Eletro-CIEN n°95 - CIEN - Le Centre Interdisciplinaire sur l`ENfant

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Eletro-CIEN n°95 - CIEN - Le Centre Interdisciplinaire sur l`ENfant
ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
SOMMAIRE
p.2 BULLETIN
ÉLECTRONIQUE
DES LABORATOIRES
• Á Bordeaux : journée du 26/01/13 , « L’enfant… ? trop pas!»
M. Rivoire, D. Laufer, M. Bourineau
• Á Metz: Conversation avec David Verlet (10/12/12), JF Toneatti
p.5 Au fil des labs ÉDITO
L
e 23 mars, jour J de la journée de l’Institut de l’Enfant approche et ce sera un événement
important pour les instances qui y travaillent, en particulier pour le Cien. Il est grand temps
de songer à s’y inscrire ( «Messages»)! Pour s’y préparer, où simplement suivre ses News, on peut
consulter Le Zappeur sur le blog. Pourquoi ne pas lire quelques uns des ouvrages, articles ou revues
recommandées dans la bibliographie collectée par l’équipe de préparation?
Le lendemain, dimanche 24 mars, se tiendra un événement fondamental pour l’association en tant que telle, son assemblée générale, à laquelle chacun des membres est invité ( «Vie de
l’association»). La réunion sera hébergée au local de l’ECF, 1 rue Huysmans, Paris 75006.
Un troisième événement est annoncé pour les 6 et 7 juillet à Bruxelles : les journées de
PIPOL 6, «Après l’Œdipe» («Messages»). C’est le deuxième Congrès Européen de Psychanalyse et il
traitera de «la diversité de la pratique psychanalytique en Europe». Un appel à contributions est diffusé pour les «simultanées cliniques» (p. 10). À cette
occasion, Agnès Giraudel a écrit à Gil Carroz, directeur des journées, pour lui demander comment
seront accueillies les contributions du Cien, en tant que «vignettes pratiques» et non «vignettes
cliniques». La réponse de Gil Carroz précise de façon très claire que l’intérêt de la commission de
sélection portera sur « le travail de praticiens orientés par la psychanalyse en tant qu’ils sont analysants». Il ajoute : « aux côtés des travaux d’un grand nombre de cliniciens qui travaillent dans des
institutions de soins, nous accueillerons aussi certaines contributions de professionnels qui travaillent dans les laboratoires du Cien qui peuvent témoigner, comme vous le dites très bien, de la
façon dont leur expérience analytique les conduit à appuyer leur action sur la prise en compte du
réel en jeu pour chaque sujet dans les institutions dans lesquelles ils interviennent». Bonne lecture de ce numéro et n’hésitez pas à prendre de la graine sur les vignettes que
vous lirez, pour participer à l’élaboration du prochain numéro avec vos écrits !
~ Michèle Rivoire ~
Événements
p. 7 • De Metz, «Accueillir le savoir de Lucas», O. Barthélemy
*De Saint-Nazaire, « Un atelier de remobilisation», M. Beaupère et D. Jacquart
• De Lyon : édition de la brochure du laboratoire « Inter- laboratoires », « Prologue » de J. Dhéret
Stages de formation
inter-disciplinaire
• Héricourt / Franquevile, « Retour du stage d’Héricourt», P.h Lemercier
p. Recherche
p.8 Actualités
p. • Marie Despléchin, La classe, J. Goutagny
• Philippe Lacadée, Vie éprise de parole, P. Mercier Bareck, P. Cottron-Daubigné
Passerelles
p.10 p.10 Vie de l’association
• Assemblée générale de l’association
• Adhésion
Messages
* Deuxième Journée de l’Institut de l’Enfant: «L’enfant et le savoir»
*Eurofédératiion de Psychanalyse : Journées PIPOL 6, « Après l’Œdipe». Appel à contributions pour les simultanées cliniques
*Question d’Agnès Giraudel / Réponse de Gil Carroz.
1
ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
Événements
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Ø Á Bordeaux: journée du 26/01/13 : « L’enfant... ?
Trop pas ! »
« À travers les diverses voies qui
l’accueillent et accompagnent
son éducation, il y a une
éthique à trouver, dans la
manière dont chacune répond
de l’enfant et à l’enfant Par
leur façon de se répondre et de
s’entendre dire, ces fonctions,
les professions, peuvent tisser
une interdisciplinarité, comme
celle des conversations mises
en place par les laboratoires de
recherche du Cien.»
Soulignons
d’abord que ce rendez-vous régulier des laboratoires du Cien de la région bordelaise a réuni à
Bègles, dans l’ancienne friche industrielle, un public dense de
fidèles et de nouveaux, praticiens du social, de l’enseignement,
de la justice, psychanalystes.
Chacun des locuteurs, intervenants et participants
des conversations a fait jouer les résonances énigmatiques du
titre, qui accrochait un vocable verlan en vogue chez les ados:
« trop pas! ». Marqueur jovial du langage jeune, c’est un néologisme presque dénué de sens sous l’enflure de l’hyperbole
négative. Il incarne, dit Ph Lacadée, « la modernité ironique
aux prises avec une jouissance en-trop», qui requiert que le
sujet, pour s’en séparer, invente son propre rapport à la langue.
C’est ce que fait l’analysant au cours de l’expérience analytique,
où il s’exerce à prendre assise dans la langue, à s’y « asseoir »
après avoir éprouvé dans son propre corps ce que parler veut
dire (Ph L).
La journée s’est ouverte sur une séquence intitulée
«La fabrique du délinquant » et illustrée par des éducateurs à
l’aide de vignettes qui démontraient que « c’est la pulsion qui
est délinquante » (Ph L), et que chacun est responsable des
lieux, des espaces où sa présence peut offrir un appui et une
respiration à des enfants. Accueillir leur angoisse. Dire « oui »
ou « non », surtout dire « oui » à leur désordre et à leur savoir
propre. Il y faut du temps, et tout d’abord le temps pour les praticiens de saisir l’usage que l’enfant ou l’adolescent fait de leur
présence.
La table ronde sur « L’enfant fiction juridique » était
organisée autour du laboratoire « Le poids des mots : expertise
et justice ». Elle a interrogé la manière dont on traite dans ce
champ le point d’insertion insaisissable de l’acte, côté crime
et côté justice, là où les discours achoppent sur une jouissance
ignorée, inavouable. Car si la justice s’efforce de séparer le vrai
et le juste, la vérité menteuse et la jouissance, tous les discours
sont irréductiblement disjoints en ce point d’opacité. L’institution judiciaire a de fait un rôle social qui n’est pas fondé sur
une justice distributive, mais sur une logique rétributive dont
l’ultime fonction est de punir. Dans l’imaginaire social, cela se
traduit par la recherche acharnée du monstre dont on pourra
dire à coup sûr qu’il est coupable.
Le thème de la culpabilité, côté délinquant et côté
victime, a traversé toute la matinée, faisant émerger ces questions : comment s’arracher du réel au moyen d’un semblant
et en faire une dette « à-quitter » ? Comment quelqu’un qui a
été reconnu victime peut-il vouloir autre chose que le rester ?
La société, en exigeant un tout-dire de l’enfant victime, ne le
prive-t-elle pas de son énonciation?
Le malaise dans la civilisation est de structure, c’està-dire de la structure des discours dans leur rapport au réel, en
particulier celui du corps. Agnès Giraudel a souligné la valeur
et la variété de ce qui se travaille dans l’inter-disciplinarité
des laboratoires, où chacun s’applique à produire sa propre
réponse.
Je terminerai ce parcours trop elliptique par un bref
écho de la conférence de Jacqueline Dhéret, intitulée « C
comme Cien et civilisation», qui a mis en tension la lecture du
malaise, et la responsabilité de chacun dans sa pratique vis-àvis des disparités enfantines et de l’usage de la langue.
Le trop-pas des jeunes d’aujourd’hui, disait-elle en
préambule, est celui d’un enfant en trop, qui n’est déjà plus tellement un enfant à partir du moment où il est pris dans une
interprétation généralisée. L’enfant aurait-il cessé d’être un
mystère ?
L’enfant contemporain, agité, voué à l’hyper, au
silence de la jouissance en-trop, peut être appelé « sur l’autre
versant du logos », avec «ses fictions lanagagières et ses réjouissancs». En s’appuyant sur des vignettes pratiques et cliniques,
graves ou plus légères, J. Dhéret a mis en lumière l’inventivité
d’enfants qui ont su comment reprendre pied dans la langue et
de faire sujets désirants, sujets de leur histoire. Ainsi de cette
petite fille qui se fait couper les cheveux, comme elle le souhaite, mais « pas trop» pour que sa maman ne le voit pas. Ou de
cette adolescente, qui, après un long parcours psychanalyique,
décide d’aller témoigner au procès de son père où elle déclare
au juge : « il y a cinq ans, j’ai parlé à la police et aux médecins.
