Rencontre autour de l`acide urique et du risque

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Rencontre autour de l`acide urique et du risque
Avis d’expert
Rencontre autour
de l’acide urique et
du risque cardiovasculaire
Ce qu’il faut en retenir selon le Pr Frédéric Lioté
n
Le rôle de l’acide urique comme facteur de
risque pour les maladies cardiovasculaires a été
largement débattu pendant des années, sans
que l’on puisse trouver un consensus entre les
cliniciens et les chercheurs. Si un taux d’uricémie élevé peut être considéré comme néfaste
dans un certain nombre de contextes pathologiques, l’impact de la réduction de l’uricémie sur
Le Dr Michel Bodin et le Pr Frédéric Lioté.
le risque cardiovasculaire reste à déterminer de
manière précise et mériterait d’être éclairci par des essais cliniques adaptés. L’objet de ce symposium international organisé à Bologne du 25 au 27 octobre 2012 était double : préciser tout
d’abord le rôle de l’acide urique dans la pathogénie de la goutte et des affections non goutteuses
qui y sont associées ; ensuite, évaluer l’incidence de l’hyperuricémie sur le risque cardiovasculaire. Pour ce faire, une vingtaine de communications ont été présentées, essentiellement
par des experts d’origine latine, italienne et espagnole. Pour la France, Pascal Richette (Hôpital
Lariboisière, Paris) a évoqué l’épidémiologie de l’hyperuricémie et de la goutte, Thomas Bardin
(Hôpital Lariboisière, Paris) les aspects actuels de leur prise en charge, et Jacques Blacher
(Hôtel-Dieu, Paris) les mécanismes altérant la fonction vasculaire chez les malades hyperuricémiques. Nous avons demandé au Pr Fréderic Lioté (Hôpital Lariboisière, Paris) de bien vouloir
faire la synthèse de cette réunion.
Dr Michel Bodin 
: Nous venons d’assister à
cette réunion consacrée à l’acide urique, la
goutte, et leurs connexions avec les maladies
cardiovasculaires. Pouvez-vous nous dire ce que
vous en retiendrez ?
*Rhumatologue, Griselles
Rhumatos • Novembre 2012 • vol. 9 • numéro 82
Dr Michel Bodin*
Pr Frédéric Lioté : Ce qui m’a paru intéressant dans
ce congrès, c’est l’interface qui a été créée entre les
diverses spécialités. Pour la première fois, le rhumatologue était en mesure de confronter son expérience, ses connaissances, sa démarche, avec celle des
cardiologues, des spécialistes de l’hypertension, des
spécialistes des maladies coronaires et même des neu409
Avis d’expert
rologues. Le fil conducteur est en effet le risque cardiovasculaire, certes associé aux atteintes des vaisseaux,
mais aussi au risque métabolique et au diabète. En filigrane se dessine derrière ces divers syndromes l’épidémie d’obésité qui s’étend à travers le monde, accompagnée d’une forte expansion de l’hyperuricémie. Il y a
30 ans, il n’existait pas de goutte en Chine, au Vietnam
ou à Taïwan. Aujourd’hui, dans les villes de l’est de
la Chine, la prévalence de la goutte est supérieure à
celle de la polyarthrite rhumatoïde.
Deux phénomènes peuvent l’expliquer : l’augmentation du niveau de vie d’une part, qui s’accompagne
d’une plus importante consommation de purines animales, d’une surconsommation de hamburgers et de
sodas, avec trop de calories et de fructose, et le terrain
génétique d’autre part, qui favorise les hyperuricémies.
Il semble aujourd’hui établi que l’hyperuricémie n’est
pas tant liée à la surconsommation de purines endogènes ou exogènes (encore que celles-ci continuent de
jouer leur rôle), mais plutôt en rapport avec un défaut
d’élimination de l’acide urique, du fait de la mutation
des gènes codants pour les protéines de transport au
niveau du tubule rénal. Leur fonction est d’assurer la
réabsorption tubulaire de l’acide urique, puis sa sécrétion.
M.B. : S’agit-il d’un nouveau concept nosologique ?
