Texte Intégral - sdrcc / crdsc
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−1− CENTRE DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS SPORTIFS DU CANADA (CRDSC) SPORT DISPUTE RESOLUTION CENTRE OF CANADA (SDRCC) AFFAIRE INTÉRESSANT LE PROGRAMME CANADIEN ANTIDOPAGE ET UNE VIOLATION DES RÈGLEMENTS ANTIDOPAGE PAR JACQUES BOUCHARD, SELON L’ALLÉGATION DU CENTRE CANADIEN POUR L’ÉTHIQUE DANS LE SPORT No : CRDSC DT-07-0066 (Tribunal antidopage) Centre canadien pour l’éthique dans le sport Athlétisme Canada Gouvernement du Canada et Jacques Bouchard athlète et Agence mondiale antidopage observatrice DEVANT : Ross C. Dumoulin arbitre COMPARUTIONS : Pour l’athlète Jacques Bouchard Pour le Centre canadien de l'éthique dans le sport Rima Kayssi (avocate) Anne Brown Pour Athlétisme Canada Melissa Dowling DÉCISION Le 17 octobre 2007 −2− Le 5 septembre 2007, j’ai été nommé arbitre par le Centre de règlement des différends sportifs du Canada (le CRDSC), conformément à l’alinéa 6.9b)(i) du Code canadien de règlement des différends sportifs (mai 2007) pour constituer le tribunal antidopage dans la présente affaire. Il s’agit d’une décision motivée rendue conformément à l’alinéa 6.22b) dudit Code et à l’alinéa 7.60c) du Programme canadien antidopage (juin 2004) (PCAD). Le 10 septembre 2007, une réunion préliminaire des parties a eu lieu par conférence téléphonique, conformément à l’article 7.7 du Code et de l’article 7.66 du PCAD. Le 10 octobre 2007, une séance d’arbitrage a eu lieu en personne au sujet du différend concernant l’affaire de dopage en question, à Ottawa, conformément à l’alinéa 7.9b) du Code. Le 12 octobre 2007, conformément à l’alinéa 6.22b) du Code, ce tribunal a rendu la décision suivante : La sanction de six mois de suspension, proposée par le Centre canadien pour l’éthique dans le sport pour la violation des règlements antidopage commise par le demandeur, est maintenue par la présente. Le 15 octobre 2007, ce Tribunal a confirmé que la suspension de six mois indiquée ci-dessus débuterait le 12 octobre 2007, soit la date de sa décision. −3− LES FAITS À la séance d’arbitrage, les faits suivants, largement non contestés, ont été établis au moyen de l’affidavit de Mme Anne Brown, directrice générale, Services d’éthique et d’antidopage, du Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES). M. Jacques Bouchard, le demandeur, est un sportif qui relève d’Athlétisme Canada et, en tant que tel, il participe au sport régi par Athlétisme Canada. Le PCAD a été publié pour être adopté par les organismes canadiens de sport le 15 avril 2004, afin d’entrer en vigueur le 1er juin 2004. Athlétisme Canada a adopté le PCAD le 28 mai 2004. Le 27 mai 2007, le CCES a effectué un contrôle du dopage en compétition au Championnat canadien de marathon qui a eu lieu à Ottawa, en Ontario. M. Bouchard s’est soumis à un contrôle du dopage à ce moment-là. Le 12 juin 2007, le CCES a reçu le certificat d’analyse de l’échantillon de M. Bouchard, délivré par le laboratoire de Montréal accrédité par l’AMA. Le certificat fait état d’un résultat d’analyse anormal attribuable à la présence d’éphédrine à raison de 14 ug/ml. L’éphédrine, considérée comme un stimulant, fait partie des substances interdites qui figurent sur la Liste des interdictions de l’AMA 2007, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, lorsque sa concentration dépasse 10 ug/ml. L’éphédrine figure également parmi les « substances spécifiques » énumérées dans la Liste des interdictions de l’AMA 2007. La liste précise par ailleurs, dans un langage identique au libellé de l’article 7.7 du PACD, que : La Liste des interdictions peut identifier des substances spécifiques, qui, soit sont particulièrement susceptibles d’entraîner une violation non intentionnelle des règlements antidopage compte tenu de leur présence fréquente dans des médicaments, soit sont moins susceptibles d’être utilisées avec succès comme agents dopants. −4− La liste précise ensuite qu’une violation des règlements antidopage portant sur ces substances peut donner lieu à une sanction réduite si le « sportif peut établir qu’il n’a pas utilisé une telle substance dans l’intention d’améliorer sa performance sportive… », ce qui, encore une fois, est identique au libellé de l’article 7.7 du PCAD. M. Kevin Bean est le gestionnaire des résultats du Programme antidopage au CCES. Il a la responsabilité de planifier et de gérer les procédures concernant les résultats d’analyse anormaux, la gestion des résultats, les audiences et les appels. M. Bean travaille sous la supervision de Mme Brown. Sur réception du résultat d’analyse anormal de M. Bouchard, M. Bean a entamé une « instruction initiale » conformément à l’article 7.45 