NOTE LASAIRE N° 41 - Un droit de faillite qui protège

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NOTE LASAIRE N° 41 - Un droit de faillite qui protège
Note Lasaire n°41
Avril 2014
Un droit de la faillite qui protège insuffisamment
les créanciers de l’entreprise ?
Michel Fried
L’évolution du droit de la défaillance des entreprises est un sujet trop rarement évoqué. Il
fait pourtant l’objet de vifs débats, mais qui sont restés trop cantonnés entre les défenseurs
des droits des créanciers et les tenants de la préservation du rôle des chefs d’entreprise et
des actionnaires. Pourtant le droit français, caractérisé par la priorité qu’il assigne à la
poursuite de l’activité de l’entreprise et à la préservation de l’emploi, se révèle, in fine, l’un
des plus protecteurs des droits de créanciers. L’ordonnance de mars 2014, sans remettre
totalement en question les priorités de notre droit national, les affaiblit significativement, ce
qui mérite attention.
1.
LE DROIT FRANÇAIS DE LA FAILLITE EST PLUS PROTECTEUR DE
L’ACTIVITÉ QUE LE DROIT DES PAYS VOISINS
Le droit de la faillite, ou pour utiliser les termes juridiquement consacrés, le droit de la
défaillance des entreprises, a connu historiquement deux évolutions majeures : d’une part, la
séparation du traitement de la défaillance de la sanction du dirigeant fautif1 et, d’autre part, la
limitation du droit des créanciers à exiger individuellement, en cas de défaillance de leur
débiteur, l’exécution de leur contrat de prêt. Cette entorse au droit des contrats, fondement de
la conception libérale de l’entreprise, est justifiée selon la doctrine par l’existence d’un intérêt
économique supérieur au droit privé, celui d’éviter que l’insolvabilité du débiteur n’entraîne
celle de ses créanciers, et, par un effet de boule de neige, ne contamine une partie importante
du tissu des entreprises.
Le droit de la défaillance des entreprises oppose dès lors, d’un côté les dirigeants
d’entreprise, en général actionnaires de leur société (l’essentiel des défaillances concerne les
PME) unis souvent par une communauté d’intérêt avec les salariés défenseurs de leurs
emplois et les responsables politiques régionaux soucieux de préserver le tissu local des
entreprises et, de l’autre côté, les créanciers et notamment les banques, appuyés par les
tenants d’une conception libérale de l’entreprise. En conséquence, le point d’équilibre entre le
respect des droits collectifs des créanciers et le souci de préserver l’activité et l’emploi des
entreprises en difficulté varie selon les pays et, dans chaque pays, selon les époques.
En Allemagne, depuis les lois de 1994 et de 1999, l’objectif prioritaire de la législation
est de « satisfaire collectivement les droits des créanciers », tout en permettant autant que
possible le maintien de l’activité et de l’emploi dans la mesure où cette préoccupation est le
moyen de préserver au mieux les droits des créanciers2. Le tribunal ne peut donc entériner un
plan de continuation de l’activité contre l’avis d’une partie des créanciers que s’il est en
1
Autrefois, tout dirigeant qui avait failli à ses engagements devenait indigne de confiance et devait être sanctionné.
Aujourd’hui un dirigeant auquel on peut reprocher un comportement anormalement imprudent, a fortiori malhonnête
s’expose, en cas de banqueroute simple ou frauduleuse, à des sanctions civiles sur son patrimoine personnel ainsi que des
sanctions pénales.
2
Toutefois, la loi allemande a connu une inflexion, probablement significative, avec l’entrée en vigueur le 1/03/2012 d’une
loi destinée à faciliter le redressement des entreprises en créant une procédure dite d’écran donnant à l’entreprise débitrice la
possibilité d’élaborer un plan de redressement, sous la condition qu’elle ne soit pas en cessation de paiement.
LASAIRE – Laboratoire Social d’Actions d’Innovations de Réflexions et d’Échanges
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mesure de démontrer que le remboursement de ces créanciers ne sera pas inférieur à ce qu’ils
auraient perçu en cas de liquidation de l’entreprise. A défaut, l’assemblée des créanciers peut
décider à la majorité simple de liquider l’entreprise ou de procéder à sa liquidation totale ou
partielle.
Au Royaume Uni, le droit des défaillances est également considéré comme très
favorable aux créanciers de l’entreprise. Toutefois si, depuis 2003, les possibilités de
poursuite de l’activité ont été améliorées par la création d’une procédure de concordat3, la
création d’une procédure spécifique au droit britannique, dite «administration receivership »
(administration séquestre), a renforcé les droits des créanciers puisqu’elle leur permet de
prendre le contrôle des biens de l’entreprise ; cette procédure est en général demandée par les
banques dont les créances sont assorties d’une sureté particulière dite « floating charge »
assise sur les biens de l’entreprise.
