1253 CRP, autorisation administrative et rupture du

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1253 CRP, autorisation administrative et rupture du
Jurisprudence RELATIONS COLLECTIVES
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CRP, autorisation administrative
et rupture du contrat de travail
En cas de licenciement pour motif économique,
l’employeur est tenu, lors de l’entretien préalable au
licenciement, de proposer au salarié qu’il envisage de
licencier une convention de reclassement personnalisé. Si
le salarié accepte cette convention, la rupture du contrat
de travail est réputée intervenir d’un commun accord, à la
date d’expiration du délai dont dispose le salarié pour
prendre parti. Lorsque le salarié bénéficie d’une protection, la rupture du contrat de travail prend effet après que
l’inspecteur du travail a autorisé le licenciement.
Cass. soc., 4 déc. 2012, n° 11-11.299, FS-P+B, M. F. c/ SA société Charvet
industrie : JurisData n° 2012-028150
LA COUR – (...)
‰ Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 26 novembre 2010), que, dans le cadre
d’un projet de restructuration liée à des difficultés économiques, la société
Charvet industrie a mis en œuvre un licenciement collectif de moins de dix
salariés, parmi lesquels, M. F., délégué du personnel ; que lors de l’entretien
préalable à ce licenciement qui s’est tenu le 19 décembre 2005, l’employeur a
remis au salarié une convention de reclassement personnalisé (CRP) et lui a
proposé un poste [de reclassement] ; que l’intéressé a refusé la proposition
[de reclassement le 27 décembre 2005 et a adhéré à la CRP le 29 décembre ;
que le 6 janvier 2006, l’employeur a sollicité de l’inspecteur du travail l’autorisation de le licencier qui lui a été donnée le 12 janvier 2006 ; que le 17 janvier
2006, la société a notifié à M. F. la rupture du contrat de travail d’un commun
accord ; que le 18 février 2009, celui-ci a saisi la juridiction prud’homale en
nullité de son licenciement et paiement de diverses sommes à titre de
dommages-intérêts, de rappel d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement ;
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, et sur le second moyen :
‰ Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ces griefs qui ne sont pas de nature
à permettre l’admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches :
‰ Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt de débouter le salarié de ses demandes,
alors, selon le moyen :
1°/ que le juge judiciaire est compétent pour vérifier la régularité et le bien-fondé
de la rupture d’un commun accord, après que le salarié protégé a accepté la
convention de reclassement personnalisé ; qu’en l’espèce, la cour d’appel ne
pouvait débouter M. F. de sa contestation de la rupture du contrat de travail et de
ses demandes de dommages-intérêts au prétexte que l’inspecteur du travail
avait vérifié la régularité et le bien-fondé du licenciement, quand il est constant
que la société Charvet industrie avait notifié non pas une lettre de licenciement
mais une lettre de rupture d’un commun accord ; qu’en statuant comme elle l’a
fait, la cour d’appel a excédé ses pourvois en violation de la loi des 16 et 24 août
1790 et des articles L. 1233-67 et L. 2411-1 et suivants du Code du travail ;
2°/ que la cour d’appel, qui s’est bornée à énoncer que l’inspecteur du travail
avait vérifié le bien-fondé du licenciement et la régularité de la procédure de
licenciement, sans constater que l’autorité administrative avait également vérifié les conditions dans lesquelles M. F. avait accepté la convention de reclassement personnalisé, elle ne pouvait débouter le salarié de sa contestation de la
rupture du contrat de travail, sans examiner elle-même son bien-fondé et sa
régularité ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel n’a pas mis la Cour
de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a violé la loi des 16 et 24 août
1790 et les articles L. 1233-67 et L. 2411-1 et suivants du Code du travail ;
3°/ que si le salarié accepte la convention de reclassement personnalisé, le
contrat de travail est réputé rompu du commun accord des parties à la date
d’expiration du délai de réflexion de quatorze jours dont dispose le salarié à
compter de la remise de la convention par son employeur ; qu’en l’espèce, la
cour d’appel ayant constaté que la société Charvet industrie avait remis à M. F.,
le 19 décembre 2005, lors de l’entretien préalable à son licenciement, une
convention de reclassement personnalisé à laquelle il avait adhéré le
29 décembre 2005, il s’en déduisait que la rupture du contrat de travail de M. F.
