Pour lire la Biographie de Lounès MATOUB
Transcription
Pour lire la Biographie de Lounès MATOUB
BIOGRAPHIE Son œuvre se compose pour l'essentiel de chansons engagées à la cause identitaire amazighe et aux valeurs démocratiques. Chaque chanson touche à une plaie dans la politique ségrégative de la junte araboislamiste au pouvoir. Défenseur farouche de la culture amazighe Matoub n'a jamais hésité à manifester sa rébellion face aux thèses des intégristes et à dénoncer la politique d'arabisation forcée de l'école, de l'administration et des médias publics. Le 24 janvier 1956, naissance de Lounès Matoub à Taourirt Moussa (Kabylie). A l'âge de 9 ans, il fabriqua sa première guitare à l'aide d'un bidon vide d'huile de voiture; Dès l'adolescence, il composa ses premières chansons; Considérant que l'enseignement dispensé par l'école algérienne ne visait qu'à meubler la mémoire des pires aberrations, il déserta l'école en 1975; En 1978, il enregistra son premier album, dont le succès phénoménal l'imposa comme un grand espoir de la chanson algérienne d'expression berbère; Outre les chansons composées pour d'autres artistes, son œuvre est riche de 36 albums. Elle traite les thèmes les plus variés : la revendication berbère, les libertés démocratiques l'intégrisme, l'amour, l'exil, la mémoire, l'histoire, la paix, les droits de l'Homme, la finitude, les problèmes existentiels.Il était témoin de son temps. En dépit de son interdiction dans les médias algériens et notamment la radio et la télévision, il restait le chanteur berbère le plus populaire et adulé par tout un peuple; Criblé de 5 balles par un gendarme, lors des événements d'octobre 1988, il subit 17 interventions chirurgicales, 2 années d'hospitalisation, un sacrum artificiel, rétrécissement de sa jambe de 5 centimètres et son handicap à vie; Enlevé par un groupe islamiste armé en 1994, séquestré pendant 15 jours et condamné à mort avant d'être libéré suite à une gigantesque mobilisation populaire; Le 06 décembre 1994, il reçut "le Prix de la mémoire" décerné par Madame Danielle Mitterand, Présidente de La Fondation France Libertés (Paris) succédant ainsi à des hommes et des organisations qui ont consacré leur vie à la lutte pour la préservation du souvenir de l'aventure humaine; Le 22 mars 1995, le S.C.I.J.(Canada) lui remit Le Prix de la Liberté d'expression ; Le 19 décembre 1995, il reçoit le Prix Tahar Djaout décerné par La Fondation Abba au siège de l'UNESCO (Paris) ; En 1996, il participe à la marche des rameaux en Italie pour l'abolition de la peine de mort; En plus de la chanson, il a pris sa plume pour interroger son âge et son espace dans un livre intitulé "rebelle" aux éditions stocks en 1995; Le 25 juin 1998 Lounès Matoub est lâchement assassiné dans des conditions mystérieuses avant la sortie de son dernier album ( lettre ouverte aux…) qui lui a valu un Disque D'or. Le 28 Juin, plusieurs milliers de personnes ont assisté à l'enterrement du poète devant sa maison dans son village natal. Interview de Lounes Matoub Lounès MATOUB est né le 24 janvier 1956 en Kabylie. A 9 ans, il fabriqua sa première guitare avec un bidon vide. Il publie son premier album en 1978. Criblé de balles par un gendarme en 1988, enlevé par les islamistes en 1994 et libéré par un gigantesque mouvement populaire, il était le chanteur le plus populaire de Kabylie. Il a été assassiné le le 25 juin 1998, en Algérie, dans dans des conditions non élucidées, vraisemblablement par des milieux proches du pouvoir. Son œuvre riche de 36 albums traite les thèmes les plus variés : la revendication berbère, les libertés démocratiques, l'intégrisme, l'amour, l'exil, la mémoire, l'histoire, la paix, les droits de l'Homme, les problèmes de l'existence ... Enfant du peuple je suis, enfant du peuple je resterai. Certes, comme tout un chacun, j'ai mûri, et la popularité m'a sans doute fait prendre davantage conscience de mes responsabilités. Car, plus vous étés connus, plus vous avez des responsabilités. Je me dois d'être fidèle à moi-même. C'est que, profondément, mon personnage est resté le même. J'essaie d'être un homme honnête, peu apte aux compromissions. Je veux aller jusqu'au bout de moi-même, sans tricherie, sans concessions. Je sais encore dire non. Alors qu'il y a tant de béni-oui-oui, qui à force de dire oui, ont perdu leur "non". Je ne veux pas flouer mes admirateurs en leur