Revue Œnologie N°191 - Union des oenologues de France
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Revue Œnologie N°191 - Union des oenologues de France
Vins de garde élaborés par macération carbonique FLANZY C. (1), SAMSON A.(2), BOULET J.-C. (2), ESCUDIER J.-L.(2) (1) Institut National de la Recherche Agronomique, Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Montpellier Place Viala - 34060 Montpellier (2) Institut National de la Recherche Agronomique, Unité Expérimentale d’œnologie de Pech Rouge - 11430 Gruissan Pour le concepteur de la vinification par macération carbonique, une série séquencée de phénomènes devait être mise en jeu au cours du déroulement de ce “nouveau système de vinification en rouge” (1) (2). Ainsi, une étape de séjour en atmosphère anaérobie de la vendange “entière” précédait une deuxième étape durant laquelle les raisins, après foulage, étaient soumis à deux types principaux d’évolution : d’une part, la fermentation levurienne, d’autre part, les échanges “diffusifs” entre la phase solide (pellicules, pulpes, rafles) de la matière première et une phase liquide (le moût) progressivement enrichie en éthanol. V I N I F I C AT I O N Sur le plan théorique, au métabolisme anaérobie des fruits entiers succédait un métabolisme fermentaire alcoolique des levures qui interférait avec les facteurs physicochimiques d’une macération. Puis, la vinification se poursuivait selon les schémas connus à cette époque. Si les premières expérimentations ont respecté le processus proposé, il est rapidement apparu que sa transposition à l’échelle industrielle s’avérait difficile. En effet, même dans les cas où existait la volonté de favoriser au maximum le phénomène biologique original de cette technique (métabolisme anaérobie du raisin), l’utilisation d’une cuverie classique conduisait à un écrasement partiel de la vendange lors de l’encuvage ou par éclatement progressif des baies durant la première étape de la vinification. Le praticien s’est trouvé alors dans une situation hybride où cohabitent les trois phénomènes de métabolisme anaérobie, de fermentation alcoolique levurienne et d’extraction par macération. 20 Une telle coexistence permet de réduire la durée de vinification, même si cette dernière n’exploite pas totalement le potentiel de la matière première. Ainsi, une fraction des grappes (fraction plus ou moins importante selon les adaptations techniques utilisées comme les remontages) a éclaté et, donc, a pu participer à des extractions facilitées ; a contrario, la partie demeurée entière de l’ensemble des raisins a certes bénéficié au maximum des effets du métabolisme anaérobie mais est peu intervenue dans l’enrichissement de la phase liquide en composés solubles. Par commodité, l’étape intermédiaire de foulage a été considérée comme le terme de la cohabitation phase solidephase liquide de la vendange. Les vins obtenus de cette façon ont répondu durant longtemps aux souhaits d’une part importante du marché ; le schéma proposé initialement, plus contraignant en moyens techniques et en durée, a été abandonné puis oublié. Cependant, pour améliorer encore leur produit et renforcer les caractéristiques du type de vin recherché (longue garde, par exemple), certains praticiens et expérimentateurs ont introduit des variantes qui tendaient, indirectement, à retrouver la démarche du concepteur. Ainsi, dans les années 80, des producteurs de Châteauneufdu-Pape en accord avec les résultats des essais conduits à Pech Rouge (INRA), ont procédé à des prolongations de macération après la fin de fermentation levurienne des jus en fond de cuve (15 à 20 jours au total). Par ailleurs la pratique du soutirage des jus de goutte fermentés et le remplacement de ceux-ci par injection de moûts frais dans la vendange initiale a été systématisée dans certaines caves (1ère étape de macération-fermentation de 15 à 20 jours). Les résultats obtenus ont été probants (3). La dégustation récente de tels produits de 15-20 ans, élaborés par macération carbonique, a