Bulletin électronique des laboratoires

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Bulletin électronique des laboratoires
-CIEN
Bulletin électronique des laboratoires
Electro-CIEN numéro 84 – Juillet 2011
Clins d’œil sur les journées : – Dans l'après-coup de PIPOL5 : « "Y mettre du sien" plutôt qu’"introduire la bonne distance" »,
par Fr. Bornet p. 2 ; « De la séance au contrôle : travailler à viser le point juste », par Ch. Page p. 3 – Après-midi inter-laboratoires à
Tournai : « Rencontres inédites », par J.-J. Manicourt p. 3 ; « Un petit caillou », par J. Dhéret p. 5 ; « Sur la fraîcheur », par Ph.
Cousty p. 5 – Á propos de la Journée de l'Institut de l'Enfant : « Peurs d'enfants », par A. Chottin p. 5.
Inventions,
travaux des lab. : « Comment se débrouiller avec le réel », par M. Dufour p.6 – « Conversation au lycée
professionnel d'Angoulême », par M. Variéras et N. Gilard p. 8.
Eclairages sur l’actualité, notes de lecture… : « Une politique du hors-sens en acte », par Cl. Valette-Damase p. 9 ;
Catherine Henry à Nancy : « Professeur, "un état d'éveil et d'incertitude à la fois" », par Fr. Labridy p. 10 ; « Le gamin à vélo », par
S. Dauguet p. 11.
Nouvelles des stages de formation inter-disciplinaire : « Première session du stage de formation interdisciplinaire à
l'ITEP de Morcenx », par M. Roy p. 12.
Messages : « Le retour de la clinique des comportements-problèmes », par K. Jeannot p. 13.
Edito
Au cœur de l'été, « le désir d'apprendre et le désir de faire savoir, nouage qui se situe au cœur de
l'expérience analytique »1 est plus vif que jamais dans les lab. Jean-Jacques Manicourt fait rebondir la
question à l'origine d'une après-midi inter-laboratoires à Tournai. « Allons-nous continuer à rester entre nous,
alors que les neurosciences et leurs prosélytes zélés entrent dans les écoles ? » Réponses, plumes en mains de
Jacqueline Dhéret et Philippe Cousty. Au laboratoire d’Angoulême, même désir décidé de se risquer à la
rencontre : une conversation s’engage avec le personnel du lycée professionnel. Monique Variéras et Nadia
Gilard nous en adressent quelques échos.
Les participants des laboratoires sont les guerriers appliqués de la lutte contre « la destitution subjective
réelle », une tendance de notre époque, dont Éric Laurent souligne qu’elle est directement issue de l’illusion
scientiste2. Prenant le contrepied de cette lâcheté, certains misent sur la vie et agissent afin de « faire face au
réel en jeu » pour chaque enfant. Ainsi, au lab. de Cahors, comme l’indique Michèle Dufour. Dans cette
logique, les formateurs à l’ITEP de Morcenx enseignent de quelle façon ceux qui travaillent en institutions
peuvent, s'ils y sont attentifs, saisir ce qui s'invente pour un sujet sur le versant de la psychose : « Les enfants
mettent les intervenants au pied du mur d'apporter des réponses […] », écrit Maryse Roy. Trouver, sans
délai, avec chaque enfant, l'abord favorable pour opérer, afin que chacun ait une chance de dire et de faire
bord au gouffre auquel il est confronté, tel est le défi à relever.
Les rebonds de PIPOL 5 sont autant de traductions, selon le style propre à chacun, de messages reçus du
premier congrès de l’Euro-fédération de Psychanalyse : y mettre du sien, s’inclure dans le tableau, comme le
peintre Velasquez dans Les Ménines, ainsi que le soulignent Frédérique Bornet 3 et Christiane Page.
Témoigner, traduire… c'est à une rentrée engagée qu'Electro-CIEN vous convie, après la coupure du mois
d'août, en vous souhaitant un bel été. – Agnès Vigué-Camus
1
Giraudel A., « Lettre de la présidente », Electro-CIEN spécial, avril 2011.
Laurent É., « Les séductions de l’illusion scientiste », PIPOL News n°51.
3
Fr. Bornet se réfère (cf. son texte p. 2) à l’intervention de Jacques-Alain Miller qui clôtura Pipol 5, le 2 juillet dernier.
2
1
Clins d’œil sur les journées
---------------------------------- Dans l'après-coup de PIPOL 5 -----------------------------Le premier congrès de l'Euro-fédération de Psychanalyse a eu lieu les 2 et 3 juillet à Bruxelles sur le thème
« La santé mentale existe-t-elle ? »…
"Y mettre du sien" plutôt qu’"introduire la bonne distance"
Écrire quelques lignes pour Electro-CIEN, alors que j’ai pris très peu de notes, est une difficulté et un
avantage. J’ai mesuré la chance que j’avais de me trouver parmi les 1550 participants à ce congrès.
L’organisation fut formidable, les journées sous le signe du travail dans la joie et le sérieux. La barre fut mise
haut : la psychanalyse est aujourd’hui sur le devant de la scène européenne, mais aussi internationale dans
ses rapports avec la santé mentale en question dans ce congrès. L’orientation de ces journées fut clinique et
politique, l’exposé introductif de Gil Caroz en plénière, et l’intervention de Jacques-Alain Miller, ont été
particulièrement saisissants.
G. Caroz nous a fait part, avec une grande précision, des visées de la Fédération Mondiale de la Santé
Mentale, organe attaché à l’OMS. Il a mis en tension la « bonne santé mentale » au service de l’ordre public et
la place de la « dinguerie » que la psychanalyse tente d’aménager pour chacun. Il nous en a rendu visible
l’abîme que J.-A. Miller a désigné en annonçant PIPOL 6. La psychanalyse a à faire avec « le parlêtre de
nature », « le corps ne parle pas, il jouit en silence, mais c’est à partir de ce corps que l’on parle ». J.-A.
Miller dit encore que « la jouissance demeure insoluble » et que « le corps jouissant exclut le mental ». Estce que le DSM 5, annoncé en 2013 et qui voit la population considérée comme pathologique sensiblement
augmenter, ne tend pas à rendre soluble la parole par la consommation de médicaments en faisant taire les
corps ?
Des cent-vingt exposés simultanés de cliniciens, chacun a pu entendre seulement quelques échanges
d’expériences, tous riches et denses. J’en retiendrai un, celui de Monique Amirault : « La santé mentale de
l’analyste, c’est son inhumanité ». Le titre énigmatique s’est éclairé lorsqu’elle présenta la vignette d’une de
ses analysantes. Le désir de l’analyste commence là où son vouloir s’arrête. Les bonnes intentions en
analyse, ça ne marche pas.
M. Amirault fait de « l’inhumanité » une condition du respect absolu de l’altérité. Le dictionnaire
Larousse donne cette définition laconique d'« inhumanité » : « manque d’humanité ». Or, l’analyse dévoile
quelque chose du semblant et du manque dans le rapport à l’autre, inclus dans la définition de
« humanité » qu’en donne le Larousse : « disposition à la compréhension, à la compassion envers ses
semblables ». Quand M. Amirault l’énonce, c’est en résonance avec sa propre analyse.
Ce point a été particulièrement vif au fil des exposés des cas cliniques et mis en exergue par J.-A. Miller,
rendant vivant le tableau de Vélasquez, Les Ménines. Le pinceau à la main, comme le peintre, « le
psychanalyste est lui-même inclus dans le cas clinique ». La santé mentale, elle, relève toujours du discours
du maître. C’est par l’emprise du maître sur la science que la santé mentale est prônée, diffusée, « y compris
dans les psychothérapies ». Si la santé mentale prône le bonheur pour tous, la psychanalyse est, elle,
"démassifiante" et a une exigence de singularité.
Je sors de ce congrès, avec cette exigence aiguisée à l’endroit de l’Institut de travail social où j’enseigne.
