Commune d`Aucun

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Commune d`Aucun
Commune d’Aucun
Chef-lieu de canton
Département des Hautes-Pyrénées
Monographie rédigée en 1887 par l’instituteur
I
Aucun est un petit chef-lieu de canton au sud-ouest du département des Hautes-Pyrénées ; il est limité
au nord par les communes de Salles et de Ferrières ; à l'est par les communes de Bun et de Gaillagos ; au sud
par Estaing et Marsous ; et à l'ouest par Marsous et Ferrières.
Il mesure environ 12 kilomètres du nord au sud et 3 kilomètres de l'est à l'ouest.
Il est à 9 kilomètres et demi du chef-lieu d'arrondissement, Argelès, et à 41 kilomètres du chef-lieu du
département, Tarbes.
Aucun à un sol varié : une très jolie plaine du nord-est au sud-ouest, et des coteaux cultivés couronnés par de
riantes montagnes au sud-est et au nord-ouest.
Il est situé au bas d'une belle colline qui, s'élevant en amphithéâtre, offre à l'œil une immense pelouse où de
nombreux troupeaux paissent, aux beaux jours, une herbe fine et délicieuse.
Au sommet de la colline est un petit vallon cultivé, appelé les Aguses, ou l'on trouve de magnifiques prairies qui
fournissent d'excellents foins pour l'hiver.
Puis vient la montagne, couronnée par de belles forêts de hêtres et de sapins, entrecoupées de beaux pâturages
et dominées par des pics sauvages, des monts abrupts et décharnés.
Je citerai d'abord le pic Bazès, de nature calcaire, d'où se détachent quelquefois l'hiver des blocs énormes qui
roulent jusqu'au fond du ravin et écrasent dans leur chute les cabanes des bergers. Ceux-ci, heureusement, sont
alors à la plaine avec leurs troupeaux. Mais le printemps, à leur retour, qu'on juge de leur humeur !
Les autres pics de Berbeillet, de Litas, de Saussé, etc, de même nature, ne sont pas aussi hauts ni aussi
dangereux.
Dans les flancs de la montagne, on trouve aussi des roches schisteuses et granitiques.
Le village d'Aucun, à double pente, jouit d'un superbe horizon, bien plus étendu que celui d'Argelès, tant vanté
aujourd'hui.
Les chefs-lieux de canton Arreau, Bordères, Vielle-Aure, Mauléon-Barousse et Luz, situés dans nos montagnes
et que j'ai vus de près, me paraissent également inférieurs sous ce rapport.
C'est à Aucun que la vallée d'Azun apparaît dans toute son étendue, sa beauté, sa fraîcheur et sa grâce. C'est ici
qu'elle est le plus large et qu'elle offre mille contrastes. A côté du gracieux, le sévère à côté du beau, l'horrible.
Qu'on considère, en effet, un instant, cette belle plaine avec ses riantes prairies, ses champs fertiles, qu'arrose le
gave d'Azun, et ces montagnes qui l'encadrent avec leur gracieuse pelouses, leurs superbes forêts et leur pics
sauvages!
On est tout ensemble ravi d'admiration et saisi de frayeur.
Au nord du petit vallon des Aguses déjà cité, tout près des prairies émaillées de fleurs et sur le sentier d'Aucun à
Ferrières, se trouve un gouffre d'une profondeur incommensurable qui n'a pas son pareil dans les Pyrénées, et
qu'on nomme Puits- d'Aubès. Il reçoit toute l'année un filet d'eau assez important qui se perd dans l'abîme et
semble nous rappeler le Cocyte.
Mais ici, cependant, pas de frayeur : car les enfers sont loin de nous. O touristes, qui visitez notre délicieuse
vallée d'Azun, la plus romantique peut être et une des plus variées assurément des Pyrénées, ne passez pas à
Aucun, sans chercher à voir le Puits-d'Aubès. A coup sûr, vous serez dédommagés de votre surcroît de fatigue
par la satisfaction que vous éprouverez ; et ne fût-ce que cette curiosité satisfaite, vous ne regretterez jamais
votre excursion dans notre vallée.
