La gestion des algues vertes en Baie de Saint

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint
Université Lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
La gestion des algues vertes en Baie de
Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire
d’un problème public
LORANS Bérengère
ème
Mémoire de 4
année
Séminaire Politiques publiques et gestion des risques
Sous la direction de Mme Gwenola Le Naour
er
(Soutenu le 1 septembre 2011)
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
Intérêt du sujet . .
Problématique . .
Hypothèses . .
Méthodologie . .
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène
des marées vertes . .
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La persistance du phénomène malgré de multiples plans d’actions . .
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« Faire de la brume » autour du phénomène : l’absence de mesures concrètes
..
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A) Le déni collectif : la non-publicisation de la prolifération des algues vertes . .
Les marées vertes n’existent pas… . .
La négation du risque sanitaire . .
B) L’action contestée des pouvoirs publics . .
C) Déchirer le voile du silence. La stratégie collective des associations de défense de
l’environnement. . .
Le tournant des années 2000 : une situation devenue insupportable . .
Marées vertes et naissance d’un mouvement social . .
Conclusion . .
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient
dangereuse pour l’homme . .
A) Du problème de l’eau à celui de l’agriculture . .
Les marées vertes : un problème environnemental . .
Les excédents d’azote mis en cause ? . .
B) Impulser des changements dans le modèle de développement économique breton . .
Le poids de l’industrie agroalimentaire . .
Les algues vertes : conséquences directes des politiques agricoles passées
et présentes . .
C) Vers une reconnaissance du risque sanitaire ? . .
Faire face à une deuxième campagne de déni . .
La reconnaissance du risque sanitaire, « clé de voûte » du combat associatif
..
Conclusion . .
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du
problème ? . .
A) Des initiatives conjointes pour lutter contre les algues vertes . .
Les origines du Plan algues vertes : la saillance du risque sanitaire . .
Une démarche d’appels à projets territoriaux . .
B) Le retour des blocages récurrents et de l’immobilisme ? . .
L’avis du Comité Scientifique face à une ambition jugée insuffisante. Véritable
« coup d’arrêt » pour la profession agricole. . .
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La mise en œuvre d’une gestion préventive des marées vertes freinée par le
poids des tensions locales . .
C) L’été 2011 : un tournant pour la Baie de Saint-Brieuc ? . .
L’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azote et
l’émergence d’un compromis . .
Au-delà du volet préventif, une gestion curative toujours difficile face à la
prolifération massive des algues vertes . .
Conclusion . .
Conclusion . .
La gestion chaotique des algues vertes . .
Les limites inhérentes à l’enquête de terrain . .
Bibliographie . .
Ouvrages . .
Articles de presse . .
Rapports / documents officiels . .
Plan Algues vertes et autres plans d’action . .
Quelques sites Internet . .
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Remerciements
Remerciements
A l’issue de ce travail, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont participé à son
élaboration.
Madame Le Naour, directrice du mémoire, pour son aide, ses conseils et sa rigueur,
indispensables au cheminement et à la construction de ma réflexion,
Madame Dourlens, Présidente du jury, pour le temps consacré à la lecture et à l’évaluation
de mon travail,
Les différentes personnes que j’ai rencontrées lors de mes entretiens, qui m’ont apporté leur
connaissance du dossier, leur expérience de terrain, tout en me faisant découvrir les difficultés mais
également les richesses de ce type de travail,
Enfin, les nombreuses personnes qui m’ont entendu parler des algues vertes tout au long de
l’année et qui m’ont elles-mêmes accompagnée dans la bonne réalisation de mon travail, en me
conservant des articles de presse ou en m’informant d’un évènement présent ou passé qui aurait
pu m’échapper.
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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Introduction
L’ancien Président de l’association Halte aux marées vertes, militant écologiste, se désolait
à la mi-avril d’avoir déjà ramassé les premières algues vertes sur les plages de la Baie
de Saint-Brieuc, malgré l’absence de précipitations. En effet, tout le monde dans la région
espérait que la situation serait la même que celle de l’été précédent : peu de précipitations
en avril-mai, limitant ainsi le transport des nitrates vers la mer.
Le journal Ouest France des 14 et 15 mai 2011 titrait ainsi « Le retour des algues vertes
1
est toujours préoccupant » . Malgré les plans d’action, la situation des plages de la Baie
dépend chaque année de la pluie et des quantités de nitrates contenues dans les rivières.
La gestion des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc consiste à faire face au
phénomène des marées vertes, en limitant ses manifestations et ses impacts, dans le cadre
de contraintes politiques, économiques et naturelles particulièrement importantes.
Intérêt du sujet
Depuis les années 1970, les plages bretonnes sont constamment envahies par les algues
vertes. La Baie de Saint-Brieuc est particulièrement touchée par ce phénomène. En effet,
les apports en sels nutritifs (azote et phosphore notamment) sont excessifs en sortie des
cours d’eau des bassins de la baie. Cela s’explique notamment par le fait que plus de la
moitié de la production française de volailles et de porcs est concentrée sur la moitié de
2
la Bretagne (nord-Finistère et nord des Côtes d’Armor) . La faible profondeur de la baie
favorise également la croissance des algues alors que le renouvellement lent de la masse
d’eau côtière ainsi que les courants de marée et la houle permettent leur accumulation. Le
terme de « marée verte » est couramment utilisé pour décrire le phénomène, en référence
aux marées noires, véritables fléaux qui ont touché les côtes bretonnes à plusieurs reprises.
Depuis les années 1980, ce phénomène fait l’objet de différents plans d’action aux
objectifs divers, notamment le programme PROLITTORAL en 2002 et, dernier en date,
le Plan algues vertes de 2010. Des programmes plus locaux ont également vu le jour
de façon épisodique. Par exemple, dans les années 1990, le Conseil Général des Côtes
d’Armor encouragea la réalisation d’études de compréhension et de suivis du phénomène
de prolifération des algues vertes.
Cet historique est également jalonné par divers « scandales » liés aux décès suspects
d’hommes ou d’animaux sur les plages envahies par les algues. C’est d’ailleurs dans ce
cadre que des rencontres scientifiques s’organisent afin de mettre en évidence la toxicité
des algues, notamment lors de leur putréfaction, en raison de l’émanation d’hydrogène
sulfuré.
1
CHAUPITRE Marie-Claudine, DESILLE David et KIESEL Anne, « Le retour des algues est toujours préoccupant », Ouest
France, 14-15 mai 2011.
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Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
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Introduction
Face à cela, ce sont plusieurs associations qui se créent ou se réorganisent pour
dénoncer le problème. Ainsi, en 2004, Halte aux marées vertes, Eau et rivières de Bretagne,
De la Source à la mer et Sauvegarde du Trégor portent plainte contre l’Etat, qu’elles estiment
responsable du problème en raison de son inaction. En effet, depuis les années 1980, les
pouvoirs publics interviennent de façon épisodique sur le dossier. En 1981, le Ministre de
l’Environnement se rendait à St-Michel-en-Grève pour constater l’ampleur des dégâts. En
2009, c’est François Fillon et Chantale Jouanno qui se déplacent sur les plages bretonnes
pour annoncer un nouveau plan d’action suite à la mort d’un cheval sur la plage de StMichel-en-Grève.
D’autre part, les agriculteurs sont rapidement pointés du doigt par les associations
de sauvegarde de l’environnement. Ainsi, les quantités d’azote disponibles à partir du
printemps dans les rivières sont déterminantes sur l’ampleur des marées vertes. Or, 66%
des nitrates des eaux continentales proviennent de l’épandage d’engrais azoté et de lisier
par les agriculteurs. Durant la période de l’après guerre, dans un objectif d’autosuffisance
alimentaire et d’exportation, les agriculteurs français ont été invités à produire davantage,
notamment grâce aux progrès techniques. C’est ainsi que le département des Côtes
d’Armor, doté d’un climat océanique doux, devient le premier département agricole français
pour la production agricole finale, l’élevage et les productions animales.
C’est donc tout un modèle agricole productiviste qui est remis en cause.
L’histoire de la gestion de la prolifération des algues vertes est ainsi marquée par
l’alternance d’intenses mobilisations et de périodes d’enlisement et de silence.
C’est dans ce contexte et entre ces acteurs que s’articule la gestion des algues vertes
au niveau de la Baie de Saint-Brieuc.
La prolifération des algues vertes comporte plusieurs aspects qui peuvent se croiser.
Tout d’abord, ce phénomène peut être envisagé dans un cadre économique puisqu’il
provoque la fuite des touristes et une désaffection pour une partie du littoral breton. Ce
sont donc les professionnels du tourisme mais aussi les élus des communes concernées
qui sont particulièrement préoccupés par cet aspect. C’est dans ce cadre que des élus
commencent dès les années 1980 à interpeller les pouvoirs publics en mettant l’accent sur
l’impact économique des marées vertes. Citons également à ce propos l’action du Président
de la région Bretagne, Jean-Yves le Drian, face à la campagne d’affichage de la FNE dans le
métro parisien. Celui-ci s’est mobilisé pour dénoncer l’image négative de la région véhiculée
par ces affiches, de peur que les touristes n’en boudent une fois de plus les plages.
« Donc si la région Bretagne s’occupe de ce sujet aujourd’hui, c’est parce
que c’est un sujet majeur pour son développement économique, pour son
développement touristique, pour son image, pour ses produits, pour sa capacité
3
d’accueil
».
D’autre part, la prolifération des algues vertes traduit un problème environnemental. En
effet, ce phénomène est le résultat de l’introduction excessive de nutriments (nitrates)
dans les milieux aquatiques, liée aux activités humaines (épandages excessifs ou mauvais
traitement des eaux usées). Ainsi, en novembre 1993, la Commission européenne adresse
au Gouvernement une mise en demeure de respecter la directive sur les nitrates.
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Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Enfin, les algues vertes présentent un risque sanitaire dans la mesure où leur
putréfaction provoque l’émanation de gaz toxiques ayant déjà provoqués des décès
d’hommes et d’animaux.
Cet aspect multidimensionnel du phénomène va être à l’origine d’une lecture
particulière du problème. En effet, en fonction des acteurs en jeu et des périodes, c’est
un des aspects qui va prévaloir par rapport à un autre, impliquant des approches et des
réponses différentes.
Problématique
Les différentes définitions du phénomène sont fonction des acteurs impliqués dans sa
gestion et sont à l’origine de politiques publiques différentes, de par les moyens proposés
et les solutions apportées.
La notion de qualification renvoie à l’attribution de certains traits à un problème de
manière à déterminer ses modalités de résolution. Les qualifications du problème sont
moins liées à ses propriétés intrinsèques qu’aux variations de ses frontières. C’est dans ce
4
cadre qu’Olivier Borraz parle d’« effets de cadrage » .
Ainsi, l’émergence du problème de la prolifération des algues vertes est marquée par
une certaine fluidité. La carrière de ce problème va se déplier et se replier au rythme de
ses différentes requalifications. Des évènements, parfois dramatiques, vont provoquer des
prises de conscience momentanées de l’ampleur du problème et de ses conséquences.
Puis, face au faible impact des mesures mises en place, ce dernier perd peu à peu de sa
visibilité.
Cette métaphore du dépliement et du repliement permet de cerner la façon dont
le problème, à certains moments, va imposer l’évidence de son existence avant de se
5
dissoudre dans un fonds indifférencié d’enjeux . Il s’agit ainsi d’étudier le jeu incessant des
frontières du problème.
La question de la prolifération des algues vertes fait des apparitions éphémères sur
l’agenda politique, des allers-retours entre la publicisation et l’ignorance. Il y a publicisation
d’un problème lorsque celui-ci passe de la sphère privée à la sphère publique, c’est-à-dire
lorsqu’il y a expression d’une demande auprès d’autorités publiques.
D’autre part, le traitement des algues vertes en tant que risque est donc loin d’être une
évidence. En effet, le risque est un objet social que l’on peut définir comme la perception
d’un danger par une population ou un individu : c’est un danger potentiel qui fait l’objet d’une
construction sociale. La qualification de « risque » ne répond pas aux propriétés intrinsèques
d’un problème ou d’un phénomène. Cette qualification va être à la fois l’enjeu mais aussi
le résultat d’une mobilisation collective et d’une confrontation entre différents acteurs. Le
risque s’analyse aussi en termes de gestion, impliquant la mise en place d’aménagements
4
5
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
DOURLENS Christine, « La dynamique du dépliement : la mise sur agenda du saturnisme infantile », dans Claude GILBERT
(dir.), Risques collectifs et situations de risques. Apports de la recherche en sciences humaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002,
p. 65-77.
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Introduction
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adaptés pour un usage des territoires intégrant le danger . Dans le cadre de notre travail,
il s’agit de s’intéresser aux modalités de gestion du risque lié à la prolifération des algues
vertes en fonction des configurations d’acteurs impliqués.
La problématique des algues vertes se construit au cours du temps par les définitions
et les mises à l’agenda successives dont elle fait l’objet.
Ces qualifications différentes traduisent des divergences entre les acteurs concernés
par le phénomène. En quoi les désaccords entre les acteurs impliqués vont donner lieu à
des reconfigurations successives du problème et donc à divers instruments de politiques
publiques ?
7
Ainsi, Jean-Eudes Beuret explique que la prise en charge de l’environnement témoigne
des capacités de compromis entre des acteurs dont les intérêts divergent. En effet, les
territoires font l’objet d’usages multiples, d’où des « itinéraires de concertation » constitués
de phases d’accords, de désaccord, de conflits. Les territoires ruraux, tels que nous les
côtoyons au niveau de notre terrain d’enquête, sont divisés entre « plusieurs monde » :
d’un côté le monde civique qui agirait pour l’intérêt général, pour tous, de l’autre côté le
monde domestique centré sur ses propres intérêts et celui de ses enfants, et entre les deux
le monde « industriel » avec pour objectif la production et la performance. D’où des intérêts
et des principes de justification différents. Dans le cadre de notre terrain, à première vue, le
monde civique correspond aux associations de défense de l’environnement mais également
aux pouvoirs publics, le monde domestique renvoie aux riverains et le monde industriel est
principalement constitué des agriculteurs et du secteur agroalimentaire. Cependant, nous
estimons qu’il peut y avoir porosité entre ces différentes sphères en fonction des intérêts
et des objectifs qui sont défendus. Ce sont les positions et les stratégies adoptées dans
le cadre des conflits qui sont à l’origine des changements de frontières du problème et de
ces diverses définitions.
George Simmel aborde la notion de conflit en s’intéressant à son rôle positif et à sa
fonction socialisante. Le conflit est ainsi un « mouvement de protection contre le dualisme
8
qui sépare, et une voie qui mènera à une sorte d’unité »
, et vise la paix. Dans le
cadre de notre terrain, il convient de définir le terme conflit comme étant une succession
de désaccords opposant les différents acteurs impliqués dans la gestion du phénomène et
ayant des intérêts divergents. Ces acteurs étant le secteur agricole et agroalimentaire, les
associations, l’Etat et les élus. Leurs intérêts sont reliés à leur position dans les différents
« mondes » explicités ci-dessus ainsi qu’à leur vision du territoire local qu’est la Baie de
Saint-Brieuc.
Notre positionnement par rapport aux écrits de George Simmel est le suivant : les
conflits entre les acteurs, liés à des intérêts différents voire opposés, et leurs évolutions,
déterminent les modalités de gestion des marées vertes et de leurs conséquences. Les
ajustements entre les acteurs sont constants, mais des blocages demeurent.
Selon la définition du Petit Robert, l’intérêt renvoie à « ce qui importe, ce qui convient,
en quelque manière que ce soit, à l’utilité, à l’avantage d’une personne ou d’une collectivité,
d’un individu ou d’une personne morale, en ce qui concerne soit leur bien physique et
6
7
VEYRET Yvette, Géographie des risques naturels en France, Paris : Hatier, 2004, 251 p.
BEURET Jean-Eudes, « Petits arrangements entre acteurs… Les voies d’une gestion concertée de l’espace rural ». Natures,
Sciences, Sociétés, n°1, vol. 7, 1999, p. 21-30.
8
ème
SIMMEL Georg, Le conflit – 3
édition, Paris : Circé, 2008, 159 p.
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9
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
matériel, soit leur bien intellectuel et moral ». Dans le cadre de notre enquête de terrain,
nous nous inscrivons pleinement dans cette définition.
9
Pour André Torre , les territoires ruraux se définissent par leur caractère
multidimensionnel. Ils sont le lieu où se rencontrent trois types de fonctions : une fonction
économique, une fonction résidentielle ou récréative et une fonction de conservation.
Les différents acteurs vont s’impliquer pour imposer leur définition du problème, pour se
l’approprier et pour rendre acceptable leur solution (en termes de politiques publiques).
Mais la répartition des acteurs au sein de ces différents « mondes » ou « fonctions »
va également faire l’objet de reconfigurations. Ainsi, l’élu local peut à la fois se situer dans
le monde civique car il défend l’intérêt de ses citoyens, mais aussi dans le monde industriel
quand il s’agit de sauvegarder les emplois de sa commune. Ces intérêts mouvants et
diverses vont faciliter un certain accord sur la non-publicisation du problème. Cette situation
peut être étayée par l’article de Jeanne Chabbal sur la non-émergence d’un problème public.
Elle y explique ainsi qu’une multitude d’acteurs cloisonnés, porteurs d’intérêts très divers et
de visions du monde localisées peuvent ainsi produire une sorte de consensus sur la non10
pertinence de la mobilisation collective .
C’est dans ce cadre que s’inscrit notre travail. Il s’agit d’étudier en quoi les qualifications
successives du phénomène des algues vertes témoignent des difficultés à inscrire
durablement le problème sur l’agenda politique.
La définition du problème résulte d’une interaction continuelle entre les protagonistes.
De ce rapport de forces entre les parties va dépendre la naissance du problème car les
acteurs vont se l’approprier et le modeler suivant leurs intérêts.
Hypothèses
Nos hypothèses de départ permettent de distinguer plusieurs phases dans l’émergence du
problème des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. Ces phases sont chacune marquées
parune définition particulière du problème, un certain nombre d’acteurs engagés ainsi que
des solutions de politiques publiques différentes.
Chaque définition du problème semble succéder à une autre de façon chronologique.
Si une qualification prévaut souvent à une certaine époque, en fait les différentes approches
et moyens d’action vont s’entrecroiser.
La ligne directrice de notre démonstration est la suivante : les qualifications successives
du problème de la prolifération des algues vertes traduisent la difficulté d’inscrire ce
phénomène sur l’agenda politique et donc de le prendre en charge. Chaque définition est liée
à des acteurs particuliers et est à l’origine de moyens de politiques publiques différenciés.
Mais cette succession et cet enchevêtrement de qualifications et requalifications
successives permettent seulement des apparitions temporaires du problème sur la scène
publique. Du rapport de forces entre les parties-prenantes va dépendre la définition du
problème. Les acteurs vont se l’approprier et le modeler en fonction de leurs intérêts et des
9
TORRE André et al. , « Conflits et tensions autour des usages de l’espace dans les territoires ruraux et périurbains. Le cas
de six zones géographiques françaises », Revue d’Economie régionale et urbaine, n°3,2006, p. 415-453.
10
10
CHABBAL Jeanne, « Le risque invisible. La non-émergence d’un problème public », Politix, n°70, vol. 2, 2005, p. 169-175.
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Introduction
perspectives d’aggravation ou d’amélioration de leur position dans le cadre de la nouvelle
qualification proposée.
La non-publicisation de la prolifération des algues vertes
La question des marées vertes ne fait tout d’abord l’objet d’aucune prise en charge
publique : elle n’est pas mise à l’agenda. Ainsi, jusqu’aux années 2000 environ, il y a dans
certains milieux une volonté de ne pas ébruiter le phénomène des algues vertes. C’est
notamment le cas de la commune d’Hillion avant le renouvellement de l’équipe municipale
en 2008.
Il ne fallait surtout pas parler du problème au risque de faire peur aux touristes et de
dégrader l’image de la région.
Cependant, cette question de l’image et de la-non publicisation semble encore
prégnante actuellement. C’est dans ce cadre que s’inscrit la polémique autour de la
campagne d’affichage de France Nature Environnement dans le métro parisien. En effet,
cette association écologiste a été accusée par le Président de la Région Bretagne JeanYves Le Drian de donner une mauvaise image de la région, de ses agriculteurs, et des
politiques qui sont menées en matière de gestion des algues vertes. Les associations
écologistes ont rapidement réagi en déclarant que ce sont les pratiques agricoles intensives
qui sont néfastes à l’image de la Bretagne puisqu’à l’origine des marées vertes. Surtout,
elles estiment que si des mesures avaient été prises avant, la situation ne serait peutêtre pas aussi désespérée. Cette polémique récente traduit la sinuosité de la carrière de
ce problème sur l’agenda public : il alterne entre des périodes d’oubli et des moments de
saillance intenses, souvent marqués par de véritables scandales.
Ainsi, on retrouve le thème de la non-publicisation du problème. Ce qui a prévalu durant
de nombreuses années était une stratégie de « non-dit ». Il ne fallait surtout pas ébruiter
le problème. En effet, différents acteurs avaient alors un intérêt à ce que le phénomène
des algues vertes ne soit pas trop connu. Les élus et les professionnels craignaient une
fuite des touristes, les agriculteurs voulaient se désengager de toute responsabilité dans ce
phénomène, et même certains riverains craignaient une chute des valeurs immobilières.
Le problème des algues vertes était alors défini comme un « non-problème ». Le
principal enjeu qui y était lié était de ne pas l’ébruiter car chaque acteur concerné y avait un
intérêt particulier. Aucune action particulière, au-delà de quelques mesures de ramassage
au niveau local, n’est alors envisagée.
Cependant, parallèlement à cela, certains acteurs commencent à élever la voix et à se
mobiliser face à l’ampleur du phénomène. Tout d’abord, les élus des communes les plus
touchées interpellent les pouvoirs publics en raison de l’impact économique des marées
vertes, notamment sur le tourisme. En effet, les touristes commencent à fuir les plages des
communes concernées et se détournent vers celles qui échappent encore à ce phénomène.
De plus, les riverains s’inquiètent d’une éventuelle baisse des valeurs immobilières et
commencent à se plaindre de la gêne olfactive provoquée par les algues qui pourrissent.
Du problème de l’eau à celui de l’agriculture
Face à la persistance du problème, des acteurs locaux vont se mobiliser contre les
algues vertes. Mais lutter contre le phénomène est difficile puisque la réalité de celui-ci
a été masquée durant des années. L’enjeu de la lutte contre les algues vertes est donc
de présenter le problème comme un problème global concernant l’ensemble du territoire
et de ses acteurs. La prolifération des algues vertes va donc être l’objet de qualifications
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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
successives, en fonction des parties impliquées dans sa gestion. Qualifications dont vont
dépendre les éventuelles mises à l’agenda de cette problématique.
Ce sont les associations écologistes qui vont mettre en évidence l’aspect
environnemental des marées vertes. Ainsi, une association de protection du saumon en
Bretagne dénommée l’APPSB (Association pour la Protection du Saumon en Bretagne)
devient en 1983 Eau et rivières de Bretagne. De la protection d’une espèce en particulier,
cette association s’est ensuite tournée vers la protection du milieu. Eau et rivières de
Bretagne compte ainsi deux agréments, le premier au titre de défense de l’environnement
et le second au titre de la défense des consommateurs. Il s’agit d’aborder la question de
11
l’eau en étant attentif à tous les débats qui s’y rapportent . C’est donc dans ce cadre que
la problématique des algues vertes prend toute son importance puisque les marées vertes
sont essentiellement dues à des teneurs en nitrates beaucoup trop importantes.
C’est ainsi qu’en 1998, à l’appel de l’association Eau et rivières de Bretagne, 5000
personnes défilent à Binic pour réclamer « de l’eau pure des sources à la mer ».
D’autre part, en 2001 et 2002, l’Etat est condamné par la Cour de Justice des
Communautés Européennes pour la mauvaise qualité des eaux destinées à la production
d’eau alimentaire en raison des teneurs en nitrates d’origine agricole excessives.
Au cours des années 1990 sont organisés des colloques scientifiques relatifs aux
origines des algues vertes. Ainsi, en septembre 1999, l’IFREMER organise une rencontre
à Ploufragan consacrée aux pollutions diffuses, du bassin versant au littoral, qui affirme la
responsabilité de l’azote d’origine agricole dans le développement des marées vertes.
D’autre part, en décembre 2002 est lancé le programme PROLITTORAL qui prévoit des
actions préventives mais aussi quelques mesures destinées à limiter les apports azotés en
modifiant des pratiques agricoles. Sans remettre en cause le modèle agricole qui prévaut
en Bretagne, ce programme fait des propositions pour « limiter les dégâts » : éviter la
surfertilisation des sols, couvrir les sols… Cependant, il évoque aussi les « autres sources de
pollution ». Certes, il ne les cite pas, mais l’on ne se focalise pas uniquement sur l’agriculture.
Puis, en décembre 2009, le Préfet des Côtes d’Armor adresse aux autorités
ministérielles un rapport non destiné à être rendu public sur les marées vertes. Il y
indique que « la diminution visible et notable du phénomène ne pourra passer que par un
changement profond des pratiques agricoles, ce que la profession agricole n’est pas prête
à accepter pour le moment »
12
.
Le problème passe ainsi du secteur de l’eau à celui de l’agriculture. Il ne s’agit pas
uniquement d’un problème de pollution des eaux mais bien celui d’un modèle agricole
prépondérant en Bretagne. Ce changement de définition rejoint la position des associations
écologistes qui espèrent impulser un changement dans les pratiques agricoles. C’est pour
eux le seul moyen de gérer la prolifération des algues vertes.
Cette requalification traduit une montée en généralité du problème. Les algues vertes
ne sont alors que la partie émergée de l’iceberg : derrière se cache un modèle agricole peu
respectueux de la nature et basé sur une logique de production et de volumes. Mais se
cache également un modèle de développement économique basé sur l’omniprésence de
11
MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,
Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.
12
FARGEAS Jean Louis, Lettre destinée au Premier Ministre, Le phénomène des algues vertes dans les Côtes d’Armor, Saint-
Brieuc : Préfecture des Côtes d’Armor, 4 septembre 2009, 17 p.
12
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Introduction
l’industrie agro-alimentaire. Ceci explique d’ailleurs les nombreux blocages rencontrés par
ceux qui veulent impulser des changements. En effet, le secteur agro-alimentaire dispose
d’une influence considérable au niveau local, aussi bien auprès des élus mais aussi sur
l’opinion publique. 46% de l’industrie costarmoricaine travaille dans le secteur agricole ou
agroalimentaire. Quelques entreprises agro-alimentaires ont entre leurs mains une part
importante des perspectives d’emploi de la région : elles pèsent sur les négociations locales
et peuvent même user du chantage. Elles n’ont aucun intérêt à ce que le modèle de
production agricole breton ne change puisque leur objectif est de produire toujours plus aux
moindres coûts.
