133 les intermédiaires de commerce dans les échanges

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133 les intermédiaires de commerce dans les échanges
LES INTERMÉDIAIRES DE COMMERCE DANS LES ÉCHANGES
ÉCONOMIQUES AVEC L’ESPACE OHADA : FOCUS SUR LA
SÉCURITÉ JURIDIQUE DU CONTRAT D’AGENCE
Emmanuel S. DARANKOUM
Professeur à la Faculté de droit de l’Université
de Montréal, Centre du droit des affaires et du
Commerce International (CDACI)
INTRODUCTION
Le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Maurice) 14 pays africains1,
déterminés à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l'unité africaine
et à établir un courant de confiance en faveur des économies de leurs pays,
décidaient de la mise en place, dans leurs États, d'un droit des affaires
harmonisé. Ils prirent la décision de créer une organisation dénommée
Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires
(OHADA) 2.
La caractéristique commune de ces pays était d'avoir, comme
monnaie, le franc Cfa3. A l'exception de la Guinée équatoriale,
anciennement colonisée par l'Espagne, tous les États membres de l'OHADA
sont des anciennes colonies françaises d'Afrique au sud du Sahara, encore
1
2
3
Le Traité a été signé par 17 États dont 16 d’Afrique : le Bénin, le Burkina Faso, le
Cameroun, la République centrafricaine, les Comores, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la
Guinée, la Guinée Bisseau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le
Tchad et le Togo. Voir aussi en ce sens, J. LOHOUES-OBLE, L’apparition d’un droit
international des affaires en Afrique, RID comp., 1999, p. 543; Ph. TIGER, Le droit des
affaires en Afrique, « Que sais-je? », 2001. J.ISSA-SAYEGH, L’Ohada, instrument
d’intégration juridique des pays africains de la zone franc, Rev. de jurisp. Com., 1999,
p. 237. Site officiel de l’OHADA http://www.cm.refer.org/eco/ecohada/ohada.html :
Credau (Centre pour la Recherche et l’Étude du Droit Africain Unifié) :
http://www.credau.org.
En ce sens, article 3 du Traité.
Le franc Cfa est le franc de la Communauté financière d'Afrique. Toutefois la
Guinée équatoriale n'a rejoint cette zone monétaire qu'à compter du 1er janvier
1985, voir Jeune Afrique L'Intelligent, hors série, n° 6 p. 207.
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dite Afrique noire4 . L'appartenance à la zone monétaire franc était présentée
comme un facteur de stabilité économique et monétaire, un atout majeur
pour la réalisation progressive de l'intégration économique de ces pays5.
Bien que le Préambule n'y fasse pas allusion, le partage par ces pays
d'une même langue, à savoir le français, devait être de nature à faciliter
davantage cette intégration économique6. C'est ce qui explique certainement
que cette langue ait été retenue comme la langue de travail de l'OHADA7.
On aurait donc pu croire, a priori, que l'OHADA était une organisation
des pays francophones d'Afrique Noire. Elle couvrirait alors les pays des
anciennes AE.F8. et AOF9 . Ce serait une erreur car à la réalité les ambitions
géographiques de l'OHADA sont plus larges et, à l'analyse, parfois
démesurées.
En effet, l'article 53 prévoit que dès son entrée en vigueur, le Traité est
ouvert à l'adhésion de tout État membre de l'Organisation de l’Unité Africaine
(OUA) et non signataire du Traité. l'OHADA a donc une ambition
panafricaine. Elle pourrait accueillir aussi bien les pays anglophones,
lusophones que arabophones du continent.
Il est même prévu que peut adhérer au Traité tout autre État non
membre de l'OUA. Il faut cependant qu'il ait été invité à le faire d’un commun
accord avec les autres Etats concernés. Dans ce cas il faudra bien un
« parrain » pour présenter la candidature et amener les autres membres à
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Les États de l’Afrique du Nord anciennement colonisés par la France n’en sont pas
signataires : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie.
Préambule du Traité.
En Guinée Équatoriale, le français est devenu en 1988 langue officielle avec
l'espagnol, voir jeune Afrique L'intelligent, op.cit.
En ce sens, article 47 du Traité OHADA
Afrique Équatoriale Française. Elle regroupait les pays suivants : Cameroun,
Centrafrique, Congo, Gabon et Tchad.
Afrique Occidentale Française. Elle regroupait les pays suivants: Bénin, Burkina
Faso, Côte-d'Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
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l'admettre. Les conditions sont donc plus rigoureuses que lorsqu'il s'agit de
l'admission au sein de l'OHADA d'un pays africain. Mais l'hypothèse
envisagée risque de n'avoir que rarement lieu étant donné les particularités
propres aux différents systèmes juridiques. Dans la meilleure des hypothèses
ne peut-on envisager que l'adhésion des pays non africains dont le système
juridique est assez proche de celui institué par le code civil français de 180410.
Qu'à cela ne tienne le Traité de l'OHADA a une vocation universelle. Il
s'agit donc théoriquement d'un traité de type pleinement ouvert11. L'OHADA a
t-elle les moyens pour réaliser cette ambition mondiale ?
L'Organisation compte énormément sur son droit matériel qui serait
simple, moderne et en tout cas adapté à la situation des économies des États
membres. Elle compte également sur la mise en oeuvre de procédures
judiciaires appropriées. Elle mise enfin sur la possibilité offerte de recourir à
l'arbitrage pour le règlement des différends contractuels12.
La concrétisation de ces objectifs passe par l'élaboration, l'adoption, la
publication et enfin l'application d'une législation unique des affaires. Divers
domaines ont été alors ciblés : droit des sociétés et statut juridique des
commerçants, recouvrement des créances, sûretés et voies d'exécution,
redressement des entreprises et liquidation judiciaire, arbitrage, relations de
travail, comptabilité, vente et transport. Cette liste n'est pas exhaustive dans la
mesure où il est admis que toute autre matière peut y être incluse13. Cette
définition lâche du domaine de l'harmonisation est de nature à inquiéter
dans la mesure où il est difficile de concevoir une matière juridique qui
n'est pas un quelconque lien, serait-il tenu, avec le droit des affaires.
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On pense aux pays membres de la francophonie, la France notamment, mais aussi la
Belgique, le Canada, le Liban, la Tunisie, etc.
En ce sens, CARREAU (D.), Droit international, éd. Pedone, Paris, 2001, p.134
n°306.
Article 1er du Traité.
Article 2 du Traité.
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Le droit des affaires OHADA s'apparente ainsi davantage au droit
économique dont le domaine est assez flexible, En tout cas il s'agit d'un
droit conquérant, en constante évolution, puisque le programme annuel
d'harmonisation est arrêté par le Conseil des Ministres.
Chaque pas de législation est traduit dans un « Acte uniforme ». À
ce jour 8 Actes uniformes ont été publiés et sont en principe entrés en
application. Il s’agit de :
- l'Acte uniforme du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés ;
- l'Acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit commercial général ;
- l’Acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés et du
groupement d’intérêt économique ;
- l’Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ;
- l'Acte uniforme du 10 avril 1998 portant organisation des procédures
collectives d'apurement du passif ;
- l'Acte uniforme du 11 mars 1999 relatif au droit de l'arbitrage ;
- l'Acte uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et
harmonisation des comptabilités des entreprises ;
- l’Acte uniforme du 22 mars 2003 relatif aux contrats de transport des
marchandises par route.
L'élaboration d'autres Actes uniformes a été retenue dans le
programme d’harmonisation établi par le conseil des Ministres de
l’OHADA. C'est ainsi que se trouve en cours, l’harmonisation du droit
du travail14, celle du droit de la vente aux consommateurs15.
14
15
L’avant projet de cet Acte uniforme a déjà été discuté lors des réunions tenues par
les commissions nationales OHADA, pour les pays de l’Afrique de l’Ouest les 22 et
24 juillet 2003 à Bamako, et pour ceux de l’Afrique centrale du 02 au 04 septembre
2003 à Libreville. Il sera finalisé lors d’une commission plénière prochaine
d’harmonisation.
Pour une lecture très critique de ce projet d’Acte uniforme, Temple (H.), Quel droit
de la consommation pour l’Afrique ? Une analyse critique du projet d’Acte
136
De même le Conseil des Ministres qui s'est tenu les 22 et 23 mars
2001 à Bangui s'est prononcé en faveur de l'harmonisation des matières
suivantes : droit de la concurrence, droit bancaire, droit de la propriété
intellectuelle, droit des sociétés civiles, droit des sociétés coopératives
et mutualistes, droit des contrats16, droit de la preuve.
Progressivement et sûrement le droit OHADA est en train de se
mettre en place. Un Conseil extraordinaire des Ministres des Finances
et de la justice s'est tenu à Libreville les 17 et 18 octobre 2003 au cours
duquel a été célébré le dixième anniversaire du Traité17. Si l'on devait
esquisser un bilan, on dirait que l'OHADA est en marche, mais qu’il
demeure un système perfectible. En effet, concrétisation du rêve d’une
Afrique économiquement soudée, l'OHADA vise à garantir la sécurité
juridique aux agents économiques régionaux et étrangers en offrant l’accès à
un vaste espace économique où un droit des affaires commun est interprété
de façon ultime par une seule instance juridictionnelle dotée par ailleurs du
pouvoir exceptionnel d’évoquer, après cassation, le fond des affaires qui lui
sont soumises. La volonté de créer un vaste marché régional, le souhait
aussi de rassurer les investisseurs étrangers.
Toutefois, à ce jour, l’œuvre de l'OHADA n’est pas achevée; elle est
même peut-être provisoire. En effet, les règles déjà adoptées auront
vraisemblablement besoin d’être elles-mêmes modifiées à l’avenir, au cas où
les pays de la common law (Nigéria, Ghana, Afrique du Sud, par exemple,
16
17
uniforme sur le droit de la consommation, à paraître Annales de la Faculté de droit
de Dschang, Cameroun.