Je viens dire : « c’est bien vrai que j’ai parlé et je n’ai pas menti.
Maintenant, je ne veux plus parler.»
Il est de la responsabilité des travailleurs décidés du
Cien d’éclairer dans chacun des champs de leur pratique le type
de dépossession subjective dont est victime l’enfant contemporain, de faire reculer l’Autre du savoir et de l’intimidation,
en usant d’une défiance vis-à-vis des signifiants-maîtres du
discours courant, en opposant à l’utopie de la transparence la
puissance d’énigme de la langue.
Le Cien a pour référence l’éthique de la psychanalyse,
qui traite le « trop » par un certain usage du vide, du voile et
des « malentendus qui refont de l’intime». Dans ce qui a fait
rencontre entre un adulte et un enfant, on mesure souvent,
concluait J Dhéret, « la fonction décisive de la réponse de
quelqu’un, celle qui « intime la fonction subjective» » .
–Michèle Rivoire –
Voici deux textes présentés au cours de cette journée : celui
de Danièle Laufer (lab «Le poids des mots : expertise et
justice») exposé à la table ronde «L’enfant fiction juridique»,
qui évoque la mésaventure de Léna sur un site internet;
et celui de Marianne Bourineau (lab «Usage de l’école et
surprises» ) proposé au cours de la séquence « L’éthique
à l’école», qui offre quatre brèves situations issues de sa
pratique de professeur de français.
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y
Le programme la non rencontre
Le travail interdisciplinaire de recherche du laboratoire sur l’expertise et la justice m’a amenée à mesurer le poids
des mots utilisés dans mes expertises et en cour d’assises. Cela
n’a pas les mêmes conséquences de soutenir que le prévenu
est psychotique ou qu’il est pervers. Mais au-delà des mots
que l’expert utilise, le procès tourne autour de l’indicible. Victime et coupable se rejoindraient-ils ainsi dans cet impossible
à dire? Quelle part ladite victime prend-elle à cette mauvaise
rencontre ? Lors du procès, tous cherchent des aveux, la vérité,
des faits : « le but, c’est que la jouissance s’avoue, comme le dit
Lacan, et justement en ceci qu’elle peut être inavouable »1.
« Le moment de la puberté concerne un réel du sexe
sans précédent »2, écrit Serge Cottet ; n’est-ce pas ce qu’a expérimenté Léna ? Mais aussi peut-on parler de rencontre pour
Léna? Léna avait été filmée par un homme rencontré sur un
site de rencontre. Elle me dira : « tout le monde a vu mon corps,
ça m’énerve ». En effet les images se sont retrouvées sur un site
pornographique, et tout son collège a été au courant.
À 13 ans, elle était allée sur un site, désirant rencontrer un garçon. Celui qu’elle avait rencontré prétendait avoir
17-18 ans. Ils ont fait connaissance en parlant de leur famille.
Elle n’a pas vu son visage, mais une photo de torse avec le sexe.
Elle lui a dit où elle habitait, « ce qui n’est pas à faire », remarque-t--elle. L’homme aurait exigé d’elle une scène de striptease
devant la web-cam, la menaçant « de venir chez elle, tout casser, de venir la tuer ».
Léna a été amoureuse d’un garçon à 13 ans. Déception:
ce garçon lui a avoué la tromper. Quelques mois plus tard, elle
a eu ses premières relations sexuelles avec un garçon de 15 ans.
Avant ou après, elle ne se souvient plus, elle est allée sur un site
de rencontre, trouvant les adolescents de son âge trop puérils.
Elle dit : « les petits ! Un bisou, ils sont rouges pour six mois. Je
les trouve idiots. Ils le disent à tout le collège ». Elle ne sort pas
avec les garçons de son collège par crainte des «embrouilles» :
paradoxe !
Elle n’avait pas de sentiment pour l’homme rencontré
1 Jacques Lacan, Le Séminaire, livre xx, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 85.
2 Cottet, Serge, L’inconscient de papa et le nôtre, Paris, éditions Michèle, 2012,
p. 111. sur internet. Elle dit : « pour moi, c’était un jeu. Ça m’intriguait.
Il était interrogatif. Je ne le connaissais pas, ça m’a fait accrocher de suite. Il me demandait des choses sur la vie, la sexualité ». Elle ne s’étonne pas de s’être contentée de la photo d’un
torse et d’un sexe : « il était musclé, beau. C’était pas le sien.
Comme toutes les filles, ça fait rêver ».
Il n’était pas question d’amour, de parole d’amour
mais de curiosité, de curiosité sexuelle, de beauté ; c’est la vue
du corps, d’un morceau de corps qui fait rêver… Serge Cottet
décrit les jeunes vissés à leurs écrans « où se négocie et se programme la non rencontre. Non pas la rencontre impossible
mais l’indifférence pour celle-ci comme forme moderne du
non rapport sexuel »3.
-Danièle Laufer–
y
Le rire de Mozart
« Tu es un menteur »
Le petit groupe des élèves de première TMD (une série tech-
nologique qui forme des musiciens et des danseurs dans mon
lycée) sort d’un cours de musique. Ils viennent de visionner le
film de Milos Forman, Amadeus, et surexcités, déboulent dans
ma classe en imitant le rire aigu et saccadé de Mozart – authen3 Cottet, Serge, ibid., p. 114. tique selon les témoignages . J’en appelle au calme pour commencer mon cours, et finis par être entendue. Calme relatif
cependant, puisque dès que j’écris au tableau, le rire retentit à
nouveau, ironique et agaçant. L’effet comique étant assez vite
émoussé, je cherche d’où provient ce rire mozartien, émis bouche fermée. Je dénonce la farce et désigne un coupable, dont
les dénégations ne parviennent pas à me convaincre, d’autant
que le rire insiste et que les autres élèves, tout d’abord amusés,
ne sont plus à présent du côté du rieur. Le cours s’achève sans
que j’aie pu tirer l’affaire au clair.
À la fin du cours suivant, à tête reposée, je demande
à revoir le présumé innocent, ou celui qui, du moins, clame
son innocence avec une conviction touchante, mais toujours
suspecte. Déjouant ses attentes, j’entre dans son jeu. « Bien
entendu, je vous crois ! Mais ce que je ne comprends pas, c’est
pourquoi aucun des élèves de la classe ne vous a défendu. Il y
avait donc un coupable, et ils vous ont laissé accuser sans rien
dire!... – Non, non, c’est pas si grave… – Ah, vous trouvez, vous ?
Moi je trouve ça dégueulasse. D’autant que cette personne sait
pertinemment que c’est toujours vous qu’on accuse, sous prétexte que vous ne travaillez pas, que vous manquez des cours
sans motif, ou que vous dormez sur la table… Je mènerai mon
enquête. – Non, non, c’est pas la peine… » Enfin parvenue à
réveiller sa culpabilité en jouant à me faire sa dupe, je le libérai de cet entretien. Mais depuis ce jour, j’ai souvent recours à
cette plaisanterie qui agit sur lui de façon très efficace : « Faites
taire le Mozart qui est en vous », qui peut à l’occasion se transformer en : « Faites parler le Mozart qui est en vous… »
« Tu es un fraudeur »
À l’issue d’une séquence sur la poésie, mes élèves de
seconde ont dû écrire un poème sur le modèle de « L’invitation au voyage », de Baudelaire. Charles B., absent ce jour-là,
a dû à me remettre lui aussi son travail. Alors que je corrige
les devoirs, je m’aperçois que son texte non seulement me dit
quelque chose – « Par amour, par amour, par amour rien n’est
impossible… » – mais me rappelle, intuitivement, autre chose.
Une rapide recherche sur Google, et j’accède au YouTube d’une
chanson de Diam’s. J’écris sur la copie de Charles : « Je ne me
permettrais pas d’évaluer cette très belle chanson de Diam’s.
Mais à vous, je mets un zéro pour travail non fait. » Dans ce
texte, le personnage de la chanson parle de toutes les folies ou
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les erreurs commises « par amour ». Mais en copiant presque
intégralement le texte, Charles a omis certains passages, [ceux
qui parlent des rituels de la prise d’héroïne]. Je les relève et les
note sur son texte. Au moment de lui remettre sa copie, sans
me fâcher, je lui expose la situation, et lui demande pourquoi
il n’a pas recopié les paroles manquantes. Il rougit, et ne parvient pas à répondre. Je lui donne alors pour mission, afin de
rattraper sa note négative, « car tout le monde a le droit de l’erreur » de présenter à la classe le commentaire de la chanson de
Diam’s, complète, et avec la vidéo. Il accepte ma proposition,
puis semble l’oublier, malgré la mauvaise note.