La définition du problème a donc été élargie pour porter sur les problématiques de
développement durable et de modèle d’agriculture. Il s’agit d’une montée en généralité :
le problème des algues vertes est devenu une question complexe relevant à la fois de
politiques environnementales et agricoles.
Le phénomène, dont les enjeux ont été élargis, devient alors plus visible. L’arrangement
limité dont il faisait l’objet a été dépassé.
Le phénomène des algues vertes concerne initialement un nombre restreint d’acteurs :
associations écologistes, élus concernés et certains représentants de l’Etat « engagés ».
Progressivement cette relation va s’ouvrir à d’autres acteurs : agriculteurs, agroalimentaire,
collectivités territoriales. Ainsi, de nouvelles contraintes vont peser sur ces acteurs : de
nature politique (mise en cause potentielle d’un élu ou d’un représentant de l’Etat face à
un éventuel accident sanitaire), économique (surtout le secteur agroalimentaire) et sociale
(rejet du monde agricole par une partie importante de la société en raisons de certaines
13
activités portant atteinte à l’environnement) .
Un élément important dans le cadre de cette requalification du problème des algues
vertes est de s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de cette nouvelle stratégie. Dans
la mesure où il s’agit de changer totalement les modes de production en vigueur depuis
des dizaines d’années, les résultats semblent très difficiles à atteindre. Ce n’est pas
en un seul jour que le modèle économique breton va pouvoir s’adapter aux exigences
environnementales qui s’imposent. Il y a également le risque de « noyer » de problème au
sein de considérations et de politiques complexes, difficiles à cerner.
Est-il vraiment envisageable d’aboutir à des résultats concrets en matière de production
agricole dans la mesure où il s’agit de remettre en cause un modèle de développement
existant depuis les années 1960 ?
Du problème de l’agriculture au risque sanitaire
Le monde agricole est donc mis en cause et tenu en partie pour responsable de la
prolifération des algues. Cependant, ce changement de cadrage ne suffit pas à une prise
en charge durable du problème : faire évoluer le modèle agricole est long et il existe une
forte inertie des milieux naturels, peu propice à une réduction rapide des taux de nitrates
dans l’eau.
Il y a ainsi un risque que la gestion des algues vertes retombe une fois de plus dans
l’oubli face à l’absence de moyens et de résultats concrets. C’est pourquoi des acteurs,
essentiellement associatifs, vont s’efforcer de prouver le danger sanitaire que représentent
les algues vertes. Si le problème n’est qu’agricole, alors il faut accepter des résultats à long
13
BORRAZ Olivier et SALOMON Danielle, « Reconfiguration des systèmes d’acteurs et construction de l’acceptabilité sociale :
le cas des épandages des boues d’épurations urbaines », dans Claude GILBERT (dir.), Risques collectifs et situations de crise. Apports
de la recherche en sciences humaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 145-160.
LORANS Bérengère - 2011
13
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
terme, mais si les marées vertes mettent en danger la vie des usagers du littoral, il y a
urgence : acteurs politiques et économiques se doivent d’agir. C’est donc l’enjeu de cette
nouvelle phase de qualification : en alertant sur le risque sanitaire, les acteurs impliqués
vont impulser une véritable prise en charge du phénomène. Mais cette reconnaissance du
risque sanitaire est difficile : acteurs économiques et même politiques craignent en effet
d’effrayer les riverains et les touristes.
La mise en évidence du risque sanitaire va émerger à la suite de plusieurs « alertes » :
la mort de chiens sur la plage d’Hillion en 2008, la mort d’un cheval à Saint-Michel-en-Grève
en 2009 et la mort « suspecte » d’un transporteur d’algues.
C’est dans ce cadre que vont être proposées des stratégies davantage basées sur le
volet curatif. Il s’agit notamment d’élus confrontés quotidiennement au phénomène et qui
se doivent d’agir afin de défendre les intérêts de leur commune tout en évitant un nouveau
drame sanitaire. Mais c’est aussi une stratégie de « différenciation » face à d’autres acteurs
qui, soit ne veulent pas entendre parler du problème, soit prônent des objectifs pour le
moment inatteignables. On retrouve ici la question des causes de la prolifération, notamment
agricoles, de leurs conséquences, mais aussi des priorités que doivent avoir les politiques
de gestion des algues face au risque sanitaire.
Le discours et les propositions sont ici beaucoup plus pragmatiques : il s’agit de
s’adapter au jour le jour aux problèmes posés par le phénomène de marées vertes :
nuisances visuelles et olfactives, risque sanitaire, fuite des touristes. Ils sont tout de même
conscients que ce type d’actions reste un « pis-aller » ou des solutions de dernier ressort.
Cependant, face à l’urgence de la situation, il est nécessaire de ramasser et de traiter
les algues, tout en menant parallèlement des actions sur le long terme dans le sens d’un
changement durable des pratiques agricoles.
Parfois, ces visions et ces propositions s’opposent : il n’existe pas de consensus autour
du mode de gestion à adopter. Il y a encore des désaccords entre le volet curatif et l’aspect
préventif.
Ainsi, même au sein du même type d’acteurs, des avis différents vont s’opposer ;
certains mettant en avant l’urgence du problème, d’autres s’intéressant à la problématique
d’une agriculture enfin durable et respectueuse de l’environnement.
La stratégie collective : le recours en justice
La carrière du problème des algues vertes dans l’espace public dépend très largement
des stratégies de mobilisation des acteurs associatifs, de certains élus, et des citoyens qui
les soutiennent. Ces acteurs vont construire une entreprise collective de protestation et de
contestation et vont utiliser des outils diverses afin d’obtenir la reconnaissance et la prise
en charge du problème des algues vertes.
Ainsi, à partir de 2001, les associations de défense de l’environnement inaugurent un
nouveau type d’action en portant plainte contre l’Etat. Celui-ci est considéré responsable
de la prolifération continue des algues vertes par son inaction dans ce domaine. Il est
également accusé de laxisme concernant l’octroi des autorisations d’élargissement de
certains élevages porchers dans la région.
En 2007, après 3 ans de procédures, le Tribunal administratif de Nantes déclare l’Etat
responsable des marées vertes du fait de ses carences répétées dans l’application des
législations nationales et européennes de prévention des pollutions des eaux par l’azote
agricole.
14
LORANS Bérengère - 2011
Introduction
L’entrée en justice ne vise pas seulement le gain d’un procès, ni la réparation d’un
dommage, mais bien une action politique pour débattre de la question de la pollution
des eaux et des marées vertes. L’objectif est d’impulser une véritable politique territoriale
associant tous les acteurs concernés par la pollution des eaux et de les amener à assumer
14
leurs responsabilités . Il s’agit, une fois de plus, d’attirer l’attention sur les marées vertes
et de lutter contre ce phénomène.
C’est ce contexte, ainsi que la mort du cheval à St-Michel-en-Grève, qui conduit l’Etat
à adopter le Plan Algues Vertes en 2009 afin de coordonner au niveau national l’ensemble
des initiatives locales.
Méthodologie
La période de temps sur laquelle portera notre travail s’étend des années 1970, date des
premières proliférations et des premières mesures face au phénomène de prolifération des
algues vertes, jusqu’à nos jours.
Ensuite, le terrain d’enquête retenu est la côte littorale de la Baie de Saint-Brieuc,
plus particulièrement la zone s’étalant de Binic à Hillion. L’ensemble des communes de
ce littoral sont particulièrement touchées par le phénomène et organisent des opérations
de ramassage assez importantes pour éviter une fuite massive des touristes. Cette zone
géographique rassemble un certain nombre d’activités économiques : tourisme, pêche,
agriculture, mytiliculture…
D’autre part, l’ensemble de ces communes font partie de la communauté
d’agglomérations de Saint-Brieuc, désormais responsable du ramassage des algues. Cette
compétence donne une certaine unité à la gestion curative des algues vertes sur toute la
zone.
Notre méthode d’enquête est en grande partie basée sur des entretiens semi-directifs
avec les acteurs concernés par le phénomène et intervenant dans sa définition et sa gestion.
Il est possible de définir l’entretien de recherche semi-directif comme un « entretien
entre deux personnes, un interviewer et un interviewé, conduit et enregistré par
l’interviewer ; ce dernier ayant pour objectif de favoriser la production d’un discours linéaire
de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche »
15
.
Selon Stéphane Beaud, l’entretien de recherche permet de réaliser une observation
participante, et ainsi d’être immergé dans le milieu enquêté. L’entretien permet notamment
d’obtenir des informations, dans le cadre de la recherche, sans recourir forcément à
l’observation. L’entretien permet donc de recueillir des données grâce au discours de
l’interviewé : données issues directement du récit mais aussi d’une analyse fine des paroles
de l’interlocuteur. Cet extrait du travail de Michel Pialoux illustre parfaitement la logique de
l’entretien semi-directif, sa richesse et son intérêt pour l’enquête en sociologie : « C’est
dans la manière dont s’engendrent et s’appellent sans cesse de nouveaux thèmes, dont
14
MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,
Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.
15
BLANCHET Alain, GHIGLIONE Rodolphe, MASSONNAT Jean et TROGNON, Les techniques d’enquête en sciences
sociales. Observer, interviewer, questionner,Paris : Dunod, 1992, 197 p.
LORANS Bérengère - 2011
15
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
s’organisent certaines associations d’idées, dont surgissent des propositions incidentes,
c’est dans les hésitations et les brisures d’une phrase, la manière dont le locuteur se laisse
tout à coupenvahir par telle ou telle vague de souvenirs ou d’émotions que s’exprime peutêtre ce qu’il y a de plus original, de plus spécifique, dans son discours et sa personne sociale,
16
cette spécificité devant elle-même être pensée comme un produit social » .
Dans le cadre de notre travail, l’accent fut tout d’abord mis sur les associations de
défense de l’environnement, telle Eau et rivières de Bretagne et Halte aux marées vertes.
En effet, celles-ci se distinguent par leur intervention active sur ce dossier depuis de
nombreuses années. Ensuite, il était indispensable de rencontrer les élus des communes
concernées par le phénomène afin d’avoir un aperçu des actions menées à leur niveau.
Les rencontres avec les représentants de l’Etat, notamment à travers la Préfecture nous
ont également permis d’analyser la position de l’Etat et ses éventuelles évolutions face au
problème des algues vertes. Enfin, les représentants de la profession agricole nous ont
permis de mieux cerner la position des agriculteurs par rapport à la problématique des
algues vertes. Il s’agissait ainsi de rencontrer un à un les acteurs afin de savoir depuis
quand ils sont mobilisés sur la question, pourquoi et comment ils en sont arrivés à cette
position. Ces entretiens permettent de comprendre la façon dont ils définissent le problème
des algues vertes et quelles solutions ils proposent. Ce fut aussi l’occasion de mettre en
exergue les divergences et les oppositions en s’intéressant aux représentations des acteurs
et au niveau institutionnel du discours.
Pour comprendre les processus de mise sur agenda du problème des algues vertes, il
était indispensable d’interroger un certain nombre d’acteurs différents, relevant des secteurs
associatif, scientifique, administratif et politique. Ainsi, les entretiens nous permettaient de
comprendre les enjeux propres à chaque secteur, les relations entre les différents acteurs,
ainsi que les polémiques, les controverses et les débats en présence
17
.
D’autre part, nous nous sommes penchés sur des sources écrites, notamment des
articles de la presse locale, afin d’avoir un point de vue sur le discours officiel des différents
acteurs engagés. Ils permettent également de comprendre l’évolution du problème dans le
temps et la façon de le gérer. Ceux-ci furent récoltés grâce à la lecture assidue de cette
presse locale mais également grâce aux acteurs rencontrés qui conservent une grande
partie des articles de journaux relatifs au sujet.
L’intérêt de cette méthode est donc d’étudier la façon dont la problématique des algues
vertes se construit au cours du temps et pourquoi elle fait l’objet de mises à l’agenda
successives depuis son émergence.
Cependant, dès nos premiers contacts avec le terrain, que ce soit lors de discussions
informelles ou lors des sollicitations pour les entretiens, s’est dégagé l’impression que nous
« débarquions » dans un monde relativement fermé. Les individus semblaient surpris d’une
telle prise de contact car peu de « non-initiés » étaient impliqués dans ce domaine. De plus,
les acteurs approchés ont souvent exprimé leurs difficultés à cerner l’enjeu de notre travail.
A plusieurs reprises ils ont évoqué la complexité du sujet, leur propre difficulté à le cerner
dans sa globalité et donc le fait que nous aurions surement du mal à le traiter.
Mais d’un autre côté, ils se sont montrés heureux que des « jeunes » s’intéressent à
la problématique des algues vertes, d’où une certaine facilité de discussion sur ce sujet.
16
17
16
PIALOUX Michel, « Chroniques Peugeot », ARSS, n° 52-53, 1984, p. 88-95.
Entretien avec Claude Gilbert, « Des objets à géométrie très variable », Politix, n°44, 1998, p. 29-38.
LORANS Bérengère - 2011
Introduction
Une fois l’étonnement initial passé, l’enquête auprès des acteurs rencontrés fut relativement
facile.
D’autre part, la méthodologie a eu certaines limites. En effet, l’enjeu principal était de
18
ne pas prendre parti. Or, la neutralité apparaît comme un objectif illusoire . Ainsi, lorsque
nous étions pris à parti, il était difficile de rester dans une attitude la plus objective possible.
De plus, les acteurs se connaissaient bien entre eux puisqu’ils étaient souvent en contacts
les uns avec les autres. Bien souvent, au cours des entretiens, ils parlaient des uns et des
autres, se critiquant, formulant certaines remarques à l’égard de l’action des autres. Ces
éléments contradictoires émergeant au fur et à mesure de l’enquête de terrain furent parfois
déstabilisants. Cependant, ils nous ont également permis de comprendre les relations et
les arrangements qui existaient au niveau local entre les différents acteurs.
Il fallut ainsi passer au travers des jugements des uns et des autres pour extraire des
entretiens la matière nécessaire à notre étude.
Cependant, étant donné l’éloignement géographique du terrain d’enquête, l’observation
fut limitée. Peut-être aurait-elle pu être intéressante pour recueillir davantage d’informations
sur les divergences entre les acteurs ou leurs représentations. Ce sont notamment les
réunions des associations qui auraient pu nous permettre de davantage répondre à la
question de l’évolution de la problématique des algues vertes.
La prolifération des algues vertes a longtemps été ignorée par les acteurs locaux : élu,
agriculteurs, riverains, professionnels du tourisme. Les intérêts de cette coalition d’acteurs
étaient liés à la non-publicisation du phénomène. Cependant, face à la récurrence du
problème et à ses conséquences économiques et sanitaires, le rapport de force va évoluer
avec l’émergence de nouveaux acteurs qui vont se mobiliser afin de lutter contre les marées
vertes (Partie 1).
La mise à l’agenda du problème des algues vertes n’est pas pour autant acquise : la
mobilisation collective ne suffit pas. Les interactions entre les acteurs vont être à l’origine
de requalifications du phénomène et de montées en généralités. Chaque partie concernée
cherchant ainsi à imposer sa propre vision du problème et ses solutions de politiques
publiques. Ce cheminement difficiletraduit les difficultés à inscrire durablement le problème
sur l’agenda politique (Partie 2).
Puis, face aux conséquences économiques et surtout sanitaires du problème, les
pouvoirs publics, notamment l’Etat et les collectivités territoriales tentent de proposer des
solutions adaptées. Ceci dans un cadre de recours en justice des associations écologistes
contre l’Etat, accusé de laxisme dans ce dossier. Les politiques proposées mêlent un volet
curatif et préventif et ont pour objectif d’associer tous les acteurs concernés, qui sont invités
à assumer leurs responsabilités.Cette négociation collective n’empêche pas le retour des
débats récurrents sur la façon de définir et d’aborder la problématique des algues vertes
(Partie 3).
18
BEAUD Stéphane, « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour « l’entretien ethnographique », Politix, 1996,
n°35, p. 226-257.
LORANS Bérengère - 2011
17
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
I- De l’arrangement local à l’action
collective : la reconnaissance tardive du
phénomène des marées vertes
La définition du phénomène des marées vertes résulte d’une interaction continuelle entre les
protagonistes. Jusque dans les années 2000, la coalition des acteurs impliqués va étouffer
l’existence des marées vertes. Puis, le rapport de force va évoluer avec l’émergence de
nouveaux acteurs qui vont parvenir à s’approprier le phénomène en le transformant en un
problème public. L’évolution de ce rapport de force est la condition préalable à une prise en
charge territorialisée des algues vertes.
A) Le déni collectif : la non-publicisation de la
prolifération des algues vertes
Il y a publicisation d’un problème lorsque celui-ci passe de la sphère privée à la sphère
publique. Ici, la publicisation n’existe pas puisque le phénomène des algues vertes, en
raison d’une forme d’arrangement entre les acteurs locaux, reste confiné et n’accède pas
au statut de problème public.
Les marées vertes n’existent pas…
La prolifération des algues vertes est considérée comme un phénomène ponctuel, peu
important, ne nécessitant pas de traitement, et encore moins que l’on en parle. C’est cet
état d’esprit qui prévaut notamment à la municipalité de la commune d’Hillion jusqu’au
renouvellement de l’équipe municipale en 2008. Il ne faut surtout pas ébruiter le phénomène.
Cette situation s’explique notamment parce qu’une multitude d’acteurs portent des
intérêts divers et une vision particulière du territoire, produisant ainsi une sorte de
19
consensus sur la non-pertinence de la mobilisation collective face au phénomène . Ainsi,
différents acteurs cherchent à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société
(agriculture, riverains, secteur du tourisme…) dans l’espace public
20
.
Tout d’abord, les élus craignent que les touristes ne délaissent leurs plages pour celles
du voisin. Cette considération économique est partagée par les professionnels du tourisme,
dont la survie dépend de la fréquentation de la région littorale. Mais ne pas en parler
19
20
CHABBAL Jeanne, « Le risque invisible. La non-émergence d’un problème public », Politix, n°70, vol. 2, 2005, p. 169-175.
BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Groupe d’intérêt », Paris : Les Presses de
Sciences Po, 2010, p.309-316.
18
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
n’empêche cependant pas les touristes de se tourner vers des zones plus épargnées par
les marées vertes.
D’autre part, les riverains craignent une chute des valeurs immobilières, et ainsi de voir
leur patrimoine se déprécier.
Enfin, les professionnels du secteur agricole et agro-alimentaire souhaitent maintenir
leur activité économique sans être pointés du doigt pour leurs éventuelles responsabilités
dans le phénomène de prolifération des algues. Les élus sont également tributaires du
modèle économique breton, basé sur l’industrie agro-alimentaire. Cette dernière tient
effectivement entre ses mains une partie importante des perspectives d’emploi sur le
territoire. Il est donc impossible de parler des algues vertes sans évoquer leurs causes et
leurs conséquences. L’émergence d’une véritable politique de gestion des marées vertes
est perçue comme susceptible de nuire à des intérêts constitués : la valeur des biens
immobiliers pour les riverains, le maintien de l’activité pour les professionnels agricoles,
agro-alimentaires et du tourisme, et enfin l’argument du développement économique local
pour les élus.
Les risques liés aux marées vertes sont perçus en termes patrimoniaux pour les
riverains, économiques pour l’agriculture et l’industrie qui en découle et électoraux pour les
élus. Ces définitions diverses et incompatibles sont un facteur de blocage de l’émergence
du problème. Mais ces intérêts antagonistes seront également à l’origine de l’émergence
d’une action collective.
Il existe une incompatibilité des définitions du risque mais aussi une coalition d’acteurs
qui contribuent à empêcher la publicisation de la question. Il y a donc un consensus sur la
non-publicisation du phénomène des marées vertes. Le seul point de convergence entre les
acteurs locaux est leur accord sur la nécessité de ne pas ébruiter le problème. Celui-ci est
d’ailleurs présenté comme un « non-problème » ne nécessitant pas de traitement particulier.
Cet accord sur la non-émergence d’un problème public empêche toute reconnaissance
d’un éventuel risque lié aux marées vertes.
La négation du risque sanitaire
Tout comme l’existence des marées vertes, leurs conséquences sanitaires sont ignorées :
les acteurs locaux ferment les yeux. Les déclarations de l’adjoint au maire de la commune
d’Hillion en charge de la gestion curative des algues en témoignent :
« A Hillion il y a eu deux chiens qui ont fait les unes des journaux. Mais des
chiens il y en a eu des dizaines dans des tas d’algues. Mais, on n’en parlait pas. Y
21
en a eu avant mais bon ils étaient chargés avec les algues »
.
On retrouve ici le thème de la non-publicisation. Il s’agit d’étouffer les éventuels risques liés
aux algues vertes afin de ne pas affoler les usagers du littoral et de ne pas remettre en
cause les intérêts locaux constitués.
Pourtant, en 1985, le futur créateur de l’association Halte aux marées vertes, travaillant
chez Gaz de France, fait analyser les algues vertes ramassées sur la plage d’Hillion. Il
découvre ainsi que les algues en putréfaction dégagent de l’hydrogène sulfuré ainsi qu’un
autre gaz toxique : le mercaptan. Cependant, on en reste alors à la toxicité du toucher.
21
Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.
LORANS Bérengère - 2011
19
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Personne n’imagine que ces algues peuvent tuer un homme. Mais ces études ne sont pas
dévoilées publiquement : « A cette époque-là, on m’a ri au nez »
22
.
Cependant, des contradictions commencent à poindre. En effet, les autorités publiques,
notamment les Préfets, multiplient les déclarations concernant la non-toxicité des algues.
Les services sanitaires, tels la DDASS, déclarent également qu’aucun cas d’intoxication
humaine n’a été attribuable à des « expositions » aux algues vertes. Pourtant, dans le même
temps, de nombreuses mesures de prévention sont mises en place : mesures de sécurité
23
pour les ramasseurs d’algues ou encore informations aux touristes fréquentant les plages
er
. Ainsi, une lettre envoyée par le Préfet des Côtes-d’Armor le 1 octobre 2007 demande aux
maires du département de prendre des mesures de précaution visant à limiter l’exposition
des personnes à l’hydrogène sulfuré, et particulièrement les travailleurs dont la mission
implique un contact répété avec des algues en décomposition.
D’autre part, l’intérêt économique et électoral des élus les pousse à relativiser l’éventuel
risque sanitaire puisqu’ils craignent de faire fuir les touristes et d’affoler les riverains.
« Eau et rivières est financée par les communes, y a même des communes qui
ont dit comme ça, notamment Hénon, que si Eau et rivières ne changeait pas son
24
fusil d’épaule, ils n’auraient plus la subvention annuelle de 100 euros »
.
Certains élus vont ainsi exercer une certaine pression sur les associations pour maintenir
le silence sur l’alerte sanitaire liée à la prolifération des algues vertes. Les élus sont
donc prisonniers d’un dilemme : ils ont conscience que les marées vertes peuvent être
dangereuses, mais ils n’osent pas le reconnaître car lutter contre les algues serait une
entreprise complexe, avec des enjeux et des conséquences économiques très importants.
Ainsi, la plupart des élus insistent sur la nécessité de ramasser les algues pour qu’elles
ne relancent pas de nouvelles marées vertes. L’idée est d’épuiser le milieu en azote en
ramassant, et non d’envisager le risque sanitaire.
Il est ainsi possible de faire le parallèle avec le scandale qui a éclaté à la suite de la
campagne d’affichage de France Nature Environnement dans le métro parisien. Les affiches
mentionnaient notamment que la décomposition des algues dégage un gaz mortel pour
l’homme. Lors de la parution des affiches dénonçant la persistance des marées vertes et leur
risque sanitaire, le président de la Région Bretagne ainsi que le comité régional du tourisme
s’insurgent contre France Nature Environnement, accusée de diffuser une mauvaise image
de la Bretagne, au risque, une fois de plus, de faire fuir les touristes.
Jusque dans les années 2000, tous les acteurs locaux avaient conscience du problème,
mais personne n’avait le courage de dire tout haut ce qui se passait. Chacun avait un intérêt
à ce que le problème soit tu.
Cette position de déni va être progressivement dépassée, mais la négation du
phénomène et de ses impacts reviendra ensuite, par intermittence, dans le débat public.
22
23
24
20
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
B) L’action contestée des pouvoirs publics
Gérer un phénomène consiste à faire face, au mieux, à une situation difficile.
Mais les plans mis en œuvre contournent le problème. Il s’agit de plans d’actions
« flous », peu précis, et dont les mesures ne s’attaquent pas aux causes du problème.
La persistance du phénomène malgré de multiples plans d’actions
En mai 1970, une délibération du Conseil Municipal de la commune de Saint-Michelen-Grève évoque l’arrivée importante d’algues sur les plages pour la deuxième année
consécutive. « Une végétation verte abondante, gluante recouvre depuis quelques temps
la mer et la lieue de grève […] Cette végétation se décompose rapidement en masse
blanchâtre mousseuse, nauséabonde transformant la grève de sable fin en un tas de
fumier dont l’odeur se répand jusqu’à l’intérieur des terres ». En outre, le Conseil Municipal
s’inquiète du coût de ramassage des algues et des conséquences néfastes sur le tourisme.
Le maire indique qu’il souhaite prévenir le service de la santé en ce qui concerne les
éventuels dangers découlant de cette pollution.
Le phénomène de prolifération des algues est donc présent, et connu depuis des
dizaines d’années : il fait l’objet d’un traitement ponctuel, très localisé. Pour certains acteurs
touchés de près par le phénomène (élus préoccupés, riverains), la prolifération des algues
est déjà envisagée sous l’angle du problème puisque ce dernier représente un risque pour
l’économie de la commune. Ainsi, dès le début, la prolifération des algues suscite des
interrogations, mais ces dernières sont atténuées par un discours officiel.
Ainsi, le Préfet des Côtes-d’Armor de l’époque répond en 1971 à une lettre qui lui a
été envoyée par le maire de Saint-Michel-en-Grève. Les algues vertes y sont présentées
comme un phénomène naturel ayant toujours existé. Il ne s’agit pas d’un problème, et aucun
traitement n’est alors envisageable.
D’autre part, à Hillion, au même moment est créée l’association DHIANE, dont l’objet
est la protection de l’environnement et de la nature. Cette association a rapidement été
oubliée, mais lorsque les mobilisations autour des algues vertes naissent au début des
années 2000, l’ancien Président de l’association rappelle le combat qu’il a mené dans les
années 1970. En effet, ce dernier était alors Directeur de l’Aménagement Touristique du
littoral et a engagé une action en faveur de la qualité des eaux de baignades, face à la
prolifération des algues. Mais à l’époque, le mot d’ordre local était de taire ce phénomène
pour ne pas nuire à la fréquentation d’Hillion. C’est dans ce cadre que les autorités locales
vont vivement lui conseiller de réorienter ses activités associatives vers le ramassage des
bouteilles en plastique sur les bords de mer plutôt que de s’occuper des algues vertes
25
.
