Autrui me connaît-il mieux que je ne me connais moi-même
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Autrui me connaît-il mieux que je ne me connais moi-même
1 Autrui me connaît-il mieux que je ne me connais moi-même ? Première définition de connaître On remarquera que le plan de l’introduction correspond au plan du développement. Différence entre ce dont j’ai conscience et ce que je donne à voir. Objet de la première et deuxième partie du devoir Puis-je être un objet de connaissance Tant pour moi que pour autrui ? troisième partie Problème plus précisément traité en quatrième partie De la question qui me connaît le mieux on passe au problème de ce que et de qui je suis. De quelque manière qu’on l’envisage, la connaissance pose le problème du rapport de la pensée à un objet. Connaître c’est avant tout saisir quelque chose par la pensée, et de façon plus précise le saisir adéquatement. Mais ce problème prend un tour aigu si l’on envisage la connaissance de soi confrontée à celle qu’autrui peut avoir de nous-mêmes. L’objet de cette connaissance ne semble-t-il pas se dédoubler ? Comment en effet faire coïncider le sentiment tout intérieur de ce que je suis, sentiment qui ne renvoie au fond qu’à ma seule conscience, à ce que les autres perçoivent de moi ? Entre ma conscience qui est en quelque sorte close sur elle-même et les manifestations de mon être dans le monde (mes actes mes paroles mes qualités apparentes…) seuls signes susceptibles de donner aux autres la matière d’une connaissance, il peut sembler y avoir un écart irréductible. Mais ces deux connaissances ne se rejoignent-elles pas dans une difficulté liée au statut incertain de l’objet. En effet dans les deux cas, si connaissance il y a, puis-je en être au sens propre un objet ? Comment d’une part, pourrais-je être à la fois le sujet et l’objet de cette connaissance, et d’autre part puis-je affirmer sans difficulté que je suis un objet pour autrui, au même titre que les autres objets du monde ? Aussi la question posée nous conduit-elle à poser le problème de l’identité de ce moi qui se donne dans des représentations divergentes et parfois contradictoires. Qui suis-je, moi dont la conscience semble parfois s’opposer aux représentations qu’autrui a de moi ? Se connaître soi-même. L’expérience immédiate : il me semble impossible qu’autrui me connaisse mieux que je me connaisse Dire que l’on se connaît soi-même suppose une opération réflexive qui est une attention à nos états intérieurs. Comment pourrais-je me connaître moi-même autrement que par la conscience que j’ai de mon histoire des mes sentiments de mes désirs ? Or cette conscience se heurte le plus souvent à ce qu’autrui pense de moi. Il pourrait sembler bien étonnant que la connaissance d’autrui soit supérieure à ma propre connaissance. Par la conscience je me saisis en effet de manière immédiate sans intermédiaire. Alors que je peux cacher dissimuler certains pans entiers de ma personnalité aux autres il me paraît difficile de me mentir. Celui qui passe pour un altruiste l’est-il vraiment ? Lui seul pourrait le savoir. Lui seul, au fond connaît les motifs de ses actions qui seules apparaissent à autrui. Aussi juge-t-on avant tout quelqu’un sur ses actes. C’est que nous n’avons accès aux autres que par des signes, par ce qui se donne à voir. N’avons-nous pas parfois le sentiment de nous être trompés sur quelqu’un. Celui que nous avions pensé généreux se révèle un jour égoïste et mesquin. De même n’avons-nous pas souvent l’impression qu’autrui se trompe sur notre être réel. Le regard de l’autre peut parfois devenir une véritable souffrance lorsque le hiatus entre ce que je crois être et ce que m’en renvoie autrui est trop important. Ainsi le ridicule semble bien être l’expérience de ce fossé entre deux perceptions opposées de la personne. Il pourrait donc apparaître que moi seul puisse me connaître réellement. L’autre qui n’a