Aux Etats Unis, le droit des défaillances, de compétence fédérale, est régi, en dehors du
cas de la liquidation de l’entreprise, par les règles dites du « chapter 11 » du code de
commerce qui ont pour objet de permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, en
favorisant, sous le contrôle du tribunal, l’élaboration d’un plan de redressement comprenant
la définition des droits des créanciers ; ces droits ont cependant été renforcés en 2005, en
donnant à ces derniers la faculté de s’organiser en trois classes regroupant ceux dont les droits
ne seront pas affectés par le plan de redressement, ceux qui perdent tous leurs droits et ceux
qui ne préservent leurs droits que partiellement. Le tribunal, pour valider le plan de
redressement, ne peut passer outre au refus d’approbation par la classe des créanciers dont les
droits ne sont pas intégralement préservés et ceux-ci ont la possibilité de présenter une contreoffre.
En France, la législation est réputée être devenue peu favorable aux droits des
créanciers, surtout depuis la loi Badinter du 25/01/1985 qui précise explicitement la hiérarchie
des objectifs que doit rechercher le tribunal : d’abord la sauvegarde l’entreprise, ensuite la
préservation de son activité et de l’emploi et, en dernier lieu seulement, le désintéressement
des créanciers ; de plus cette loi enlève aux créanciers la possibilité de décider du sort de
l’entreprise, faculté qui appartient exclusivement au tribunal, et elle fait entrer dans le plan de
redressement, les créanciers possédant des suretés réelles, qui perdent la possibilité de les
utiliser. Les banquiers qui furent à la pointe de la contestation de cette loi, furent les
inspirateurs de la loi suivante qui restaura le rang des créances en cas de liquidation
judiciaire ; la poursuite de l’activité et le renforcement des pouvoirs du tribunal furent
toutefois à nouveau consolidés par la loi du 26/07/20054 et l’ordonnance du 18/12/2008, qui,
pour favoriser la prévention, n’exigèrent plus systématiquement un état de cessation des
paiements pour entrer dans une procédure collective impliquant la poursuite de l’activité.
Deux procédures nouvelles furent créées, le « mandat ad hoc » et la procédure de sauvegarde
(voir encadré).
La loi de 2005, afin de faciliter le financement de la poursuite de l’activité, a limité le
risque de « soutien abusif » auquel s’exposaient auparavant les créanciers, en général les
banques, qui avaient consenti des prêts alors que l’entreprise était en difficulté5. La faute du
créancier, s’il avait accordé son soutien alors que la situation de l’entreprise était
irrémédiablement compromise, entraînait alors la nullité des suretés qu’il avait obtenues
pendant la période « suspecte », période, au plus de 18 mois, précédant l’ouverture de la
3
Il s’agit du CVA (Company Voluntary Arrangment), qui résulte d’un accord entre l’entreprise débitrice et ses créanciers,
accord qui n’est possible que si l’entreprise n’est pas en cessation de paiement. Les créanciers ont également perdu le droit de
désigner un mandataire (receiver) chargé de les représenter et généralement chargé par le tribunal de gérer l’entreprise.
4
Loi d’ailleurs intitulée « loi de sauvegarde des entreprises ». Cette loi s’inspira du droit américain des défaillances.
5
Depuis 2005, la jurisprudence a encore amenuisé les conséquences du soutien abusif en précisant que la banque dont
l’intervention a « fautivement retardé l’ouverture de la procédure collective de son client n’est tenu de réparer que
l’aggravation de l’insuffisance d’actif qu’elle a contribué à créer »
2
procédure de redressement judiciaire. La loi de 2005 a donné une interprétation restrictive de
cette jurisprudence en précisant que la responsabilité du créancier ne pouvait être engagée que
dans trois cas : la fraude, son immixtion caractérisée dans la gestion de l’entreprise débitrice
et l’exigence de garanties hors de proportion avec les concours consentis. Cette évolution du
droit a été conçue dans le but de faciliter le soutien des banques aux entreprises traversant une
période difficile.