Les mobilisations face aux algues vertes sont apparues au même moment que le
phénomène. Cependant, leur impact était alors limité par la volonté de maintenir le silence
sur les marées vertes. Jusque dans les années 1990, rien n’est fait pour lutter contre les
algues, on considère que c’est un phénomène naturel contre lequel on ne peut rien faire.
Lorsque le fondateur de Halte aux marées vertes créé son association, il lance une
campagne d’audit et d’interviews auprès des administrations pour comprendre pourquoi les
algues vertes sont présentes et d’où elles viennent. C’est alors qu’il prend conscience que
des plans de lutte contre les algues ont été lancés depuis une dizaine d’années, mais que
25
OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.
LORANS Bérengère - 2011
21
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
le phénomène n’a pas évolué. Ces plans d’action n’ont eu aucun impact sur la prolifération
des algues vertes.
« Et alors là j’ai découvert que toutes les administrations étaient au courant… Et
en même temps on avait découvert aussi qu’il y avait plein de plans qui existaient
et qui, à chaque fois…on devait boire non pas de l’eau de Perrier au robinet mais
26
de l’eau de Plancoët »
.
Encadré 1
: De 1990 à nos jours : les multiples plans d’actions de reconquête de
la qualité de l’eau et de lutte contre les marées vertes.
de
L’appellation Bretagne Eau Pure recouvre un programme de lutte contre les pollutions
l’eau qui a démarré en 1990, à l'initiative du Conseil régional de Bretagne, en
collaboration avec les Conseils Généraux, l’Etat, et l’Agence de l’Eau.
Le premier programme Bretagne Eau Pure (1990-1994) s’était donné pour objectif
l’assainissement des communes littorales. Mais la détérioration croissante de la qualité
des eaux a conduit à réorienter ce programme en direction de la lutte contre les pollutions
par les nitrates. C’est l’objet de la nouvelle convention Bretagne Eau Pure II, signée en
juillet 1995, dont l’ambition est également de mobiliser l’ensemble des acteurs sur le
territoire du Bassin versant. Ce programme crée peu d’instruments nouveaux et consiste
essentiellement à articuler des programmes préexistants (notamment le PMPOA et les
mesures agro-environnementales) et permet d’imposer la notion de bassin versant comme
échelle de travail cohérente. Ce programme BEP II représente au total 235,03 millions
d’euros sur cinq ans en tenant compte des programmes généraux associés. Les actions
du troisième programme se sont orientées vers du conseil personnalisé et l’engagement
individuel des agriculteurs pour l’amélioration des pratiques de fertilisation
27
.
Les programmes PMPOA (programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole)
accordent des aides aux éleveurs pour financer les l’adaptation des bâtiments d’élevage et
l’extension des capacités de stockage des effluents. Elles contribuent donc à améliorer la
maîtrise des épandages
28
.
Le premier PMPOA date de 1993 et a été mis en œuvre à partir de 1994 et a permis
d’aider 35 000 éleveurs. Il résulte d’un accord conclu entre l’Etat, la profession agricole et
l’Agence de l’eau.
Le PMPOA 2 a été mis en place en 2002 et s’applique dans les zones prioritaires où le
risque de pollution des eaux par les nitrates issus des effluents d’élevage est avéré.
L’ensemble des paiements et des engagements réalisés au titre du PMPOA s’élevaient
en 2001 à 68 milliards d’euros.
26
29
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
27
NOVINCE Emilie, « Bretagne Eau Pure » et « Prolittoral », les précurseurs du Grand Projet 5, Ploufragan : Agence de l’Eau
Loire Bretagne, 2010, 3 p.
28
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.
29
LUNEAU Sylvie, PMPOA, un programme pour réconcilier l’élevage et l’environnement, Ploufragan : Agence de l’Eau Loire
Bretagne, 2008, 2 p.
22
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
En 2002, face aux proliférations massives d’algues vertes, les collectivités territoriales
bretonnes (Région, départements, communes concernées) et l’agence de l’Eau LoireBretagne décident d’associer et de coordonner leurs moyens dans un programme régional
et interdépartemental de lutte contre les marées vertes intitulé Prolittoral. Ce programme est
organisé autour de trois volets d’actions : un volet préventif correspondant aux actions de
lutte à la source contre les nitrates, un volet curatif destiné aux actions de ramassage et un
volet transversal intégrant la coordination du programme et les suivis environnementaux du
phénomène. Le budget alloué à ce programme était de 16,7 millions d’euros ; les financeurs
étant la Région, les départements bretons, l’Agence de l’Eau et les communes assurant le
ramassage
30
.
En février 2002 a été signé le plan d’action pour un développement pérenne de
l’agriculture et de l’agroalimentaire et pour la reconquête de la qualité de l’eau en Bretagne.
Il s’agit de maintenir la place de l’agriculture et de l’agroalimentaire dans le développement
économique de la Bretagne et dans l’aménagement de son territoire. Ses deux objectifs
principaux sont le maintien du potentiel de production agricole en Bretagne et la reconquête
de la qualité des eaux. Son principal instigateur est le Préfet de Région de l’époque : Claude
Guéant. Près de 600 millions d’euros ont été investis
31
.
Ainsi, c’est 1,5 milliards d’euros qui ont été investis dans divers plans d’actions depuis le
début des années 1990. Pourtant, les algues vertes persistent : leur prolifération ne diminue
pas.
Chaque plan permet de publiciser le phénomène pendant une courte durée en
identifiant des moyens d’action et des objectifs. Puis, celui-ci retombe rapidement dans
l’oubli, pour de multiples raisons : mesures mal appliquées, insuffisantes ou irréalisables,
manque de volonté collective…
Pour comprendre la trajectoire saccadée du problème des algues vertes, il convient de
connaître les raisons de l’inefficacité des programmes d’actions successifs.
« Faire de la brume » autour du phénomène : l’absence de mesures
concrètes
Au début des années 1990, l’annonce des premiers programmes de reconquête de la qualité
de l’eau en Bretagne traduisait une prise de conscience des conséquences néfastes d’un
développement économique non maîtrisé. Ces initiatives se posaient en rupture par rapport
à l’absence de politiques face à l’aggravation des pollutions agricoles. Jusqu’aux années
2000, les programmes ne portent pas spécifiquement sur la question des algues vertes.
Les différentes actions et réglementations se sont essentiellement construites autour de la
problématique de l’alimentation en eau potable. Cette observation permet de souligner la
lente émergence du phénomène des marées vertes comme problème à part entière. La
gestion des marées vertes passe dans un premier temps par une lutte contre la pollution des
eaux, mais quelques éléments relatifs aux pollutions agricoles commencent tout de même
à émerger.
30
Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, Programme régional et interdépartemental de lutte contre les marées vertes
en Bretagne, Pleubian : Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, septembre 2007, 65 p.
31
PILLET Didier et LE DOUAR Jean, « Agriculture pérenne : le plan est prêt », Ouest France, 12-13 janvier 2002.
LORANS Bérengère - 2011
23
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Les programmes d’actions successifs se sont caractérisés par leurs insuffisances et
leurs incohérences, empêchant ainsi une véritable reconquête de la qualité des eaux.
Le rapport de la Cour des Comptes concernant les politiques de reconquête de la qualité
des eaux en Bretagne fait un constat sans appel sur le manque d’efficacité des mesures
mises en œuvre.
« Les principes d’action retenus par le législateur pour préserver la ressource
en eau obligent les pouvoirs publics à privilégier l’action préventive pour réduire
les pollutions dès leur origine, et à faire supporter aux responsables de cette
détérioration tout ou partie du coût des actions mises en place. Au vu des
politiques engagées depuis dix ans en Bretagne, aucun de ces principes n’a été
32
respecté. »
Les fragilités du volet réglementaire
Tout d’abord, l’Etat est resté passif devant l’inapplication des réglementations dont
l’objectif était de concilier développement économique et protection du milieu naturel. C’est
cette passivité qui lui est aujourd’hui reprochée, et qui créé des tensions au niveau local
entre des acteurs aux intérêts divergents.
Le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)
implique, suivant trois seuils croissants, le respect d’un règlement sanitaire, le dépôt d’une
déclaration préalable, ou l’obtention d’une autorisation préfectorale après enquête publique.
Il a pour objectif de s’assurer que l’installation ou l’extension d’élevages est compatible avec
la protection des milieux naturels et permet à l’Etat de réguler le secteur.
Or, ce régime n’a pas été appliqué tout au long des années 1980 : rares sont les
élevages bretons qui avaient respecté les arrêtés d’autorisation accordés et bon nombre
d’entre eux n’avaient même jamais sollicité cette autorisation ou déposé de déclaration. De
plus, les contrôles dans les exploitations sont insuffisants, et bien inférieurs aux 10% exigés
par la loi. Ceci s’explique notamment par le manque de contrôleurs agréés. Or, les bilans
de contrôle font apparaître des dérives significatives : ainsi, à la fin des années 1990, la
proportion d’élevages porcins en situation irrégulière s’élevait à 44,6%
33
.
Les faiblesses réglementaires sont également importantes concernant la question
de l’épandage. La mise au point d’un plan d’épandage et son suivi sur un cahier sont
obligatoires sur toutes les exploitations. Or, le contrôle de la correcte exécution des
épandages s’est avéré insuffisant puisque, dans les Côtes d’Armor, aucun contrôle physique
inopiné des plans d’épandage n’a été réalisé entre 1993 et le début des années 2000.
Ainsi, la viabilité de l’ensemble du volet réglementaire de l’action de l’Etat est douteuse
puisque celle-ci repose sur une réglementation peu contrôlée et principalement conçue
pour prévenir les pollutions accidentelles et non les pollutions diffuses. Si ces pollutions
accidentelles peuvent être maîtrisées par l’amélioration des bâtiments et des capacités de
32
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la
Bretagne, Paris : Cour des Comptes, février 2002, p. 7.
33
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.
24
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
stockage, l’essentiel du problème réside dans la maîtrise des épandages, volet jusqu’alors
délaissé
34
.
Une sélection peu pertinente des territoires et des zones d’action
Au gré des procédures et des programmes, de multiples zones d’action se sont
imbriquées les unes aux autres. Pourtant, certains territoires, touchés par les pollutions, ont
été maintenus à l’écart.
Ainsi, le choix des bassins versants dans le cadre du programme « Bretagne Eau Pure
II » a donné lieu à un appel à candidature au niveau départemental pour faire valoir le
principe du volontariat. Les territoires retenus présentaient tous des pollutions significatives
aux nitrates et représentaient environ 33% de la production d’eau potable de la région,
touchant plus de 60% de la population. Cependant, la sélection de différents territoires
empêche une approche globale du problème de la pollution des eaux au niveau régional :
l’approche est fragmentaire, limitée à une portion du territoire breton. En effet, seules 28%
des exploitations bretonnes sont concernées par le programme. Cette dispersion est peu
pertinente puisqu’il est très difficile d’appliquer des réglementations différenciées en matière
de pratiques agricoles
35
.
Une maîtrise des pollutions diffuses insuffisante
Les travaux financés par les aides versées dans le cadre du programme PMPOA ont
permis de prévenir les pollutions accidentelles et d’assurer aux éleveurs des capacités de
stockage minimales, mais les épandages excessifs, qui constituent les pratiques les plus
polluantes, ne sont encore que faiblement contrôlés.
Ensuite, lors de la mise en œuvre du programme « Bretagne Eau Pure », dans certains
bassins versants ont été constatés des extensions d’élevages qui venaient contrecarrer les
36
actions engagées sur ces bassins. Ainsi, le syndicat mixte du Gouët
a ensuite expliquer
s’être heurté à l’inapplication par l’Etat de la réglementation en matière d’expansion
d’élevages. Le syndicat a donc été amené à rendre des avis négatifs concernant des projets
d’extension d’élevages pour ne pas saper tous les efforts du programme Bretagne Eau
Pure II, mais sans que leurs préoccupations ne soient relayées au niveau des décisions
préfectorales.
Des plans d’action dépourvus d’indicateurs et de calendrier précis
L’ensemble des programmes de reconquête de la qualité de l’eau ont été mis en œuvre
sans que des objectifs déterminés leur soient assignés, ni que des liens soient établis entre
indicateurs de réalisations et indicateurs d’effets sur le milieu. Les calendriers étaient soient
flous, soit inexistants, et la plupart du temps ignorés. En effet, pour les programmes dotés
d’un calendrier initial, le constat d’un retard n’a pas provoqué de mobilisation de moyens
supplémentaires.
er
Ainsi, le 1 avril 2001, un tableau de bord du PMPOA montre que seulement 21% des
travaux prévus ont été achevés, alors qu’ils auraient dû tous l’être dès décembre 1999. Ces
34
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, p. 7.
35
Conseil économique, social et environnemental de Bretagne, Les marées vertes en Bretagne : pour un diagnostic partagé,
garant d’une action efficace, Rennes : Conseil régional, mai 2011, 32 p.
36
Le Gouët est un cours d’eau qui se jette directement dans la Baie de Saint-Brieuc.
LORANS Bérengère - 2011
25
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
retards s’expliquent par la suppression progressive des mécanismes qui devaient inciter
les éleveurs à tenir les délais. Ainsi, si la date d’achèvement des travaux prévue au contrat
n’était pas respectée, la subvention versée à l’éleveur était supposée faire l’objet d’une
réfaction de retard. Or, l’agence de l’eau et l’ensemble des financeurs ont systématiquement
négligé d’appliquer cette réfaction, dont le principe a été officiellement abandonné début
1998
37
.
Les incitations aux éleveurs se sont avérées inefficaces, provoquant des retards
importants dans les travaux de rénovation des exploitations. Les contreparties du secteur
agricole aux aides versées ont été extrêmement minces.
Des moyens administratifs insuffisants
A cette fragilité réglementaire s’ajoutent les conditions de mise en œuvre parfois
ambiguës du PMPOA, liées à la difficulté de gérer un programme lourd sans moyens
administratifs spécifiques. Ainsi, les DDAF ont rencontré de grandes difficultés pratiques
pour mettre en œuvre le PMPOA : les quatre directeurs départementaux ont donc du recourir
à des personnels vacataires pour pallier m’absence de créations d’emplois. Le nombre
d’éleveurs candidats au PMPOA, plus élevé que prévu, mais surtout l’absence de moyens
administratifs à la hauteur du programme (manque de personnels, …), ont entraîné lors des
premières années un véritable engorgement. La mise en œuvre du programme PMPOA a
donc été longue et difficile, en raison de la lourdeur des procédures administratives et du
manque de moyen.
La mobilisation insuffisante du secteur agricole et agro-alimentaire
Les programmes d’accompagnement basés sur le volontariat n’ont pas eu les résultats
attendus. Par exemple, le programme BEP II, parvenu presque à son terme, n’a pas atteint
les objectifs espérés : mobiliser les acteurs et réduire les concentrations en nitrates. Ainsi,
les actions de ce programme devaient essentiellement aider les agriculteurs volontaires à
modifier leurs pratiques agricoles. Cependant, la participation des agriculteurs a été plus
faible que prévue et sur certains territoires, les ambitions initiales des contrats ont été revues
à la baisse, compromettant ainsi l’atteinte des objectifs initiaux du plan d’action.
Les quatre chambres départementales d’agriculture ont été associées au programme
Bretagne Eau Pure en tant que conseillères des programmes de bassin-versant, mais aussi
comme partenaires directes puisqu’elles sont rémunérées pour assurer les prestations de
conseil, d’animation et d’évaluation du programme. Elles sont donc à la fois juge et partie.
C’est pourquoi la Cour des Comptes se demande si les chambres d’agriculture n’ont pas
bénéficié d’un « effet d’aubaine » pour réaliser, moyennant rémunérations, des prestations
relevant pourtant de leur statut d’établissement public
38
.
Peu de mesures contraignantes sont donc imposées aux professionnels du secteur
agricole : l’idée qui prévaut largement est celle du volontariat.
Le chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor déclarait
d’ailleurs que le principe maître dans le plan Algues vertes est celui de la pédagogie.
37
Conseil économique, social et environnemental de Bretagne, Les marées vertes en Bretagne : pour un diagnostic partagé,
garant d’une action efficace,Rennes : Conseil régional, mai 2011, 32 p.
38
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.
26
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
« Donc c’est vraiment un but pédagogique, on n’est pas du tout dans un exercice
réglementaire et répressif, on est vraiment dans une logique d’accompagnement
39
des agriculteurs dans leurs pratiques. »
Enfin, en ce qui concerne le programme PROLLITORAL, sept bassins versants ont été
retenus, mais pas celui de la Baie de Saint-Brieuc, où, pourtant, les quantités d’algues
sont les plus importantes. Les contradictions dans les plans de lutte contre les algues sont
40
donc apparentes. « Tout le monde fuit » . Financer des moyens d’action dans la Baie de
Saint-Brieuc reviendrait à neutraliser l’ensemble des moyens disponibles uniquement sur
cette zone géographique. L’ampleur du phénomène est telle que le combat apparaît perdu
d’avance.
Il existe un arbitrage récurrent entre le choix d’actions efficaces permettant d’atteindre
les objectifs environnementaux et la volonté de ne pas imposer de mesures trop
contraignantes pour les acteurs économiques. C’est essentiellement cet équilibre qui est
difficile à atteindre dans le cadre de la lutte contre les algues vertes : contourner le problème
ou l’attaquer directement tout en assumant les conséquences économiques au niveau local.
Cette absence d’arbitrage réel entre les intérêts divergents mobilisés autour de la
question de l’eau explique en grande partie le faible impact écologique des mesures mises
en œuvre depuis les années 1990
41
.
L’action des pouvoirs publics, essentiellement l’Etat, les collectivités locales et l’Agence
de l’eau est restée vaine et n’a eu aucun impact sur le phénomène des algues vertes dans
la Baie de Saint-Brieuc. Les causes de cette inefficacité sont diverses. Ces programmes
d’actions successifs illustrent la difficulté patente d’inscrire ce problème à l’agenda politique.
Mais plus encore, l’inefficacité de ces programmes rend encore plus difficile la publicisation
et la prise en charge durable du phénomène. Si, à chaque plan d’actions, la question de la
qualité de l’eau apparaît, ce n’est que pour mieux disparaître dès que les résultats semblent
être peu probants. Cette disparition de la question de l’eau potable de la scène publique
occulte ainsi la prolifération persistante des algues vertes. Tout se passe comme si les
algues vertes étaient un problème secondaire contre lequel il est inutile de se battre puisqu’il
est impossible d’en venir à bout. En effet, les objectifs en matière de qualité des eaux
semblent inatteignables.
Face à ce manque d’actions concrètes et aux résultats peu convaincants des politiques
de gestion des algues vertes, la société civile locale, citoyens et associations, va se mobiliser
et dénoncer la prolifération des algues.
Une entreprise collective de protestation et de contestation va progressivement
émerger au niveau local.
39
40
Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
41
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.
LORANS Bérengère - 2011
27
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
C) Déchirer le voile du silence. La stratégie collective
des associations de défense de l’environnement.
La gestion de la prolifération des algues vertes masque des controverses entre des acteurs
multiples : les politiques publiques en la matière ne sont pas initiées uniquement par la
puissance publique. Elles font l’objet d’une définition à un niveau local, au plus près des
populations concernées. C’est notamment parce que ces dernières ont été directement
confrontées au phénomène des marées vertes qu’elles se sont mobilisées pour que ce
problème soit pris en charge. De plus, c’est parce qu’elles estiment qu’elles sont investies
d’une légitimité à agir qu’elles vont vouloir participer à l’élaboration des solutions et à la mise
en œuvre des actions.
Se pose ainsi la question de la stratégie collective à établir pour permettre une
reconnaissance et une prise en charge durable du phénomène.
Pour Sydney Tarrow, l’action collective est conduite par des individus solidaires, ayant
des objectifs communs, engagés dans une interaction soutenue et conflictuelle avec des
élites, des autorités et des opposants
42
.
Le tournant des années 2000 : une situation devenue insupportable
La situation du début des années 2000 va faire changer la donne. Il y a plus d’algues que
jamais : les plages en sont infestées. Les alertes sanitaires font leur entrée sur le devant de
la scène puisque des enfants sont incommodés alors qu’ils jouent sur les plages, notamment
celles de la commune d’Hillion. D’autre part, le traitement des algues est problématique :
que faire des amas d’algues ramassées sur les plages alors que les structures ne sont pas
adaptées ? Les riverains de la plateforme de stockage d’Hillion font d’ailleurs part de leur
ras-le-bol : la gêne olfactive devient insupportable. C’est dans ce cadre que la maire de la
commune fera fermer cette plateforme en octobre 2009 pour réduire les nuisances, et au
nom du principe de précaution afin de préserver la santé publique.
On observe ici une brèche dans l’accord local qui existait jusqu’alors : certains acteurs
ne peuvent plus se contenter de supporter en silence les conséquences néfastes des algues
vertes : il faut agir pour y mettre un terme. C’est tout l’enjeu de la mobilisation collective qui
émerge au niveau de la commune d’Hillion.
La prolifération des algues vertes cesse d’être un phénomène naturel et est extrait
43
de son cadre familier
. Certaines incertitudes lui sont attribuées : les algues vertes
deviennent un objet d’interrogations et de doutes. Présentent-elles un risque pour la santé
des enfants ? Sont-elles les indicateurs d’une eau polluée peu propice à la baignade ?
Pourquoi prolifèrent-elles dans notre Baie et non pas ailleurs ?
Ainsi, le phénomène des algues vertes acquiert une certaine visibilité et commence à
être présenté comme un véritable problème par les riverains, les « locaux » fréquentant les
plages et certains élus confrontés au phénomène.
42
TARROW Sidney, Power in movement, social movements, collective action and politics, Cambridge: Cambridge University
Press, 1994, 271 p.
43
28
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
A l’origine de cette mise en visibilité se trouve notamment une expérience sensorielle :
la gêne olfactive est extrêmement importante et accroît la sensation de risque lié à la
prolifération des algues. C’est à travers cette expérience que les conséquences néfastes
des algues vertes deviennent repérables et identifiables.
En outre, le problème des algues vertes acquiert une dimension locale : il concerne un
nombre réduit d’acteurs rassemblés sur un même territoire.
La mise en visibilité du phénomène traduit ainsi le sentiment d’une certaine perte de
maîtrise sur l’environnement. En effet, apparaît l’idée qu’il existe bel et bien une pollution
de l’eau, mais ses origines sont floues et difficiles à établir. De plus, l’ensemble des plans
d’actions qui ont été mis en œuvre n’ont pas eu de résultats concluants, d’où la sensation
d’être face à un problème incurable sur lequel personne n’a de prise, ni les citoyens ni les
collectivités locales.
En cessant d’être perçu comme un phénomène naturel et banal, le phénomène des
marées vertes perd son caractère familier. Il est désormais envisagé comme un véritable
problème public concernant l’ensemble des acteurs du territoire. Un problème public peutêtre défini comme un problème qui appelle un débat public, voire l’intervention des autorités
44
politiques légitimes
. Ce phénomène suscite quelques interrogations mais n’est pas
encore qualifié de risque. Le problème est ainsi posé en termes de nuisance (gêne olfactive,
visuelle) et de protection de l’environnement (pollution de l’eau).
Cette perte de familiarité est semblable à un processus de stigmatisation puisque
l’existence des marées vertes ne peut plus être justifiée
l’action collective contre les algues vertes.
45
. Cette étape est un préalable à
Ainsi, il y a une politisation du problème au niveau municipal. En 2001, un
rassemblement contre les algues est organisé, mais il s’agit surtout d’un rassemblement
contre le maire en exercice. En effet, ce dernier est tenu responsable du non-ramassage
des algues sur les plages.
« Halte aux Marées Vertes, c’est une association, ils font ce qu’ils veulent...
C’est pas nouveau, ils ont découvert ça pour les élections de 2001. C’est une
équipe qui s’est mise en place 6 mois avant les élections et ont presque tous été
46
candidats. C’était un truc politique »
.
Dénoncer la mauvaise gestion des algues vertes est une stratégie pour s’emparer de la
mairie. Mais l’idée de l’époque est aussi que la bonne gestion des algues au niveau de la
commune passe par la victoire aux élections municipales de 2001.
Le Président de Halte aux marées vertes, originaire de la région, et revenu habiter à
Hillion pour sa retraite, prend rapidement conscience que le milieu naturel a changé depuis
son départ pour la région parisienne plusieurs dizaines d’années auparavant. C’est pourquoi
il créé son association, Halte aux marées vertes. Il s’agit de créer une association afin de
mettre en place un contre-pouvoir. Ainsi, il va utiliser ses acquis en communication pour
attirer l’attention sur la problématique des algues vertes. Pour cela, il sera épaulé par des
44
45
46
PADIOLEAU Jean-Gustave, L’Etat au concret, Paris : Presses universitaires de France, 1982, p. 25.
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
Interview de l’ancien maire d’Hillion, Site des Archives audiovisuelles de la Recherche, « Enquête autour
de la critique de l’élevage porcin intensif en Bretagne » : http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?
id=1555&ress=4741&video=7674&format=68 [consulté le 27 avril 2011].
LORANS Bérengère - 2011
29
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
amis qui vont l’accompagner dans ce combat. De plus, son nom est porteur, au niveau de
la commune, puisque sa famille y est implantée depuis des générations et que sa tante
possédait le principal hôtel du village.
Ainsi, des réseaux d’acteurs collectifs, ici des associations, vont intervenir dans les
processus de mise en visibilité des nuisances, dans la reformulation du problème à traiter
47
et dans le choix des modes de réponse publique . Un élément important dans l’action
collective dénonçant les marées vertes est la notion de médiatisation. Celle-ci « a pour
particularité de porter à la connaissance du public l’existence d’une situation plus ou moins
problématique qui, sans son intercession, resterait privée de publicité »
48
.
Cette médiatisation va porter sur un enjeu dont la définition dans un environnement va
conditionner les attitudes et les choix qui seront adoptés à son égard
L’objectif de cette mobilisation est donc avant tout de faire parler des algues vertes
en brisant le tabou qui entoure ce phénomène. Cette étape doit permettre d’impulser un
véritable changement dans les mentalités des acteurs en présence, notamment les élus.
C’est un préalable à une prise en charge durable et effective du problème.
Marées vertes et naissance d’un mouvement social
L’étude de la gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc nécessite de s’intéresser
au mouvement social qui s’est constitué au niveau local et qui a joué un rôle important dans
le processus de mise à l’agenda de cette problématique.
Nous avons vu précédemment que le phénomène des algues vertes a progressivement
perdu son caractère familier. Il est passé de la sphère privée à la sphère publique. Il y a
ainsi publicisation d’un problème lorsque « des conséquences indirectes sont reconnues et
qu’il y a un effort pour les réglementer »
49
.
La mobilisation collective contre les algues vertes va se construire autour de certaines
caractéristiques liées au contexte local.
Tout d’abord, les marées vertes ont un impact important sur certains aspects de la vie
auxquels les acteurs locaux accordent une grande importance. Il s’agit notamment du bienêtre de leurs enfants mais aussi de leur lieu de vie.