révélé des Châteauneuf-du-Pape de très grande classe. En relation également avec le souci d’obtenir des vins de base aptes à bénéficier d’un élevage en barrique, depuis une quinzaine d’années, de nombreux techniciens ont proposé des solutions originales. Par exemple, l’emploi d’enzymes à activités pectolytiques a été préconisé (4). Des durées de macération de un à deux mois sont pratiquées dans quelques chais, avec l’obtention de vins aux tanins très harmonieux. L’utilisation de cuves rotatives autovidantes avec des rotations en nombre et à vitesse réduits conduisent à de bons résultats en Côtes-du-Rhône. L’unité expérimentale de Pech Rouge (INRA Gruissan) continue de travailler sur la vinification par macération carbonique. Ce travail porte sur les aspects théoriques et pratiques avec, notamment, la prise en compte des divers types de vins souhaités par les marchés. Le document présenté ici a pour objet de proposer des conclusions synthétiques tirées d’un ensemble d’essais, conduits depuis 1991 (5), sur l’obtention de vins de base de garde par macération carbonique. 1 Matériel et méthodes Plusieurs essais ont été conduits à l’unité expérimentale de Pech Rouge durant une dizaine d’années à partir de cépages cultivés dans le vignoble d’appellation du domaine et référencés dans les A.O.C. méridionales françaises : Carignan, Syrah, Grenache, Mourvèdre. Nous prendrons pour exemple le cépage Syrah, avec deux millésimes : 1995 et 1996. 1.1- Matériel végétal La parcelle de Syrah considérée a été plantée il y a 10 ans. Elle se caractérise par un sol de calcaires durs, avec une conduite en double cordon de Royat et une faible production, ne dépassant pas les 45 hl/ha. 1.2- Protocole expérimental Les raisins sont cueillis au stade de leur maturité industrielle. Le dispositif de répartition à la vigne des grappes cueillies manuellement (6) permet de constituer des lots de vendange de compositions suffisamment proches pour évaluer ultérieurement les différences liées aux variantes technologiques. Chaque lot sera traité selon une modalité œnologique particulière. L’encuvage des lots de “raisins entiers” (non éraflés – non foulés) est réalisé dans des récipients de 30 à 100 hl (en acier inox) Revue Française d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191 préalablement remplis de dioxyde de carbone (CO2). L’apport de CO2 est maintenu après encuvage jusqu’à saturation apparente de l’atmosphère de la cuve. Tableau 2- Composition polyphénolique de la Syrah 1995 1996 (8 mois) 2000 (54 mois) T P E T P E Selon l’état sanitaire de la vendange, un apport de dioxyde de soufre (SO2 = 3 à 5 g.hl-1) est effectué. Le levurage du moût de fond de cuve est systématisé avec l’apport de levures sèches actives (1.106 levures. ml-1). Antho. totales mg.l-1 382 401 406 188 204 213 Tanins g.l-1 2,97 3,26 3,59 3,27 3,23 3,41 Trois types de lots sont constitués. A 280 nm 56,2 59,6 62,3 51,7 54,4 57,9 • T = témoin Macération carbonique de 7 – 8 jours (jus de goutte à densité inférieure ou égale 1) suivie du décuvage – pressurage. La fin de fermentation levurienne et la transformation malolactique se déroulent en phase liquide. *Ind HCl % 51 53 53 35 31 37 *Ind Ethanol % 5,7 5,4 3,9 16 14 13 • P = prolongé Macération carbonique de 7 – 8 jours (jus de goutte à densité ≤ 1,000) avec maintien, durant 7 à 10 jours du contact phase solide de la vendange – jus de goutte. Durant cette deuxième période, des remontages (1 par 24 h) favorisent l’éclatement des baies encore entières et donc les échanges entre phases. Après décuvage – pressurage, les jus terminent si besoin est, de fermenter (fermentation alcoolique et malolactique). • E= enzymé Ce lot suit le même protocole que le lot P mais reçoit, en outre, une addition de préparation d’enzymes pectolytiques Kzym (2g.hl-1) avant le premier remontage. En 1996, le lot E a bénéficié d’un équipement en circuit fermé permettant la récupération et la réincorporation dans la cuve des composés volatils présents dans le CO2 dégagé par la vendange. La température de la première étape de vinification est programmée entre 30 – 32°C dans la masse de la vendange (cuves thermorégulées ou enceintes climatisées). La deuxième étape (fin des fermentations) est conduite à une température de l’ordre de 20°C. Après fermentation malolactique, soutirages et traitements des vins sont effectués selon des schémas habituels. Le stockage en bouteille est réalisé en œnothèque (15°C). 