La santé mentale occupe le terrain dans les référentiels de formation et les « bonnes pratiques ». De
nombreux signifiants maîtres saturent les discours et court-circuitent la pensée. Ainsi, celui de « bonne
distance », qui circule chez les travailleurs sociaux, pourrait se traduire par la « bonne intention » d’un
détachement par rapport au vouloir, à l’humanisme, ce qui n’est pas souvent le cas. Se régler sur cette soidisant "bonne distance", pourrait bien être, pour l'intervenant, façon de se mettre en position de détenir un
savoir sur l'autre.
Frédérique Bornet
Laboratoire en formation « Ces brins de rencontre »
2
De la séance au contrôle : travailler à viser le point juste
Il est rare d’aborder de cette manière, comme dans PIPOL 5, la question de l’analyse par le biais des effets,
pour la cure, de la parole de l’analysant sur l’analyste.
Quelques points que j’ai retenus.
Ce que l’analysant éveille chez l’analyste, quand ce dernier est concerné (au point d’y être absorbé) par la
question de son analysant, peut faire dévier, échouer, piétiner, le travail (parce que cette question est — ou a
été la sienne — et donc, il a, ou croit avoir, des pistes de réponses, voire, La réponse). Plusieurs ont souligné
ce qu’un analysant est venu réveiller en eux et comment le contrôle, jouant un rôle de garde-fou, leur a
permis de (re)trouver le chemin « d’une écoute active sans chercher nécessairement une réponse » (c’est à
l’analysant de l’inventer). D’autres ont évoqué la nécessité de « ne pas s’occuper de la vie des gens, se
déprendre de l’humanité des idéaux du discours commun » (donc de l’idée de faire le bien de l’autre ?) et
d’aller vers « une inhumanité de l’analyste ». N’est-ce pas, tout simplement, renoncer à faire de la
psychologie et abandonner une forme de complaisance vis-à-vis de soi-même et peut-être de l’analysant ?
Une autre évoquait « la jouissance à laquelle on renonce en même temps qu’on conquiert un nouveau
savoir » : cela me paraît formuler très justement ce dont il est question dans le travail de l’analysant aussi
bien que du psychanalyste, tous deux étant impliqués dans l’expérience, même si c'est à des endroits
différents.
L’analyste marque de son sceau les analyses qu’il conduit dit Jacques-Alain Miller (pour ma part, je
pense que c’est pour cela que parfois on change d’analyste : on n’accepte pas n’importe quel sceau…), le
grain de folie est du côté de l’analyste et « exposer un cas clinique comme si c’était celui du patient, c’est
une fiction et le résultat d’une objectivité feinte ». Les hypothèses que le psychanalyste élabore sont-elles
donc, comme pour l’historien de La Nausée « des hypothèses honnêtes et qui rendent compte des faits : mais
[dit-il] je sens si bien qu’elles viennent de moi, qu’elles sont tout simplement une manière d’unifier mes
connaissances […] les faits s’accommodent à la rigueur de l’ordre que je veux leur donner 4 » ? Si, comme
Michel Vinaver (dramaturge) l’affirme, l’« on est subjectif comme on respire », le psychanalyste, au moment
de l’acte, doit se garder de cela. D’où l’importance du contrôle, qui travaille à viser le point dont il s’agit
pour l’analysant, au-delà de ce qui peut concerner l’analyste.
Christiane Page
Laboratoire « L'Es-cale »
--------------------------- Après-midi inter-laboratoires à Tournai ----------------------Trois laboratoires se sont rencontrés, animés par le désir de prendre à contre-pied un thème ressassé : la
violence à l'école. Pari réussi, à lire les réponses apportées par les participants…
Rencontres inédites
Le samedi 4 juin, se sont rencontrés à Tournai les laboratoires de Bruxelles, Lille et Tournai. Sur le thème
de ladite violence et sous le titre « Des réponses inédites » – titre fort ambitieux, à entendre au sens où ces
réponses n'étaient pas écrites à l'avance –, les intervenants des différents laboratoires nous ont rapporté leurs
impasses parfois, leurs bricolages, leurs différentes modalités de réponses à la violence ; des réponses non
indexées à un trouble du comportement, pour reprendre un mot de Philippe Cousty.
Dans son introduction, Guy Poblome nous a indiqué que cet après-midi faisait suite à un « coup de
gueule » : quand les neurosciences et leurs prosélytes zélés entrent dans les écoles, dans les Centres PMS
(Psycho-Médico-Sociaux) avec leurs protocoles qui réduisent l'enfant à l'écart qui le sépare de la norme, que
faisons-nous au laboratoire CIEN de Tournai ? Allons-nous continuer à rester entre nous ? C'est ainsi qu'une
participante du laboratoire de Tournai poussa son « coup de gueule » à l'initiative de notre rencontre. Pour ne
pas rester entre nous, nous avons invité outre les publics « attendus » de nos laboratoires, un public extérieur
à notre champ, qui ne nous connaît pas et que nous ne connaissons pas.
Nos réponses sont parfois normatives. Á Anthony, qui refuse de participer aux activités de la classe de
découverte – planter une graine –, Martine Drodzinsky, du laboratoire de Lille, Ce que parler veut dire,
adresse dans un premier temps cette réponse : « Tu feras l'activité comme tout le monde », moyennant quoi,
4
J.-P. Sartre, La Nausée, Paris, Gallimard, 1963, p. 26.
3
Anthony la frappe. Mais Martine ne retient pas seulement le coup qu'elle reçoit, elle entend aussi ce
qu'Anthony rétorque quand une demande trop directe lui est adressée (« fais tes lacets, passe-moi la balle,
etc. ») : « C'est toujours moi qui prends. » Pour le coup, c'est elle qui prend. Pour que ce ne soit pas toujours
Anthony « qui prenne », ou son interlocuteur, Martine va opérer un petit détour. D'abord, elle ne cède pas sur
son désir quand, à la rentrée, la direction trouve préférable qu'Anthony ne fréquente plus sa classe ; elle
insiste pour poursuivre un travail avec ce jeune. Ensuite, constatant qu'il est un enfant expert, brillant, qui
s'intéresse de près à la grammaire, à la langue française, au corps de cette langue, elle le nommera « mon
petit expert de langue ». En outre, elle lui laissera la latitude qui convient pour dire « non ». Autant
d’occasions pour lui de – je cite Jacqueline Dhéret : « planter un non (un nom ?) »
Convenons qu'être « un petit expert de langue », c'est autre chose que d'être « comme tout le monde ». Ce
petit détour par une nomination singulière va se révéler être un appui pour Anthony qui trouvera dans cette
opération matière à s'apaiser, une place à laquelle il ne se sent plus assigné. De cette place où il peut dire non
– je ne veux plus être celui qui prend toujours –, il prendra le chemin des apprentissages. Il plantera ses
graines.
Régine Carpentier, enseignante qui participe au second laboratoire de Lille, Répondre, ne cède pas non
plus sur son désir d'enseigner. Elle propose à ses élèves de 1 ère ES une lecture de Baudelaire. À la question de
ce que représente la chevelure de la femme pour Baudelaire, une étudiante, Fanny, répond : « Il n'en peut
plus, il est excité. » Ce n'est évidemment pas le type de réponse qu'attendait Régine. Elle s'en étonne, la
crudité du propos l'interroge. La réponse est singulière et semble manquer du voile propre au poète. Une
conversation dans le laboratoire de Lille laisse l'enseignante irritée et perplexe avec cette question qu'elle met
au travail : qu'est-ce qu'enseigner la littérature, s'il faut pour cela, je la cite, « mettre de côté ce qui est
trouble » ? Elle ne renonce pas à parler de Baudelaire dans sa classe.