D’autre part, la problématique des algues vertes touche de manière différente les
acteurs du territoire. Dès le départ, la gestion du phénomène n’est pas appréhendée de
la même manière par les élus, les riverains ou le secteur agricole. Des tensions sont
perceptibles entre différents groupes d’acteurs, impulsant ainsi une mobilisation de certains
d’entre eux.
Enfin, si les origines des algues vertes semblent être extérieures et difficiles à cerner,
associations et riverains vont peu à peu prendre conscience que tout n’est pas fait pour
47
JOLY Pierre-Benoît et MARRIS Claire, « La trajectoire d’un problème public : une approche comparée du cas des OGM en
France et aux Etats-Unis », dans Claude GILBERT (dir.), Risques collectifs et situations de crise. Apports de la recherche en sciences
humaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 40-63.
48
BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Effets d’information », Paris : Les Presses de
Sciences Po, 2010 : p. 219.
49
30
DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Pau : Publications de l’université de Pau, 2003, p. 61.
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
combattre durablement le phénomène. Ainsi, les habitants semblent avoir la capacité d’agir
sur la prolifération des algues vertes, notamment en proposant des solutions nouvelles et
jusque-là ignorées.
Ce court extrait d’entretien avec l’ancien président de Halte aux marées vertes en
témoigne :
On m’avait répondu « mais si on devait s’occuper de la Baie de Saint-Brieuc, on
mettrait tout notre argent là-dedans, on pourrait pas subventionner les autres ».
Donc l’idée c’était bien de faire de la brume : on fait quelque chose, mais à la
50
limite on s’en fou un peu…
La quête d’alliés est ensuite un enjeu de la mobilisation puisqu’elle permet de nourrir la
51
dynamique protestataire
. Des efforts ont ainsi été entrepris pour élargir la base du
mouvement social. En effet, la quête de ressources est importante : les marées vertes
étant un problème localisé, seuls ceux qui habitent à proximité des cotes ont tendance à
se mobiliser. C’est pourquoi le président de l’époque de l’association Halte aux marées
vertes va organiser de nombreux rassemblements pour dénoncer les algues vertes. Il
va notamment s’appuyer sur son expérience en théâtre pour attirer l’attention sur cette
problématique. Il s’agit à la fois d’affirmer la volonté de lutter contre les algues vertes mais
également d’agrandir le groupe afin d’intensifier la mobilisation.
« A chaque fois qu’on avait à dire quelque chose on imaginait des grands objets
roulants et on convoquait la presse. Parce que dans la communication y a trois
choses : c’est la force, l’intelligence – c’est-à-dire avoir des projets, savoir
où on va – mais aussi de l’émotion. Donc à chaque fois faut travailler sur ces
trois vecteurs là pour être percutants en quelque sorte. Ca je l’avais appris à
des stages de communication à EDF-GDF où je travaillais. Et puis quand je
relis l’histoire de France, c’est toujours quand y a ces trois ingrédients là que
finalement le monde avance. Ce qui fait que la première fois qu’on a fait un
rassemblement ici, la toute première fois y avait eu une centaine de personnes
qui avaient dit « on va adhérer à un groupement », et l’année suivante 4000
52
personnes, 4000 signatures. »
L’ensemble de ces actions vise donc à élargir le cercle des acteurs concernés, à identifier
des alliés et dénoncer des ennemis. Cette quête d’alliés permet de définir les frontières
du groupe et de distinguer entre « eux », ceux qui restent à l’extérieur de la mobilisation,
et « nous », ceux qui la soutiennent. Cette constitution d’un groupe porteur d’une
action collective contribue également à l’identification de responsables. Ce processus
d’identification des causes et des responsables des marées vertes sera détaillé un peu plus
loin.
Il est à noter que cette recherche de soutien au sein de la communauté locale s’inscrit
dans des rapports de force préexistants, notamment des oppositions politiques. C’est
notamment le cas à Hillion où l’opposition municipale va porter la protestation contre la
mauvaise gestion des algues vertes.
50
51
52
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
LORANS Bérengère - 2011
31
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
La quête d’alliés inscrit donc la mobilisation collective dans un contexte local,
caractérisé par des rapports conflictuels entre différents groupes sociaux et des liens
d’interconnaissance qui vont fournir des alliés ou des adversaires. Elle contribue à renforcer
la visibilité du phénomène des algues vertes et à accroître les incertitudes qui y sont liées.
Dès lors qu’un mouvement social s’était constitué autour de la problématique des
algues vertes, il s’agissait d’intensifier la mobilisation afin de déclencher une véritable prise
en charge du problème au niveau local, voire national.
D’où la volonté d’aller en justice pour identifier les responsables : la décision est prise
en 2001 par le Conseil d’Administration de l’association Halte aux marées vertes. L’idée est
que le règlement du problème relève d’une autorité publique censée agir pour le bien de
la collectivité. Le problème des algues vertes appelle ainsi une prise en charge publique
par l’Etat.
Il s’agit ici d’un usage du droit à des fins militantes, conformément à ce que Lilian
53
Mathieu nomme la « mobilisation tribunicienne » du procès . Cela consiste à médiatiser
une affaire au moment de son passage devant un tribunal pour la poser comme exemplaire
d’un problème plus général. Un procès se transforme alors en un débat de société. On
retrouve la nécessité de la publicisation du phénomène des marées vertes : faire passer ce
problème de la sphère publique à la sphère privée en parlant des algues.
La médiatisation de ce procès a été un élément-clé. En effet, la plupart des chaînes
nationales l’ont couvert, provoquant une prise de conscience de l’ampleur du phénomène
et de ses conséquences au niveau de l’ensemble du pays. Dans ce cadre, les autorités ne
pouvaient pas rester longtemps inactives. L’ancien président de Halte aux marées vertes
évoque d’ailleurs cet emballement médiatique :
alA
« Alors on arrive devant le Tribunal Administratif à Nantes […] une nuée de
journalistes. D’ailleurs mon fils m’a dit que j’étais passé sur i-télé près d’un quart
54
d’heure »
.
Mais ce recours en justice ne s’est pas improvisé : il a fallu acquérir des compétences en
droit. C’est pour cela que le président de l’association Halte aux marées vertess’inscrit en
2002 à la faculté de droit de Saint-Brieuc pour acquérir les connaissances nécessaires à
l’ouverture d’un procès contre l’Etat. Cette recherche d’informations est indispensable afin
d’assurer le succès de la mobilisation collective, à savoir une reconnaissance juridique des
responsabilités de l’Etat dans le dossier, et donc une prise en charge du problème des
algues vertes par les autorités publiques.
De plus, l’avocat chargé d’accompagner Halte aux marées vertesdans ce périple
juridique conseille à son président de ne pas partir seul et de fédérer autour de lui d’autres
associations. En effet, cette action plus collective donnera davantage de poids à une
éventuelle victoire devant les tribunaux. Ainsi, ce sont quatre associations qui se lancent
dans ce recours en justice contre l’Etat : Halte aux marées vertes, Eau et rivières de
Bretagne, Sauvegarde du Trégor et De la source à la mer.
53
54
32
MATHIEU Lillian, Comment lutter ?, Paris : Textuel, 2004, p. 150.
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
LORANS Bérengère - 2011
I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène des
marées vertes
« Nous étions quatre associations unies dans un combat qui a été notre moteur.
55
Cela a permis également de médiatiser et de mieux faire connaître notre lutte »
.
La quête d’alliés a ici encore été primordiale, afin d’accroître les ressources et les chances
de succès de la mobilisation collective. Plus encore, l’élargissement de l’action en justice
contre l’Etat traduit l’ampleur régionale du phénomène. En effet, l’association Sauvegarde
du Trégor lutte contre les algues vertes au niveau de la Baie de Lannion. C’est donc plusieurs
territoires touchés par ce phénomène qui se mobilisent.
Le recours gracieux contre l’Etat est établi en 2002 : il attaque l’Etat pour non-respect
des directives sur l’eau établies par Bruxelles, reposant sur le constat de la dégradation de
la qualité de l’eau dans un nombre important de sites.
Dans le cadre de ce recours gracieux contre l’Etat, chaque association envoie une
lettre à un des quatre Préfets de département. L’objet de ces lettres était de souligner les
conséquences néfastes des algues vertes : par exemple, Halte aux marées vertes dénonçait
le fait que les riverains et les touristes ne puissent plus accéder à la plage de la Grandville
et étaient obligés d’aller au Val-André.
L’objet de ce recours est d’être dédommagé en raison de la gêne olfactive et pour les
baigneurs « déplacés ».
Seul le Préfet des Côtes-d’Armor répondra en affirmant que les marées vertes sont un
problème ponctuel, qu’elles n’ont pas de conséquences et qu’elles finiront par disparaître.
Cette première phase de recours gracieux a ensuite amené au dépôt, en septembre
2003, de recours dit de « plein contentieux » au tribunal administratif de Rennes.
Les conclusions du Tribunal administratif de Rennes sont les suivantes : les marées
vertes existent parce que le taux de nitrates dans l’eau de la source à la mer est supérieur
à 5 à 10 mg/L. De plus, la responsabilité de l’Etat est engagée. D’abord, pour avoir
différé de plusieurs mois à plusieurs années la transposition en droit interne de la directive
européenne relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine
agricole. Enfin, l’Etat a fait preuve de négligences récurrentes dans l’application de la
réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, en matière
agricole (autorisation d’élevage)
56
.
Cette reconnaissance d’un lien direct entre les carences fautives de l’Etat dans
l’application de la réglementation sur les installations classées et la pollution par les algues
vertes a « redonné un petit coup de fouet »
57
.
L’Etat courait ainsi le risque de se trouver confronté à de multiples contentieux internes
visant à rechercher sa responsabilité ou celles de ses représentants. Le juge se substituant
alors à l’Etat dans ses fonctions d’arbitrage entre les intérêts divers liés à la question de
l’eau. Les autorités publiques ne pouvaient plus se contenter de banaliser et de négliger le
phénomène des marées vertes.
55
Ibid.
56
57
Arrêt n° 0400630 du Tribunal Administratif de Rennes du 25 octobre 2007.
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
LORANS Bérengère - 2011
33
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Conclusion
La prolifération des algues vertes a longtemps été passée sous silence, définie comme
un évènement ponctuel et sans conséquence. Cependant, différents groupes d’acteurs
vont peu à peu dénoncer ce phénomène car il devient récurrent et a des conséquences
néfastes sur l’économie locale et sur la vie quotidienne des riverains. Ainsi, les marées
vertes deviennent problématiques car elles sont perçues comme étant insupportables. Il y
a donc une phase de problématisation, au cours de laquelle des acteurs ont identifié les
marées vertes comme une situation anormale et vont tenter d’appeler l’attention d’un acteur
public.
La mise sur agenda de ce phénomène est donc liée à la mobilisation d’acteurs
(associations, élus, riverains…) qui perçoivent un écart entre ce qui est (des plages vertes)
et ce qui devrait être (une région littorale protégée).
Mais la mobilisation collective ne permet pas, de fait, une prise en charge durable du
phénomène. La constitution du problème public et sa mise sur agenda est aussi le résultat
des interactions concurrentielles entre les différents acteurs pour le cadrage et la définition
du problème.
34
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
II- Lutter contre les marées vertes :
quand la pollution d’origine agricole
devient dangereuse pour l’homme
L’émergence d’une mobilisation collective autour du phénomène des marées vertes ne suffit
pas à une prise en charge durable de ce problème par les autorités publiques.
Les différents acteurs concernés par les marées vertes vont tenter d’imposer leur propre
définition du problème.
On observe donc des changements de cadrage. Les opérations de cadrage consistent
à présenter un enjeu en sélectionnant certaines considérations privilégiées qui vont le
configurer et lui donner une forme propice aux objectifs et aux actions préconisées par les
entrepreneurs qui le soutiennent
58
.
La gestion des algues vertes se construit autour des définitions et des mises à l’agenda
successives dont elle fait l’objet. Chaque définition va permettre de mobiliser des alliés et
de proposer des politiques publiques particulières.
La prise en charge du problème public des algues vertes dépend des stratégies
destinées à le définir et à le délimiter.
A) Du problème de l’eau à celui de l’agriculture
La problématique des algues vertes va connaître une première reconfiguration : d’une
simple pollution de l’eau on passe à une pollution de l’eau d’origine agricole.
Cette requalification pose la question de la causalité et de la responsabilité : il est
possible d’imputer le problème à un secteur identifiable.
Les marées vertes : un problème environnemental
La gestion des algues vertes est tout d’abord appréhendée sous l’angle de la pollution de
l’eau.
Une prise d’eau superficielle est conforme en matière de nitrates lorsqu’elle reste
inférieure à la limite de 50 mg/l pendant plus de 95% du temps, et que pour les 5% restant,
elle demeure sous le seuil de 75 mg/l. Or, entre 1982 et 1988, la progression des teneurs
en nitrates dans les cours d’eau du département est en moyenne de 1,8 mg/l par an. Cette
58
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
LORANS Bérengère - 2011
35
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
élévation du taux de nitrates dans les eaux brutes est ensuite constante durant les années
1990
59
.
C’est dans ce cadre que s’inscrit l’action de l’association Eau et rivières de Bretagne.
Initialement, cette association de protection de la nature créée en 1969 se consacre à la
protection du saumon. Mais de la protection d’une espèce, elle s’est ensuite tournée vers
la protection du milieu. Elle va donc se pencher sur la qualité des eaux de consommation.
Il s’agit d’initier une véritable politique territoriale en prenant en compte tous les tenants et
les aboutissants présents autour de la problématique de l’eau
60
.
Ainsi, dès 1986, les premières interdictions de vente frappent les moules de la Baie en
raison d’une pollution bactérienne trop élevée. Ces interdictions provoquent la colère des
mytiliculteurs qui élèvent le problème de la qualité des eaux littorales et continentales au
rang de problème de société pour les territoires de la Baie de Saint-Brieuc. La population
se sent également concernée puisqu’elle perçoit dans cette pollution une menace pour sa
santé.
La question de la pollution des eaux est donc un problème environnemental. En effet, il
y a problème d’environnement lorsque des questions relatives au cadre de vie et à la gestion
de l’espace sont tirées du champ de gestion technique pour être débattues et arbitrées dans
celui du politique
61
.
Face à cette pollution de l’eau par les nitrates, il s’agit de mettre en œuvre une politique
de reconquête de la qualité des eaux car les actions préventives ont été ignorées.
Dans les années 1990, l’idée qui prévaut est la suivante : les causes des marées vertes
ne sont pas agricoles. Il existe de forts doutes sur l’origine agricole des algues vertes. On
estime à l’époque que ce sont les rejets des stations d’épuration qui sont à la source du
phénomène. Tant que le rôle des épandages dans la pollution des eaux n’a pas été dénoncé,
la perception des agriculteurs n’évolue pas. Il n’y a pas de prise de conscience du rôle du
secteur agricole dans la prolifération des algues.
A deux reprises, en 2001 et en 2002, la Cour de justice des communautés européennes
a condamné la France pour la mauvaise qualité des eaux destinées à la production d’eau
alimentaire en raison des teneurs en nitrates d’origine agricole excessives. Ce sont ainsi les
nitrates d’origine agricole qui sont mis en cause. Les institutions européennes apparaissent
ici comme un véritable acteur dans la lutte contre la pollution des eaux. Surtout, la CJCE
met ici en évidence le rôle de l’agriculture dans ces pollutions.
Les excédents d’azote mis en cause ?
Le colloque de l’IFREMER organisé en 1999 affirme la responsabilité de l’azote et du
phosphore d’origines agricole dans le développement des marées vertes. La synthèse de ce
59
Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,
Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.
60
MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,
Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.
61
BODIGUEL Maryvonne, « La pollution agricole dans les Côtes d’Armor. Analyse d’une politique départementale relative à
la pollution des eaux », dans Bernard BARRAQUE et Jacques THEYS, Les politiques d’environnement. Evaluation de la première
génération : 1971-199, Paris : Editions Recherches, 1998, p. 331-346.
36
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
colloque affirme que « l’azote est le principal facteur limitant des algues vertes » et que « son
62
origine est essentiellement l’agriculture intensive » . Ainsi, pour aboutir à des résultats
conséquents en matière de lutte contre les algues vertes, il est indispensable de réorienter
les pratiques agronomiques dans le sens d’une diminution des fuites d’azote. Cependant,
les scientifiques s’interrogent sur l’efficacité de ces mesures en raison de l’inertie du milieu
naturel et de la forte pollution des nappes phréatiques.
La responsabilité du phosphore dans les marées vertes est également soulignée. Il
est précisé que, dans l’origine du phosphore des cours d’eau, les rejets domestiques et
industriels tendent à diminuer alors que ceux de l’agriculture présentent la tendance inverse.
C’est dans ce cadre que le programme PROLLITORAL prévoit un axe majeur
concernant la prévention dans les bassins versants. Il s’agit de travailler avec les acteurs
du territoire pour limiter les pollutions azotées en faisant évoluer les pratiques agricoles.
« L’évolution des apports azotés dans les eaux littorales contrôle ainsi
l’extension actuelle du phénomène des marées vertes. L’origine de ces apports
étant essentiellement agricole, la profession agricole détient, de fait, le levier
de contrôle le plus efficace pour limiter de manière préventive le phénomène de
63
marées vertes sur les côtes bretonnes
».
Cependant, sans préciser davantage, ce plan d’actions évoque aussi « d’autres sources
de pollution ».
Ainsi, la reconnaissance du problème agricole se heurte à la problématique des
pollutions diffuses. Ces dernières semblent ne jamais être avérées avant que les
nombreuses interactions avec les divers éléments du milieu naturel ne transforment des
sources potentielles en pollutions réelles. Ce sont des entités évanescentes dont les
origines restent impossibles à établir de manière précise et dont l’existence est difficile à
prouver. Les agriculteurs peuvent donc s’appuyer sur leur caractère fuyant et instable. On
constate ici la difficulté à inscrire le problème de la pollution des eaux à l’agenda politique
et à le traiter efficacement. En effet, ce caractère instable et fuyant alimente l’idée qu’il est
inutile de lutter contre la pollution des eaux puisque toute action est inefficace.
Mais le caractère diffus des pollutions agricoles est tout autant un objet politique et
64
social qu’un phénomène naturel
. L’idée de pollutions diffuses entraîne l’impossibilité
d’imputer des responsabilités individuelles. Ainsi, même lorsque le problème de la pollution
des eaux est inscrit à l’agenda, les professionnels agricoles contestent leur responsabilité
dans l’apparition de ce phénomène, avant d’en évoquer les origines multiples.
Ainsi, le chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture
des Côtes-d’Armor explique que certaines positions extrêmes subsistent. Ces dernières
consistent à affirmer que ce n’est pas l’azote qui est responsable des algues vertes, mais
62
63
IFREMER, Synthèse scientifique. Pollutions diffuses : du bassin versant au littoral, Dinard : IFREMER, septembre 1999, p. 2.
Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, Programme régional et interdépartemental de lutte contre les marées
vertes en Bretagne, Pleubian : Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, septembre 2007, 65 p.
64
BOURBLANC Magalie et BRIVES Hélène, « La construction du caractère « diffus » des pollutions agricoles », Etudes
rurales, n°183, vol. 1, 2009, p. 161-176.
LORANS Bérengère - 2011
37
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
le phosphore. Or, pour les responsables agricoles, le phosphore provient essentiellement
des rejets urbains, non de l’agriculture
65
.
Les propos du chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor
traduisent l’aspect construit du caractère diffus des pollutions agricoles.
« Donc en fait la question des algues vertes existe dans le département depuis
de nombreuses années puisque en fait, dès les années 1970 on constatait
des arrivages d’algues vertes, notamment dans les baies de Saint-Brieuc en
particulier. Mais à l’époque on pensait que les raisons n’étaient pas liées au
secteur agricole. C’était davantage lié aux stations d’épuration qui n’étaient pas
66
aux normes »
.
Des études ont par ailleurs prouvé que les problèmes d’assainissement ne
représentent que 5% des apports azotés dans la Baie de Saint-Brieuc
67
.
Cependant, lors de l’élaboration du projet territorial pour la Baie de Saint-Brieuc,
dans le cadre du plan Algues vertes, les représentants de la profession agricole ont
tenu à ce que la coresponsabilité soit reconnue. S’il y a des algues vertes, c’est parce
qu’il y a des fuites d’azote d’origine agricole, mais c’est aussi parce qu’il existe des
rejets urbains mal traités par les stations d’épuration.
Si l’origine agricole des marées vertes ne semble plus faire de doute, la
profession agricole insiste sur l’idée qu’elle n’est pas la seule responsable de ce
fléau. La problématique du caractère diffus des pollutions à l’origine des algues
vertes ralentit une véritable prise en charge du phénomène puisque son origine est
difficile à établir précisément.
En 2009, le Préfet des Côtes-d’Armor adresse aux autorités ministérielles un
rapport sur la problématique des algues vertes. Ce rapport secret est finalement
rendu public (personne ne sait comment ni par qui).
« D’ailleurs on a eu un appui formidable, y a deux ans bientôt : le Préfet des
Côtes-d’Armor de l’époque avait fait un rapport à son Ministre, qui devait rester
secret, et qui disait ‘’nous ne sortirons pas des algues vertes parce qu’il faudrait
changer le modèle agricole, et la profession agricole n’y est pas prête‘’. Le
68
rapport finalement a été sorti du secret, la profession agricole était folle »
.
Les onze pages du rapport n'étaient pas censées devenir publiques. Elles ont été
rédigées en juin 2009 au terme d'une vingtaine de réunions entre les fonctionnaires
des administrations concernées par les algues vertes : préfecture, services vétérinaires,
Direction départementale de l'agriculture. Un rapport d'abord expédié le 7 août à la
secrétaire d'État à l'Écologie, puis au Premier ministre, début septembre, après sa visite à
Saint-Michel-en-Grève.
Dans ce rapport, le Préfet Jean-Louis Fargeas indique que « la diminution visible et
notable du phénomène ne pourra passer que par un changement profond des pratiques
65
66
67
68
38
Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.
Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.
IFREMER, Synthèse scientifique. Pollutions diffuses : du bassin versant au littoral, Dinard : IFREMER, septembre 1999, 4 p.
Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
agricoles, ce que la profession agricole n’est pas prête à accepter pour le moment. Il s'agit
de révolutionner les pratiques agricoles et de changer complètement le modèle économique
existant. »
69
Pour le chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor, cet
évènement marque la reconnaissance officielle de ce que tout le monde pensait mais que
les autorités avaient du mal à affirmer haut et fort.
Ce rapport a inauguré une situation et un rapport de force différents au niveau
local. Ainsi, l’Etat reconnaissait sa responsabilité dans la mauvaise application des textes
réglementaires concernant les installations classées pour la protection de l’environnement.
Surtout, la position du Préfet Fargeas reflète celle des hautes autorités de l’Etat. Il ne s’agit
pas uniquement de l’initiative isolée d’un Préfet. Celui-ci affirme que le modèle agricole
breton est le principal responsable des marées vertes. Il s’agit donc d’un changement
d’attitude qui permet d’envoyer un signal fort aux associations.
Le problème passe ainsi du secteur de l’eau à celui de l’agriculture. Il ne s’agit pas
uniquement d’un problème de pollution des eaux mais bien celui d’un modèle agricole
productiviste prépondérant en Bretagne. Ce changement de définition rejoint la position des
associations de protection de la nature, de certains riverains et de l’IFREMER qui espèrent
impulser un changement dans les pratiques agricoles. C’est pour eux le seul moyen de
gérer la prolifération des algues vertes.
Cette requalification traduit une montée en généralité du problème. Les algues vertes
ne sont alors que la partie émergée de l’iceberg : derrière se cache un modèle agricole
ayant des impacts écologiques forts et basé sur une logique de production à bas prix. Mais
se cache également un modèle de développement économique basé sur l’omniprésence
de l’industrie agro-alimentaire.
La définition du problème a donc été élargie pour porter sur les problématiques de
développement durable et de modèle d’agriculture. Il s’agit d’une montée en généralité :
le problème des algues vertes est devenu une question complexe relevant à la fois de
politiques environnementales et agricoles.
Cette montée en généralité permet de dépasser le seul problème de la pollution des
eaux, dont la prise en charge n’a été qu’épisodique et peu efficace. En se référant à la
problématique de la durabilité d’un modèle agricole et économique, les acteurs qui luttent
contre les algues vertes proposent des arguments publiquement défendables et reconnus
par les autorités publiques.
Les algues vertes ne sont plus une fatalité dont il faut s’accommoder : il existe des
responsables et donc des solutions. Ces dernières passent par une gestion préventive du
problème.
B) Impulser des changements dans le modèle de
développement économique breton
69
FARGEAS Jean-Louis, Lettre destinée au Premier Ministre, Le phénomène des algues vertes dans les Côtes d’Armor, Saint-
Brieuc : Préfecture des Côtes d’Armor, 4 septembre 2009, 17 p.
LORANS Bérengère - 2011
39
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
La définition du problème est élargie pour porter sur les problématiques de développement
durable et de modèle d’agriculture. C’est l’ensemble du modèle agro-économique breton
qui est remis en question et repensé.
« C’est bien le développement économique de la Bretagne qui va faire la qualité
70
de l’eau de la Bretagne »
.
Un modèle agricole conventionnel domine : l’économie du territoire en est largement
dépendante. Mais les effets néfastes pour l’environnement sont importants.
Face à cela, ce sont des modèles parallèles qui vont se développer, prônant une
agriculture plus extensive, se ventant de polluer moins et d’apporter une solution définitive
aux pollutions agricoles et aux marées vertes. Il ne s’agit pas uniquement d’opposer un
modèle à un autre mais d’engager des réflexions sur le modèle agricole breton dans le
cadre de la lutte collective contre les marées vertes afin de gérer le problème de manière
préventive.
Le poids de l’industrie agroalimentaire
La Bretagne est la première région agricole française : elle se place notamment au
premier rang pour la production animale. Ainsi, 60,4% du territoire régional est occupé par
l’agriculture.
Cette agriculture bretonne repose sur l’ensemble de la filière agro-alimentaire, de
l’amont à l’aval. Ainsi, 46% de l’industrie du département des Côtes-d’Armor travaille dans
le secteur agricole ou agroalimentaire.
La Bretagne participe à 58% de la production nationale de porcs, les Côtes d’Armor
20%. Il faut donc pouvoir gérer les déjections animales.
Ainsi,
l’agriculture
costarmoricaine
emploie
10%
de
la
population
active
départementale, et la filière agroalimentaire représente 14,5% de l’emploi salarié total
71
.
En 2005, le secteur agro-alimentaire dans le département comptait 14 000 salariés.
Une part importante des établissements agroalimentaires est spécialisée dans le traitement
et la valorisation de la viande.
Surtout, l’industrie agroalimentaire représente le premier secteur exportateur du
département. Ainsi, entre 2000 et 2004, les exportations de produits agroalimentaires se
sont élevées à 319 millions d’euros en moyenne annuelle, soit 35,3% de la valeur totale
des exportations
72
.