1
Les habitants d'Aucun, dit-on, tentèrent un beau jour de fermer cet abîme avec des sapins et des branchages;
mais leur efforts furent sans résultat : leur barrage croula dès la nuit suivante.
Ce qui est très positif, c'est que ce gouffre a englouti jusqu'a ce jour bien des animaux : vaches, moutons, brebis,
etc., qui paissant sur ses bords, s'y sont laissés choir.
Il serait alors de la prudence de la municipalité, non de fermer ce puits, mais d'en exhausser l'ouverture par un
mur d'une certaine hauteur que les animaux ne puissent franchir.
De plus, le berger ou le voyageur égaré pendant la nuit ou perdu le jour sous des brouillards intenses
échapperait ainsi à un danger imminent.
Comme cours d'eau, il faut citer : le gave d'Azun, qui prend sa source au col de la Peyre St Martin, à une
altitude de 2295 mètres, traverse la plaine d'Aucun et se réunit à Argelès au Gave de Pau ; 2 e Le ruisseau
d'Aucun, dit Boularic, formé par deux petits cours d'eau, le Gagnaoupès, qui prend sa source aux Aguses, et le
Sourdouet, qui prend sa source au mont Berbeillet. Le Boularic se jette dans le gave d'Azun, en dessous du
village, à 500 mètres.
Ce ruisseau, qui tarit presque en été, qu'en certains endroits on peut alors passer à gué, devient torrent
impétueux à la fonte des neiges ou aux grandes pluies. Il a un cours des plus rapides : aussi, dans sa chute à
Aucun, il y cause parfois de grand désastres, Il détermine des éboulements sur ses deux rives, entraîne des blocs
de granit qui sont immenses et se fait souvent un nouveau lit à travers le village.
En 1875, année mémorable sous le rapport des inondations dans le sud-ouest de la France, il a accumulé des
matériaux sous le pont qui s'est complètement bouché, a gagné alors forcément la rue haute du village, pénétré
dans les maisons, les a remplies de vase et de gravier, et a finalement inondé toute la plaine.
Ce fut alors une crue de plus de trente pieds dont une inscription conserve la mémoire.
Le gave d'Azun, qui a un lit paisible, n'est plus aussi violent ; mais néanmoins il déborde quelquefois, à la suite
de pluies torrentielles.
Aucun n'a ni canaux ni lacs.
Les hameaux ont d'excellentes sources, mais le village n'en a pas ; il utilise pour son alimentation l'eau du
Boularic qui est très potable; 4 fontaines en bois de sapin la répartissent dans les divers quartiers; installation
toute récente et peu luxueuse, mais avec le temps il faut espérer qu'on aura mieux.
Je n'ai pas à parler de sources thermales : il n'en existe pas dans la commune.
L'altitude d'Aucun est de 862 mètres ; le climat, rude en hiver, est très chaud en été. Il y est quelquefois brûlant
parce que les arbres y sont très rares. Les avenues du village en sont totalement dépourvues.
Il y a quelques années, l'administration des ponts et chaussées avait fait planter des arbres tout le long de la
route d'Argelès à Arrens ; mais ils ne tardèrent pas à être enlevés. On n'a pas trouvé les coupables ; mais ce
qu'il y a de sûr, c'est que les propriétaires des champs avoisinant la route ne se soucient nullement d'une ombre,
salutaire sans doute en été aux voyageurs et aux touristes, mais, du même coup, préjudiciables aux récoltes.
Les vents du nord-est et du couchant règnent furieux à Aucun pendant l'hiver comme, au reste, dans toute la
vallée. Au printemps et à l'automne il survient des pluies torrentielles qui ravinent les champs et les routes; en
hiver, des neiges abondantes qui rendent les communications très difficiles, et des gelées à pierre fendre. En été
la température y est extrême : les jours brûlants et les nuits fraîches. Les matinées et les soirées sont également
assez fraîches parce que la vallée est très ouverte du côté du nord-est. On voit ainsi assez rarement l'Azunois
quitter ses habits de bure.