promettant des lendemains qui chantent, en sachant pertinemment que le monde meilleur dont on annonçait tranquillement la venue s'éloigne de plus en plus. Gagner par une telle voie ne m'intéresse pas. Je risque de me perdre ou, pis encore, de couler dans la facilité. Je veux rester tel que je suis, sans verser dans la moindre concession commerciale. Et pourtant, actuellement, l'artistique est bien souvent obligé de se plier au veto du commercial. Poète d'indiscipline, insurgé, je n'ai jamais mis un poil de brosse dans mes poèmes et chansons. Jamais. Les mots caisse d'épargne et les mots -Email Diamant sont bannis de mon répertoire. Je suis sans cesse en lutte contre ce qui me paraît mauvais et détestable. Je me sers de l'amour pour fustiger ce que le monde des hommes a de laid et d'odieux. Pour me révolter contre la veulerie et la duperie, dénoncer l'imposture aux mille visages. Ma poésie est à tout instant une remise en cause, un prétexte à protestation contre les injustices, les abus, les tabous, etc. "Tu dois avoir pas mal d'ennemis ?" Mes ennemis sont les tyrans, les oppresseurs quels qu'ils soient, les lâches, les veules, les hypocrites, et surtout les "parachutés" (.. Je n'aime pas les nouveaux riches plus attachés à leurs biens, à leurs privilèges, qu'à leur pays. Le soleil se lève tous les jours pour chaque citoyen(ne). Heureusement qu'il n'est pas importé à coups de devises, sinon il ne brillerait que pour une classe donnée. "Quels sont tes rapports avec les journalistes algériens ?" Ambigus. Mi-figue mi-raisin. Si on ne m'accorde pas beaucoup d'entretiens, c'est parce que je refuse toute concession dans l'expression de mes opinions. On n'a rien à me reprocher. Sinon d'avoir un franc -parler. Et de ne pas être un béni oui - oui. Je ne suis pas l'homme des concessions. Je ne triche pas avec ma nature. Je m'affirme sans gêne aucune, en parfait dédain des convenances. J'aurais pu me pousser dans le monde et monnayer ma popularité, voire ma célébrité. Je ne l'ai jamais fait. Car je ne suis d'aucun pouvoir le dévoué serviteur. A travers RadioTrottoir interposé, certains journalistes (arabophones surtout) ont essayé de me présenter sous un éclairage peu flatteur, de me coller une réputation de raciste, de violent, d'ennemi public n°1, de voyou sans foi ni loi. Ils ont fait de moi le familier des prostituées et des truands. Ils ont inventé, pour me salir, des légendes scabreuses. Dans les rédactions algériennes, on me discute longuement. J'étonne et j'inquiète. Certains journalistes (critiques de variétés) ont de quoi me rendre circonspect. Pour des raisons qu'on devinera aisément, je me méfie de certains d'entre eux. Plusieurs rédacteurs en chef ou directeurs de rédaction coupent cyniquement, dans des articles, tout ce qui se rapporte (de positif) à moi. A part quelques articles élogieux (parus après octobre 88, il faut le souligner), les journalistes algériens de la culturelle m'ont ostensiblement, pour une raison de censure ou autres, dédaigné, et tout cela à cause de mes audaces de vocabulaire, la franchise et la précision des images, le caractère même des réponses et des sujets traités. Ignorant les interdictions, dédaignant les menaces, j'ai continué de composer et de chanter, quand même, envers et contre tous. C'est par la suite que j'ai appris que tout honneur est source de contraintes. "Que signifie pour toi le fait de chanter en tamazight ?" En tant que chanteur, je suis le représentant d'une vision et d'une expression personnelle du monde qui m'entoure et de moi-même. Je ne veux pas mourir pour un héritage que je n'aurais pas assumé. Je revendique le fait d'être chez moi dans ma tête et dans mes mots et de vivre comme je le sens. C'est la raison pour laquelle j'utilise la langue amazighe pour brasser des émotions qui n'appartiennent qu'à nous parce que voir le monde à travers des yeux arabes du fond d'une âme berbère entraîne la mort. Et mon problème est que depuis l'indépendance, nous avons été honnis, bannis, écrasés, spoliés, chassés, traqués, arabisés de force au nom d'une idéologie arabo-islamiste qui est devenue officielle au lendemain de l'indépendance. Cela dit, pour moi le public auquel je m'adresse possède un inconscient collectif qu'il s'agit de réveiller. Je veux lui faire retrouver une identité qu'il pensait avoir perdue. La langue que parle mon peuple, perfectionnée