18° Anniversaire de son assassinat MATOUB

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18° Anniversaire de son assassinat MATOUB
18° Anniversaire de son assassinat
MATOUB LOUNES : Une parole libre et
engagée
Par Mohammed A. Lahlou
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Aucun écrit ne peut prétendre résumer, en quelques traits de plume l’œuvre
grandiose et la vie exceptionnellement tragique de Matoub Lounes. Il faut
bien, pourtant, céder à la nécessité de se remémorer quelques moments qui
prennent sens comme autant de repères qui n’auront pas à échapper à l’oubli
et qui éclaireraient les événements d’une histoire.
A Paris, aux premiers jours du mois de mai, quelques jours après le 20 avril
1980, il y avait foule à la Bourse du Travail où un meeting était organisé en
solidarité avec les manifestations de Kabylie qui allaient vite devenir le
« Printemps Berbère ». Nous nous étions fixés rendez-vous dans un petit café,
à quelques pas de la Bourse du Travail, avec Ali Mecili, Nait Djoudi et Nait
Maouche. Matoub Lounes que je ne connaissais pas encore personnellement,
était assis à une table avec son impressionnante coupe de cheveux et une
tenue militaire de camouflage. On ne peut qu’être surpris en le voyant ainsi
pour la première fois. Tout, en lui, était une façon de dire une volonté d’être en
résistance. Il me paraissait pourtant si simple et en même temps d’une timidité
feinte. Il n’était déjà plus ce « chanteur en herbe » qui deviendra plus tard cet
immense artiste, ce révolutionnaire de la libre parole mise en musique. Il se
dégageait de lui quelque chose de surprenant et une détermination qui laissait
transparaître la personnalité du personnage qu’il allait devenir, bien plus tard.
Un court échange avec Matoub laissait percevoir celui qui serait, un jour, au
cœur d’un impressionnant destin.
Il était écrit cependant que son destin ne serait pas si linéaire de bonheur mais
qu’il rencontrerait la violence et la douleur, comme en ce premier jour du 09
octobre 1988. Grièvement blessé à un barrage de gendarmes, à la sortie d’Ain
El Hamman, alors qu’Alger venait d’entrer dans « Octobre Noir », il gardera de
graves séquelles qui ne l’empêcheront pourtant pas de rester « Debout » et
d’engager toujours plus son œuvre dans les messages de révolte et de liberté.
Il était venu appeler au calme et à la solidarité, en même temps, avec les
manifestants d’Alger. Il revint avec un corps meurtri par la mitraille, sans avoir
rien abandonné de sa Liberté.
A peine remis de ses blessures, Matoub était déjà de toutes les actions pour la
reconnaissance de la langue et de la culture berbères ; il était maintenant
devenu le plus grand symbole de la révolte berbère. Il donna toute sa présence
et sa puissance à chaque événement qui rythmait le mouvement de
revendications amazigh, comme ce jour du 25 janvier 1990. Il marchait droit,
au devant des manifestants, sans prétention mais avec détermination. Entre
nous, un petit geste entendu au milieu d’une manifestation joyeusement
colorée. Organisée par le Mouvement Culturel Berbère et soutenu par le FFS,
la manifestation s’étirait, en un long cortège de la Place du 1° Mai, à la Place
des Martyrs, en passant par le Boulevard Che Guevara. Au milieu de la foule,
Matoub n’était plus seulement le chanteur engagé ; appuyé sur sa béquille, il
était devenu une idole des marcheurs. Après la manifestation, il rentra chez
lui, en silence, sans avoir rien abandonné de sa Liberté.
Chaque jour, un peu plus, mais si vite, la voix de Matoub prenait sens par la
puissance de son timbre et par la force des paroles qu’elle portait pour lui mais
aussi et surtout pour ceux qui découvraient en lui la résonnance de leurs
espérances. Il était devenu un artiste engagé mais Libre de ses opinions et de
ses décisions. C’est, le connaissant ainsi, que nous l’avions sollicité pour
participer, le 29 septembre 1990, à la fête organisée par le FFS pour la
commémoration de l’anniversaire de sa création, en 1963. Il nous avait reçu
chaleureusement, Mustapha Bouhadef et moi, chez lui, à Taourirt Moussa,
avant de nous présenter son père qu’il nous disait être un militant engagé du
FFS. C’est comme cela, tout simplement, que Matoub accepta de venir à la
Coupole du 5 Juillet, pour le premier anniversaire du FFS, après 27 années de
luttes et de clandestinité. Devant une salle comble, débordant de militants et
de sympathisants enthousiastes, nous craignions un incident. Matoub fut, ce
jour- là, immense de talent et si prévenant devant notre inquiétude d’une
manipulation ou d’un dérapage. La fête avait duré jusqu’à 4h du matin. Matoub
restera jusqu’à la fin de la fête à l’écoute des artistes qui l’avaient précédé
comme de ceux qui l’avaient suivi. Il nous quitta, en silence, sans avoir rien
abandonné de sa Liberté.
Il était écrit, cependant, que l’Algérie qui était rentrée dans la tragédie,
perdrait chaque jour, en chaque lieu, un sourire, une innocence, une vie. Ainsi
fut scellé le destin de Tahar Djaout, à Baïnem, un matin du 26 mai 1993. Au
cimetière de son village natal tout près d’Azzefoun, un calme pesant s’était
abattu sur la foule immense endeuillée. Matoub était assis, à même le sol, au
pied d’un frêne. Appuyé sur sa canne, il se leva pour qu’on puisse se saluer ;
sans dire un mot en ce moment de perte. Le silence a parfois le pouvoir de dire
plus que les paroles retenues. Matoub retourna à Taourirt Moussa, en silence,
sans avoir rien abandonné de sa Liberté.
Quelques mois plus tard, le 25 septembre 1994, à 21 h, dans le noir de la nuit,
un groupe en armes décida de l’enlever vers le mystère d’un lieu inconnu. A la
suite de la grandiose mobilisation de la population de Kabylie pour demander
sa libération, il sera remis en liberté dans un autre café d’Ath Yenni. Certains
ajouteront encore plus au mystère d’un destin tragique insaisissable. Le destin
de Matoub ne pouvait être déchiffré ; il ne pouvait être vécu et connu que par
lui. Certains oublieront ses pensées pour chercher, dans le mystère, les raisons
d’un autre mystère. Quant à lui, il retourna chez lui, en silence, sans avoir rien
abandonné de sa Liberté.
Le 25 juin 1998, à Thala Bounane, sur le chemin du retour chez lui, à Taourirt
Moussa, Matoub Lounes est assassiné. 78 impacts de balles, sur sa voiture, ont
décidé de la fin de sa vie. Emportant avec lui le secret d’une tragédie, il
laissera une immense perte.
Ce 25 juin 2016, à la commémoration de l’anniversaire de sa mort, la mémoire
de Matoub est restée Libre comme il a été Libre de son vivant.