accès que très indirectement à mon expérience intérieure ne parviendrait jamais à savoir qui je suis. C’est en ce sens que Pascal peut affirmer dans la pensée 688-323 qu’« on aime jamais personne, mais seulement des qualités. » Le moi est complètement inaccessible à autrui. Tout ce que l’on attribue à autrui est comme son apparence contingente susceptible de disparaître ou de changer. Lorsqu’on m’aime, ce n’est pas réellement moi que l’on aime, mais ce qui se laisse voir de moi et qui est toujours incertain et changeant. Or si l’amour qui est, sans doute le sentiment le plus propice au rapprochement de deux êtres humains ne permet pas de connaître réellement l’autre il semble bien inconséquent d’affirmer qu’autrui me connaît mieux que je ne me connais moi-même. Après l’argument : un exemple : l’altruiste L’autre n’a pas accès à ce que je suis réellement ce qui me motive. Conséquence il ne peut me connaître qu’à travers mes actes Reformulation de l’argument la connaissance d’autrui n’est qu’indirecte Utilisation d’une référence pour appuyer la thèse Conclusion de cette première partie Mise en question de la thèse. On voit bien qu’il est impossible de répondre à la question sans aborder le problème de mon identité Si je suis ce que je fais alors autrui pourrait mieux me connaître que ne me connais. Utilisation volontairement paradoxale de Locke Pourtant, peut-on aussi simplement affirmer que mon identité équivaut à cette expérience intérieure dont j’ai conscience. Mon être est avant tout un être dans un monde. Être qui vit qui parle qui agit. Je ne puis me réfugier dans la solitude d’une expérience intérieure qui seule serait ma réalité. L’altruiste est avant tout celui qui agit pour les autres celui dont les actes traduisent cette qualité. Quelqu’un dont les sincères intentions ne se traduiraient pas par des actes pourrait-il sérieusement être considéré comme un altruiste. Au fond, plus que la seule expérience intérieure ne suis-je pas la somme de mes actes. Et il semble bien qu’il y ait là (puisque nous nous interrogeons sur la connaissance) matière à une connaissance plus objective. Le plus souvent, de ces actes, autrui paraît meilleur juge que moi. Toute action se joue dans un univers humain. Toute action n'est-elle pas interaction? Mes actes ont des conséquences sur les autres, conséquences qu'eux seuls sont à même d'évaluer justement. Si "l'enfer est pavé de bonnes intentions" c'est bien parce que la seule intention ne peut légitimer un acte. Ainsi, même Locke pour qui l'identité personnelle est essentiellement la conscience a montré dans Identité et différence que si je ne 2 Pour qui l’identité (personnelle est bien la conscience) il ne peut cependant qu’accorder que dans le monde des hommes cette conscience n’est pas le seul critère de connaissance. Je suis ce que je fais, mais aussi ce que je dis. C’est dans l’essence du langage que l’on trouve un critère qui légitime la parole comme accès à la connaissance de soi par les autres. On interroge ici le sens de « mieux », une meilleure connaissance serait une connaissance plus objective. Transition les limites de la connaissance qu’autrui peut avoir de moi sont tirées de l’exemple utilisé précédemment Utilisation d’un exemple littéraire à l’appui de la thèse Définition d’autrui comme alter ego. Cette définition permet de donner une nouvelle orientation au développement. Distinction entre ce que je suis et qui je suis. Différents types de connaissances de ce moi. La réponse que l’on cherche vise celui qui correspond à la question, qui suis-je ? On travaille maintenant plus précisément le problème. l’échec de la connaissance de soi Montre peut-être que cet objet n’existe pas, n’est qu’une fiction. Mais ce moi est peut-être le résultat de cette objectivation (inévitable) manquée pouvais me tenir pour responsable d'un acte que je n'aurais pas conscience d'avoir commis les autres le peuvent