Encadré
LA LÉGISLATION FRANÇAISE ACTUELLE DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
La législation française prévoit deux types de procédures : d’une part, les procédures amiables, non
collectives (elles ne concernent pas obligatoirement tous les créanciers), elles sont ouvertes à la
demande de l’entreprise débitrice, elles sont en général confidentielles et sont mises en place avant la
cessation des paiements et d’autre part, les procédures collectives, qui interviennent après la cessation
de paiement, concernent toutes les parties prenantes du passif. Le jugement d’ouverture d’une
procédure entraîne l’interdiction de payer toutes les créances, y compris celles qui sont accompagnées
de suretés, dès lors qu’elles sont nées avant l’ouverture de la procédure, sauf si leur paiement est
justifié par la continuation de l’activité. Ces créances sont soumises, sans distinction, à la discipline de
la procédure collective, à l’exception de la SFA (voir ci-après) qui ne concerne que les créances
financières.
LES PROCÉDURES AMIABLES
Le mandat ad hoc
Cette procédure, à l’origine jurisprudentielle a été créée par la loi de 2005. Son ouverture est à
l’initiative du dirigeant afin de permettre à son entreprise d’éviter que les difficultés qu’elle rencontre
ne débouchent sur la cessation de paiement. Elle est mise en œuvre par le président du tribunal qui
désigne, s’il le juge nécessaire, un « mandataire ad hoc » en vue d’aboutir à un accord entre
l’entreprise débitrice et ses créanciers. La procédure ne fait l’objet d’aucune validation par le juge, ce
qui est la condition de sa confidentialité.
La conciliation
Cette procédure, qui remplace l’ancien règlement amiable, a le même objectif que le mandat ad hoc,
mais déroge quelque peu aux caractéristiques des procédures amiables : elle peut être mise en place 45
jours après la cessation de paiement, et elle n’est pas nécessairement confidentielle, car, de façon
optionnelle, elle peut être homologuée par le tribunal, après qu’il ait entendu les dirigeants, les
créanciers qui renoncent à leurs privilèges et les représentants du personnel. L’homologation présente
l’avantage de donner le statut de « new money » aux concours en argent frais apportés notamment par
les banques durant la période de conciliation ; ce privilège, dit de l’article 40, place le remboursement
de ces créances juste après les salaires et le fisc et dédouane le créancier de tout risque de poursuite
pour soutien abusif. Si l’accord n’est pas exécuté, le tribunal peut placer l’entreprise en redressement
judiciaire.
La sauvegarde financière accélérée
Cette procédure inspirée de la législation américaine, a été créée par la loi du 22/10/10 et est réservée
aux entreprises de plus de 150 salariés. Elle ne concerne pas les créanciers non financiers qui devront
être payés normalement, mais les seules banques et établissements de crédit et permet au tribunal
d’imposer l’accord accepté par la majorité de ces créanciers (représentant au moins les 2/3 des
créances) dans le délai maximum d’un mois.
LES PROCÉDURES JUDICIAIRES
Le redressement judiciaire
Cette procédure permettant la poursuite de l’activité de l’entreprise a été créée par la loi Badinter du
25/01/1985 ; son ouverture, qui intervient après la cessation de paiement, est demandée par le
dirigeant de l’entreprise ou le ministère public. A l’issue d’une période d’observation de 6 à 18 mois
où l’entreprise poursuit son activité sous le contrôle d’un administrateur judiciaire (représentant
3
l’entreprise débitrice) ou d’un mandataire judiciaire (représentant les créanciers), la procédure
débouche sur un plan de redressement ou de cession de l’entreprise.
La sauvegarde
Cette procédure inspirée du droit américain et réservée aux entreprises qui ne sont pas en cessation de
paiement a été créée par la loi Balladur du 26/07/2005 et améliorée par une ordonnance du 18/12/
2008, dans le but de remplacer la procédure de redressement judiciaire, qui n’est toutefois pas
supprimée et sera appliquée d’office si l’entreprise en sauvegarde tombe en cessation de paiement ;
elle permet au chef d’entreprise de conserver la direction de son entreprise et de négocier avec tous ses
créanciers, y compris le fisc et l’URSSAF, dans le but de l’inciter à une prévention précoce des
difficultés. Dans le cadre de cette procédure, depuis l’ordonnance de 2008, le dirigeant de l’entreprise
ne peut plus être remplacé par un mandataire désigné par le président du tribunal. Les créanciers des
entreprises de plus de 150 salariés sont organisés en deux comités distincts, banques et établissements
de crédit d’un côté et fournisseurs de l’autre, qui donnent leur avis à la majorité simple représentant au
moins les 2/3 de chaque catégorie de créances. Si un accord sur le plan de sauvegarde ne peut être
trouvé, l’entreprise est mise en redressement judiciaire. Une fois l’accord réalisé, le règlement de
toutes les dettes nées antérieurement à l’ouverture de la procédure est suspendu et le risque de
« soutien abusif » en cas de fourniture de « new money » est écarté. Le plan de sauvegarde, qui doit
permettre à l’entreprise de rembourser sa dette sur une durée maximum de 10 ans (15 ans pour les
entreprises agricoles), s’achève à la demande des dirigeants, lorsque les difficultés qui ont justifié
l’ouverture de la procédure ont disparu. Si le plan de sauvegarde n’est pas respecté, le tribunal y met
fin et les dettes de l’entreprise deviennent exigibles ; si l’entreprise ne peut les régler, elle est mise en
liquidation.