« Tu es un décrocheur »
Se passe ensuite toute une période où Charles manque des cours avec une autre élève, arrive en retard avec elle,
ne travaille plus du tout. Ses parents ne répondent ni aux courriers du lycée, ni aux appels téléphoniques. C’est la dérive…
Suite aux résultats du Conseil de classe, et à moment où il
commence à revenir au lycée, je demande à lui parler à la fin
d’un cours qu’il n’a pas écouté. Il ne sait pas ce que je vais lui
dire, moi non plus… Mon entrée en matière semble le surprendre. En effet, je lui parle de ce commentaire du texte de
Diam’s, que j’attends toujours… Il m’avait pourtant dit avoir
commencé. Pourquoi ne me l’a-t-il pas remis ? « J’y ai pensé, et
puis j’ai oublié », me répond-il. « Eh bien moi, je n’ai pas oublié
que vous me devez ce travail. C’est un travail particulier, vous
avez remarqué ? C’est à vous que je l’ai donné, et à personne
d’autre. C’est votre responsabilité qui est engagée, et celle de
personne d’autre. » Il acquiesce, et pour la première fois depuis
bien longtemps, il se redresse, et je croise son regard. Et il me
dit qu’il aimerait avoir la volonté de travailler. Mais pour ça, il
faudrait qu’il soit seul. Je lui réponds que j’entends ce qu’il est
en train de me dire, et que j’attends son travail.
« Tu es une adolescente »
L’adolescente avec qui, « par amour », Charles sèche les cours,
c’est Milena. Milena a bien commencé l’année. Elle a découvert l’univers du lycée, qui l’enthousiasme. De plus, elle a dit
à son professeur de français son admiration : cette prof, on
dirait qu’elle connaît tout, jusqu’aux chansons de Diam’s ! Mais
depuis quelques temps, ça ne va pas, Milena ne fait plus d’effort.
Et même, ce vendredi, ça ne va pas du tout. Tout le monde dans
la classe lui est tombé dessus parce qu’en tant que déléguée,
elle n’est pas allée au Conseil de classe. Et elle est restée prostrée au fond de la classe, ravagée. Sa professeure de français lui
a demandé de rester à la fin du cours, et Milena lui a parlé du
violent sentiment d’exclusion qu’elle ressentait, depuis qu’elle
avait décidé de « rompre avec Charles ». En classe, les amis de
Charles lui ont tourné le dos et écrivent à son propos des choses affreuses sur Facebook. La prof lui dit qu’elle a le droit de
faire des choix, que ça ne regarde qu’elle, et l’a laissée partir. Le
ravage doit sembler profond et durable, car trois jours plus tard,
son professeur veut à nouveau la voir, et lui demande si elle
ne pense pas à se faire aider. Par des adultes, par exemple. Sa
mère ? Elle vient d’avoir un bébé cette semaine. Extraordinaire
! Non ?... pas tant que ça, visiblement. Son père ? Surtout pas.
Et pourquoi pas un psy ? Y a-t-elle déjà pensé ? Depuis longtemps ! Mais son père ne sera jamais d’accord, et elle habite
trop loin pour aller au CPCT, dont lui parle sa prof.
Dans les coulisses de cette romance qui pouvait très
mal tourner pour Milena, et pour créer un maillage autour
d’elle, je décide de m’en remettre d’abord à l’infirmier, qui la
reçoit en urgence dans la journée, puis à la CPE et au professeur principal, à qui je demande d’intervenir dans la classe
avec le plus grand tact pour faire cesser les brimades des amis
virtuels de Milena sur Facebook, et lui permettre de retrouver une place plus tenable dans la classe. Quant à l’histoire
d’amour, elle a repris son cours sans l’aide d’une conseillère
conjugale, pour le meilleur comme pour le pire…
–Marianne Bourineau–
Ø À Metz : L’Assolatelier
J.-F. Toneatti évoque la conversation exceptionnelle des
laboratoires de Metz et de Nancy (10/12/12) avec le vidéaste
David Verlet, à propos de sa pratique d’ateliers divers, en
particulier, des ateliers d’éducation à l’image.
y Conversation avec David Verlet de l’Assolatelier
Le 10 décembre dernier, David Verlet, vidéaste et
intervenant de notre laboratoire messin, est venu nous parler
de sa pratique au sein de l’Assolatelier*, association travaillant
avec divers publics et institutions. Pour l’occasion, nous avons
accueilli nos collègues du Cien de Nancy.
David a présenté plusieurs de ses ateliers, notamment
un jeu de société destiné à être commercialisé, réalisé sur deux
ans par des adolescents aidés par une psychologue et édité par
la Région Lorraine, basé sur des questions – dilemmes reflétant
leurs préoccupations au quotidien. Par exemple : « Un de tes
amis te propose un joint. Est-ce que tu acceptes ? ». La visée
pédagogique est d’établir pour les adolescents des moments
de parole avec les parents ou les éducateurs, les rôles pouvant
bien sûr être inversés.
Un petit teaser montrant la construction du jeu est
produit comme outil de démarchage et figure sur le site de la
Région : les jeunes ont créé les scénarios des dilemmes, tourné
et joué devant la caméra, l’association de David se chargeant
du montage. Ces histoires de filles et garçons re-présentées
font à leur tour émerger de nouveaux questionnements : « Se
voir à l’écran avec un joint, c’est délicat… comme de toucher
les filles… comme d’aborder l’homosexualité. Ils veulent bien
que leur film soit projeté mais ont peur de le montrer dans
leur quartier. » David a pointé un des écueils rencontrés dans
sa pratique de l’image à l’heure où la télé-réalité met à mal
les semblants : « Il faut leur faire comprendre que s’ils jouent
devant une caméra, ce n’est pas eux ! ».
Un film a particulièrement retenu notre attention,
Bussong, court-métrage réalisé dans le cadre des ateliers d’éducation à l’image, à partir d’un projet mené de Charybde en
Scylla et réunissant toutes les conditions d’un ratage. Nous y
découvrons un adolescent qui, de squat en slam, se prend à
rêver d’ailleurs et se retrouve à travailler à la ferme au cœur
du massif vosgien, dans un village connu pour son Théâtre du
Peuple : Bussang.
Public de l’atelier difficile peu concerné, problèmes
d’encadrement, éducateurs défaillants et caprices de diva de
certains intervenants… David insiste sur l’importance du travail préparatoire des éducateurs : « je fais 70% d’artistique et
30% d’éducatif. » Une question émerge alors : « Qu’est-ce que
le travail d’un éducateur ? » Ce travail ne peut pas être fait en
amont car le terrain est à créer «au moment où ça se passe»,
comme le dit très justement une éducatrice : « C’est compliqué
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le travail du rôle, du jeu, du semblant, ne les bridons pas trop !
centrés sur la question de la déscolarisation et sur le texte
de la conférence donnée l’année dernière à Metz par JP.
Rouillon, sous le titre : «Accueillir ce que sait l’enfant». Ici,
un professeur d’arts plastique accueille le savoir de Lucas.
y Accueillir le savoir de Lucas
Il y a aussi des rencontres, il faut de la surprise ! »
!
Pourtant un objet a été produit et quelque chose s’est
transmis : un jeune du groupe – au moins un – s’est passionné
pour les techniques de l’animation, la partie onirique prenant
de plus en plus d’ampleur au fil du projet. Au milieu de prises
de vues réelles avec de « vrais acteurs », cet adolescent a réalisé
des séquences d’animation en stop-motion (image par image)
avec des papiers découpés, respirations poétiques où se mêlent
le souvenir de Jean Cocteau et des papiers collés de Matisse, la
mémoire du Petit Prince et les marionnettes du théâtre d’ombre balinais en passant par les féeries nocturnes de Michel
Ocelot (le père de Kirikou et des Contes de la nuit). Tout le
charme d’un savoureux bricolage enfantin et aérien, s’élevant
loin au-dessus de la mêlée, né de la rencontre du désir décidé
de quelques uns pour le ravissement de quelques autres. Un
ratage heureux !
– JF Toneatti –
Jean-François Toneatti, professeur d’arts plastiques,
nous parle de ses difficultés avec Lucas, 12 ans, qui vient irrégulièrement au cours, et, quand il est présent, soit ne fait rien,
soit sort de la classe. J-F va le rechercher, il vient, et il l’invite au
travail. Lucas dessine l’arc-en-ciel de la douleur par quelques
traits bleus, il y ajoute la joie par quelques traits jaunes et un
personnage nommé JFT sur lequel il écrit : le démon. JF note
son travail.
La semaine suivante, même processus, et Lucas dit
: « J’peux faire une BD porno ? - Pourquoi pas, répond JFT. »
Et il dessine des bonshommes par de simples traits. JFT lui
demande de faire de vrais personnages, ce qu’il fait. Fin du
cours.
Cette BD représente la question de l’acte sexuel homme-femme, qui se termine par le rejet de l’homme par la femme
: « Ton zizi est trop petit. » Que faire de ce travail, se demande,
nous demande JF, après l’avoir noté.