Comme exposition au soleil, Aucun est très bien partagé; ainsi même en plein hiver, il le reçoit depuis 9 heures
du matin jusqu'a trois heure de l'après-midi. Bâti sur un terrain pierreux et à double pente, ce village est très
sain, et les alentours, également. On ne trouve ni boues infectes ni tas de fumier devant les portes ; aussi les
maladies épidémiques n'y sévissent point.
II
Le chiffre de la population, d'après le recensement de 1886, s'élève à 466, lequel tend à diminuer pour trois
causes principales :
1er Le faible rendement des terres ;
2e La baisse considérable du bétail ;
3e Le manque d'industrie et de commerce.
2
Les familles qui quittent la commune s'en vont généralement dans le Béarn où elles trouvent des conditions
d'existence beaucoup plus avantageuses.
Le paysan d'Aucun qui a besoin de domestiques n'est pas heureux, bien s'en faut : c'est qu'avec des revenus
moindres, il a les mêmes charges qu'aux années les plus prospères.
Au contraire, les petits propriétaires qui n'ont juste que les terres qu'ils peuvent eux-mêmes cultiver, font
beaucoup mieux leurs affaires. D'où je conclus que le morcellement des terres est un bien pour la société.
Il y a en ce moment dans la vallée quelques expropriations; mais on remarque que toutes ont lieu chez les gros
paysans. C'est là le résultat, en grande partie, de ce que j'appellerai la manie des terres.
Le paysan, en effet, cherche toujours à s'étendre, à arrondir ses propriétés. Mais comme il a rarement l'argent
pour acheter comptant, il paie le 5 % a ses créanciers, tandis que ses propriétés ne lui rapportent que 2 % et
souvent même pas autant. Il court ainsi insensiblement à sa ruine, en même temps qu'il fait le jeu des Crédit
foncier ou des capitalistes qui, à un moment donné, lui font saisir ce qu'il possède.
"Bon laboureur, dessille donc tes yeux et vois plus clair désormais ! Ne soit pas si avide de terre et ne t'engage
pas si avant dans la voie des emprunts : Mieux vaut bien soigner 10 arpents de terre que d'en cultiver
médiocrement une vingtaine. Instruit bien tes enfants et élève les dans la simplicité. Evite le luxe et ne te jette
jamais dans les jouissances qui ne sont nullement en harmonie avec ta position. En agissant ainsi tu conserveras
tes biens et ton honneur "
La commune comprend :
1er Le village qui a une population de
316
Les Poueyes......................
110
2e 3 hameaux
|Prats Dors............
30
Bérié de la Hou.................
10
Population totale……………………...
466
Le nombre de feu est…………………
106
La population étant inférieure à 500 âmes il n'y a que dix conseillers, y compris le maire et l'adjoint, Il y a une
trentaine d'années, la population dépassait 500 ; et alors naturellement il y avait 12 conseillers.
Comme fonctionnaires municipaux nous n'avons que le garde-champêtre et le valet commun. Les autres
fonctionnaires sont : un instituteur, une institutrice, un garde forestier, cinq gendarmes, une receveuse des
postes et télégraphes, qui a sous ses ordres 5 facteurs pour le service spécial du canton et un courrier qui fait le
service des dépêches d'Argelès à Aucun. Celui-ci part d'Aucun tous les soirs, à 4 heures et rentre d'Argelès, dans
la nuit, de 11 heures à minuit soit en hiver, soit en été.
Le bureau des postes existe depuis 25 ans environ : le télégraphe date de 1885.
Le siège de la justice de paix est à Aucun ; mais nous n'avons l'honneur de posséder ni le juge ni le greffier ni
l'huissier. Le greffe devrait pourtant se trouver légalement au chef-lieu.
Au point de vue religieux, la commune est desservie par un curé-doyen.
Pour les finances, le canton d'Aucun a un percepteur qui reste à Argelès, bien que sa résidence légale soit à
Aucun. C'est encore là un abus qui n'existe dans aucun autre chef-lieu de canton du département.
Le percepteur d'Aucun fait bien ses tournées dans les communes du canton ; mais comme les contribuables n'ont
pas toujours l'argent nécessaire quand il vient parmi eux, ils sont obligés quelque temps après de se rendre à
son bureau à Argelès : ce qui constitue pour eux un déplacement onéreux, pendant l'hiver surtout.
