurs Choudaha et Kono ont fait appel à des experts en
recrutement spécialisés en éducation supérieure, pour identifier les
marchés émergents, d’intérêt pour les institutions d’enseignement
supérieur américaines; par ordre d’importance, l’Arabie saoudite, le
Brésil, le Vietnam et la Turquie représentent les sources les plus
intéressantes de recrutement vers lesquelles elles devraient se tourner.
Pour chaque pays identifié, l’étude précise les éléments particuliers
qui en font un choix intéressant pour les institutions américaines:
programme de bourses d’études à l’étranger, tel King Abdullah
Scholarship Program (Arabie saoudite) ou Scientific Mobility Scolarship
Program (Brésil), croissance de la classe moyenne (Vietnam),
croissance démographique; également, l’étude identifie les
meilleures façons d’intervenir selon le territoire ciblé : offre de
formation linguistique intensive en anglais pour ces étudiants
étrangers dont la langue première n’est pas l’anglais, recrutement
assorti d’une aide financière américaine, profil des étudiants
potentiels et réponse à leurs spécificités selon le pays source.
Sources bibliographiques
CHOUDAHA, Rahul et Yoko KONO.
Beyond More of the Same : The Top
Four Emerging Markets for International
Student Recruitment. Research Report
03. World Education Services (WES)
Research and Advisory Services. 2012.
26 pages.
www.wes.org/ras
KUZNETSOV.
Andrei
et
Olga
KUZNETSOVA. Looking for Ways to
Increase
Student
Motivation :
Internationalisation
and
Value
Innovation. Higher Education Quaterly.
Vol. 65, no. 4. Octobre 2011. Pages
353-367.
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.11
11/hequ.2011.65.issue-4/issuetoc
13
Sur le même sujet, une autre étude empirique menée auprès
d’étudiants chinois en Grande-Bretagne confirmait l’importance de la
perception et des attentes de la clientèle étudiante dans la position
des institutions d’enseignement supérieur au niveau international.
Huit politiques pour accroître la contribution de l’immigration
de travail
Simon David Yana, Direction de la recherche et de l’analyse
prospective
Migration Policy Institute recense huit stratégies complémentaires
pour sélectionner les immigrants qui ont le plus de chances de réussir,
impliquer de façon constructive les employeurs, et faciliter
l’intégration des immigrants.
1- Créer des possibilités de passage des visas temporaires aux visas
permanents.
Les résidents temporaires représentent un riche bassin dans lequel les
résidents permanents peuvent être sélectionnés. Les règles de
transition de statut doivent cependant être claires et prévisibles afin
que chacun puisse s’y préparer suffisamment à l’avance. La
résidence permanente doit offrir ici un plus large accès au marché du
travail local.
Source bibliographique
PAPADEMETRIOU. Demetrios G. et
Madeleine SUMPTIONS. 2011. Eight
Policies to boost the Economic
Contribution of Employment-Based
Immigration.
Washington,
DC :
Migration Policy Institute.
2 – Simplifier la procédure d’immigration pour les travailleurs les plus
qualifiés.
L’ouverture aux personnes les plus talentueuses nécessite des mesures
qui assurent un traitement rapide et sûr des demandes, sans limite par
rapport au pays d’origine ou au nombre, et avec la charge
administrative la plus faible et la plus raisonnable.
3 – Retenir les meilleurs étudiants étrangers
Des programmes offrent aux étudiants étrangers la possibilité de rester
dans le pays après leurs études pour chercher un emploi; ils peuvent
changer d’employeur sans demander un nouveau visa;
leurs
employeurs n’ont pas à prouver leurs efforts de recrutement. La
réussite d’un tel programme implique que les étudiants étrangers
soient fortement sélectionnés, dès leur admission dans des
programmes de formation menant aux emplois les mieux rémunérés.
4 – Reconsidérer le rôle des frais de visa
L’imposition de frais substantiels pour les visas de travail pourrait aider
à hiérarchiser les demandes, déterminer plus efficacement les réelles
demandes et ajuster les limites quant au nombre de visas. Les
employeurs pourraient ainsi contourner les restrictions dues aux
systèmes saturés de visas et aux délais trop longs. Les revenus
additionnels peuvent être réinvestis selon les besoins.
5 – Récompenser les employeurs qui jouent le jeu
Un système d’enregistrement, de pré-qualification ou d’accréditation
des employeurs devrait permettre de les distinguer selon leur niveau
de risque. Les entreprises pouvant acquérir ainsi un statut privilégié
pourraient être récompensées par un accès plus facile aux visas ou
une exemption aux éventuels quotas.