Plus de 50% de la production de porcs et de volailles nationale a été concentrée sur
la région Bretagne.
70
Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
71
Conseil Général des Côtes d’Armor, Côtes d’Armor – Les nouveaux enjeux de l’agriculture et de l’agroalimentaire, Saint-
Brieuc : Conseil Général des Côtes d’Armor, 2007, 80 p.
72
40
Ibid.
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
« C’est comme toutes les concentrations, à un moment donné ça fait pire que
73
bien »
.
Emerge immédiatement l’idée des conséquences de ce type d’agriculture sur le milieu
naturel.
Dès les années 1960, la région a fait évoluer son agriculture pour répondre aux besoins
de qualité mais surtout de quantités exprimés par les marchés français et européens.
Ainsi, l’un des leaders breton de l’industrie agroalimentaire, Stalaven, se vante
régulièrement de pouvoir nourrir 24 millions de consommateurs en viande par an
74
.
L’objectif est donc de produire des volumes importants à des coûts moindres, afin
de garantir une viande à bas-prix et d’exporter les productions. Les représentants des
associations de défense de l’environnement se désolent régulièrement de ce type de
développement :
« Surtout, qu’on ne touche pas aux volumes, car le panier de la ménagère doit
75
rester bas »
.
Il s’agit donc d’un modèle agro-économique car, au-delà du type d’agriculture pratiqué,
c’est tout un modèle de développement qui se structure au niveau local. Ce modèle agroéconomique est le garant de la bonne santé économique du territoire de la Baie de SaintBrieuc et de l’ensemble du département. Les algues vertes ne sont alors que la partie
émergée de l’iceberg : il s’agit ainsi d’impulser un changement dans les pratiques agricoles
pour parvenir à éradiquer le phénomène.
Les propos du vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement
témoignent des réflexions qui ont été engagées autour du modèle de développement
agricole :
« Ce n’est pas le tout de dire qu’il faut faire du bio, qu’il faut faire de l’extensif,
encore faut-il qu’il y ait des chaines industrielles derrière et de l’agroalimentaire
76
pour transformer tout ça
».
L’Etat et les élus locaux sont en quelque sorte dépendant de ce système : ils sont
pris dans un dilemme. Le développement économique du territoire est lié à ce modèle
agroalimentaire, ils ne peuvent que difficilement en critiquer les inconvénients. Il s’agit donc
de protéger les perspectives d’emploi et les capacités de production au niveau de la région.
On retrouve ici l’intérêt économique mais également électoral des élus locaux : la transition
vers un nouveau modèle agricole pourrait avoir des coûts et des conséquences politiques
importantes. Le secteur agro-alimentaire dispose d’une influence considérable au niveau
local, aussi bien auprès des élus mais aussi sur l’opinion publique. En effet, quelques
entreprises agro-alimentaires ont entre leurs mains une part importante des perspectives
d’emploi de la région : elles pèsent sur les négociations locales et peuvent même user du
chantage. Elles n’ont aucun intérêt à ce que le modèle de production agricole breton ne
change.
73
Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.
74
Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
75
Ibid.
76
Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
LORANS Bérengère - 2011
41
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
« Monsieur, on n’est pas obligé de rester travailler dans ce pays », ça c’était
77
Stalaven ça. Donc ça frictionne tout de suite »
.
Ainsi, il est extrêmement difficile, pour les populations et les élus vivant aux côtés
de l’industrie agroalimentaire, pourvoyeuse d’emplois pour toute la région, de dénoncer
publiquement les impacts de l’élevage intensif au niveau local. Ceci explique en partie la
trajectoire sinueuse du problème des algues vertes dans l’espace public. Dénoncer les
algues revient à mettre en cause l’ensemble d’un modèle économique. Les enjeux et les
conséquences de la gestion des algues vertes sont donc importants et complexes.
Les algues vertes : conséquences directes des politiques agricoles
passées et présentes
Il convient de revenir sur l’évolution du modèle agricole breton depuis le début des années
1950.
Au lendemain de la guerre, la France est ruinée, l’agriculture est appauvrie par
la pénurie totale d’engrais. Le nouveau pouvoir issu de la Résistance créé l’Institut
National de la Recherche Agronomique (INRA). Les jeunes chercheurs de l’INRA vont
préconiser le développement de la prairie pour augmenter la productivité agricole. C’est la
première révolution fourragère : avec l’herbe, le nombre de vaches à l’hectare est doublé.
L’augmentation de la production laitière grâce à l’herbe permet de quintupler la production
porcine (le lait entier reste sur la ferme, seule la crème ou le beurre sont vendus). L’élevage
laitier et porcin fonctionnait en harmonie et était complètement lié au sol. L’équation élevage/
culture n’entraînait pas de nuisances, tout en gardant un développement économique
important. En effet, le revenu de l’exploitant augmente considérablement et la Bretagne sort
de la pauvreté
78
.
A partir des années 1960, le modèle va se transformer : l’objectif est de produire
davantage et d’exporter vers le marché européen. Il s’agit de répondre aux besoins
nationaux tout en exportant à l’étranger. L’intensification de l’agriculture a permis à la
Bretagne d’augmenter sa part dans la production agricole nationale, en passant de 7 % en
1950 à 11 % en 2008.On parle alors de « modernisation ». Une génération va développer
l’agriculture : la mécanisation générant plus de frais, il va falloir augmenter les revenus en
accroissant les volumes de production.
« On a réussi notre coup, cela a créé des emplois en amont, et en aval avec
les abattoirs. Y a qu’une chose à laquelle on n’a pas pensé : la production des
79
effluents »
.
En effet, avec l’arrivée de la PAC en 1963, qui permet la collecte du lait entier et favorise les
importations de soja au prix mondial, les élevages se spécialisent soit en lait, soit en porcs.
Les porcs sont donc désormais nourris avec de l’aliment non plus produit, mais acheté. On
abandonne le système fourragé basé sur l’herbe pour le remplacer par le maïs fourrage,
77
Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
78
79
POCHON André, Agronomes et paysans. Un dialogue fructueux, Versailles : Editions QUAE, 2008, 72 p.
Interview de l’ancien maire d’Hillion, Site des Archives audiovisuelles de la Recherche, « Enquête autour
de la critique de l’élevage porcin intensif en Bretagne » : http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?
id=1555&ress=4741&video=7674&format=68 [consulté le 27 avril 2011].
42
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
complété par le soja que l’on importe (on ne peut pas nourrir les animaux uniquement avec
du maïs, faible en protéines). C’est la deuxième révolution fourragère.
Mais ces importations d’aliments sont des importations d’azote et de phosphore sans
commune mesure avec les besoins des plantes : l’équilibre sol, plantes, animaux est rompu :
les excédents d’azote se retrouvent dans les nappes phréatiques et dans les cours d’eau.
D’autre part, l’élevage industriel s’installe et la porcherie hollandaise sur caillebotis
intégral va remplacer la porcherie danoise sur litière. Le fumier est remplacé par le lisier,
c’est-à-dire de l’azote minéral. Ce dernier, contrairement à l’azote organique, ne se stocke
pas dans le sol. Dès qu’on l’épand, s’il y a de la pluie, tout est enlevé et s’écoule dans
les cours d’eaux. Dans le fumier est contenu l’azote organique qui, lui, se stocke dans le
sol et minéralise quand la température s’élève, au printemps. Avec le lisier, il n’y a plus de
synergie entre minéralisation de l’azote organique et besoins des plantes.
« Si, dans ces conditions, la Bretagne n’eut pas été polluée par les nitrates, c’est
que la vierge Marie se serait déplacée de Lourdes pour faire un miracle. Y a pas
80
eu de miracle »
.
Le modèle agricole a donc des conséquences néfastes pour l’environnement, notamment
à travers les fuites d’azote vers les cours d’eau. Le passage du problème des algues vertes
du secteur de l’eau à celui de l’agriculture a mis en évidence la responsabilité principale des
excédents d’azote dans l’origine des marées vertes.
D’où la nécessité de faire évoluer le modèle agricole breton vers un système plus
respectueux de la nature.
Ainsi, le vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement déclarait
en mai 2011 qu’il n’était plus acceptable que les techniciens dans les coopératives soient
rémunérés au nombre de sacs d’ammonitrates vendus. En effet, quand on lutte contre les
marées vertes, on lutte contre les stocks d’azote
81
.
C’est dans ce cadre que le Conseil Général des Côtes-d’Armor va encourager le
développement des systèmes alternatifs au modèle conventionnel. Le programme « Terre
et Eau » puis l’élaboration du cahier des charges du CEDAPA a notamment permis de
développer les Systèmes fourragers à faible utilisation d’intrants, afin de limiter les fuites
d’azote dans le milieu naturel. L’idée n’est pas de condamner radicalement le modèle
agricole existant mais de proposer des évolutions afin de concilier respect de la nature et
développement économique.
Ainsi, André Pochon est le pionnier de la prairie à base de trèfles blancs, dont il va
publier la méthode en 1981, La prairie temporaire à base de trèfles blancs. Il crée également
le CEDAPA (Centre d’Etude pour le Développement d’une Agriculture Plus Autonome),
prônant la mise sur pieds d’une agriculture durable. Dans les années 1980, les Chambres
d’Agriculture des Côtes d’Armor et du Finistère sont contraintes d’expérimenter cette
méthode. L’étude dure cinq ans sur une centaine de fermes dans les deux départements,
suivies par des techniciens des Chambres. Le résultat est sans appel : avec le système
herbagé, les exploitants produisent autant de lait par vache, mais sans engrais azoté et
sans importer d’aliments. Tout cela fait l’objet d’une publication.
80
Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.
81
Déclaration du vice-président de la Région Bretagne au journal de France 2 du 6 mai 2011.
LORANS Bérengère - 2011
43
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Ensuite, le programme « Terre et Eau », signé entre le CEDAPA, l’INRA et le
Conseil Général, permet de suivre pendant cinq ans 27 fermes du CEDAPA pour évaluer
l’évolution des revenus agricoles de ces exploitations. Cette étude fait l’objet d’une autre
publication : A la recherche de l’agriculture durable, qui affirme que les agriculteurs
appliquant cette méthode gagnent plus tout en travaillant et en polluant moins. L’agriculture
durable produit autant en dépensant moins. Ainsi, les considérations sont écologiques mais
aussi économiques.
Il s’agit donc de rompre avec la monoculture enclenchée depuis 40 ans avec la
spécialisation, et l’élevage industriel hors-sol : il faut revenir à la polyculture et à l’élevage.
Les régions d’élevage intensif hors-sol doivent ainsi diminuer leur production animale, loger
leurs animaux sur litière et nourrir leurs vaches à l’herbe.
L’ensemble de ces préconisations portent également sur un constat : la Bretagne
ème
produit 58% des porcs français, 40% de la volaille, 20% du lait, et se classe 21
région
sur 22 pour le revenu agricole.
Le socle de « l’agriculture durable » est l’équilibre sol-plantes-animaux. Le sol fait
pousser les plantes, les plantes nourrissent les animaux et les déjections des animaux
retournent nourrir le sol. Chaque fois que l’on s’éloigne de cette règle universelle, c’est que
l’on est dans la mauvaise direction. Ainsi, les Bretons élèvent beaucoup trop d’animaux par
rapport au sol.
Tous ces points-clés ont donné naissance au cahier des charges de l’agriculture
durable. Ce dernier repose sur un système fourrager basé sur l’herbe puisqu’il doit y avoir
au minimum 75% de la surface fourragère principale en herbe. Les prairies sont cultivées
sans engrais azoté, donc à base de trèfles blancs. La fertilisation organique comprend
moins de 140 unités d’azote organique en moyenne sur l’exploitation à l’hectare (et non 170
comme en agriculture conventionnelle). L’épandage est interdit du 15 août au 15 février, il
est seulement toléré sur les prairies à faibles doses, et il ne doit pas y avoir de fertilisation
minérale. Enfin, les terres humides drainées doivent être remises en herbe et il faut arrêter
les cultures sur ces terres car elles constituent des filtres naturels pour les nitrates.
Ainsi, ce cahier des charges est en application dans 400 à 500 exploitations,
principalement situées dans l’Ouest de la France
82
.
Certaines de ces préconisations commencent à être retenues au niveau local pour lutter
durablement et de manière préventive contre les algues vertes.
Le projet territorial adopté par la Commission Locale de l’Eau afin de répondre au cahier
des charges du plan Algues vertes prévoit ainsi une évolution de 115 exploitations vers un
système fourrager économe en intrants. De plus, un programme de reconquête des zones
humides, véritables pièges à nitrates, est en cours d’élaboration.
Ce modèle d’agriculture est donc reconnu au niveau local : des solutions sont
envisageables mais elles sont difficiles à appliquer sans remettre en question le
fonctionnement de l’économie basée sur l’agroalimentaire. Il ne s’agit pas d’imposer
unilatéralement l’application de ce modèle mais d’engager des réflexions autour de
certaines mesures à mettre en place progressivement.
Ainsi, les agriculteurs commencent à prendre conscience de l’ampleur du phénomène
et acceptent la part de responsabilité qui leur incombe. C’est dans ce cadre que
des organisations agricoles (Chambre régionale d’Agriculture, les Jeunes agriculteurs,
82
44
POCHON André, Agronomes et paysans. Un dialogue fructueux, Versailles : Editions QUAE, 2008, 72 p.
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
Coopératives de France de l’Ouest…) ont été à l’origine de la création du comité pour
l’agriculture positive (CAP). Il s’agit de marquer l’attachement des agriculteurs à leur métier
tout en affirmant la volonté de prendre en charge la question des algues vertes. Cependant,
ce comité refuse la seule responsabilité de la profession dans la prolifération des algues
vertes.
En effet, l’idée qui prévaut est que les agriculteurs ont appliqué les directives
qui émanaient des instances scientifiques. Ce sont ces dernières qui ont impulsé la
modernisation et l’intensification de l’agriculture bretonne. Cette position fut notamment
relayée par le Président de la République lors de son déplacement à Crozon le 7 juillet 2011.
En effet, concernant la prolifération des algues vertes, il a affirmé que « les agriculteurs ne
sont pas coupables de choix faits il y a bien longtemps »
83
.
La gestion des algues vertes au niveau local se traduit donc par des réflexions autour du
modèle agricole breton et de ses évolutions. Des oppositions existent à ce propos, certains
préconisant un retour à une agriculture basée sur l’herbe, d’autres proposant de moderniser
davantage les exploitations pour limiter les pollutions (notamment en développant la
méthanisation).
Les agriculteurs sont face au mur et doivent s’adapter. La médiatisation du problème
les pousse à limiter les pollutions à la source, d’autant plus que le modèle agricole en
présence semble s’essouffler. Ainsi, Thierry Thomas, responsable régional des dossiers
environnement à la Confédération Paysanne, déclarait en 2009 :
« Le modèle agricole breton, basé sur une production de masse vendue à bas
prix est à bout de souffle, il ne correspond plus à aucun critère de durabilité au
84
plan social, économique et environnemental »
.
L’objectif est d’envisager des solutions pragmatiques. Il ne s’agit pas de suicider
l’agriculture, et par là même, l’économie bretonne.
« Pour la première fois on demande aux territoires de réfléchir à leur
85
développement agricole.
»
Le problème des algues vertes est ainsi devenu une question complexe relevant de
politiques environnementales et agricoles. Cette requalification et les réflexions autour des
caractéristiques de l’agriculture bretonne traduisent une montée en généralité. Mais n’y at-il pas un risque de « noyer » le problème, dans la mesure où il s’agit de remettre en cause
un modèle de développement existant depuis les années 1970 ?
En effet, toute transformation de l’agriculture sera longue et difficile, les résultats seront
donc des résultats sur le long terme, peu visibles dans un premier temps. Ceci d’autant
plus qu’il existe une certaine inertie du milieu naturel : même en diminuant les pollutions
à la source, les teneurs en nitrates des cours d’eaux ne diminueront que lentement. Ces
différentes observations posent donc la question de l’efficacité de cette requalification et de
la mise à l’agenda du phénomène des algues vertes en tant que problème agricole.
83
ATTARD Philippe, « Sarkozy prend un bain de Bretagne à Crozon », Ouest France, 8 juillet 2011.
84
LOUEDEOC Jean-Paul, « Le modèle agricole breton lamine et écrase », Ouest France, 2 octobre 2009.
85
Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
LORANS Bérengère - 2011
45
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
C) Vers une reconnaissance du risque sanitaire ?
Si les marées vertes ne sont que gênantes, on peut prendre le temps pour les éradiquer.
D’autant plus que les scientifiques insistent sur le temps de réaction du milieu naturel : les
résultats des politiques agricoles ne seront pas visibles immédiatement.
Mais si les marées vertes sont toxiques, alors on ne peut plus attendre : des mesures
d’urgence s’imposent. Il en va de la santé, et même de la vie de tous les usagers du littoral.
C’est tout l’enjeu de cette nouvelle qualification : insister sur la gravité de la situation.
Il s’agit d’ouvrir un processus de labellisation qui conduit à désigner le problème des
algues vertes comme étant un véritable risque. En effet, la notion de risque nous renvoie à
une construction sociale, celle du vécu du risque et du refus de celui-ci. Ce terme recouvre à
86
la fois un danger potentiel et sa perception . Le risque n’a pas de caractéristiques définies,
il est construit et résulte de l’interaction entre des acteurs divers aux intérêts différents. Les
parties en jeu sont les mêmes que précédemment: l’agriculture, l’Etat via ses représentants,
les riverains, les associations de protection de la nature et les élus locaux.
Ce processus de qualification est un enjeu important dans la lutte contre les marées
vertes puisque la mise à l’agenda du problème en dépend.
Faire face à une deuxième campagne de déni
Suite à l’intense mobilisation autour des algues, destinée à en clamer l’existence et à en
affirmer les origines agricoles, c’est ensuite une nouvelle période de silence qui s’ouvre.
Silence sur les éventuels risques sanitaires des marées vertes.
Le mot d’ordre officiel face à l’éventualité d’un risque sanitaire lié aux algues vertes
était d’affirmer que ces dernières ne sont pas dangereuses. Ce discours était principalement
relayé par les autorités publiques et les élus. Les intérêts économiques et politiques de
ces acteurs sont importants : il ne faut surtout pas être accusé de remettre en cause
le développement économique de la Bretagne. En effet, dire que les algues vertes sont
dangereuses revient à transformer les responsables en « coupables » et risque de faire fuir
les touristes.
« Ne pouvant plus passer sous silence l’existence des marées vertes, celles-ci
ont été réduites à des algues inoffensives, présentes en Bretagne depuis la nuit
87
des temps, gênantes mais jamais toxiques »
.
Les autorités préfectorales, notamment, vont se positionner sur la question avec des
contradictions. En effet, les représentants de l’Etat, en particulier le Préfet, vont rejeter
tout risque toxique alors que dans le même temps ils prennent des mesures de sécurité à
destination des professionnels côtoyant les algues et concernant l’accès aux plages.
Ainsi, en octobre 2007, le Préfet des Côtes-d’Armor adresse une lettre à l’ensemble des
maires des communes littorales du département, affirmant la dangerosité de l’hydrogène
sulfuré dégagé par les algues en décomposition et la nécessité de protéger les riverains et
les professionnels. Cependant, à la suite de la mort du cheval en juillet 2009, la Préfecture
86
87
VEYRET Yvette, Géographie des risques naturels en France, Paris : Hatier, 2004, 251 p
OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, p.
11
46
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
expliquera que seuls deux incidents minimes ont provoqué la mort d’animaux. Pourtant, les
alertes sanitaires ont été plus nombreuses et certaines dramatiques. Mais les menaces,
bien problématique du risque sanitaire.
Tout d’abord, en 1989, un jogger disparaît mystérieusement à Saint-Michel-en-Grève
et est retrouvé mort quelques jours plus tard dans un amas d’algues. Le docteur urgentiste
chargé d’établir la cause du décès à l’hôpital de Lannion, dans l’impossibilité d’examiner le
corps recouvert d’algues, le transfère à Saint-Brieuc pour une autopsie. Les résultats ne lui
seront jamais communiqués : même à ce jour il est impossible de les récupérer.
En juillet 2008, deux chiens meurent sur la plage de la Grandville, à Hillion. L’autopsie
prouve que les animaux ont bien été intoxiqués après inhalation d’hydrogène sulfuré. On
apprend alors que de nombreux chiens sont déjà morts sur les plages infestées d’algues
vertes, mais personne n’en parlait.
Le 22 juillet 2009, un chauffeur transportant des algues à l’usine de traitement de
Lantic meurt d’un arrêt cardiaque. Peu de temps avant, son collègue s’était rendu chez son
médecin, souffrant de brulures aux pieds et de saignements du nez. Mais cette affaire est
restée relativement peu visible pendant un certain temps, étouffée par la mort du cheval.
Ainsi, le 28 juillet 2009, un cheval meurt sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, englué
dans les algues et asphyxié par les émanations de gaz toxique. Son cavalier n’échappe que
de peu à la mort. En effet, le sable recouvrait alors les amas d’algues vertes, impossibles à
repérer. Ils ne se distinguent pas du reste de la plage, ni à l’odeur, puisque la putréfaction
s’effectue en milieu confiné, sous l’eau et le sable. Le cavalier affirmera ainsi être tombé
dans un « piège »
88
, entraînant son cheval avec lui.
Le lendemain, la presse locale n’évoque pas la présence des algues vertes, titrant ainsi
qu’un cheval est mort envasé et étouffé sur une plage. Mais l’intoxication par le gaz toxique
dégagé par la putréfaction des algues n’est pas soulignée. Les associations écologistes
contactent alors les grands quotidiens nationaux : Aujourd’hui en France et Le Monde
publient ainsi la nouvelle. Quelques jours plus tard, Le Télégramme titrera : « Mort d’un
89
cheval, les algues vertes en cause ? » . Le docteur urgentiste à l’hôpital de Lannion,
qui avait déjà été témoin de la première mort suspecte en 1989, affirme qu’il s’agit là d’un
véritable problème de santé publique.
Dès lors, l’emballement médiatique est lancé. De cette « affaire » émergera le plan
Algues vertes : l’Etat ne pouvait pas rester inactif face à cet évènement dramatique
susceptible de se reproduire.
C’est dans le cadre de l’éventualité d’un risque sanitaire qu’est organisée une gestion
curative des algues vertes. Il s’agit de faire face à l’urgence de la situation : ramasser et
traiter les algues. Certes, cela apparaît comme une solution de « dernier ressort », mais
cette politique est indispensable en attendant que des mesures de long terme fassent leurs
effets. Il faut mener des actions dans le sens d’un changement des pratiques agricoles, mais
les algues vertes ne doivent pas être abandonnées sur les plages.
Cette gestion curative répond également à une préoccupation économique : éviter la
fuite des touristes.
88
89
OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.
er
CUDENNEC-RIOU Valérie, « Mort d’un cheval, les algues vertes en cause ? », Le Télégramme, 1 août 2009.
LORANS Bérengère - 2011
47
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Il s’agit ainsi d’éviter que les algues vertes ne se voient trop afin de limiter la
médiatisation du phénomène. Cette idée sera d’ailleurs présente, notamment chez les
agriculteurs, lors de l’élaboration du plan Algues vertes. En effet, ces derniers souhaitent
que les algues soient ramassées pour éviter tout nouvel incident et pour ne pas que la
profession soit sans cesse pointée du doigt, jugée responsable du phénomène et de ses
conséquences.
Certes, les algues sont ramassées et traitées, mais officiellement personne n’affirme
haut et fort qu’il existe un risque lié à leur toxicité.
La reconnaissance du risque sanitaire, « clé de voûte » du
combat associatif
La problématique des algues vertes n’existe pas sur la scène publique en tant que risque.
Si l’existence des marées vertes et leurs origines ont été mises en évidence, il n’en va pas
de même des éventuels dangers qui y sont liés. En Baie de Saint-Brieuc, c’est notamment
l’association Halte aux marées vertes qui va se mobiliser afin de faire reconnaître le risque
sanitaire lié aux marées vertes.
La requalification de la problématique des algues vertes en un risque sanitaire est
un nouveau tournant dans la trajectoire discontinue de ce problème. En qualifiant la
prolifération des algues vertes de risque, il s’agit d’imposer une véritable inscription du
problème à l’agenda public.
L’ « affaire » Morfoisse traduit le combat que l’association mène pour faire reconnaître
le risque sanitaire des algues vertes.
Ainsi, lorsqu’un transporteur d’algues (Thierry Morfoisse) meurt d’un arrêt cardiaque
alors qu’il venait de décharger sa troisième livraison à l’usine de compostage de Lantic,
l’éventuelle responsabilité des algues vertes n’est pas évoquée. Mais le responsable de
l’usine où travaillait Thierry Morfoisse écrit au Préfet pour demander qu’une enquête soit
ouverte. Cependant, malgré la mise en évidence de la présence d’hydrogène sulfuré dans
le sang du transporteur, la responsabilité des algues vertes est officiellement écartée. Le
procureur de la République affirme effectivement que les échantillons de sang n’ont pas été
conservés au frais. De plus, ce dernier insiste sur la mauvaise hygiène de vie de l’individu.
Face à cela, la famille se mobilise afin de rétablir la vérité sur la mort de leur proche.
L’affaire ayant été classée « sans suite », en mars 2001, les parents de Thierry Morfoisse
portent plainte contre X et contactent alors l’association Halte aux marées vertes afin de les
épauler dans leur combat judiciaire.
D’autre part, trois scientifiques (Claude Lesné, ingénieur de recherches au CNRS,
Françoise Riou, chef du département de santé publique à l'université de Rennes 1 et André
Picot, expert européen, créateur et ancien directeur de l'Unité de prévention du risque
chimique au CNRS) affirment en mars 2010 la responsabilité de l’hydrogène sulfuré, donc
des algues vertes, dans la mort du transporteur :
«L'inhalation de sulfure d'hydrogène a, de manière quasi certaine, déclenché
l'infarctus ayant entraîné le décès de M.Morfoisse, le 22 juillet 2009. Les
circonstances du décès de M.Morfoisse sont suffisamment explicites pour que
48
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
les représentants de l'État admettent à présent les faits» et arrêtent «de faire
90
obstacle»
.
Le dossier a été transféré au Pôle Santé à Paris, en attente de jugement. Mais deux ans
après la mort du transporteur, en juillet 2011, Halte aux marées vertes et les proches de
la victime regrettent qu’aucune avancée n’ait pour l’instant été observée sur ce dossier.
En effet, aucune convocation ou audition n’a encore eu lieu. C’est pourquoi l’association,
en collaboration avec les parents de la victime, décident de déposer symboliquement une
plaque en souvenir de Thierry Morfoisse à chaque fois qu’un rassemblement destiné à
dénoncer le phénomène des algues vertes a lieu. Cette nouvelle mobilisation a pour objectif
de rappeler le combat que mènent les associations de défense de l’environnement pour
faire reconnaître les risques sanitaires liés aux marées vertes.
