Il y eut certaines tentatives de recherche du temps

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Il y eut certaines tentatives de recherche du temps
Il y eut certaines tentatives de recherche du temps perdu qui se proposaient, par la
reconstitution précise et sublimée de certains moments privilégiés, de dévoiler une partie de
la vérité. François Trocquet a l’honneur et l’humble culot des artistes partis sur ce chemin
ardu avec, comme l’écrivain, le simple moyen du crayon.
Je voudrais saluer ici d’abord le courage de l’artiste, qui se rend compte un jour qu’il n’a plus
rien à faire de bon là où il s’est installé et, tel un vagabond, s’en va explorer quelque terre
inconnue. Cette simplicité, que d’autres appeleraient dénuement, est la marque de la plus
grande noblesse, celle de l’ouvrier des cathédrales allant de chantier en chantier, celle du
peintre de la Renaissance descendant du Nord vers le rêve de l’Italie, celle de l’artiste pour
qui seule compte la recherche.
François Trocquet est un de ces bourlingueurs immobiles ; la vie portuaire lui permet
d’appareiller tous les jours vers une destination nouvelle, qui bien sûr est toujours la même,
mais sans cesse renouvelée. Ainsi vous présente-t-il aujourd’hui un mur d’images que votre
regard va parcourir, englober, détailler et finalement percer, jusqu’à atteindre cet horizon
merveilleux de la création.
200 dessins présentés bord à bord sur un mur de 8x12 mètres. Les chiffres sont comme des
hiéroglyphes à déchiffrer. Un seul moyen d’expression : le crayon Bic noir glissant sur un
papier crème, rectangulaire, cartonné et recouvert d’une mince pellicule celluloïd. 200
paysages regroupés en panorama, avec les séquences d’un diaporama ou d’un « storyboard » surréaliste, dans un désordre savamment choisi. Un globe oculaire oscille sur ce
damier, parfois en compagnie d’une sphère cousine, orpheline ou jumelle, dont la présence
habite les paysages inanimés. La sphère, forme parfaite, devient ainsi l’œil de l’artiste
glissant dans l’univers créé, souvent impassible et comme empli d’une sagesse détachée,
mais parfois également sarcastique, blagueur, moqueur ou bienveillant. Le paysage tourne
et défile sous des dizaines d’angles différents, délivrant à chaque fois une parcelle de sa
véracité. Mais qu’est-ce donc que ce paysage multiple ?
Jamais le même, puisque le temps à chaque instant l’a modifié. Ce paysage n’existe pas, car
son motif est purement imaginaire. Parfois des photographies ont servi de support à sa
structure. Mais nous sommes ici dans la mouvance lointaine du paysage composé, hérité de
Claude Gellée et Pierre Henri de Valenciennes. Des arbres inventés scandent l’espace,
plantés dans une plaine rase, aussi impersonnelle et irréelle qu’un terrain de golf. Le ciel est
un fond constamment vierge, sans intempéries, on pourrait presque dire sans climat si la
végétation peignée ne suggérait pas une respiration tempérée.
Car oui, rien n’est ici naturel, néanmoins ces paysages inventés sont habités de silences,
uniquement troublés par le mouvement feutré des sphères.Des pierres semblent tombées
comme des météorites dans ces champs lunaires .
Ici, « un trou d’homme », grès percé d’une ouverture creusée manuellement dans un âge
lointain, que l’on qualifiera de préhistorique ; l’œil, inquiet, s’interroge et ne voit pas un autre
globe oculaire se tapir derrière la pierre sculptée afin de ne pas être aperçu. Sommes-nous
donc les premiers explorateurs d’un terrain artistique vierge ? Il semble permis de douter.
Plus loin, un tombeau suprématiste occupe la morne plaine de tout son poids bétonné, fermé
sur lui-même.
Ah, Malevitch ! Malheur à la prétention, car elle n’est que vanité sinistre. Mais déjà nous
nous sommes éloignés dans le labyrinthe de l’œuvre et empruntons une autoroute
surmontée de ponts. Les destinées se croisent et se superposent comme les idées qui
traversent nos cerveaux. Ainsi, après le sculpteur du Néanderthal et Malevitch, voici des
formes rectangulaires qui se dressent sur les bords des routes. Sont-ce des tableaux ou des
panneaux publicitaires ? Mais nous passons trop vite pour comprendre ce qui s’y trame. Tout
juste pourrait-on dire, en manière de commentaire dérisoire : signé Auchan. En fait, notre
culture est une parodie, un concours de name-dropping, plus vide même qu’un rectangle de
ces paysages de zone commerciale, que Trocquet nous montre en creux.
« The end » proclame une inscription en bandeau sur le bord d’une route. Une perspective
de route 66 se perdant dans le désert accompagne cette proclamation, où résonne encore à
mes oreilles le souvenir des Doors. Jim Morrison est en fait Olivier Mosset, c’est pas moi qui
le dit, c’est François Trocquet. Il lui rend ici hommage ; si vous cherchez bien dans les
recoins, vous trouverez aussi des références aux sombres perspectives de Spilliaert, une
vanité dérivée de Philippe de Champaigne, des prolongations de Sima, voire même, pour
choquer les purs avant-gardistes, l’esprit malin et insolite de Magritte.
Les influences et les coïncidences se jouent allègrement du Temps. Il n’y a pas de fin de
l’art, et la mise en perspective multiple de cette fin distanciée à l’anglaise poursuit
indéfiniment l’interrogation. Les artistes ont encore du pain sur la planche. La planche à
dessin fut la planche de salut de François Troquet. Car un jour, il en eut assez de peindre.
Pourquoi s’obstiner dans ce médium, quand l’installation ou la vidéo occupent tout le
paysage ?
Instinctivement, il se replia donc sur le dessin, comme pour revenir aux origines de son
besoin d’extérioriser sa vision artistique. Le crayon explore modestement, sans fin revient
sur le métier, sans coût se disperse aux yeux du public. Le crayon est en fait une extension
naturelle de l’artiste, et les intérieurs architecturaux dessinés pourraient être des paysages
de son cerveau, de ses idées, de sa recherche. Contraste du noir et blanc, valeur, lumière,
composition : hors la couleur, tout est contenu dans le dessin. Les intérieurs de Trocquet
sont ceux d’un paysagiste architectural, digne continuateur de Piranese et Buren.
La somme de toutes ces interprétations prend sa source aux images, au mur du Micro Onde.
Patrick de Bayser
Expert en dessins anciens

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