14
6 – Bâtir des institutions centrées sur l’adaptation et la flexibilité
Une culture institutionnelle d'adaptation et de flexibilité s’acquiert en
développant les capacités de recherche et d'analyse politique. La
recherche et l’analyse systématiques donnent aux décideurs
politiques une meilleure compréhension du fonctionnement réel du
système d’immigration, de ses effets spécifiques sur le marché du
travail et sur l’économie en général, et de l’effet anticipé des
réformes proposées. Elles contribuent à créer la volonté politique de
réviser régulièrement le système d'immigration à partir d’une analyse
de fond, plutôt que le calcul politique ou l'idéologie pure.
7 – Adopter une approche stratégique de l’intégration des
immigrants
Certains pays disposent de hauts fonctionnaires responsables de
l’intégration, ou de ministres exclusivement responsables de
l’immigration et explicitement en charge de l’intégration des
immigrants et de la citoyenneté, ou encore de ministres ou de sousministres dans les services gouvernementaux les plus pertinents pour
l’intégration des immigrants, comme les ministères du travail ou des
affaires sociales.
8 – S’assurer de l’engagement régional et local dans le processus
d’admission
Certains pays ont astucieusement intégré les besoins des régions aux
processus de sélection et d'admission des immigrants alors que
d’autres ont mené des actions plus limitées.
En fin de compte, les gouvernements souhaitant adopter une
approche plus réfléchie et plus stratégique de l'immigration de travail
ont plusieurs leviers politiques à leur disposition. Les bonnes pratiques
se développeront davantage avec l’entrée de nouvelles nations
dans ce champ politique dynamique.
Intégration
Adaptation des interventions : état des pratiques
Marie-Bernarde Pérès, Direction des politiques et programmes de
relations interculturelles
Selon les résultats de la recherche : Adaptation des interventions aux
besoins des immigrants/es en situation de violence conjugale : état
des pratiques dans les milieux d’intervention, une intervention
adaptée doit être offerte dans la langue de la personne immigrante
de façon à répondre à ses besoins de communication; cette
intervention respecte également la personne immigrante par une
sensibilité à sa vision du monde, à ses valeurs et à ses besoins. De plus,
elle met en œuvre certains principes de l’approche interculturelle,
comme la décentration, l’exploration et la compréhension du
système de l’autre et la recherche d’un dénominateur commun; elle
permet aussi le développement d’une alliance thérapeutique en
privilégiant le respect du rythme et l’établissement d’un lien de
confiance avec la personne. Enfin, elle socialise les personnes
immigrantes aux normes de la société d’accueil par la transmission
d’informations relatives au fonctionnement des institutions et aux lois.
La recherche montre aussi que, dans la pratique, l’adaptation des
15
interventions auprès des personnes immigrantes suppose une tension
constante entre continuité et changement.
Divers incidents décrivent la diversité des situations dans lesquelles les
intervenants (tes) sont amenés à intervenir auprès des personnes
immigrantes : ceux liés aux représentations de la violence, ceux,
critiques, mettant en jeu des rapports difficiles entre les personnes
immigrantes et les institutions du pays d’accueil (police, Direction de
la protection de la jeunesse). La recherche permet aussi de constater
que les femmes sont particulièrement vulnérables quand leur conjoint
exploite les failles du système pour brimer leur droit à la résidence
permanente ou à des ressources financières. Les incidents liés aux
conflits de loyauté démontrent que les personnes immigrantes
ressentent de fortes pressions de leur entourage pour préserver l’unité
du couple et de la famille et exclure le divorce ou la séparation en
tant que solution au problème de violence conjugale. On se trouve
ici face à des questions d’honneur familial à préserver. Les incidents
en lien avec l’isolement social et la dépendance au conjoint révèlent
la grande vulnérabilité de certaines femmes immigrantes. Leurs
conjoints exercent un contrôle sur elles. Les incidents liés aux troubles
psychologiques montrent un lien entre la migration, la violence
conjugale et les problèmes de santé mentale.
Source bibliographique
RINFRET – RAYNOR. Maryse et all.