La liquidation judiciaire ou la cession de l’entreprise
Ces procédures sont ouvertes à la demande du dirigeant de l’entreprise, de ses créanciers ou du
ministère public, dès lors que l’entreprise est jugée non viable, condition plus restrictive que la
cessation des paiements. La cession de l’entreprise, à la différence de la liquidation judiciaire, a pour
but prioritaire d’assurer la poursuite de tout ou partie de l’entreprise en difficulté. La loi précise que le
tribunal doit retenir « l’offre qui permet, dans les meilleurs conditions, d’assurer le plus durablement
l’emploi attaché à l’ensemble cédé ». Les créanciers sont payés sur le prix de cession, toutefois, ce
principe qui leur est peu favorable car ce prix est en général insuffisant pour permettre leur paiement
intégral, ne concerne pas les crédits garantis par des suretés assises sur les actifs nécessaires à
l’activité reprise, crédits qui doivent être repris par l’acquéreur.
2.
LES CARACTÉRISTIQUES DU DROIT FRANÇAIS DES
DÉFAILLANCES DÉSAVANTAGENT-ELLES RÉELLEMENT LES
CRÉANCIERS DE L’ENTREPRISE ?
Les banques françaises ont vivement dénoncé l’inflexion du droit français6 depuis les
lois Badinter et Balladur, en mettant en avant deux arguments : d’une part le constat que la
priorité accordée désormais au maintien de l’activité n’a pas permis de contenir la croissance
des défaillances et, d’autre part, l’inefficacité de la nouvelle orientation du droit français
puisque la procédure de redressement judiciaire débouche presque toujours sur la liquidation
de l’entreprise.
Ces critiques ont été reprises de nos jours par les défenseurs des droits des créanciers.
Aux arguments classiques, ils ajoutent parfois une référence de principe à la place qu’il
convient d’accorder au droit des contrats, marqueur essentiel de l’analyse libérale de
l’entreprise. Cependant l’argument principal reste qu’un droit de la défaillance trop favorable
à la poursuite de l’activité entrave le financement des entreprises en exposant les prêteurs à
un risque de non-remboursement qu’ils ne sont pas prêts à assumer. La comparaison du degré
de réceptivité des droits nationaux aux intérêts des créanciers devient dès lors le critère
déterminant de l’efficacité économique de chaque droit national.
6
Voir par exemple l’article de deux cadres du Crédit Lyonnais, J.F. Verny et D. Langet : « Prévention et traitement des
difficultés des entreprises. Les propositions présentées par le CNPF et l’AFB » Revue d’économie financière n°25 été 1993.
4
Une note de G. Plantin et alii7 semble avoir joué un rôle significatif dans la réforme de
2014. Les auteurs observent que le droit français est moins protecteur des créanciers que les
autres droits nationaux en s’appuyant exclusivement sur l’une des deux études empiriques
récentes existantes sur ce sujet, celle de Davydenko et alii8. Ils considèrent que cette
singularité nuit à la capacité financière des entreprises, notamment petites et moyennes, et, in
fine, à l’emploi. En conséquence, les auteurs recommandent un accroissement « mesuré » des
droits des créanciers, notamment en leur donnant la capacité de contrôler la durée des
procédures et de formuler des contre-propositions et, pour les créanciers qui ne seraient pas
intégralement couverts par l’accord de continuation de l’activité, le droit de refuser cet accord.
Les auteurs attendent de ces réformes une amélioration des possibilités de financement des
PME en difficulté car les prêteurs deviendraient alors moins timorés dans leur prise de
risques.