Ici, la violence du propos de l’étudiante fait écho à celle ressentie à la lecture de Baudelaire – « extrême
solitude de cette lecture » pour Ph. Cousty où, pour le dire à la manière de G. Poblome, « la chevelure toise
le sujet dans son rapport au sexe ». Fanny est une jeune fille « trop dramatiquement freudienne », qui
dénonce la jouissance de l'Autre, ajoute J. Dhéret ; qui néanmoins nuance : le « il est tellement excité qu'il
n'en peut plus » est déjà un voile jeté sur l'horreur et l'enseignante l’a bien saisi car elle se garde de pousser la
jeune fille à la « confession de l'intime », à l'aveu – autre mot employé par J. Dhéret – pour, il me semble,
désigner ce signifiant moderne, la transparence. À cette transparence, R. Carpentier préfère le voile, la
poésie, Baudelaire. Nul doute que c'est également le cas de Fanny.
Adrien hurle mercredi après mercredi que le désir de l'Autre, énigmatique, le ravage et le détruit : « T'es
payée pour ça, sale pute », « Tu vois pas que tu me saoules avec tes paroles ? » Dès qu'Adrien rentre de
l'école, il jette son cartable, « jette son habit » (Ph. Cousty) et l'éclatement de commencer : vociférations,
insultes adressées à quiconque lui adresse la parole. Les interventions sont sur le fil, échouent à apaiser la
plupart du temps ; Adrien en témoigne : « Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir faire ? »
Sylvie Nounckele, du laboratoire de Tournai, pense qu'il y a quelque chose à faire hors champ de la
parole puisque lui parler le saoule. Elle repère que seul un événement impliquant son corps – qui ne cesse de
convoquer l'angoisse de l'autre, indique J. Dhéret – stoppe le déchaînement : une vitre qui se fracasse, une
chute sur la tête... Alors Adrien demande à quitter les lieux ; il rassemble ses affaires et dit : « C'est mieux. »
Le lieu où il prend son repas est menaçant. Il indique sa solution : extraction de ce lieu où ça parle trop ; S.
Nounckele lui propose alors d'aller manger à la friterie de l'autre côté de la frontière, en France. Il n'est pas
dupe de l’extraction mais il consent. Certes, comme nous le dit Sylvie, « il faut la jouer serrée », l'Autre est
toujours suspect. Néanmoins, petit à petit, Adrien accepte le pas de côté. L'école aussi est une indication du
traitement. C'est un lieu où le silence est de mise.
À ce qu'il adresse à l'intervenant : « Qu'est-ce que tu vas bien pouvoir faire ? », S. Nounckele répond :
« Allons manger des frites » ; ce qui vide un peu le trop d'intention qu'Adrien attribue à l'Autre.
Maud Ferauge, du laboratoire de Bruxelles, travaille dans un Centre PMS. Elle y reçoit Sélim, enfant de
l'école primaire, qui est craint de son institutrice et de ses camarades de classe. Le moindre « non » l'agite :
« Il se roule par terre et pleure à n'en plus finir. » Le travail s'organise autour d'un jeu. Maud accepte d'être
celle qui, toujours, perd, prenant la barre sur elle. Et quand Sélim quitte le bureau en prélevant un objet –
alors même que Maud avait refusé le « marché » qu’il lui avait proposé, refusant par là de se laisser situer sur
l’axe imaginaire –, et qu’il le montre à l’institutrice désabusée, elle ne répond pas du côté du cadre : « Il le
ramènera la prochaine fois. » C’est une « réponse qui ne vaut pas pour tout le monde, une de ces chicanes, de
ces complications » selon J. Dhéret, qui opère, qui traite l'affolement. Une réponse inédite. Petit à petit, lors
de ces rencontres, je cite M. Ferauge, « Sélim trouve un espace où il peut sillonner sans être happé par le
4
discours de l'Autre ». L'institutrice de son côté trouvera également une réponse inédite, un bricolage
pacifiant, pour travailler avec Sélim : il reste en classe le matin et circule dans d'autres classes l'après-midi.
Cet espace où le sujet peut « sillonner, faire des chicanes » est aussi celui auquel le père de Sélim parvient
à s’adresser pour dénoncer l’école dont les remarques dans le journal de classe de son fils le visent, lui, tout
aussi bien. Maud a offert de « s’occuper de l’école », ce qui a permis au père de Sélim de venir parler de son
fils et de ses difficultés, introduisant ainsi une petite séparation.
Je voudrais conclure par un lapsus. Au moment de sauvegarder ce compte-rendu sur mon ordinateur, je
l'intitule « Rencontres inédites » au lieu de « Réponses inédites ». Gageons qu'outre les réponses inédites de
cet après-midi, des rencontres aussi seront à créditer au profit de l'inédit. J'aimerais aussi conclure par un
remerciement adressé à J. Dhéret et Ph. Cousty pour leurs éclairages
Jean-Jacques Manicourt
*****
Un petit caillou
Les intervenants des laboratoires du CIEN réunis à Tournai ont enrichi notre praxis par le ton résolument
personnel, engagé, que chacun s’est efforcé de soutenir dans son propos. Ladite violence, qu’est-ce que
c’est ? C’est la fureur de l’enseignant face à son impuissance, moment douloureux qui lui permettra ensuite
de ne « pas fuir la zone grise ». C’est la perplexité de l’institutrice, lorsque le signifiant qui vise l’enfant sur
son versant mortifère, se multiplie dans la classe. C’est le constat de cette autre enseignante qui déclenche,
sans le vouloir, une scène de violence, au moment même où l’activité est censée être pour tous aussi paisible
que bucolique ! Et la stupeur du professeur de Lettres qui ose l’érotisme de l’écriture de Baudelaire et reste
déconcertée par la crudité du commentaire de l’élève censée préparer l’épreuve du bac. C’est aussi
l’affolement face à Sélim, dont le père se sent persécuté par l’école, et l’angoisse de l’orthophoniste avec
Adrien, enfant gravement épileptique, qui ne sait pas comment faire avec son corps. Pour chacun de ces
enfants ou adolescents, c’est l’impasse de l’adulte qui a ouvert au repérage d’un point d’appui inédit,
protégeant l’enfant du réel.
Un point a attiré mon attention, un petit caillou que je conserve car il m’aide à saisir les difficultés
rencontrées dans le lien social par les adolescents et enfants d’aujourd’hui : actuellement, il est facile de
confondre la confession de l’intime, d’avec l’impossible à dire. Ce défaut de voile met à nu la confrontation
directe avec le silence horrible de la Chose. Ça hurle, le symbolique cloue, épingle. Ça s’enflamme.
Aucun des intervenants de cet après-midi stimulant n’avait oublié que ce qui ne peut se dire ou se
supporter, peut aussi mobiliser des formulations particulières. L’effet CIEN était à l’œuvre à Tournai, par ce
bel après-midi.
Jacqueline Dhéret
*****
Sur la fraîcheur
Cette après-midi qui fut de travail ne fut pourtant pas sans joie. Le thème pourtant ne semblait guère s’y
prêter. Mais il fut démontré que le travail dans le CIEN peut faire passer du pire au rire !
Il y a circulé le désir décidé d’intervenants ne voulant pas s’écarter de leur discipline et pour ce faire,
inventant dans le moment d’impasse de la rencontre une façon d’y faire qui résonne avec la singularité des
sujets qu’ils accompagnent.
Toujours à partir d’un point où leur savoir était pris en défaut, il n’y eut pas d’autre recours que de jouer
de sa présence, de sa voix, de son regard, du oui et du non de façon calculée propices au surgissement d’un
sujet qui prenne barre sur la pulsion de mort. Une éthique de la responsabilité en est la boussole : ne pas se
dérober au rendez-vous des impasses où les enfants ou adolescents nous convoquent.
Et le CIEN permit que cela fasse, dans cette après-midi, rebond pour un nouveau savoir encore inédit
jusque-là.
La présence d’un public attentif élargissant la fonction de lien social du laboratoire permit aussi que soit
démontré le don de parole. Les intervenants et l’assistance se séparèrent animés d'un nouveau souffle.