Tout en incitant Lucas au travail, JFT l’a autorisé à inscrire par
le dessin et le texte écrit sa question sur la sexualité. Lucas a
fait état de son savoir actuel et de sa position. En notant son
travail, JF en a accusé réception sans émettre aucun jugement
de valeur autre. Lucas pourra, s’il le veut, continuer à parler de
ses questions, JF lui a fait entendre qu’il accueillait ses élucubrations.
* http://assolatelier.free.fr/
Au fil des labs
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Ø De Metz, « Grain de sel »
Le laboratoire de Metz a travaillé autour de plusieurs textes
JFT nous a donné un bel exemple de ce que veut dire
accueillir le savoir de l’enfant, sans y mettre de frein. Lucas
ne s’y est pas trompé et a tout de suite saisi l’occasion offerte.
Lacan nous a appris que, dans la cure, «la résistance vient du
psychanalyste ». À l’école, ne serait-ce pas celle de l’enseignant?
–Odile Barthélemy–
Ø De Saint-Nazaire, « Au fil des discours »
Le laboratoire de Saint-Nazaire a invité deux éducateurs
de l’association Enfance et Famille, Laurent Nicol et
Chantal Latchimy, qui animent, depuis 1990, un « atelier
de remobilisation » qui accueille des jeunes ayant décroché
de tout parcours scolaire, professionnel, parfois en rupture
familiale et sociale. Ces jeunes sont déjà suivis par un
service de protection de l’enfance (AEMO, foyer).
y Un atelier de remobilisation
Laurent Nicol était primitivement cuisinier dans le
foyer qui héberge l’atelier, et recevait des jeunes pour un stage,
une expérience. C’est à partir de ce travail de rencontres avec
les jeunes exclus qu’il propose, avec une collègue, la création
de l’atelier de remobilisation, qui au départ, accueillait des jeunes de 16 à 18 ans ; mais depuis cinq ans la moyenne d’âge est
de 15 ans, et la proportion de jeunes déscolarisés de moins de
15 ans augmente régulièrement.
L. Nicol et sa collègue C. Latchimy supposent d’emblée que les jeunes ont un savoir, qu’il faut partir de ce savoir,
s’appuyer sur lui, se laisser enseigner par eux.
L’entrée dans l’atelier n’est pas une suite de procédures standardisées, elle est progressive, se construit à la carte, en
fonction de la tolérance de chaque jeune au monde des adultes,
et aussi de la durée de l’isolement qui était le sien jusque-là.
Il y a le temps du premier pas, celui de la visite du local, de la
rencontre, le temps de voir que la relation proposée est d’un
autre type que ce qu’ils ont connu auparavant, au fil de leurs
échecs successifs ; puis vient le temps de la réflexion.
Pour certains jeunes, il y aura au préalable un ou deux
rendez-vous par semaine, sans présence sur le groupe avec les
autres, cela pendant quelques semaines. Il faut parfois beaucoup de temps pour réaliser une entrée, un nouage, lequel peut
se défaire, puis se renouer quelques temps plus tard.
L. Nicol et C. Latchimy sont des accompagnants
patients, ils prennent le temps, ne se fixent pas d’objectif à
atteindre, ils favorisent et revendiquent un accompagnement
individualisé et de proximité.
L’émergence d’une relation, et la confiance déposée
par le jeune sont pour eux beaucoup plus importants que l’activité en elle-même, en l’occurrence la cuisine ou l’entretien
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
du linge, qui sont des supports, des occasions pour le jeune de
comprendre qu’il peut se rendre utile, et retrouver une certaine
estime de soi (cela n’est pas sans évoquer le « point d’où le sujet
peut se voir digne d’être aimé » cher à Philippe Lacadée).
À l’occasion, on fera aussi un peu de maths ou de
français, en liaison avec des objectifs pratiques.
Chantal anime aussi avec certains jeunes un atelier
d’écriture qui est très investi.
Voilà deux adultes bienveillants, qui ne sont pas idéalistes mais pragmatiques ! Chez eux, pas d’échelle de valeur, de
normes, de jugement entre l’objectif d’orientation professionnelle et celui du repérage par le jeune des services susceptibles
de l’accueillir à sa majorité ou de l’aider dans la vie (foyer d’urgence, resto du cœur).
Ils acceptent à l’occasion de se laisser incommoder
par ces adolescents, d’accepter comme inhérent à leur travail
le fâcheux quand il survient : ainsi l’ordinateur du local a été
volé par l’un des jeunes qu’ils accueillaient. Leur réponse n’a
pas été la sanction et l’exclusion.
L. Nicol et C. Latchimy sont riches d’une expérience
qu’ils nous ont fait partager lors de cette soirée du laboratoire.
Ils ont ouvert la porte à un « c’est possible » en ne se prenant
pas pour des maîtres, mais en s’appuyant sur le savoir de chaque jeune et en travaillant au un par un.
–Michel Beaupère–
–Dominique Jacquart–
Ø De Lyon, laboratoire «Inter-laboratoires»
Édition de la brochure des rencontres publiques qui se sont
déroulées de 2006 à 2011, sur le thème « S’enseigner du
désordre des enfants et des adolescents»
Le texte de Jacqueline Dhéret, qui ouvre le volume, marque
une orientation dont la fermeté ne s’est jamais démentie
au fil des mois et des années. Il a donné son titre générique
au laboratoire : «S’enseigner du désordre des enfants et des
adolescents».
y Prologue de ce recueil
De retour de Barcelone, où nous avons participé à la
rencontre organisée par le Champ freudien sur la clinique de la
désinsertion, et, après le repos de l’été, je me dis que nous avons
le devoir, à Lyon, de ne pas laisser le monopole de la parole
aux théories cliniques qui visent à faire consister un rapport
de cause à effet aussi simpliste que délirant entre «mauvais
parents » et « enfants violents ». Ce n’est pas un grand pas pour
l’humanité que de lire dans la presse régionale que si nous ne
tenons pas compte du modèle adopté par le Québec depuis
plus de 10 ans – retrait des enfants du milieu familial, placement dès 6 ans en Centre éducatif fermé – « c’est que nous
voulons des enfants barbares » ! (Le Progrès, 18 mars 2009)
À l’école, dans les institutions de la protection de l’enfance qui prennent en charge les jeunes dits « en danger», on
ne parle pas de clinique de la désinsertion ni, heureusement,
de barbares. On parle d’élèves « décrocheurs «, d’adolescents
« ingérables », « incasables », « imprévisibles », comme le dit
le rapport de l’ONED, avec l’idée que ces récalcitrants à toute
aide, à tout accueil pourraient trouver à s’insérer dans un projet individualisé, dés lors qu’ils n’usent pas des droits auxquels
ils pourraient prétendre ; ce sont des adolescents qui ne sont
plus pris dans le « programme œdipien», qui ne savent plus ce
qu’ils peuvent se permettre, qui pensent souvent que tout est
possible, c’est à dire rien.
Les adolescents sont à l’avant-garde. Cela tient à ce
qui se défait à l’adolescence et ce phénomène est de structure,
il est transhistorique. Ils faisaient dire à Hésiode, au VIIIe siècle av. JC, qu’il n’avait plus d’espoir pour l’avenir de son pays si
la jeunesse prenait le commandement demain : « la jeunesse
est insupportable, sans retenue, simplement terrible [...] Notre
monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus
leurs parents. La fin du monde ne peut être loin. »
L’insécurité que nos adolescents éprouvent, qu’ils
nous font éprouver, les conduit à incarner ce que nous commençons seulement à lire comme un symptôme social. Non
plus le malaise au sens freudien du terme, la turbulence ou
la révolte qui supposent un régime disciplinaire appuyé sur la
figure du père, mais des formes de jouissance illimitée, sans
partenaire, sans interlocuteur. Ainsi ces jeunes qui s’ « autoexcluent », comme le dirait le Dr Furtos, débranchés de l’Autre
et qui usent pour vivre de solutions temporaires, incertaines
et nomades, en dehors du pacte social, de même que l’idée du
contrat individuel, qui se généralise, et celle du référent, sont
sans doute à mettre au compte de l’isolement individualiste
qui caractérise notre époque.
Bien sûr, nous ne pensons plus fin du monde, mais
nous, les grandes personnes, ne semblons plus en mesure de
faire de l’avenir une promesse. Lisez les journaux ! Or, lorsque
l’avenir n’est plus une promesse, il devient une menace.
Prenons au sérieux les réponses de ces jeunes à ce sans espoir,
essayons de ne pas faire de ces pathologies de notre modernité un problème de santé publique qui trouverait sa solution
dans des items, des inventaires, des chiffres et des protocoles.