La valeur du centime est ..................18f
Les revenus ordinaires sont le produit des bacades qui s'élève en moyenne à 1200f
III
Aucun s'occupe surtout d'élevage : aussi les prairies y sont plus étendues que les terres arables. Très peu de
paysans récoltent leur grain de l'année.
Dans la plus grande partie de la plaine et sur quelques coteaux bien exposés, on cultive le froment, le maïs, le
lin, le seigle, le millet, la pomme de terre etc...; partout ailleurs on voit des prairies naturelles qui donnent
d'excellent fourrages.
Le paysan pratique avec intelligence le système des assolements, mais sans jachère.
Il n'utilise, comme engrais, que le fumier de ses animaux, et il arrose soigneusement ses prairies partout où il est
possible de le faire.
Très actif et très vigilant, il ne néglige rien pour féconder ses terres.
Ses instruments aratoires sont primitifs ; pas de batteuse ni de charrues perfectionnée.
3
Il rentre généralement le foin, la paille et les diverses récoltes dans de grands charriers sur le dos des chevaux,
ce qui prouve que les terres cultivées sont très peu accidentées. C'est là une grande aisance pour les habitants
d'Aucun qui, quoique montagnards, ne transportent rien sur leur dos. Sous ce rapport ils sont plus heureux que
les Barégeois et n'ont pas comme eux le dos voûté.
Aucun possède deux vastes forêts de hêtres et de sapins où des coupes sont délivrés chaque année aux habitants.
Chaque particulier a un lot de sapins qu'il convertit en planches pour son usage ou pour le commerce. Le lot de
hêtres est uniquement destiné au chauffage.
On n'a pas encore songé à faire des reboisements. Il serait cependant très urgent de reboiser quelques hectares
de terrain au-dessus du village, tout le long des deux cours d'eau déjà cité, le Gagnaoupès et le Sourdouet. Les
arbres maintiendraient autour d'eux une couche de terre plus ou moins épaisse qui comme une éponge,
conserverait une certaine quantité d'eau, pendant que les racines, fixant le sol, empêcheraient les éboulements,
ou, du moins, les rendraient plus rares et moins désastreux.
En outre, un bois couronnant le village, embellirait le paysage et constituerait plus tard une précieuse ressource
pour la commune et ses habitants.
Les forêts, sous le régime forestier, ne rapportent rien actuellement à la commune ; ce qui doit être attribué
uniquement à l'incurie de la municipalité. Que de sapins, en effet, tombent tous les ans de vétusté, et que l'on
aurait pu vendre en temps opportun!
Il n'y a pas à parler de vignes; on en trouve cependant quelques pieds dans les jardins ; mais le raisin n'y mûrit
pas toujours très bien à cause des froids de l'automne.
Aucun élève des animaux divers : vaches, brebis, moutons, chèvres, chevaux, mulets, porcs etc.
Comme oiseaux de basse-cour, il n'y a que la poule et le canard ; l'oie et le dindon n'y paraissent point.
On élève en grand la vache, la brebis et le cheval qui constituent le principal rendement, bien faible toutefois
aujourd'hui que le bétail français a sensiblement perdu de sa valeur d'il y a cinq ans.
La plupart des paysans ont, en général, un troupeau de brebis ou de moutons qui varie de 50 à 120. Ce chiffre
était beaucoup plus fort il y a une trentaine d'années.
Le plus riche n'a pas au-delà de 20 vaches.
La plaine d'Aucun est le poste privilégié des cailles ; elles apparaissent dès le mois de mai, couvent dans nos
blés et nos prairies et repartent la fin octobre ; pas toutes bien entendu, car depuis l'ouverture de la chasse, les
chasseurs étrangers et ceux de l'endroit fourmillent à travers champs et font souvent des prises magnifiques.
Nous avons aussi comme oiseaux de passage le ramier, la tourterelle, la palombe, la bécasse, la pie de mars, la
perdrix grise, le chardonneret etc....
Le coq de Bruyère niche dans nos forêts et y reste. Il y a aussi une espèce de perdrix blanche qui habite la
région de l'isard.
On chasse aussi le lièvre, le renard, la fouine, la martre, etc. la loutre ...