D’autre part, la mort suspecte du transporteur ainsi que celles du cheval amènent
d’autres individus à parler de leur expérience, alors que leur cas n’avait pas été évoqué
jusque-là. C’est notamment un ramasseur d’algues qui témoigne, pour raconter ses trois
jours de coma après avoir passé une journée entière à charger les algues. Ainsi, les autorités
publiques et les citoyens prennent conscience de l’existence des « victimes » des algues
vertes. Il s’agit de déplacer la perception des décideurs politiques et aussi des journalistes
par la manifestation publique de certaines visibilités : la preuve que des hommes ont déjà
gravement subi les émanations toxiques des algues en putréfaction. Cela permet ainsi une
mise en évidence brutale du risque sanitaire lié à la prolifération des algues vertes
91
.
Ainsi, ce combat juridique et scientifique pour la reconnaissance de la responsabilité
des algues vertes dans la mort de Thierry Morfoisse est le reflet de la mobilisation de
l’association ayant pour objectif de prouver l’existence d’un risque lié à la prolifération des
algues.
Ces quelques paroles du représentant d’Eau et rivières de Bretagne au SAGE de la
Baie de Saint-Brieuc témoignent de ses préoccupations à propos du risque sanitaire et de
la nécessité de le prendre en charge.
« Il y a quand même un problème sanitaire qui se greffe sur le problème
environnemental aussi. Et celui-là on ne peut pas l’éliminer complètement. Le
92
scandale est là aussi »
.
L’affaire Morfoisse reflète également la crainte des élus concernés par la prolifération des
algues vertes. Si certains préfèrent ignorer l’éventualité d’un risque au nom des intérêts
économiques de leur commune, d’autres sont préoccupés par le risque d’être confrontés à
un nouveau drame sanitaire. En effet, le maire est chargé d’assurer la sécurité et la salubrité
publique dans sa commune. Cette mission passe donc par la gestion curative et préventive
des algues vertes au niveau local. Ainsi, si la responsabilité des algues vertes est reconnue
dans la mort du transporteur de Lantic, le maire de Binic notamment serait tenu pénalement
responsable pour ne pas avoir appliqué les mesures de sécurité émanant de la Préfecture
des Côtes-d’Armor.
90
MORVAN Arnaud et VAILLANT Julien, « Décès suspect. Les algues incriminées par trois experts », Le Télégramme, 6
mars 2010.
91
LEMIEUX Cyril et BARTHE Yannick, « Les risques collectifs sous le regard des sciences du politique. Nouveaux chantiers,
vieilles questions », Politix, n°44, 1998, 7-28.
92
Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
LORANS Bérengère - 2011
49
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Qualifier les algues vertes de risque sanitaire peut donc avoir des conséquences
néfastes sur la fréquentation touristique du littoral. Cependant, cette reconnaissance
officielle peut également permettre aux élus locaux d’être épaulés et assistés
(techniquement et financièrement) afin d’assurer la sécurité des citoyens.
D’autre part, les riverains, dont certains sont déjà mobilisés pour lutter contre les algues,
vont commencer à percevoir le problème autrement : il ne s’agit plus seulement d’une
gêne visuelle mais d’un risque pour la santé. Ainsi, le nombre de personnes concernées
par la prolifération des algues augmente considérablement : il s’agit des riverains, des
usagers des plages, de ceux dont les enfants fréquentent ces plages… Ce sont donc
de nombreux individus qui vont brutalement s’intéresser aux algues, à leurs causes et à
leurs conséquences. Il s’agit d’une nouvelle montée en généralité : les algues vertes sont
dangereuses pour la santé, cela concerne tout le monde. Ainsi, les alliés se multiplient,
soutenant cette cause qu’est la lutte contre les marées vertes et contre les pollutions qui
en sont à l’origine.
De leur côté, les agriculteurs commencent à prendre conscience de l’ampleur du
phénomène et acceptent la part de responsabilité qui leur incombe. C’est notamment
l’impact des drames sanitaires qui ont poussé la profession à mettre sur pieds le comité
pour une agriculture positive. Cependant, le secteur agricole refuse d’endosser seul la
responsabilité des marées vertes.
Ainsi, la reconnaissance de l’existence d’un risque sanitaire lié aux algues vertes résulte
de l’interaction entre des acteurs divers : associations, riverains, élus, représentants de
l’Etat et agriculteurs.
Ce combat pour la reconnaissance de la toxicité des algues vertes passe
également par des stratégies de médiatisation et de mise en scène publique. On
retrouve la même logique que pour la mobilisation collective des années 2000
destinée à affirmer la présence massive et récurrente des algues sur les plages de
la Baie de Saint-Brieuc.
Ainsi, en juillet 2008, l’équipe de Thalassa se rend à Hillion pour préparer une
émission sur les algues vertes. Les journalistes demandent alors au président de
l’association Halte aux marées vertes de se promener sur la plage de la Grandville
avec un masque à gaz, afin de mettre en scène les risques d’intoxication liés aux
algues vertes.
Les plages en sont alors totalement recouvertes.
Entre le tournage et la diffusion de l’émission, les deux chiens meurent sur la
plage de la Grandville, donnant alors un tout autre sens au port du masque à gaz : on
passe de la gêne olfactive au risque d’intoxication.
Cette médiatisation du risque sanitaire provoque la réaction de certains élus,
notamment le maire de Perros-Guirec, qui s’insurgent contre les conséquences
qu’aura cette émission sur la fréquentation du littoral.
La force de cette image permet ainsi de rendre compte de façon explicite
l’ampleur du phénomène des marées vertes, provoquant ainsi une prise de
conscience collective du danger.
Enfin, suite à la décision du Tribunal Administratif de Rennes de 2007
reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans le phénomène des marées vertes, le
Ministre de l’Ecologie décide de faire appel. C’est ainsi qu’une deuxième décision est
50
LORANS Bérengère - 2011
II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pour
l’homme
rendue par la Cour Administrative d’Appel de Nantes en 2009. Entre 2007 et 2009,
les associations rédigent un « mémoire en réplique » pour pouvoir aller en appel,
insistant sur le préjudice moral subi depuis plusieurs années. Il s’agissait de montrer
que l’action collective destinée à dénoncer publiquement les algues vertes avait eu
un coût important.
« Et ça a été un argument reconnu : à partir du moment où on était admis par la
chose publique (les médias), eh bien on avait un préjudice moral de ne pas être
93
reconnu dans notre combat »
.
Mais entre 2007 et 2009, les drames sanitaires occupent une place importante
sur la scène publique locale, évènements que la justice ne peut ignorer. Ainsi, la
Cour d’Appel évoque la dangerosité des émanations d’hydrogène sulfuré lors de la
décomposition des algues.
Au regard du nombre de juges (trois au lieu d’un seul) présents lors du jugement,
cette décision était sans appel. Ce jugement confirme la responsabilité de l’Etat, tenu
pour responsable du phénomène des marées vertes tout en affirmant officiellement
la toxicité des algues
94
.
Le risque sanitaire lié aux marées vertes impose une gestion curative des algues.
Cependant, le volet ramassage et les progrès techniques permettant de le faciliter
risquent d’occulter la nécessité de s’attaquer préventivement à l’origine du problème.
Conclusion
Les qualifications successives du problème des algues vertes traduisent les difficultés à
prendre en charge durablement ce phénomène. Les acteurs impliqués vont faire évoluer le
problème et proposer des solutions de politiques publiques particulières.
Tout d’abord, la question de la pollution des eaux implique essentiellement des
associations locales, des élus et des professionnels responsables des stations d’épuration.
Ensuite, la mise en évidence du problème agricole est orchestrée par des associations,
des instances scientifiques et quelques élus particulièrement préoccupés par le phénomène
et qui vont à l’encontre du secteur agricole et agroalimentaire local. L’origine agricole des
marées vertes impose une gestion préventive de ce problème afin de lutter à la source
contre les pollutions.
Enfin, face à la persistance des marées vertes et aux drames sanitaires qui se
multiplient, ce sont essentiellement des associatifs et quelques élus concernés qui vont
« tirer la sonnette d’alarme » et dénoncer un scandale sanitaire. La prise en charge du
problème par les pouvoirs publics devient urgente : il faut gérer les algues vertes en les
ramassant et en limitant les fuites d’azote vers la mer.
93
Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.
94
Arrêt n° 07NT03775 de la Cour Administrative d’Appel de Nantes du 1
LORANS Bérengère - 2011
er
décembre 2009.
51
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Ainsi, le problème des algues vertes, situation jugée indésirable, n’est pas
automatiquement converti en problème. Cette transformation s’opère progressivement
parce que le risque sanitaire, antérieurement ignoré, acquière une saillance nouvelle. Les
enjeux et le contenu du débat public sont redéfinis.
Surtout, les propriétés du problème sont utilisées comme des ressources par des
acteurs qui cherchent à en élargir l’audience.
Le Plan algues vertes, décidé à la suite de la mort d’un cheval en Baie de Lannion,
traduit la prise en compte par l’Etat du problème des marées vertes et de ses ramifications.
52
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
III- Le plan Algues vertes, vers une prise
en charge définitive et territorialisée du
problème ?
En juillet 2009, la mort d’un cheval sur la plage de Saint-Michel-en-Grève puis la visite de
François Fillon inaugurent une nouvelle approche de la gestion des algues vertes. En effet,
ce drame sanitaire traduisait les lacunes et les incohérences des actions mises en œuvre
depuis des dizaines d’années pour faire face aux marées vertes.
Ainsi, le programme gouvernemental de lutte contre les algues vertes est mis en place
en février 2010. Les actions de l’Etat pour gérer les marées vertes en Bretagne s’organisent
autour de ce plan. La problématique des marées vertes sur le littoral breton fait ainsi l’objet
d’un traitement, en tant que problème public, qualifié de risque, par les services centraux
de l’Etat
95
.
La gestion des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc consiste à faire face au
phénomène des marées vertes, en limitant ses manifestations et ses impacts, dans le cadre
de contraintes politiques, économiques et naturelles particulièrement importantes.
Dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan, la définition collective du problème des
algues vertes va de nouveau être modulée en fonction des rapports de force qui existent
localement entre les différents acteurs.
Le plan algues vertes n’est-il qu’un plan d’actions supplémentaire correspondant à une
apparition éphémère de la problématique des algues vertes sur l’agenda public, ou traduitil au contraire une prise en charge durable de ce phénomène ?
A) Des initiatives conjointes pour lutter contre les
algues vertes
L’objectif est de mettre sur pieds une approche territoriale afin de responsabiliser les acteurs
concernés et d’élaborer des politiques adaptées à la situation locale. Ces derniers vont ainsi
participer directement à la gestion des risques liés aux marées vertes.
La méthode retenue pour mettre en œuvre le plan Algues vertes au niveau local illustre
particulièrement son côté novateur.
Les origines du Plan algues vertes : la saillance du risque sanitaire
95
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
LORANS Bérengère - 2011
53
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Le plan Algues vertes s’inspire des échecs du passé afin de mieux les contourner. En effet,
de nombreux plans d’actions n’ont pas pris en compte les caractéristiques du milieu naturel
(temps de réaction des écosystèmes), et le principe du volontariat a montré ses limites. Mais
« d’autres facteurs plaident également en faveur d’un véritable changement »
96
.
Tout d’abord, une étude conduite à l’été 2009 par l’INERIS, à la demande de Nathalie
Kosciusko-Morizet, sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, a confirmé le fait que les amas
d’algues en décomposition émettent des gaz toxiques à forte concentration, notamment
de l’hydrogène sulfuré. Les conséquences sanitaires de la prolifération des algues vertes
sur les plages bretonnes sont ainsi reconnues officiellement par l’Etat. L’étude préconise
d’ailleurs de limiter l’exposition aux algues
97
.
D’autre part, le risque contentieux est constamment présent. La France a déjà été
condamnée à deux reprises par la Cour de Justice des Communautés Européennes
pour non-respect de la Directive cadre sur l’eau. L’Etat a également dû faire face à
une procédure juridique initiée par les associations de défense de l’environnement. Les
juridictions administratives françaises ont reconnu un lien entre les carences fautives de
l’Etat dans l’application du droit communautaire et de la réglementation sur les installations
classées et la prolifération persistante des algues vertes sur les plages bretonnes.
Ainsi, l’Etat court le risque de se trouver confronté à une multitude de contentieux
internes visant à rechercher sa responsabilité sur le plan administratif et pénal.
Les élus locaux, notamment les maires, sont également confrontés à ce risque
puisqu’ils sont responsables de la sécurité et de la salubrité publiques dans leur commune.
Enfin, il s’agit de prendre en compte les attentes de la société civile, se traduisant au
niveau local par la mobilisation de plus en plus intense des associations et des riverains.
« Il semble bien que la mise en lumière des risques liés à la décomposition des
algues ait eu un effet mobilisateur sur une partie de l’opinion dont l’attitude se
98
fait de plus en plus critique
»
C’est dans ce cadre qu’une mission interministérielle a mis sur pieds le plan d’action
gouvernemental dont il convient d’expliquer l’architecture et le fonctionnement.
Encadré 2 : Acteurs, fonctionnement et mise en œuvre du plan Algues vertes
Le plan de lutte contre les algues vertes est un programme gouvernemental mis en
place en février 2010. Ce plan fait suite à la mort d’un cheval sur la plage de Saint-Michelen-Grève durant l’été 2009 et à la visite de François Fillon dans les Côtes-d’Armor.
Le programme a été bâti sur les conclusions du rapport d’une mission interministérielle
(Ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Ecologie, Ministère de la Santé et Ministère de
l’Agriculture), qui, pendant quatre mois, a fait un état des lieux du phénomène et a évalué
les solutions envisageables.
96
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Elaboration d’un plan de
lutte contre les algues vertes, Paris, janvier 2010, 144 p.
97
INERIS, Rapport d’étude. Résultats de mesures ponctuelles des émissions d’hydrogène sulfuré et autres composés gazeux
potentiellement toxiques issues de la fermentation d’algues vertes, août 2009, 15 p.
98
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Elaboration
d’un plan de lutte contre les algues vertes, Paris, janvier 2010, 144 p.
54
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
Le plan concerne les huit baies « algues vertes » identifiées dans le SDAGE (schéma
directeur d’aménagement et de gestion des eaux) du bassin Loire-Bretagne : les baies de
la Fresnaye, Saint-Brieuc, Douarnenez et Concarneau, les grèves de Saint-Michel et les
anses de Loquirec, l’Horn-Guillec et Guisseny.
La gouvernance du plan Algues vertes est assurée par un comité de pilotage, présidé
par le Préfet de Région Bretagne, réunissant le Conseil Régional, l’agence de l’eau LoireBretagne et l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) de
Bretagne.
Ce comité de pilotage s’appuie sur un comité régional de suivi, instance de dialogue et
de concertation, associant les acteurs concernés, dont les représentants de la profession
agricole, des collectivités locales, du monde associatif…
Enfin, un comité scientifique est chargé d’expertiser et d’évaluer la mise en œuvre des
différents axes du plan. Il doit notamment évaluer, sur un plan scientifique et technique,
les propositions faites dans le cadre du volet préventif et d’en évaluer l’efficacité. C’est
donc dans ce cadre qu’il donne son avis sur les projets d’actions territoriaux émanant des
Commissions locales de l’eau.
Le plan se décline autour de quatre axes d’actions : améliorer les connaissances
sur les causes de prolifération des algues, assurer la sécurité sanitaire des personnes,
accompagner les collectivités dans le ramassage et le traitement des algues et mettre
en place des actions préventives pour limiter les flux d’azote arrivant dans les huit baies
touchées par le phénomène. La clé de voûte du volet préventif est l’appel à projets de
territoires. Pour cela, le plan s’appuie sur l’organisation et le fonctionnement des structures
locales de gestion de bassins versants : les Schémas d’Aménagement et de Gestion des
Eaux (SAGE). Les Commissions locales de l’Eau sont ainsi les acteurs clés dans la mise
sur pieds de ces appels à projets. Le plan d’action territorial devra répondre à un cahier des
charges fixant les objectifs de résultats à atteindre, notamment en matière de réductions
chiffrées des flux de nitrates. Dans ce cadre, dès 2011, deux Baies pilotes, particulièrement
touchées par la prolifération des algues vertes, sont concernées par l’élaboration d’un tel
plan d’action territorial : la Lieue de Grève (Lannion) et la Baie de Saint-Brieuc. Ces deux
99
territoires doivent ensuite transmettre leur projet, pour avis, au Comité Scientifique . Ainsi,
l’objectif était de mettre en œuvre les mesures de réduction des flux de nitrates dès l’été
2011.
Le plan Algues vertes est un programme gouvernemental de lutte contre les marées
vertes : c’est l’Etat qui se dote de moyens pour gérer les algues qui prolifèrent sur le
littoral breton. Si la coordination de ce plan se fait au niveau régional, en collaboration
avec les services de l’Etat, le plan Algues vertes a pour particularité de s’appuyer sur les
caractéristiques propres aux territoires concernés par ce fléau.
Une démarche d’appels à projets territoriaux
La Commission locale de l’eau (CLE), et plus précisément le comité algues vertes, est
l’acteur-clé dans la déclinaison du plan Algues vertes au niveau local. Le comité algues
vertes est en fait une version élargie de la CLE de la Baie de Saint-Brieuc. Ainsi, sa
composition de base est celle de la Commission locale de l’eau à laquelle ont été ajoutés
des acteurs directement concernés par la problématique des algues vertes.
99
Plan de lutte contre les algues vertes, Rennes, février 2010, 10 p
LORANS Bérengère - 2011
55
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Le Président de la CLE, lui-même Président du comité algues vertes, en a proposé la
composition au préfet de département, qui l’a ensuite validée auprès du comité de pilotage.
Ainsi, le comité intègre les membres de la CLE et s’appuie sur une organisation tripartite :
élus, associations, acteurs économiques (organisations professionnelles et économiques
100
agricoles et agroalimentaires, autres socioprofessionnels dont ceux du tourisme)
. La
présence des représentants de la filière agricole, de l’amont à l’aval, répond ainsi au
souhait d’intégrer la dimension économique du projet. En effet, la mise en œuvre du plan
Algues vertes nécessite de mener une véritable réflexion sur le modèle agricole breton et
le développement économique de tout un territoire.
Encadré 3 : Bassin versant, Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE)
et Commission Locale de l’Eau. Quelle articulation ?
Le bassin versant représente l'ensemble d'un territoire drainé par un cours d'eau et ses
affluents. Son contour est délimité par des frontières naturelles, les crêtes des sommets (la
«ligne de partage des eaux »), qui déterminent la direction de l'écoulement des eaux de
pluie vers un cours d’eau.
Le SAGE a pour objet de créer une vision commune sur la gestion de l’eau à l’échelle
du bassin versant entre les usagers et les collectivités. Ainsi, le SAGE est un document qui
fixe, pour la même période que le SDAGE (6 ans), mais sur le territoire du bassin versant,
les objectifs d’utilisation, de mise en valeur et de protection des ressources en eaux et des
milieux associés (zones humides,…).
C’est la Commission Locale de l’Eau (CLE), le « Parlement de l’eau », qui élabore
le SAGE en associant l’ensemble des collectivités et des services concernés ainsi que
l’ensemble des usagers de l’eau présents sur le territoire.
Conformément au Guide méthodologique sur la communication et les concertations
dans les démarches de SAGE, il s’agit de mettre en place un édifice institutionnel solide,
modulaire et ouvert. Ainsi, les membres de la CLE sont nommés par le Préfet et doivent
être représentatifs du contexte politique local, associant les acteurs influents du territoire.
D’autre part, il faut prévoir des groupes de travail de tailles variables adaptés à différents
sujets. Enfin, il s’agit d’intégrer progressivement à la démarche et aux différents groupes de
travail les acteurs qui ont manifesté leur intérêt
101
.
Selon le cahier des charges du plan Algues vertes, c’est dans le cadre du comité
thématique « algues vertes » de la CLE du SAGE de la Baie de Saint-Brieuc qu’est réalisé
le plan territorial de lutte contre les marées vertes. Le programme adopté doit prévoir trois
domaines d’actions : un volet assainissement, un volet agricole et agro-alimentaire et un
volet reconquête des zones naturelles (notamment les zones humides).
Le projet territorial est ensuite transmis au préfet de région puis fait l’objet d’une
expertise par le comité scientifique. Les propositions et réserves de ce dernier sont prises
100
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des charges
de l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,
Paris, juillet 2010, 14 p.
101
Agence de l’Eau Loire-Bretagne, Pour le SAGE, animer la concertation et la communication. Guide méthodologique,
Ploufragan : Agence de l’Eau Loire-Bretagne, août 2001, 74 p.
56
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
en compte par le comité de pilotage régional lorsqu’il statue sur la validation du programme
d’action
102
.
C’est dans le cadre de ce comité algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc qu’est adopté
le projet de territoire à très basses fuites d’azote.
Ce projet permet de construire de nouveaux compromis et peut être défini comme
« l’ensemble des négociations se concluant par un accord, entre des autorités publiques et
des personnes privées et publiques, sur le contenu d’actes finalisés à réaliser par l’une et/
103
ou l’autre des parties engagées
». Il s’agit ainsi d’impliquer tous les acteurs concernés
et de les mettre autour de la table. Un réel dialogue a ainsi pu être mis en place : l’ensemble
des acteurs ont joué le jeu afin de proposer des solutions efficaces au problème des marées
vertes.
« Donc une approche territoriale des choses, et pour la première fois, on
104
considère que la problématique des algues vertes est un problème territorial
».
Cette démarche territoriale s’explique notamment par les caractéristiques physiques et
géographiques du milieu naturel. La Bretagne étant une péninsule, l’ensemble de l’eau
qui tombe en Bretagne s’infiltre en Bretagne, s’y écoule et s’y jette. Or, si cette eau est
polluée en sortie des cours d’eaux, cela signifie que la pollution se fait sur le territoire
breton. Il est donc nécessaire d’associer l’ensemble des acteurs économiques, politiques
et environnementaux concernés par la problématique de l’eau. L’ensemble de ces acteurs
sont donc représentés au comité algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc.
Etant donné le faible taux de nitrates dans les cours d’eaux qu’il convient d’atteindre
(entre 5 et 10 mg par litre), la solution ne peut être envisagée qu’au niveau local, l’objectif
étant de parvenir à un territoire à basses fuites d’azote.
Le comité de pilotage du plan algues vertes a lancé des appels à projets territoriaux
pour définir les évolutions des systèmes de production vers des systèmes garantissant de
très basses fuites d’azote.
« On a renvoyé ça sur des appels à projet territoriaux, en demandant aux acteurs
des baies de mieux s’organiser, et de faire sur la base d’un cahier des charges,
que nous avions nous même définis, de faire un certain nombre de propositions
pour éviter, limiter les fuites d’azote, donc éviter qu’on rajoute trop de nitrates
dans les champs quoi. On en est là aujourd’hui, on est en train de dérouler ce
105
plan gouvernemental
».
Ainsi, ces projets territoriaux sont décidés et rédigés dans le cadre du comité algues vertes.
Le plan d’action territorial doit répondre à un cahier des charges fixant les objectifs de
résultats à atteindre.
102
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des charges
de l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,
Paris, juillet 2010, 14 p.
103
LASCOUMES Pierre et VALLUY Jérôme, « Les activités publiques conventionnelles : un nouvel instrument de politique
publique. L’exemple de la protection de l’environnement », Sociologie du travail, n°39, vol. 4, 1996, p.559.
104
Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
105
Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.
LORANS Bérengère - 2011
57
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Le 26 juillet 2010, l’Etat a fait parvenir à la Commission locale de l’eau de la Baie de
Saint-Brieuc le cahier des charges de l’appel à projet pour des territoires à très basses fuites
d’azote. Ce cahier des charges met l’accent sur une logique de résultats. Il ne s’agit pas
uniquement de mettre en œuvre des moyens d’action : des résultats concrets en matière
de réduction des sources de pollution sont attendus.
Le projet de territoire négocié et adopté dans le cadre du comité algues vertes
correspond au volet préventif identifiant les actions à mettre en œuvre pour limiter les flux
d’azote vers les côtes tout en préservant les capacités de production d’un territoire à forte
capacité agricole
106
.
La mise en œuvre du programme repose sur un engagement collectif volontaire pour
une période de trois ans (2011-2013) : les agriculteurs décident d’engager ou non les
mesures définies par le projet de territoire. Cependant, le volontariat a montré ses limites
dans les plans d’actions précédents puisque les objectifs prévus n’étaient pas atteints
dans les délais attendus. C’est pourquoi des mesures réglementaires seront envisagées si
l’adhésion au projet est inférieure aux objectifs indiqués dans le programme d’action, afin
de rendre certaines mesures obligatoires.
Les agriculteurs ont ainsi accepté de mettre en œuvre deux dispositifs : le calcul des
reliquats d’azote et les déclarations annuelles de flux. Les explications du chef du service
aménagement et environnement à la Chambre d’agriculture permettent de comprendre la
logique de ces nouvelles mesures.
« Les propositions étaient les suivantes : obligation de résultat, on a proposé
d’expérimenter un dispositif déjà mis en œuvre dans d’autres Etats membres,
en Wallonie, sur les reliquats d’azote. Les agriculteurs en ont marre du papier. »
« Il y a toujours des polémiques sur la réalité des pratiques des agriculteurs, et
notamment sur l’engrais qu’ils utilisent, l’engrais minéral. Là il a été proposé de
sortir de cette logique et de jouer la transparence totale. Il s’agit de déclarer, tous
les ans, ce qu’on utilise. Ce qui revient quasiment à offrir à l’Etat une possibilité
de contrôle à 100% au moins des flux. Donc on a proposé ce qu’on appelle la
107
déclaration des flux
».
Ainsi, ce sont de nouvelles pratiques qui ont été proposées au niveau local. Les mesures se
font toujours dans le cadre du volontariat mais les représentants de la profession agricole
insistent cependant sur la forte implication des agriculteurs. En effet, selon la Chambre
d’Agriculture des Côtes d’Armor, les déclarations de flux ont été réalisées par 95% des
exploitations et le calcul des reliquats dans 1500 exploitations.
Malgré le processus de concertation et de la négociation, les acteurs concernés et
désormais impliqués dans la gestion des algues vertes ont progressivement dû prendre des
décisions afin de définir des moyens d’action. Les conflits d’intérêt sont alors constamment
présents. De la résolution de ces derniers dépend une fois de plus la gestion efficace et
durable de la problématique des marées vertes.
106
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des charges
de l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,
Paris, juillet 2010, 14 p.
107
58
Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
B) Le retour des blocages récurrents et de
l’immobilisme ?
