La recherche du rendement à tout prix
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La recherche du rendement à tout prix
Point Pointde devue vue La recherche du rendement à tout prix Jean-François Bay Jusqu’où les investisseurs doivent-ils aller dans la diversification de leur poche obligataire ? 65 % des investisseurs institutionnels comptaient privilégier les actifs de rendement au détriment des actifs risqués, selon l’enquête exclusive Morningstar réalisée lors du dernier Forum Gi, en mars 2012. Et lorsqu’on les interrogeait sur leur portefeuille obligataire, la majorité privilégiait à l’époque les émetteurs les mieux notés sur des maturités courtes. Cette stratégie semble avoir été mise en application par les investisseurs en Europe puisque à la fin septembre 2012, selon les données Morningstar, les fonds obligataires ont collecté depuis le début de l’année plus de 100 milliards d’euros, alors que les fonds actions ont décollecté environ 26 milliards d’euros. France…) n’ont jamais été aussi endettés ! Dans ce contexte, et alors que l’aversion aux risques reste forte, certains se tournent vers d’autres classes d’actifs obligataires : les obligations d’entreprise à haut rendement, la dette émergente, la dette souveraine internationale, les obligations de petites entreprises, la titrisation, etc. La gestion obligataire semble plus que jamais « cœur » pour les institutionnels, et la gestion actions devient satellite. Cet article vise à comprendre si cette tendance est structurelle, et dans quelle mesure cette stratégie, a priori peu risquée, ne présente pas le plus de risque à long terme ! Morningstar : Les flux d’investissement de la part des investisseurs institutionnels vers les obligations ont été importants en 2012. Le paradoxe de cette stratégie est que ces entrées sur les marchés obligataires s’effectuent à un moment où les niveaux des taux sont historiquement bas dans l’absolu et nets d’inflation. Le deuxième paradoxe est que ces entrées interviennent à un moment où les pays émetteurs (États-Unis, Royaume-Uni, 14 Morningstar Professional Décembre 2012 tout d’abord par des raisons structurelles, telles que l’évolution démographique etc. De plus, nous pensons que le contexte de faiblesse des taux que nous connaissons actuellement ne devrait pas évoluer de manière significative l’année prochaine, et donc nous devrions continuer de naviguer dans des marchés volatils. Si, pour autant, nous percevons des signes de légère reprise, nous pensons que la croissance reste et restera relativement faible. Enfin, cet engouement pour l’obligataire doit être également interprété comme une réponse aux différentes évolutions réglementaires qui ont touché l’industrie financière, banques et assureurs en tête. Tous ces facteurs ont conduit les investisseurs institutionnels à investir massivement dans des produits de spread. Pensez-vous que cette tendance va se poursuivre en 2013 ? Sylvain Favre : Oui, nous sommes convaincus que cette tendance se poursuivra en 2013. Les flux d’investissement vers les obligations observés depuis quelques années s’expliquent Jean Eyraud : Les tendances sur les collectes nettes des investisseurs institutionnels (assureurs vie, caisses de retraite,… ) sont beaucoup moins favorables que celles des années passées. De ce fait, on peut imaginer assez facilement que ceux-ci se focaliseront sur les actifs les plus liquides, par conséquent les « Govies », les grandes signatures « corporate » et le monétaire, pour ne pas être pris à contrepied, si ces tendances se poursuivent. Morningstar : Pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, les obligations pèsent désormais plus que les actions dans les allocations d’actifs des fonds de pension britonniques. Les évolutions des passifs des institutionnels des pays développés (vieillissement de la population, hausse du chômage, etc.) ont-ils joué un rôle majeur dans ce basculement ou s’agit-il d’un simple mouvement conjoncturel (aversion aux risque, etc.) ? Sylvain Favre : Oui, tout à fait. Comme évoqué précédemment, cette évolution est en grande partie due à des facteurs structurels. Toutefois, la grande aversion des fonds de pension à la volatilité extrême a également renforcé leur allocation en