UNIDROIT participe activement à l’élaboration de ce dernier Acte uniforme et le chef
de file du groupe ayant élaboré l’avant-projet est M. FONTAINE (« Le projet d’Acte
uniforme OHADA sur les contrats et les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international », Revue Droit Uniforme, 2004, n° 4-2, p. 260 et s.)
Voir KIRSH (M.), Dixième anniversaire de la signature du Traité concernant
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, Penant no 845, octobredécembre 2003, pp. 389 et s.
137
qui compte parmi les poids lourds économiques d’Afrique) décident de s’y
joindre. Leur approche du droit étant très différente, un autre exercice de
rénovation s’imposera… Il reste que ce nouveau droit des affaires doit vivre
dès maintenant et être révélé aux opérateurs économiques et juristes
étrangers; et ce, dans un contexte dominé par le phénomène de globalisation
qui remet en cause les structures traditionnelles du droit et de l’économie.
Les conséquences de ce phénomène pourraient facilement conduire à la
marginalisation de l’Afrique, à moins que ce continent se dote d’instruments
juridiques susceptibles de favoriser son intégration dans le Nouvel Ordre
Économique Mondial18.
On peut donc soutenir que l’espace OHADA, en réponse aux besoins
des opérateurs du commerce international, dispose désormais d’un droit des
intermédiaires de commerce capable de faciliter l’accès à son marché, aussi
bien dans les rapports Nord/Sud que dans les rapports Sud/Sud. Par exemple,
en dépit des entraves découlant des différences sociales (religion et culture),
propres à chaque pays du continent africain, une économie fortement
émergente d’un pays comme la Tunisie pourrait constituer un vecteur des
exportations de ce dernier vers les pays membres de l'OHADA. Mais
pareilles exportations ne peuvent se réaliser que par l’entremise des
intermédiaires de commerce. Toutefois, la notion d’intermédiaire de
commerce englobe plusieurs intervenants. Cette dénomination générique
peut viser à désigner aussi bien le courtier, le commissionnaire ou l’agent
commercial. Il n’ y a donc pas de doute que ces différents intervenants
partagent ensemble une espèce de similarité d’identité qu’il faut bien saisir.
C’est du reste, ce qui a justifié, aux yeux du législateur OHADA, la nécessité
de prévoir une plate-forme commune d’obligations (en marge de celles plus
spécifiques à chacune des catégories) applicables à tous les intermédiaires.
Combinées ensemble, ces règles déterminent le statut juridique des
intermédiaires de commerce ainsi que les conséquences qui en découlent (I).
Mais parmi les différents intermédiaires de commerce (courtier,
18
En ce sens, le numéro spécial de la Revue Juridique et Politique des États
Francophones, 2004, n° 3 consacré au thème de « la coopération euro-africaine à
l’épreuve de la mondialisation ».
138
commissionnaire, agent), l’agent commercial constitue l’archétype de la
représentation parfaite et mérite, à ce titre une mention spéciale. Par ailleurs,
si le législateur OHADA a eu la délicatesse de réglementer ce type de
contrat, il en découle des conséquences se rattachant à l’existence d’autres
instruments tels la Convention de Genève sur la représentation commerciale
et le contraste possible avec la notion d’agency connue des systèmes
africains de common law (II). Ce qui fait de cette réglementation sur les
agents commerciaux, une réglementation susceptible de réaménagements
futurs.
I- DISPOSITIONS COMMUNES RELATIVES AU STATUT
JURIDIQUE DES INTERMÉDIAIRES DE COMMERCE
Les contrats d’intermédiaires ont, pendant longtemps, mis le droit
du commerce international à l’épreuve de la diversité et de la complexité.
C’est ainsi que des règles de conflits de lois unifiées leur ont été
consacrées en 197819, mais dont le destin a été de sombrer rapidement
dans l’oubli. Une autre Convention, la Convention de Genève du 15
février 1983 sur la représentation en matière de vente internationale de
marchandises, élaborée sous les auspices d’Unidroit, pour être le
prolongement de la Convention de Vienne de 1980 sur le droit uniforme
de la vente internationale, s’est efforcée de prévoir des règles
substantielles20. Mais sa portée demeure limitée si bien que la
réglementation OHADA de l’agence commerciale n’en fait aucunement
mention. Dans la deuxième partie de notre article qui paraîtra dans un
autre numéro de la présente revue, nous reviendrons, plus en détails, sur
ces facteurs exogènes relatifs aux difficultés d’unification en Afrique du
droit de l’agence commerciale.
19
20
Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats
d’intermédiaires et à la représentation conventionnelle. Pour une application judiciaire,
Cour d’appel de Grenoble, 11 janvier 1996, JDI, 1997, n° 1, p. 123 et s.
Sur cette Convention, MOULY CH, « La Convention de genève sur la représentation
en matière de vente internationale de marchandises », RID comparé, 1983, p. 32.
139
Dans l’approche du législateur de l'OHADA., la notion
d’intermédiaire est large. Il faut spécifier en son sein, celle d’intermédiaires
de commerce; ces derniers étant considérés comme des professionnels
distincts des VRP21 et des distributeurs de biens qui, intégrés dans un
réseau, restent de simples vendeurs. Si certaines dispositions de l’Acte
uniforme sur le droit commercial général renferment des obligations propres
à chaque catégorie d’intermédiaire de commerce, d’autres dispositions en
tracent les grandes lignes en déterminant les obligations communes
applicables aux parties dans un contrat de représentation commerciale. Par
ailleurs, le titre I du livre IV de l’Acte uniforme sur le droit commercial
général (ci-après, l’Acte uniforme ou AU DCG) consacré aux intermédiaires
de commerce contient des précisions importantes qui permettent de mieux
saisir la notion même d’intermédiaire de commerce selon la conception du
législateur OHADA. En effet, ce dernier a voulu, par ce biais, faire de
l’intermédiaire un professionnel déterminé quant à ses fonctions, c’est-àdire son domaine d’activité (A) et quant à ses pouvoirs, c’est-à-dire les
prérogatives juridiques que lui permettent d’exercer sa qualité
d’intermédiaire de commerce; et ce, à la lumière des usages
commerciaux (B).
Le courtier est celui qui met en rapport, prodigue ses conseils et
fournit ses services afin qu'un accord soit trouvé entre le vendeur et
l'acquéreur22. Étymologiquement, il est celui qui court23, celui qui se
déplace entre les parties jusqu'à ce que l'accord soit conclu. Il existe
une jurisprudence bien établie relative à la distinction du
commissionnaire ou du mandataire et du courtier. Le critère de
qualification du courtage réside dans le fait que le courtier met les
21
22
23
Voyageur représentant placier; pour la distinction, voy. SAVATIER (r.), «Agents
commerciaux et VRP.», JCP., 1959, I, 1512, cité par COLLART-DUTEUIL, (F) et
DELEBECQUE (P.), Contrats
Civils et commerciaux, Précis Dalloz, 4e éd., 1998, n° 678, p. 519.
E. COLLART-DUTEUIL et P. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux,
Dalloz, 2002, n° 668.
BLOCH et WARTBURG, Dictionnaire étymologique, PUF, 1950, v° Courtier.
140
parties en relation pour les amener à conclure un contrat auquel luimême n'est pas partie24. Le droit français, qui représente la source
d’inspiration des pays membres de l'OHADA comporte, par exemple,
une règle propre aux courtiers en vins prévoyant qu'ils ne peuvent
« faire aucun achat ou vente de vin à leur compte, sauf l'achat pour
leurs besoins familiaux ou la vente de vins provenant de leurs
propriétés »25, et ne peuvent donc être ni commissionnaires ni
négociants sous peine de sanctions pénales26.
C’est sur l’ensemble de ces aspects que le législateur OHADA a
entrepris d’apporter un éclairage précieux (A), tout en accordant une place
au pragmatisme, à savoir le rôle des usages commerciaux dans ce secteur
commercial (B).
A- Qualification et champ d’activités
La notion d’intermédiaire de commerce est équivoque, si l’on en croit
la jurisprudence, notamment celle récente en matière d’arbitrage de la
Chambre de Commerce Internationale (CCI). En effet, dans une sentence
CCI récente27, les arbitres étaient confrontés à une question de qualification
du statut juridique d’un tiers, par l’entremise duquel une série de contrats
furent conclus entre des entreprises étrangères. La décision des arbitres en
l’espèce révèle toute la difficulté juridique se rattachant à la qualification de
l’intermédiaire de commerce : mandat, représentation, courtage, commissionnaire, agent commercial, contrat d’intérêt commun; tels sont les notions
que le tribunal essaye d’analyser pour déterminer si l’intermédiaire pouvait
être considéré comme un professionnel agissant à un titre spécifique et dans
une sphère d’activité propre. Cette sentence traduit bien l’intérêt de la
24
25
26
27
Pour un arrêt récent, Cass. com., 6 mars 2001, JCP éd. 2001, p. 1818; M.
MENJUNCQ, Droit des affaires, 3e éd., Gualino, coll. Mémentos, 2003, n° 299.
Art. 2-5° L. 31 déc. 1949.
Art. 6.1, id.
Sentence C.C.I. 102646, J.D.I. 2004, n° 4, p. 1255, note SIGVARD JARVIN.
141
qualification et de la détermination du champ d’activité des intermédiaires
de commerce.
Dans le système OHADA, l’intermédiaire de commerce agit avant
tout à titre de professionnel. Plus précisément, le commissionnaire, le
courtier tout comme l’agent commercial sont considérés comme des
professionnels exerçant une activité commerciale. En effet, l’article 137 de
l’Acte uniforme relatif au droit commercial général recourt à des formules
(« habituellement et professionnellement ») qui ne sauraient prêter à
confusion.