légitimement : " car bien que le châtiment soit attaché à la personnalité, et la personnalité à la conscience et que peut-être l'ivrogne n'ait pas conscience de ce qu'il a fait, les tribunaux humains cependant le punissent à bon droit, parce que contre lui il y a la preuve du fait, tandis qu'en sa faveur il ne peut y avoir la preuve du manque de conscience". De plus il en va de mes actes comme de mes paroles. Je suis certes la somme de mes actes, mais tout autant la somme de ce que je dis. On pourrait objecter que ce qui est au fond ma vérité tient plus à ce que je veux dire qu'à ce que je dis réellement. L'idée même qu'autrui puisse se tromper sur le sens de mes mots, puisse ne pas me comprendre ne marque-t-elle pas l'impuissance du langage à traduire fidèlement mon être. Mais l'essence même de la parole n'est-elle pas d'être toujours une parole adressée. Dès l'instant ou l'on parle, on parle à l'autre. Aussi toute parole incomprise n'est-elle pas avant tout une parole incompréhensible ? Et c'est à bon droit qu'autrui peut fonder sa connaissance de moi plus sur ce que je dis que sur ce que je veux dire. Aussi la connaissance qu'autrui peut avoir de moi semble bien meilleure au sens ou elle serait plus objective. Autrui me juge sur ce que je manifeste dans le monde, et de ces manifestations il est meilleur juge que je ne suis. On le voit bien sur la connaissance du corps (car après tout je ne suis pas qu'une pure pensée, mais aussi un corps ). Ce corps est pour autrui un objet parmi les autres objets du monde, ce qu'il ne peut être pour moi. Autrui me voit me saisit dans une perception qui m'est à jamais interdite. C'est par exemple l'expérience banale d'un refus de se reconnaître sur une photo ou un film (" je suis vraiment comme ça ?") photo ou film qui d'une certaine façon objective notre apparence à la manière (au moins analogiquement) du regard de l'autre. Cette connaissance enfin est meilleure non seulement parce qu'elle apparaît plus objective, mais parce qu'elle est chronologiquement première. Autrui me connaît avant que moi-même je me connaisse. L'enfant est un individu pour ses parents avant de se considérer comme tel. Les analyses de Jacques Lacan sur le stade du miroir ont montré que cette connaissance était la condition de l'élaboration de l'identité individuelle. La psychose qui pourrait être considérée comme la pathologie de l'identité (au sens où le psychotique ne parvient pas à distinguer ce qu'il est de ce qui n'est pas lui) pourrait être liée à l'absence de cette reconnaissance première. Devenir soi passe nécessairement par le regard de l'autre. Mais cet exemple ne nous indique-t-il pas les limites de cette connaissance ? Les parents connaissent moins leur enfant qu'ils ne le "construisent". De la même manière finalement que chaque fois l'autre me construit à travers le filtre de ce qu'il est. Le regard d'autrui n'est objectif qu'en apparence il est déformé voilé par ses préjugés, il est dirigé par son histoire. Dans La recherche du temps perdu Marcel Proust a parfaitement décrit cette confusion des sentiments qui fait que l'identité de l'être aimé se dissout dans la passion amoureuse. Swann ne connaît pas Odette la femme qu'il croit aimer, elle n'est pour lui qu'une fiction, peut-être même qu'une idée. C'est qu'autrui est avant tout un alter ego, un autre moi. Autrui est autre que moi, mais jamais au même titre que les autres êtres du monde. Et réciproquement je suis pour autrui un autre moi, ce qui lui interdit à jamais de me considérer comme un objet. C'est pour cela qu'autrui ne me connaît que par comparaison ou du moins par projection. Il présume que j'éprouve ce qu'il éprouve, que je désire ce que je désire… Aussi ce qu’autrui peut rigoureusement connaître de moi c'est que je suis un alter ego un autre moi. Mais de la même manière on peut se demander si, en toute rigueur ce qui se livre à la conscience n'est pas la seule