Le taux de récupération des créances est considéré dans ces deux études, comme un bon
indicateur du caractère plus ou moins favorable de chaque droit national, aux intérêts des
créanciers. L’étude de Davydenko et alii, qui mesure le taux de récupération des seuls crédits
bancaires et non de la totalité des créances, aboutit à un taux français de récupération de 56%,
nettement inférieur au taux allemand de 67% et au taux britannique de 92%. L’étude de Blazy
et alii, qui porte sur l’ensemble des créances, aboutit à un résultat opposé : le taux de
récupération français de l’ensemble des créances est relativement faible, 24,9%, mais
nettement plus élevé que les taux allemands, 19,6%, ou britanniques, 15,3%. Il convient de
tenter une explication de ces écarts en tenant compte des situations nationales comparées des
entreprises, des spécificités des systèmes financiers nationaux et du poids des créanciers
privilégiés.
On notera tout d’abord que la spécificité du droit français des défaillances, malgré la
fragilité financière des PME françaises qui serait un de leurs traits spécifiques, point de vue
qui mériterait d’être discuté de façon approfondie9, n’a pas constitué un obstacle à la
croissance de leur endettement, notamment depuis la crise de 2008 :
Taux d’endettement des sociétés non financières (en % de la VA)*
(en T3)
France
Allemagne
2007
2010
2012
111,4
127,4
133,5
92,0
80,3
75,4
Royaume
Uni
132,3
144,5
137,3
Italie
Etats Unis
149,7
171 ?1
170,9
89,2
94,2
98,6
*Endettement évalué en valeur nominale, sauf RU en valeur de marché.
(Source : Banque de France)
Ensuite, il faut tenir compte de la structure du passif des PME françaises défaillantes,
très différente de celle de leurs homologues allemands et britanniques, ce qui explique
probablement aussi une part importante des différences nationales des taux récupération.
7
G. Plantin, D. Thesmar et J. Tirole « les enjeux du droit des faillites » CAE, note n°7 juin 2013.
Les deux études existante à notre connaissance sont : Davydenko et J. Franks :« Do Bankruptcy Matter ? A Study of
Defaults in France, Germany and UK » Journal of Finance n°2, 2008. Cette étude porte sur un échantillon de PME en
situation de défaillance entre 1993 et 2003, dont les données ont été communiquées aux auteurs par 10 grandes banques
européennes et R. Blazy, A.F. Delannay, J. Petey et L. Weill « Une analyse comparative des procédures de faillite » in
Regards sur les PME n°16, juin 2008. Cette étude porte sur un échantillon de PME qui sont entrées en procédure collective
entre 1995 et 2005.
9
Si la faiblesse des marges des PME françaises, notamment industrielles, est une réalité, cette infériorité est compensée par
une structure financière plus solide, y compris pour les PME en difficulté ! le taux de couverture des passifs par leurs actifs
de ces dernières est ainsi de 39,1% pour les PME françaises et seulement de 17,8% pour les PME allemandes et de 19,9%
pour les PME britanniques (source étude Blazy et alii).
8
5
Structure du passif et taux de recouvrement selon la nature des passifs*
France
Allemagne
RU
Structure (%) du passif
senior
New
junior
money
65,0
0,6
34,4
9,5
9,0
81,5
24,7
5,1
76,7
Taux de recouvrement (%) des créances
senior
New
Junior
total
money
33,0
44,5
5,1
24,9
74,6
82,3
8,5
19 ;6
38,4
99,8
3,6
15,3
*créances senior : créances prioritaires ou protégées par des suretés, new money : créances consenties après l’ouverture des
procédures et donc sur-prioritaires, créances junior : autres créances en général chirographaires
(Source : Blazy et alii)
Le poids de la dette senior dans le passif des entreprises en difficulté semble, en
apparence, pouvoir expliquer le taux français plus élevé de recouvrement des créances, qui
proviendrait bien d’une frilosité spécifique des prêteurs français ; cette conclusion ne semble
cependant pas fondée, dès que l’on tient compte de trois spécificités françaises :
- le poids plus important en France10des créanciers prioritaires (Etat, organismes
sociaux et salariés),
- le fait que près de la moitié (43% selon l’étude BLAZY) de la dette des PME
françaises défaillantes est à long terme, alors que ce type de crédit ne représente
respectivement que 19% et 31% de la dette des PME défaillantes allemandes et
britanniques. La dette des PME allemandes et britanniques est donc d’une grande
flexibilité, puisqu’elle permet aux créanciers des entreprises dont la situation se
détériore de se dégager rapidement en ne renouvelant pas leurs concours, faculté que
ne possèdent évidemment pas les prêteurs à long terme, qui, dès lors, se couvrent en
prenant des suretés.