1.3- Analyses 1.3.1- Analyses physico-chimiques Pour le millésime 1995, les paramètres classiques de base (tableau 1) ont été mesurés au 14ème et au 54ème mois après la fin des fermentations ; certains critères spécifiques aux polyphénols ont été évalués au 8ème et au 54ème mois (tableau 2). Tableau 1- Composition physico-chimique de la Syrah 1995 1996 (14 mois) Extrait sec g.l-1 Ethanol % vol. à 20°C T 24,8 P 24,8 E 25,0 2000 (54 mois) T 25,0 P 25,5 E 25,8 12,90 12,80 12,75 12,95 12,85 12,80 * Indices proposés par Glories (7) 1.3.2- Dégustations Deux systèmes d’évaluation sensorielle des vins ont été retenus. Le premier fait appel à un expert ou à un petit nombre (5 à 6) d’experts proposant des descripteurs libres avec ou sans échelle d’intensité. Le deuxième regroupe de 15 à 20 dégustateurs qui doivent se prononcer sur 12 variables prédéterminées (tableau 3). Une échelle d’intensité croissante (0 à 5) est utilisée pour chaque variable sauf pour le descripteur "préférence" (échelle hédonique). Tableau 3- Critères d’évaluation sensorielle des dégustateurs Descripteurs Visuel Intensité de la couleur Nuance de la couleur Sens de la notation 0 5 peu peu évoluée (violette) très très évoluée (orangée) Olfactif Intensité de l’odeur Typicité mac. carbonique peu peu très très Gustatif Intensité de l’arôme Typicité mac. carbonique Chaleur Structure Tanins Amertume Persistance peu peu aqueux simple âpres, acerbes peu court très très moelleux, alcoolisé charpenté fondus très long Préférence peu apprécié très apprécié NB : Les dégustateurs sont au nombre de 15 à 20. Les trois vins (T, P, E) sont présentés simultanément à chaque juge ; l’ordre de présentation est aléatoire d’un juge à l’autre et d’une séance à l’autre. L’effet juge est pris en compte pour le traitement des données par analyse de variance et test de Student Newman – Keuls (8). 2 Résultats Quels que soient les cépages mis en œuvre et les millésimes d’expérimentation, les réponses obtenues présentent de nombreuses similitudes. Aussi, par souci de clarté, nous retiendrons comme modèle, principalement, les résultats obtenus sur Syrah en 1995. pH 3,85 3,92 4,00 3,90 3,92 4,03 A.T.g.l-1 H2SO4 3,15 2,85 2,65 2,65 2,90 2,40 A.V.g.l-1 H2SO4 0,39 0,43 0,48 0,42 0,45 0,49 Mal.g.l-1 H2SO4 < 0,1 < 0,1 < 0,1 A 420 nm 3,54 3,47 3,45 4,10 4,25 4,47 2.1.1- Paramètres classiques A 520 nm 5,15 5,04 4,73 4,73 4,79 5,14 A 620 nm 1,45 1,44 1,50 1,43 1,48 1,63 IC’ 10,14 9,95 9,68 10,26 10,52 11,24 Nuance 0,69 0,69 0,73 0,87 0,89 0,87 35 48 57 23 26 23 Selon le traitement adopté (T, P ou E) les valeurs des différents paramètres varient (tableau 1). Ainsi, l’extrait sec augmente légèrement du vin T au vin E ; il en est de même pour le pH et l’acidité volatile. Inversement, l’acidité totale (à l’exception de la valeur du vin P au 54ème mois) et la teneur en éthanol diminuent de T à P puis à E. 21 20 28 18 13 14 SO2 total mg.l-1 SO2 libre mg.l-1 2.1- Paramètres physico-chimiques Si des valeurs plus importantes de SO2 (libre et total) sont Revue Française d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191 21 retrouvées sur E au 14ème mois, les teneurs des trois vins au 54ème mois sont équivalentes. Entre les deux dates d’analyse, une augmentation faible mais non significative du pH (0,03 à 0,05 unités), des teneurs en extrait sec (0,2 à 0,8 g.1-1) et en éthanol (0,05 p. 100 vol.) est enregistrée. L’acidité totale diminue généralement (0,25 à 0,5 g.l-1 H2SO4) ainsi que les concentrations de SO2 (libre et total). Une légère augmentation d’acidité volatile apparaît. Préférence Persistance Intensité