Au-delà des intentions et des objectifs officiellement affichés, les éternels blocages liés aux
intérêts et aux perceptions différentes des acteurs impliqués n’ont pas disparu. Au niveau de
la Baie de Saint-Brieuc, la mise en œuvre du plan algues vertes a été chaotique. La réussite
du projet à été menacée à plusieurs reprises. Un échec aurait une fois de plus remis en
cause la mise à l’agenda durable du phénomène des algues vertes. Cette période critique
s’est étendue de février à juin 2011.
L’avis du Comité Scientifique face à une ambition jugée insuffisante.
Véritable « coup d’arrêt » pour la profession agricole.
Le Comité scientifique est chargé d’expertiser et d’évaluer la mise en œuvre des différents
axes du plan. Cette expertise passe notamment par l’évaluation des projets territoriaux
définis dans le cadre des commissions locales de l’eau. L’avis du Comité scientifique est
extrêmement important et doit être respecté par les acteurs sur le terrain. Le comité régional
de suivi et le comité de pilotage doivent tenir compte de l’avis du Comité scientifique avant
d’avaliser tout projet de territoire.
Ainsi, le premier projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc a reçu un avis négatif
de la part du Comité scientifique le 7 février 2011. Les raisons de ce refus sont diverses et
traduisent les tensions qui existent entre les acteurs au niveau local.
Le projet de territoire a été considéré comme étant insuffisant. Tout d’abord, ce plan
prévoyait près de 80 millions d’euros pour améliorer l’assainissement des eaux usées et
pour développer la filière « méthanisation ». L’ampleur du volet assainissement traduisait la
volonté du monde agricole de ne pas apparaître comme le seul responsable de la pollution
des eaux. Le Comité scientifique a donc refusé de consacrer des sommes astronomiques
(35 millions d’euros)à l’assainissement des eaux usées.
« On travaille ainsi sur d’autres pollutions, c’est pas inintéressant, mais dans le
108
plan Algues vertes ça n’avait pas de sens
».
D’autre part, la méthanisation avait été présentée par les agriculteurs comme le projet phare
de la Baie de Saint-Brieuc. Mais le Comité scientifique a considéré que « l’utilité n’est pas
avérée de développer cette technique qui ne va traiter que le carbone, sans apporter de
contribution à la résorption des excédents d’azote ou de phosphore
109
».
Le projet de territoire avait d’ailleurs été qualifié de projet « agro-énergétique ». Ainsi,
ce projet avait pour ambition de lutter contre les pollutions par les nitrates tout en permettant
aux exploitants d’acquérir une autonomie énergétique.
Encadré 4 : La méthanisation en agriculture
Le principe général de la méthanisation agricole consiste en la récupération de déchets
organiques (notamment le lisier de porc) pour les valoriser dans un réacteur où ils seront
108
109
Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.
Comité scientifique, Avis du comité scientifique, Rennes, février 2011, 23 p.
LORANS Bérengère - 2011
59
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
transformés en biogaz. Voici en quelques mots, et de façon simplifiée, comment se déroule
le processus de la méthanisation du lisier.
Tout d’abord, la dégradation de la matière organique est effectuée dans une cuve
appelée le digesteur. Cette réaction permet la production d’un produit humide, le « digestat »,
riche en matière organique, ainsi que du biogaz qui peut être valorisé sous différentes
formes (électricité, chaleur, carburant).
Le digestat obtenu peut ainsi être utilisé comme engrais sur l’exploitation parce que très
riche en matière organique. Surtout, ce digestat va être exporté à l’extérieur des territoires
concernés par la problématique des algues vertes afin d’alimenter des exploitations qui
manquent de matière organique (par exemple dans la Beauce).
Cependant, lorsqu’il y a méthanisation, la quantité d’azote au début du processus de
transformation est la même que celle qui en ressort. La méthanisation peut donc permettre
de limiter les pollutions à la source si le processus va jusqu’à sa phase finale, c’est-àdire la minéralisation de l’effluent traité. Les agriculteurs obtiennent ainsi un produit sec
qui peut être commercialisé dans les régions qui ont besoin d’engrais : une partie de
l’azote traitée est ainsi transportée à l’extérieur du territoire concerné par les marées vertes.
Cependant, pour le Comité scientifique, ce processus final n’intervient qu’à la marge dans
le contexte de la Baie de Saint-Brieuc puisque seules les grandes unités de méthanisation
permettent d’envisager une exportation hors zone de l’effluent traité. La méthanisation
est donc considérée comme une technique relativement coûteuse qui peine à trouver les
110
conditions de sa rentabilité
. D’ailleurs, le plan Algues vertes n’envisage pas de faire de
la méthanisation du lisier une véritable solution au problème des algues vertes :
« La méthanisation n’élimine pas l’azote. Le traitement biologique des
exploitations porcines, lui, élimine l’azote. L’objectif est ici de transformer l’azote
111
et de rendre les exploitations plus efficaces et plus autonomes.
»
Pourtant, le 24 juin 2011, la Chambre d’Agriculture des Côtes d’Armor organise, en
collaboration avec les exploitants, des portes-ouvertes dans plusieurs exploitations
agricoles. L’objectif était de faire découvrir l’agriculture « écologiquement intensive » dans le
contexte des contraintes imposées par la gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc.
La logique de l’agriculture écologiquement intensive est de « produire plus, mieux et avec
moins ». C’est une démarche de progrès visant à optimiser le système d’exploitation. Ces
portes-ouvertes permettaient de montrer comment produire autant en polluant moins. Deux
exploitations s’étant dotées d’une unité de méthanisation étaient notamment à l’honneur.
Cependant, si l’efficacité du processus de méthanisation sur les marées vertes n’est
pas prouvée, c’est aussi la question du coût d’un tel dispositif qui est mis en question.
En effet, la visite d’un élevage porcin relativement important ayant mis en place une unité
de méthanisation afin de traiter les effluents de lisier permet de prendre conscience de
l’ampleur des travaux et des investissements à réaliser. Ce type de projet semble être en
contradiction avec la volonté de maintenir une agriculture familiale et de petites exploitations
sur le territoire. Ainsi on retrouve ici les interrogations récurrentes sur la meilleure façon de
concilier respect de l’environnement et durabilité économique. Interrogations qui ont été au
110
111
Comité scientifique, Avis du comité scientifique, Rennes, février 2011, 23 p.
Commission locale de l’eau, Projet de territoire à très basses fuites d’azote, Saint-Brieuc : Pays de Saint-Brieuc,
novembre 2010, 71 p.
60
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
cœur des négociations précédant l’adoption d’un nouveau projet de territoire pour la Baie
de Saint-Brieuc.
D’autre part, pour le fondateur du CEDAPA, l’agriculture écologiquement intensive a
un tout autre sens :
« Les méthaniseurs ne rentrent pas dans l’agriculture écologiquement intensive.
Ecologiquement intensif veut dire que l’on respecte les assolements, etc. donc
de l’agronomie, pour produire au maximum à partir de son sol, et non pas à partir
112
des intrants
.»
On retrouve ainsi les réflexions liées au système de développement « idéal » à mettre
en œuvre sur le territoire de la Baie de Saint-Brieuc. Les opinions et les intérêts diffèrent,
traduisant la difficulté à organiser collectivement les évolutions du modèle agricole local, et
par là, la difficulté à apporter des solutions durables à la problématique des algues vertes.
Ce sont l’ensemble des propositions émanant du Comité scientifique et du terrain qui
doivent finir par être conciliées au sein d’un unique projet de territoire accepté par tous.
De leur côté, les représentants des associations au comité algues vertes n’avaient pas
voté ce projet et s’étaient abstenus. Pour eux, le postulat de départ de ce projet était de ne
pas remettre en question le système de production agricole au niveau de la Baie de SaintBrieuc, ni les volumes de production :
« Le premier projet que la Chambre d’agriculture avait transformé en
méthanisation, auquel on ne croit pas beaucoup puisqu’il y a de l’azote qui
rentre, y a de l’azote qui sort… y en a plutôt plus qui sort une fois fait le procédé
113
de méthanisation. Les scientifiques l’ont dénoncé
».
Les représentants associatifs et les élus déploraient ainsi le manque de réflexion autour du
modèle de développement économique breton et de ses évolutions.
Le fondateur du CEDAPA expliquait ainsi qu’il avait fait des propositions au comité
algues vertes en vue d’une amélioration des pratiques agricoles, permettant de limiter les
pollutions à la source. Cependant, le comité n’avait pas pris en compte les projets qui
émanaient de l’ensemble de la société civile, se contentant de retenir les propositions de
ses membres permanents. C’est également pour cette raison que le Comité scientifique a
rejeté le projet de la Baie de Saint-Brieuc.
La réaction de la profession agricole a été immédiate puisqu’elle a quitté les
négociations. Les agriculteurs ont ainsi souligné que le comité algues vertes avait invité le
Comité scientifique pour lui expliquer ses propositions, mais ce dernier avait refusé. Pour la
profession agricole, le refus du Comité scientifique est incompréhensible et inacceptable.
« Alors certains ont aussi raillé le truc, tel le Comité scientifique…qui est
complètement partial et dénué de fondements sur un certain nombre de points,
114
notamment la méthanisation.
»
L’adoption du projet territorial de lutte contre les algues vertes a été difficile et s’est heurtée
aux différends traditionnels qui existent entre les acteurs concernés par cette problématique.
112
Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.
113
Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
114
Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.
LORANS Bérengère - 2011
61
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
La mise en œuvre d’une gestion préventive des marées vertes freinée
par le poids des tensions locales
Suite à l’avis négatif du Comité scientifique concernant le projet de territoire de la
Baie de Saint-Brieuc, la profession agricole a réaffirmé sa propre position et ses
ambitions. L’objectif du secteur agricole est de continuer à produire autant en faisant de
l’excellence environnementale. Ainsi, pour l’ensemble de la profession, la décision du
Comité scientifique est plus politique que technique.
« En fait nous nos problèmes ce sont les extrémistes : certaines associations
et certaines personnes du Comité scientifique qui poussent le truc trop loin, et
du côté profession certains négationnistes, on va dire ça comme ça, qui disent
« ce n’est pas nous c’est les autres ». Et nous c’est vrai qu’on est au milieu, mais
115
globalement les agriculteurs étaient plutôt dans un esprit constructif
».
L’idée qui prévalait alors était que la profession agricole proposait des méthodes et des
solutions nouvelles, innovantes, pour rompre avec la « tradition bureaucratique » des
années précédentes. L’avis du Comité scientifique et les modifications proposées n’étaient
qu’un retour en arrière et aux anciennes mesures déjà été expérimentées et n’ayant rien
donné.
« Les pouvoirs publics au niveau régional, Etat-Région, ont voulu intégrer l’avis
du Comité scientifique et apporter des inflexions au projet. Les inflexions ont
été mal vécues parce qu’en fait les inflexions avaient tendance à rajouter de la
116
technocratisation au dispositif
».
Ainsi, la profession agricole avait le sentiment de faire des efforts importants en proposant
des solutions innovantes et efficaces, les autres acteurs du territoire se contentant pour leur
part de reprendre des vieilles recettes dépassées. L’avis du Comité scientifique a donc été
vécu comme une véritable sanction, sans aucun échange avec la profession, et semblant
ignorer les difficultés du secteur agricole en affirmant des objectifs jugés utopiques.
« S’ils avaient été uniquement techniques, ils auraient accepté d’entendre les
acteurs du terrain, ils auraient accepté que c’est un jeu qui n’est pas facile, qu’on
est déjà très ambitieux, nous quand on voit un Comité scientifique réaffirmer un 5
117
mg, ça rime à rien, c’est complètement contreproductif
».
C’est pour cette raison que les représentants agricoles ont décidé de quitter la salle lors
du comité régional de suivi, ce dernier souhaitant intégrer les propositions du Comité
scientifique au projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc. Ils ont ainsi manifesté leur refus
de poursuive les négociations avec les autres acteurs du territoire.
Ce fut notamment l’occasion, pour la profession agricole, de réaffirmer les principes
qu’elle défendait depuis le début des négociations et sur lesquels se basait son action :
une logique de résultats en mettant en place la technique des reliquats d’azote, une
logique de transparence avec une déclaration annuelle des flux, et la reconnaissance de la
coresponsabilité (l’agriculture n’est pas seule responsable de la prolifération des algues).
115
Ibid.
116
Ibid.
117
Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.
62
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
Ces principes avaient été honorés par le projet de territoire initial : il n’y avait aucune raison
de revenir dessus.
C’est donc dans le cadre d’un climat déjà tendu entre les différents acteurs que survient
l’affaire des affiches de France Nature Environnement. En effet, alors que les négociations
ont été engagées au niveau local et que chacun tente de parvenir à un compromis,
France Nature Environnement lance une campagne d’affichage destinée aux couloirs du
métro parisien, dénonçant l’élevage agricole intensif et les conséquences sanitaires des
algues vertes. Immédiatement, le Président de la Région Bretagne porte plainte contre
France Nature Environnement, accusée de nuire à l’image de la Bretagne et à son activité
touristique.
Pour les associations écologistes, ce sont davantage les pratiques agricoles intensives
qui nuisent à l’image de la Bretagne puisqu’à l’origine des marées vertes.
Elles estiment également que si des mesures avaient été prises avant, la situation serait
peut-être différente.
Et même par rapport au FNE, enfin les fameuses affiches, France Nature
Environnement… Pourquoi ces affiches arrivent là ? Ben c’est parce que si on
avait fait le travail avant et qu’il n’y avait pas d’algues, je pense qu’il n’y aurait
118
pas ça
.
Mais la plupart des militants écologistes, y compris ceux adhérant à France Nature
Environnement, ont découvert par surprise les affiches. C’est pourquoi cette campagne
est apparue comme « téléguidée » depuis Paris et totalement déconnectée des réalités
du terrain. Ainsi, cet évènement a provoqué des crispations supplémentaires entre les
différents acteurs, notamment du côté des agriculteurs. Dans un souci d’apaisement,
les représentants associatifs ont exprimé leur désaccord vis-à-vis de cette campagne
d’affichage afin de permettre un retour rapide aux négociations.
Les affiches ont ainsi eu un impact important dans la gestion locale des algues vertes
en ravivant des tensions qui commençaient à être dépassées grâce aux négociations. Elles
traduisent toute la complexité de ce dossier et la difficulté de le gérer collectivement en Baie
de Saint-Brieuc. Elles sont également le reflet des tensions qui existent entre des acteurs
aux intérêts différents et qui expliquent la lente émergence des algues vertes en tant que
problème public ainsi que sa difficile mise à l’agenda.
Le Préfet de Région est donc revenu vers les agriculteurs afin de tenter de les
réintroduire dans la discussion au niveau local. Son intervention lors de la réunion du comité
algues vertes du 24 juin 2011 témoigne de sa volonté d’aboutir à un projet accepté par tous.
Il tente également d’apaiser le malaise qui existe au sein de la profession agricole depuis
l’avis négatif du Comité scientifique. En voici un court extrait :
« Le plan Algues vertes repose sur des décisions qui doivent être prises au
niveau des territoires. Le projet de territoire a été élaboré dans le cadre d’un
cahier des charges, lui-même défini par le Comité de suivi au niveau régional.
De son côté, le Comité scientifique a une vision idéalisée du problème, comme
s’il évoluait dans un roman, en dehors des réalités du territoire. Désormais, il est
nécessaire d’aboutir à un véritable projet de territoire, acceptable par tous ».
Pour les associations de défense de l’environnement, il est indispensable d’apporter
des modifications au projet de territoire et de suivre certaines préconisations du Comité
118
Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.
LORANS Bérengère - 2011
63
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
scientifique. C’est dans ce cadre que le comité algues vertes va commencer à étudier les
propositions émanant de la société civile.
Ainsi, en juin 2011, deux semaines avant l’adoption définitive du nouveau projet de
territoire, les agriculteurs étaient sur la « tangente ». Ils étaient sceptiques et commençaient
à manquer de confiance envers les institutions du plan Algues vertes. Ils estimaient alors que
l’action curative était insuffisante alors qu’ils avaient demandé à ce que les pouvoirs publics
assument leurs responsabilités dans ce domaine. Cette gestion curative leur permettant
ainsi d’échapper à une pression médiatique trop importante rappelant sans cesse les
responsabilités du monde agricole dans la prolifération des algues vertes.
« Ils ne peuvent pas proposer ces changements tout en ayant tous les ans des
119
caméras qui viennent accuser la profession
».
Durant cette période s’étalant de février au début de l’été 2011, ce sont des discours
relativisant le rôle du secteur agricole dans les marées vertes qui refont peu à peu surface.
Tout d’abord réapparaît l’idée selon laquelle le lien entre activité agricole et marées vertes
n’a jamais été scientifiquement prouvé. La recherche devant notamment se poursuivre sur
d'autres facteurs explicatifs que l'azote : par exemple l'accumulation de phosphore due au
défaut de traitement dans les stations d'épuration.
D’autre part, Nicolas Sarkozy, lors de sa visite en Bretagne à Crozon le 7 juillet
2011, évoque le dossier des algues vertes. Il défend ainsi les agriculteurs contre les
« intégristes »de l'écologie en affirmant qu'ils ne sont en rien « coupables » de la prolifération
des algues vertes sur les plages bretonnes car des « choix économiques ont été faits il y a
120
bien longtemps »
. Le Président de la République a également appelé les agriculteurs à
mettre le cap sur la méthanisation afin de réduire les rejets de nitrates dans l’environnement.
Il a affirmé sa volonté de faire du ramassage des algues une priorité dans la gestion
des marées vertes. Ce sont surement des considérations électorales qui étaient à l’origine
des déclarations du Président de la République.
Mais les déclarations de Nicolas Sarkozy ont provoqué la réaction immédiate d’un des
premiers scientifiques de l’IFREMER à avoir démontré le rôle des épandages agricoles
dans la prolifération des algues vertes. Il s’étonne ainsi du discours du Président : en effet,
la reconnaissance du problème agricole se cachant derrière la problématique des algues
semblait acquise depuis plusieurs années. Les travaux scientifiques ont montré qu’il faut
trois conditions pour que les algues se développent : de la lumière, donc des eaux peu
profondes; des courants faibles et enfin, beaucoup d'azote. Seule une infime partie de la
profession agricole reste dans le déni, affirmant le mauvais assainissement des eaux usées
ou s’appuyant sur des explications irréalistes (les marées noires, comme celle de l'Amoco
Cadiz, en 1978, auraient créé les marées vertes en détruisant les bigorneaux mangeurs
d'algues).
Le scientifique de l’IFREMER rejette un tel discours minimisant le rôle de l’agriculture
dans la prolifération des algues. Il ne s’agit pas de montrer du doigt la profession agricole,
ni de la « faire payer ». L’objectif est de s’attaquer à la source des pollutions afin de lutter
efficacement contre le phénomène. En effet, la gestion des algues par le seul ramassage
119
Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.
120
64
ATTARD Philippe, « Sarkozy prend un bain de Bretagne à Crozon », Ouest France,8 juillet 2011.
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
ne peut être une solution à long terme : « c’est une fuite en avant qui ne s’attaque pas à
l’origine du mal »
121
.
Ainsi, la qualification du problème des algues vertes connaît de nouvelles évolutions. En
effet, l’origine agricole des algues est de nouveau relativisée, et l’accent semble davantage
être mis sur la gestion curative des algues. Cette évolution peut aussi être expliquée par
la mobilisation collective des associations pour faire reconnaître l’existence d’un risque
sanitaire.
Face aux piétinements des négociations concernant le plan Algues vertes, la gestion
curative semble ainsi devenir primordiale : l’objectif est de traiter les conséquences directes
des marées vertes.
C) L’été 2011 : un tournant pour la Baie de SaintBrieuc ?
La réunion du comité algues vertes du 24 juin semble être une « victoire ». L’adoption
du projet de territoire à très basses fuites d’azote pour la Baie de Saint-Brieuc initie une
ère nouvelle dans la gestion locale des algues vertes. Ce projet de territoire est issu
de procédures d’accords formalisées et porte sur des objectifs à moyen et long termes,
impliquant pour leur réalisation des contributions conjointes
122
.
Il ne s’agit pas de faire des prédictions sur ce qui se passera dans le futur, mais
d’analyser les mesures proposées en tenant compte des caractéristiques du territoire et des
préconisations qui ont été faites dans le passé. Les innovations de ce plan seront-elles à
même de résoudre les marées vertes, ou les mesures ne sont-elles qu’un duplicata des
erreurs passées ?
L’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azote
et l’émergence d’un compromis
Conformément au cahier des charges de l’appel à projet territorial, le président du comité
algues vertes est chargé de recueillir les propositions « susceptibles de faire l’objet d’une
mobilisation collective
123
» afin de retenir celles qui sont conformes.
Cependant, certains acteurs du territoire ont déploré le manque d’écoute de la part du
comité algues vertes lors des négociations concernant le premier projet de territoire. C’est
notamment le cas du fondateur du CEDAPA qui estime que le comité n’a pas suffisamment
retenu les propositions émanant de la société civile.
121
122
123
GREGOIRE Allix, « Algues vertes : Une fuite en avant qui ne s'attaque pas à l'origine du mal », Le Monde, 15 juillet 2011.
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des charges de
l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,
Paris, juillet 2010, 14 p.
LORANS Bérengère - 2011
65
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
« La commission interministérielle, quand elle a rendu son rapport, elle avait
prévu des projets, non pas présentés par les bassins-versants, mais projets
présentés par les associations, les syndicats…enfin toute structure organisée
pouvait présenter un projet. Curieusement, ces projets qui devaient remonter à
Rennes au Comité scientifique, ne sont pas remontés. Ils ont été bloqués ici, à
la Commission locale de l’eau, qui a présenté un truc global, mais ne sachant
plus trop qui fait quoi. C’est là que le Comité scientifique a dit que nos affaires
124
n’étaient pas claires.
»
C’est pourquoi de nouvelles propositions ont ensuite été faites en vue de les intégrer au
nouveau projet de territoire, afin de se conformer à la méthode définie dans le cahier des
charges émanant de la commission interministérielle à l’origine du plan Algues vertes.
L’adoption du projet de territoire à très basses fuites d’azote se fait sur la base
de négociations entre les acteurs représentés au comité algues vertes (représentants
agricoles et des autres secteurs économiques, élus, services de l’Etat, associations). Ces
négociations permettent de discuter des objectifs recherchés et des moyens correspondant.
La négociation consisteen la recherche d'un accord dans un temps limité. Elle est centrée
sur des intérêts matériels ou des enjeux quantifiables entre deux ou plusieurs interlocuteurs
125
.
Ainsi, les réunions de travail sont nombreuses et extrêmement importantes afin
de discuter en petits groupes des propositions de chaque catégorie d’acteurs et des
modifications à y apporter. L’essentiel de la négociation se fait en dehors des séances
plénières du comité algues vertes, ces dernières consistant essentiellement à valider des
décisions prises antérieurement et à discuter de grands thèmes : évaluation des excédents
d’azote sur le territoire, état des lieux sur l’avancement des négociations… La plupart des
décisions sont prises dans le cadre des relations interpersonnelles entre les différents
membres du comité algues vertes. Les propos du président du comité algues vertes rendent
compte de la logique de ce processus de négociation.
- Ah ben moi je peux vous dire que, pour l’anecdote, l’après-midi où on s’est
vu à l’occasion du comité algues vertes, à 13h30, la chambre d’agriculture ne
votait pas, ou votait contre. Et à 16 heures ils ont voté pour. - D’accord, donc il
s’est passé des choses entre temps. - Ben, ça c’est le principe quand il y a des
négociations un peu tendues. - Donc vous les appeliez ? - Ah j’ai passé mon
126
temps au téléphone
.
D’autre part, la personnalité du président du comité a joué un rôle important dans
l’aboutissement de ces négociations. En effet, celui-ci s’est personnellement investi dans ce
projet, et a su utiliser ses qualités pour convaincre les différents acteurs et les faire parvenir
à un accord.
Ce dernier se prononce en faveur des négociations en petits groupes afin d’aboutir à
des consensus. En effet, lors de la réunion du comité algues vertes en mai 2011, le Président
124
Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.
125
126
BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.
Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-
Brieuc.
66
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
suspend la séance car il se trouve confronté à une situation d’opposition indépassable entre
profession agricole et services de l’Etat.
« Ca servait à rien : quand vous avez deux murs qui s’affrontent, ça reste des
murs. Donc il valait mieux arrêter, remettre ça sur la table tranquillement, revoir
un petit peu les points où ça coinçait et se retrouver après, c’est ce qu’on a fait.
127
Et voilà
».
Les concertations en petit groupe, non publiques, sont ainsi préférées afin de régler
les tensions qui peuvent exister entre les différents acteurs.
Ainsi, lors de l’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azote le 24
juin 2011, la situation est presque surréaliste : les différents acteurs semblent relativement
d’accords. Seuls quelques individus monopolisent la parole, il s’agit de deux associatifs et
des représentants de la chambre d’agriculture, sous l’arbitrage du président. Les autres
membres du comité sont plutôt passifs, écoutant simplement les différents interventions. Les
débats sont lisses, il n’y a presque aucun désaccord. Lors des explications de vote, excepté
Eau et rivières de Bretagne, l’ensemble des acteurs de poids (agriculture, agglomération de
Saint-Brieuc, Conseil-Général) vote le projet, émettant très peu de réserves. Il n’y a aucun
conflit : le consensus était déjà acquis avant le début de la réunion.
Selon le président du comité, le projet de territoire a été validé à l’unanimité, malgré
l’abstention de l’association Eau et rivières de Bretagne
128
.
Ainsi, s’il est clair que les différents membres du comité algues vertes se réunissent
et discutent lors de réunions de travail et de rencontres informelles pour parvenir à des
accords, la procédure de négociation demeure occulte. Il n’est pas possible de savoir
précisément qui est présent à ces réunions, quel en est le thème ni comment se forment les
accords : est-ce que le consensus se fait par « échange de bons procédés », par promesse
d’aides financières ? Peu d’informations ressortent de ce processus de négociation à
l’origine de l’adoption d’un plan Algues vertes en Baie de Saint-Brieuc.
A l’issue de cette phase de négociation, des engagements réciproques sur un calendrier
d’action et de réalisation sont définis.
Ainsi, le plan adopté par le comité algues vertes et qui doit servir de trame à l’ensemble
des actions destinées à lutter contre les marées vertes en Baie de Saint-Brieuc est presque
exclusivement basé sur des mesures agricoles.
« Par contre, là on s’est attaqué à la racine du problème, et pour la première fois
on a réussi à dire les choses et à les accepter… et à s’écouter… ce qui n’est pas
129
toujours facile
».
La prolifération des algues vertes est ainsi abordée sous l’angle du problème agricole.
Même s’il existe un volet assainissement, l’essentiel des efforts est demandé à la profession
agricole, reconnaissant ainsi son rôle clé dans le développement des algues mais aussi
dans la résolution du problème.
127
Ibid.
128
129
Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.
Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-
Brieuc.
LORANS Bérengère - 2011
67
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Ce plan initie une véritable réflexion sur les caractéristiques du modèle agricole breton
et les modifications qu’il convient d’y apporter. Ainsi, le projet de territoire permet d’impulser
des premiers changements à l’agriculture du territoire. Le projet prévoit notamment de
« changer de système » agricole sur 15 à 20% de la surface agricole utile du territoire.