Le gave d'Azun et le ruisseau d'Aucun nous donnent une truite excellente que l'on exporte à Cauterets pendant la
belle saison.
Pas de mines ni de carrières connues jusqu'a ce jour, sauf une carrière d'ardoise qui a été longtemps exploitée
au quartier Paillassas, mais que l'on a abandonnée faute d'ouvriers.
On dit qu'au quartier Poueyes on trouverait du beau marbre.
En fait d'usines, nous avons d'abord trois scieries, dont une seule travaille régulièrement. Il y a plusieurs
moulins, mais un seul, bien conditionné, dessert les 4 communes d'Aucun, Gaillagos, Bun et Arcizans-Dessus.
Les autres, établis sur le ruisseau d'Aucun sont insignifiants et ne servent qu'a leurs propriétaires pendant 5 ou 6
mois de l'année seulement.
Je n'oublierai pas de mentionner un petit fouloir qui est très commode pour les habitants de l'endroit et ceux des
communes environnantes.
Celles d'Arbéost et de Ferrières qui sont très éloignées y envoient toute leurs bures.
Mais Aucun devrait posséder encore une corderie, une filature et une fabrique de drap.
La classe pauvre y trouverait son gagne-pain quotidien ; et au lieu de vendre nos laines aux fabriquants de
Mazamet et autres, nous exporterions nos draps qui nous rapporteraient un meilleur bénéfice. Mais un seul
individu de notre vallée ne pourrait tenter cette entreprise. Il faudrait une association de capitaux et des hommes
de cœur voulant réellement le bien du canton.
Puisse mon idée se réaliser un jour !
4
La route d'Argelès à Aucun est très bien entretenue seulement elle aurait un pressant besoin d'être rectifiée en
maints endroits.
D'Argelès à Arras, elle devrait l'être surtout, à bref délai ; car elle offre une cote de 3 Kilomètres, la plus raide
que nous ayons peut être dans les Pyrénées. Ainsi on se rend à Cauterets et à Barèges, qui ont une altitude bien
supérieure à celle d'Arras, par des pentes beaucoup moins rapides.
Quand cette côte sera coupée, les divers transports s'effectueront plus vite et meilleur marché, et beaucoup de
marchands forains que cette pénible ascension effraie ou rebute aujourd'hui viendront alors chez nous, nous
offrir leur marchandises ou acheter nos produits.
Il y a deux ponts dans le territoire d'Aucun ; l'un, jeté sur le Boularic, unit les deux parties du village ; il a été
reconstruit en 1875, après l'inondation ; l'autre très vieux, sur le gave d'Azun, au petit quartier Terrenére.
Nos moyens de transport jusqu'à notre chef-lieu d'arrondissement, Argelès, sont de petits véhicules, et pour aller
à Tarbes, on prend le train à Argelès.
Le commerce local est insignifiant ; il y a trois auberges et un petit magasin d'épicerie et de mercerie.
Les paysans se rendent à Argelès, les jours de marché, pour y vendre le beurre, le fromage, les agneaux, les
brebis etc. ou bien encore à Lourdes, et ils y achètent en même temps le blé, le Maïs etc., à peu près tous les
articles qu'il leur faut.
Il n'y a conséquemment à Aucun ni foires, ni marchés.
Les anciennes mesures locales ont à peu près toutes disparues. Il subsiste encore cependant la Canne qui
équivaut à 3,7m2 et le quintal de 104 livres. Comme mesures de capacité, on parle encore du setier et du
boisseau.
IV
On croit généralement que le nom Aucun signifie au coin. En effet, la commune d'Aucun est situé dans un coin
de la vallée, au confluent de deux cours d'eau, sur un léger monticule dominant les plaines de Bun, d'Aucun et de
Marsous.
L'idiome local est riche, harmonieux, plein d'images. Il renferme des mots anglais et espagnols ainsi que des
expressions grecques1 et latines2. Il abonde surtout en diminutifs qui en bien exprimant la pensée, donnent de la
grâce au langage.
