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Exercer son influence en privé plutôt qu’en public
FABRICE TREMBLAY
E
N AVRIL 2013, CERTAINS
des investisseurs institutionnels
les plus importants au pays –
dont Teachers’, la Caisse de dépôt et
placement du Québec et le Régime de
pensions du Canada – dénonçaient
publiquement le plan de rémunération
– notamment une prime à l’embauche
de 11,7 millions $ US – du nouveau
président du conseil de Barrick Gold,
le plus gros producteur d’or au monde.
Quelques jours plus tard, lors de
l’assemblée annuelle de la société, les
actionnaires rejetaient le plan dans
une proportion de 85 %.
Un cas exceptionnel
Mais les interventions de ce type
sont assez exceptionnelles, dans la
mesure où il est très rare qu’au Canada
les investisseurs institutionnels montent publiquement aux barricades,
comme le font fréquemment certains
fonds américains pour faire valoir
leurs désaccords avec un conseil d’administration et
infléchir ses décisions.
« Dans le cas
de Barrick Gold,
nous avons agi
publiquement
parce que c’était
une situation qui était
exceptionnelle au niveau
de la rémunération », a souligné
Marie Giguère, première vice-prési-
dente, Affaires juridiques et secrétariat,
et membre du comité de direction de
la Caisse de dépôt et placement du
Québec, dans le cadre d’une conférence
organisée en janvier dernier à Montréal
par l’IAS-Québec sur les attentes des
investisseurs institutionnels.
Mais, poursuit-elle, ce n’est pas
la façon habituelle de faire les choses. « Normalement, si nous avons
des enjeux par rapport à une société
ouverte, nous allons rencontrer le
président du conseil, en compagnie de
quelques autres membres du conseil,
dit-elle. Les conseils d’administration
de sociétés ouvertes sont habitués à
cette démarche et ils ont des processus
en place pour y répondre. »
Une approche discrète
Les investisseurs institutionnels canadiens préfèrent généralement faire
valoir leur désaccord avec un conseil
d’administration sur un point de gouvernance derrière des portes closes.
« C’est généralement notre modèle
au Canada de faire les choses efficacement, mais en privé. Nous croyons que
c’est la meilleure façon de faire bouger
les choses, affirme Daniel Garant,
premier vice-président, Placements
Marché public, chez Investissements
PSP, un gestionnaire de fonds pour le
compte de caisses de retraite canadiennes. Au pays et à l’étranger, nous
faisons beaucoup de travail en amont
auprès des entreprises pour faire améliorer des éléments de gouvernance. »
Beaucoup de questions préoccupent les investisseurs en matière
de gouvernance, notamment le degré
d’indépendance des administrateurs,
le renouvellement au sein des conseils
et la recherche d’un équilibre entre les
différentes expertises des administrateurs, soutient M. Garant. En ce qui
concerne les investissements réalisés
au Canada, plusieurs démarches
sont effectuées par le biais de la
Coalition canadienne pour
une bonne gouvernance
(CCGG). Pour les actifs
sous gestion à l’étranger,
plusieurs fonds recourent
à la firme londonienne
Hermes EOS, reconnue
pour son approche proactive
en matière de bonne gouvernance et
d’investissement responsable.
mai / juin 2015 | 39
FRANÇAIS
Les investisseurs institutionnels
et les conseils d’administration
FRANÇAIS
« En travaillant avec d’autres fonds,
nous avons plus de poids pour faire
évoluer les choses et puisque nous
sommes un investisseur à long terme,
nous inscrivons ces démarches dans la
durée », affirme M. Garant.
Faire la différence entre les rôles
En cas de désaccord avec le conseil
d’administration d’une société, la
marge de manœuvre de l’investisseur
institutionnel, en particulier, est souvent limitée, même si celui-ci dispose
d’un représentant au conseil. Dans
le cas de sociétés privées, où il arrive
souvent que la création du conseil soit
récente et que les principes de bonne
gouvernance ne soient pas encore solidement arrimés, ce genre de questions
se pose encore plus régulièrement.
C’est un phénomène auquel est habitué le Fonds de solidarité FTQ, un
fonds de développement et de capital
de risque qui investit principalement
dans des sociétés privées québécoises
ayant un potentiel de croissance. «
Souvent, au début de l’investissement,
nous nommons au conseil des professionnels de la finance qui travaillent
dans notre organisation, pour une
période allant de 12 à 24 mois », explique Normand Chouinard, premier
vice-président aux investissements du
Fonds de solidarité. « Ces employés
reçoivent la formation nécessaire
pour leur permettre de bien différencier leur rôle d’administrateur de celui
de représentant de l’actionnaire. »
Le Fonds s’assure également de
maintenir une bonne communica-
tion avec les administrateurs qui le
représentent. « Nous les rencontrons
périodiquement pour bien comprendre la dynamique du conseil et pour
qu’ils connaissent nos objectifs par
rapport à cet investissement en particulier », ajoute M. Chouinard.
Dans ce cas comme dans bien
d’autres, le représentant du Fonds de
solidarité soutient que pour convaincre un entrepreneur-fondateur des
bienfaits de la bonne gouvernance, la
manière la plus efficace est souvent
de le mettre en contact avec d’autres
entrepreneurs qui ont vécu ce genre de
processus. L’entrepreneur réalise ainsi
plus facilement que les principes de
bonne gouvernance sont plus susceptibles de créer de la valeur à long terme
pour l’ensemble des actionnaires.
Cet article a paru originalement dans le journal Director, une publication de l’Institut des administrateurs de sociétés (IAS). L’IAS a donné son autorisation
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