de la couleur 4 Nuance de la couleur 3 Intensité de l'odeur 2 1 Amertume 0 Typicité de l'odeur 2.1.2- Indices chromatiques et composés phénoliques Les effets des traitements diffèrent entre le 14ème et le 54ème mois d’analyse (tableau 1). Au 14ème mois, les absorbances à 420 et 520 nm, l’intensité colorante diminuent de T à P et E. L’absorbance à 620 nm et la nuance augmentent dans le vin E. Au 54ème mois, les valeurs des anthocyanes et des tanins croissent de T à E sauf celles de la nuance sensiblement identiques pour les trois vins. Du 14ème au 54ème mois, intensité colorante, nuance et absorbance 420 nm augmentent alors que seul le lot E augmente ses absorbances à 520 et 620 nm. et au 54 mois mettent en Les analyses réalisées au 8 évidence une légère augmentation des anthocyanes totales, des tanins et de l’absorbance à 280 nm du T au P puis au E (tableau 2). L’indice d’éthanol tend à diminuer de T à E alors que les valeurs de l’indice HCl diffèrent peu entre traitements. ème 2.2- Dégustations Les vins issus des expérimentations de 1995 et 1996 sont pris comme modèles. A la dégustation, les vins de chaque millésime apparaissent comme membres d’une même famille mais présentent souvent des différences significatives de l’un à l’autre. 2.2.1- Vins de 1995 Au 16ème mois après la fin des fermentations, le jury de 16 dégustateurs différencie les trois vins (T, P, E) pour trois variables (nuance, typicité de l’arôme, odeur de l’arôme) sur les douze proposées (tableaux 3 et 4, figure 1). Tableau 4- Analyse sensorielle à 15 mois : regroupement des vins de Syrah 1995 par le test de comparaison des moyennes de Student- Newman - Keuls. Visuel Intensité de la couleur Nuance de la couleur Olfactif Intensité de l’odeur Typicité “macération carbonique” de l’odeur Gustatif Intensité de l’arôme Typicité “macération carbonique” de l’arôme 22 Typicité de l'arôme Structure Chaleur T : MC témoin P : MC prolongée E : MC prolongée et enzymée Figure 1- Profils sensoriels des trois vins en MC de Syrah 1995, à 16 mois. ème Entre 8 et 54 mois, des pertes d’environ 50 p. 100 en anthocyanes totales sont enregistrées. Alors que les concentrations en tanins évoluent peu, les valeurs de l’absorbance à 280 nm diminuent (10 p. 100). L’indice d’éthanol triple et l’indice HCl diminue de 30 à 40 p. 100. Descripteur Intensité de l'arôme Tanins Vins Moyenne du jury Regroupement* P E T 3,75 3,56 3,50 x x x P E T 3,06 2,63 2,06 x x E T P 3,25 3,06 2,75 x x x E T P 3,31 3,25 2,44 x x E P T 3,31 3,00 2,81 x x x E T P 3,50 2,56 2,50 x x *Les moyennes reliées ne sont pas statistiquement différentes. x x La couleur de T serait moins évoluée (jaunissement) que celle de P. Cependant, les mesures physico-chimiques ne corroborent pas cette observation. E dont “odeur typique de macération carbonique” est supérieure à celle de P, présente un arôme de macération carbonique plus typique que celui des deux autres vins. E aurait une intensité aromatique, une structure et une persistance en bouche supérieure ; malgré une sensation moindre de moelleux, il serait préféré. Au 16ème mois également, un expert à évalué les trois vins selon une méthode descriptive associée à une quantification de critères sur une échelle d’intensité croissante (0 à 5 ; 9). Les observations sont présentées pour chaque échantillon successivement au niveau de la vision, de l’olfaction, du goût et de la persistance finale. T- R4 (rouge) – BI 1 (bleu) Fruité 3. Cire d’abeille. Beaucoup de souplesse initiale puis tanins amers. AC 1 (acidité), M 3-4 (moelleux), T 4-3 (tanins), Longueur = 5-6 s (seconde). P- R4+ – BI 2-3 Fruit rouge mûr. Epice = poivre, léger fumé, Epicé, fruité, souplesse, gras. Finale réglisse. AC 1-2, M 4, T4+, A1C 3 (alcool). Longueur = 6 s E- R4+ – BI 2-3 Fruits confits. Epices dominantes. Réglisse. Iris. Complexe. Eau de vie. Très tannique, asséchant. Finale réglisse. AC 1-2, M 3-4, T5. Longueur = 6 s Au cours du 53ème mois après fermentation, 5 dégustateurs ont jugé les 3 vins d’excellent niveau. T – Odeur et