Adaptation des interventions aux
besoins des immigrants /es en
situation de violence conjugale : état
des pratiques dans les milieux
d’intervention. CRI VIFF. Collection
Études et analyses, no. 45. Février
2013. 215 pages.
http://www.criviff.qc.ca/cms/index.p
hp?lang=fr&accueil=1
Cette recherche propose des pistes d’action et documente les
intervenants (tes) sur ce qu’est une intervention adaptée auprès des
personnes immigrantes en situation de violence conjugale sous
l’angle de leurs pratiques. Elle met en relief les défis et les enjeux
qu’une telle intervention auprès de personnes immigrantes en
situation de violence conjugale comporte. Enfin, l’équipe de
recherche précise que d’autres études sont nécessaires pour analyser
le point de vue des principales personnes concernées : les personnes
immigrantes qui reçoivent des services. En effet, la comparaison de
ces deux points de vue apporterait d’autres pistes d’analyses sur ce
qui constitue une intervention adaptée.
«Identités à trait d’union», une menace pour la cohésion
sociale?
Mélanie Deslauriers, Direction de la recherche et de l’analyse
prospective
La septième plénière du Transatlantic Council on Migration s’est
penchée, sur les implications perçues ou réelles de l’immigration sur
l’identité nationale et sur la cohésion sociale.
C’est dans ce cadre que Patrick Simon présenta les résultats de son
analyse des « identités à trait d’union » basée sur l’enquête française
Trajectoires et Origines. Pour les immigrants et les enfants
d’immigrants, l’attachement à une identité liée au pays d’origine ou
au pays d’origine des ascendants, le cas échéant, ne se fait pas au
détriment de l’attachement à l’identité nationale du pays de
résidence. Contrairement
à
l’idée
associée
au
modèle
assimilationniste, l’expression d’une « identité à trait d’union » ne
s’avère donc pas une menace à la cohésion sociale. Plutôt, la
cohésion sociale serait affaiblie par la négation de l’appartenance à
la communauté nationale, négation découlant des critères trop
restrictifs de définition de l’identité nationale.
Les «identités à trait d’union»
ou «hyphenated identites»
dans la littérature scientifique
réfèrent à une identité mixte,
une identité se rapportant à
plusieurs
communautés
nationales et/ou ethniques,
tel qu’Italo-Canadienne ou
Libano-Québécoise.
16
En effet, les résultats révèlent qu’en France l’identité nationale de
certains individus serait niée : ceux-ci ne seraient pas perçus par leurs
pairs comme des Français, mais plutôt comme des «étrangers». Cette
négation serait entre autres liée à l’apparence physique. À la lumière
de ces résultats, il apparaît que des critères d’appartenance à la
communauté nationale qui découlent d’une définition trop exclusive
de l’identité nationale – qui par exemple reposerait sur la couleur de
la peau ou sur des normes socioculturelles – stigmatisent certaines
minorités ethniques et, plus spécifiquement, les membres des
minorités visibles dont celles d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du
Nord, de Turquie et d’Asie du Sud-Est.
Une définition de l’identité nationale construite par l’opposition, c’està-dire en nommant ce qu’elle n’est pas plutôt que ce qu’elle est,
tend à exclure une partie des individus, à diviser la société et
ultimement, affaiblir la cohésion sociale. Ainsi, l’élément-clé de toute
politique visant la cohésion sociale est l’obtention et le maintien
d’une identité nationale ouverte, plus flexible et adaptée à la
nouvelle réalité des sociétés hétérogènes, plus susceptible d’enrayer
ou du moins de limiter la marginalisation d’une partie de la
population.
Sources bibliographiques
SIMON, Patrick, 2012. French National
Identity and Integration : Who Belongs
to
the
National
Community?,
Washington, DC. Migration Policy
Institute.
http://www.migrationpolicy.org/pubs/
FrenchIdentity.pdf
PAPADEMETRIOU, Demetrios G., 2012.
Rethinking National Identity in the
Age of Migration, Coucil Statement
from 7th Plenary Meeeting of the
Transatlantic Coucil on Migration.