et enrichie par des siècles d'oppression coloniale et raciste, offre sur l'Algérie un angle de vision unique. "Que représente pour toi la culture amazighe ?" Qui ne sait rien de son passé ne sait rien de son avenir. Le but n'est pas, ne peut être, de revenir à un mythique age d'or du passé. La culture amazighe, c'est une question de civilisation et l'avenir de notre pays se jouera peut-être dessus. A travers la prise de conscience de mon identité, j'ai découvert le génocide culturel et le viol linguistique subis par les miens. J'ai, aussi découvert toute une culture méprisée, humiliée, déclassée, exclue des deux écrans (le grand et le petit), interdite de colonne et de séjour. Un sujet dont on ne parlait qu'à mi-voix. On est dans une situation pire que celle des Bretons, des Occitans, des Corses, des Kurdes, des Arméniens et des Indiens. Impossible que soient toujours vainqueurs les plus corrompus et les plus honnis par l'histoire ! Et c'est pourquoi nous refusons d'être les nègres blancs, les indiens, le tiers-monde du pouvoir. Nous refusons d'être bougnoulisés, quoi ! Il reste fort à faire pour préserver ce pays paisible et lui épargner les fléaux de la violence et de l'intolérance. Tout est encore possible, il faut seulement prendre des risques avec sa vie pour préparer des lendemains meilleurs. Je me défends donc je suis. On veut tout leur faire oublier, aux imazighen : Leur identité, leur langue, leur culture. Ils se trouvent rangés dans une catégorie mineure de citoyens ; pire, ils n'existent pas en tant que tels, hormis pour le service national et comme force de travail. Et quand ce n'est pas un gros bonnet de la nomenklatura locale ou un officier supérieur de l'ex Sécurité militaire qui leur cherche midi à quatorze heures alors qu'il est dix heures, c'est un wali qui grignote leurs terres ancestrales à coups d'édits et de décrets d'utilité publique et sans indemnisation ou si peu, tellement peu que les indemnisés n'en veulent pas. A ces représentants du pouvoir, je dénie le droit de débarquer en Kabylie en conquérants. Je rejette leur tutelle. Ce peuple à qui l'on a volé l'âme refuse d'être un peuple rampant. Il refuse aussi de perpétuer l'état colonial dans lequel les pouvoirs en place ont voulu tenir les deux Kabylie qui n'ont d'intérêt pour eux que lorsque nos frontières sont menacées. Ils ne nous auront pas. Tu peux leur dire qu'il ne faudra plus compter sur la jeunesse Amazighe pour aller au casse-pipe. "Est-il vrai que MATOUB est raciste envers les Arabes ?" Ne fais-moi pas rire. C'est un jugement volontairement faux et un brin raciste, mais qui trahit bien le malentendu qui a toujours existé entre mes détracteurs et moi. Il y a une incompréhension totale qui me gêne car le public a rarement les données globales et objectives en main. Tout est politique et nous sommes bien ici en pleine politique. Je suis responsable de mes actes et la vérité se fait sur ce que je chante. Comment peut-on être raciste quand on a toute sa vie souffert du racisme ! J'ai trop souffert du racisme, de leur racisme, pour accepter à mon tour d'être raciste. "Quelle est ta véritable culture ?" Ma seule véritable culture est celle que je me suis trouvée en Kabylie puisqu'on sait que "l'oiseau ne chante bien que dans son arbre généalogique". La vie de mon peuple contient la somme de l'expérience des hommes. D'où le rapport charnel que j'ai avec ma terre natale, mes racines. La culture amazighe est, pour chaque Imazighen, la pierre de touche de son identité. C'est pourquoi je recrée chaque fois que je chante mon peuple. Je dépoussière ses histoires, ses contes, j'enrichis ses chants, préserve sa langue et ses valeurs, parce que tout cela m'a façonné et que si ce n'est pas moi qui le fais, qui le fera ? Tout enfant, j'avais fait cette pénible découverte : je n'avais pas le droit de parler ma langue et de connaître ma culture. Alors que nous étions censés être libres et indépendants. La langue maternelle, ça aide à se penser debout. Mon pays, c'est l'ALGERIE. Mais je suis le citoyen d'une autre patrie : LA CHANSON. Quant à la langue amazighe, c'est ma langue maternelle, la langue du foetus, la langue intérieure J'ai la double nationalité car j'ai deux pays : mon pays et mon pays intérieur. C'est dans la différence que je trouve mon identité. Le Rebelle à jamais Immortalisé ! Les lecteurs découvriront avec