F.L. : Pas du tout. C’est une notion connue depuis long-
temps, mais que l’on avait un peu oubliée… En réalité,
ce défaut d’élimination est responsable de la goutte
dans 80 à 90 % des cas. L’excès d’acide urique, essentiellement sous sa forme chronique, est ainsi au carrefour d’un certain nombre d’atteintes systémiques, cardiovasculaires, métaboliques, comme l’obésité ou le
diabète. J’ai été surpris d’apprendre que certes l’acide
urique est un bad guy, susceptible d’être au moins
associé à toutes ces pathologies cardiovasculaires,
comme en témoignent les nombreuses données épidémiologiques dont nous disposons, mais aussi un good
guy. A ce jour, il n’y a qu’une présomption de causalité
entre l’hyperuricémie et ces maladies. Les preuves ne
sont pas formellement établies, sauf peut-être pour
l’hypertension.
Une autre nouveauté est tout à fait intéressante, qui
concerne la préhypertension chez l’adolescent : il y
a quelques années, un travail de Johnson et al. avait
montré que l’hypertension de l’adolescent était associée à une hyperuricémie (1). Les mêmes auteurs
avaient eu l’idée de traiter cette hypertension uniquement par allopurinol, à une dose standard, et avaient
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eu la surprise de constater, comparativement au bras
placebo, une normalisation significative de la pression artérielle (2). Nous étions en attente d’un essai
susceptible de confirmer ces données ; celui-ci vient
d’être publié online. A la différence du travail initial, cet
essai comporte trois bras : allopurinol, probénécide
(uricosurique) et placebo. Sur une série de 20 adolescents obèses originaires du Texas, on obtient, à deux
mois, aussi bien avec l’allopurinol qu’avec le probénécide, une réduction tout à fait significative de la pression artérielle, de l’ordre de 10 mmHg. Il a en outre
été constaté une réduction du poids des adolescents
traités. Nous disposons d’un nouvel argument, certes
modeste, de causalité entre hyperuricémie et hypertension artérielle.
M.B. : Il m’a semblé entendre que l’acide urique
n’a pas que des côtés négatifs ?
F.L. : En effet, une autre notion qui me paraît fondamen-
tale a été apportée : c’est celle de l’acide urique que l’on
peut considérer, en cas d’administration en aigu, à dose
modérée, comme un good guy, en raison de son rôle
d’agent antioxydant. En cas d’excès de radicaux libres
ou de stress oxydatif, l’acide urique agit comme un
élément détoxifiant. Dans des modèles animaux d’infarctus cérébraux chez la souris, il avait déjà été montré que l’injection IV en aigu d’acide urique réduisait
de façon très spectaculaire (80 %) la taille de l’infarctus expérimental (3). Après des essais de phase II chez
l’Homme, à la recherche de marqueurs secondaires
d’efficacité portant sur les métalloprotéases, témoins
du passage au niveau cérébrovasculaire, un vaste essai
multicentrique international, randomisé et contrôlé
est en cours, évaluant l’effet du traitement classique des
accidents cérébrovasculaires par l’activateur du plasminogène seul, ou associé à l’administration d’un gramme
d’acide urique en perfusion IV. Deux cent-quatre-vingt
malades sont inclus dans cette étude sur les 400 prévus ; les inclusions doivent être closes au 2e trimestre de
2013. Nous en attendons d’ores et déjà les résultats avec
impatience… avec l’espoir d’obtenir, dans ces maladies
cérébrovasculaires, un traitement efficace et optimisé
que l’on pourrait associer aux thrombolytiques.
M.B. : L’acide urique est donc susceptible d’agir
dans deux directions diamétralement opposées ?
F.L. : En effet, on a, d’un côté, l’administration aiguë
d’acide urique comme agent antioxydant, et, d’un autre
côté, le risque cardiovasculaire associé à l’hyperuricémie chronique, auquel est confronté le rhumatologue. Il
ne faut pas perdre de vue que seuls 10 à 15 % des hyperuricémiques font des crises de goutte, et l’hyperuricémie
Rhumatos • Novembre 2012 • vol. 9 • numéro 82
Rencontre autour de l’acide urique et du risque cardiovasculaire
doit donc être considérée plutôt comme un marqueur
cardiovasculaire. La découverte d’une hyperuricémie
asymptomatique doit conduire, tout d’abord, à rechercher les autres co-morbidités cardiovasculaires, l’obésité, le diabète, la maladie coronaire, l’hypertension. Il
faut ensuite, et de manière impérative, dépister l’insuffisance rénale. Pour ce faire, il ne faut pas se contenter
de demander une créatininémie, mais aussi faire calculer la clairance. La formule de calcul actuellement retenue par les néphrologues est la formule MDRD (Modification of the Diet in Renal Disease), considérée comme
la plus précise, et qui met en évidence une insuffisance
rénale chez un goutteux sur deux. Nous avons conduit
Il ne faut pas perdre de vue
que seuls 10 à 15 % des
hyperuricémiques font des crises
de goutte.