- enfin, la poursuite de l’activité protège les créanciers beaucoup mieux que la
liquidation se vérifie dans les trois pays étudiés :
Taux de récupération (en %) des créances selon la procédure
Liquidation
poursuite de
l’activité
France
Allemagne
31%
96%
41%
79%
Royaume
Uni
7,8%
100%
(Source : Davydenko et alii)
Une étude économétrique récente sur la gestion française des défaillances11 a
approfondi les conséquences favorables de la législation française. Ses auteurs vérifient le fait
que la poursuite de l’activité est la solution la plus favorable, non seulement pour l’emploi,
mais aussi pour les créanciers. Ce résultat essentiel contredit l’analyse selon laquelle le
redressement judiciaire serait destructeur de valeur pour le créancier. Cette étude confirme en
particulier :
- que l’évolution du droit en faveur de la poursuite de l’activité n’a pas été défavorable
aux créanciers puisque le taux de récupération des créances est passé de 11,4% dans
la législation de 1985 à 24,2% dans celle de 1994,
- et que dans les cas de cession de l’entreprise, les tribunaux, respectant les priorités
affichées par la législation française, ne privilégient pas spécialement les offres de
10
On notera en particulier que les créances des organismes sociaux allemands sont essentiellement chirographaires et que, de
plus, l’équivalent allemand des ASSEDIC prend en charge, sans bénéficier de privilèges, les créances salariales.
11
R. Blazy, B. Chopard, A. Fimayer et J.D. Guigou « Entreprises en difficulté : l’arbitrage des tribunaux entre maintien de
l’emploi et apurement du passif » Economie et statistique n°443-2011.
6
rachat les mieux disantes, mais, depuis la réforme de 1994, celles qui préservent le
mieux l’emploi, sans que le taux de récupération en soit trop affecté.
Sur les trois études empiriques évoquées, une seule conclut donc que l’objectif
prioritaire du maintien de l’activité et de l’emploi est contre-productif, tout à la fois parce
qu’il serait défavorable aux créanciers et parce qu’il entraverait la réallocation optimale du
capital. Les deux autres études sur la base d’une information plus étendue, concluent dans un
sens opposé, conclusion qui ne semble pourtant pas avoir inspiré la dernière réforme
3.
UNE RÉFORME PAR ORDONNANCE QUI RENFORCE LES DROITS
DES CRÉANCIERS
L’argument de l’inefficacité d’un droit de la faillite devenu, en France, trop favorable à
la poursuite de l’activité des entreprises, et, par voie de conséquence défavorable aux
créanciers et surtout aux banques, s’appuie, comme on l’a noté, sur le constat de la hausse
ininterrompue du nombre des défaillances d’entreprises. Celles-ci sont passées, selon les
statistiques de la Banque de France, de 43 968 en 2000 à 51 343 en 2007, à la veille de la
crise, pour atteindre un maximum en 2009, avec 63205 défaillances et retomber ensuite à
59493 en 2011 et finalement atteindre 62429 en 2013. Le nombre de défaillances d’ETI et de
grandes entreprises est sans rapport avec ces chiffres globaux : elles étaient de 32 en 2000, 83
en 2009 (maximum), puis sont retombées à 59 en 2007 et ont culminé à 73 en 201212.
Cette hausse des défaillances s’explique pour l’essentiel par deux facteurs : le
dynamisme de la création d’entreprises durant les années qui ont précédé la crise, alors que la
durée de vie des entreprises nouvelles ne dépasse pas 5 ans dans la majorité des cas, et, pour
la période récente, par les effets de la conjoncture : la crise de 2008 serait ainsi responsable ,
selon une étude récente13, de 46% des défaillances dans le BTP, de 43% dans l’industrie, de
35% dans les transports et de 27% dans le commerce de détail. Cette analyse laisse peu de
place à une responsabilité du droit français de la défaillance, pour expliquer la hausse récente
du nombre des défaillances.
Ces analyses ne semblent pas avoir été au centre de la réflexion qui a inspirée
l’ordonnance portant « réforme de la prévention des difficultés des entreprises »14. Cette
ordonnance comprend certes des dispositions favorisant un traitement anticipé des difficultés
mais celles-ci pèsent moins que les mesures qui renforcent les pouvoirs des créanciers.
3.1. LES MESURES FAVORISANT LA PRÉVENTION DES DIFFICULTÉS
- La principale mesure en ce sens (article 48) est la création d’une procédure de
« sauvegarde accélérée », jumelle de la procédure de « sauvegarde financière
accélérée ». Elle en reprend les dispositions (voir encadré), mais les applique à tous
les créanciers, à l’exception de ceux qui détiennent des créances salariales.