Philippe Cousty
5
------------------------ Á propos de la Journée de l'Institut de l'Enfant ----------------Où l'on découvrira avec bonheur les mésaventures métaphysiques d'un monstre assailli d'inquiétudes…
Peurs d'enfants
C'est l'histoire de la quête de Wujing, monstre vivant parmi les treize mille monstres du fleuve Sables
Mouvants, surnommé « Parle-pour-soi » parce qu'il passait sa vie à se ronger les sangs. Obstinément tiré par
sa question sur le sens de sa vie, Wujing sait que si les monstres ne sont pas humains c'est qu'un seul de leurs
attributs est développé à l'extrême, au point que l'équilibre avec le reste en est rompu : « S'obstinant chacun à
suivre ses seuls penchants, ils ne savaient pas qu'on parvient par la discussion avec autrui, à des conclusions
supérieures. Voilà pourquoi, dans les profondeurs des Sables Mouvants, des centaines de représentations et
de méditations métaphysiques flottaient sans se mélanger entre elles ; on y trouvait l'enchantement du
désespoir tranquille, l'inépuisable gaîté, les désirs sans espoir enveloppés de soupirs, ondoyant à l'infini telle
une forêt d'algues. »
Wujing deviendra humain après avoir tiré des monstres un savoir, et pourra alors poursuivre sa quête sur
la terre ferme.
Ce conte m'est revenu, au sortir de première Journée de l'Institut de l'Enfant qui a rempli le Palais des
Congrès d'Issy-les-Moulineaux.
Nous étions une foule – allégés de nos peurs d'enfants ? – à emporter la girafe chiffonnée du petit Hans,
une nouvelle fois dépliée dans nos feuilles et nos cahiers couverts de notes, et, autour d'elle, l'ours, la baleine,
le loup, le crocodile, les monstres, les fourmis et les pokemons apaisés. Au fil des heures les peurs se
déplaçaient, les limites métaphoriques des phobies, qui transforment l'angoisse impossible à supporter (Serge
Cottet), trouvaient de nouvelles traductions, accompagnant le sujet en proie à l'énigme qu'il est pour luimême quand il n'a pas de mots pour en répondre (Jacqueline Dhéret). Ici, de très jeunes enfants regagnaient
le sommeil, grâce à des aménagements entre espaces public et privé pour ce qui se montre et ce qui se cache
(Marie-Cécile Marty), bordant quelque chose de l'effroi que produit l'image en réintroduisant de la présence
(Philippe Lacadée). Là l’importance du franchissement d'un seuil était adouci pour une jeune-fille (Hélène
Bischoffe), là le maniement attentif du ton de la voix apaisait un très jeune enfant (Jean-Luc Mahé). Là
l’attention au traitement du regard allégeait le garçon qui avait peur de voir du monde (Agnès Giraudel), là
encore le réglage d’une distance vidait la présence de sa note persécutrice (Angélique Callewaert). Car
derrière la phobie se cache parfois un effondrement de l’être (Corinne Laurent), et dans le cas de psychoses,
la voix bienveillante peut permettre que se mette à jour la souffrance de voix persécutrices qui n’avait
jusque-là pas été reconnue (Sonia Chiriaco).
Une à une les interventions écartaient fermement la forêt d’algues, et de chaque peur un savoir était tiré,
dans le cristal de langue, celui-là même sur lequel Catherine Henri ne cède pas, parce qu’elle refuse
d’enseigner « sous anesthésie ». Alors demande-t-elle, dans ces cours où il n’y plus de corps et plus de temps
mort, de quoi les élèves ont-ils peur ?
Le thème de travail que Jacques-Alain Miller a lancé pour ouvrir à la deuxième Journée de l’Institut de
l’Enfant en 2013 –L’enfant et le savoir – nous convoque avec force autour de l’enjeu politique qui traverse
aujourd’hui les controverses du champ éducatif.
Ariane Chottin
Inventions, travaux des lab-oratoires
-------------------------------------- Au fil des réunions… -----------------------------------Au fil des réunions du laboratoire, le travail s'est élaboré à partir de la pratique de chacun, dont Michèle
Dufour, s'appuyant sur les écrits de Anne Delmas, Gilles Dufour, Isabelle Fredon, Michèle Cagnac, Sandra
Lipa, Odette Rouzières, Martine Viguié, Elisabeth Voillot, a extrait un enseignement précieux sur ce qui rend
possible, dans différents champs professionnels, une rencontre entre un adulte décidé et un enfant.
6
Comment se débrouiller avec le réel ?
Michèle Dufour, laboratoire « Le lieu et la formule » à Cahors
La rencontre dans tous ses éclats : que rencontre l’enfant d’aujourd’hui dans la modernité des diverses
formes d’agressivité ? Tel était le thème de notre laboratoire cette année. Nous avons essayé d’extraire un
point vif des situations qui y ont été présentées en suivant ce fil. Qu’est-ce qui fait qu’il y a rencontre ou pas
? Comment se laisser surprendre, saisir, par la nouveauté et la différence dont sont porteuses les pratiques
d’autres champs d’intervention que le sien propre ? Comment des enfants, des adolescents inventent leur
propre réponse, et comment chaque professionnel propose et soutient la sienne pour répondre, pour faire face
au réel en jeu, à ce qui fait impasse pour chacun ?
Nous avons pu remarquer que toutes nos impasses reviennent à cette question initiale : comment faire
sans se laisser prendre dans nos identifications multiples, nos interprétations, nos projections ? Il s’agit
d’arriver à lire la situation au plus près de ce qu’elle montre, de ce que les sujets disent ou expriment. «
L’enjeu n’est pas de mettre du sens mais de se faire partenaire de l’énigme de ce qu’ils sont. »5 Il y a le réel
du sujet et le nôtre, soit la rencontre de deux réels et son effet sur chacun de nous : dans un premier temps, un
point d’impasse que nous choisissons de mettre en lumière au CIEN, lors de nos conversations. De l’im-passe
à un passe, à un pas vers l’autre : c’est à partir de cette prise en compte qu’un déplacement a lieu dans la
conversation : celle-ci ouvre non seulement au réel de l’autre en ce qu’il a de plus étranger et singulier, mais
aussi à notre propre singularité. Car nous ne pouvons plus ignorer la question suivante : « pourquoi cela faitil impasse pour moi ? ». Ce changement de perception provoque dans notre discours une sorte de
« vigilance » à éviter de reproduire ces points de butée et de leur donner ainsi consistance. Du coup, cela
nous place face à une responsabilité que nous ne pouvons plus ignorer. Comment faire, c’est arriver à trouver
« le mode d’emploi » qui ne vaut que pour un et dans une situation particulière. Pour cela, le CIEN n’offre pas
de recette toute prête même pour un seul sujet. La conversation nous ouvre au réel de l’autre à partir duquel
nous avons à nous placer différemment dans le discours pour défaire le nœud du point de butée. Cela ne va
pas sans « ratés », cela n’est pas facile, cela demande en permanence de s’interroger sur ce que nous devons
dire ou faire tout en respectant le sujet qui se trouve devant nous. […]
Pour lire le texte de M. Dufour dans son intégralité et découvrir les nombreuses situations travaillées dans le
cadre du laboratoire de Cahors, « Le lieu et la formule », merci d’utiliser le lien suivant (CTRL + clic) :
Lire le texte de Michèle Dufour
--------------------------------------- Une conversation ---------------------------------------Le lab. de Saintes décline à sa façon l'offre de conversation dans les établissements scolaires. Comment se
faire entendre à l'école ?6 Une interrogation qui engage tout à la fois les professionnels qui la soulèvent et
ceux qui tentent d'y répondre.
Conversation au lycée professionnel d'Angoulême
Laboratoire « Si ça te prend la tête » à Saintes
Installer la conversation, dans l’esprit du CIEN, relève de la performance en ce qu’elle crée la surprise,
l’inédit par l’art de la parole. Performance, aussi bien parenthèse inventive, réserve de ce qui ne se laisse pas
réduire à l’ordre des choses établies, à la norme, faisant gonfler les voiles d’un idéal pour tous. Parenthèse
qui réinsère un temps médian, une pause, un temps élargi, là où il est réduit par l’inscription de coachs de
tous horizons, parenthèse entre l’instant de voir et le temps de conclure. Cornélius Castoriadis, en 1980,
parlait « d’une société de l’immédiatement faisable », précisant qu’il n’y avait plus de temps entre la
découverte et son application.