L’exercice de la profession, quant à elle, est fondée sur deux
éléments : le mandat qui constitue à bien des égards l’instrument juridique
par excellence de l’intermédiation en matière commerciale, d’une part, et la
qualité de commerçant qui requiert une certaine autonomie de la part du
professionnel concerné, d’autre part. Ces deux éléments appellent des
explications.
Sur le premier élément, le contrat de mandat sur lequel se fonde
l’article 137 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général est
souvent défini comme l’acte par lequel une personne donne à une autre le
pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. La première
difficulté qui se posait au législateur OHADA était de savoir si l’opération
juridique de mandat est à même de contenir à la fois les notions de
commissionnaire, de courtier et d’agent commercial. La solution retenue par
le législateur milite en ce sens, dans la mesure où, dépassant les conceptions
régime propre adapté aux réalités
classiques28, il retient un
28
COLLART-DUTILLEUL (P.) et DELEBECQUE (P.), Contrats civils et commerciaux,
4e éd., 1998, n° 628; BENABENT (A), Droit civil, les contrats spéciaux, éd.
Montchrestien, 1993, n° 694, p. 369; AUBRY et RAU, Droit civil français, t. 6, 7e éd.,
par Mandat PONSARD et DEJEAN DE LA BATIE, n° 164; Voy, Comm., 3 mai 1965,
Bull. civ. II, n° 280, 8 décembre 1980, bull., IV, n° 414, cités par Philippe le
TOURNEAU dans Répertoire civil, Mandat, n° 67; Voy. également RIPPERT (G.) et
ROBLOT (R.), Traité élémentaire de droit commercial, t. 2, LGDJ, 1986, n° 2634,
p. 574.
142
contemporaines29. Force est en effet, de constater que l’habitude avait déjà
été prise de déterminer les obligations des parties dans le contrat de
commission par référence à celles qui découlent du contrat de mandat et que
le courtier, bien que n’étant pas mandataire au départ, le devient facilement
lorsque, comme c’est le cas, les parties lui confèrent une mission précise30.
Il en va de même, pour le commissionnaire qui est réputé comme étant un
mandataire même si sa mission consiste à opérer en son propre nom pour le
compte du commettant, conformément à l’article 160 de l’Acte uniforme
relatif au droit commercial général. De la même manière, le courtier est
défini par l’article 176 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial
général comme «celui qui fait habituellement profession de mettre en
rapport des personnes en vue de faciliter, ou de faire aboutir, la conclusion
de conventions, opérations ou transactions entre ces personnes» ne traite pas
lui-même l’opération, il ne représente pas les parties. Il ne découle donc pas
de cette définition l’existence d’un mandat31. Toutefois, là aussi, le
législateur de l'OHADA a préféré une solution pragmatique qui seule permet
d’unifier des statuts a priori différents32. Quant à la situation de l’agent
commercial entendu comme «celui qui, à titre de profession indépendante,
est chargé de façon permanente de négocier, et éventuellement de conclure
des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services au
nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants, ou
d’autres agents commerciaux, sans être lié envers eux par un contrat de
29
30
31
32
PH. le TOURNEAU, Répertoire civil Dalloz, Mandat, 1992, n° 4.
En ce sens, RODIÈRE (R.), obs. sous Paris, 10 juillet 1972, op. cit.
RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité élémentaire de droit commercial, t. 2, LGDJ,
1986, n° 2682, p. 594; Voy. également CA. Douai, 12 nov. 1953, D., 1954, 63, cf.
également RODIÈRE, note sous Paris, 10 juillet 1972, D., 1974, J., 83.
Le régime juridique du mandat a dû être adapté pour tenir compte des nécessités
pratiques. Voy. NGUEBOU (J.), Le droit commercial général dans l’Acte uniforme
0.H.A.D.A., Presses Universitaires d’Afrique, Yaoundé, 1998, p. 87; FENEON A. et
DELABRIÈRE A., « Présentation générale de l’Acte uniforme sur le droit commercial
général », Recueil Penant, 1998, n° 82, p. 136; FENEON A. « Le registre du commerce
et du crédit mobilier », Cahiers Juridiques et Fiscaux de l’Exportation, CFCE, 1998, n°
2 p. 281; FENEON A. « Les intermédiaires de commerce », id., p. 296.
143
travail33», aucune difficulté ne se posait puisque la définition correspond,
elle-même au mandat, la représentation y étant considérée comme parfaite à
l’inverse de ce qui a pu être observé à l’égard des autres intermédiaires.
Sur le deuxième élément, à savoir la qualité de commerçant de
l’intermédiaire, l’article 138, alinéa 1er prévoit un certain nombre de critères
qui peuvent être mieux compris à la lumière de l’article 234 qui permet d’en
dégager le sens véritable. Selon cette dernière disposition, le commerçant
est celui qui accomplit des actes de commerce à titre de «profession
habituelle» et pour son compte. Il en découle que les actes accomplis de
manière isolée et accidentelle sont exclus. Ainsi, le caractère commercial
des activités sera reconnu à un intermédiaire, lorsque ses relations
habituelles d’affaires sont exercées sous forme d’entreprise caractérisée par
l’accomplissement régulier des mêmes actes à l’aide d’une organisation
matérielle préétablie. De toute manière l’Acte uniforme relatif au droit
commercial général a unifié le régime des actes des intermédiaires en
disposant que «les opérations des intermédiaires de commerce telles que
commission, courtage, agence35 » ont le caractère d’acte de commerce.
L’idée est d’ériger les opérations visées en actes de commerce par nature et
donc de ne plus reconnaître des régimes différents aux actes des
intermédiaires suivant le type d’intermédiaire qui les accomplit.
L’exercice de la profession commerciale suppose une véritable
indépendance corrélative à un risque36. Il en résulte que celui qui exerce une
profession habituelle d’accomplir des actes de commerce n’est pas
commerçant s’il accomplit ces actes pour le compte d’une autre personne37.
L’application rigoureuse de ces critères traditionnels aurait conduit à écarter
33
34
35
36
37
Art. 184 AU. DCG.
Sont commerçants ceux qui accomplissent des actes de commerce et en font leur
profession habituelle.
Art. 3 AU. DCG.
de JUGLART (M.) et IPPOLITO (B.), Cours de droit commercial, 1er volume, 9e éd.,
Montchrestien, 1989, n° 93, p. 178.
HAMEL (J.), LAGARDE (G.) et JAUFFRET (A.), Droit commercial, t. 1, 1er volume,
op. cit., n° 342, p. 540.
144
le commissionnaire, le courtier et l’agent commercial de la profession
commerciale puisque aucun d’eux ne remplit la condition d’indépendance.
En effet, les actes de commerce posés par un mandataire au nom du
mandant sont censés être faits par le mandant qui seul aura la qualité de
commerçant38. Une fois de plus, le législateur OHADA s’est laissé guidé par
le souci d’une mise en place de régime juridique simplifié et mieux adapté
aux réalités marchandes. Ces réalités sont d’ailleurs à l’origine de certaines
énonciations se rattachant aux conséquences découlant de la qualité de
commerçant. C’est ainsi, qu’une capacité commerciale est requise de la part
de l’intermédiaire de commerce39 qui est, en outre, soumis aux règles
d’incompatibilité énoncées dans les articles 8 à 12 de l’Acte uniforme relatif
au droit commercial général.
La qualité de commerçant de l’intermédiaire de commerce lui impose
de s’inscrire au registre du commerce et du crédit mobilier40. Cette
inscription, lorsqu’elle est faite au registre du commerce et du crédit
mobilier de l’un des États parties, rend le régime du droit uniforme
applicable à l’intermédiaire41. Il convient enfin de rappeler que le régime
juridique des actes de commerce s’applique à l’activité de l’intermédiaire
commerçant et notamment la liberté de la preuve42 ainsi que la
prescription43. Quel est le contour du champ d’activités ainsi visé?
L’activité des intermédiaires est définie par l’article 137 de l’Acte
uniforme relatif au droit commercial général comme l’action pour le compte
d’une autre personne en vue de la conclusion d’un contrat de vente à
caractère commercial. Cette définition est complétée par l’article 139 du
même Acte qui vise expressément tout acte accompli par l’intermédiaire en
38
39
40
41
42
43
L’agent commercial, le commissionnaire et le courtier sont considérés par l’AU. DCG
(art. 137 et s.) comme des mandataires avec ou sans représentation.
Art. 6 et 7 AU. DCG.
FENEON A. « Le registre du commerce et du crédit mobilier », Cahier Juridique et
Fiscaux, CFCE, 1998, n° 2, p. 281.
Art. 140.
Art. 5. AU. DCG.
Art. 18 AU. DCG.
145
vue de la conclusion du contrat ou relatif à l’exécution du contrat. Cela
revient à dire que l’intervention de l’intermédiaire de commerce se situe à
trois niveaux : avant la conclusion du contrat, lors de la conclusion du
contrat et dans la phase d’exécution du contrat.
Avant la conclusion du contrat, l’intermédiaire peut aider le représenté
à déterminer de façon précise ses besoins et donc à préciser le contenu de
l’offre. Il peut également rechercher les partenaires potentiels susceptibles
d’être intéressés par la conclusion du contrat. Il leur fournit des informations
relatives aux caractéristiques du contrat (nature, objet, montant,
spécifications particulières, etc.). Ce ne sont là que quelques exemples de ce
qu’il faut entendre par tout acte accompli en vue de la conclusion du contrat.
Mais de manière générale, il s’agit de tout acte de nature à aboutir à
l’échange des consentements44. Cette première étape correspond en réalité
beaucoup plus à l’activité du courtier, qui est le plus souvent défini comme
celui qui se borne à rapprocher les parties en facilitant leur accord, et qui
rédige éventuellement le contrat. Les autres intermédiaires de commerce, à
savoir le commissionnaire et l’agent commercial, vont beaucoup plus loin45.