L’expérience permettra de vérifier la portée de cette mesure, car sa mise en œuvre est
conditionnée à l’existence d’un accord majoritaire de l’ensemble des créanciers,
majorité qui pourrait s’avérer plus difficile à réunir que celle des seuls créanciers
financiers.
- Dans le cadre des procédures amiables, les banques se voient retirer la possibilité
d’exiger le remboursement sans délai de leurs crédits et de modifier à la hausse leurs
taux débiteurs (article 14) ; cette disposition renforce la main de l’entreprise
débitrice, dans sa négociation avec ses créanciers.
12
Données au troisième trimestre de chaque année.
D. Fougère, C. Golfier, G ; Horny et E. Kremp « Quel a été l’impact de la crise de 2008 sur les défaillances des
entreprises ? », Document de travail de la Banque de France, novembre 2013.
14
Ordonnance du 12/03/2014
13
7
- L’attrait de la procédure de sauvegarde est renforcé par la suppression de
l’obligation de rembourser les créanciers qui acceptent de poursuivre leurs
prestations au bénéfice de l’entreprise débitrice pendant la période d’observation
(article 23). Cette disposition qui vise surtout les créanciers non financiers est
cependant subordonnée à la condition qu’elle ne sera pas susceptible de leur causer
un préjudice « prévisible » (article 53). On notera que la règle du paiement comptant
continue de s’appliquer dans la procédure de règlement judiciaire.
3.2. LES MESURES RENFORÇANT LES POUVOIRS DES CRÉANCIERS
Le texte de présentation de l’ordonnance est explicite quant aux raisons qui justifient un
renforcement des droits des créanciers. Ce texte indique en effet d’une part, que « les
créanciers se voient imposer des contraintes d’ordre public dérogatoire à la loi des contrats »
et qu’il est « légitime » de les compenser et, d’autre part, que les créanciers sont fondés à
obtenir des associés ou actionnaires « un effort correspondant aux contraintes qui leur sont
imposées ». Les principales mesures allant dans ce sens sont les suivantes :
-
-
-
-
Dans la procédure de sauvegarde, les créanciers, dès lors qu’ils sont organisés en
comité, obtiennent le droit d’élaborer un plan de redressement qui sera examiné
par le tribunal comme le plan émanant des dirigeants de l’entreprise (article 43).
Si aucun plan n’est admis par le tribunal, la procédure bascule en redressement
judiciaire.
Dans le cas du redressement judiciaire, si une partie des actionnaires refuse de
voter en Assemblée générale la reconstitution du capital entérinée par le tribunal,
celui-ci pourra désigner un mandataire de justice qui votera en ce sens au lieu et
place des actionnaires récalcitrants.
Dès l’ouverture d’une procédure collective, la surface financière de l’entreprise
est accrue en rendant immédiatement exigible le capital non libéré de l’entreprise
(article 35).
L’administrateur, le mandataire ou le ministère public pourront désormais
demander au tribunal la conversion de la procédure de sauvegarde en
redressement judiciaire, même en l’absence de cessation de paiement et même si
le dirigeant de l’entreprise débitrice s’y oppose (article 22).
3.3. QUE PENSER DE LA RÉFORME DE 2014 ?
Cette dernière réforme succède à celles de 1985, 1994, 2005, 2009 et 2010. Si
l’ordonnance de 2014 ne bouleverse pas fondamentalement l’orientation du droit français en
faveur de la poursuite de l’activité, et même en consolide certains aspects, notamment par la
création, bienvenue, de la procédure de sauvegarde accélérée, elle renforce pourtant
significativement les droits des créanciers ; cette transformation produit des effets ambigus,
défavorables à la poursuite de l’activité à chaque fois que celle-ci n’est pas favorable à leur
remboursement, mais elle peut aussi devenir favorable lorsque ce sont les actionnaires qui
bloquent le renflouement de l’entreprise, contre l’intérêt des créanciers.
En effet, l’ordonnance de 2014 contribue à faire des créanciers les quasi-maitres du
destin de l’entreprise en difficulté, en réduisant la capacité d’intervention de ses dirigeants et
actionnaires dans l’élaboration des plans de redressement, en permettant aux créanciers de
neutraliser les actionnaires qui refusent de renflouer l’entreprise et en mettant dirigeants et
actionnaires, en général confondus dans le cas des PME, face à une alternative douloureuse :
céder aux préconisations des créanciers ou basculer dans le redressement judiciaire.
Cette réforme est largement une victoire du lobby des établissements financiers qui
poursuivait deux buts, d’une part, défendre leurs intérêts de prêteur à un moment où les
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réformes bancaires alourdissent le coût en fonds propres de cette activité, et , d’autre part,
inciter à l’émergence de nouveaux acteurs sur le marché de la dette des entreprises, comme
les fonds spéculatifs, les fonds de retournement en particulier15.