était intervenue le 2 janvier 2006, date d’expiration du délai de réflexion dont il
disposait pour accepter la convention, soit avant la saisine de l’inspecteur du
travail ; en jugeant néanmoins que le contrat de travail avait pris fin régulièrement le lendemain de la notification de la rupture d’un commun accord à savoir
le 18 janvier 2006, la cour d’appel a violé l’article L. 1233-67 et L. 1233-68 du
Code du travail, dans sa rédaction alors applicable, l’article 5.1 de la convention
du 27 avril 2005 relative à la convention de reclassement personnalisé ;
4°/ que le salarié protégé ne peut renoncer par avance aux dispositions d’ordre
public instituées pour protéger son mandat, de sorte qu’il ne peut donner son
accord à une convention de reclassement personnalisé valant rupture d’un
commun accord du contrat de travail avant que l’inspecteur du travail n’ait
donné son autorisation de licenciement ou à tout le moins son délai de réflexion
doit être prorogé jusqu’au jour suivant la notification à l’employeur de l’autorisation de licenciement ; en l’espèce, il est constant et constaté par la cour d’appel
que l’autorisation de licencier M. F. a été demandée par la société Charvet
industrie le 6 janvier 2006 à l’inspecteur du travail et obtenue le 12 janvier 2006
soit postérieurement à son adhésion le 29 décembre 2005 à ladite convention
et à la date d’expiration du délai de réflexion fixée au 2 janvier 2006, de sorte
que le contrat de travail de M. F. avait été rompu avant même que la société
Charvet industrie ne demande, et a fortiori n’obtienne, l’autorisation de l’inspecteur du travail de licencier M. F. ; qu’en jugeant néanmoins que la société avait
respecté la chronologie exigée par les textes pour rompre le contrat de travail de
M. F. et que cette rupture était régulière, la cour d’appel a violé les articles
L. 1233-67, L. 1233-68 et L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-5 du Code du travail
dans leur rédaction alors applicable ;
5°/ que les dispositions d’ordre public des articles L. 1233-1 et suivants du
Code du travail sont applicables à toute rupture de contrat de travail pour motif
économique ; en conséquence, la priorité de réembauchage dont bénéficie le
salarié qui a adhéré à une convention de reclassement personnalisé doit lui être
notifiée par l’employeur ; qu’en l’espèce, en se bornant à énoncer que la société
Charvet industrie n’avait pas à notifier à M. F. une lettre de licenciement mais
bien une lettre de rupture du contrat de travail d’un commun accord sans
vérifier, comme elle y était invitée, ni constater que cette lettre de rupture
comportait les mentions obligatoires de la lettre de licenciement pour motif
économique et notamment la priorité de réembauchage du salarié, la cour
d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-1,
L. 1233-3, L. 1233-16 et L. 1233-45 du Code du travail dans leur rédaction alors
applicable ;
‰ Mais attendu qu’en cas de licenciement pour motif économique, l’employeur
est tenu, lors de l’entretien préalable au licenciement, de proposer au salarié
qu’il envisage de licencier une convention de reclassement personnalisé ; que
si le salarié accepte cette convention, la rupture du contrat de travail est
réputée intervenir d’un commun accord, à la date d’expiration du délai dont
dispose le salarié pour prendre parti ; que lorsque le salarié bénéficie d’une
protection, la rupture du contrat de travail prend effet après que l’inspecteur du
travail a autorisé le licenciement ;
JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 24. 11 JUIN 2013
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‰ Et attendu que la cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait obtenu
l’autorisation de procéder au licenciement du salarié protégé avant de lui
notifier la rupture du contrat de travail d’un commun accord en raison de son
acceptation d’une convention de reclassement personnalisé et retenu que le
contrat de travail avait pris fin le lendemain de cette notification, a légalement
justifié sa décision ;
Par ces motifs :
‰ Rejette (...)