Le labyrinthe se resserre et se dessine avec multitude de voies sans issue, où l’erreur mène à l’errance,
prise dans la fascination des diktats de la science, des technologies et de la finance, exerçant un pouvoir
magique sans efficace au regard des promesses de bonheur, et par des solutions accrochées à l’objet,
décrochées du sujet.
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Stavy Y.-C., Atelier clinique « Symptôme et ravage » du 26 mars 2011, à Cahors.
CIEN, Comment se faire entendre à l'école ?, 2008, CCEREN, CDRP, Acquitaine.
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Vouloir restaurer l’autorité d’antan à tout prix squeeze la prise en compte de ces différents paramètres de
notre mutation. La question de l’autorité est un brûlot dans la sphère concernée par l’éducation : la famille,
l’école, les institutions qui reçoivent les enfants.
Ainsi, nous sommes allés converser sur l’invitation du Lycée Professionnel d’Angoulême, car, là, les
manifestations de décrochage et de violence mettent à mal l’autorité qui bat de l’aile dans la nostalgie de la
loi du père. Concept usé ou à réinventer pour sortir de l’aliénation, l’espace offert par la conversation engage
la possibilité d’un desserrage du couple autorité/coercition, par le déplacement vers les questions de la
responsabilité et de l’agressivité qui se posent dans des inter-relations particularisées entre adultes et enfants.
Ceci à condition de prendre en main le paradoxe entre un traitement particulier de chaque cas, et les
contraintes législatives et administratives, pour un bon usage des règles, d’une autorité en appui à
l’éducation.
Monique Variéras
*****
Nous avons constaté que dans notre lycée professionnel, les élèves avaient un comportement qui nous
dépassait : grand absentéisme, cours à la carte, violence, indifférence à l’apprentissage, langage et
comportement que beaucoup d’adultes ne comprennent plus ainsi que découragement d’une grande majorité
de l’équipe éducative. Une demande des professeurs est notée. J’ai donc eu l’idée de contacter le CIEN, et de
faire appel à Monique Variéras et Claude Epsteyn.
L’entrée du discours de la psychanalyse par la voie du CIEN, dans un lycée n’est pas chose aisée, la mise
en place d’une conversation a pris plus de neuf mois. Les réticences sont compréhensibles, mais elles sont
aussi l’effet d’un système clos dans lequel nous fonctionnons.
Les relations entre les élèves d’un « nouveau monde » et les professeurs d’un « monde passé » – où les
règles demandées sont appliquées, où quand on tape du poing sur la table, tout le monde obéit – sont
devenues difficiles. Ce jour-là étaient présents : deux professeurs, l’animateur culturel, un conseiller
principal d’éducation, trois agents (femmes), la documentaliste, la coordinatrice technique d’insertion (CTI),
la secrétaire de direction, la magasinière de l’atelier. Pour la première fois, quasiment tous les métiers du
lycée se rencontraient. Il me semblait nécessaire de proposer la conversation à tous, afin que nous ayons
différents points de vue.
La question de départ est : quelle position avoir, en tant qu’adultes, face au groupe adolescents ?
Dans un premier temps, chacun se présente. Puis la conversation est lancée. « Des élèves choisissent leur
cours, des élèves d’un milieu très défavorisé, on ne peut pas les éduquer normalement… ». L’expression
questionne M. Varieras et C. Epsteyn, « éduquer normalement ». « Qu’est l’éducation normée ? » L’appel à
la règle, semble pour la plupart des personnes présentes, une nécessité, l’autorité à tout prix, légitimée par le
sens des valeurs.
C. Epsteyn fait remarquer que « les valeurs peuvent être fondées sur nos pires côtés, les plus opaques de
nous-mêmes », « d’autant qu’elles sont prises comme vérités, ce qui les fait tenir », précise M. Variéras.
Un exemple est ensuite rapporté, celui d’un élève roué de coups sur le parking, seul contre une dizaine,
pour avoir demandé des comptes sur la détérioration de son scooter. La majorité des élèves interrogés sur ce
fait disent que cela est mérité et sont spectateurs de cette violence. Comment faire entendre aux élèves qu’ils
ne font pas forcément un bon choix. Que faire ? Que dire ?
Quelqu’un ajoute que « nous ne parlons plus la même langue, que nous ne nous comprenons plus ».
L’indifférence des élèves est soulignée.
C. Epsteyn, M. Variéras avancent des mots comme la « peur », la « déception ».
Ils précisent que « l’adolescence est un bouleversement fondamental, cet aspect n’a pas changé ».
Un agent appuie cette séparation des deux mondes par le fait que les élèves ont déserté la cour, suite aux
interdictions de fumer, et du coup, il n’y a plus de contacts entre les adultes et les adolescents. Un professeur
acquiesce et ajoute que le fait d’interdire l’accès de la salle des professeurs aux élèves ainsi que le fait de les
faire se ranger dans des emplacements tracés au sol par classe, la dérange. Comment réclamer de
l’autonomie alors qu’on impose des schémas ?
Je souhaitais qu’une présence extérieure permette au groupe, non convaincu, de réaliser qu’être dans
l’opposition n’apportait rien, que l’autorité voulue n’était pas forcément la solution. La parole de nos invités
a secoué le monde clos de l’école. Mon pari en les invitant est gagné. J’ai regretté pourtant qu’il y ait une
quasi absence des professeurs, mais après réflexion, je me dis que leur absence a permis que la parole se
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libère au sein de toute l’équipe, et je ne suis pas certaine qu’au milieu d’une dizaine de professeurs, les nonenseignants se soient exprimés.
Je constate un dialogue différent avec les agents, je tenais à leur présence, il fallait qu’ils soient
reconsidérés, ils font partie intégrante du lycée et sont vus très souvent par les élèves comme
des travailleurs, ils n’ont pas le réflexe d’aller parler avec eux ou de partager du temps auprès d’eux. La CTI
a apprécié l’échange et retenu que l’important est de restaurer la confiance dans la parole.
L’animateur culturel pense que cet « échange nous a permis de sortir de notre champ de vision et de
construire une passerelle entre deux approches de l’environnement scolaire, qui invite à une autre
conversation. L’échange est sans empathie, ce qui oblige à un grand dépouillement de la pensée. Ce pallier a
pu demander du temps. Une fois franchi, le niveau d’écoute change et permet d’entendre une démarche qui
n’est pas une quête de solution. »
La parole peut beaucoup, je crois en la parole. Mon expérience de professeur me montre son importance
tous les jours. Cette conversation est un pari réussi selon moi. Je n’avais jamais connu cette expérience et je
l’ai trouvée passionnante, c’est ce que j’attendais.
Nadia Gilard
Eclairages sur l’actualité, Notes de lecture…
Claudine Valette circule d'un pas alerte entre le congrès de l'Euro-fédération de Psychanalyse et une
représentation théâtrale donnée par « La Compagnie des Chuchoteurs »… Un parcours logique.
Une politique du hors-sens en acte
Jacques-Alain Miller dans sa conférence « Santé mentale et ordre public » définit ainsi la santé mentale,
« La santé mentale n’a pas d’autre définition que celle de l’ordre public ».
Lors de la rencontre PIPOL 5, chacun a pu entendre qu’avec la psychanalyse lacanienne, la politique de
santé mentale n’existe pas. Le discours analytique a inventé la politique du "ça ne va pas", du symptôme.
Dans l’après-coup du Premier Congrès Européen de Psychanalyse PIPOL 5, m’est revenu en mémoire, la
dernière représentation de « La Compagnie des Chuchoteurs », Pas si loin du Japon en résonance avec les
Simultanées de PIPOL 5, qui eut lieu lors d'une après-midi préparatoire à PIPOL 5, organisée par l’Association
de la Cause freudienne Massif Central avec le RI3 et le CIEN.
