Amenzu n°5 : Novembre 1998 : Hommage à Lounes Matoub
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Amenzu n°5 : Novembre 1998 : Hommage à Lounes Matoub
Mouvement Culturel Berbère Numéro 5 Amenzu Journal du Mouvement Culturel de Rennes Editorial Comme nous l’annoncions dans le dernier numéro, nous consacrons celui-ci à Lounès Matoub assassiné le 25 juin dernier par les “lâches illuminés”, ces barbares d’un autre temps. La presse indépendante algérienne, la presse internationale notamment française, les citoyens, les militants d'associations, certains partis politiques, des dirigeants étrangers, des artistes, des intellectuels, tous ont rendu hommage à l’artiste, à l’homme, au militant. Seules la presse et la télévision algériennes, organes officiels, ont relégué l’information à un rang insignifiant. Honte ! Misérables médias. Seul également, le pouvoir algérien, le président de la République en tête, n’a pas daigné consacrer le moindre communiqué à l’événement. L’histoire se chargera d’oublier vite ces personnages tandis que le nom de Matoub sera toujours associé au mouvement des idées, au combat pour la liberté, à l’amour de son pays. En ce 1er Novembre, date hautement historique inscrite dans la mémoire collective, nous pensons qu’il est juste d’associer le nom de Matoub à tous les citoyens sincères qui ont donné leur vie pour une Algérie démocratique et plurielle. Cette date a longtemps été usurpée par des fossoyeurs de l’histoire, ces dirigeants qui ont bafoué l’esprit de Novembre, confisqué le pays. L’esprit de Novembre ne se marchande pas, ne se négocie pas et n’est en rien la propriété exclusive de quelque clan que ce soit. Des hommes et des femmes, certains morts, d’autres combattent encore, l’incarnent à nos yeux davantage. Ils s’appelaient Abane, Boudiaf... mais aussi Djaout, Alloula, Matoub. Khaled Drider 1er Novembre Hommage à Lounès Matoub Salle de de la Cité à Rennes le 30 mai 1995 Eléments de biographie ****** Matoub est né à Taourirt-Moussa, dans la commune des Ath Douala, à environ 20 km de Tizi-ouzou, chef-lieu du département. Auteur compositeur de l’ensemble de son oeuvre, il a débuté sa carrière en 1978. A soutenu le Mouvement Culturel berbère dès sa création. En octobre 1988, un gendarme lui tire cinq balles dans le corps, le jette sur le bas-côté d’une route et le laisse pour mort. Fin 1994, le GIA (Groupe islamiste armé) l’enlève plus de quinze jours, il est condamné à mort par un “Tribunal islamique”. Arezki Métref (journaliste) le définissait comme “ l’enfant terrible d’une culture...un constructeur de passerelles, entre les générations et les cultures, un véritable poète de l’amour et de PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com HYMNE ******* Inutile d’espérer, Prenez votre mal en patience Un montagnard kabyle Même surdoué.... N’arrivera jamais au pouvoir. L’arbre de l’injustice a été planté Et le mal est récolté. Les enfants de ce pays Ont été salis et abandonnés. Ils ont repeint ce pays ... Aux couleurs de la religion Et de la langue arabe. Tromperie ! Tromperie ! Tromperie ! _______________ traduction chanson Hymne national du dernier album de Matoub sorti en juillet dernier Témoignages Pourquoi j’ai aimé et pleuré Lounès le rebelle Je ne suis pas kabyle, je ne suis pas algérienne, cependant j’ai aimé et pleuré Matoub. Pour ceux d’ici, qui comme moi, ont su l’écouter, il a su avec sa voix de roc et ses rythmes syncopés nous faire aimer sa langue et sa culture ancestrales. Ses concerts à Rennes comme à Paris nous ont transportés audelà de la mer Témoignages sur les cimes acérées de sa montagne aux genêts et nous ont fait partager son amour viscéral pour sa terre, un amour à en mourir. Mais au delà de sa poésie, il y avait son refus de toutes les oppressions, de tous les obscurantismes et de tous les tabous. Par son aspiration aux valeurs universelles, il a tissé des liens entre le Djurdjura et le reste du monde. Adulé par son peuple, reconnu à travers les instances culturelles internationales, il a été méprisé, censuré, mutilé dans son corps et son âme par le pouvoir avant de devenir la cible privilégiée des