Habilités à conclure le contrat au nom ou seulement pour le compte du
donneur d’ordres, ces derniers peuvent donner leur consentement qui
réalisera la formation du contrat.
L’expression «tout acte relatif à l’exécution du contrat» signifie que
l’intermédiaire participe à la mise en œuvre de l’exécution du contrat. Il sera
donc amené à accomplir des actes juridiques et matériels permettant de
réaliser la prestation caractéristique du contrat. Ainsi, s’agissant d’une
opération de transport de marchandises, le commissionnaire de transport
opérant par ses propres moyens, va employer les services de différents
voituriers avec lesquels il passe des contrats46. Par exemple, il peut
44
45
46
Louis BOYER, Contrats et conventions, Encyclopédie Dalloz, 1993, n° 173.
Le contrat d’agence commerciale peut ne conférer à l’agent commercial que le pouvoir
de négocier.
Cf. notamment Lyon, 13 mars 1933, S., 1934, 2, 45.
146
procéder à des opérations de groupage ou d’affrètement47. L’agent
commercial, quant à lui, sera par exemple, conduit à livrer ou à facturer la
marchandise vendue au nom et pour le compte d’un producteur
notamment48.
Le législateur a pris soin de préciser que certaines catégories de
mandataires sont exclues du champ d’application de ce texte49. Ces
mandataires peuvent être classés en trois groupes : la représentation dans les
relations familiales, la représentation dans les ventes spéciales (ventes aux
enchères, adjudications ou dans les ventes publiques, la réalisation des
opérations est confiée à un mandataire qui peut être soit un commissairepriseur, soit un huissier, soit un avocat, soit un notaire), et les mandataires
intervenant dans la gestion des entreprises (dirigeants sociaux et des
personnes habilitées par la loi pour gérer l’entreprise en difficultés ou en
cessation d’activité). Sont visés par cette dernière catégorie, le liquidateur50
et le syndic51.
Si le cadre juridique ainsi tracé par le législateur OHADA a
l’avantage d’éviter certaines distinctions byzantines qui compliquent
habituellement la matière, il faudra envisager, en plus des dispositions
purement légales, l’intervention des usages commerciaux dans un secteur où
l’étendue des pouvoirs des parties dépend, en grande partie de la pratique.
B- Usages commerciaux et détermination des pouvoirs de
l’intermédiaire
Dans la mesure où l’article 143 de l’Acte uniforme relatif au droit
commercial général soumet les relations entre l’intermédiaire, le représenté
47
48
49
50
51
Denis BROUSSOLE, Organisation des transports routiers de marchandise,
Encyclopédie Dalloz, 1989, n° 52.
MOUSSERON (J.M.), Distribution, Encyclopédie Dalloz, 1987, n° 10.
Articles 141 et 142 AU. DCG.
Art. 230 AU. SC.
Cf. art. 43 et 72 AU. PC.
147
et le tiers aux règles du mandat, ces mêmes règles s’appliquent à tous les
contrats d’intermédiaires, sauf lorsque la loi elle-même aura prévu des
dispositions spécifiques dérogatoires au droit commun du mandat. De la
sorte, le contenu des pouvoirs de l’intermédiaire va découler en grande
partie des règles du mandat; celles-ci vont également en déterminer les
limites.
Le contrat de mandat qui investit l’intermédiaire de ses pouvoirs n’est
soumis à aucune règle de forme. L’intermédiaire en tant que mandataire, a
le pouvoir de poser des actes juridiques pour le compte du mandant52. Ces
actes juridiques doivent avoir pour finalités respectives, la conclusion ou
l’exécution d’un contrat de vente à caractère commercial, selon l’article 134
et 139 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général. Ce sont les
termes exprès ou implicites du contrat qui déterminent les pouvoirs de
l’intermédiaire. Dans ce dernier cas, par exemple, l’intermédiaire a le
pouvoir d’accomplir un acte préliminaire obligatoire si cet acte est
indispensable pour réaliser les autres actes essentiels que son mandat lui
commande. Ainsi, le mandataire serait-il autorisé à aller au-delà ou à
outrepasser les instructions précises dans deux hypothèses : lorsque les
circonstances ne lui ont pas permis de rechercher l’autorisation du
représenté – cela englobe tous les cas d’urgence et de force majeure – ou
lorsqu’on peut admettre que si le donneur d’ordres avait été informé de la
situation, il aurait donné l’autorisation. Il s’agira notamment de l’hypothèse
où l’acte non autorisé ne constituerait qu’une suite logique et normale des
actes autorisés.
Outre les considérations qui précèdent, ce sont les usages
commerciaux qui, en pratique, aideront à déterminer les pouvoirs de
l’intermédiaire. En effet, ainsi que le précise l’article 145, alinéa 1er, le
représenté et l’intermédiaire d’une part, et le tiers d’autre part, sont liés par
les usages dont ils avaient ou devaient avoir connaissance et qui, dans le
commerce, sont largement connus et régulièrement observés par les parties
52
Art. 146, al. 2, AU. DCG.
148
à des rapports de représentation de même type, dans la branche commerciale
considérée. Cette disposition consacre la force obligatoire des usages
commerciaux, appelés à combler les insuffisances du contrat concerné.
Toutefois, des difficultés pourraient surgir quant à la preuve de l’existence
de tels usages, et notamment leur validité. Il sera parfois nécessaire de faire
appel à des experts de la branche commerciale pour apprécier la certitude de
l’usage invoqué, en dissociant l’opération litigieuse d’autres types
d’opérations. En ce sens, si les usages peuvent varier selon l’objet du contrat
portant sur des denrées périssables ou non, des divergences plus certaines
apparaîtront selon que l’on se situe en matière de contrat de commission ou
de contrat d’agence ou de courtage.
Pour ce qui est du courtage, par exemple, rappelons que la Cour de
cassation française a rendu, le 13 mai 200353, une décision remarquable sur
le rôle des usages commerciaux dans ce secteur. La décision de la Cour de
cassation va plus loin que les prévisions du droit uniforme OHADA,
puisque dépassant la limite des usages conventionnels seuls admis par le
législateur OHADA, elle consacre pleinement la théorie des usages-lois,
c’est-à-dire, ceux s’imposant par la force de la pratique, mais non
simplement de la volonté implicite des parties, et qui, selon la Cour
prévalent sur le droit commun du courtage de vin54 :
« attendu qu'après avoir relevé que le courtier a pour fonction de
mettre en rapport un négociant-acheteur avec un producteur de vins pour
négocier la récolte de ce dernier et qu'il agit en mandataire de l'une et
l'autre parties, ce dont il résulte que l'acheteur comme le courtier étaient
des professionnels exerçant dans le même secteur d'activité, l’arrêt retient
que l'établissement et l'envoi, par le courtier au vendeur et à l'acheteur de
la lettre de confirmation sans qu'il y ait de leur part un accord formel,
équivalait suivant l'usage ancien et constant en Bordelais, à une vente
53
54
Cour de cassation, com. 13 mai 2003, Recueil Dalloz, 2004, n° 6, p. 415, note J.-M.
BAHANS et M. MENJUCQ.
Cf. J.-M. BAHANS et M. MENJUCQ, Droit du marché vitivinicole, Féret, 2003, n°
452 s., p. 231 s., sur ces bordereaux dressés par les courtiers.
149
parfaite sauf protestation dans un très bref délai fixé par les usages
loyaux et constants de la profession à 48 heures de la réception de cette
lettre dont l'envoi est à la charge du courtier; que la cour d'appel a
légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses
branches.
Par ces motifs, rejette [...]. »
Les faits et la procédure sont, en l'espèce, relativement simples. Le
litige oppose un courtier en vins et un négociant au sujet du paiement de
la commission du courtier. Pour s'opposer au paiement du courtier, le
négociant soutient que le contrat de vente en cause n'est pas parfait, faute
d'acceptation expresse de sa part. Le courtier avait servi d'intermédiaire
entre un producteur et un négociant, et avait établi un bordereau (ou
lettre de confirmation) confirmant les termes de leur accord55. Ce
bordereau, signé du courtier, avait été notifié par ce dernier aux parties,
qui n'avaient pas protesté dans le bref délai de quarante-huit heures à
réception de ce bordereau. En application d'un usage local, le contrat de
vente pouvait donc être considéré comme parfait. Le négociant dénonça
néanmoins la vente, dix jours après la réception de ce bordereau, ne
s'estimant pas contractuellement lié56. La cour d'appel donna tort au
négociant, estimant que le courtier agit comme mandataire de l'une et de
l'autre des parties lorsqu'il rédige le bordereau et que, en vertu de
l'usage local, la vente doit être considérée comme parfaite en l'absence
de protestation dans les quarante-huit heures de la réception de ce
document contractuel. La Cour de cassation, relevant que l'acheteur et
le courtier exercent dans le même secteur d'activité, rejette le pourvoi
en se fondant sur l'usage dont l'existence avait été constatée par la cour
d'appel, celle-ci ayant à ce titre « légalement justifié sa décision ».
55
56
Id.
Ces faits sont précisés par l'arrêt de la cour d'appel: CA Bordeaux, 1re, sect. A, 18
sept. 2000, n° 97/01540, cité in J.-M. BAHANS et M. MENJUCQ, op, cit., n° 455,
note 1027, p. 233.