du PCAD. Dans le cadre de ce processus, le CCES a donné à l’athlète la possibilité de soumettre des explications par écrit à propos du résultat d’analyse anormal le concernant. Au cours de cette instruction initiale, M. Bean et M. Bouchard ont échangé une correspondance, mais ce dernier n’a pas pu nommer de produit qu’il avait consommé et qui pourrait expliquer le résultat d’analyse anormal. Le 20 août 2007, le CCES a fait parvenir une notification à M. Bouchard par l’entremise d’Athlétisme Canada, conformément au paragraphe 7.46 du PCAD, indiquant notamment ceci : [TRADUCTION] ... le CCES allègue que Jacques Bouchard a commis une violation des règlements antidopage en vertu des articles 7.16 à 7.20 des Violations spécifiques des règlements antidopage et sanctions au niveau des personnes (présence dans l’échantillon). Conformément à l’article 7.7 des Règlements, le CCES a cherché à établir si M. Bouchard avait utilisé de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer sa performance. Après avoir soigneusement examiné les renseignements fournis par M. Bouchard au cours de l’instruction initiale, le CCES a conclu que l’athlète n’avait pas utilisé de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer sa performance. Toutefois, lors de l’instruction initiale, M. Bouchard n’a pas réussi à établir la source de l’éphédrine détectée dans son échantillon, bien qu’il ait cité de −5− nombreux suppléments qui pourraient en expliquer la présence. En conséquence, le CCES propose une sanction de six mois de suspension pour cette violation (conformément à l’article 7.7 des Règlements). Cette notification ne signifie pas qu’il a été déterminé de manière définitive que M. Bouchard a commis une violation aux règlements antidopage. Une violation des règlements antidopage ne peut être déterminée sans une audition du tribunal antidopage, à moins que l’athlète ne reconnaisse la violation des règlements antidopage et n’accepte la ou les sanctions proposées par le CCES, et ne renonce à son droit à une audition… À présent l’athlète a trois options : 1. procéder à une audition; 2. renoncer à son droit à une audition ou; 3. fournir d’autres renseignements au CCES. Ces trois options sont décrites en détail ci-dessous. Quelle que soit l’option choisie, nous recommandons à M. Bouchard de retenir les services d’un conseiller juridique durant ce processus… La notification ci-dessus était signée par Mme Anne Brown du CCES. Le 26 août 2007, en réponse à la notification du CCES, M. Bouchard a communiqué les renseignements supplémentaires suivants à M. Bean, dans un courriel où il écrit ceci notamment : [TRADUCTION] Dans le document reçu du CCES, il est précisé que vous admettez que je n’ai pas pris de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer ma performance et vous avez raison de tirer cette conclusion. Dans la lettre, vous signalez également que dans la liste des produits que je vous ai fait parvenir, vous ne pouvez identifier la source possible de l’éphédrine. Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Je suis certain à 100 p. 100 que l’éphédrine provient de la liste que je vous ai remise… J’ai fait partie de l’équipe nationale pendant de nombreuses années et j’ai représenté le Canada à de nombreux Jeux paralympiques, de nombreux championnats du monde et j’ai −6− été testé de nombreuses fois sans jamais obtenir de résultat positif. J’ai été un bon ambassadeur et un fier représentant du Canada dans le monde et j’ai toujours eu une réputation de gentleman et d’athlète respectueux de l’esprit sportif. Je donne des conférences dans des écoles pour encourager les étudiants à faire du sport et promouvoir l’esprit sportif. L’an dernier, j’ai quitté l’équipe nationale et cessé de faire de la compétition. J’ai utilisé les produits qui me restaient depuis de nombreuses années, que je n’avais pas pris lorsque je faisais de la compétition, car je craignais que ce genre de chose ne se produise. Comme je ne faisais plus de course à un niveau de compétition, que je ne faisais plus partie de l’équipe nationale et que je ne recevais plus de brevet de Sport Canada, et que je n’avais pas l’intention de retourner dans l’équipe nationale ni de demander un brevet, j’ai décidé d’utiliser ces produits que j’avais encore, pour ne pas gaspiller l’argent que j’avais investi dans ces produits. Selon moi, le fait de prendre ces produits ne pouvait pas avoir de conséquences sur ma situation actuelle, étant donné que je ne me présentais que comme participant. Compte tenu de mes antécédents impeccables jusqu’à cet incident et du fait que je ne faisais pas de course à un niveau de compétition, national ou international, et qu’il s’agit, comme il est mentionné dans votre