NOTE
Dans le cadre d’un projet de restructuration liée à des difficultés
économiques, l’employeur a mis en œuvre un licenciement collectif
pour motif économique de moins de dix salariés, parmi lesquels un
salarié protégé.Lors de l’entretien préalable à ce licenciement qui s’est
tenu le 19 décembre 2005, l’employeur a remis au salarié une convention de reclassement personnalisé (CRP). Le 29 décembre 2005, le
salarié a adhéré à la CRP. Le 6 janvier 2006, l’employeur a sollicité de
l’inspecteur du travail l’autorisation de le licencier qui lui a été donnée le 12 janvier 2006. Le 17 janvier 2006, la société a notifié au salarié
la rupture du contrat de travail d’un commun accord. Le 18 février
2009, soit trois ans après la rupture de son contrat de travail, le salarié
a saisi la juridiction prud’homale en nullité de son licenciement et
paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts,de rappel
d’indemnité compensatrice de préavis et d’indemnité de licenciement. À l’appui de la demande d’annulation de son licenciement, le
salarié soutenait le raisonnement suivant : 1) l’adhésion à la CRP
entraîne la rupture d’un commun accord du contrat de travail à l’expiration du délai de réflexion donné au salarié (14 jours à compter de
la remise de la CRP par l’employeur) ; 2) le licenciement d’un salarié
protégé suppose nécessairement l’autorisation préalable de l’inspection du travail ; 3) la demande d’autorisation de licenciement et l’autorisation elle-même auraient donc dû intervenir avant que la CRP ne
lui soit proposée (et a fortiori qu’il ne l’ait acceptée). La position du
salarié avait une certaine logique, à tout le moins sur le plan
chronologique : dans la mesure où, en cas d’acceptation de la CRP, le
contrat est réputé rompu à l’expiration du délai de réflexion et que,
par ailleurs, le contrat de travail d’un salarié protégé ne peut pas être
rompu, même d’un commun accord, sans l’autorisation de l’inspecteur du travail (CE, 9 mai 2011, n° 333241, Sté Donatien Bahuaud),
l’employeur qui ne demande pas, et a fortiori n’obtient pas, ladite
autorisation avant la fin du délai de réflexion s’expose à l’annulation
de la rupture. La Cour de cassation n’adhère pas à cette thèse. Elle
rejette le pourvoi et valide l’arrêt de la cour d’appel qui avait constaté
que l’employeur avait obtenu l’autorisation de procéder au licenciement du salarié protégé avant de lui notifier la rupture du contrat de
travail d’un commun accord en raison de son acceptation d’une CRP
et retenu que le contrat de travail avait pris fin le lendemain de cette
notification. Deux enseignements (1), deux questions, deux réponses
(2).
1. Deux enseignements
Premier enseignement. – Lorsque le salarié bénéficie d’une protection, la rupture du contrat de travail prend effet après que l’inspecteur du travail ait autorisé le licenciement, et non, en cas d’adhésion à
la CRP, à l’expiration du délai de quatorze jours. Cela signifie que le
dispositif CRP ne fait pas exception à la règle d’ordre public selon
laquelle la date de la rupture du contrat de travail du salarié protégé
dépend uniquement de la date à laquelle l’inspection du travail autorise le licenciement.Autrement dit,quels que soient les délais fixés par
tel ou tel dispositif légal (et a fortiori conventionnel) pour notifier un
licenciement, ceux-ci sont automatiquement prorogés au lendemain
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JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 24. 11 JUIN 2013
de l’autorisation de l’inspection du travail lorsque le licenciement
concerne un salarié protégé. Cette solution fait écho à celle dégagée
par la convention UNEDIC du 18 janvier 2006 (art. 4, § 1er) qui prévoyait que « pour les salariés dont le licenciement est soumis à autorisation, ce délai de [réflexion] de 14 jours est prolongé jusqu’au lendemain
de la date de notification à l’employeur de la décision de l’autorité administrative compétente ».
Au plan pratique, cette solution est logique dès lors que, chronologiquement et compte tenu des délais,l’employeur ne pouvait pas tenir
l’entretien préalable et obtenir l’autorisation de l’inspecteur du travail avant l’expiration du délai de réflexion. Une seule solution aurait
permis de concrétiser la thèse du salarié : demander l’autorisation de
licenciement avant même d’engager auprès de ce dernier la procédure
de licenciement, c’est-à-dire avant l’entretien préalable et avant de lui
proposer le dispositif de CRP. Mais cette solution est interdite (CE,
5 juin 1987 : Rec. CE 1987, tables, p. 978).