150
Pour quitter le champ du simple fait et devenir une règle de droit,
l'usage doit correspondre à une pratique commerciale admise comme
telle par les professionnels concernés. L’existence d'une place où
agissent des professions commerciales, regroupées en syndicats ou en
corporations, favorise la reconnaissance de la force des usages qui y
sont pratiqués57. Or, cela correspond précisément aux circonstances de
la présente espèce déférée à l'examen de la Cour. Le commerce du vin
est un commerce de place, en ce sens que les vins de Bordeaux sont
vendus à Bordeaux ou que les vins de Bourgogne sont vendus en
Bourgogne. Les transactions intervenant entre des professions bien
précises: viticulteurs, négociants et courtiers, dotées de syndicats
professionnels et regroupées en interprofessions58. Les circonstances
sont donc favorables à la reconnaissance d'usages pouvant être qualifiés
de règles de droit.
En effet, selon les commentateurs de la décision, « la distinction
entre usages de fait et usages de droit n'est pas parfaitement établie59.
L’usage est toujours une pratique couramment admise dans un milieu
commercial, mais cette pratique n'est pas nécessairement reconnue
comme une règle par le milieu considéré60. Ces usages, que l'on peut
qualifier d'usages de fait ou usages conventionnels, n'acquièrent de
caractère obligatoire qu'en étant incorporés expressément ou au moins
tacitement dans une convention. En revanche, certains usages sont des
véritables règles de droit et n'ont pas besoin d'être incorporés à une
convention pour exister comme tels et posséder une force obligatoire
pour les professionnels concernés. La valeur de ces usages est, en
principe, celle d'une loi supplétive s'appliquant de droit aux
57
58
59
60
Cf. M.-M. SSALAH, Rép. com. Dalloz, v° Usages commerciaux, n° 3, p. 2.
Cf. J.-M. BAHANS et M. MENJUCQ, op. cit., no 27 s., p. 28 s.
Cf., notamment, J. ESCARA, De la valeur de l'usage en droit commercial, Ann.
dr. com. 1910, p. 97; V., aussi, F. GÉNY, Méthodes d'interprétation et sources en
droit privé positif, t. 1 er , Sirey, 1re éd., 1914, p. 376 s.
Cf. M.-M. SALAH, art. préc. n° 11 s.
151
conventions, à moins d'avoir été expressément écartée61. Ces usages
peuvent déroger à des lois ayant elles-mêmes une valeur supplétive
mais ne peuvent, en revanche, déroger à une loi impérative62. Certains
usages ont pu toutefois s'imposer contra legem en vertu du principe
selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale (lex specialia
generalibus derogant). Ainsi, des usages de droit commerciaux ont pu
déroger à des dispositions du code civil63. Il faut souligner qu'en
principe, en vertu de l'art. 1134 c. civ., affirmant le primat de la
convention des parties, les dispositions du contrat peuvent
expressément déroger à un usage, même s'il s'agit d'un usage ayant
valeur de règle de droit. Il n'en va différemment que si une loi
impérative reprend un usage ou y renvoie. C'est donc à ces seuls usages
que devrait être réservée la qualification d'usages impératifs. En
l'espèce, l'usage doit être qualifié de règle de droit non impérative et
c'est ce qui ressort des arrêts de la cour d'appel et de la Cour de
cassation. L'usage en cause est précisément le suivant. Lorsqu'un
producteur et un négociant décident de traiter leur transaction par
l'intermédiaire d'un courtier en vins, celui-ci va dresser, au terme de la
négociation, un bordereau ou une lettre de confirmation contenant les
clauses du contrat. Le courtier signe lui-même ce document et le notifie
aux parties. A défaut de contestation des termes du bordereau dans les
quarante-huit heures de sa réception, le contrat est considéré comme
parfait. Ici, la société de négoce a prétendu pouvoir refuser le marché
dix jours après la réception du bordereau, mais ne pouvait pas prouver
que les parties avaient expressément écarté l'usage en cause».
Cette décision de la Cour de cassation française a une portée
considérable sur les obligations des intermédiaires de commerce, en
particulier dans le champ d’activités des courtiers. En dépit du caractère
complexe des activités concernées, il est difficile de prévoir les
61
62
63
Cf., notamment, id., n° 73 s.
Id., n° 60 s.
Par exemple, la solidarité présumée contre les termes de l'article 1202 du Code
civil français et l'anatocisme contre la règle de l'article 1154 du même code.
152
conséquences qu’une telle décision pourrait produire dans l’espace OHADA
dont les pays membres partage la même tradition juridique que la France.
De toute évidence, la prise en compte des usages commerciaux permettra
une adaptation permanente du nouveau droit uniforme aux exigences de la
pratique; ce qui enrichira à coup sûr le registre des dispositions communes
consacrées aux obligations des parties dans un contrat d’intermédiaire.
C- Obligations des parties dans un contrat d’intermédiaire
Seront successivement examinées, les obligations du représenté et de
l’intermédiaire (1) ainsi que les relations juridiques avec les tiers (2).
L’extinction du contrat d’intermédiaire et ses effets complèteront notre
analyse (3).
1) Obligations du représenté et de l’intermédiaire
Le représenté assume des obligations générales et des obligations
particulières.
En ce qui a trait aux obligations générales, deux catégories peuvent
être distinguées. Il s’agit, tout d’abord, du devoir de coopération64 qui
émarge à tout contrat de mandat et qui oblige le représenté à placer le
représentant dans une situation propice à l’exécution de sa mission. Le
devoir de coopération dans ce contexte devrait conduire le représenté à
fournir au représentant les informations nécessaires à l’accomplissement de
sa mission. Ce qui incluent les informations susceptibles de faciliter la
tâche à l’intermédiaire : remise des documents nécessaires à l’exécution de
la mission. La seconde obligation découle du caractère professionnel du
contrat d’intermédiaire tel que défini à l’article 137 de l’Acte uniforme
64
Yves PICOD, «L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat», JCPG.,
1988, I, 3318, n° 8.
153
relatif au droit commercial général : c’est la rémunération65. Celle-ci n’est
pas liée au succès de la mission, et son quantum est librement déterminé par
les parties qui demeurent libre de se référer à un barème dans les
professions où il en existe. La rémunération est versée aux époques
convenues, ou en tout cas, à l’achèvement de la mission66.
Qu’en est-il des obligations particulières du représenté?
Le représenté assume deux types d’obligations particulières. La
première l’oblige à supporter les conséquences financières de la mission
qu’il a confiée à l’intermédiaire. En effet, selon l’article 154 de l’Acte
uniforme relatif au droit commercial général, «le représenté doit rembourser
à l’intermédiaire, en principal et intérêts, les avances et frais que celui-ci a
avancés pour l’exécution régulière du mandat67». La seconde obligation
particulière assumée par le représenté vise à lui faire supporter les effets
juridiques générés par l’entremise de l’intermédiaire : le représenté doit
libérer l’intermédiaire des obligations contractées. Précisément, il revient au
mandant de dégager le mandataire indemne de tout engagement personnel
qu’il pourrait avoir pris à l’égard des tiers. Il ne s’agit pas là d’une fiction,
mais de l’essence du contrat de mandat. En effet, l’opération est conclue au
nom du représenté et oblige celui-ci. Même advenant l’hypothèse où
l’intermédiaire agirait en son nom propre, le mandant demeurera le débiteur
65
66
67
La jurisprudence française avait d’ailleurs déjà posé en présomption que si le mandat
est assumé par un professionnel, il est réputé l’être moyennant salaire : civ., 1ère, 13 déc.
1989, Bull civ., 1, n° 399.
En ce sens, les dispositions spécifiques à chaque type d’intermédiaire : article 171 pour
le commissionnaire; articles 181 à 183 pour le courtier; articles 190 à 192 pour l’agent
commercial.
Ce remboursement est dû lorsque aucune faute ne peut être imputée au mandataire.
Dans ce cas, le représenté ne peut pas discuter du montant des frais exposés sous
prétexte qu’ils sont excessifs. Cependant, l’intermédiaire ne saurait prétendre au
remboursement que dans la stricte mesure de ce qu’il a effectivement dépensé. À cela
s’ajoutent les intérêts commençant généralement à couvrir à compter du jour où les
avances ont été faites. En aucun cas le remboursement de ces sommes ne pourra
dépendre de la réussite de l’affaire.
154
direct et personnel du tiers contractant et n’aura qu’un recours contre le
mandataire vis-à-vis duquel il conserve la qualité de mandant.
Cependant, les obligations du représenté (mandant) trouvent leurs
réciproques dans celles qui incombent à l’intermédiaire. En quoi consistenttelles ?
L’intermédiaire est tenu d’exécuter les engagements souscrits auprès
du représenté. Selon l’article 150 de l’Acte uniforme relatif au droit
commercial général il est tenu à une obligation de bonne et fidèle exécution
du mandat. Cela suppose le respect des instructions reçues. L’intermédiaire
se doit par conséquent d’accomplir les actes prévus par sa procuration. Il
doit agir dans l’unique intérêt du mandat et aucun détournement de pouvoir
n’est permis68, excepté l’accomplissement de certains spécifiques qui se
situent dans la dépendance directe et nécessaire de l’affaire69.
Étant un professionnel, l’intermédiaire doit agir avec célérité, tout
comme le donneur d’ordres est en droit d’attendre de sa part une certaine
compétence liée à sa qualification, qui inclut notamment un devoir de
conseil sur l’utilité de l’acte envisagé et sur les précautions à prendre. Cette
présomption de compétence professionnelle est rappelée avec insistance par
la sentence CCI n° 10264 rendue en 200070.
Aux termes de l’article 150, alinéa 3, l’intermédiaire doit également
procéder à une exécution personnelle du mandat. S’agissant d’un contrat
conclu intuitu personae, aucune substitution n’est, en principe, possible;
sauf pour l’intermédiaire à rapporter la preuve de l’existence d’un usage
valide en sens contraire, par exemple71. Les obligations de l’intermédiaire
sont complétées par la reddition des comptes, conformément à l’article 155,
68
69
70
71
Cf. BENABENT, Droit civil, Les contrats spéciaux, 2e éd., Montchrestien, 1995, n°
652, p. 383.