Washington, D.C., Migration Policy
Institute.
http://www.migrationpolicy.org/trans
atlantic/TCMStatement-Identity.pdf
Demetrios G. Papademetriou va dans le même sens. Ainsi, plutôt que
de mettre de l’avant une définition de l’identité nationale qui serait
principalement caractérisée par le fait de partager des ancêtres
communs – une caractéristique exclusive que les nouveaux arrivants
ne peuvent acquérir –, il serait préférable de privilégier une définition
qui se base sur des expériences partagées permettant aux gens de se
sentir liés les uns aux autres. La responsabilité de construire cette
nouvelle définition du «nous» plus inclusive, qui ne se baserait plus sur
le fait « d’être », mais plutôt de « devenir », incombe aux
gouvernements. L’implication des citoyens est également essentielle
pour apaiser les préoccupations, justifiées ou non, de certains quant à
une fragilisation du tissu social et à une érosion de l’identité nationale
qui seraient causées par l’immigration de masse. Parallèlement, il faut
éviter d’adopter des lois et des mesures pour encadrer l’expression
des identités minoritaires en forçant une conformité culturelle, car
leurs effets ne pourraient qu’isoler, et dans certains cas pénaliser, une
partie de la population.
Ouverture à la diversité
Modèle de gestion de la diversité en Catalogne
Mélanie Deslauriers, Direction de la recherche et de l’analyse
prospective
Entre 1999 et 2009, la Catalogne a accueilli plus d’un million
d’immigrants. Il s’agit d’un apport considérable sachant qu’en 1999,
la population totale de la Catalogne ne s’élevait qu’à un peu plus de
six millions d’habitants. Ainsi, en 2009, 14,35 % de la population
catalane était d’origine étrangère.
La crise économique de 2009 a toutefois eu un impact sur les flux
migratoires de la Catalogne: le nombre de nouveaux arrivants a
diminué, certaines personnes ont migré vers un pays tiers ou ont
effectué un retour vers leur pays d’origine, les demandes de
17
regroupement familial ont diminué, etc. Toutefois, le processus de
régularisation et la mise en place de mesures spéciales en Espagne
ont permis de diminuer considérablement le nombre de personnes en
situation irrégulière. Parmi ces mesures, l’enracinement permet de
régulariser la situation d’une personne immigrante capable de
prouver qu’elle réside dans l’État espagnol depuis au moins trois ans
ou qu’elle démontre une volonté de s’adapter (apprendre la langue
locale, participer à des associations, etc.) ou si elle dispose d’une
offre d’emploi.
Présente tout au long de l’histoire de la Catalogne, l’immigration est
désormais davantage diversifiée qu’auparavant, ce qui provoque de
nombreux chocs culturels tant au sein de la population catalane
«établie» qu’au sein de la population des nouveaux arrivants. Entre
autres, bien que ces perceptions s’avèrent non fondées, une certaine
part la population catalane d’origine espagnole voit les immigrants
comme de possibles compétiteurs sur le marché de l’emploi tandis
qu’une partie de la population catalanophone « de souche » craint
pour le maintien de la langue et de l’identité catalanes.
Source bibliographique
CRESPO. R. et A. NICOLAU-COLL.
2012. «Immigration et diversité
culturelle en Catalogne», Vivre
ensemble, vol. 19. no 66, 5 pages.
http://cjf.qc.ca/fr/ve/article.php?id
a=2934
Dans un article récent, Crespo et Nicolau-Coll tracent un bref portrait
historique de l’implication des gouvernements espagnols, catalans et
municipaux à l’égard de la population immigrante. Ils soulignent que
le gouvernement catalan est passé d’une politique d’abord centrée
sur les besoins de base des immigrants et la promotion de la diversité
à des plans d’intervention clairement assimilationnistes, Aujourd’hui,
dans le cadre d’une société plurielle, les politiques visent l’ensemble
de la population de façon à favoriser l’interaction citoyenne au
niveau communautaire. En effet, le Plan de citoyenneté et
d’immigration 2009-201, souligne la nécessité d’incorporer la diversité
comme une réalité positive et de développer l’interaction entre les
citoyens d’origines diverses dans le but d’assurer une cohésion
sociale. Notons que, contrairement au gouvernement du Québec, le
gouvernement de la Catalogne n’a pas de compétences en matière
d’immigration, ce domaine relevant de l’État espagnol.
Les auteurs qualifient l’actuel modèle catalan de gestion de la
diversité de « modèle interculturel de convivialité ». Ce dernier se
caractérise par :
l’importance de la notion et la pratique de l’accueil,
notamment pour favoriser l’inclusion sociale et l’interaction;
la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle et
l’affirmation du catalan comme langue propre de la
Catalogne;
le dépassement des stéréotypes et des préjugés par la mise
de l’avant de points communs permettant de tisser des liens,
de créer une « interaction qui permet d’agir ensemble ».