Les habitant d'Aucun au teint rembruni, comme ceux de toute la vallée, ont des airs d'hidalgos ; ce n'est presque
plus la mine française, d'après Paul Perret. Ils ont une imagination assez vive, mais surtout un jugement sur.
Très doux, très hospitaliers, ils ne sont ni tracassiers ni processifs ; on les voit rarement à l'audience.
Les chefs de familles sont bons époux et bons pères. Ils élèvent bien leurs enfants, sans jamais les brutaliser. Ils
ne blasphèment pas : aussi leurs enfants livrés à eux-mêmes, ne profèrent jamais de ces jurons, de ces gros mots
qui révoltent l'âme. La verge de l'Evangile, dis-je, n'est pas connue de ces pères, et cependant ils ont tous, en
général, une jeunesse soumise et respectueuse.
Ils sont également très bons pour leurs domestiques qu'ils considèrent comme des membres de la famille.
Ils les font dîner à leur table. Que dis-je ? Et leur table, ce n'est pas le vrai mot : car le maître lui- même ne s'y
asseoit pas toujours. Il est encore à Aucun, comme au reste dans tout le canton, une vieille habitude que je
réprouve, et qu'il est du devoir des instituteurs de faire disparaître par leurs leçons de civilité à l'école.
J'aurais dû peut-être bien la taire ; mais comme je dois toute la vérité historique et que je n'agis point par esprit
de dénigrement; que, quoique étranger, je m'intéresse, au contraire, bien vivement à la population d'Aucun, à
son bien-être et a son perfectionnement moral, je ne me rétracterai pas et je blâmerai bien fort cette habitude
qu'ont encore certains paysans de manger tous en commun dans une même soupière ou dans une même marmite
1
Braqua , Βραχΰς, court
Harpachat, coup, d'αρπάζω qui signifie saisir violemment
2
Céba de Caepa, oignon
Prat de pretum, pré
Cap de caput, tête
Légna de lignum, bois
Campana de campana, cloche
5
avec leurs cuillers de bois qu'ils se fabriquent eux- mêmes. Il y a la évidemment économie d'assiettes et
économie de temps pour la ménagère; mais cette double considération n'est pas admissible.
Les ouvriers de la maison, charpentier, maçon, tailleur etc., prennent également place à ce rondeau de famille,
ce qui est encore moins excusable.
Une danse, appelée balade, est encore en usage à Aucun. Les jeunes gens, à l'époque du carnaval, couverts de
larges bérets, de gilets et de pantalons blancs, tout bariolés de la tête aux pieds de rubans de mille couleurs, se
promènent dans le village et les communes voisines. Le plus leste des baladins précède la troupe en agitant le
drapeau tricolore, tandis qu'un autre recueille en passant les dons de jeunes filles et des ménagères.
Au sujet des mariages, il est encore une coutume fort étrange. Si un homme qui convole en secondes noces ne
paie pas une certaine somme aux jeunes gens, ceux-ci, armés de cors et de sonnettes font un charivari
épouvantable au pauvre diable.
Quand un époux ou une épouse perdent leur dignité, la jeunesse se croit également le devoir de les rappeler à la
morale par une mascarade des plus ridicules.
Espérons qu'avec le temps, la civilisation, cette grande niveleuse d'ici-bas, fera disparaître ces usages
grotesques. Tel est mon vœu.
Les habitants sont essentiellement catholiques. Ils sont tous, sans exceptions, croyants et pratiquants. Les
femmes sont très assidues au banquet sacré ; beaucoup vont à la messe tous les matins, mais on remarque que ce
ne sont pas toujours les plus douces dans la famille ni les plus charitables envers le prochain. Il y a sans doute
alors chez elles un petit grain de bigotisme.
Les jours de grandes fêtes, on ne voit pas les hommes à l'auberge.
Les dimanches ordinaires, ceux qui s'y trouvent pendant les vêpres ne manquent pas de s'agenouiller au coup de
cloche qui annonce la bénédiction, après quoi ils reprennent gaiement leur verre et leur conversation.
Ce n'est pas tout. Dans les champs, dans les prés et sur les routes même, lorsque la cloche tinte l'Angélus, tout le
monde se découvre et prie. Et les jeunes chauves qui par un excès de fausse honte n'osent pas montrer leur tête
au soleil, de rentrer chez eux ou dans quelque grange voisine dix minutes ou un quart d'heure avant midi.
