Huit mois après le choc, le cassetête de l`immigration reste

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Huit mois après le choc, le cassetête de l`immigration reste
4 Suisse
Tribune de Genève | Mardi 14 octobre 2014
Vote du 9 février
Huit mois après le choc, le casse­tête de l’immigration reste entier
Comment appliquer
l’initiative de l’UDC?
Les partis tirent
à hue et à dia
entre contingents,
taxe à l’embauche
ou nouveau vote
Arthur Grosjean Berne
Huit mois après le choc du 9 février, la Suisse n’a toujours pas de
plan qui tienne la route pour réguler son immigration suite à l’acception de l’initiative UDC. Les
optimistes diront qu’il n’y a pas le
feu au lac puisqu’une solution
doit être trouvée d’ici à février
2017.
Ce qui inquiète pourtant,
c’est la grande confusion qui
continue de régner dans le milieu politique. Chacun y va de sa
proposition et critique le parti
concurrent. Certaines formations changent carrément
d’avis. Aucune majorité claire
ne se dégage, si ce n’est qu’il
faut sauver les bilatérales et encourager la main-d’œuvre indigène (voir ci-dessous la position
des partis).
Le nombre d’étrangers acceptés dans les contingents (ici, deux ouvriers portugais dans les rues de Berne) n’est toujours pas connu. KEYSTONE
Un chiffre très incertain
Le flou continue de régner sur le
solde net de nouveaux ressortissants étrangers que la Suisse est
prête à accepter annuellement:
60 000? 40 000? 20 000? Ni les
initiants UDC ni le Conseil fédéral
n’ont articulé le moindre chiffre.
Cet élément est pourtant crucial
au moment où l’immigration
continue sa progression spectaculaire pour atteindre un solde
net de 100 000 personnes en
2014.
Ce flou sur le chiffre maximum d’immigration est-il en-
«Seule
une coopération
large et
dynamique
avec l’Europe
est capable
d’assurer l’avenir
de la Suisse»
Les signataires de l’appel
«La Suisse en Europe»
tretenu sciemment pour conserver une marge de manœuvre
avec l’UE? Pas impossible. Le
Conseil fédéral vient d’ailleurs
d’adopter son mandat de négociation avec Bruxelles. Il le soumet cette semaine à la Commission de politique extérieure du
Conseil des Etats. Puis ce sera
au tour de la commission du
Conseil national de donner son
appréciation.
Menaces de référendum
Pendant ce temps, des associa-
tions proeuropéennes de la société civile donnent de la voix.
Dernière en date, hier: l’appel
«La Suisse en Europe», où une
centaine de personnalités se disent «convaincues que seule une
coopération large et dynamique
avec l’Europe est capable d’assurer l’avenir de la Suisse». Parmi
les signataires, les anciens conseillers fédéraux Ruth Dreifuss,
Micheline Calmy-Rey et Pascal
Couchepin, le patron de l’EPFL,
Patrick Aebischer, le directeur
de la BCV, Olivier Steimer, ou le
président de la SSR, Raymond
Loretan.
Le Conseil fédéral, lui, ne peut
pas compter pour l’instant sur un
soutien des partis. Seul le PLR
adhère peu ou prou à son projet
de loi de contingents présenté en
juin. Le message gouvernemental définitif interviendra d’ici à la
fin de l’année. S’ensuivra une
mise en consultation du texte
auprès des acteurs politiques et
économiques concernés. Si tout
va vite, le Parlement pourrait se
saisir du dossier à la session
d’automne 2015. On verra alors si
un consensus se dégage enfin entre les partis qui veulent sauver
les bilatérales. Des menaces de
référendum, à gauche comme à
droite, planent déjà. Si toutes les
solutions échouent, le Conseil fédéral sera tenu de réguler l’immigration par voie d’ordonnance.
Lire l’éditorial
en page une: «Désunion
sacrée face à l’Europe»
L’UDC veut le retour des contingents PS et Verts contre le dumping
U Forte de sa victoire le 9 février,
l’UDC demande qu’on applique
strictement son initiative. Selon
elle, il y a urgence puisque
l’immigration nette a encore
augmenté en Suisse. Elle
atteindra plus de 100 000 personnes en 2014. Le parti veut
donc une préférence nationale à
l’embauche. Il réclame aussi
l’introduction rapide de contingents annuels, selon le modèle
qui a prévalu entre 1970 et 2002.
En gros, on autorise uniquement
la main-d’œuvre dont le pays a
besoin.
Ce week-end, Christoph
Blocher a créé la surprise en
n’excluant pas un autre système
que les contingents s’il permet
de diminuer notablement
l’immigration. L’ex-conseiller
fédéral UDC cite notamment la
proposition du professeur
d’économie Reiner Eichenberger, qui veut instaurer une taxe
pour tout engagement d’un
travailleur de l’étranger. Cela
encouragerait financièrement les
entreprises suisses à recourir à la
main-d’œuvre indigène.
Dans la renégociation avec
l’UE, l’UDC ne craint pas de jeter
le bébé avec l’eau du bain. En
clair, elle se dit prête à sacrifier
les bilatérales si l’UE refuse tout
compromis sur la libre circulation des personnes. Un changement de ton: avant l’acceptation
de son initiative, le parti affirmait
qu’il n’y aurait pas de gros
problèmes pour conserver les
bilatérales.