procédure, d’une première infraction, vous pourriez remplacer la suspension prévue par un avertissement seulement, sans donner de nom dans votre communiqué de presse, si vous en prévoyez un. Mon principal souci est de protéger la bonne réputation que j’ai eue durant ces 14 années dans l’équipe nationale et qui pourrait être gâchée en une année alors que je ne fais plus de compétition, à la suite d’un test effectué lors d’une compétition qui n’était pas pour moi une course officielle. J’ai participé à cette course parce que je vis à Ottawa, sans aucune intention, d’autant plus que je suis un sprinter, plutôt qu’un marathonien. Par la présente lettre je vous demande de réexaminer la position actuelle du CCES et de la remplacer par un avertissement, étant donné que je ne fais plus de compétition, que le test n’a pas eu lieu lors d’une course officielle pour moi et que je n’avais nullement l’intention d’en −7− prendre dans l’idée d’améliorer ma performance. . . . Un ancien athlète qui veut simplement à protéger ses excellents antécédents. Une réponse négative aura d’énormes conséquences pour moi, étant donné que je m’adresse à des étudiants dans des écoles pour les encourager à faire du sport et à respecter l’esprit sportif. À la demande du CCES, le 31 août 2007 M. Bouchard a fait parvenir au CCES un courriel dans lequel il affirme qu’il a réexaminé les étiquettes des produits qu’il avait pris et que « le nom éphédra figure sur l’une d’elles », pour signaler que le produit contenait de l’éphédrine. Ensuite, avant la séance d’arbitrage du 10 octobre 2007 et également durant la séance, M. Bouchard a produit une copie d’une photographie prise par un ami, montrant l’étiquette d’un flacon contenant des capsules, qui indique notamment « standardized for 20 mg ephedra alkaloids ». Il a témoigné durant l’audience qu’il avait obtenu ce produit aux États-Unis il y a de nombreuses années et qu’il l’avait conservé chez lui. Lorsqu’on lui a demandé de nommer les produits qu’il avait pris au moment du marathon en question, M. Bouchard a affirmé qu’il avait consommé deux capsules du produit qui apparaît sur la photographie le matin de la compétition, ainsi que des mélanges de protéines « Myoplex ». Selon son témoignage, il avait pris le produit qui contenait de l’éphédra environ deux fois par semaine avant la compétition et également auparavant, durant son entraînement. Il a affirmé que cela l’aidait dans son entraînement. M. Bouchard a témoigné en français à l’audience d’arbitrage. Une bonne partie de sa preuve est exprimée dans le courriel ci-dessus qu’il a adressé au CCES le 26 août 2007 [en anglais et traduit pour les besoins de la version française de la présente décision]. Par souci d’exactitude, j’estime que certains éléments de son témoignage doivent être reproduits dans la langue de ce témoignage. [Les deux paragraphes suivants sont cités en français dans la version anglaise et reproduits tels −8− quels ici]. M. Bouchard témoigna qu’il n’est plus un athlète actif. Il est retiré depuis novembre 2006. Il a participé au marathon d’Ottawa vu que c’était “une compétition locale”. Il l’a fait “du côté participation seulement”. Ce n’était pas une compétition pour lui. Il croit qu’il fut testé parce que c’était le championnat canadien de marathon et parce qu’il a terminé au troisième rang. masculins dans la compétition. Il y avait seulement deux athlètes élites M. Bouchard a consommé les produits parce qu’il croyait qu’il n’y aurait pas de conséquences car, à son avis, ce n’était pas une compétition pour lui, mais seulement une participation. M. Bouchard déclara qu’à l’avenir, si ça permet un meilleur entraînement et une meilleure course, c’est possible qu’il prenne les mêmes produits “jusqu’à temps que j’en n’ai plus.” Mais, il n’a pas l’intention de consommer l’éphédrine au point où la concentration serait supérieure à 10ug/mL. POSITION DES PARTIES Le CCES : Me Kayssi a fait valoir, au nom du CCES, que l’affidavit de Mme Anne Brown a permis d’établir que M. Bouchard avait commis une violation des règlements antidopage en vertu des articles 7.16 à 7.20 des Règlements du PCAD. L’article 7.16, plus précisément, prévoit que la présence d’une substance interdite dans l’échantillon corporel de l’athlète est considérée comme une violation des règlements antidopage. Le fait que le demandeur a commis cette violation n’est pas contesté. L’article 7.20 énonce les sanctions à imposer, «à l’exception des substances mentionnées au règlement 7.7 ». L’article 7.7 prévoit au minimum un avertissement et une réprimande et au maximum une année de suspension, lorsqu’une première violation porte sur une −9− « substance spécifique » et qu’un athlète peut établir qu’il n’a pas