Id.
Sentence CCI n° 10264, op. cit.
Cf. PETEL (Ph.), Les obligations du mandataire, édition Litec, 1988, n° 312; en ce
sens, article 150, alinéa 3 de l’AU DCG.
155
alinéa 1er, de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. Cette
obligation qui découle naturellement de tout mandat emporte le devoir
d’information qui implique pour l’intermédiaire de mettre le mandant au
courant du déroulement de la mission, des actes accomplis et des conditions
dans lesquelles ils l’ont été. L’obligation de rendre compte suppose aussi
que l’intermédiaire doit restituer les biens reçus en vertu du mandat. Par
ailleurs, elle n’est subordonnée à aucune condition de forme ou de délai, de
sorte que sa mise en œuvre est laissée à la discrétion du représenté72.
Ces obligations étant précisées, à quelles conséquences se rattachent
leurs violations?
En cas de violation par l’intermédiaire de ses obligations, il encourt le
régime de responsabilités prévues à l’article 155, alinéa 2, de l’Acte
Uniforme relatif au droit commercial général, qui consacre l’indemnisation
du dommage causé par l’inexécution ou la mauvaise exécution du mandat.
Les caractères de cette responsabilité s’organisent autour d’une distinction
entre responsabilité du fait personnel et du fait du sous-mandataire.
Dans le premier cas, la responsabilité de l’intermédiaire envers le
représenté est une responsabilité contractuelle nécessitant la preuve d’une
faute. En d’autres termes, l’intermédiaire assume une obligation de moyen.
Exceptionnellement, il peut assumer une obligation de résultat. Tel est le cas
lorsque le mandat comporte une clause ducroire. Par cette clause, le
mandataire devient garant envers le mandant de la bonne exécution du
contrat conclu avec le tiers cocontractant73.
Quant au second cas, on sait que le mandataire a la possibilité de se
substituer au tiers dans l’exécution de sa mission, soit parce qu’il a été
autorisé par le donneur d’ordre, soit parce qu’il a été contraint par les
circonstances ou que cette substitution est généralement acceptée par les
72
73
Art. 155, al. 1er, in fine, AU. DCG.
BENABENT (A.), Les contrats spéciaux, op. cit., p. 386, n° 658.
156
usages74. En ce cas, la responsabilité du mandataire ne sera engagée que s’il
a choisi un sous-mandataire dont l’incompétence est flagrante75. En
revanche, lorsque aucun pouvoir de substitution ne lui a été reconnu, le
mandataire qui exécute son obligation par l’intermédiaire d’une tierce
personne enfreint au caractère intuitu personae de la relation qui le lie au
représenté. Devant une telle situation, il demeure responsable de l’exécution
de sa mission. Ce qui signifie que le représenté disposera d’une action
directe contre l’intermédiaire, sans préjudice de l’action indirecte à
l’encontre du tiers qui pourrait lui avoir causé un dommage. D’où l’intérêt
d’en dire davantage sur les rapports qui naissent du fait de l’interférence des
tiers dans les contrats d’intermédiaires.
2) Interférence des tiers dans les contrats d’intermédiaires
L’interférence des tiers a pour conséquence fondamentale de rompre
l’effet relatif des transactions. La situation peut être envisagée sous un
double aspect. Le premier aspect recoupe l’hypothèse de l’exécution
conforme. Lorsque l’intermédiaire accomplit les actes prévus par sa
procuration conformément aux instructions reçues, le principe de la
représentation s’applique pleinement et fait encourir aux parties une
responsabilité à l’égard des tiers. Cette règle est exprimée par le législateur
de l’O.HA.D.A. dans l’article 148 de l’Acte uniforme relatif au droit
commercial général : lorsque l’intermédiaire agit pour le compte du
représentant, ses actes lient directement le représenté et le tiers. Ainsi, par la
technique de la représentation, le mandataire s’efface et les actes effectués
par lui, au nom et pour le compte du mandant produisent leurs effets dans le
patrimoine de ce dernier. C’est donc le mandant qui se trouve en relation
avec les tiers contractants. Toutefois, sur ce point, les articles 148 et 149 de
l’Acte uniforme sur le droit commercial général prévoient un certain
nombre de limites, telle, par exemple, l’ignorance par le tiers de la qualité
d’intermédiaire du représentant. Par conséquent, lorsque l’intermédiaire
74
75
Cf. art. 150, al. 3, AU. DCG.
En effet, il répond du soin avec lequel il doit choisir le sous-mandataire et des
instructions qu’il lui a données.
157
néglige de faire connaître au tiers sa qualité, il fait échec au jeu de la
transparence qui caractérise le mandat (avec représentation) : les actes
juridiques conclu par l’intermédiaire ne lient pas le mandant, en
l’occurrence. Seul l’intermédiaire est engagé. L’article 149 n’exige pas que
la qualité de l’intermédiaire soit tenue au secret. Il suffit que le tiers ignore
la qualité de l’intermédiaire ou tout simplement ne soit pas censé connaître
cette qualité. Dans ce dernier cas, il faut supposer qu’une publication ait pu
mettre le tiers en mesure de connaître la qualité d’intermédiaire du
représentant. Une telle hypothèse peut soulever quelques problèmes
d’interprétation. La question se posera de savoir dans quelle situation
pourra-t-on retenir que le tiers était censé connaître la qualité
d’intermédiaire du représentant.
Quant au deuxième aspect, il vise les conséquences découlant de
l’interférence des tiers en cas d’exécution non conforme. Cette dernière
étant entendue comme celle qui s’écarte de la mission donnée par le
représenté. Le représentant qui agit ainsi hors du domaine de ses attributions
ne peut prétendre agir au nom et pour le compte du représenté76. Cette
solution connaît cependant quelques tempéraments. Tout d’abord, l’article
151 de l’Acte Uniforme sur le droit commercial général distingue l’absence
de pouvoir et le dépassement de pouvoir en cas d’échec au principe de la
représentation. L’absence de pouvoirs suppose qu’il n’existe pas de
mandat, soit parce que le mandat est expiré, soit parce qu’il est nul, ou
encore parce qu’il a été révoqué. En revanche, en cas du dépassement de
pouvoir, le mandat existe sauf que le mandataire n’a pas respecté les limites
de ses pouvoirs.
Il subsiste cependant deux assouplissements aux conséquences de
l’échec du mécanisme de la représentation : le fait du mandant et
l’hypothèse du mandat apparent (fait du tiers).
76
Un tel acte étant réputé nul par l’article 151 de l’Acte Uniforme sur le droit commercial
général.
158
Le fait du mandant se situe en aval de l’opération juridique effectuée.
Cela signifie que l’intermédiaire ait agi sans mandat, en dehors de toute
croyance légitime du tiers. Donc, le représenté n’est aucunement engagé,
son intervention sera un acte unilatéral de volonté consistant à ratifier
«l’acte accompli par un intermédiaire qui agit sans pouvoir ou au-delà de
son pouvoir» 77. La ratification produit des effets comme s’il y avait eu
mandat dès l’origine, elle emporte approbation de la gestion de
l’intermédiaire. Les actes accomplis par l’intermédiaire sont réputés être
réguliers au moment de leur accomplissement nonobstant l’absence de
mandat. D’une manière générale, la ratification constitue pour le juge un
moyen de déclarer le représenté engagé, en présence d’un dépassement de
pouvoir, dès lors que, ayant tiré profit des actes accomplis, il n’a pas
manifesté sa désapprobation. La ratification introduit la représentation qui
n’existait pas au départ.
La définition du mandat apparent figure à l’article 151, alinéa 2, de
l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. Il y a mandat apparent
«lorsque le comportement du représenté conduit le tiers à croire
raisonnablement et de bonne foi, que l’intermédiaire a le pouvoir d’agir
pour le compte du représenté». En se référant expressément à la croyance
raisonnable et de bonne foi, le législateur de l’OHADA semble avoir opté
pour l’acceptation de la croyance légitime développée par la doctrine
française78 : la croyance vraisemblable ou raisonnable79 est celle du bon
père de famille ou, le cas échéant, du bon professionnel qui, cependant dans
son art a fait confiance à quelqu’un, en étant convaincu de sa qualité.
Les règles communes qui viennent d’être analysées sont
complétées par une dernière catégorie relevant du même registre, mais
s’appliquant à l’inexécution et ses suites.
77
78
79
Art. 156, al. 1er.
Il existe deux autres formes de croyances légitimes qui sont : la croyance excusable et
la croyance qualifiée.
BATELEUR (A.), Le mandat apparent en droit privé, thèse, Caen, 1989, nos 598 et s.;
LETOURNEAU, Répertoire civil, Mandat, op. cit., nos 147 et s.
159
3) Extinction du contrat d’intermédiaire et ses effets
Les articles 156 et 157 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial
général, distinguent les causes qui sont liées aux parties de celles qui ne
dépendent pas d’elles. À l’instar de tout contrat, le contrat d’intermédiaire
prend fin lorsque les parties ont manifesté leur intention quant à la fin du
mandat. Cette hypothèse emporte celle où l’accomplissement de sa mission
par l’intermédiaire, met fin au contrat de l’intermédiaire80. Il subsiste
cependant d’autres formes d’extinction telles la renonciation et la
révocation.
La renonciation est l’acte par lequel l’intermédiaire notifie au
mandant sa volonté de mettre fin au contrat qui le lie au représenté. Il use,
ce faisant, de la faculté de résiliation qui lui est offerte et qui se justifie par
le fait qu’il serait dangereux pour le mandant lui-même de contraindre le
mandataire à poursuivre contre son gré l’exécution d’une mission fondée sur
la confiance. Toutefois, les parties doivent éviter les ruptures brutales, en
aménageant cette faculté dans le contrat. L’article 156, alinéa 2, exprime
bien cette idée lorsqu’il prévoit que la renonciation abusive entraîne pour
l’intermédiaire la réparation des dommages causés au représenté81.