Ceci n'est pas une plaisanterie ; c'est un fait qui s'est passé plusieurs fois et qui m'a été affirmé.
Le costume est très simple.
Les hommes sont habillés de bure presque toute l'année : cela tient à la rigueur du climat et aux habitudes
contractées.
Le dimanche, ils ont presque tous un costume de drap bleu légèrement pointillé de rouge, qui se fabrique à la
maison même et qui s'accorde parfaitement avec leur béret bleus béarnais. C'est un drap bon teint, très solide,
qu'on peut laver et qui a un cachet réellement original. Il est aussi très apprécié de l'étranger qui voyage dans
notre contrée.
Les femmes portent un mouchoir comme coiffure, et même les jeunes filles. Le dimanche, à la messe, elles sont
toutes sous le capulet blanc ou rouge, ou bien sous un capuchon noir si elles sont en deuil.
Les hommes, dans la mauvaise saison, mettent par- dessus leurs habits une espèce de manteau, appelé cape, à
cause de sa ressemblance avec la robe des capucins. Ils la portent aussi en plein été, quand ils sont en deuil.
Les jours ouvriers, ils ont des tricots de laine qu'ils trouvent plus commodes pour le travail des champs. Les
blouses béarnaises leurs sont inconnues.
Le paysan mange aujourd'hui exclusivement du pain de froment ou de méteil. Il engraisse pour son usage un ou
deux porcs, selon sa position, et ne mange de la viande de boucherie que les jours de fête locale, à l'occasion
d'un mariage ou d'un baptême, ou dans les circonstances tout à fait extraordinaires.
Au repas du soir, il mange de la pâte de maïs avec du lait écrémé ou encore avec le petit lait qui résulte de la
fabrication du fromage.
Le vin est chose a peu près inconnue dans les ménages; on n'en boit en famille qu'au grandes fêtes ; mais le
paysan se dédommage de cette privation, soit le dimanche, aux auberges, soit les jours de marché à la ville. Il se
transforme même quelquefois en joyeux Silène.
On ne peut vivre plus sobrement en ménage, et cependant l'Aucunois est fort et bien bâti. Il a de bon jarrets, des
muscles puissants, une taille élancée, de forts poumons une voix presque toujours juste et d'une étendue
singulière.
La durée de la vie y est assez longue. Notre curé-doyen officie encore à 87 ans ; nous avons aussi un
nonagénaire, plein de vigueur, qui promet de vivre encore quelques années. Les septuagénaires, de tous sexes,
sont nombreux.
6
Aucun a des maisons très vieilles, du XIVe et XVe siècles présentant des restes très curieux. Une superbe fenêtre
en forme d'arcade géminée, mais dont on a fermé maladroitement la baie, est encastrée dans le mur d'une
chaumine sise sur la route {fig. 1}. Au-dessous de la baie, un bas-relief qui forme une espèce d'écusson,
représente un cheval et un cavalier ; et sur le côté, à droite, on reconnaît le léopard du prince noir.
Dans une autre masure, on trouve deux fenêtres {fig. 2 & 3} tout aussi remarquables et qui datent sans doute de
la même époque.
D'ailleurs le dessin ci-dessus en dit plus en dit plus que ce que je saurais en dire moi-même.
A voir ces restes isolés d'habitations demi seigneuriales, on pourrait cependant supposer que les Anglais sont
venus habiter notre commune.
Il y a également une vieille maison flanquée d'une tour carrée très massive, mais qui n'a rien de caractéristique.
Plus loin, une très jolie fenêtre qui date de 1683.
7
Je passe à l'église. C'est un édifice du vieux roman, raccommodé à toutes les époques postérieures. Le goût
espagnol éclate dans la peinture et la dorure du chœur. On se ressent toujours quelque peu de ses voisins. Le
bénitier et les fonds baptismaux qui remontent au temps des premières constructions sont très curieux {fig. 4 &
5}
Dans le bénitier est représenté une chasse à l'ours, et dans les fonds baptismaux une danse locale, le tout très
original assurément.