arôme de vin de Syrah peu intense mais encore étonnamment jeune, amylique. Complexe en bouche, riche, très harmonieux. P – Odeur et arôme de fruits cuits. Ample en bouche. Tanins bien présents mais harmonieux. E – Odeur et arôme de fruits cuits plus intenses que pour P. Le plus complet en bouche. Supérieur dans l’ensemble aux 2 autres vins. 2.2.2- Vins de 1996 x x Durant le 8ème mois après fermentation, 11 dégustateurs ont évalué les 3 vins (T, E, E + CO2) pour les 12 variables signalées dans le tableau 3. Cinq variables présentent des valeurs statistiquement différentes entre les échantillons. Intensité de la couleur = E inférieur aux 2 autres. Intensité olfactive, intensité gustative, typicité gustative (macération carbonique) = T supérieur aux 2 autres. T est préféré aux 2 autres vins. Cinq dégustateurs ont évalué les lots vins T et E + CO2 durant le 41ème mois. Les deux vins présentent une odeur animale qui part après agitation et laisse place à une grande finesse aromatique. Le vin E + CO2 est préféré à T car plus complet avec beaucoup de volume en bouche. Revue Française d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191 3 Discussion davantage de complexité olfactive, aromatique et gustative ; ils ont plus de structure avec des tanins présents mais non agressifs. En préambule à l’interprétation des résultats, il paraît souhaitable de rappeler les objectifs poursuivis à travers la mise en œuvre de divers traitements durant cette expérimentation. • Le conditionnement des raisins en milieu anaérobie (CO2) a pour but de bénéficier de l’auto-transformation du fruit (métabolisme anaérobie = MA) avec des incidences sur les caractéristiques de la matière première en cours de transformation, du métabolisme des micro-organismes (levures, bactéries malolactiques), des caractéristiques du produit final (10). • Les conditions physiques de la première étape de vinification (anaérobie immédiate, température élevée, durée) sont sélectionnées pour amplifier et accélérer les phénomènes liés au MA (3). • La récupération des gaz de fermentation permet d’enrichir la vendange en composés d’arômes issus de la fermentation du moût par les levures (11). • Le maintien du contact entre phase solide (vendange) et phase hydroalcoolique (vin de goutte) tend à faciliter la diffusion de certains composants des raisins sous l’effet de l’éthanol. • Les remontages doivent permettre d’accélérer l’éclatement des fruits encore entiers et donc d’améliorer les échanges entre phases. En outre, en homogénéisant les contacts entre vendange et vin de goutte, les remontages renforcent les extractions à partir de toute la masse de vendange. • L’utilisation d’enzymes pectolytiques conduit à accroître la désorganisation tissulaire et cellulaire des fruits, et donc à favoriser les diffusions. 3.1- Incidences des contacts accrus entre vendange et phase hydroalcoolique Dans les premiers mois après fermentations, plusieurs paramètres présentent des évolutions (nettes ou seulement des tendances) de T à E, via P. Ainsi, une diminution d’acidité totale s’accompagne d’une élévation de pH : une précipitation accrue de bitartrate de potassium expliquerait ce phénomène. L’augmentation d’acidité volatile enregistrée peut être liée à une activité bactérienne (lactique) résiduelle. La baisse de la teneur en éthanol traduit vraisemblablement une absorption amplifiée de l’alcool par la phase solide (les rafles notamment) ; la différence légère entre les vins P et E est difficile à interpréter. Les valeurs de l’intensité colorante, des couleurs rouge et jaune, de l’indice (indice d’éthanol) de combinaison des anthocyanes avec des sels ou des polymères s’abaissent alors que la couleur bleue et la nuance jaune augmentent légèrement avec le traitement enzymatique. Les vins ne présentent pas de différences significatives au niveau des tanins condensés. Des différences significatives apparaissent entre vins jeunes et vins correspondants après plusieurs années de stockage. La poursuite de la précipitation