Cette mesure est d’ailleurs qualifiée de « pas de géant » par le Président du comité algues
130
vertes
. Ce changement de système passe par une évolution des surfaces vers les
cultures pérennes, par la reconversion des zones humides en prairies permanentes et par
l’adoption de pratiques agricoles moins polluantes telle que l’agriculture biologique ou le
système fourrager économe en intrants.
Ce sont notamment certaines préconisations du fondateur du CEDAPA qui ont été
adoptées. Ainsi, le projet de territoire prévoit de favoriser le développement de l’herbe tout
en limitant la présence du maïs. De plus, le calcul de la balance globale azotée a été imposé
aux agriculteurs.
Les objectifs du projet sont à atteindre d’ici 2027, avec des objectifs de court terme
pour 2015.
D’autre part, des contributions financières de la part des quatre financeurs (Etat, Conseil
régional, Conseil général des Côtes-d’Armor et Agence de l’Environnement et de la Maîtrise
de l’Energie) de ce plan sont prévues afin de réaliser les objectifs attendus. Ainsi, le projet
de territoire prévoit une enveloppe globale de 35,7 millions d’euros, principalement sous la
forme d’aides au secteur agricole afin d’accompagner son évolution.
Pour l’ensemble des acteurs ayant avalisé le projet territorial, ce dernier est considéré
comme un véritable « pas de géant » dans la gestion locale des algues vertes. Il ne reste
qu’à le mettre en œuvre afin d’enrayer, à long terme, le phénomène.
Mais des limites à ce projet de territoire émergent dès son adoption lors de la réunion
du 24 juin 2011.
Pour l’association Eau et rivières de Bretagne, ce projet de territoire accorde beaucoup
trop d’importance au volet méthanisation, peu efficace, alors que les reconversions vers
des systèmes fourragers économes en intrants sont insuffisantes. Pourtant, ce type de
reconversion serait plus efficace que la méthanisation pour lutter à la source contre les
algues vertes.
Pour les associations, ce plan constituerait une troisième campagne de déni, en
insistant beaucoup trop sur le ramassage, couplé à une autre action : la méthanisation du
lisier. Le ramassage et le traitement sont ainsi présentés comme les remèdes au danger,
ce qui donne du temps pour remédier aux causes. D’ailleurs, les objectifs du plan sont à
atteindre en 2027…
De leur côté, les représentants de la profession agricole rappellent à la fin de la
réunion que l’ensemble des mesures imposées aux agriculteurs ne doivent pas entraîner
des déséquilibres économiques trop importants pour la profession. L’avenir du plan Algues
vertes en Baie de Saint-Brieuc dépend ainsi du développement économique de la profession
agricole.
D’autre part, le plan Algues vertes est présenté comme la véritable solution face au
phénomène des marées vertes. Cependant, les acteurs impliqués dans sa négociation
insistent sur le fait que les résultats ne seront pas visibles immédiatement. Les propos du
président du comité algues vertes traduisent cette précaution :
130
68
Ibid.
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
« Et fallait quand même avoir à l’esprit qu’on ne règlerait pas le problème en six
131
mois, un an, deux ans quoi. C’était un point de départ, un principe de base
».
Il s’agit de tempérer les attentes et les espoirs qui peuvent émerger à la suite de l’adoption du
projet et éviter de nouvelles frustrations, et donc des nouveaux blocages. Mais la question
de l’efficacité des mesures envisagées revient alors avec force.
Le projet de territoire adopté lors de la réunion du 24 juin 2011 à Saint-Brieuc
est le résultat d’un compromis qui a émergé entre les différents acteurs impliqués
dans les négociations. Le plan d’action est le produit d’arbitrages constants entre des
considérations d’ordre économique et la nécessité d’assurer l’efficacité environnementale
des mesures envisagées. Ainsi, le processus de négociation a donné lieu à la mobilisation
et l’affrontement d’intérêts particulier et à des logiques de marchandages et de compromis.
Mais l’adoption du projet de territoire traduit un véritable changement dans la gestion
des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. En effet, les oppositions entre les différents
acteurs concernés par cette problématique ont été dépassées grâce à un processus de
négociation dans le cadre du comité algues vertes.
L’adoption du projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc est à la fois le point
d’aboutissement des négociations mais aussi le point de départ d’un cycle de l’action
132
publique
. En effet, le plan a été adopté, mais il doit désormais être mis en œuvre afin
de lutter efficacement contre la prolifération des algues.
« Tout le travail va désormais être de faire vivre ce plan».
En cas d’échec, le plan Algues vertes n’aura été qu’une nouvelle apparition de la
problématique sur l’agenda politique. Avec cette seule différence que la prise en charge du
problème aura été faite au niveau local sous la tutelle et la responsabilité de l’Etat.
Si l’adoption du projet de territoire signifie la mise en œuvre de moyens dans les mois
qui viennent, elle n’a pas permis d’éviter de nouveaux désagréments pour les riverains et
les communes touchées par les marées vertes tout au long de l’été.
Au-delà du volet préventif, une gestion curative toujours difficile face
à la prolifération massive des algues vertes
L’été 2011 a été marqué par les nouveaux rebondissements de la problématique des marées
vertes en Baie de Saint-Brieuc. La prolifération massive d’algues sur le littoral breton dès le
mois de mai présageait ainsi une saison difficile, tant sur le plan technique que politique.
Les évènements de juin-juillet 2011 sont révélateurs de l’ampleur du problème et
incitent à un traitement rapide et efficace de ce dernier. Ils traduisent également toute
l’attention qui sera portée au plan Algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc durant les
prochaines saisons, puisque chacun espère que ce projet pourra apporter une réponse aux
marées vertes.
« Le plan Algues vertes, j’espère, va répondre à l’attente de tous… ».
131
Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-
Brieuc.
132
BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Décision », Paris : Les Presses de Sciences
Po, 2010, p. 201-210.
LORANS Bérengère - 2011
69
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
La gestion curative des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc demeure problématique. Or,
ces difficultés, davantage d’ordres techniques, peuvent avoir des répercussions importantes
sur l’équilibre précaire qui existe actuellement entre les différents acteurs impliqués dans
la gestion des algues.
Le plan Algues vertes prévoit un axe relatif aux actions curatives, portant notamment sur
l’amélioration du ramassage et le développement des capacités de traitement des algues
133
échouées
. C’est dans ce cadre que deux projets ont été achevés dans l’objectif de gérer
au mieux les algues à l’été 2011 : une usine de traitement à Launay-Lantic permettant de
traiter 20 000 tonnes d’algues, et une station à ciel ouvert aux Châtelets, à Ploufragan, d’une
capacité de 10 000 tonnes.
Ces infrastructures devaient permettre de faire face aux arrivages massifs d’algues
vertes et ainsi de s’assurer que les plages soient propres tout au long de la saison
touristique.
Pourtant, le 30 juin 2011, la commune d’Hillion annonce qu’elle n’assurera plus le
ramassage des algues sur ses plages. En effet, la plateforme de compostage de LaunayLantic est saturée, alors qu’un arrivage massif sur les plages d’Hillion et Morieux a eu
lieu. De plus, l’usine de traitement à ciel ouvert située aux Châtelet est momentanément
fermée car l’odeur qui s’en dégage engendre des désagréments pour les autres travailleurs
de la zone des Châtelets. Des agents de la communauté d'agglomération travaillant dans
un bâtiment voisin se sont ainsi plaints de picotements aux yeux. Les responsables du
Smictom des Châtelets ont décidé de ne pas accueillir les algues d'Hillion en attendant des
expertises supplémentaires afin de s’assurer qu’aucun gaz toxique ne s’échappe de l’usine
de traitement
134
.
Les algues n’ont pas pu être ramassées entre le 30 juin et le 7 juillet. Cependant, le
6 juillet, la Baie de Saint-Brieuc, de Binic au Cap-Fréhel, allait être le théâtre d’une étape
clé du Tour de France, troisième évènement international le plus médiatisé après les Jeux
Olympiques et le Mondial de Football. L’arrêt du ramassage a alors provoqué l’inquiétude
des élus du territoire et de tous les acteurs concernés par cette question. En effet, les images
des plages bretonnes recouvertes d’algues vertes risquaient d’être diffusées dans le monde
entier, d’autant plus que la mer serait basse au moment du passage des coureurs.
On retrouve ici le thème de la non-publicisation de la problématique des algues vertes.
Surtout, il faut éviter de montrer les algues, au risque de faire peur et d’entraîner une fuite
des touristes. Le monde agricole avait également insisté sur la nécessité d’assurer la gestion
curative des algues afin d’éviter une médiatisation trop importante du phénomène. Avec
l’arrêt du ramassage sur les plages d’Hillion, réapparaissait la peur des caméras et le risque
que la responsabilité des agriculteurs soit une fois de plus pointée du doigt. Cette mise en
cause aurait pu provoquer davantage de crispations dans les négociations locales autour
de la gestion des marées vertes.
Les propos du maire d’Hillion rendent compte du « dilemme » qui habite l’ensemble
des acteurs concernés par la gestion des marées vertes :
133
134
70
Plan de lutte contre les algues vertes, Rennes, février 2010, 10 p.
er
ALVAREZ Bruno, « Hillion stoppe le ramassage des algues vertes », Ouest France, 1 juillet 2011.
LORANS Bérengère - 2011
III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?
«Si les algues sont là la semaine prochaine, ça m'ennuie sur le plan touristique.
Mais pour la prise de conscience, ça permet de montrer une réalité: il ne faut pas
135
oublier qu'elles sont là
».
Cependant, lors du passage du Tour de France en Baie de Saint-Brieuc, la plage d’Hillion n’a
été montrée que furtivement, le journaliste insistant davantage sur les multiples châteaux
situés sur le territoire de la commune.
D’autre part, le 8 juillet 2011, le maire de Morieux décide d’interdire l’accès à la plage
Saint-Maurice, située sur le territoire de la commune. En effet, un banc de sable s’est formé à
certains endroits, recouvrant ainsi des amas d’algues en putréfaction et des poches de gaz.
Les agents chargés du ramassage ont ainsi détecté la présence d’hydrogène sulfuré
136
.
Le maire de la commune a insisté sur le fait que les algues ne sont pas plus nombreuses
que les autres années et que cette mesure est préventive, tout en insistant sur la nécessité
de vivre avec les marées vertes. Ainsi, certains élus locaux font parfois preuve d’une certaine
fatalité, exprimant notamment l’idée que le problème des algues vertes ne pourra être résolu
à court terme et qu’il faut donc s’en accommoder…presque l’accepter.
Cependant, le 13 juillet, la Préfecture annonce que deux marcassins ont été retrouvés
morts sur cette même plage le 7 juillet, soit la veille de la fermeture de cette dernière. Les
représentants de l’Etat insistent sur le fait qu’il n’existe aucun lien entre les algues vertes
et la mort des animaux
137
. Cette situation prend une toute autre ampleur lorsque 8 autres
138
cadavres sont découverts sur la même plage le 24 juillet 2011
. Au total, ce sont plus de
30 sangliers qui seront retrouvés morts sur la plage de Morieux.
Plusieurs associations, Halte aux marées vertes, Eau et rivières de Bretagne et
Sauvegarde du Trégor (cette dernière représentant la Baie de Lannion), adressent alors une
lettre au Préfet des Côtes d’Armor, indiquant notamment que leurs adhérents ne sont pas
convaincus des explications officielles concernant la mort des deux marcassins sur la plage
de Morieux. Elles rappellent également le manque de transparence dont ont fait preuve les
autorités publiques dans les précédentes alertes sanitaires liées aux algues vertes.
Le risque sanitaire lié aux algues vertes a été reconnu par l’Etat et est à l’origine
du plan Algues vertes. Les élus locaux, notamment les maires, prennent de nombreuses
précautions afin d’éviter un nouveau drame sanitaire. Cependant, il semble que des tensions
existent encore actuellement autour d’un éventuel étouffement de ce risque sanitaire de la
part des autorités publiques.
Ainsi, les usines de traitement se sont avérées insuffisantes face aux arrivages massifs
des algues sur les plages de la Baie. La gestion curative des algues vertes connaît donc
toujours des difficultés malgré les mesures mises en œuvre dans le cadre du plan Algues
vertes. Le ramassage ne pouvant suffire à combattre les marées vertes, l’attente vis-à-vis
du projet territorial, symbolisant le volet préventif de lutte contre les marées vertes, n’en est
que plus grande.
135
Le Télégramme, « Ploufragan : des salariés dérangés par l’odeur des algues », 2 juillet 2011.
136
137
HINAULT Jean-Yves, « Algues vertes : une plage fermée à Morieux », Ouest France, 12 juillet 2011.
Libération, « Décès de deux marcassins sur une plage bretonne », 13 juillet 2011.
138
GOYET Angélique et GREGOIRE François, « A Morieux, huit cadavres de sangliers sur la plage », Ouest France, 25
juillet 2011.
LORANS Bérengère - 2011
71
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Malgré l’adoption à la quasi-unanimité du plan Algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc,
les problèmes de ramassage entraînent une médiatisation accrue des marées vertes. Cette
dernière rappelle à tous l’ampleur du problème et du chemin qu’il reste encore à parcourir
avant que les plages bretonnes ne soient propres.
Chaque évènement de ce type est susceptible de créer de nouvelles tensions au niveau
local entre les différents acteurs concernés par les algues vertes. Si chacun d’entre eux peut
accélérer la prise de conscience collective de l’urgence de la situation, il peut également
être à l’origine de nouveaux blocages remettant en cause la gestion efficace des marées
vertes en Baie de Saint-Brieuc. Comme il n’existe pas de réponse simple et rapide à un
problème si complexe, des frustrations peuvent émerger et aboutir au blocage du dossier.
Conclusion
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc se trouve, à l’été 2011, à un nouveau
tournant. Suite aux scandales sanitaires de 2008 et 2009, l’Etat a effectivement pris en
charge cette problématique afin d’y apporter une réponse collective efficace. Cette réponse
correspond au plan Algues vertes.
Ce dernier reflète la reconnaissance, par l’Etat, de l’origine agricole des marées vertes
et du risque sanitaire qui y est lié. C’est l’aboutissement d’un processus de qualification
complexe qui a impliqué des acteurs aux intérêts divers et qui explique la trajectoire
sinueuse de la problématique des algues vertes sur l’agenda politique.
Le plan Algues vertes comprend un volet curatif mais également une action préventive
pour lutter à la source contre les marées vertes. Ce volet préventif se traduit par le projet
de territoire à très basses fuites d’azote discuté et approuvé par l’ensemble des acteurs
concernés par le sujet dans le cadre du comité algues vertes.
Les négociations collectives qui ont précédé l’adoption du projet de territoire ont
été marquées par la persistance des oppositions qui existent entre les différents acteurs
concernés par la problématique. Ces tensions ont provoqué de nouveaux débats concernant
la définition du problème des algues vertes. En effet, son origine agricole a été relativisée,
tandis que ses conséquences sanitaires semblent de nouveau discutées à la suite de la
mort suspecte de sangliers.
Présenté comme révolutionnaire par ceux qui l’ont adopté, ce plan se heurte déjà au
scepticisme des associations de défense de l’environnement et aux délais lointains qui lui
sont imposés (les objectifs sont à atteindre en 2027). D’autre part, de nouvelles difficultés
dans le ramassage émergent face à la prolifération massive des algues à l’été 2011. Le
projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc suscite donc des attentes importantes au
niveau local, puisqu’il doit permettre de lutter à la source contre les algues vertes. En cas
d’échec, les frustrations seront à la hauteur de ces attentes.
De l’avenir du plan Algues vertes dépend donc l’évolution de la problématique des
marées vertes en Baie de Saint-Brieuc.
72
LORANS Bérengère - 2011
Conclusion
Conclusion
La gestion chaotique des algues vertes
L’objet « algues vertes » est géré différemment en fonction des caractéristiques et des
délimitations qui lui sont attribuées. De la définition de cet objet dépend sa prise en
charge par les autorités publiques et son traitement. Les reconfigurations successives de
ce problème traduisent ainsi sa difficile mise à l’agenda. En effet, l’ensemble des acteurs
impliqués dans la qualification du problème des marées vertes ont pour objectif d’imposer
leur propre définition afin de faciliter son inscription sur tel agenda et de promouvoir tel type
de politique publique.
Dans un premier temps, et ce jusqu’aux années 2000, la gestion des algues vertes en
Baie de Saint-Brieuc consiste en une banalisation et une négation du phénomène. Cette
situation s’explique par une convergence d’intérêts entre des acteurs divers. Il y a alors un
accord sur la non-publicisation du problème.
Puis, cet accord local va se fissurer à mesure que la prolifération des algues
s’intensifie et que les désagréments liés aux marées vertes s’accentuent. Riverains, élus
des communes les plus touchées et associations de défense de l’environnement vont
initier un mouvement de protestation collectif afin de dénoncer la non-prise en charge du
phénomène. Les marées vertes deviennent plus visibles. La problématique des algues
vertes alterne alors entre publicisation et oubli.
Tout d’abord présentées comme la conséquence d’une pollution des eaux, et face à
l’absence de résultats concrets en la matière, la visibilité des marées vertes et leur prise
en charge fluctuent en fonction des différents plans d’actions mis en œuvre (Bretagne Eau
Pure, PMPOA, …).
C’est alors que les associations et les instances scientifiques telle l’IFREMER se
mobilisent afin de démontrer l’origine agricole des algues vertes. Il s’agit en effet de
s’attaquer à la source du problème et de montrer que des solutions sont envisageables.
Cette qualification oppose notamment les associations écologistes et une partie du secteur
agricole rejetant toute responsabilité dans ce phénomène. Cependant, la mise en évidence
des origines agricoles des marées vertes ne suffit pas à une prise en charge durable et
efficace du problème. En effet, les enjeux économiques liés au développement du secteur
agricole et agroalimentaire sont extrêmement importants : la santé économique de la région
en dépend. Il ne s’agit donc pas uniquement de lutter contre les algues vertes mais de
repenser l’ensemble du système économique local. Cette nouvelle définition traduit une
montée en généralité du problème des algues vertes mais permet dans le même temps
d’expliquer l’absence de résultats immédiats. Le problème est ainsi noyé au sein d’autres
considérations économiques et agronomiques, et tend à disparaître de la scène publique
parce qu’extrêmement complexe.
LORANS Bérengère - 2011
73
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
Le problème des marées vertes ressurgit alors de façon brutale suite à plusieurs
incidents sanitaires en 2008 et 2009. La prise en charge durable du problème dépend alors
de la reconnaissance d’un risque sanitaire lié à la prolifération des algues. C’est dans ce
cadre que s’inscrit le combat des associations de défense de l’environnement à partir de
2008. Cependant, l’imposition de cette nouvelle définition est longue et difficile : l’ampleur
du problème, s’il est qualifié de risque, est alors décuplée. Cette radicalisation provoque
un raidissement chez les agriculteurs qui refusent d’être tenus pour seuls responsables
des drames sanitaires. Il en va de même pour les élus qui redoutent un nouvel accident
et craignent une fuite massive des touristes. L’enjeu de cette requalification est de faire
reconnaître l’existence d’un danger mortel lié aux marées vertes et d’impulser une politique
de long terme pour lutter contre les algues.
Le plan Algues vertes s’inscrit dans cette évolution de la problématique : il traduit
la reconnaissance par l’Etat et les acteurs locaux du risque sanitaire, tout en affirmant
la nécessité de s’attaquer aux origines agricoles du problème. Cependant, les tensions
existant entre les différents acteurs locaux concernés par la problématique refont surface
lors de la négociation du projet de territoire à très basses fuites d’azote. La problématique
des algues vertes, ses caractéristiques et donc sa qualification sont en constante évolution.
L’objet « algues vertes », devenu problème public de par la mobilisation collective
initiée au niveau local, est progressivement qualifié de risque sanitaire et nécessite une
gestion durable et efficace. Il est soumis à des qualifications successives au cours du temps
en fonction des acteurs impliqués. Cette problématique est donc en constante évolution.
Ce cheminement difficile empêche une mise à l’agenda et un traitement permanent de
la problématique. Les ajustements entre les acteurs sont constants mais des blocages
demeurent.
Cette trajectoire chaotique s’explique notamment par les tensions existant entre les
acteurs concernés et l’évolution du rapport de force au niveau local. En fonction des
coalitions d’acteurs impliqués et de leurs intérêts respectifs, la gestion des algues vertes va
être différente : tantôt il ne faut pas en parler, tantôt il s’agit de ramasser les algues, tantôt
des mesures préventives sont indispensables.
Le plan Algues vertes ne peut être considéré comme la configuration définitive de la
gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. Ainsi, si un accord a été trouvé et s’est
traduit par l’adoption du projet de territoire à très basses fuites d’azote, cet équilibre précaire
est soumis à des contraintes économiques et politiques. La mise en œuvre de ce plan
dépendra ainsi de la bonne volonté des acteurs qui l’ont voté et de l’évolution de leur intérêt.
Malgré la reconnaissance officielle de l’origine agricole et des conséquences sanitaires
des marées vertes, cette problématique subit toujours des évolutions. En fonction des
acteurs impliqués localement, de la situation économique et politique sur le territoire et des
prises de position au niveau national, les conceptions de la problématique des algues vertes
peuvent évoluer. C’est notamment le cas lorsque le Président de la République affirme la
nécessité de s’intéresser aux sources de pollution non-agricoles. De même, lors de la mort
de sangliers sur une plage de Morieux, la reconnaissance du risque sanitaire semble remise
en question. Les évènements récents montrent que les frontières du problème sont encore
mouvantes : elles évoluent en fonction de la situation locale et des acteurs impliqués.
De ce fait, notre travail n’est qu’un état des lieux, à un moment « t », de l’évolution de
la problématique des algues vertes et de sa gestion. Cette dernière, consistant à faire face
au phénomène, en limitant ses manifestations et ses impacts, évoluera parallèlement aux
contraintes politiques, économiques et naturelles du territoire.
74
LORANS Bérengère - 2011
Conclusion
Les limites inhérentes à l’enquête de terrain
Lors de nos premiers contacts avec le terrain, notre démarche a pu susciter des
interrogations, voire de l’incompréhension chez les acteurs sollicités. En effet, peu d’acteurs
extérieurs semblaient alors s’intéresser au sujet. De plus, la complexité du dossier les
rendait souvent sceptique quant à la réussite de notre entreprise. Et ce d’autant plus qu’il
leur était souvent difficile, malgré nos explications, de comprendre l’objet de notre recherche
et la méthode employée. A plusieurs reprises, il semble que nous ayons été considérés
comme le porteur de tel ou tel message que nous allions ensuite pouvoir relayer. En fait,
le mot « sociologie » posait problème.
D’autre part, la plupart des acteurs rencontrés nous ont renvoyé l’idée d’un sujet
complexe et extrêmement difficile à aborder. D’ailleurs, ce sentiment a été renforcé par
la suite, notamment lors des négociations précédant l’adoption du plan Algues vertes de
la Baie de Saint-Brieuc. D’autre part, il nous est apparu que les différentes catégories
d’acteurs impliqués ne formaient pas toujours des blocs homogènes. En effet, le terrain
nous est peu à peu apparu de manière plus distincte, mais surtout avec toutes ses nuances
et ses aspérités. Notre recherche ne pouvait se contenter d’une catégorisation simpliste
et grossière des différents acteurs. Ainsi, la position des élus locaux a particulièrement
posé problème, puisque présentés tantôt comme les victimes des pollutions agricoles,
tantôt comme les défenseurs d’un modèle économique dépassé. De même, les divergences
entre les différentes associations ont peu à peu émergé à mesure que nos recherches
s’intensifiaient. Cette complexité du terrain a été extrêmement difficile à traduire dans notre
travail. D’où parfois une certaine frustration : la nécessité d’être clair et de coller au plus
près à notre enquête nous obligeait parfois à gommer certaines aspérités afin d’éviter de
tomber dans un récit flou et peu lisible. Mais nous estimons qu’un travail beaucoup plus
profond et mené sur une période de temps plus longue permettrait de rendre compte de
l’ensemble des nuances et des arrangements locaux qui se cachent derrière les discours
des acteurs rencontrés.
Tout au long de notre enquête, nous avons été confrontés à un univers très particulier.
En effet, la gestion locale des algues vertes laissait apparaître un certain manichéisme.
Lorsque nous avons rencontré les représentants associatifs ou agricoles, leur position était
extrêmement partiale. Ils défendaient leur point de vue, fustigeant l’action de ceux qu’ils
considèrent comme des opposants. Ainsi, il semble que nous fûmes parfois considérés
comme des « relais » pour leur propre cause. Sans doute espéraient-ils que leur discours
allait être transmis à un public plus large puisque nous allions en faire part dans notre travail.
Ainsi, cette situation fut difficile à gérer. Il s’agissait de conserver notre neutralité axiologique,
puisque l’objet de ce mémoire n’était en aucun cas d’exposer nos opinions, ni de juger les
propos de tel ou tel acteur.
Outre cette nécessaire objectivité, il fut également délicat d’exploiter le discours des
acteurs que nous avons rencontré. En effet, si nous comparions différents entretiens, il en
ressortait tout et son contraire : pour l’un les agriculteurs étaient un mur tandis que les
associations innovaient, pour l’autre les agriculteurs proposaient des solutions nouvelles
alors que les associations campaient sur leur position. Certes, ce type de situation était
prévisible et inhérent au terrain. Cependant, lorsque nous y fûmes confrontés, il fallut
l’exploiter et en tirer les éléments permettant de nourrir notre travail. Là encore, il nous
a fallu apporter des nuances afin de ne pas faire état d’une opposition frontale entre des
acteurs irréconciliables. Surtout, il s’agissait de ne pas prendre part aux débats opposant
LORANS Bérengère - 2011
75
La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème
public
les différents acteurs et se contenter d’en expliciter les tenants, les aboutissants, et les
conséquences sur la gestion locale des algues vertes.
Enfin, l’objet « algues vertes » se caractérise localement par son importante
médiatisation puisqu’il s’agit encore d’un sujet « sensible » car sa gestion collective peine à
faire l’unanimité. Dans ce cadre, le moindre évènement en rapport avec les marées vertes
suscite la réaction des associations, des élus ou encore du secteur agricole, le tout sous
l’œil attentif des médias locaux. La question des algues vertes évolue donc extrêmement
rapidement en fonction de la situation locale. Cette dynamique participe à la richesse du
sujet mais a aussi pu être une source de difficulté. En effet, il s’agissait de ne pas s’égarer
du cœur de notre recherche en essayant notamment d’accorder de l’importance à tous les
événements qui ont jalonné la problématique des algues vertes au cours de l’été 2011.
Surtout, il est frustrant de devoir mettre un point final à ce travail alors que la problématique
est en constante évolution.
76
LORANS Bérengère - 2011
Bibliographie
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