Sujets divers
Principe de l’exception culturelle remis en cause en Europe
Lucie Bernier, Direction de la recherche et de l’analyse prospective
Alors que de nouveaux pôles économiques émergent en Asie et en
Amérique du Sud,9 des discussions formelles sur un accord de libreéchange bilatéral entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis
9
Voir : Bulletin de veille, mars 2013.
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s’amorceront sous peu. Or, voici que la Commission européenne
propose de renoncer à la culture comme bien commun qui
échappait jusqu’ici à la logique des marchés. En effet, selon la
recommandation autorisant l’ouverture de négociations concernant
un tel accord intitulé Partenariat transatlantique de commerce et
d’investissement, les biens et services culturels n’ont pas été exclus de
la proposition de mandat de négociation. Il s’agit là d’un précédent;
l’UE étant contrainte par les États-Unis d’inclure l’audiovisuel comme
condition préalable aux discussions.
En réaction, la présidente de la Commission des affaires
européennes, Mme Danielle Auroi, a déposé une proposition de
résolution de la part des autorités françaises qui rappelle à l’Union
européenne son obligation d’assurer le respect de l’exception
culturelle et de la diversité des expressions culturelles. Cette notion
d’exception culturelle origine des négociations commerciales
multilatérales au début des années 1990 dans le cadre du GATT 10 qui
donna lieu à la création de l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), puis qui fut repris par l’UNESCO. Ainsi, le premier article de la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles de l’UNESCO souligne le droit souverain des
États de conserver, d’adopter et de mettre en œuvre les politiques et
les mesures de protection et de promotion de la diversité des
expressions culturelles sur leur territoire. Dans le cas présent, la France
notamment mais non exclusivement a créé des mécanismes
réglementaires et financiers pour assurer l’expression unique et
originale de sa culture, particulièrement en audiovisuel et au cinéma.
En France, les secteurs de la culture et de la création représentent
3,3% de son PIB (produit intérieur brut) et emploient 6,7 millions de
personnes (3% de l’emploi total) en 2011. Or, ces potentialités en
termes d’emploi et de croissance seraient inévitablement remises en
cause advenant que la culture et les biens et services qui s’y
rapportent soient considérés des marchandises comme les autres.
Une telle perspective permet de comprendre la position de la France,
son souci à sauvegarder le principe de l’exception culturelle dans le
cadre des négociations bilatérales prochaines.
Source bibliographique
BLOCHE. Patrick. Rapport fait au nom
de la Commission des affaires
culturelles et de l’éducation sur la
proposition de résolution européenne
relative au respect de l’exception
culturelle.
No
943.
Assemblée
nationale : 875, 917. France.
http://www.assembleenationale.fr/14/pdf/rapports/r0943.pdf
Suite aux pressions françaises
exposées dans cet article, la
culture fut finalement exclue
des négociations bilatérales qui
viennent de s’amorcer en juin
2013.
La référence historique aux instances internationales, l’introduction de
la dimension économique grâce aux données du marché de l’emploi
et du PIB permettent de sortir de la perception faussement folklorique
de la culture et ajoutent un argumentaire de poids à la question de la
culture et ses attributs.
Sortie de crise économique: focus sur la population immigrante
Lucie Bernier, Direction de la recherche et de l’analyse prospective
Dans l’éditorial du rapport Perspectives des migrations internationales
2013, l’Organisation de Coopération et de Développement
Économique (OCDE) attire l’attention sur ce qu’elle estime être la
question de l’heure: l’impact de la présence de la population
immigrante sur les finances de l’État, particulièrement en termes de
prestations versées et de services publics dispensés à la population
immigrante, sujet d’intérêt dans l’opinion publique au sortir de la crise
économique de 2009.
10
GATT : General Agreement on Tariffs and Trade
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Selon de récents sondages conduits au Canada et dans les pays de
l’Union européenne (UE), 50% des répondants estiment en effet que
la population immigrante bénéficie plus qu’elle ne contribue aux
recettes fiscales des pays; cette opinion serait plus largement
partagée encore par la population des États-Unis. Alors que les
énergies gouvernementales sont de toutes parts consacrées à
l’assainissement budgétaire, l’immigration apparaît être le domaine
par excellence à gérer de près afin d’éviter un poids supplémentaire
sur les finances publiques.
Source bibliographique
OCDE.
Perspectives
des
migrations internationales 2013.
Éditions OCDE. 19 juin 2013. 442
pages.