plaisir toute la poésie chantée du chantre de l’amazighité. Ce travail merveilleux mérite toute la considération. MON NOM EST COMBAT est le fruit d’une longue recherche et d’un travail d’exploration assez fouillé. C'est dire l'importance de cet ouvrage, une première depuis l’assassinat de Matoub Lounès, qui propose en édition bilingue (tamazight, français), une anthologie de la poésie chantée du chanteur ravi à des millions d’algériens. Cette anthologie a été conçue (et traduite) par Yalla Seddiki, en collaboration avec le chanteur dès 1996. Un travail de longue haleine qui mérite toute la considération. On y trouvera 130 textes (pour la plupart inédits en français), parmi les plus beaux qu'il ait écrits. Ils révèlent l'originalité du verbe qu'il a forgé, son raffinement rhétorique, sa richesse lexicale. Ce livre aidera aussi le lecteur, comme le chercheur, à apprécier le remarquable travail musical du Rebelle, les progrès qu'il avait réalisés dans la maîtrise de la voix et de la composition, sa maîtrise du chaâbi algérien, un genre exigeant, dérivé de la musique savante. Aussi, bien sûr, la puissance subversive de ses vers, qui parlent à toute l'humanité. Sa singularité réside dans le fait qu'il a porté un regard critique inédit contre toutes les forces d'avilissement, qu'elles soient religieuses, militaro-économiques ou inhérentes à la société kabyle. L'intensité lyrique des poèmes dans lesquels il transpose les différentes souffrances de la condition humaine, et qu'il appelait la “rage du désespoir” apparaît comme les éléments-clés de la raison d’être de cette anthologie, qui se veut à la fois une première collaboration à l’universalisation de l’œuvre et à l’immortalisation du grand combattant qu’était Matoub. De son vivant, ce dernier était déjà l'une des très grandes figures de la chanson kabyle, admiré par des millions de personnes. Né le 24 janvier 1956 en Grande Kabylie, il y a été assassiné le 25 juin 1998, victime d'un guet-apens. Depuis sa mort, il est devenu une véritable légende, dont le prestige a largement débordé sa région natale, Taourirt Moussa. L’auteur du livre, un ami à Lounès, est aussi originaire de la haute Kabylie. Il maîtrise le verbe dans les deux langues et a longuement fréquenté Lounès durant les années de braise. Il écrit parfaitement en kabyle et en français. Il a travaillé avec le chanteur pour le livret de plusieurs disques : Communion avec la Patrie, La Complainte de ma Mère et Lettre ouverte aux… Des textes à lui ont paru dans plusieurs revues. Actuellement, il prépare une thèse sur Guy Debord. Mon nom est combat est aussi un plus pour revivre une époque, l’une des meilleures sans doute. En attendant de voir un jour un film documentaire sur le rebelle. Avis aux cinéastes ! Par Farid Belgacem Liberté 13 octobre 2003 Mon nom est combat, poèmes chantés en tamazight de Kabylie par Lounès Matoub Traduit du tamazight par Yalla Seddiki . Editions La découverte, 256 pages. À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU : L'amour dans le dernier album de Matoub Lounès Sur les onze chansons du dernier album de Matoub Lounès, six ont trait à la thématique sentimentale. Un mois avant son assassinat nous l'avons croisé près du "Bâtiment bleu" à Tizi Ouzou où il avait l'habitude de rôder. Sachant que la parution de son nouveau produit était imminente, nous lui avons posé plusieurs questions à ce sujet. Après avoir rappelé qu'il y avait, dans sa nouvelle production, une reprise de la musique de l'hymne national, il a insisté sur le fait que cette fois il a consacré six chansons sur les onze à l'amour. Matoub nous a déclaré à l'occasion : "Cette fois-ci, je n'ai pas fait que chanter, mes tripes ont parlé". Pourtant, il avait déjà fait usage de cette phrase une année auparavant en nous présentant son avant-dernier album. En évoquant ces chansons, il n'a pas manqué de faire un saut en arrière. Il fit le lien avec d'anciens poèmes composés huit années auparavant. Il voulait sans doute dire que ces nouvelles chansons ne sont que la suite. Dans son album posthume, Matoub, en plus des innovations sur les plans des textes, de la musique et de l'interprétation a apporté du nouveau. Il chante un nouvel amour. Mais il dénigre, en même temps, l'ancien amour. À travers les chansons, il tente de prouver que dans la vie, on n'agit pas comme dans les mathématiques où les règles ne