La porte d'entrée est également très remarquable.
Dans les Archives communales on ne trouve rien qui établisse l'histoire de la commune. Il n'a pas été fait non
plus de monographie sur Aucun.
Annexe au titre IV
La première école primaire publique date de 1834 ou 1835. Jusqu'alors, le prêtre de la commune ou quelque
personne instruite du village apprenait les éléments de la lecture, de l'écriture et du calcul aux enfants des plus
riches familles, moyennant une rétribution mensuelle.
Le premier instituteur communal a été M Laporte qui est aujourd'hui à la retraite à St Savin. Il avait une école
mixte.
La première institutrice communale, Melle Suberbielle, fut nommée de 1855 à 1860.
La commune d'Aucun possède une maisonnette à deux pièces au rez-de-chaussée : la plus grande, mais la moins
appropriée, est affectée à la justice de paix, l'autre, à l'école des garçons.
En dehors des heures d'audience (le mercredi) l'instituteur dispose des deux pièces, mais néanmoins
l'installation est défectueuse. Il a son logement à proximité de l'école, pour lequel la commune paie 60 francs.
Elle paie la même indemnité pour le local de l'école des filles.
8
Ce local se compose aussi de deux pièces au rez-de-chaussée, dont la plus grande, faiblement éclairé, sert de
cuisine et de salle de classe. La plus petite, qui a une seule fenêtre du côté du nord, est très malsaine.
Il n'y a pas d'amélioration à demander pour les écoles d'Aucun, mais bien une construction à bref délai.
Plan de la maison commune
L'envoi des plans de maisons d'école construites depuis 1878 étant seul, obligatoire, j'établis celui-ci le plus
simplement possible.
Surface de la salle d'école = 5m,6 x 4m,2 = 23m252.
Surface de la salle d'audience = 6m,3 x 5m,6 = 35m228.
Le nombre des élèves inscrits est 40 en moyenne.
L'école des garçons est fréquenté régulièrement depuis le 20 novembre jusqu'à Pâques ; mais elle l'est très peu
pendant le reste de l'année : C'est que les paysans, même les plus riches, ont un réel besoin de leurs enfants pour
la garde du bétail.
Les enfants des fonctionnaires et des pauvres familles la fréquentent seuls toute l'année parce qu'ils ne sont
retenus chez eux par aucune occupation.
L'état de l'instruction est satisfaisant ; ainsi les hommes, en général, au-dessous de 50 ans savent tous lire,
écrire et calculer. Parmi les personnes plus âgées, il y en a également qui ont une instruction passable.
Beaucoup de femmes savent aussi lire et écrire.
Les conscrits de la dernière année possèdent tous une assez bonne instruction et les conjoints ont tous signé
leurs noms.
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Institutions scolaires
Nous n'avons encore qu'un noyau de bibliothèque scolaire. C'est une petite concession de 22 volumes qui nous a
été accordée le mois de novembre dernier par M le Ministre de l'Instruction publique.
J'ai organisé une souscription pour achat de nouveaux livres ; mais je n'espère pas réunir au- delà de 50 francs.
Le nombre des prêts jusqu'à ce jour s'élève à une soixantaine. Il n'est pas bien considérable parce que le nombre
de volumes est petit et que le goût de la lecture n'est pas encore bien vif chez les habitants d'Aucun, qui passent
au reste la plupart des veillées d'hiver à réparer leurs instruments aratoires ou à en fabriquer de nouveaux.
La caisse des écoles ne fonctionne pas et il n'existe pas de caisse d'épargne scolaire.
Le traitement de l'instituteur s'élève à 1200F et celui de l'institutrice à 800F
La commune doit être incessamment mise en demeure de construire un groupe scolaire; car, je le répète, les
locaux actuels sont très défectueux, et notamment celui de l'institutrice.
La commune possède de vastes forêts, il lui sera possible de se créer les ressources nécessaires.
Signé G Gay
La transcription a été réalisée par Philippe MANIETTE en respectant la graphie de l’instituteur.
NB – Ce texte est la propriété des Archives Départementales des Hautes Pyrénées. Sa reproduction et sa vente
sont interdites.
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