utilisé une telle substance dans l’intention d’améliorer sa performance sportive. L’éphédrine est l’une desdites « substances spécifiques » d’après la Liste des interdictions de l’AMA 2007. Le CCES estime que M. Bouchard n’a pas utilisé de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer sa performance et, en conséquence, l’article 7.7 des Règlements du PCAD s’applique. La seule question à trancher en l’espèce est de savoir si la sanction de six mois de suspension proposée par le CCES est appropriée. Me Kayssi a indiqué que le CCES avait examiné tous les facteurs pertinents avant de proposer cette sanction. Premièrement, selon l’article 7.17 des Règlements du PCAD, il incombe à tous les athlètes de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans leur organisme. La norme que le tribunal est tenu d’appliquer est celle de la responsabilité absolue. Tous les athlètes sont réputés connaître les règlements antidopage qui s’appliquent à eux. Deuxièmement, M. Bouchard n’a pas pu établir de manière définitive la source de l’éphédrine détectée dans son échantillon d’urine. Il a en outre admis qu’il était parfaitement au courant du risque auquel il s’exposait en utilisant les produits qu’il a pris. Dans son courriel du 26 août 2007 adressé au CCES, il a indiqué qu’il a pris les produits qui lui restaient depuis de nombreuses années et dont il précise « que je n’avais pas pris lorsque je faisais de la compétition car je craignais qu’une telle chose ne se produise ». Le texte de son courriel indique clairement que le demandeur savait que les produits qu’il a pris présentaient un risque. Troisièmement, le fait qu’il ne faisait plus partie de l’équipe nationale au moment où il a subi le contrôle n’est pas pertinent. Il a participé au Championnat national à un niveau élite de compétition, contre d’autres athlètes élites. Tous les athlètes, peu importe leur statut dans l’équipe nationale, ont le devoir de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans leur organisme. M. Bouchard savait, ou aurait dû savoir, que cette responsabilité n’avait pas pris fin au moment où il a quitté l’équipe nationale. Le CCES a fait valoir que le demandeur n’avait pas fait preuve de vigilance ou de précaution en utilisant des suppléments. Le 31 août 2007, il a dit au CCES que −10− l’ingrédient éphédra était en fait indiqué sur l’étiquette de l’un des produits qu’il avait pris. Il n’a pas vérifié avec soin le supplément avant de s’en servir et ainsi il a fait preuve d’une extrême négligence, étant donné que, de son propre aveu, il connaissait le risque qu’il présentait. Le CCES a soutenu qu’une période de suspension de six mois est une sanction juste et raisonnable. Il a invoqué en appui les cas jurisprudentiels suivants : CCES, Triathlon Canada et Sherri Boyle (2006), No CRDSC DT 06-0040 (Mew); Federación Rugby de Chile and Sebastián Berti (2006), décision du Board Judicial Committee (Mew). En l’espèce, la sanction proposée par le CCES se situe au milieu de la fourchette prévue à l’article 7.7 des Règlements du PCAD. Un simple avertissement ou réprimande ne serait pas suffisant. Me Kayssi a également fait valoir au nom du CCES que la sanction proposée ne peut être annulée que dans des circonstances exceptionnelles prévues à l’article 7.38 des Règlements du PCAD. L’article 7.7 prévoit que l’athlète a la possibilité d’argumenter afin d’obtenir l’annulation, mais non pas la réduction, de la sanction imposée, pour des circonstances exceptionnelles en vertu de l’article 7.38. Étant donné qu’il s’agit d’une première violation de la part de M. Bouchard, l’article 7.7 prévoit que l’existence de circonstances exceptionnelles ne peut avoir pour effet que d’annuler la sanction proposée. L’article 7.38 des Règlements prévoit notamment que si l’athlète parvient à établir que la violation n’est due à aucune faute ou négligence de sa part, la période de suspension applicable sera annulée. Il y est précisé également que l’athlète devra démontrer comment la substance interdite s’est retrouvée dans son organisme pour que la période de suspension soit levée. « Absence de faute ou de négligence » est définie ainsi dans le PCAD : la démonstration par l’athlète qu’il « ignorait, ne se doutait pas, ou n’aurait pas pu raisonnablement savoir ou présumer, même avec la plus grande vigilance » qu’il ou elle avait fait usage d’une substance interdite. M. Bouchard n’a pas fait cette démonstration. Il connaissait parfaitement le risque auquel il s’exposait en prenant les produits en question. Il n’a fait aucun effort pour les tester. Il a fait preuve −11− d’une extrême négligence car, de son propre aveu, il a pris un supplément dont l’étiquette indiquait qu’il contenait la substance