Partons plutôt de ce qui semble sans solution généralisable,
essayons d’apprendre quelque chose de nos impasses, avec le
souci de « partager une persévérance » dans la rencontre avec
chaque adolescent (selon le mot de François-Xavier Fénérol).
La pulsion de mort est pour tous mais elle est au un
par un. Chacun a son monde à soi, qui ne s’articule à la loi commune que par une clocherie, une bévue qui ne fait pas nécessairement errance. On aperçoit mieux aujourd’hui que le principe d’autorité n’est plus partagé qu’on n’y croit plus.
L’espérance ne chasse jamais entièrement la crainte,
mais il arrive que la crainte prive l’espérance de tout espace.
Alors, elle se convertit en désespoir, écrit Descartes dans ses
Passions de l’âme.
Les adolescents dont nous parlons dans les laboratoires usent de conduites à risque ; ils peuvent s’infliger de graves blessures, traiter leur corps comme une machine, ou être
tentés de sortir de la scène du monde, pour se sentir vivants.
Vous voyez le paradoxe : s’exclure de chez soi, de l’école, de la
famille, de l’institution pour pouvoir vivre. Il leur faut la douleur et souvent il ne s’agit pas d’une mise en scène théâtrale
mais d’un déchaînement mortifère qui ne s’adresse plus à personne, soit les automatismes d’une jouissance intouchée par la
castration. L’adolescent est poussé à accomplir une contrainte
interne, le plus souvent auto-destructrice et il se désunit d’avec
les autres. J’ai écouté l’année passée avec beaucoup d’intérêt,
une femme, médecin généraliste, parler de son expérience
avec des jeunes hébergés en hôtel à Paris. Elle expliquait sur
France-Inter le souci qui était le sien et les longues conversations qu’elle avait avec ces jeunes pour les aider à mettre en
fonction leur corps, dans les actes les plus simples de la vie : se
déplacer, se nourrir... Établissons une relation entre ce qu’ils
ne savent pas qu’ils peuvent se permettre, la dissolution des
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
liens sociaux dont ils témoignent et l’inconsistance imaginaire
d’un corps, avec des organes dont ils ne savent pas quoi faire.
Le corps de l’autre aussi est superfétatoire comme le montrent
parfois leurs conduites sexuelles.
Que le Cien soit le lieu où sont écoutés les éducateurs et travailleurs sociaux de la Protection de l’enfance, les
enseignants, les médecins et d’autres professionnels. Un lieu
où l’on soutienne ce qui dans le Discours du maître retient de
la dérive qui a fait, au XIXe siècle, du miséreux qui était dans la
misère un misérable. Affirmons comme le législateur l’a fait en
1945, que l’enfant délinquant est aussi un enfant en danger. La
construction clinique de la notion de mineur dangereux, «terroriste le jour et terrorisé la nuit», participe d’un discours de la
peur, avec ses réponses hygiénistes, sur le modèle de la lutte
contre le virus !
Au Cien, nous ne nous en lavons pas les mains et
nous savons ce qu’une épidémie doit à la construction d’un
discours qui se propage. Nous allons proposer à Lyon un lieu
vivant, animé, ouvert où seront examinées les situations au
une par une et les questions des travailleurs sociaux qui ont
affaire, chaque jour, à cet impossible.
–Jacqueline Dhéret–
Cette brochure réunit les trois cahiers précédemment édités et
contient des textes présentés au cours des soirées du laboratoire
«Inter-laboratoires» lyonnais de septembre 2006 à novembre
2011. Elle peut être commandée auprès de Michèle Rivoire, à
l’adresse suivante : [email protected]
Stages de
formation inter-disciplinaire
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Ø Héricourt / Franqueville-Saint-Pierre
Philippe Lemercier et Marie Izard-Delahaye ont contribué
aux préliminaires du stage de formation qui se déroule
dans l’établissement avec les professionnels de l’IME «Les
Nymphéas », d’Héricourt-en-Caux. P. Lemercier évoque ces
débuts et le suivi d’après-coup assuré par le laboratoire de
Franqueville-Saint-Pierre (Électro-cien, n° 94 a donné un
écho de la première session, en décembre 2012 ; cf. « Les
désordres de l’agressivité», Jean-Pierre Rouillon).
y Retour du stage d’Héricourt
Le 15 novembre dernier a eu lieu la première session
du stage du Cien mis en œuvre par Judith Miller auprès de
l’équipe de l’IME « les Nymphéas » d’Héricourt-en-Caux (76),
en réponse à leur appel relayé par notre laboratoire, à Franqueville-Saint-Pierre (76) près de Rouen.
Jean-Pierre Rouillon, Claudine Valette et Yves-Claude
Stavy ont accepté de constituer autour de Judith Miller un programme de formation qui traduise l’orientation du Cien, tout
en reprenant les préoccupations de cette équipe en grande difficulté.
La manière singulière dont ce projet se déroule me
semble illustrer la façon dont le Cien s’y prend avec la demande
pour travailler sur le malentendu qu’elle recèle, en évitant
de venir boucher, par une réponse trop consistante, l’espace
nécessaire à l’expression de chaque sujet, tout en respectant le
lien qui le porte.
Sollicités en mars 2011 par quelques membres de
l’équipe de l’IME, Marie Izard-Delahaye, membre du Cien de
Rouen et moi-même, étions allés à leur rencontre et nous avions effectivement noté leur grand désarroi à la fois face aux
jeunes accueillis, à leur propre diversité professionnelle et aux
théories pseudo-scientifiques du travail éducatif. Multipliant
les réponses par contention lors des crises d’angoisse, comme
ils en avaient reçu le conseil lors d’un stage de formation, ils
se sentaient happés par une spirale dangereuse de passages à
l’acte.
Sentant les effets dévastateurs de la jouissance, plusieurs membres de l’équipe avaient clairement exprimé leur
désir que le Cien ne les laisse pas tomber après le temps des
interventions en stage.
Je m’étais donc engagé à effectuer avec Marie IzardDelahaye les transitions entre les sessions si le besoin s’en
faisait sentir. Or, effectivement, l’équipe a souhaité s’exprimer
dans l’après-coup de la première session. Nous les avons donc
écoutés le jeudi 20 décembre au matin.
Nous avons noté un climat d’équipe beaucoup plus
apaisé ainsi qu’un déplacement notable de leur demande. En
effet, primitivement focalisées sur les moments d’agressivité,
leurs attentes de formation se portent maintenant, d’une
manière plus générale, sur la compréhension de l’étrangeté
des comportements et sur l’éventuel sens qu’ils recèlent. Un
éducateur a d’ailleurs souligné que, maintenant, leurs attentes
étaient plus délicates à définir.
Certains membres de l’équipe nous ont expliqué
qu’ils avaient immédiatement « appliqué » ce qu’ils avaient
perçu comme des « techniques », par exemple, le fait de cesser de donner des conseils ou même des ordres quand des tensions apparaissent et de plutôt proposer des choix ou dévier
le conflit apparent pour rendre le jeune « acteur » du dénouement de la crise. Cet apport concret a été perçu positivement
par l’équipe et les aide au quotidien.
Le stage a, par ailleurs, fait émerger aux yeux de
l’équipe un manque – l’absence de ce qui est appelé « analyse
de pratiques » dans leur établissement – et ils reconnaissent
aujourd’hui que, de ce fait, leurs attentes à l’égard du stage
avaient eu tendance à se porter, dans ce premier temps, sur la
recherche de solutions aux moments difficiles alors qu’ils ressentaient maintenant le besoin d’autre chose, une culture et
une éthique qui les orientent. La suite du stage permettra sans
doute de préciser ce qui peut être fait dans cet ordre d’idées et
d’évoquer des temps où l’équipe pourra réfléchir sur les situations dans lesquelles des initiatives ont été prises en vue d’une
amélioration, par exemple en s’inspirant des réunions mises
en place dans les institutions du RI3, qui sont distinctes des «
analyses de pratiques » à proprement parler.
D’une façon générale, les membres de l’équipe sont
satisfaits de ce premier moment et remarquent qu’ils repèrent
et anticipent mieux les moments de tensions.
Deux personnes ont été un peu désorientées : l’une
aurait aimé avoir plus de temps de parole, elle a regretté que la
situation sur laquelle elle avait écrit un petit texte n’ait pas été
étudiée, car ce jeune lui pose toujours problème. Elle espère
que ce sera le cas la prochaine fois. Une autre a émis le souhait de reparler avec J-P Rouillon de la notion de « réalité » ;
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
elle aimerait revenir sur ce qui lui apparaît comme son rôle : la
préparation à l’adaptation à la réalité extérieure. En effet, cette
personne est ressortie du stage avec le sentiment de mal faire
et de ne plus savoir comment faire avec cette question.
L’une et l’autre sont au travail et continuent d’interpeler autour d’elles, chacune à sa façon. Nathalie Hervé-Diop,
la psychologue de l’équipe, présente à ces échanges, va pouvoir effectuer quelques reprises mais la seconde session sera,
plus logiquement, l’occasion de le faire.