du bitartrate de potassium peut justifier la baisse de l’acidité totale accompagnée d’une élévation du pH. La concentration des anthocyanes perd près de 50 p. 100 de sa valeur entre le 8ème et le 54ème mois ; les tanins évoluent peu comme le traduit, pour partie, la perte de 10 p. 100 en absorbance à 280 nm. Les vins conservés 54 mois présentent une couleur jaune, une nuance et une intensité colorante plus élevées. Alors que les tanins très condensés semblent avoir logiquement précipité au cours du temps, les combinaisons pigments – polymères se sont fortement développées induisant, peut être, une modification et une stabilisation de la couleur. A cet égard, au 54ème mois, le vin E se révèle très différent des deux autres par les niveaux plus élevés de sa couleur bleue, de sa couleur rouge (s’agit-il d’une valeur aberrante ?) et de son intensité colorante. Le prolongement ou l’accroissement du contact entre phase solide et phase liquide (lots P ou E) conduit à des vins ayant Il est remarquable que, dans de nombreux cas, la fraîcheur, les caractères de jeunesse se retrouvent après de longs mois. Les conditions (température, obscurité, …) dans lesquelles ces vins ont été stockés ne sont vraisemblablement pas étrangères à la lente évolution des produits. Si les vins T sont souvent préférés dans les premiers mois, un glissement des préférences vers les vins P et E apparaît au cours du temps. Ces observations rejoignent celles faites antérieurement sur le passage d’arômes de jeunesse aux arômes de maturité des vins de macération carbonique (12). De même, les vins élaborés à basse température (15 – 20°C) dans la première étape d’une macération carbonique présentent un bon classement par les jurys de dégustation dans les tous premiers mois (1 à 3 mois) suivant les vinifications. Puis, rapidement les jurés élisent les vins ayant bénéficié de températures plus élevées (25 et enfin 35°C) au cours de cette étape initiale (3) ; ces températures élevées de la vendange entière en atmosphère anaérobie favorisent également les extractions de polyphénols et l’intensité du métabolisme anaérobie. 3.2- Essai de synthèse Des travaux récents (13) apportent un éclairage très original sur des phénomènes liés au métabolisme anaérobie (MA) du raisin. En macération carbonique (MC), les taux de diffusion des polyphénols (calculés à partir du potentiel polyphénolique total des fruits) dans les jus de goutte et de presse sont limités. Ce déficit s’expliquerait, notamment, par la formation in situ (dans les cellules des raisins) de nouveaux composés, non solubles, à partir des anthocyanes. Deux hypothèses sont avancées pour rendre compte de ce déficit. En anaérobiose, une partie des anthocyanes des pellicules serait dégradée en substances incolores, par des réactions d’oxydation enzymatique. Une autre partie des anthocyanes donnerait des pigments polymériques par oxydation ou polymérisation avec des tanins. L’auteur a montré que l’extraction à partir des pellicules est améliorée par foulage de la vendange avant fermentation ou lorsque le raisin est immergé en milieu hydroalcoolique. D’autre part, B. Labarbe (13) note que, dans la rafle, des glomérules tanniques non extractibles se formaient au cours du MA. Cette dernière observation pourrait expliquer l’absence, en général, de sensation tannique agressive à la dégustation de vins de MC. Au vu des connaissances actuelles, il apparaît que, dans une vinification par MC conduite avec les adaptations expérimentées, se confrontent des phénomènes aux effets antagonistes ou synergiques. • Le MA des raisins est à l’origine d’une grande partie des caractéristiques des vins de MC, notamment au niveau de l’équilibre entre leurs différents constituants. Mais, comme cela a été présenté ci-dessus, le MA limite la diffusion des polyphénols dans les moûts, ce qui conduit à des vins moins colorés, parfois. • Des baies entières placées en phase gazeuse anaérobie (CO2) enrichie par des vapeurs provenant du moût en fermentation, absorbent une partie