obligations. Jean Eyraud : Plusieurs facteurs ont joué dans le même sens : en premier lieu, les normes prudentielles diverses — et pas seulement la perspective de mise en application de Solvency II — et la dynamique des marchés ont incité les investisseurs à mieux adosser leurs passifs par des actifs obligataires et à renforcer la liquidité de leur portefeuille. En second lieu, les règles comptables et d’évaluation des actifs les ont poussés à arbitrer les classes d’actifs dont la volatilité est la moins maîtrisable au profit d’actifs valorisés au coût amorti. Enfin, l’aversion au risque a joué en faveur d’une moindre diversification et d’un retour assez net vers les actifs domestiques. investisseurs procycliques, accentuant ainsi les mouvements de liquidité sur les marchés ? Sylvain Favre : Historiquement, les réglementations mises en place ont toujours eu un effet procyclique. Faire référence à une VAR à un an impose une gestion du risque de court terme, alors que la gestion des passifs a généralement un horizon moyen de sept ou huit ans. Les évolutions réglementaires ont poussé les investisseurs à réduire leur poche actions au profit des obligations. De plus, à la lumière des problèmes de notation, les investisseurs ont également procédé à des évolutions de marché en privilégiant les pays dits « core » aux pays périphériques comme la Grèce. Jean Eyraud : Les réglementations prudentielles tiennent compte de la duration des passifs, mais n’autorisent pas une segmentation des portefeuilles qui permettrait que le référentiel prudentiel d’une entité régulée soit composite. C’est une des raisons, avec les niveaux d’exigence de fonds propres par type d’actifs, qui ont restreint l’univers d’investissement et rendent les investisseurs encore plus procycliques qu’auparavant. Mais soyons réalistes, le temps où la Caisse des dépôts montrait l’exemple d’un comportement contra-cyclique et entraînait les autres investisseurs dans son sillage est bien révolu… Morningstar : En Europe, le développement de la crise financière, et plus particulièrement l’épisode de la restructuration de la dette grecque, a mis à mal la notion d’actif sans risque associée aux dettes souveraines des pays développés. L’hypothèse conventionnelle qui constitue le fondement de la gestion de portefeuille n’est plus aussi pertinente. Morningstar : Les réglementations en Europe Comment se constituer une allocation d’actifs (Solvency II, Bâle III, etc.), déconnectées de la et un portefeuille obligataire « cœur » en étant duration des passifs des investisseurs privé de ce repère ? Est-ce que les obligations institutionnels, produisent un raccourcisse- d’entreprise représentent aujourd’hui cet actif ment artificiel des horizons de gestion déjà sans risque tant recherché ? orientés à la baisse. Selon vous, cet environnement réglementaire a-t-il fait disparaître les stabilisateurs automatiques de marchés ? Les institutionnels sont-ils devenus des Sylvain Favre : L’allocation d’actifs, au niveau de l’ensemble du portefeuille comme de la poche obligataire, doit reposer sur une plus grande diversification et une analyse plus approfondie du risque souverain. On a beaucoup entendu parler de la notion de taux sans risque mais, selon nous, cela n’a jamais vraiment existé, même si la période d’accalmie qui a suivi les trente glorieuses a pu donner cette impression. Ce véritable « changement de décor » dans le domaine de l’obligataire nécessitait une réponse forte. C’est dans cette optique que le BlackRock Investment Institute a développé, il y a près de dix-huit mois, l’indice BlackRock de vulnérabilité des souverains (IBVS), refonte de l’analyse fondamentale des émetteurs souverains. L’objectif de cet indice est d’offrir aux investisseurs un outil d’évaluation relatif du risque de crédit souverain. Si les obligations d’entreprise concentrent une part importante de l’allocation obligataire et que les spreads de crédit sont très serrés, elles ne peuvent en aucun cas être considérées comme sans risque. Jean Eyraud : La restructuration de la dette grecque n’est pas un épisode, car la crise grecque n’est hélas pas terminée, mais ce n’est pas le seul motif qui a conduit à revisiter la définition d’actifs sans risque. Ceux-ci n’ont d’ailleurs