Le laboratoire de Franqueville remercie très chaleureusement les formateurs du Cien de cette première intervention dont les effets sont si sensibles au bénéfice d’un ensemble
de professionnels de notre région maintenant bien sensibilisés
au travail du Cien.
–Philippe Lemercier –
Actualités
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Ø
Marie Desplechin, La classe, Paris, éd. Odile
Jacob, janvier 2013.
y Auto-portraits avec passeurs
Invitée par la directrice d’un master de «management des institutions culturelles » pour intervenir auprès d’étudiants de
Science Po Lille en vue d’un travail collectif en rapport avec
l’écriture, Marie Despléchin, écrivain, a élaboré un projet qui
ne manquait pas d’audace: proposer une rencontre avec des
collégiens de quatorze, quinze ans, qui réaliseraient leur «
autoportrait » à travers une narration orale adressée à un
étudiant, en binôme, ce dernier prenant la responsabilité du
recueil écrit de ce récit singulier. Il s’agissait aussi de donner
la parole à ceux dont on parle beaucoup mais que l’on entend
peu, des adolescents issus d’un quartier lillois « sensible ».
L’entreprise n’était pas sans risque et il fallut une bonne dose
de délicatesse et de patience, un désir respectueux des ques-
tionnements, l’explicitation des conditions de ces rencontres,
la liberté pour les auteurs (ados) de revenir, corriger, amender
voire de refuser la diffusion. Marie Despléchin présente ainsi
l’entreprise dans la préface : « La parole est une source intarissable de bons récits. Spontanée elle est mobile rapide. On peut
la reprendre, la corriger. Chaque individu a sa propre musique.
On ne risque pas de « faire des fautes ». Il lui faut des passeurs,
c’est là que les étudiants entrent en scène. Côté clavier ils ont
appris à écrire, côté oreille ils ont pour eux la jeunesse. Moins
de dix ans les séparent de leurs cadets. »
Paradoxalement ce furent les étudiants qui montrèrent le
plus d’appréhension et de réticences : écrire pour l’autre ? Un
abus de pouvoir, le risque du « trash », de l’extorsion ! Pourtant,
se raconter n’est pas se livrer et on peut compter sur des adolescents pour taire ce qu’ils ont décidé de taire. Après quelques
soubresauts la première rencontre eut lieu et les collégiens se
montrèrent plutôt curieux et réceptifs.
À distance de l’enquête sociologique ou de l’étude psychologique, ces autoportraits à deux sont souvent vifs, émouvants, en forme d’un mi-dire où le détail, la nuance, les paradoxes composent une toile qui bouscule les tableaux stéréotypés dont sont parfois l’objet ces adolescents. Pas de vérités
générales mais des petits bouts d’existence où l’on peut bien
entendu relever quelques constantes : la famille aussi décomposée, recomposée soit-elle reste un refuge, un endroit où
chacun tisse comme il peut un point d’ancrage. Les pères, dont
l’image souvent floue – « je ne sais pas ce qu’il fait » –, et parfois
l’absence laissent par la force des choses une place adulée aux
mères. Les grands frères se croient quelquefois investis d’une
mission de gardiens, moralisatrice et brutale : « Mon rêve, c’est
d’avoir une fille en premier, seulement après un garçon. Comme
ça il ne pourra pas l’empêcher de faire ce qu’elle veut ! », dit une
collégienne.
Certains disent l’attrait pour le pays d’origine où l’on
va passer les vacances et aussi l’attachement à la France. Les
pratiques religieuses coexistent avec la fascination pour les
Etats-Unis à travers les séries télévisuelles américaines. La
religion, entre choix, contrainte, identité et conformisme, est
l’occasion d’un questionnement, une tentative de se dégager
de l’emprise communautaire. Certains insistent sur la fonction
des rites et des fêtes en termes de joie, de liens et de séparations : « On se réunit pour les fêtes. Enfin mon père ne parle plus
à l’une de mes sœurs parce qu’elle est mariée à un français. Moi
ça ne me pose aucun problème. La plupart de mes amies sont
françaises. »
La place des écrans, des réseaux est importante, la
lecture voire l’écriture restent l’apanage des filles et l’on mesure
aussi combien le rapport à l’école et aux apprentissages est
dépendant des personnes qui les transmettent, les incarnent,
de la relation à l’enseignant en tant que passeur : « J’aime bien
le français parce que la prof elle explique bien […] Cette année,
j’aime bien l’histoire parce que le prof raconte vraiment des histoires. «
Ils se tracassent parfois, conscients des enjeux de leur
orientation, mais s’autorisent à rêver leur vie : « je veux faire un
CAP de coiffure ; ma vie je la sens plutôt heureuse. L’avenir je le
vois bien.» Ils tiennent à s’affirmer : « On ne répète pas forcément ce que disent nos parents ! »
Le projet ne s’appuyait pas sur un dispositif anodin.
L’adresse d’un adolescent à un jeune adulte a sans doute contribué à l’originalité de ce travail. En dépit de ce qui apparut au
départ comme difficile, improbable, La Classe est un ouvrage
inclassable, qui intéresse en tant qu’il se situe entre le témoignage et l’objet littéraire, mais aussi parce que, s’il interroge le
monde dans lequel nous vivons, ce sont bien des portraits uniques, vifs qui restent en mémoire lorsque l’on referme le livre.
–Joëlle Goutagny–
Ø Philippe Lacadée, Vie éprise de parole
N ous vous présentons le livre de Philippe, Lacadée paru
courant janvier aux éditions Michèle, dans la collection
«Je est un autre». Il est disponible en librairie et peut être
commandé à cette adresse : http://www.ecf-echoppe
y Vie éprise de parole. Fragments de vie et actes de
parole, Paris, éd. Michèle, 2012
« Ce livre propose une critique de la réduction du langage à la simple communication et du postulat de celle-ci qui,
au nom d’un parler vrai, prétend dire ce qu’il en serait du réel.
Vie éprise de parole cherche à fairvaloir le pouvoir d’évocation
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
ou d’invocation de la langue. Qu’est-ce que parler veut dire ?
Y a-t-il un apprentissage de la langue ? Que nous apprennent
Les Mots de Jean-Paul Sartre ou les Variations sauvages de la
pianiste Hélène Grimaud ? Quelles sont pour les enfants et les
adolescents les répercussions de l’envahissement des objets
gadgets dans leur rapport au langage et à la présence de l’Autre?
Plutôt que d’être nostalgique, comment faut-il savoir y faire
avec cette modernité ironique qui met en question le savoir
de l’Autre ? Il s’agira de trouver comment dire à la fois oui et
non aux usages immodérés de ces objets gadgets et de proposer un nouvel éclairage de l’usage fréquent des insultes dans
le discours courant. Jacques Lacan faisait de l’insulte le début
de la grande poésie, ouvrant une voie que ce livre cherche à
explorer. Des divers fragments de vie présentés ici comme des
témoignages de cures analytiques, ou des récits de vie extraits
de publications, nous pouvons déduire qu’au XXIe siècle, malgré un certain désordre du symbolique, la langue reste vivante
pour autant qu’à chaque instant le sujet la crée.»
tation de ce romancier du réel « Qu’était-ce donc qu’un mort ?
Un encouragement à vivre ».
Voyez par vous-même, ici ! Une couverture de livre
colorée avec dans le titre deux fois le mot vie écrit en grosses
lettres puis en rouge : Vie éprise de parole. Fragments de vie et
actes de parole. Belle démonstration faite du désir – chaque fois
réinventé par l’acte analytique – de rendre opératoire une pratique inédite de la parole. Chaque exemple que choisit l’auteur,
clinicien, montre comment le bon usage du dire vient en opposition à la mortification de la parole résultant du tout-dire ou
d’un dire sans conséquence, sans sujet. Nous y apprenons
que cela ne relève pas d’une méthode mais d’une éthique de
la transmission, où le lecteur est encouragé à affronter le ris-
Quatrième de couverture
Patricia Mercier- Barreck (lab de Montpellier) et Patricia
Cottron-Daubigné (lab de Saintes) nous font part de
leur lecture. La première met l’accent sur la richesse des
références du livre de P. Lacadée, qui démontre comment un
« bon usage du dire vient en opposition à la mortification de la
parole résultant du tout-dire ou d’un dire sans conséquence,
sans sujet», intimés par les discours contemporains.
