Les Inrocks - Association des Cinémas du Centre

Transcription

Les Inrocks - Association des Cinémas du Centre
Ida
de Pawel Pawlikowski
avec Agata Tzrebuchowska
Dans la Pologne des sixties, une future nonne fouille dans son passé familial.
T
ournant son premier long
métrage de fiction dans son
pays natal, Pawel Pawlikowski
prend le contrepied de son film
anglais My Summer of Love,
psyché option kitsch. Noir
et blanc, années 1960, dépouillement
(voire froideur) : telles sont les principales
données du projet. Anna, alias Ida,
une novice catholique (future nonne), fait
la connaissance de sa tante, qui est juge.
Toutes deux partent enquêter sur
la mort des parents juifs d’Ida, assassinés
dans un village de Pologne pendant
la Seconde Guerre mondiale.
Ce sujet sur la culpabilité polonaise
collective n’est pas follement traité
ni illustré. C’est plutôt un principe théoricohistorique qui permet de définir et de situer
les personnages. Idem pour le rôle
de la tante dans la répression communiste
(on apprend par la bande qu’elle a été
une sorte de Fouquier-Tinville du régime).
L’essentiel du film n’est pas là. Il réside
avant tout dans ses contrastes moraux
(rigorisme religieux contre jeunesse
festive) et visuels, son travail sur l’espace
(nu) parfois un peu extrême en raison
de décadrages appuyés qui ont contraint
à placer certains sous-titres au milieu
de l’image (pour ne pas empiéter
sur les personnages). Autrement dit,
une sorte de jansénisme forcé, en accord
avec la rudesse hivernale et l’ambiance
un chouïa mortifère.
Comme c’est un film de contrastes,
cette froideur a une contrepartie un peu
“Nouvelle Vague” – soit une dimension
hédoniste. Elle est principalement
et adéquatement figurée par le jazz
que pratique un autre personnage,
un jeune saxophoniste qui va croiser
le chemin de la novice mutique.
Quelques éclats contemporains et festifs
dans l’horizon nu du Rideau de fer…
Cela rejoint l’esprit et le style d’un film
qui vient de ressortir, Le Péché suédois
de Bo Widerberg, (tourné et) situé en 1962,
comme Ida. Les deux films ne sont pas
identiques mais reflètent cette opposition
entre libéralisation des mœurs et tabous
sociaux, encore nombreux à l’époque
à l’Ouest aussi bien qu’à l’Est. La légère
parenthèse libertaire que vivra la novice
hors du couvent est au diapason de la
bouffée d’air que connaissait la jeunesse
occidentale de l’époque.
Autre paradoxe intéressant :
le personnage énigmatique de la juge.
Malgré sa fonction et son passif, ce n’est
pas une figure stalinienne, mais quasiment
le contraire. Bref, Ida est moins un film
politique ou social qu’un trip intérieur,
qui se caractérise par son regard distancié
et mélancolique sur le réel. C’est ce qui fait
son charme. Vincent Ostria
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12.02.2014 les inrockuptibles