des substances volatilisées. Ainsi, les vins de presse de MC sont plus riches en éthanol et ils sont préférés en dégustation aux vins de goutte correspondants (2 ; 9 ; 12). • Des baies entières immergées dans un liquide (eau sulfitée, moût ou vin) développent un MA limité (par inhibitions et diffusions) ; ce dernier est rapidement arrêté lorsque la concentration en éthanol (2 à 6 p. 100) du milieu liquide augmente (13). A l’inverse, l’immersion en milieu hydroalcoolique améliore l’extraction des polyphénols de la pellicule permettant une augmentation de la couleur des vins. Par ailleurs, l’hypothèse d’une diffusion accrue des composés d’arômes des pellicules de tous les raisins de l’ensemble de la vendange par la phase liquide ou lors des remontages ne peut être exclue. Revue Française d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191 23 • Favoriser le contact phase liquide – phase solide par augmentation de sa durée ou par son renforcement (remontages) entraîne deux autres conséquences sur le plan technologique. D’une part, le volume de moût de presse diminue à la suite de l’éclatement provoqué d’un nombre plus important de fruits. D’autre part, la différence entre vin de goutte et vin de presse au niveau de la teneur en alcool ainsi qu’au niveau organoleptique tend à se réduire considérablement. Pour réaliser une vinification par macération carbonique répondant aux objectifs souhaités, il convient donc de trouver un équilibre entre les différents phénomènes impliqués. L’équilibre sera souvent un compromis, orienté par le type de vin recherché = primeur, moyenne ou longue garde, consommation directe ou après assemblage, réserve d’arômes ou d’autres constituants… Selon ce type, l’œnologue favorisera un phénomène de préférence à un autre. (7) GLORIES Y. (1978). Recherches sur la matière colorante des vins. Thèse université de Bordeaux II. (8) KEULS M., (1952). The use of the studentized range in conection with analysis of variance. Euphytica,1, 112 - 122. (9) RAZUNGLES A., (1995). Analyse sensorielle des vins. Cours E.N.S.A. Montpellier. (10) FLANZY C., (1998). Métabolisme anaérobie et maturation du raisin. Vinification par macération carbonique. In Flanzy C. Œnologie = fondements scientifiques et technologiques, 561 – 578, 779 – 789. (11) TESNIERE Catherine, BAUMES R., BAYONOVE C., FLANZY C., (1989). Effect of simulated alcoholic fermentation on aroma components of grape berries during anaerobic metabolism. American Journal of Enology and Viticulture, 40, 183 – 188. (12) ETIEVANT P., ISSANCHOU Sylvie, MARIE S., DUCRUET V., FLANZY C., (1989). Sensory impact of volatile phenols on red wine aroma : influence of carbonic maceration and time of storage. Sciences des Aliments, 9, 19 – 33. (13) LABARBE B., (2000). Le potentiel polyphénolique de la grappe de Vitis Vinifera var. Gamay noir et son devenir en vinification beaujolaise. Thèse de spécialité Sciences des Aliments. E.N.S.A. Montpellier. CONCLUSION La vinification par macération carbonique permet d’obtenir, à partir d’une même matière première, une gamme étendue de types de vins : vins primeurs et vins nouveaux avec leurs arômes caractéristiques ; vins de garde de haut niveau qualitatif ; vins de base pour élevage sous bois ; vins de "réserves technologiques" pour entrer dans des assemblages en tant que vin améliorateur. Pour cela, il est nécessaire d’adapter la conduite de la vinification à un objectif économique fixé. La polyvalence de la méthode a été démontrée antérieurement grâce à la mise en œuvre du couple température – durée d’action de cette température au cours de la première étape de vinification. Depuis une dizaine d’années, des procédés ont été proposés ou repris de façon à compléter l’arsenal dont dispose l’œnologue : prolongation du contact de la vendange avec la phase liquide (moût de goutte fermenté en majeure partie), remontages dans la deuxième étape de vinification ou encore utilisation d’enzymes pectolytiques entre les deux étapes. Différents constructeurs proposent