P. Cottron Daubigné souligne la manière dont P. Lacadée
se met au service de la modernité de la psychanalyse
d’orientation lacanienne, « faisant jouer la langue pour
ouvrir l’horizon».
y Une pratique du dire et de la langue
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Philippe Lacadée avait laissé ses lecteurs en pro-menade avec le poète Walser s’enroulant autour d’un secret, d’un
silence « choisissant pour lieu de son « repos glorieux » la noble
tombe de sapins verts d’un décor de montagne » , comme pour
mieux préparer la suite et donner, du lieu du creuset de sa propre expérience d’analysant, toute sa valeur à l’ultime interpré-
dans cet univers symbolique singulier, témoin d’une orientation d’École, et pourtant il serait trompeur et dommageable de
s’en tenir là, à cette familiarité, parce que le texte ne se livre
pas facilement. Il invite à se laisser déplacer par les envolées
d’un récit à plusieurs niveaux et ainsi franchir un premier plan
d’interprétation, pour, ensuite, suivre le mouvement créé qui
met en fonction les pouvoirs du vide qui se trouve au cœur de
la parole. C’est donc à une sorte de travail de déconstruction
que nous pouvons découvrir, après avoir consenti à élargir les
frontières de notre entendement, un questionnement en notre
nom qui donne accès à une pensée plus lucide, moins aliénée
aux idées reçues comme aux discours dominants. Les conséquences en sont des perspectives cliniques qui ne cessent
de s’ouvrir pour mieux répondre aux urgences subjectives de
l’époque et saisir les conséquences, sur l’être vivant, d’habiter
le langage. Grâce à la présence d’un psychanalyste, démontre
l’auteur, l’adolescent, guidé dans cette délicate tâche, peut
trouver comment donner à sa propre langue en impasse et aux
prises avec tous les débordements de jouissance, façon singulière de bien dire son être et la part irréductible de son impossible à dire.
– Patricia Mercier-Bareck –
y La modernité de l’orientation lacanienne
que d’une parole qui devient créatrice d’un sujet, de n’être plus
entravée par la communication. Tout au long de l’ouvrage, la
teneur conceptuelle du propos se voit éclairée par la richesse
des exemples détaillés.
S’armant de cas concrets et d’articulations précises
dans la rigueur épistémologique des apports de Freud, Lacan,
Jacques-Alain Miller et de nombreux autres chercheurs ou
auteurs, Philippe Lacadée reprend par le menu ses observations
déjà abordées : l’incidence de la langue sur le corps de l’être
parlant, les « variations sauvages » de la langue, la crise du langage, les souffrances modernes des jeunes à l’orée du XXIème
siècle, usage et lieux de l’insulte, la civilisation de l’insulte par
le traitement de la parole ; pour ne citer que quelques têtes de
chapitres didactiques qui bousculent les commentaires inintelligibles des occurrences des symptômes de la modernité.
Alors, décidément quand je lis et relis, je me reconnais
La psychanalyse d’orientation lacanienne ne cesse
d’affronter ses fondamentaux aux temps de son présent et
Philippe Lacadée est un des psychanalystes qui s’y emploie fermement et efficacement,
Ainsi la partie intitulée « fragments de vie au XXIème
siècle» livre-t-elle l’historique de la chambre d’un enfant « qui
a été envahie par les objets du capitalisme pulsionnel »(p,111),
emplie de gadgets, d’objets-rallonge auxquels il est addict, « la
fenêtre qui faisait rêver Rimbaud de fantômes, de futurs luxes
nocturnes est devenue virtuelle. L’enfant […] est de plus en plus
branché sur un monde immédiat dépourvu de la médiation de
l’Autre » (p 115), , Philippe Lacadée dépeint et explique dans ces
pages des situations que nous connaissons tous avec ces adolescents, héros modernes , emplis de solitude et de souffrance
en carence de l’Autre, auxquels « on demande trop tôt d’être
9
ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
Issy-Les-Moulineaux –9h-19h
un homme sans père » (p 149).
– Patricia Cottron-daubigné –
pour lire la suite : http://remue.net/spip.php?article5728
On peut voir une video où Philippe Lacadée présente son
livre en suivant les liens suivants: : http://www.causefreudienne.net/agenda/videos/philippe-lacadee-presente-sondernier-livre.html
Nous vous invitons non seulement à lire ce livre,
mais ensuite à courir à votre plume ou clavier
pour écrire papier, billet, note ou notule...
ØAdhésion et renouvellement d’adhésion à
l’association 2012
Électro-Cien diffuse en pièce jointe un bulletin d’adhésion et
de renouvellement d’adhésion à l’association pour 2013. Les
lecteurs d’Électro-Cien et participants aux laboratoires qui
souhaitent exprimer leur soutien aux activités et à la vie du
Cien en tant que membres sont invités à compléter ce bulletin
et à le retourner accompagné de leur règlement par chèque à
l’adresse metionnée sur le bulletin d’adhésion avant le 20
mars.
Bulletin d’adhésion à l’association 2013 : voir la pièce jointe
Les enfants du XXIe siècle font l’objet d’une demande
d’éducation de plus en plus pressante de la part des pouvoirs
constitués – État, famille, médias –, et, à la mesure de ces impératifs, produisent en retour des échappées que nous pouvons
répartir avec Freud comme « inhibition, symptôme et angoisse
». Les praticiens de l’enfance, qui s’orientent à divers titres de
la psychanalyse, sont quant à eux sollicités pour prendre position et « desserrer l’étau » qui pèse sur les sujets au temps de
l’enfance. Pour ce faire, ils ne proposent aucune expertise supplémentaire, ils cherchent avec l’enfant comment trouver du
nouveau dans les savoirs
qu’ils rencontrent et dans le savoir le
plus singulier que construit chaque enfant. Cette seconde Journée déclinera cette thématique.
Il est temps de s’inscrire : date limite, le 16/03/13
Vie de l’association
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Messages
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ØAssemblée générale de l’association
Sur le blog : http://jie2013.blogspot.fr, vous
trouverez:
Le bulletin d’inscription, le Zappeur
Et les infos pratiques : situation, hôtels, restaurants
(il est conseillé de réserver sa table)
dimanche 24 mars 2013
1 rue Huysmans, 75006 Paris
Le 24 mars 2013, au lendemain de la seconde Journée
de l’Institut de l’Enfant (cf. rubrique « Messages »), se tiendra
un événement important : l’assemblée générale du l’association. Elle aura lieu 1, rue Huysmans, Paris 6ème, dans les
locaux de l’École de la Cause freudienne, que nous remercions
dès à présent pour son accueil.
Comme chaque année, y auront droit de vote les
membres sociétaires à jour de leur cotisation. Ils y seront
attendus nombreux. Les membres simples y seront également
les bienvenus pour participer aux débats.
Cette assemblée générale se tiendra entre 10h00 et
12h30. Son ordre du jour sera adressé directement à chaque
membre de l’association d’ici quelques jours.
Elle sera suivi d’un buffet.
http://www.lacan-universite.fr/wp-content/
uploads/2012/09/depliant-inscription-jie2013.pdf
Ø EuroFédération de Psychanalyse
Journées PIPOL 6 « Après l’Œdipe»
Ø Institut de l’Enfant Université Populaire
Jacques-Lacan
2e Journée d’étude
L’enfant et le savoir
Samedi 23 mars 2013
Les 6 et 7 juillet 2013 à Bruxelles
Deuxième Congrès Européen de Psychanalyse
Diversité de la pratique psychanalytique en Europe
Au SQUARE
Brussels Meeting Centre
Mont des Arts 1000 Bruxelles
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
(Entrée : cube en verre)
Inscriptions en ligne : www.europsychanalyse.eu
Renseignements : +32 (0)483 365 082 |
[email protected]
Appel à contributions pour les simultanées
cliniques de PIPOL 6
La force des simultanées
Les simultanées du deuxième Congrès Européen de
Psychanalyse, PIPOL 6, sous le titre « Le cas, l’institution et
mon expérience de la psychanalyse » seront l’occasion de forger une foule qui ne parle pas d’une seule voix, mais avec une
pluralité d’énonciations singulières. Ainsi, conformément à
l’ère d’ «Après l’Œdipe », nous pousserons notre intérêt pour la
diversité de la pratique psychanalytique en Europe à l’extrême
du un par un. Ce type particulier de foule, où chacun s’efforce
de cerner ce qui le différencie absolument de tout autre, est le
socle de notre « force matérielle ».
L’institution du psychanalyste
Pour le psychanalyste, l’institution est un discours,
c’est-à-dire un mode de lien social qu’il installe dans les lieux
où il déploie son acte4 Derrière le divan, l’analyste établit un
rapport sérieux à une « autre scène », soutient l’hypothèse que
les ratages de la parole veulent « dire quelque chose », et manie
l’équivoque signifiante afin de produire des effets de vérité.
Outre ces trois pôles : l’inconscient, le sujet supposé savoir, et
l’interprétation, le dispositif institué par le psychanalyste a la
particularité de laisser la place du maître vacante, afin de permettre au sujet d’y déposer ses propres signifiants-maîtres.