éphédra. En conséquence, il aurait dû savoir ou se douter qu’il utilisait une substance interdite. Il n’est pas possible de conclure qu’il n’y a pas eu faute ni négligence de sa part. Qui plus est, il n’est pas parvenu à établir comment l’éphédrine avait pénétré dans son organisme. L’article 7.38 des Règlements ne peut donc être appliqué en l’espèce pour annuler la sanction. Le CCES a demandé au tribunal de déclarer que M. Bouchard avait commis une violation des règlements antidopage en vertu des articles 7.16 à 7.20 des Règlements du PCAD et d’ordonner que lui soit imposée une suspension de six mois conformément à l’article 7.7. Le demandeur : M. Bouchard a fait valoir que les deux cas cités par le CCES concernaient des athlètes actifs qui participaient à des compétitions officielles, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence. De plus, dans l’un de ces cas, la concentration d’éphédrine était de 30 ug/ml, alors que les analyses de M. Bouchard n’ont révélé qu’une concentration de 14 ug/ml. Dans la décision Berti, ci-dessus, l’athlète s’est vu imposer une suspension de six semaines seulement. M. Bouchard a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait que d’une première infraction de sa part et qu’il était un athlète à la retraite. Il a coopéré avec le CCES dans cette affaire. Les conséquences pour le CCES ne seraient pas très importantes si cette sanction était réduite à un avertissement, étant donné que la suspension de six mois débutant en mai 2007, au moment où le test positif a eu lieu, prendrait fin en novembre, soit dans à peine un mois. −12− En revanche, les conséquences d’une suspension de M. Bouchard sur sa réputation professionnelle seraient importantes. Il a toujours eu la réputation d’être un athlète qui respectait l’esprit d’équipe. Le demandeur n’a jamais subi de test positif en 14 années de compétition. Si une suspension devait lui être imposée, son nom serait publié dans un communiqué de presse. Si cela se produisait, les élèves dans les écoles où il donne des conférences pour les encourager à faire du sport et promouvoir l’esprit sportif penseraient que tous les athlètes se dopent et ils croiraient qu’il s’est dopé pendant les 14 années durant lesquelles il a fait de la compétition. Il ne pourrait plus donner de conférence dans les écoles. Cette situation aurait un effet négatif sur le message que le CCES essaie de promouvoir. Si l’on ne donnait qu’un avertissement à M. Bouchard, le CCES pourrait exercer sa discrétion pour décider s’il y a lieu ou non de publier son nom. M. Bouchard a reconnu que dans la présente affaire, il a fait une erreur de jugement. Néanmoins, il estime qu’il n’a pas utilisé de substance interdite, mais plutôt excédé la concentration permise d’éphédrine de 10 ug/ml étant donné que la concentration dans son échantillon était de 14 ug/ml. S’il n’avait pris qu’une capsule au lieu de deux, il n’aurait pas excédé la limite permise. M. Bouchard a demandé que sa suspension soit réduite à une réprimande et que son nom ne soit pas publié. −13− DÉCISION La preuve non contestée a permis d’établir que le 27 mai 2007, M. Jacques Bouchard, le demandeur, a subi un test qui a révélé la présence d’une substance interdite, au cours d’un contrôle du dopage en compétition effectué lors du Championnat canadien de marathon à Ottawa, en Ontario. Le certificat d’analyse fait état d’un résultat d’analyse anormal attribuable à la présence d’une concentration d’éphédrine de 14 ug/ml. L’éphédrine est considérée comme un stimulant et figure sur la Liste des substances interdites de l’AMA 2007, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2007. La Liste des interdictions précise que l’éphédrine « est interdite quand sa concentration dans l’urine dépasse 10 microgrammes par millilitre ». L’éphédrine figure également parmi les « substances spécifiques » de la Liste des interdictions de l’AMA 2007. M. Bouchard a, en conséquence, commis la violation des règlements antidopage prévue à l’article 7.16 des Violations spécifiques des règlements antidopage et sanctions au niveau des personnes, du PCAD, qui stipule notamment que « la présence d’une substance interdite… dans l’échantillon corporel de l’athlète est considérée comme une violation des règlements antidopage ». L’article 7.20 du PCAD précise que « à l’exception des substances mentionnées au règlement 7.7, la période de suspension imposée pour une violation des dispositions sous cette rubrique sera la suivante : Première violation : deux (2) années de « suspension ». L’article 7.7 du PCAD est ainsi libellé notamment : La Liste des interdictions identifie des substances spécifiques, qui, soit sont particulièrement susceptibles d’entraîner une violation