pas disparu. Ils sont simplement plus rares. Encore faut-il être d’accord sur la définition. En France, on regardait plutôt le taux des emprunts d’État à dix ans. Dans les pays anglo-saxons, il s’agit du bon du trésor à trois mois, en d’autres termes un taux monétaire assez basique. Si l’on privilégie le dix ans, le passé a montré que les variations de ce taux ont été plutôt proches de 150 points de base au cours d’un cycle de hausse ou de baisse des taux. Le risque de valorisation sur un dix ans n’est donc pas négligeable lorsque l’on est pris à contrepied. Par ailleurs, on a abusivement assimilé le risque de crédit comme un risque ultime de défaut, partiel ou total. En réalité, le risque de crédit est d’abord un risque de volatilité en cas de méfiance envers un émetteur, et cela se traduit par une hausse plus ou moins violente et continue des spreads. Il se transforme en risque de liquidité si cette méfiance s’aggrave et il peut s’achever potentiellement sur un risque de défaut partiel MorningstarPro.fr 15 Point de vue Jean Eyraud Président de l’Af2i ou total. En définitive, on peut aujourd’hui s’intéresser aux obligations « corporate » en substitution des emprunts d’État, mais il faut être conscient des risques que cela entraînera et, en premier lieu, que l’on dispose d’un portefeuille potentiellement plus volatil que par le passé. « [ Les actifs sans risque n’ont ] pas disparu. Ils sont simplement plus rares. » des taux n’est pas à l’ordre de jour, nous pensons au contraire que cela est inéluctable. problèmes de liquidité pour les En cas de hausse des taux, le plus grand risque pour les investisseurs est de voir la duration moyenne des portefeuilles augmenter. Ils doivent donc opter pour une allocation d’actifs moins sensible à la duration. Sylvain Favre : La plupart des investisseurs n’ont jamais eu une vraie diversification dans leurs portefeuilles. Les investisseurs institutionnels doivent élargir leur horizon et ne pas juste se cantonner aux actifs « cœur ». Jean Eyraud : Clairement, les banques centrales visent à étendre leurs champ de leurs politiques monétaires jusqu’aux taux de long terme en les maintenant le plus bas possible. De la sorte, un des scénarios les plus plausibles est bien une période longue de taux long terme bas et des taux réels proches de zéro voire négatifs. Tout n’est pas négatif dans ce scénario, car les entreprises se féliciteront de pouvoir se financer à des conditions si inespérées. L’autre scénario, plus négatif à moyen terme, est que la liquidité abondante donnée aux marchés se transforme en bouilloire à inflation et qu’elle explose tôt ou tard. L’allocation d’actifs doit refléter le risque de liquidité que les investisseurs peuvent et sont prêts à prendre. Plus les passifs sont à long terme, plus ils peuvent prendre du risque de liquidité, et ainsi recourir à des classes d’actifs telles que les infrastructures, la titrisation, etc. Après la crise de 2008, nous avons observé un phénomène très fort de repli sur les produits très liquides délivrant du rendement. La question que doivent se poser les investisseurs n’est pas « quelle est la liquidité du marché ? » mais « suis-je bien rémunéré pour le risque d’illiquidité ? » institutionnels ? Morningstar : Paradoxalement, dans cet environnement de taux bas, le risque n’a jamais été aussi mal rémunéré sur les États dont le niveau d’endettement est extrême (Japon, États-Unis, Royaume-Uni, Italie, Espagne, France…). Selon vous, cet environnement de taux bas risque-t-il de se poursuivre très longtemps ou faut-il que l’investisseur se protège d’ores et déjà contre une remontée des taux ? Le risque majeur pour un institutionnel n’est-il pas une baisse des taux plus qu’une hausse des taux ? Sylvain Favre : Si les taux du monde occidental sont bas, avec une inflation aux alentours de 2 à 3 %, nous ne sommes pas pour autant dans une situation de déflation comme peut la connaître le Japon. Morningstar : Alors que l’aversion aux risques et la nervosité sur les actions restent fortes, Le risque de taux est en effet très important. C’est pourquoi, lorsque la croissance économique repartira, il faudra prêter une très grande attention aux discours des banques centrales. En effet, un ralentissement de