Pour être à la hauteur de cet événement, l' ACF-MC avait invité, entre autres, La Compagnie de théâtre des
Chuchoteurs dont les sept comédiens sont des sujets psychotiques accueillis au CTR (Centre thérapeutique et
de recherche) de Nonette.
Le discours analytique oriente l’expérience du Centre et la vie de chacun dans cette institution, fondatrice
avec deux autres, Le courtil et l’Antenne 110 du RI3. La compagnie des Chuchoteurs et ses créations sont un
des effets de cette politique du hors-sens qui s’enracine dans l’enseignement de Lacan et plus
particulièrement dans son Tout Dernier Enseignement.
La Compagnie de théâtre des Chuchoteurs se présente ainsi : « Attention fragile, moments de suspension,
le théâtre comme un voyage.
Des corps lourds, contraints, ou au contraire presque flottants arpentent la scène. Des voix se risquent, sur
un fil, comme dans un souffle.
Ici, pas de grandes histoires, juste des fragments, des éclats de vie.
La Compagnie des Chuchoteurs vous offre ses petites pierres taillées, ses pépites d'émotions brutes.
Heureuse rencontre donc ! »
La mise en scène minimaliste prend sa source dans les inventions symptomatiques de chacun des sujets
psychotiques. Elle s’appuie sur les improvisations des acteurs faites de la fragilité des chuchotements, des
bribes de parole, des mouvements et déplacements des corps comme autant de traces de l’inexistence de
l’Autre. Les acteurs avancent sur la scène discrètement accompagnés des deux éducatrices qui les mettent en
scène, sans savoir pré-établi, ni intention ; seulement avec ce quelque chose qui les tient, un tracé opéré par
le trajet du corps dans l’espace, un chuchotement, des « trognons de parole » où l’ironie est présente.
Chaque spectateur a été touché, dérangé, ému jusqu’aux larmes ; les acteurs ont mis les spectateurs face à
l’extrême précarité et à la solitude d’une vie.
De la même manière que les analystes qui ont pu témoigner lors des Simultanées de PIPOL 5, de leur
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pratique en la nouant à leur propre expérience analytique, les acteurs de « La Compagnie des Chuchoteurs »,
ont fait vivre au public, au-delà de nos espérances, un moment inoubliable.
Dans cette représentation comme dans les interventions des psychanalystes à PIPOL 5, la singularité de
chacun – acteur, psychanalyste, « psychanalysant civilisé », spectateur – est convoquée pour dire la force
civilisatrice de l’orientation lacanienne.
Claudine Valette-Damase
--------------------------------------- Catherine Henri à Nancy -----------------------------Catherine Henri est venu parler de son dernier livre : Libres cours, à la librairie l'Autre-Rive, à Nancy, le
vendredi 17 juin, à l'invitation du laboratoire de Nancy « Corps vivants parlent à d’autres corps vivants ».
Professeur, « un état d'éveil et d'incertitude à la fois »
Pendant deux heures, Catherine Henri a présenté sa pratique avec les élèves, en répondant aux questions
de quelques membres du laboratoire du CIEN qui avaient lu son livre ainsi qu'à d'autres personnes venues
l'écouter. J'ai gardé ces quelques traces de son amour de la littérature, du texte, de la langue et des
adolescent(e)s.
« Leur faire aimer la littérature, leur faire aimer une oeuvre, un texte. Un texte n'est jamais un objet
extérieur. Chaque année, j'en cherche qui me touchent sans que j'en perce les mystères. Je cherche une
phrase, un mot qui les fera entrer en eux-mêmes. Ils n'ont plus le temps de se laisser transformer par la
littérature. Mais pour qu'ils puissent habiter un texte, encore faut-il que celui-ci vienne au bon moment :
« enseigner la littérature, c'est tenter de faire coïncider l'action de cette transmission et le temps que les
élèves vivent »7, « Le Français c'est la matière la plus digne» 8, me dit Abdel, je crois avoir entendu la plus
dingue, il confirme : la plus digne, Abdel est un des élèves qui ne fera que passer, me laissant ainsi avec
l'énigme de son énonciation. Si les textes ne me traversent pas, ils ne toucheront pas les élèves. Même avec
ma bibliothèque dans mon dos, je ne suis pas un réservoir de savoirs, les textes transitent par celui qui les
présente, il les partage dans un dialogue avec ses élèves qui le convoque avec leurs histoires. Je suis sensible
aux petits détails, à ce qui les concerne : les tamariniers de Samnang 9 qui aurait pu être une digression
inutile, un « hors-sujet », est au contraire « le détail infime» qui «l'a point» : «petit trou autour duquel son
devoir s'est étoilé. »10.
Et puis, il y aura la poésie, pas la versification, mais les questions fondamentales : éros, cosmos, thanatos
et logos. Les sonorités, les mots rares qui ne sont pas de tous les jours, ceux qu'on découvre et qu'on garde en
bouche pour en savourer la beauté. Et ce sera cette année, l'exil Chant VI, de St-John Perse11, « celui qui » a
quitté sa terre et qui se loge dans la beauté de la langue, dans des polysémies poétiques. Exil de la langue,
exil dans la langue. « L'exil n'est point d'hier ! L'exil n'est point d'hier, « O vestiges, ô prémisses ». […] « Dit
l'étranger, parmi les sables toute chose au monde m'est nouvelle ! […] Et la naissance de son chant ne lui est
pas moins étrangère ». « L'exil concerne dix-huit élèves de ma classe de seconde sur vingt-et-un. Dix-huit
jeunes coupés de récits familiaux. Ils ne sont pas sans famille, mais sans paroles sur leur histoire. »
Le samedi matin, inter-laboratoires Nancy-Metz, nous refaisons le parcours des élèves, nous lisons le
texte et le journal de bord de C. Henri. «Professeur, dit-elle, c'est un état d'éveil et d'incertitude à la fois »,
puis elle parle aussi de son ancrage familial, des traces à la fois rassurantes et pesantes qu'elle a traversées.
Elle rend sensible aux sonorités, aux images, aux imprévisibles surgissements : « minuit, à la mi-nuit,
regarder les étoiles, se retrouver quelque part en regardant les étoiles, leur donner un nom ». Les mots rares,
précis, découpent infiniment le monde, il n'y a pas de « légitimité du sens » et c'est dans cette invitation à une
polysémie signifiante que quelques-uns d'entre nous sont amenés à transmettre un témoignage, à trouver leur
fierté singulière en parlant.
C. Henri, avec Jean Camille, a demandé à ses élèves d'écrire une figure de leur histoire, de dialoguer avec
un membre de leur famille, le plus âgé : celle qui, celui qui.... Je voulais cela, dit-elle : « un visage précis
pour contrer l'indifférence, l'insulte, la jouissance immédiate des objets, un fil qui les relie à leur histoire ».
7
Henri C., Libres cours, 2010, P.O.L, Paris, p. 137.
Ibid., p. 106.
9
Ibid., p. 103.
10
Ibid., p.105
11
Saint-John Perse, Exil, « Chant VI », 1942, in Éloges, éd. Nrf-Poésie, Gallimard.
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10
Plus de la moitié y arriveront. Nous regardons le film, les élèves sont devenus interprètes, plusieurs voix se
mêlent, par l'énonciation du texte, ils créent un lien avec d'où ils viennent. Ils ont ouvert la porte aux mots
qui voyagent en eux-mêmes et soudain la présence de leurs corps-parlants crève l'écran. La langue de SaintJohn Perse les habite, les transmue « Celles-là et ceux-là sont devenus princes de l'exil, et ils habitent leur
nom avec beauté ». Quelle chance ils ont eu, comme nous, de rencontrer C. Henri.