non intentionnelle des règlements antidopage compte tenu de leur présence fréquente dans des médicaments, soit sont moins susceptibles d’être utilisées avec succès comme agents dopants. Lorsqu’un athlète peut établir qu’il n’a pas utilisé une telle substance dans l’intention d’améliorer sa performance sportive, la période −14− de suspension se trouvant au Règlement 7.20, sera remplacée par ce qui suit : Première infraction : Au minimum un avertissement et une réprimande sans période de suspension pour des manifestations futures; et au maximum une (1) année de suspension. À l’issue de son instruction initiale, le CCES a indiqué, dans sa notification du 20 août 2007 adressée à l’athlète que, après avoir soigneusement examiné les renseignements fournis par M. Bouchard durant l’instruction initiale, [TRADUCTION] « le CCES estime que l’athlète n’a pas utilisé de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer sa performance ». Le CCES a maintenu cette position lors de ses conclusions finales, après la présentation de la preuve, à l’audience d’arbitrage qui a eu lieu le 10 octobre 2007. M. Bouchard a également maintenu cette position dans sa correspondance avec le CCES. Étant donné que le fait que le demandeur a établi qu’il n’avait pas utilisé de l’éphédrine dans l’intention d’améliorer sa performance sportive n’est pas contesté et que l’éphédrine est une « substance spécifique » qui figure sur la Liste des interdictions de l’AMA 2007, l’article 7.7 des Règlements du PCAD s’applique en l’espèce. En conséquence, une première infraction, comme c’est le cas en l’occurrence, doit être sanctionnée au minimum par un avertissement et une réprimande, et au maximum par une année de suspension d’un an. De sorte que lorsque le CCES a proposé dans sa notification du 20 août 2007 une sanction de six mois de suspension, il se situait à l’intérieur de la fourchette de sanctions prévue à l’article 7.7 des Règlements du PCAD. Le dernier paragraphe de l’article 7.7 des Règlements du PCAD est ainsi libellé : Cependant, avant qu’une période de suspension ne lui soit imposée, un athlète ou toute autre personne aura, dans tous les cas, la possibilité d’argumenter aux fins d’obtenir l’annulation ou l’allègement de la sanction (dans le cas d’une seconde ou troisième infraction) pour des circonstances exceptionnelles conformément aux Règlements 7.38 et 7.39. Le libellé ci-dessus indique que l’allégement d’une sanction prévue à −15− l’article 7.7 des Règlements en vertu de l’article 7.39 ne peut être accordée à l’athlète que dans le cas d’une seconde ou troisième infraction, qui sont sanctionnées par deux années de suspension et une suspension à vie, respectivement. Lorsqu’il s’agit d’une première infraction, ce qui est le cas en l’espèce, l’athlète ne peut qu’obtenir l’annulation d’une sanction prévue à l’article 7.7 en vertu de l’article 7.38. Cette interprétation est étayée par le commentaire du paragraphe 10.3 du Code mondial antidopage. Le paragraphe 10.3 du Code prévoit les mêmes sanctions pour les première, seconde et troisième infractions que celles prévues à l’article 7.7 des Règlements du PCAD et le paragraphe contient substantiellement le même langage que celui du dernier paragraphe de l’article 7.7. Le commentaire de l’article 10.3 du Code mondial antidopage précise qu’un allégement de la sanction ne s’applique qu’à la seconde ou troisième infraction « étant donné que la sanction pour une première infraction autorise une discrétion suffisante pour prendre en compte le degré de la faute commise ». Ce raisonnement peut être appliqué à l’article 7.7 des Règlements du PCAD. La sanction prévue dans ce règlement pour une première infraction confère la même discrétion pour prendre en compte le degré de la faute commise par l’athlète. Étant donné que l’article 7.39 des Règlements du PCAD ne peut être invoqué par l’athlète en l’espèce, il convient d’examiner l’article 7.38 des Règlements pour déterminer s’il permet d’annuler la sanction de six mois de suspension. L’article 7.38 des Règlements est ainsi libellé notamment : Lorsque l’athlète établit, dans un cas particulier de violation des règlements antidopage en vertu des Règlements 7.16-7.20 … que la violation n’est due à aucune faute ou négligence de sa part, la période de suspension applicable sera annulée. Lorsqu’une substance interdite… est décelée dans les échantillons d’un athlète en contravention des Règlements 7.16-7.20 (présence d’une substance interdite), l’athlète devra également démontrer comment la substance interdite s’est retrouvée dans son organisme pour que la période de suspension soit levée ... M. Bouchard a fourni la preuve que parmi les produits qu’il a consommés −16− avant et pendant