l’assouplissement de la politique monétaire ferait une différence majeure. Si les banques centrales veulent faire croire qu’une remontée 16 Morningstar Professional Décembre 2012 beaucoup d’investisseurs se tournent vers Jean Eyraud : Cette tendance à la recherche d’actifs de substitution n’est pas nouvelle et constitue plutôt une tendance lourde dans la gestion. Elle se heurte toutefois à trois obstacles : d’autres classes d’actifs obligataires plus satellites, voire parfois exotiques (les obligations high yield, la dette émergente, les obligations de petites entreprises, la titrisation, etc.). Jusqu’où doit-on aller dans la diversification de cette poche obligataire ? Certains marchés ne présentent-ils pas des r Le premier, d’ordre réglementaire, dans la mesure où toutes les classes d’actifs secondaires et certains types de véhicules de placement ne sont pas ouverts à tous les investisseurs institutionnels. Sylvain Favre Responsable Institutionnels BlackRock r Le second, d’ordre plutôt financier, car les niveaux de rendement offerts aujourd’hui ont considérablement baissé. Le mouvement réalisé depuis ces derniers mois et les gains qui ont été dégagés seront donc difficilement reproductibles. La sélectivité s’impose donc. r Le troisième, correspondant aux facteurs communs de risque que ces actifs nouveaux peuvent receler lorsqu’ils sont cumulés. Ils sont effectivement très sensibles en période de crise de liquidité, mais sont aussi corrélés en cas de remontée brutale des taux d’intérêt ou, à l’inverse, en période de récession. Malgré tout, la désintermédiation du crédit va offrir un volume considérable d’opportunités nouvelles, par exemple sur le segment des obligations « corporate », et le marché saura faire le tri. « La question n’est pas “quelle est la liquidité du marché ?”, mais “suis-je bien rémunéré pour le risque d’illiquidité ?” » marchés obligataires va dans le bon sens. Les vagues réglementaires, avec notamment le renforcement des exigences de fonds propres et la limitation des activités de trading pour compte propre, accroissent les risques de diminution de la liquidité. Cela résultera en un marché plus transparent mais moins dynamique pour nombres de titres et des coûts plus élevés pour les investisseurs. Pour pouvoir passer leurs ordres, les opérateurs doivent aujourd’hui les scinder en blocs de petite taille. La liquidité est concentrée sur les nouvelles émissions d’un montant élevé, et diminue sensiblement pour les obligations moins récentes et de taille moindre. Pour l’heure, la liquidité est toujours abondante et un assèchement apparaît peu probable dans un avenir proche, mais tout peut aller très vite. Les investisseurs doivent s’adapter à cette nouvelle donne, tout en gardant à l’esprit que nous n’en sommes peut-être qu’aux prémices. D’où notre souhait de revenir à des modes de négociation plus transparents comme Nyse BondMatch. Par ailleurs, les réglementations financières codifiées exigent que les titres soient négociables sur des marchés réglementés. il est urgent d’étendre les facultés des investisseurs aux marchés régulés. K Jean-François Bay est directeur général de Morningstar France. Morningstar : Les sociétés cotées sur NYSE Euronext Paris et sur NYSE Alternext Paris ainsi que les sociétés non cotées vont pouvoir émettre des obligations grâce à une nouvelle offre permettant d’y accéder directement et Jean Eyraud : L’Af2i a été à l’initiative de la création des plateformes Cassiopée et ne peut que se féliciter du démarrage effectif de Nyse BondMatch. largement. En parallèle, NYSE Euronext lance la plateforme MTF pour les obligations NYSE BondMatch à la suite des besoins exprimés par le groupe de travail Cassiopée. Que pensez-vous de ces initiatives pour animer le marché obligataire ? Sylvain Favre : Toute initiative visant à accroître la liquidité et la transparence des D’une manière générale, la mise en place de la MIF a fait exploser la structure des marchés obligataires et d’actions et a conduit à créer de nouvelles sources de négociation (MTF, dark pool, internalisation, etc.) et des techniques (HFT, par exemple) faisant que, in fine, plus personne n’est plus en mesure de donner un vrai prix et une valorisation de marché. MorningstarPro.fr 17