L’UDC se méfie du Conseil
fédéral et des autres partis. Si
son initiative n’est pas appliquée, elle lancera une initiative
de mise en œuvre. Et si elle fait
l’objet d’une loi d’application
trop laxiste, elle lancera un
référendum. AR.G.
U Le Parti socialiste, qui
réclamait encore une application
stricte de l’initiative UDC lors des
entretiens de Watteville, a
désormais viré de bord. Il a
rejoint les Verts, qui militent
depuis le début pour une
application très souple et surtout
eurocompatible du nouvel
article constitutionnel.
En résumé, les deux formations veulent appliquer l’esprit
de l’initiative mais non la lettre.
Ce qui signifie qu’elles s’opposent aux contingents et à la
préférence nationale à l’embauche. Mais elles sont d’accord sur
l’objectif de diminuer l’immigration. Comment? Plusieurs
mesures sont envisagées. La
première consiste à abolir le
dumping fiscal pratiqué par
certains cantons. Pour la gauche,
on attire ainsi artificiellement
des entreprises étrangères
uniquement mues par l’appât du
gain. Entreprises (et emplois) qui
repartiront dès qu’un forfait
fiscal plus avantageux sera
trouvé dans un autre pays.
La gauche réclame également
de privilégier la main-d’œuvre
indigène. D’abord, en construisant des crèches pour permettre
aux femmes de mieux concilier
leur vie familiale et leur vie
professionnelle. Ensuite, en
lançant une vaste offensive dans
la formation pour éviter de
recruter en masse à l’étranger.
Idéalement, la gauche
souhaite que le Parlement vote
une loi d’application dans ce
sens, comprenant également des
mesures contre le mitage du
territoire. Elle ne craint pas un
référendum de l’UDC. Une partie
de la gauche souhaiterait même
une clarification de nos rapports
avec l’UE en organisant un vote
frontal sur les bilatérales. AR.G.
Le PLR vise les pays hors UE
PDC et PBD veulent un nouveau vote
Sous le choc après l’acceptation
de l’initiative UDC, le PLR avait
fait une proposition iconoclaste,
sous le coup de l’émotion. Il
avait exigé que l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher
soit nommé secrétaire d’Etat
spécial et mène les négociations
avec l’Union européenne…
Didier Burkhalter n’avait pas
trouvé cela drôle.
Depuis, le parti a retrouvé ses
esprits et n’a pas dévié de sa
ligne. Il est le seul à vraiment
soutenir la proposition du
Conseil fédéral, qui veut, coûte
que coûte, concilier application
U Comme le Parti socialiste, le
PDC a infléchi sa position. Alors
qu’il militait il y a quelques mois
pour une application conséquente de l’initiative UDC, il la
veut aujourd’hui tout en
souplesse. Son objectif prioritaire
est en effet de sauver les bilatérales au nom des intérêts économiques et du pays tout entier.
Pour ce faire, il a décidé de
sortir le grand jeu. Avec son allié,
le Parti bourgeois-démocratique
(PBD), il a déposé une initiative
parlementaire à la dernière
session des Chambres. Elle vise à
inscrire dans la Constitution «la
Contrôle qualité
stricte de l’initiative et sauvegarde des bilatérales. Le parti
croit même avoir trouvé l’œuf de
Colomb pour résoudre la
quadrature du cercle.
Comment? En se montrant
doux avec l’immigration en
provenance de l’Union européenne et dur avec les ressortissants du reste du monde. En
gros, on baisse drastiquement les
contingents pour cette dernière
catégorie. Le texte de l’initiative
UDC, qui figure désormais dans
la Constitution, ne mentionne en
effet pas l’UE même si elle a été
au cœur de la campagne.
Le PLR veut aussi des
mesures d’incitation pour
favoriser la main-d’œuvre
indigène, et notamment les
femmes et les seniors. Il s’oppose en revanche à toute
extension des mesures d’accompagnement.
Le parti s’oppose aussi à tous
ceux qui, à l’instar du professeur
Thomas Cottier ou du duo
PDC-PBD, militent pour une
nouvelle modification de la
Constitution afin de corriger le
tir du 9 février. Il estime que la
population prendrait cela pour
un non-respect du vote. AR.G.
collaboration contractuelle de la
Suisse avec l’UE». Cette proposition a cependant passé de
justesse au sein du groupe PDC.
Une forte minorité la juge
néfaste. D’abord parce que l’on
rend la Constitution de plus en
plus confuse en y empilant des
articles contradictoires. Ensuite
parce qu’en proposant un
nouveau vote, on donne à la
population le sentiment de ne
pas accepter le verdict du
9 février.
Le parti a senti le danger et
répète qu’il n’en est rien. Il se
prononce pour une baisse de
l’immigration et fait depuis des
semaines la leçon aux patrons.
Ces derniers sont accusés de
recourir toujours aussi massivement aux travailleurs de l’UE et
donc de ne pas assez employer
de main-d’œuvre indigène. Ce
qui apporte de l’eau au moulin de
l’UDC.
Les démocrates-chrétiens se
prononcent pour une politique
de formation qui corresponde
aux besoins de l’économie. Et,
comme d’autres partis, ils
militent pour que les femmes et
les aînés soient mieux intégrés
dans le marché du travail. AR.G.