une étude transversale sur 1 000 goutteux (étude Gospel, 4) : 5 % seulement étaient considérés comme insuffisants rénaux modérés par leur médecin traitant ; après
calcul de la clairance par la méthode de Cockcroft et
Gault, ce pourcentage passait à 40 %. Pour information,
cette méthode de calcul est préférée par les gériatres,
qui estiment que cette formule donne moins de faux négatifs. Rappelons enfin que la dose maximale nécessaire
d’allopurinol pour le traitement de la maladie goutteuse
dépend directement de l’état fonctionnel du rein : elle
est de 200 mg/jour pour une clairance de 60 ml/min.
M.B. 
: Cette étroitesse des liens entre
l’hyperuricémie et les maladies cardiovasculaires
induit, à l’évidence, la question suivante : la
normalisation du taux d’acide urique peut-elle
modifier l’incidence de survenue et le pronostic
de ces affections ? C’était l’une des questions
auxquelles le présent symposium se proposait
de répondre…
F.L. : Ce problème n’est pas réglé. Pour répondre à cette
question, il serait nécessaire de mettre en œuvre un
essai de grande taille en utilisant l’allopurinol, ou un
autre médicament hypo-uricémiant, chez un grand
nombre de patients, sur une durée prolongée, avec des
critères d’évaluation très signifiants : mort cardiovasculaire, survenue d’un infarctus. Seuls les cardiologues
sont habitués à travailler sur de tels échantillons. Il
s’agit d’un enjeu énorme, mais il n’est pas impossible
qu’un laboratoire s’intéresse un jour à la mise en route
d’un tel essai, multicentrique, international, et dont
les résultats seraient d’un intérêt capital…
n
Bibliographie
1. Feig DI, Johnson RJ. Hyperuricemia in childhood primary hypertension.
Hypertension 2003 ; 42 : 247-52.
2. Feig DI, Soletsky B, Johnson RJ. Effect of allopurinol on blood pressure
of adolescents with newly diagnosed essential hypertension : a randomized trial. JAMA 2008 ; 300 : 924-32.
3. Soletsky B, Feig DI. Uric acid reduction rectifies prehypertension in
obese adolescents. Hypertension 2012 ; 60 : 1148-56.
4. Lioté F, Lanz S, Saraux A et al. Prévalence et caractéristiques du syndrome métabolique dans la goutte en France : étude GOSPEL 1000. Joint
Bone Spine 2012.
agenda
25e congrès de la Société Française de
Rhumatologie - 2012
2e Journée de Rhumatologie Interventionnelle Gesto’rhumato
9-12 décembre 2012 - Paris, La Défense
26 janvier 2013 - Paris
• Renseignements et inscriptions
http://sfr.larhumatologie.fr/congres/inscriptions/index.
phtml
25e Réunion Annuelle Multidisciplinaire du
GIEDA
13 et 14 décembre 2012 – Paris
• Renseignements et inscriptions
• Problème du multi-étage dans la colonne cervicale
• Pathologie foraminale
• Les grandes déformités du sujet âgé
• Renseignements et inscriptions
Bérénice Lacan
E-mail : •[email protected]
Rhumatos
Novembre 2012 • vol. 9 • numéro 82
Adresse du site Internet : www.gieda.net/index.htm
Organisée par le Dr Henri Lellouche
Espace Saint Martin
199 bis, rue Saint Martin - 75003 Paris
• Renseignements et inscriptions
Société Française de rhumatologie
Tiphaine Lalande
Tél. : 01 42 50 00 18
Fax : 01 42 50 10 68
Mail : [email protected]
IOF-ECCEO 2013 : European congress on
osteoporosis and osteoarthritis
17 au 20 avril 2013 - Rome
• Renseignements et inscriptions
http://www.ecceo13-iof.org/
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