le marathon en question, il y avait des capsules provenant d’un flacon dont l’étiquette indiquait « éphédra » dans la liste des ingrédients. La preuve n’a pas révélé d’autre produit consommé par l’athlète, qui aurait pu être la cause de la présence d’éphédrine dans son échantillon. Qui plus est, à part le produit ci-dessus, M. Bouchard n’a pas pu nommer d’autre produit qu’il avait consommé, qui aurait pu expliquer le résultat d’analyse anormal. Je conclus en conséquence que le demandeur a réussi à établir comment la substance interdite a pénétré dans son organisme. Le prochain obstacle que M. Bouchard doit surmonter pour que l’article 7.38 des Règlements puisse s’appliquer, consiste à établir que la violation des règlements antidopage n’est due à aucune faute ou négligence de sa part. L’expression « absence de faute ou de négligence » est ainsi définie dans le glossaire du PCAD : Est la démonstration par l’athlète qu’il ignorait, ne se doutait pas, ou n’aurait pas pu raisonnablement savoir ou présumer, même avec la plus grande vigilance, qu’il avait fait usage ou s’était vu administrer une substance interdite ou une méthode interdite. Le tribunal est d’avis que M. Bouchard aurait dû raisonnablement savoir ou présumer, s’il avait fait preuve de la plus grande vigilance, qu’il utilisait une substance interdite. D’après le texte de son courriel du 26 août 2007 adressé au CCES, il semble que le demandeur savait très bien qu’en utilisant un ou plusieurs des produits qu’il a pris pour le Championnat canadien de marathon de mai 2007 à Ottawa, y compris celui qui contenait de l’éphédrine, il courrait le risque d’obtenir un résultat d’analyse anormal. Il a dit dans le courriel mentionné ci-dessus qu’il avait pris les produits qui lui restaient depuis de nombreuses années et dont il précise « que je n’avais pas pris lorsque je faisais de la compétition car je craignais qu’une telle chose ne se produise ». Il a dit ensuite dans son courriel que le fait de prendre les produits « ne pouvait pas avoir de conséquences sur ma situation actuelle, étant donné que je ne me présentais que comme participant». Dans son témoignage, M. Bouchard a déclaré qu’il a consommé les produits car il pensait qu’ils n’auraient pas de « conséquence » étant donné qu’il ne faisait pas de compétition, mais ne faisait que participer. Ce témoignage laisse penser −17− que le demandeur savait qu’en prenant le produit qui contenait l’éphédrine, il pourrait obtenir un test positif du fait de la présence d’une substance interdite. Qui plus est, il lui aurait suffi de lire l’étiquette sur le produit en question avant de l’utiliser pour savoir qu’il contenait de « l’éphédra », et il aurait été prévenu qu’il risquait d’obtenir un test positif. Il s’ensuit qu’il aurait pu raisonnablement présumer, même en faisant preuve d’une vigilance tout simplement ordinaire (en lisant l’étiquette), et à plus forte raison en faisant preuve de la plus grande vigilance, qu’il utilisait une substance interdite. Cela est d’autant plus vrai qu’il était apparemment au courant du risque, puisqu’il avait évité de tels produits par le passé, lorsqu’il faisait de la compétition au niveau élite. En conséquence, M. Bouchard ne peut invoquer l’article 7.38 des Règlements du PCAD pour faire annuler la sanction. Le PCAD ne contient aucune autre disposition qui me permettrait d’alléger la sanction proposée par le CCES. L’athlète a invoqué d’autres facteurs qui ne correspondent pas aux critères des circonstances exceptionnelles prévues au PCAD et, de toute manière, ne permettent pas de le disculper ni même de réduire la gravité de la violation des règlements antidopage. De fait, certains des arguments avancés par M. Bouchard semblent indiquer qu’il ne comprend pas tout à fait la gravité que constitue le fait de consommer des substances potentiellement interdites avant une compétition. Il déclare dans son courriel du 26 août 2007 adressé au CCES que puisqu’il ne courrait pas « à un niveau de compétition » et qu’il ne faisait plus partie de l’équipe nationale, il avait décidé d’utiliser certains produits, y compris celui qui contenait de l’éphédrine, pour le Championnat canadien de marathon à Ottawa. Il a ajouté qu’il ne s’était présenté « que comme participant » et qu’il ne s’agissait pas d’une « course officielle » pour lui. Au cours de son témoignage à l’audience d’arbitrage, il a affirmé qu’il n’était plus un athlète actif, qu’il avait pris sa retraite en novembre 2006 et qu’il n’y avait que deux athlètes élites masculins au Championnat. Le demandeur semble penser que puisqu’il ne fait plus partie de l’équipe nationale et qu’il ne peut plus, à son avis, courir contre des athlètes canadiens de haut −18− niveau, que