C’est pourquoi l’OCDE, voulant opposer les faits solidement établis
par une étude scientifique sérieuse aux préjugés qui reprennent vie à
chaque déclin économique si léger soit-il, a entrepris une étude
comparative, la première en importance et d’envergure
internationale, de l’impact budgétaire net de l’immigration partant
de nombre de pays de l’OCDE.
Premier fait : l’impact budgétaire de l’immigration est proche de zéro
en moyenne dans les pays de l’OCDE, bien qu’il soit légèrement
négatif dans les pays où la proportion des personnes immigrantes
parmi la population qui reçoit des pensions de l’État est plus grande.
Autre constat d’importance : considérant l’importance accrue des
travailleurs hautement qualifiés parmi la population immigrante ciblée
au cours des deux dernières décennies, également des politiques
d’immigration qui visent une population immigrante de plus en plus
qualifiée, la contribution de la population immigrante aux finances
publiques observée depuis la fin des années 1990 à aujourd’hui est
plus favorable que précédemment.
Sur le même sujet, le Rapport rapporte que les travailleurs immigrants,
même les moins qualifiés, semblent mieux s’en tirer que leurs
semblables autochtones.
Constat étonnant qui n’est pas sans
conséquence en termes de politiques migratoires soucieuses de
performances économiques, lesquelles demeurent à ce jour orientées
vers la sélection des plus qualifiés au détriment de ceux qui le sont
moins et ce, bien que leur contribution soit au moins tout aussi
intéressante que celle des natifs présentant semblable profil.
Finalement, le fait de sélectionner de jeunes candidats qui
contribueront ainsi plus, et plus longtemps, aux finances de l’État
présente de surcroît un intérêt pour un État aux visées d’assurer le
maintien de sa langue nationale comme il en est du Québec. Selon
le rapport 2013, les jeunes personnes immigrantes s’investissent plus
que les plus âgées dans l’éducation et la formation, notamment dans
l’apprentissage de la langue du pays d’accueil.
Le Rapport de conclure qu’une hausse de l’immigration ne signifie
pas une hausse de la dette publique, et d’en appeler à une meilleure
gestion des migrations internationales de travail et de l’intégration qui
doit l’accompagner notamment des mesures favorables à
l’apprentissage du pays d’accueil, facteur d’intégration au marché
du travail et à la société d’accueil.
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Fin de l’expression « Illegal immigrant »
Lucie Bernier, direction de la recherche et de l’analyse prospective
Les mots ne sont pas de pures abstractions. Les mots tentent de
traduire des réalités et produisent en retour un effet sur le réel dans un
mouvement dialectique continu.
Ainsi en témoigne l’intense campagne amorcée en 2012 de Jose
Antonio Vargas, Prix Pullitzer en journalisme, activiste connu qui réside
illégalement aux États-Unis. Mentionnons également les prises de
position de bon nombre d’organisations américaines et
internationales dont la National Association of Hispanic Journalists aux
États-Unis depuis 2006, et tout récemment au printemps 2013,
l’initiative de l’Associated Press (AP) qui prend position contre l’usage
du terme « illegal immigrant » ou plus largement l’utilisation du mot
« illegal » pour qualifier une personne alors que c’est de l’entrée au
pays ou le séjour dont il est question et que l’on veut qualifier.
Conséquemment, le terme « illegal immigrant » qui figurait dans AP
Stylebook depuis 2004, a été retiré. AP Stylebook constitue une sorte
de bible de référence pour les médias et les autres sources
d’information américains tout autant que partout dans le monde
anglophone.
« Illegal immigration » a toutefois été conservée mais sa définition est
modifiée :
Entering or residing in a country in violation of civil or criminal
law. Except in direct quotes essential to the story, use illegal
only to an action, not a person : illegal immigration, but not
illegal immigrant. Acceptable variations include living in or
entering a country illegally or without legal permission.
L’expression « illegal immigration » est surtout utilisée en Amérique du
Nord, l’Europe y préférant l’appellation « irregular migration ».
Soulignons au passage que le Migration Policy Institue (MPI), parlant
des personnes, utilise l’expression « unauthorized immigrants » ou
« unauthorized worker ». Quant au mot « undocumented », il est à
présent pratiquement banni de son association à une personne,
entendu qu’on peut difficilement soutenir qu’une personne soit
entièrement dépourvue de documents; elle peut simplement
toutefois ne pas disposer de certains documents requis.
Étant donné l’influence de l’Associated Press, on peut s’attendre à ce
que les autres organisations de ce type emboitent le pas pour bannir
cette expression.
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