changent jamais même avec le changement des données. Matoub croit avoir aimé et c'est lui qui le dit dans la chanson Ur shisif ara. Il avoue s'être trompé, mais en même temps, il affirme ne rien regretter, car au bout de l'attente, la longue attente, il a pu croiser le vrai, le grand amour : Nwigh heml egh zik ghel degh Sqabgh lebghiw Uliw sel hir is serhagh Yet's wachrew yezwi Ghef temgher dalegh Seg gremjegh temziw Imi ken kesbegh Ndama ur telli Cette belle chanson est entièrement réservée à la nouvelle "conquête" du cœur du poète. Ce dernier, avec une sincérité qui n'obéit guère aux normes établies dans la société kabyle, s'adresse à celle qui a su et pu ramener l'espoir, le goût à la vie celle qui est la destinée (Nsib), celle qui sait tendre l'oreille pour écouter les secrets et les confidences (Ghe ghurem ig reked ser iw) , celle avec laquelle le fardeau de la vie devient léger et supportable. Cette chanson est constituée de quatre couplets et d'un refrain. Les trois premiers couplets parlent de la nouvelle relation amoureuse du Rebelle. Quant au quatrième, il demeure énigmatique. Matoub saute de l'amour à tout un autre thème : la mort. A-t-il senti que son idylle n'allait pas faire long feu ? Avait-il un pressentiment ? Avait-il la prémonition que la relation n'allait pas boucler une année ? En tout cas les huit derniers vers de ce poème, sont, on ne peut plus édifiants : Ad ner nnuba iliser lahzen asnec fu atas bwid ur neder nergha ate newâu agh dezren neker jefsegh dâwesu zigh mazal nenger aditedu u menzu On pouvait interpréter différemment les vers. La chanson "Nezga" est un peu la suite de "ur shisifara". Matoub après le retour de l'amour, se permet de rêver que les beaux jours sont encore permis, que le bonheur qu'engendre l'amour est aussi accessible, à portée de la main. Dans ce texte, il ne manque pas de faire un clin d'œil à son ancienne compagne, qu'il ne culpabilise pas, contrairement à ce qu'il exprime dans "Ayen Ayen". Dans nezga, il semble assumer l'entière responsabilité de ce qui est advenu de cet amour ancien et vieillissant. Il donne, dans ce poème un autre sens à la relation amoureuse. Celui qu'il veut désormais partager avec la nouvelle élue de son cœur. Cet amour est celui du partage du pire. Cet amour est celui qui a la force de transformer les pires difficultés en de belles mélodies. Celui qui permet de supporter toutes les endurances de la vie sans provoquer la rupture. Cette même rupture qui a jeté un voile pendant dix ans sur un cœur qui a failli tarir, n'eut été l'arrivée de la femme providentielle : nezmzer iwurfan del khiq nezmer as idiq nezmer iyal del mehna taluft negh da cchewiq tetsara duhdiw bnadem ur neâa tassa ur yeghreq ur yetseârik litsaâ negh didiq leqrar n'tayri lebda Dans le même album, Matoub a composé une chanson un peu spéciale. Yehwayam est en réalité un texte anticonformiste. Matoub y dénonce énergiquement la soumission de la femme. Il donne sa propre définition à l'amour. L'amour c'est d'abord et avant tout d'avoir la latitude et la liberté de choisir. Le titre de cette chanson (Yeh wayam) est provocateur. Il a le sens d'un défi, celui que doit relever la femme. Cette dernière, selon les paroles de Matoub, doit se libérer. Elle doit avoir accès au savoir et à la science. En composant une telle chanson, Matoub s'en prend aux tabous de notre société, mais il prend le soin d'avertir qu'il ne méprise pas les traditions de ses ancêtres. Ce qu'il faudrait, suggère-t-il, c'est de se débarrasser des mauvais carcans. De ne préserver des traditions séculaires que ce qui peut être positif à la vie. Le poète estime aberrant de s'en prendre à une femme, rien que parce qu'elle prend son destin en main et vit tel que sa conscience la lui dicte. Matoub estime qu'on ne peut évaluer l'amour sans avoir au préalable goûté à ses tourments. Il plaide la tolérance, le pardon et la compréhension. Car sans ces trois critères, il est impossible de former une société où l'amour puisse être accessible. Cette chanson est une plaidoirie pour l'émancipation de la femme. Matoub refuse que la femme demeure prisonnière entre quatre murs à attendre le premier venu, lui prendre la main et la mener dans les serres d'un obscur destin qui fera d'elle "une victime expiatoire". Le défi de ce poète se résume ainsi : "On colporte ton inconduite Tu aurais connu bien d'autres avant moi Et