la compétition à laquelle il avait pris part en mai 2007 n’était pas pour lui, en quelque sorte, une compétition où il était tenu de respecter les règlements antidopage du PCAD. Il s’agit d’une croyance tout à fait erronée. M. Bouchard est un athlète qui relève d’Athlétisme Canada et Athlétisme Canada a adopté le PCAD. Le demandeur est donc tenu de respecter les règlements énoncés au PCAD. Il lui incombe donc personnellement, comme le précise l’article 7.17 des Règlements du PCAD, de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. Cet article précise également que les athlètes sont responsables de toute substance interdite dont la présence est décelée dans leurs échantillons corporels. Ce devoir et cette responsabilité s’appliquent au demandeur. Par ailleurs, la Politique canadienne sur le dopage sportif (2004) précise, dans son préambule, que : ... Le dopage est contraire à l'esprit du sport.... Tous doivent s'investir pour l'intérêt du sport et la protection de l'intégrité des personnes, notamment des jeunes… Il est tout aussi important de promouvoir les valeurs positives rattachées à la pratique du sport et aux réalisations sportives par des moyens justes et loyaux auprès de quiconque participe au sport... (n’est pas mis en relief dans l’original) Ladite politique précise également qu’elle a notamment pour objectif de promouvoir la pratique du sport sans dopage au Canada et pour les Canadiens et Canadiennes, et que les athlètes sont tenus de respecter les exigences de la Politique et du PCAD. Enfin, la Politique précise qu’elle s’applique à « toute personne qui participe d’une quelconque façon à une activité organisée, tenue, convoquée ou sanctionnée par un tel organisme [les organismes de sport], peu importe son lieu de résidence ou sa localisation ». (N’est pas mis en relief dans l’original) Il ressort donc clairement de la Politique canadienne sur le dopage sportif (2004) que peu importe qu’une personne participe simplement pour son plaisir ou fasse −19− de la compétition sérieusement (également pour le plaisir), elle est néanmoins tenue de respecter la Politique et le PCAD. Qui plus est, lors du marathon en question, M. Bouchard courait contre d’autres athlètes et, peu importe s’il s’agissait d’athlètes « élite » ou non, et peu importe s’il se considérait ou non dans cette catégorie, s’il s’est dopé en prenant une substance interdite, il avait un avantage injuste sur les autres coureurs. C’est cette injustice que les règlements antidopage veulent empêcher et ce n’est pas une excuse de dire simplement qu’il ne faisait que « participer » et qu’il ne faisait pas vraiment de compétition. Cela vaut pour n’importe quel niveau de compétition. M. Bouchard a soutenu qu’une suspension et la publication de son nom auraient un effet négatif sur le message que le CCES essaie de promouvoir et sur les étudiants auxquels il s’adresse dans les écoles pour promouvoir l’esprit sportif. À mon avis, son message aux étudiants serait maintenant d’autant plus fort parce qu’il pourrait leur dire qu’il sait d’expérience les conséquences auxquelles même les athlètes qui ne sont pas de niveau national s’exposent en se dopant. Après tout, la grande majorité des étudiants auxquels il s’adresse ne sont probablement pas au niveau national. Qui plus est, les jeunes d’âge scolaire susceptibles de devenir des athlètes devraient être informés de ces conséquences et de l’injustice inhérente au dopage, afin qu’ils aient la possibilité de réfléchir à la question et de faire le bon choix. M. Bouchard a eu une carrière d’athlète de niveau national qui a duré 14 ans et durant laquelle il n’a jamais échoué à un test de contrôle du dopage. Il mérite d’être félicité pour ses longs antécédents sans dopage. S’il peut sembler ironique qu’il ait échoué à un test de contrôle du dopage après avoir cessé de faire de la compétition à ce niveau, le message selon lequel il faut toujours s’abstenir de se doper, peu importe le niveau de compétition, serait d’autant plus frappant. Voilà également pourquoi, à l’avenir, le demandeur devrait éviter d’utiliser les produits dangereux qui lui restent, s’il a l’intention de prendre part à des compétitions, comme tous les autres participants d’ailleurs. −20− Pour tous les motifs ci-dessus, il est ordonné par la présente que la sanction de six mois de suspension proposée par le CCES soit imposée à M. Bouchard. Étant donné qu’il n’avait pas fait l’objet d’une suspension provisoire, la sanction est par la présente réputée prendre effet à compter du 12 octobre 2007, soit la date à laquelle ce tribunal a communiqué sa décision sans motif au CRDSC afin qu’il la transmette aux parties. Fait à Ottawa, le 17 octobre 2007. Ross C. Dumoulin Arbitre