islamistes. Quand il est sorti des griffes du G.I.A exténué, hébété, Saïd Mekbel* a écrit : “Après une telle aventure on n’a pas grand choix, soit se faire escargot et rentrer au fond de sa coquille, soit au contraire se muer en lion pour mieux rugir dans l’arène. Témoignages Que souhaiter à Matoub, artiste au cuir sensible et à la peau écorchée ? Qu’il reste d’abord Matoub, qu’il reste un fauve indompté. C’est toute la grâce que lui souhaitent des dizaines et des dizaines de milliers d’amis de par tout le pays” Il est resté ce fauve indompté. Il en est mort. Les monstres ont tué une étoile. Que des milliers d’autres étoiles scintillent pour l’Algérie de demain Nicole Logeais Témoignages Voici quelques témoignages extraits du registre de condoléances que nous avons mis à la disposition du public rennais “A ceux qui se battent pour la liberté, la liberté de penser et d’être tout simplement. A toi, Matoub, puisse ton chant traverser le monde avec tous ceux qui croient à la paix.” Guénaëlle “Au travers le temps et l’espace ta voix sera plus forte que les armes. Au démocrate, au combattant , à l’ami “ Gilbert “Ni la haine ni la mort ne pourront annihiler les causes justes. avec lucidité et grandeur Lounès Matoub a défendu les droits culturels des Berbères et la laïcité. le plus grand hommage à lui rendre est de continuer son combat.” Gérard “Nous étions avec Matoub Nous avons tenu à rendre hommage à Lounès en appelant à un rassemblement le samedi 27 Juin et le mercredi 1er juillet , Place de la Mairie à Rennes où des textes ont été lus. PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com salle de la Cité. Nous n’avons pas compris toutes ses paroles, mais son coeur reste avec nous.” “Une voix s’est tue assassinée Dans le silence monte d’abord celle de la révolte... Un chant brûlant reprend sa respiration après un sanglot Un chant dont les mots s’écorchent aux cimes.. Des mots en fleurs de deuil, des mots qui tranchent Mais un verbe inextinguible qui ne s’éteindra même sous la menace infâme maculée vermeille.” Anonyme Pèlerinage à Taourirt-Moussa* La mort de Matoub n’a laissé Après leur départ, j’ai fait de Je choisis de passer devant la personne indifférent sauf le même et je peux dire que j’ai tombe recouverte de fleurs et Président Zéroual (et le éprouvé une sensation bizarre. Je située entre un figuier et un gouvernement) qui n’a fait aucun me suis mis à imaginer la scène et cerisier. commentaire. voir s’il n’y avait pas moyen Dans une pièce qui donne sur la Cela a choqué beaucoup de d’échapper à ce traquenard. Il rue il y a une multitude de citoyens d’autant que des devait y avoir des assassins des souvenirs, sculptures liées à la vie dirigeants étrangers ( le président deux côtés de la route. Le piège du chanteur. Chirac notamment) ont exprimé était diabolique. Dans la cour intérieure sa voiture leurs sentiments d’horreur suite à A cause de la chaleur, (août est exposée, j’ai dénombré plus de l’acte ignoble. dernier) et l’émotion, la tension soixante impacts de balles. Des associations culturelles se sont était extrême et mon coeur battait Dans une salle y attenant on y mobilisées pour organiser des fort. trouve des articles, des photos, des concerts et tenter de baptiser des Je repensais à cet homme que nous témoignages, le grand prix de la places du nom de Matoub en avons rencontré à Rennes en 1995, mémoire faisant circuler des pétitions. qui a toujours défendu son idéal en J’ai vu des personnes de tout âge, Des partis politiques s’y sont mis, mettant sa vie en danger malgré pleurer dignement, en silence. organisant des meetings les menaces et à ce qu’il a dû se J’ai repris le chemin du retour improvisés car il fallait réagir suite dire lorsqu’il a reçu la première avec beaucoup de chagrin mais aux “événements de Kabylie”. balle. aussi beaucoup de détermination Deux dirigeants, fidèles à eux- D’autres personnes s’étaient car Matoub n’a pas été oublié et mêmes et à leur haine coutumière entre-temps arrêtées sur ce lieu que son combat, le nôtre, doit se sont exprimé : Nahnah, chef marqué par une plaque continuer. islamiste “modéré” et commémorative, des