folâtré partout Avant que mon cœur t'adopte Ton passé, je l'endosse Et j'en pardonne les écarts Parce que tu n'as apporté ta lumière Tu as bien fait d'avoir brisé tant de tabous Quant au reste, je suis là pour l'assumer". "Ayen Ayen" aurait pu être rebâptisée" "À la recherche du temps perdu" tant en son contenu rappelle étrangement le célèbre roman de Marcel Proust, Le temps perdu. Ce sont d'abord ces sept années de calvaire, puis les dix années de traversée du désert. De tous les poèmes de Matoub, celui-ci est le plus acerbe. Le poète semble se réveiller d'un profond cauchemar. Il a l'air de revenir de loin après avoir longtemps été hypnotisé. Ayen Ayen est une œuvre capitale dans son répertoire. Ce texte semble être une réplique à tout ce que Matoub Lounès avait composé auparavant. Matoub y décrit ses peines passées. Dans "Ayen Ayen", il s'adresse à la femme qu'il avait cru avoir aimé, celle qui a empêché le soleil de faire parvenir sa lumière, celle qui a été la cause de son déclin, celle qui l'a jeté dans une fosse, celle qui l'a cramé comme une poterie, celle qui a fait fuir santé et biens… Et de conclure par une citation du terroir kabyle : "Si ton frère a un meilleur verger, défriche et greffe pour l'égaler, s'il possède une belle maison, construite en faïence ornée, mais si son épouse est meilleure, tu ne peux rien faire pour l'égaler". En dépit de toute la cruauté qui se dégage de ce poème, on ne peut occulter deux petits vers, lesquels contredisent en quelque sorte tout le reste. Ces derniers confirment que le poète en est toujours amoureux, mais il veut oublier et pour oublier, il lui faut des subterfuges "Des peines que tu m'a infligées J'accepte même le pique-œil Mon cœur, las ne rêve plus Chiffe molle il est devenu Comme une poterie, tu m'as cramé Dépecé, ma chair se cloque Les yeux pochés et disgracieux Santé et biens m'ont quitté Pourquoi, pourquoi ?" Dans "Ifut lawan", Matoub conclut qu'il n'a rien oublié. Dans ce texte, le Rebelle affirme qu'il ne peut croire à la fin, que les cœurs doivent se séparer : "Tu as été la joie de mes nuits Etoile du firmament Je te couvais et te couvais Ah ! Conte-moi donc Comment était ces journées J'en suis toujours nostalgique Car en moi rien ne subsiste Mes jours s'amenuisent Je me sais incurable" Dans ce texte, Lounès accable son ex-partenaire d'une avalanche de reproches. Ce poème est plein d'images, mais Matoub se montre impitoyable dans son jugement. Il la compare à l'ogresse (Teryel). Cette fois-ci, il laisse parler son cœur. Lui, il ne fait que répercuter le cri de ce cœur déchiré mais guère meurtri, puisqu'il bat toujours. LA DEPÊCHE DE KABYLIE Aomar Mohellebi, La depêche de Kabylie, dimanche 4 mai 2003, Révolution (hommage à un poète kabyle) Il chantait avec son coeur, Chaque mot était un cri, Chaque note était un pleur, Sa liberté n'avait pas de prix. Il rêvait d'un monde meilleur, Ou tout homme aurait la même couleur, Ils l'ont tués pour ses idées, Rassemblons-nous pour dire ASSEZ ! Pascal Braconnier Hommage à Matoub Lounes Un chant d'oiseau si fier Parce que tu avais encore tant de choses à nous dire... Nous dire ton pays blessé où sur la terre rougie fleurit la négation du droit de vivre libre, Où les ailes des idées n'ont pas d'autres Ô toi mon frère au chant d’oiseau si fier Dont le cri s’est éteint sous les balles de plomb Dont le chant et le sang se sont mêlés au ciel Pour mieux happer le sens des silences profonds Toi dont tous les sanglots de colère et de miel issues que de suivre les traces qui leur sont imposées; Où les pierres meurtries des villes et des villages pleurent ses enfants assassinés; Où le ciel ensanglanté frémit d'épouvante face à l'absurdité de cette violence. Par la musique de tes chansons, tu faisais résistance, Tu ne voulais rien d'autre qu'éveiller nos consciences endormies sous une paix confortable. Parce que tu avais encore tant de choses à nous dire... Nous parler de chez toi, De cette Algérie toute vêtue de noir, prisonnière d'un voile tissé d'intolérance, Où des hommes, des femmes, et même des enfants voient l'aube de chaque jour ouvrir son regard au soleil de la peur. Parce que tu avais encore tant de choses à nous dire... Parce que tu voulais tenter de rejoindre le monde Lui faire toucher du cœur le vif de ta souffrance Rejoindre tous ceux, qui comme nous, sont riches d'être libres, Tous ceux, qui