Quant à la révocation, sa mise en œuvre au représenté de mettre fin à
la mission qu’il a assignée au représentant. L’abus dans l’exercice de ce
droit peut obliger le représenté à indemniser l’intermédiaire des dommages
causés82. L’exercice de la faculté de révocation connaît certaines limites.
Ces limites concernent, notamment la possibilité d’une clause
d’irrévocabilité et l’application de la notion de mandat d’intérêt commun
dégagée par la jurisprudence et consacrée par les articles 197 et suivants de
l’AUDCG.
80
81
82
Art. 156, al. 1er.
Pour une application jurisprudentielle, Sentence CCI. n° 10264, op. cit.
Art. 156, al. 2.
160
Malgré l’affaiblissement du rôle de l’intuitu personae dans un contrat
d’intermédiaire professionnel83, l’article 157 de l’Acte uniforme relatif au
droit commercial général énonce néanmoins trois causes susceptibles de
mettre fin au contrat de l’intermédiaire : le décès, l’incapacité et la faillite de
l’une des parties.
Le terme décès est assimilé à la disparition pour tenir compte de son
application aux personnes morales. Il s’agit en réalité d’un cas de caducité
fondée sur l’impossibilité d’exécuter. En effet, le décès du contractant
entraînant la disparition de la personne, rend l’obligation impossible et en
provoque la disparition lorsque cette obligation était attachée à sa personne.
La considération d’une personne déterminée étant intégrée dans le champ
contractuel, sa disparition rend impossible l’exécution de l’obligation
envisagée au contrat; celle-ci devient caduque.
En ce qui concerne l’incapacité contenue dans l’article 157, il apparaît
que la survenance de l’incapacité de l’une des parties ne devrait pas
bouleverser l’exécution de la mission. En réalité, la règle posée par cette
disposition a pour fondement la rupture de la confiance. De manière
générale, c’est la protection de la personne qui doit guider la solution84.
Enfin, l’ouverture d’une procédure collective d’apurement du passif
contre l’une des parties devrait mettre fin au contrat d’intermédiaire.
Cependant, l’article 107 de l’Acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d’apurement du passif dispose que «la cessation des
payements déclarée par décision de justice n’est pas cause de résolution des
contrats hormis pour les contrats conclus en considération de la personne».
83
84
Selon M. Jean-Paul DOUCET, ce n’est pas tant la personnalité du chef d’entreprise
mandataire qui est prise en considération par le mandat que le lieu où se trouve
l’agence, l’organisation de celle-ci et son importance économique et financière. Pour
reprendre un terme courant, l’agence est choisie en fonction de sa surface. De son côté,
l’agent n’accepte de contracter que si son éventuel mandant est une société
économiquement prospère et si des propositions intéressantes lui sont faites : DOUCET
(J.-P.), «Les effets de la mort sur le mandat», GP., 1963, 2.27.
Cf. BARBIERI (J.-J), Contrats civils, contrats commerciaux, op. cit., p. 402.
161
Le législateur aurait pu se prononcer plus nettement pour une situation
fondée sur l’intérêt de l’entreprise85. Quoiqu’il en soit, il faut noter que dans
l’ensemble des situations qui viennent d’être examinées, la cessation n’est
pas automatique, puisque, par définition, le contrat d’intermédiaire fait
intervenir des tiers. C’est ainsi que l’article 158 de l’Acte uniforme relatif
au droit commercial général réserve la situation des tiers non informés, pour
conclure a une survie exceptionnelle du contrat d’intermédiaire vis-à-vis de
ces derniers. Cette règle se justifie par la qualité même des tiers qui sont
étrangers au contrat d’intermédiaire. Il s’ensuit que la cessation du contrat
ne produira effet à leur égard que s’ils ont été mis au courant de
l’événement qui l’a provoqué. Il découle de cette règle une présomption
d’ignorance au profit du tiers, de sorte que le contrat survivra tant que le
représenté n’aura pas pris l’initiative d’informer le tiers. Cette information
prendra souvent la forme d’une notification. Elle pourra également résulter
des circonstances ayant entouré l’affaire. Dans tous les cas, le représenté
pourra apporter la preuve par tout moyen que le tiers avait connaissance de
la cessation. À défaut, le contrat continuera à l’égard du tiers comme si de
rien n’était. Cette survie du contrat à l’égard du tiers, doit cependant être
dissociée de la survie en cas d’urgence prévue à l’article 159 de l’AU DCG
visant à pallier les conséquences brutales d’une cessation du contrat. Il
s’agit là d’une sauvegarde limitée aux «actes nécessaires et urgents» de
nature à éviter tout dommage ou aggravation de dommages en cas de
cessation des relations contractuelles.
L’ensemble des développements qui précèdent appelle une conclusion
mitigée. En effet, la reconnaissance des usages commerciaux représente une
marque de l’évolution vers la prise en considération des règles directement
issues de la pratique. Quant au reste, les règles sont pour l’essentiel
inspirées du droit français. Ce manque d’originalité, dans un contexte
85
En droit français, la solution est inverse : la continuation des contrats en cours s’étend
même aux contrats conclu intuitu personae. Sur ce point, l’arrêt de la chambre
commerciale en date du 8 décembre 1987, D., 1988-52, note DERRIDA (F.);
SAWADOGO (F.M.), «Commentaire de l’AUPC», in O.H.A.D.A. Traité et Actes
uniformes commentés et annotés, Juriscope, 1999, p. 949.
162
dominé par la mondialisation des marchés et l’importance du common law,
se reflète également dans la réglementation spécifique relative au contrat
d’agence. Ce qui est déplorable, car cela pourrait compliquer l’entrée des
pays africains de common law au sein de l’OHADA, d’une part, et
développer une méfiance de la part des pays qui ont ratifié la Convention de
Genève sur la représentation commerciale. C’est l’objet de notre deuxième
partie.
II- LE CONTRAT D’AGENCE COMMERCIALE OHADA : UNE
ENTRÉE DANS L’ÈRE DE LA SÉCURITÉ JURIDIQUE?
La profession d’agent commercial présente un intérêt certain pour le
développement économique des pays membres de L’OHADA. En effet,
parmi les contrats nommés qualifiés par le législateur OHADA de contrats
d’intermédiaires, le contrat d’agence de l’agent est celui qui suscitera le plus
l’attrait de la part des investisseurs étrangers. Du point de vue de ces
derniers, l’agent commercial n’est rémunéré qu’en fonction du chiffre
d’affaires qu’il leur permet de réaliser. Par exemple, en vue d’une conquête
du marché OHADA par le biais de l’import-export, les risques encourus par
l’exportateur sont minimisés, puisque l’agent commercial n’est rémunéré
qu’en fonction des ventes réalisées sur place pour le compte de cet
exportateur. Pour l’agent commercial lui-même, les risques sont également
limités dans la mesure où il n’a pas la charge d’acheter un stock de
marchandises au mandant. Ce rôle du contrat d’agence est séculaire;
certains auteurs retracent son origine en remontant jusqu’au Code
d’Hamourabi86. Toutefois, l’appellation précise d’« agent commercial » et la
configuration actuelle de la profession ne se dessineront, dans l’espace
juridique OHADA, que peu à peu à travers le temps. Même en droit
français, le Code de commerce de 1807 ne mentionnait pas l’agent
commercial parmi les auxiliaires de commerce contrairement au courtier et
au commissionnaire. L’agent commercial est demeuré un représentant
86
HERZOG (J.L.), « Les agents commerciaux dans la Rome antique » RTD. com., 1963,
p. 61; EL HAGE (N.), « La nouvelle réglementation du contrat d’agence commerciale »,
RTD. com.,, 1994, p. 198.
163
mandataire civil pour lequel la jurisprudence devait élaborer le principe de
l’intérêt commun. À la suite de la décision du législateur français de placer
le voyageur représentant placier (V.R.P.) sous le régime de louage de
service, il est subsisté une catégorie de représentants attachée à son
indépendance, à laquelle le législateur va conférer en 194187 le titre d’agent
commercial. La reconnaissance légale de la profession et une protection
d’ordre public88 n’interviendra véritablement qu’en 195889. Cette évolution
va être confirmée par le loi du 25 juin 1991 qui a transposé en droit français
les dispositions de la directive européenne du 18 décembre 1986.
Le droit uniforme l'OHADA en la matière est proche du droit français
en ce qui concerne la notion d’agent, les obligations des parties au contrat et
les règles relatives à la cession du contrat d’agence commerciale (A). Cette
manière de procéder, de la part du législateur OHADA, est irréprochable en
soi. Toutefois, elle manque d’originalité; surtout, le législateur OHADA n’a
pas saisi l’occasion de prendre en considération la notion d’agency telle
qu’elle est prévue dans les systèmes de common law. Or, les pays voisins,
tel le Nigéria le Ghana et l’Afrique du Sud, manifestent déjà leur intention
de se joindre au processus d’unification en cours. Dès lors, il devient
important d’envisager, à travers la différence de système qui éloigne les
systèmes de droit civil et de common law entre eux, les défis futurs
auxquelles pourraient être confrontés le législateur OHADA (B).
87
88
89
Décret du 23 septembre 1941.
EL HAGE (N.), « La nouvelle réglementation du contrat d’agence commerciale », op.
cit., p. 198.
Décret no 58-1345 du 23 décembre 1958.