Françoise Labridy
------------------------------------------ Allons au cinéma ------------------------------------Le Gamin au vélo de Jean-Pierre et Luc Dardenne
ou l’enfance à bout de souffle
Cyril est sur le point de franchir la porte qui ouvre sur l’adolescence. Il a été placé dans un foyer d’aide à
l’enfance. Il a douze ans. Aux prises avec un Autre féroce qui ne le lui laisse aucun repos, il découvre le vide
qui lui fait face à la place du père symbolique qu’aurait dû incarner pour lui son père dans la réalité. Le film
débute par une scène au cours de laquelle Cyril tente de joindre en vain son père au téléphone. Il ne
comprend pas. Son père a déménagé sans le prévenir. Cyril ne peut accepter cette hypothèse pourtant fondée.
Le vide au bout de la ligne téléphonique, inconcevable, il veut maintenant le voir, le voir pour enfin, peutêtre, y croire. Il est dans le déni. Dans l’impossibilité d’échapper à ses éducateurs, il profite d’une récréation
à l’école pour courir vers l’ancienne adresse de son père. Son père n’aurait pu quitter le domicile sans lui
laisser son vélo.
C’est à l’inconcevable que Cyril est confronté, à l’innommable d’un père qui ne fonctionne pas comme
limite au pire. A la question « T’es là ? » qu’il pose, comme un cri, en frappant à la porte de l’appartement,
rien ne vient répondre. Un voisin lui dit de quitter les lieux avant de l’obliger à descendre l’escalier de
l’immeuble. Puis, de nouveau, Cyril doit fuir l’Autre qui vient à sa rencontre, l’Autre qui ne comprend plus
ses exigences et veut le calmer. Poursuivi par ses éducateurs, Cyril aboutit dans un cabinet médical et
s’accroche à une femme. Il ne cesse de se tenir serré contre elle que lorsqu’il obtient la permission de voir de
ses propres yeux le vide de l’appartement laissé par son père, le vide à la place du père. Face au vide, le
regard se fait pure béance. Il tente de se raccrocher à un détail, à un morceau de souvenir, mais il n’attrape
plus rien. Il n’y a plus rien à attraper.
Pourtant, de cette scène dévastée va surgir un point d’appui. La femme que Cyril a serrée si fort dans ses
bras a su voir, dans l’effort de l’enfant pour ne pas se laisser abolir, un appel vers l’Autre encore insu de luimême, un appel vers un Autre pacifié qui ne tentera pas de le cadrer à l’instar de ses éducateurs. Elle a
interprété le corps-à-corps comme une véritable rencontre qui pourra devenir appui pour le sujet. Elle se rend
au foyer où séjourne Cyril avec le vélo que son père a revendu avant de déménager et qu’elle a racheté. Cyril
ne témoigne pas encore de sa reconnaissance. Il tente de mettre des mots sur la logique de son père : « Il
aurait jamais fait ça. ». Pour lui, le vélo n’a pas été racheté mais volé.
Puis, comme en réponse à ce qui risque de demeurer indialectisable, Cyril demande à cette femme qui est
entrée dans sa vie, Samantha, la coiffeuse, de l’accueillir le week-end chez elle. Elle est prise au dépourvu
mais consent à prendre contact avec les éducateurs. « Si, j’le ferai. » indique-t-elle, introduisant par les mots
des actes qui pourront peut-être se substituer à la fuite du père. Elle accueille finalement Cyril le week-end.
Le jeune garçon n’est pas encore apaisé. Il part à la rencontre des personnes qui pourraient avoir eu
connaissance du lieu où son père s’est rendu, un barman, une boulangère, un garagiste. Il file sur son vélo
comme pour obturer le trou face auquel il a été laissé en plan, comme pour donner un sens à son énergie
qu’il ne parvient pas à réguler.
Aucune réponse ne vient faire véritablement arrêt pour lui, pas même l’annonce au garage qui indique que
son père a bien vendu son vélo : il lui faut maintenant contacter la personne qui a acheté l’objet. Samantha
est patiente. Elle se laisse utiliser par Cyril car elle sait d’un savoir à elle-même ignoré que c’est par ce biais
qu’elle parviendra à tempérer la violence du désir de Cyril. Plus tard, par exemple, elle permet une rencontre
avec le père, non sans introduire des mots qui pourront voiler le défaut de celui-ci, si les attentes de Cyril ne
sont pas respectées. La scène au cours de laquelle Cyril s’entretient avec son père, dans le restaurant de sa
nouvelle compagne pour lequel il prépare le repas, est poignante. Ce père est l’incarnation des laissés-pourcompte d’une civilisation en manque de repères qui réduit les êtres au rang de déchet. Au cours de cette
scène, le père parvient seulement à faire semblant d’être père. Il offre une boisson ou un sachet de chips
plutôt que de prononcer les mots essentiels. Il esquive les demandes de son fils. Pourtant le fils cherche bien
11
une identification, perceptible quand il demande à mélanger les sauces à la cuiller à l’image de son père.
Mais rien ne vient répondre là où une réponse est attendue. Il faudra même la persévérance de Samantha
pour que ce père finisse par faire admettre à son fils qu’il ne veut plus de contact avec lui.
Face à l’absence du père, ne reste-t-il que la direction de l’horreur, de l’ignominie ? Le sujet n’a-t-il pour
seul recours que de s’identifier au déchet que le père ne parvient pas à traiter ? Telle est la question que pose
la seconde partie du film à partir de la rencontre entre Cyril et un dealer, une figure du père en toc qui est
comme une rustine sur une chambre à air percée. Les solutions les plus simples ne sont pas les bonnes. Il ne
suffit pas de racheter un vélo ou de le faire réparer pour mériter l’amour. Il faudra toute la force de Samantha
pour conduire Cyril à dépasser son attrait pour l’horreur. Elle se laissera trouer par lui, au sens métaphorique
comme au sens propre, sans pour autant perdre de vue le rôle d’adulte qu’elle doit tenir. Position d’amour
diront certains. Amour apparemment désintéressé dans tous les cas, qui laisse au sujet le choix de son
parcours.
Samantha dit ne pas savoir pourquoi elle a accepté d’accueillir Cyril le week-end. Ce n’est pas qu’elle n’a
pas de raisons, c’est qu’elle n’a pas à les formuler. Elles sont au-delà des mots, aura constaté le spectateur,
dans l’espace qui s’est ouvert pour elle quand Cyril l’a serrée dans ses bras. Elle a été convoquée par l’appel
de l’enfant qui lui a donné un rôle d’adulte. Très vite, elle a su découvrir qu’il ne s’agit pas seulement de
racheter le vélo du garçon pour le lui rendre, mais d’être présente comme lieu d’adresse auquel il peut
revenir quand il est confronté au gouffre que le vélo désigne à défaut de pouvoir le combler. Car c’est en
effet par le biais de son regard que Cyril pourra consentir à devenir, à défaut de pouvoir être le fils d’un père
qui assume son rôle, le « gamin au vélo », celui pour qui le vélo fait figure de symptôme. L’objet peut, grâce
à l’attention de la coiffeuse, prendre la place du trait identificatoire manquant, la place de ce trait que notre
civilisation en panne d’idéaux à maintenant perdu.
Une question pointe cependant au terme du film pour le spectateur ouvert à une lecture psychanalytique :
à l’issue d’un parcours qui a conduit au départ du compagnon de Samantha, une figure tierce peut-elle encore
se glisser entre la coiffeuse et le gamin au vélo ? C’est aux frontières d’une exploration intuitive des limites
de notre temps que nous introduit, au-delà de la finesse du tableau qu’il nous offre, le très beau film des
frères Dardenne.
Sébastien Dauguet
Nouvelles des formations inter-disciplinaires
Sébastien Dauguet
Maryse Roy rend compte d'une journée de formation à l'Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique de
Morcenx, qui eu lieu en mars dernier.
Première session du stage de formation interdisciplinaire à l’ITEP de Morcenx
Nous sommes partis de ce que nous apprennent les enfants que nous accueillons pour aborder la question
de la clinique différentielle des psychoses chez des enfants pour qui le corps est sur le devant de la scène, est
un électron libre projeté, errant avec pour seule limite la présence encombrante d’autres corps qui se
télescopent, se heurtent ou s’ignorent. Pas de lieu, pas d’habitat pour faire abri, pas d’objet hors corps, avec
pour conséquence une délocalisation radicale. Ces enfants mettent les intervenants au pied du mur d’apporter
des réponses qui leur permettent de faire bord à ce qui se présente sous les modalités de ce qui ne cesse pas.