écrits et des C’est la meilleure façon de lui Benbaîbèche du RND (parti à fleurs que laissent de nombreux rendre hommage. éclosion rapide) ont dit qu’il fallait visiteurs. dompter la Kabylie car l’unité J'entrepris la suite de mon voyage Boualem Kaci-Chaouche nationale était en danger. jusqu’à la maison de Matoub. On (Kabylie, août 1998) Discours toujours aussi empreint est frappé par la diffusion de son _____________ de haine et d’exclusion. dernier C.D. en continu et par la * village de Matoub C’est dans cette ambiance tendue foule de gens qui s’y trouve. que je pris la décision de me Des bénévoles nous reçoivent et rendre à Taourirt Moussa sur la nous orientent vers les différents tombe de Lounès. Je m’étais fait la endroits prévus. promesse avant mon départ vers l’Algérie. Dès les premiers lacets à quelques kilomètres de TiziOuzou, après un virage on tombe sur un attroupement de personnes. Tout de suite, j’ai pensé à un faux barrage avec des voitures arrêtées sur le bord de la route. C’était en fait des familles qui se recueillaient sur le lieu de l’attentat. Des photos étaient prises pour immortaliser cet (photo B.K-C) instant. Lieu où Lounès Matoub a été assassiné. PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com FLASH - INFOS FLASH - INFOS Création Fondation Matoub Le 12 octobre dernier , est née la Fondation Matoub dont la présidence a été proposée à Malika Matoub, soeur de Lounès, en présence de nombreuses personnes. Un bureau de 21 membres a été constitué. Cinq commissions ont été mises en place, qui seront animées par des artistes, des journalistes et des enfants du village. Les objectifs visent à défendre la mémoire de Matoub, à continuer son combat et à perpétuer son oeuvre. Bon vent à la Fondation ! (d’après article paru dans Liberté du 10/10/1998. Hommage de Danielle Mitterrand (paru dans la revue de France-Liberté) “Chanteur, poète et musicien, il nous a souvent fait partager le rêve d’une Algérie de paix et de tolérance. Alors qu’il n’est plus parmi nous, son message résonne davantage encore dans nos esprits et dans nos coeurs, et nous continuerons ensemble de le faire entendre....... Le peuple algérien dans son ensemble, et la communauté berbère en particulier, sont meurtris par sa disparition. Lui qui, libre de sa pensée, libre de ses engagements, définissait l’appartenance à sa culture par un attachement indéfectible à l’esprit de liberté.” Rappelons que Danielle Mitterrand avait remis à Matoub.le Prix de la Matoub a réhabilité Kassamen1 Je me promenais dans Alger et j’entendis deux adolescents chanter l’hymne national en kabyle. Je me permis de leur demander si la cassette était “trouvable” facilement en ville. “On ne sait pas Madame, nous ne sommes pas kabyles et en dehors de quelques chansons de Idir nous ne connaissons pas autre chose.” “Mais vous chantiez kassaman en kabyle à l’instant” “Oui, c’est autre chose. C’est la première fois que je fredonne cet air, pour moi me dit l’un d’eux Kassamen, le vrai, c’est celui chanté par Lounès Matoub... Il dénonce le système, les services, la corruption et l’intégrisme, l’autre , le leur est pourri comme eux. Alors même si je ne comprends pas le kabyle, la version de Matoub me va bien. Tous les Algériens l’aiment déjà. C’est pour cela qu’ils l’ont assassiné. Matoub c’est un “ARGAZ2”.Il nous a restitué Kassamen.” Matoub a été assassiné mais il a réussi à réhabiliter l’hymne national. Il a cassé un tabou.... il en est mort. Il dort d’un sommeil du juste. Sa lutte est celle de millions d’hommes et de femmes libres. On a eu peur de lui, alors on l’a abattu froidement, lâchement... Matoub fera peur pour longtemps encore. Taous Méziane (Alger, septembre 1998) ———————————— (1): titre en arabe de l’hymne national algérien (2): terme kabyle pour désigner l’homme à la fois comme personne humaine mais également comme Dernier album de Lounès Matoub sorti en juillet dernier M. C . B Rennes s/c MJC La Paillette rue Pré de Bris 35000 Rennes PDF created with pdfFactory trial version www.pdffactory.com Ont participé à la réalisation de ce numéro : B. Kaci-Chaouche, N. Logeais, T. Méziane, M.Ammi, K.Drider