Le lobby entrepreneurial a considéré cette réforme comme une défaite importante.
Ainsi, deux dirigeants de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris Ile de France ont
pu juger qu’elle représentait « un renversement radical de la donne et un retour de balancier
après des décennies qui ont protégées parfois désespérément l’actionnariat existant »16 ; cette
dénonciation a trouvé des échos dans le monde du droit, ainsi un avocat spécialisé 17 analyse
l’ordonnance de 2014 comme « l’acte de décès de la loi Badinter » ajoutant que sa
conception est clairement issue du rapport du Conseil d’Analyse Economique (cf note n°8) et
concluant « avec cette réforme, on sacralise la dette qu’il faut payer par tous les moyens, y
compris en transformant cette dette en capital social et en évinçant ceux qui ont créé de la
valeur pendant des années ».
Enfin, pendant la préparation de cette loi, les organisations syndicales se sont
montré discrètes, alors qu’au même moment elles se mobilisaient en faveur du projet de
loi Florange18 , dont l’objet était quelque peu connexe à la réforme du droit de
l’entreprise en difficulté, puisqu’il s’agissait de maintenir en activité un site dont les
dirigeants et les actionnaires de l’entreprise propriétaire souhaitaient se débarrasser,
mais refusaient de céder ; la loi a donné gain de cause aux syndicats, en obligeant les
entreprises (de plus de 1000 salariés) à prouver qu’elles n’avaient pu trouver un
repreneur « sérieux ». Le Comité d’Entreprises doit être tenu informé de cette recherche
et de la motivation des refus de cession, et en cas de désaccord, a la possibilité de saisir le
tribunal de commerce. Malheureusement cette loi a été jugée par le Conseil
Constitutionnel « contraire à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété »19 ;
l’usage de cet argument est paradoxal, car il n’a pas été utilisé pour contester le
dessaisissement des dirigeants et des actionnaires prévu par le droit des procédures
collectives.
Certains ont pu s’interroger sur la part extrêmement réduite accordée par le droit
des défaillances aux créances salariales (déjà sur-prioritaires) et surtout aux
licenciements économiques20. En fait, les tribunaux de commerce sont tenus, tout comme
les dirigeants de l’entreprise, par l’obligation de convoquer les représentants des salariés
pour les informer et les entendre (ainsi que leurs experts). A défaut, leurs jugements
peuvent être annulés. Insérer des prescriptions spécifiques aux situations de défaillances,
c’est prendre le risque d’affaiblir à terme les prescriptions générales du droit du travail, et
ainsi d’inciter les entreprises à faire, par exemple, de la procédure de sauvegarde un
simple acte de gestion affaiblissant la priorité dont bénéficient les créances salariales et
facilitant les licenciements économiques.
15
Ces fonds, qui parient sur un retour à meilleur fortune des entreprises en difficulté, donnent un peu plus de valeur aux titres
de crédit dévalorisés détenus par les banques, leur offrant une porte de sortie jugée actuellement trop étroite. Ces fonds,
nombreux dans le monde anglo-saxon, impulsent des restructurations très dures des entreprises où ils interviennent, ce qui
leur a valu le nom de « fonds vautour ».
16
Anne Outin et Didier Kling « Procédures collectives, le retour des créancier » in Les Echos 19/12/2013.
Christophe Lèguevaques, « Droit de la faillite, un projet dangereux » in Le Monde 12/03/2014.
18
Loi « visant à reconquérir l’économie réelle » adoptée le 24/02/2014.
19
Les députés espèrent pallier à ce contretemps en déposant un amendement au projet de loi sur l’économie sociale et
solidaire, amendement qui restaure l’obligation de recherche d’un repreneur en en faisant une condition de l’homologation du
plan de sauvegarde de l’emploi et en cas de refus, en exigeant de l’entreprise qu’elle rembourse les aides publiques qu’elle
aurait pu percevoir durant les deux dernières années.
20
L’une des rares mentions qui est présente dans le droit commercial concerne le fait que l’administrateur (ou le chef
d’entreprise) peut être autorisé par le tribunal durant la période d’observation (période séparant le jugement d’ouverture de
l’adoption du plan de sauvegarde ou de redressement) à prononcer des licenciements économiques, mais sous réserve que
ceux-ci présentent « un caractère urgent, inévitable et indispensable », ce qui ne supprime aucunement l’obligation préalable
d’information et de consultation du comité d’entreprise
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