comme nous, souvent ne veulent pas voir; Tu croyais au pouvoir de la vie, tu lui faisais confiance Refusant de voir des ennemis en tes frères. Parce que tu avais encore tant de choses à nous dire... Lâchement, ils t'ont tendu un piège pour faire taire ta voix. Et si ta voix s'est tue et n'est plus que silence Ta lutte et ta musique, en nous, resteront vivants. Marybé 29 juin 1998 Faisaient renaître au jour les cornes d’abondance Dans un pays si beau aux paupières cousues Aux saisons sans raison aux voix écartelées Par la hache et le fer et la lâcheté rance De ceux qui craignent un jour la simple vérité Tes mots sont bien plus forts qu’un morceau de métal Enfoncé dans ta chair comme la pierre sombre Dans un lit de cristal pour mieux le déchirer Ô toi mon frère au chant d’oiseau si fier Aïcha Amine TU AS TUE LOUNES Une vie pour une ambition Au nom de cette loi qui ordonne l’espace Et la beauté sacrée de nos constellations, Où le regard s’émeut dans la contemplation Pétri d’humilité devant le temps qui passe Abou Hamza veut devenir l'Emir Lui dont les frères de fureur sont morts Il veut être l'élu parmi les forts Là-bas, tout doit céder à son désir Au nom des bien-aimées planètes de cet astre Qui nous donne la vie. J'ai nommé le soleil : Il n’a dans l’univers peut-être son pareil, Lui dont l’éclat dit mieux ce que vaut notre piastre. Pour la place d'Antar le massacreur Qu'importe un trou sanglant dans la poitrine... Ce n'est qu'un homme que tu assassines Et pas un chant qu'étrangle le tueur Au nom de notre Terre où tous les hommes vivent Où croissent les moissons, où chantent les oiseaux Où murmure le vent dans les menus roseaux Où tout nous est appel, tout nous charme et captive. Au nom de nos vallées, au nom de nos montagnes , Au nom de nos ruisseaux, de nos fleuves géants, Au nom de nos forêts, des abîmes béants, Au nom des océans, et des mers et des fagnes, Non, pas un symbole ! non, pas un drapeau ! Mais du sang, mais de la chair et des os Mais un esprit qui allait sans repos Que tu envoies à la nuit du tombeau Restent la voix, les chants et la musique Un macaron au revers d'une veste Des mots, des cris, la presse qui proteste Rien qui ne vaut sa vie... sa vie unique Ah ! hypocrites tueurs religieux Le sordide couteau de l'égorgeur N'apportera jamais plus de douleur Qu'un revolver muni d'un silencieux A la mémoire de Matoub Lounès juillet 1998 Au nom de nos déserts dont le sable nous mord Au nom d’un peuple entier voué au sacrifice Au nom des voix qu’on tue qui demandaient justice : Implore leur pardon à l’heure de ta mort. Tu as tué Lounès : au nom de quel imam ? Au nom de quelle loi qui dit qu’on tue son frère Qu’on ne lui laisse pas le temps d’une prière Pour retrouver la paix en disant son Salam ? Marie Bataille Pourquoi ont-ils tué Lounès ? De voir ses frères et ses amis, tomber l'un apres l'autre, morts, d'entendre accuser sa famille, quand n'a pas refroidi, le corps... De voir ces meurtres continuer, les assassins qui se pavannent, impunément et sans regret, Co-manditaires d'Alger, infâmes. Pourquoi ont-ils tué Lounes, ceux-la qui l'avaient dejà banni, pourquoi ont-ils tué Lounès ceux-là qui l'avaient interdit? Voir ces sanguinaires jubiler, quand le rebelle a disparu, Des mots des mots il en pleut tant et tant sur ma terre assoiffée de liberté des mots des mots coulent dans mes rivières limpides des mots des mots poussent fièrement aux branches des saules mais ce soir le saule pleure des larmes de sang pour un poète un frère bêtement assassiné et pourquoi pour des mots des mots un chant de liberté des mots en vol libre jailliront des musiques funèbres Michel Bourhis le 2 de voir tous ces chiens aboyer, le lion du Djurdjura n'est plus. De voir un pouvoir complice, brandir la matraque, le fusil, dès que la rue réclame justice, Zeroual menace la Kabylie. Pourquoi ont-ils tué Lounès, ceux-la qui l'avaient arrete, pourquoi ont-ils tue Lounès ceux qui l'avaient dejà blessé? Ceux qui ont cru tuer Lounès, ne savent-ils pas qu'il renaît, et qu'immortel pour nous il rest', que les poètes ne meurent jamais S'il est né un matin d'hiver, il revit pres d'un cerisier, Homme-libre, sur la colline fière, entre la colombe et l'olivier. Pourquoi ont-ils tué Lounès, ceux qui etranglent nos langues parlées, ceux qui veulent réduire au silence, notre Tamazight et notre Français. Alawa TOUMI - Philadelphie, USA