En sortant de son cabinet, le psychanalyste ne sort pas pour
autant de son discours. Analystes et analysants qui opèrent
dans des institutions de soin de « santé mentale » s’y déplacent
avec le discours du psychanalyste. Que le maître ou le savoir
s’incarnent dans ces lieux n’est qu’une donnée supplémentaire
que le praticien de la psychanalyse doit prendre en considéra4 MILLER J.-A., « Vers PIPOL 4 », Mental n°20, février 2008.
Invitation
tion dans le calcul de son action. Par ailleurs, cette présence
du maître et du savoir l’expose à des cas qui se rencontrent
rarement en cabinet. En effet, le sujet déboussolé, le non-dupe,
celui qui n’arrive pas à accrocher l’énigme de son existence
à une signification quelconque, vient trouver dans cette présence une modalité de lien social, une alternative discursive
qui l’arrime au signifiant, lui procure des identifications et soutient son être.
Nous invitons les praticiens de la psychanalyse en
Europe à parler à partir de cette place de praticien-analysant,
en nouant trois fils : le cas, l’institution et l’expérience de
la psychanalyse du praticien. Il vous est demandé, vous qui
souhaitez participer aux simultanées en tant qu’orateurs, d’illustrer un événement clinique, en montrant comment votre
expérience de la psychanalyse vous a permis d’opérer avec le
cas et l’institution, tout en prenant le réel en jeu comme appui
de votre action.
Derrière l’écran du langage
Mais pour le psychanalyste, l’institution ne se limite
ni à une machine à produire de l’aliénation, ni à un appareil de
solidification des identifications. Une fois que le sujet a trouvé
un apaisement dans un cadre discursif qui se soutient du langage commun, le praticien orienté par la psychanalyse s’applique à défendre la singularité qui résiste au code de l’Autre. Il
tente de lire lalangue qui précède la parole du sujet, lettre qui
lui permettra de nouer un lien symptomatique qui se passe de
l’institution en tant qu’incarnée par le maître.
Pour terminer, rappelons cette définition mobile que
nous avons donnée de l’institution. L’analyste transporte son
discours dans sa valise. Il l’installe là où il est et, par son éthique, qui consiste à écraser l’universel par le singulier7 il vise le
point Un-tout-seul qui échappe à l’institution. Par conséquent,
tous les collègues sont invités à participer aux simultanées cliniques de PIPOL 6, même si leur institution se limite au divan8.
Informations pratiques
Quand l’Un-tout-seul rencontre un autre
Nous savons, depuis PIPOL 5, que le cas exposé dans
nos colloques n’existe pas comme tel5. C’est une construction
du praticien, et le praticien y est présent comme Velázquez
dans Les Ménines. Reste à savoir s’il est présent par son fantasme, ses idéaux, et ses identifications, ou au contraire par
son style le plus intime, déterminé lors de la rencontre traumatique du signifiant avec le corps. À partir du moment où le
praticien commence à avoir un écho de sa singularité la plus
privée dans le cadre de son expérience de la psychanalyse, il
peut creuser une place et manier la singularité du sujet qui lui
parle. C’est dire que le travail en institution se pratique à partir
de ce que l’expérience de la psychanalyse enseigne au praticien
sur son rapport le plus authentique au réel. Ce rapport aux singularités et au réel, allégé des défenses, lui permet, selon le cas,
de renforcer l’arrimage du sujet à l’Autre de l’institution quand
il le faut, ou bien de soutenir chez le sujet un travail sur la lettre,
une élaboration de sa lalangue, afin de border la jouissance qui
l’envahit6.
5 MILLER J.-A., « Parler avec son corps », Mental n°27/28, septembre 2012.
6 CAROZ G., « Introduction aux simultanées cliniques de PIPOL 6 », PIPOL
Toutes les séances simultanées se dérouleront le premier jour du congrès, soit le samedi 6 juillet 2013, de 10h à 13h
et de 15h à 18h. Les textes peuvent être écrits et présentés dans
une des cinq langues du congrès : anglais, français, espagnol,
italien et néerlandais. Ils sont à envoyer d’ici le 16 avril 2013
à minuit à Laura Petrosino, secrétaire des simultanées ([email protected]), et à Gil Caroz ([email protected]). Les
textes sélectionnés seront travaillés avec des « mentors », afin
de permettre à chaque orateur de prendre la température de
l’Autre et d’affiner son travail avant le Congrès.
Quelques indications techniques concernant le texte :
L’ensemble ne doit pas dépasser les 9000 signes, espaces compris (15
minutes de parole).
Caractères : Times New Roman.
Taille de police : 12
-
NEWS 2, 01-11-2012. http://www.europsychoanalysis.eu/index.php/site/
page/fr/7/fr/bulletin/#article-box-155.
7 LACAN J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 16.
8 BASSOLS M., « Présence de l’institution dans la clinique », PIPOL NEWS
4,13-11-2012 http://www.europsychoanalysis.eu/index.php/site/page/fr/7/fr/
bulletin/#article-box-157.
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ÉLECTRO-CIEN ↘ Numéro 95, janvier-février 2013
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Format du fichier : Document Word 97-2003
Nom du fichier : NOM-LANGUE (par exemple : COHEN-FRANÇAIS)
En haut de la première page, centrés : Titre du texte et en dessous vos
nom et prénom.
Gil Caroz
Concernant les Simultanées cliniques de PIPOL 6
Question du CIEN, réponse de PIPOL 6
Cher Gil Caroz,
Ce mot dans l’après-coup de ma lecture de «l’appel à
contributions pour les simultanées cliniques de PIPOL 6 ».
De nombreux professionnels de différentes disciplines, qui travaillent dans les laboratoires du Cien, pourraient
être à même de témoigner de la façon dont leur expérience analytique les conduit à appuyer leur action sur la prise en compte
du réel en jeu pour chaque sujet dans les institutions dans lesquelles ils interviennent. Cependant, ils n’y interviennent pas
en tant qu’analystes et ne pourront illustrer leur expérience à
partir de cas ou d’événements cliniques, mais plutôt à partir
de ce que nous nommons des «vignettes pratiques» tirées des
lieux dans lesquels ils exercent, en tant qu’enseignants, éducateurs, AVS, magistrats, etc.
Accueillerez-vous des contributions de ce type ?
Trouvez-vous pertinent que nous relayions votre appel auprès
des professionnels de différentes disciplines qui travaillent
dans les laboratoires du Cien en les incitant à proposer des
contributions pour ces simultanées ? Ou l’accent est-il mis ici
exclusivement sur la clinique ?
Vous remerciant pour votre réponse, qui nous permettra d’orienter notre action au mieux,
Bien cordialement,
–Agnès Giraudel–
Présidente du Cien
Merci de votre mail et de votre question qui me permet de préciser certaines choses.
Nous porterons un intérêt lors des simultanées de
PIPOL 6 sur le travail de praticiens orientés par la psychanalyse en tant qu’ils sont analysants. Le terme « psychanalyste »
que j’ai utilisé à certains endroits de l’Appel à contributions est
à comprendre comme la substance qui cause le désir pour la
psychanalyse chez chaque praticien. Il ne s’agit pas de témoigner d’interventions qui se font « en tant qu’analyste », ce qui
est du côté de l’être, mais d’interventions qui s’appuient sur le
fait qu’il y a du psychanalyste dans ce qui oriente l’action de
l’analysant.
Les propositions de contributions doivent donc
répondre à trois conditions :
1 Qu’il s’agisse d’un praticien analysant, qui témoigne
des effets de son analyse sur sa pratique. Cela va de celui qui
débute son analyse, jusqu’à celui qui l’a terminée. Car comme
les AE nous disent souvent, on n’arrête jamais d’être analysant,
ne fût-ce que par l’auto-analyse, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y
pas de différence entre le début et la fin.
2. Qu’il s’agisse du témoignage d’un travail avec un
sujet, et non de considérations générales sur la pratique.
3. Qu’il s’agisse d’une pratique qui fait usage d’un dispositif institutionnel.
Pour répondre à votre question : aux côtés des travaux
d’un grand nombre de cliniciens qui travaillent dans des institutions de soins, nous accueillerons aussi certaines contributions de professionnels qui travaillent dans les laboratoires du
Cien qui peuvent témoigner, comme vous dites très bien « de
la façon dont leur expérience analytique les conduit à appuyer
leur action sur la prise en compte du réel en jeu pour chaque
sujet dans les institutions dans lesquelles ils interviennent ».
Vous pouvez donc inciter des professionnels de différentes disciplines qui travaillent dans les laboratoires du Cien à
proposer des contributions pour les simultanées de PIPOL 6.
Cordialement,
Directeur de PIPOL 6
EuroFédération de Psychanalyse
BULLETIN
ÉLECTRONIQUE
DES LABORATOIRES
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directeur des journées
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Merci à tous ceux qui ont contribué
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–Gil Caroz–
Chère Agnès Giraudel,
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