maintenant des systèmes de pigeage, très simples d’utilisation et adaptables aux différents modèles de cuverie. Nos essais confirment l’intérêt de ces procédés. En effet, les vins des quatre cépages testés (Carignan, Grenache, Mourvèdre, Syrah) présentent, généralement une évolution significative lors d’épreuves de dégustation. La préférence se manifeste jusqu’au 12ème – 18ème mois pour les vins élaborés en macération carbonique avec pressurage de la vendange en fin de première étape suivi de fins de fermentations en phase liquide isolée (jus de goutte et de presse). Puis, les vins ayant bénéficié des techniques additionnelles sont considérés comme plus complets, complexes et sont jugés meilleurs que les témoins. En retrouvant les principes énoncés dans le premier texte relatif à la macération carbonique et en bénéficiant des avancées dans les connaissances tant théoriques que pratiques, les œnologues disposent actuellement d’outils technologiques complémentaires de la méthode habituelle par macération carbonique, outils leur permettant de répondre à des objectifs commerciaux très divers. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES (1) FLANZY M., (1935a). La vinification des vins rouges. Nouvelle méthode de vinification. Rev. Vitic., 83, 315 – 319, 325 – 329, 341 – 347. (2) FLANZY M., (1935b). Nouvelle méthode de vinification. C.R. Acad. Agric. Fr., 21, 935 – 938. (3) FLANZY C., FLANZY M., BENARD P., (1987). La vinification par macération carbonique. INRA, Paris, CEVILAR. (4) SEUBE B., DELTEIL D., MERRIEN O., (1994). La macération carbonique. ICV Lézignan Corbières, 31/05/1994. 24 (6) BENARD P., JOURET C., (1963). Essais comparatifs de vinification en rouge. Annales Technol. Agricoles, 12, 85 – 102. (5) ESCUDIER J.-L., (1994). Libération des composés phénoliques du raisin par différentes pratiques œnologiques. Euroviti, ITV, Paris. (14) FONDVILLE-BAGNOL A., (1996). Etude sur la vinification beaujolaise : échanges de composés volatils entre le moût en fermentation et les baies émergées en métabolisme anaérobie. Thèse de spécialité Sciences des Aliments. E.N.S.A. Montpellier. (15) BURET M., CHAMBROY Y., FLANZY C., (1976). Métabolisme anaérobie de la baie de raisin en milieu liquide. 2. Etude expérimentale. Annales Technol. Agricoles, 25, 45 – 72. E N R É S U M É … Le concepteur de la vinification par macération carbonique (MC) visait, dans sa démarche, la mise au point d'un système permettant l'obtention de différents types de vins. A tort, la MC a été parfois considérée comme réservée à l'élaboration de vins primeurs. Or, des variantes à la technique généralement utilisée en MC ont été proposées par des praticiens pour renforcer les caractéristiques de leurs vins de garde ou de longue garde. L'article présenté ici correspond à une synthèse des résultats obtenus depuis une dizaine d'années à l'Unité Expérimentale de Pech Rouge (INRA) en vue de l'obtention de vins de base de garde par MC. Les expérimentations ont été conduites à partir de vendanges de Carignan, Syrah, Grenache et Mourvèdre placées en MC durant 7-8 jours à 30-32° C. Pour certains lots, le contact phase solide - phase liquide a été maintenu 7-10 jours avec remontage quotidien ou injection de moût frais. Dans quelques cas, une addition de préparation d'enzymes pectolytiques a été réalisée avant le premier remontage. Les résultats rapportés sont ceux obtenus sur vins de Syrah en 1995 et 1996. Ces résultats confirment l'intérêt d'une prolongation du temps de contact entre phase solide et phase liquide pour l'élaboration de vins de garde. En macération carbonique, conduite avec les adaptations expérimentées, se confrontent des phénomènes aux effets antagonistes ou synergiques. Les œnologues disposent actuellement d'outils leur permettant d'orienter ces phénomènes et d'élaborer par MC une gamme de vins répondant à des objectifs commerciaux très divers. Mots clés : vinification, macération carbonique, élevage, vins de garde. Revue Française d’Œnologie - novembre/décembre 2001 - N° 191