Second enseignement. – La prise d’effet du licenciement ne rétroagit pas à l’expiration du délai de réflexion de quatorze jours en cas
d’adhésion par le salarié protégé à la CRP.Autrement dit, si l’autorisation de licenciement intervient postérieurement à l’expiration du
délai de réflexion laissé pour adhérer à la CRP,la rupture du contrat de
travail ne prend pas effet rétroactivement à cette date mais au lendemain de la date de notification à l’employeur de la décision de l’inspection du travail. C’est logique, le délai de réflexion lui-même est
prorogé...jusqu’à cette même date.
2. Deux questions, deux réponses
Première question.– L’employeur doit-il attendre l’expiration du
délai de réflexion de vingt et un jours (CSP) pour solliciter l’autorisation de l’inspection du travail ? En l’espèce, c’est ce qu’avait fait
l’employeur : il avait attendu non seulement que le salarié ait pris
position par rapport au dispositif CRP qui lui avait été proposé mais
également que le délai de réflexion ait expiré.
Première réponse.– La Cour de cassation n’exige pas cette attente.
C’est logique : le délai de réflexion est prolongé jusqu’au lendemain
de la date de notification à l’employeur de la décision de l’autorité
administrative. Au plan pratique, la procédure de licenciement pour
motif économique (de moins de dix salariés) d’un salarié protégé
obéit donc à la chronologie suivante : 1) convocation à l’entretien
préalable au cours duquel le dispositif de CRP (aujourd’hui contrat
de sécurisation professionnelle (CSP), C. trav., art. L. 1233-65 et s.)
est proposé au salarié, accompagnée d’une information sur le motif
économique de son licenciement (Cass. soc., 12 juin 2012, n° 1014.632 : JurisData n° 2012-012728 ; JCP S 2012, act. 323) ; 2) après
l’entretien préalable, demande d’autorisation de licenciement auprès
de l’inspection du travail ; 3) le lendemain de l’autorisation de licenciement, notification au salarié de la rupture d’un commun accord de
son contrat de travail si ce dernier a adhéré au CSP ou notification de
son licenciement dans le cas contraire.
Seconde question. – L’employeur est-il tenu de notifier la rupture
d’un commun accord du contrat de travail lorsque le salarié protégé a
adhéré au CSP et que l’inspecteur du travail a autorisé le
licenciement ? En l’espèce, c’est ce qu’avait fait l’employeur.
Seconde réponse. – La Cour de cassation ne semble pas l’exiger.
Comme ce qui se pratique pour les salariés non protégés lorsqu’à la
date prévue pour l’envoi de la lettre de licenciement le délai de réflexion n’est pas expiré, il pourrait être envisagé d’envoyer au salarié
protégé – après l’entretien préalable et avant que l’inspection n’ait
donné son autorisation – un courrier aux termes duquel l’employeur
lui indiquerait : 1) que l’autorisation de rompre son contrat de travail
a été demandée à l’inspection du travail ; 2) que compte tenu de son
statut de salarié protégé, le délai pour adhérer au CSP est reporté au
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lendemain de la notification par l’administration de l’autorisation de
licenciement à l’employeur ; 3) qu’en cas de refus d’adhésion au CSP
et d’autorisation de licenciement de l’inspection du travail, le présent
courrier vaudra notification de son licenciement avec prise d’effet au
lendemain de ladite autorisation ; 4) qu’en cas d’adhésion au CSP et
d’autorisation de licenciement donnée par l’inspection du travail,
son contrat de travail sera rompu d’un commun accord avec prise
d’effet au lendemain de ladite autorisation. Ainsi, il ne serait pas utile
de réitérer formellement la rupture du contrat de travail après l’autorisation de licenciement accordée par l’inspection du travail.
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Mots-Clés : Salariés protégés - Rupture du contrat de travail Licenciement pour motif économique - Convention de reclassement
personnalisée - Autorisation de licenciement - Procédure et délais
Rupture du contrat de travail - Salariés protégés - Licenciement pour
motif économique - Convention de reclassement personnalisé Autorisation de licenciement - Procédure et délais
Licenciement pour motif économique - Reclassement - Convention de
reclassement personnalisé - Salarié protégé - Autorisation de
licenciement - Procédure et délais
Textes : C. trav., art. L. 1233-1 et s., L. 1233-67, L. 1233-68
JurisClasseur : Travail Traité, Fasc. 31-3, par Patrick Morvan
Romain Chiss,
avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 24. 11 JUIN 2013
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