aux quatre coins de la terre des mots des mots survivront à toutes ces guerres des mots des mots que l'on ne peut mettre en terre des mots des mots sonnent le glas pour un poète un frère mort au combat que toute la terre entière crie à tue-tête ces mots ces mots pour tous les enfants de la terre ces mots ces mots Liberté Liberté. Gertrude Millaire D idurar ay d lâamr-iw (1989) Les montagnes sont ma vie Du tribut de mon sang j'ai irrigué les monts mon empreinte s'imprime à jamais, quand ils ont en juré l'anéantissement ; Qui s'impatiente de me voir mort, et qui calomnie mon nom, A chaque col devra m'affrontent, Xellsegh adrar s yidammen-iw : a d-yeqqim later-iw Xas gullen ard a t-sefden J'ai laissé mon bien à l'abandon, Je l'ai trouvé gisant dans l'immondice, J'ai porté le regard sur mon honneur, J'ai vu des bourreaux. Bien que la force ait fui mes membres, Ma voix demeure, qui retentira, Ils l'entendront ! Wid yetganin di lmut-iw, yessamsen isem-iw Kul tizi a yi-d-mlilen L'on dit : La montagne s'est ébranlé ! Et tu n'y étais pas ! Chacun s'en va répétant, C'est aujourd'hui jour de l'an. Notre terre étincelle comme un phare. A Tizi le peuple afflue. Atas i ggigh si lheqq-iw armi i qqwlegh seg yilexxaxen Wwtegh, dligh ghef nnif-iw ufigh wigad i t-yesxewden Xas yegga lgehd ighallen-iw Mazal ssut-iw ad yebbaâzeq... as-d-slen ! A Bougie éclatent les salves de la victoire, L'on a brisé le joug de nos souffrances : Nnan : " yeqqers-ed wedrar keççini ur tehdired ara " Bnadem i bnadem yeqqar : " d amenzu n yennayer ass-a " Teggugeg tmurt am lefnar di Tizi tressa rrehba Di Bgayet yetterdeq waâbar ; rzan azaglu n tlufa A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw ! Annagh, mennagh win ihedren xersum a d-zzgegh awal ! Lemhayen i diyi-yughen ughalent-iyi d ras-lmal Imi Leqwbayel ddukkwlen yir laâyub a ten-sefden ; Ul'ayghar teghwzi n wawal Tamazight d lsas nnsen, d azar n tudert nnsen D lweqt ad ferzen lecghwal A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw ! Xas yeççeh wul-iw, maâdur, garawen imi ur hdiregh ara Atas i iâabba yeççur, zzay ur yezmir ara Yebgha ad as-d-slen laârur, widen ara yeççen ahicur M'akka tuzdag nnaâma Win i s-yennan : awhid mehqur , a d-yas a d-izid lehdur M'akka ghuri i d-terza ssehha A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw ! " Yir lehdur seffden ddnub ", i d-nnan yimezwura Ul'ayghar a ttfegh addud i wayen ur nesâi lmaâna Ad yughal ad yehlu ufud, ad as-teslem i wegrud Ad yetghenni ghef Timmuzgha Ayen i gh-d-yegga Dda Lmulud deg yigenni iban-ed am rrâud Wiss' ma thulfam i tmeqwa... A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw ! Ma vie ! ma vie ! Les montagnes sont ma vie ! Ma vie ! ma vie ! Les montagnes sont ma vie ! Ah ! Etre présent au milieu de vous, Ne fût- ce que par la parole combattre ! Les calvaires dont je suis frappé Sont devenus mon unique empire, Mais puisque les Kabyles s'unissent, Ils dissiperont nos funestes tares, A quoi bon les vains verbiages : La berberité fonde leur histoire ; Elle est la racine de leur vie, Il est temps que se purifie notre condition. Ma vie ! ma vie ! Les montagnes sont ma vie ! A bon droit mon cœur s'afflige, Puisque je ne suis pas parmi vous. Son fardeau lui pèse, déborde, Excède ses forces, il n'en peut plus ! Il veut que l'entendent les malfaisants, Ceux-là qui mangeront du foin Quand notre blé purgé de l'ivraie. Que celui qui dit l'esseulé humilité, Vienne affermir son propos, S'il nous terrasse, c'est bien fait ! Les mots infâmes triomphent de la malédiction, Selon l'adage de nos ancêtres. Pourquoi irai-je me tourmenter, Pour quelques brimborions ? Les forces me reviendront, Portez mon salut aux enfants, Qu'ils chantent la terre de Berbérie : L'héritage de Mouloud Mammeri, Comme la foudre dans le ciel éclate : En sentez-vous les gouttes tomber ? Ma vie ! ma vie ! Les montagnes sont ma vie ! ……………………………………………………………………………….………………. "...Oui je disais que le véritable AMANT DE LA LIBERTE c'était le rebelle puisqu'il va jusqu'à y miser sa vie." M.Mammeri ………………. Tant que dans mes orbites Mes yeux verront le jour Je serai à jamais aux côtés des victimes. Les dangers ni la mort ne m'en éloigneront Je mènerai la lutte à l'est comme à l'ouest Peu importe la langue de celui qui m'appelle Il suffit qu'il me dise: JE SUIS ALGERIEN. Lounas MATOUB Mis en ligne Par Ramdane ASMANI http://asmani.unblog.fr