LeTemps.ch | Christoph Blocher: le poison

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LeTemps.ch | Christoph Blocher: le poison
E d i t o r i a l Jeudi 13 février 2014
C h r i sto p h B l o ch er : l e p o i so n
Par Par Pier r e Vey a
L e tr i bu n zu r i ch o i s i n su l t e l e s Ro m a n d s e t dé cr i t sa vr a i e
st r a t é g i e , r o m pr e dé f i n i t i ve m e n t a ve c l ’ Un i o n e u r o p é e n n e
C’est dit en quelques mots bien choisis et dûment relus. «Les Suisses romands ont une conscience
nationale plus faible.» Autrement dit, ce ne sont pas de «bons» patriotes. Il aurait pu ajouter dans le lot
les Zurichois, les Zougois et les Bâlois. Ou tous ceux, les 49,7% d’Helvètes, qui n’ont pas voulu remettre
en cause les accords de libre circulation et, plus fondamentalement, nos relations avec l’Europe.
Christoph Blocher commet l’insulte à l’égard de la minorité, non en lui reprochant son vote mais en
mettant en doute sa loyauté à l’égard du pays.
C’est un procédé inqualifiable et pour tout dire odieux. Ce n’est pourtant pas un dérapage ou un excès
de démagogie dans un climat politique très tendu. Mais des propos révélateurs de la pensée ultime du
stratège et chef réel de l’UDC: la Suisse doit mettre fin à ses relations avec l’Union européenne, entité
qu’il voue aux gémonies depuis tant d’années. Les ​R omands et les élites en général (ceux que les
populistes disqualifient soi-disant par soli​d arité avec les masses laborieuses) non seulement se
trompent, mais ne défendraient pas les intérêts de la Suisse.
Jusqu’ici, ce pays a toujours évité une confrontation frontale sur la question européenne, cherchant un
compromis acceptable de part et d’autre. Christoph Blocher a la franchise de dire que cette voie doit
être abandonnée et il est prêt à revenir au Conseil fédéral pour l’imposer. Ceux qui doutent encore de
l’objectif final du tribun zurichois sont avertis. L’UDC, malgré les contorsions pathétiques de ses élus,
fait de l’Europe sa cible principale, dénoncera la mollesse du Conseil fédéral et exigera une mise en
œuvre stricte de la politique des contingents, quels qu’en soient les coûts. Le Fribourgeois JeanFrançois Rime s’est même prononcé pour un rétablissement du statut de saisonnier.
Est-ce cette Suisse-là que nous voulons vraiment? Doit-on poursuivre le dialogue avec un parti qui se
moque de la réalité de nos échanges avec l’Europe, insulte les minorités et fait fi de nos intérêts
stratégiques avec notre principal partenaire commercial et politique? L’UDC, et son maître à penser,
contraint ce pays à une négociation dont elle sait déjà qu’elle sera difficile et décevante, sans assumer
les responsabilités du pouvoir. C’est un jeu diabolique. Pendant combien de temps acceptera-t-on, à
droite, à gauche et dans les milieux économiques, cette partie de dupes qui entame notre crédibilité
internationale et nous conduit tout droit à la récession? Car c’est un comble: le pays le plus ouvert du
monde et l’un des plus prospères de la planète se laisse manipuler par le poison protectionniste qui a
fait tant de mal au sortir de la Première Guerre mondiale. C’est de cela qu’on doit parler, et pas
seulement de la nature des contingents à réintroduire.
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