saisie de notre essence. Le terme du chemin des Méditations de Descartes n'est-il pas l'épreuve de cette identité universelle de soi comme être pensant ? Mais la singularité, ce que je suis réellement individuellement, ce qui me distingue de tous les autres n'est peut-être jamais l'objet que d'une connaissance imparfaite, connaissance dont l'objet semble se dérober chaque fois qu'on tente de le cerner, que ce soit dans la connaissance qu'autrui a de moi ou dans celle que je me fais de moi-même. Nous voyons donc que la connaissance de soi n'est pas univoque. Elle dépend finalement de la question que l'on se pose. A la question sur ce que je suis, il semble bien qu'autrui et moi-même puissions arriver pareillement à la même réponse : je peux me connaître comme un être pensant, qui se distingue des objets du monde. Autrui me reconnaît aussi comme cet autre moi qui lui est semblable et pourtant autre. Mais la question : qui suis-je ? Ne permet pas de connaissance exacte. Moi-même je m'échappe à moi-même. Je ne peux qu'éprouver mon identité (je sais, ou je crois savoir que suis moi ), mais non pas la connaître. Autrui n'a accès qu'à ce qui se donne d'elle dans mes actes mes paroles ou ce qui apparaît de mon corps. D'un coté une épreuve purement subjective de l'autre, une objectivation imparfaite. Autrui ne me connaît ni mieux ni moins bien que je ne me connais moi-même, car ce que je suis ne peut être objet de connaissance. Mais si la connaissance de ce moi apparaît toujours parcellaire inadéquate, que ce soit comme connaissance réflexive par moi-même ou comme connaissance de moi inférée de mes actes et qualités apparentes par les autres, c'est peut être que ce moi n'est qu'illusion. Me connaître suppose que je pense une unité sous la multiplicité de mes sentiments de mes manifestations. Mais cette unité n'est peut-être qu'une fiction. L'échec de la connaissance de soi en serait alors le signe le plus manifeste. Si autrui ne peut pas me connaître, si de même je ne peux pas me connaître c'est peut-être, et telle est la thèse scandaleuse énoncée par Hume dans " le traité de la nature humaine" I IV VI que nous ne sommes : qu'un faisceau ou une collection de perceptions différentes, qui se succèdent avec une rapidité inconcevable et 3 sont dans un flux et un mouvement perpétuel. (…) L'esprit est une sorte de théâtre, où des perceptions diverses font successivement leur entrée, passent, repassent s'esquivent dans une variété infinie de positions et de situations. L'identité ne serait alors qu'une fiction nécessaire, mais ne pourrait évidemment ne donner lieu à aucune connaissance. Car au fond, du théâtre nous ne pouvons rien dire pas même s'il existe : nous n'avons pas la plus lointaine idée du lieu où ses scènes sont représentées, ni des matériaux dont il est composé. Ne pourrions-nous pas dire qu'il n'est finalement que ce que produit cette tension dialectique entre la connaissance que l'autre a de moi et celle que je me fais de moi. Je ne serais alors qu'une fiction tissée de ces représentations qui échouent à trouver un objet. Conclusion : réponse à la question. Reprise de la « solution » du problème Aussi ni moi-même ni les autres ne pouvons prétendre à une connaissance véritable de mon identité. Mais cette identité est une fiction qui résulte de la confrontation entre la nécessité dans laquelle je suis d'assigner un moi à mes pensées à mon histoire et de la nécessité dans laquelle se trouve autrui de référer ce que je fais à une identité à une personne. Nécessité pratique avant tout. Plus encore, j'ai besoin du regard de l'autre pour me penser comme un moi, et autrui présuppose toujours cette identité pour m'imputer mes actions ou mes mots. Aussi pourrait-on reprendre en lui donnant un nouveau sens (puisque ce moi n'est plus pour nous qu'une fiction nécessaire ) la célèbre phrase de Sartre : je suis ce que je fais de ce que les autres ont fait de moi.