Nous avons proposé d’aborder la question à partir du corps de l’enseignement de J. Lacan qui donne des
repères et des appuis pour nous orienter, avec le stade du miroir ou lorsqu’il met l’accent sur la fonction du
langage. Nous avons fait référence au texte de J.-A. Miller paru dans la revue Quarto « L’invention
psychotique » qui ouvre des voies pour accompagner ces enfants accueillis en institution. Ce texte a été notre
boussole. Il part de ce que J. Lacan fait valoir à propos du « dit schizophrène ». Lacan considère ce dit
comme spécifié par le fait que pour lui le problème de l’usage des organes est spécialement aigu et qu’il doit
y avoir recours, sans le secours de discours établis. C’est dire qu’il est obligé d’inventer ses secours et ses
recours pour affronter le problème que lui pose son corps et les organes de son corps ». À partir de là, et de
façon plus large, J.-A. Miller fait valoir la pertinence qu’il y a à parler d’invention du sujet psychotique.
Yves-Claude Stavy a distingué les termes « recours » et « secours » et en a souligné les conséquences
pour la pratique en institution.
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Avec Arthur que nous accueillons à « l’île verte » nous avons fait valoir comment un temps de réunion
avait été décisif pour repérer les coordonnées de l’Autre méchant auquel il a affaire et en déduire qu’il valait
mieux l’accompagner dans la recherche d’une nomination qui apporte une satisfaction sans renforcer le
versant mégalomaniaque.
La voie était ouverte pour parler de situations cliniques. Des évènements qui avaient eu lieu la veille
laissaient encore une marque du fait des difficultés auxquelles les intervenants avaient été confrontés alors
qu’un adolescent avait partagé une bouteille d’alcool avec d’autres adolescents au moment de partir de
l’institution. Nous avons exploré les coordonnées de ce passage à l’acte. Au fur et à mesure se dégageait
l’idée qu'il valait mieux se garder d’interpréter trop vite par un trop de sens. Il était préférable de veiller à
ménager un espace pour faire résonner une question, une énigme dont nous avons exploré les modalités.
Puis nous avons suivi Pierre avec sa façon toute particulière de déplacer son corps, Pierre encombré par
un corps avec lequel il bouche les espaces vides. Nous avons entendu l’étranger qu’il est à lui même lorsqu’il
adresse à une éducatrice « est-ce que je te fais peur ? ». Dans les deux cas nous avons fait valoir qu’il valait
mieux être du côté de l’adolescent pour examiner avec lui ce que nous ne savons pas à l’avance.
Maryse Roy
Messages…
Kristell Jeannot lance l'alerte : en cette période estivale, un questionnaire est envoyé aux institutions et
professionnels de l'enfance et de la santé, leur demandant de se prononcer sur un guide de « bonne
pratique » concernant l’« autisme et autres troubles envahissants du développement »…
Le retour de la clinique des « comportements-problèmes »
Au début du mois de juillet 2011, les établissements accueillant un public d’enfants « autistes et TED »
(sic) ont reçu un Guide de recommandation de bonne pratique intitulé : « Autisme et autres troubles
envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et
l’adolescent ».
Ce « document préparatoire » de cinquante pages, financé par des fonds publics, a été demandé par la
Direction générale de la santé (DGS) et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) dans le cadre de
la mesure 9 du Plan Autisme 2008-2010. Il a été réalisé par la Haute autorité de santé (HAS) et par l’Agence
nationale d’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM).
Les recommandations qui y sont formulées, s’ordonnent à partir des théories cognitivocomportementales. Toutes les manières d’être d’un enfant autiste y sont abordées, non pas comme des modes
d’expression, voire des traces de leur manière de faire avec le réel – ou de ne pas savoir y faire, nécessitant
un accompagnement vers des inventions, des bricolages opérants –, mais comme des « comportementsproblèmes »12 à éradiquer, pour ne pas troubler l’ordre normatif, par les moyens 13 répressifs existants :
médicamenteux, techniques psycho-éducatives comportementales, lieux d’isolement.
Bien sûr, la vitrine du guide est pleine de bonnes intentions : améliorer les pratiques en évaluant les
besoins et les ressources de l’enfant et de sa famille, et permettre aux professionnels d’évaluer leurs
pratiques, en mettant à disposition des outils à cet effet 14.
Même si ce guide est présenté comme un travail préparatoire, il est à craindre que cette guidance glisse
vers une directive ces prochaines années au regard de certaines formulations alambiquées 15. Nous avons
jusqu’au 9 septembre 2011 pour répondre à un questionnaire censé permettre d’évaluer la pertinence du
contenu du guide, soit de ce qui y est recommandé. – échelle de satisfaction et zones de texte libre. J’utilise
le « nous », mais seuls les établissements et les associations sont invités à répondre à ce questionnaire, alors
même que les professions libérales – et donc les psychanalystes et les psychologues orientés par la
12
Guide de recommandation de bonne pratique, p.6.
Ibid., p. 32.
14
Ibid., p. 8.
15
Ibid., p. 2 : « Ce document n’est pas un document validé par les instances de la HAS et de l’ANESM Ce document a été validé
par le © Haute Autorité de Santé – 2011 ».
13
13
psychanalyse – sont explicitement citées 16 comme étant concernées : « les recommandations (…) concernent
tous les secteurs d’exercice des professionnels (exercice libéral (…)) »17.
Je renvoie aux pages 26 et suivantes du guide pour prendre connaissance de la manière selon laquelle
l’orientation analytique est considérée et pour voir quelles techniques sont préconisées.
L’orientation psychanalytique n’a pas à chercher à se ranger dans les casiers du questionnaire réalisés par
des experts ignorants de la valeur de la clinique du sujet. Cependant, ne convient-il pas de dénoncer ce qui
apparaît dans ce document ? Pour l’instant, la psychanalyse est sur la sellette. Dans « l’état actuel des
connaissances », les dits experts ne reconnaissent pas la pertinence de son approche, ce qui, à terme, pourrait
glisser vers la conclusion recommandée pour d’autres approches : « Il est recommandé de ne plus les
utiliser »18.
Sans voir aussi loin : le rapport recommande, en outre, des passations de tests régulières. Devant mon
refus de telles pratiques, je me suis déjà vu répondre que si je ne voulais pas faire passer de tests, il ne fallait
pas travailler en institution. Comment ne pas dénoncer ce rapport qui porte aux nues ces pratiques stériles,
voire néfastes, pour l’enfant lui-même ?
Je pense, quant à moi, que l’idéal serait de ne pas répondre au questionnaire directement, de refuser de
ranger notre pensée dans leurs petites cases, mais d’y répondre en se mobilisant et en dénonçant les points de
ce document qui portent atteinte à l’éthique défendue par la psychanalyse et, d’une manière plus
pragmatique, au respect de ces enfants, de ces sujets que l’on préconise de forclore dans leur identité propre,
au bénéfice de la norme du bien vivre en société. Mais cela reste une hypothèse. Je serais heureuse de
pouvoir lire d’autres réflexions, afin que cela puisse étayer ma manière d’appréhender ce « guide de
recommandation » et, peut-être, amener à une prise de position commune face à celui-ci, du moins à un débat
d’idées.
Kristell Jeannot
Pour prendre connaissance du guide et du questionnaire :
-
Questionnaire : Consultation publique – Autisme et autres troubles envahissants du développement.
http://consultation.has-sante.fr/autisme_6dh/Autisme.htm
-
Guide de recommandation de bonne pratique – Autisme et autres TED : interventions éducatives et
thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2011-07/09r18_recommandations_gl.pdf
Electro-CIEN
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Ibid., p. 9.
Ibid., p. 11.
18
Ibid., pp. 29 et 31.
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