164
A- Contenu de la réglementation uniforme spécifique à l’agence
commerciale
En marge des dispositions communes applicables à l’ensemble des
contrats d’intermédiaires (contrats de commission, de courtage et d’agence),
chacune des catégories d’intermédiaires ainsi mentionnées fait l’objet d’une
réglementation plus spécifique. Les développements qui suivent seront
exclusivement consacrés à l’agent commercial. Seront alors successivement
analysés, la nature et l’objet du contrat d’agence (1) et les obligations des
particulières des parties dans un contrat d’agence commerciale OHADA (2).
1) Nature et objet du contrat
Le contrat d’agence constitue le symbole de la représentation
commerciale parfaite. Mais surtout, son intérêt pratique pour le commerce
international est reconnu et souligné par les arbitres internationaux90. Par
ailleurs, le contrat d’agence commercial émarge au contrat de distribution
qui ne cesse de s’internationaliser. Il s’articule aussi parfois autour du
contrat de vente, de sorte qu’il n’est pas toujours facile de les démêler. Il
s’agit donc d’une figure contractuelle complexe qui permet la conquête
des marchés étrangers, mais qui est parfois l’occasion d’agissements
malhonnêtes91 renvoyant aux pots de vin versés à titre de commission.
L’Afrique étant souvent perçue comme un terrain de prédilection de ces
types de pratiques, il était nécessaire que le législateur OHADA
intervienne afin de clarifier les choses en la matière, notamment la nature
et l’objet de ce type de contrat.
90
91
Sentence CCI 10264, JDI 2004, n° 4, p. 1255, note SIGVARD JARVIN.
La pratique fait parfois référence à la notion de contrat de commission; ce qui, par
ailleurs explique l’intérêt de la Convention de l’OCDE relative à la lutte contre la
corruption d’agents publics étrangers du 17 décembre 1997. Sur cette Convention,
RACINE J.-B., L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, Paris,
1997, n° 357 et s.
165
Les agents commerciaux sont des mandataires chargés de négocier et,
éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat ou de prestation
de services pour le compte d’une entreprise (mandant), les droits et
obligations des parties dépendront des règles uniformes; à moins que les
parties rapportent la preuve de l’existence d’usages conventionnels valides.
Néanmoins, dans la pratique, la rédaction du contrat d’agence internationale
sera désormais largement facilitée par la publication du « contrat modèle
CCI d’agence commerciale » de la Chambre de Commerce Internationale92.
Le recourt à ce modèle doit être encouragé car il peut servir de plate-forme
quant aux négociations et compléter le droit uniforme OHADA dans les
obligations qu’il impose aux parties entre elles, d’une part, et dans leurs
rapports avec les tiers, d’autre part. Si l’utilisation du contrat modèle CCI
peut déjà dissiper certains malentendus quant à la nature juridique et l’objet
de la relation d’affaire liant l’agent au donneur d’ordre étranger, il faut
toutefois se référer à l’article 184 de l’Acte uniforme OHADA sur le droit
commercial général (AU DCG) pour plus de précisions.
L’article 184 AU DCG définit l’agent commercial comme étant « un
mandataire qui, à titre de profession indépendante, est chargé de façon
permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de
vente, d’achat, de location ou de prestation de service, au nom et pour le
compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents,
sans être lié envers eux par un contrat de travail ». Cette disposition appelle
une séries de commentaires touchant la nature et l’objet même du contrat
d’agence commercial.
En ce qui concerne la nature du contrat, l’agent commercial est un
mandataire et il est le seul parmi les intermédiaires de commerce à être un
92
Doc. CCI, n°496; voir également le Guide pour l’établissement du contrat d’agence,
Doc. CCI, n° 410. Dans le même sens, P.-Y. LUCAS et H. SCALBERT, « Les agents
dans les pays du GCC (Golfe arabique) », Revue Droit des Affaires Internationales,
1993, p.883. Plus généralement P. CRAHAY, Les contrats internationaux d’agence et de
concession de vente, LGDJ, 1991.
166
véritable mandataire, puisqu’il agit « au nom » et « pour le compte » de
producteurs, industriels et commerçants ou d’autres agents commerciaux,
sans être lié envers ces derniers par un contrat de travail. Partant, l’agent
commercial se distingue à la fois, du concessionnaire93 qui achète et revend
en son nom et pour son compte, et du commissionnaire, qui agit en son nom
en tant que personnellement partie aux contrats qu’il conclut et dont il
assume les obligations nées à l’égard des tiers. L’agent commercial se
distingue enfin du courtier dans la mesure où celui-ci se contente de
rapprocher vendeur et acheteur sans représenter l’une des parties. On peut
donc dire que l’agent commercial est le chargé d’affaires permanent de ses
mandants dans le secteur où il accomplit son mandat. Le mandat permanent
de l’agent commercial est un mandat professionnel94, compte tenu de l’objet
du contrat.
En ce qui concerne l’objet du contrat d’agence, l’article 184 AU DCG
précise que la mission principale de l’agent commercial est de négocier,
auprès de la clientèle, les contrats au nom et pour le compte du mandant.
Celui-ci ne sera engagé que s’il accepte de conclure le contrat proposé.
Quelques distinctions peuvent être opérées : le mandant a la faculté d’aller
plus loin et de confier à l’agent commercial la mission de conclure les
contrats avec la clientèle au nom et pour le compte du mandant. Dans cette
hypothèse, le mandant est engagé vis-à-vis de la clientèle par la signature de
l’agent commercial. Dans la pratique, l’agent commercial prospecte la
clientèle, provoque les commandes à l’intérieur du secteur qui lui est
confié95. Il transmet les commandes reçues à son mandant qui conserve la
liberté de les accepter ou de les refuser. Ce dernier doit cependant
communiquer sa décision d’acceptation ou de refus dans un délai
93
94
95
Com., 7 oct. 1977, R.T.D. civ., 1998, p. 150, obs. Pierre Yves GAUTIER.
Jean-Marie LELOUP, « La loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents
commerciaux et leurs mandants ou le triomphe de l’intérêt commun », JCP., 1992,
doct, 3557, p. 78, no 11.
S’il est chargé de commercialiser les produits de haute technologie par exemple, il sera
amené à consulter les clients auxquels il va transmettre les devis du fabricant, il va
négocier ces devis avec ceux-ci ainsi que notamment les modalités d’approvisionnement.
167
raisonnable. L’activité de l’agent commercial est en grande partie imposée
par la nature des produits vendus et les caractéristiques de la clientèle auprès
de laquelle il a reçu le mandat de représenter le mandant96. Mais l’agent
commercial peut aussi agir en qualité de dépositaire des marchandises dont
il en assume la responsabilité. À ce titre, il reçoit les marchandises en dépôt,
les conserve en bon état puis, après conclusion du contrat avec les clients, il
en assure la livraison, la facturation et en perçoit le prix moyennant une
rémunération particulière97. Cependant, en dépit des variantes possibles, la
structure même du contrat et les avantages qu’il procure aux deux parties
liées par le contrat d’agence permettent de soutenir qu’on est en présence
d’un contrat d’intérêt commun.
En effet, la notion d’intérêt commun comme élément caractéristique
du contrat d’agence découle de la doctrine et de la jurisprudence française
qui ont reconnu son existence dans le mandat de l’agent commercial.
Aujourd’hui, l’intérêt commun doit être regardé comme étant une
convergence d’intérêts particuliers marqués d’une part, par l’adhésion du
mandant et du mandataire à une cause commune : la conquête ou la
fidélisation d’une clientèle et, d’autre part, par la participation des deux
parties aux profits et aux risques de l’opération98. La pratique judiciaire et
arbitrale OHADA pourrait reprendre, sans graves mécomptes, cette notion
proche du jus fraternitatis99. La mise en œuvre de cette notion pourrait se
révéler délicate lorsque l’agent sera en charge de plusieurs mandants. À cet
égard, l’article 186, al. 2, AU. DCG prévoit que l’agent commercial ne
96
97
98
99
LELOUP (J.M.), Encyclopédie Dalloz, Agent commercial, éd. 1994, no 50.
PEDAMON (M.), Droit commercial, Précis Dalloz, 1994, p. 597, no 635.
GHESTIN (J.), « Le mandat d’intérêt commun », in Mélanges Derrupé, GLN Joly et
Litec, 1991, p. 105; LELOUP (J.M.), Répertoire Dalloz, Agent commercial, op.cit., no
25; Théo HASSLER, « L’intérêt commun », RTD. Com., 1984, 611; Martine BEHAR
TOUCHAIS, note sous Cass. com., 2 mars 1993, JCP., 1993, II, no 22176; sentence CCI
n° 10264 de 2000, précitée; BRUNET, (A.) : « Clientèle commune et contrat d’intérêt
commun », in Mélanges WEIL , Dalloz 1983, p. 85; GRIGNON (PH.), « Le concept
d’intérêt commun dans le droit de la distribution », in Mélanges Cabrillac, Dalloz, Litec
1999, p. 127.
Sentence CCI n° 10264, précitée.
168
peut pas accepter la représentation d’une entreprise concurrente de celle de
l’un de ses mandants sans l’accord de ce dernier. D’ailleurs, la nature même
des obligations qui lient en général l’agent au mandant empêche, dans la
plupart des cas, une telle attitude contradictoire.
a- Obligations des parties dans l’exécution du contrat d’agence
Deux catégories d’obligations lient les parties. La première catégorie
pose en quelque sorte les principes directeurs (1) et les autres catégories
déterminent les obligations incombant aux parties (2 et 3), ainsi que les
règles gouvernant le dénouement de la relation en cas d’extinction du
contrat (4)
b- Un rapport de confiance
Selon l’article 185, alinéa 2, AU. DCG, les rapports entre les agents
commerciaux et leurs mandants sont régis par une obligation de loyauté et
un devoir réciproque d’information.
L’obligation de loyauté vise la sincérité dans la conclusion du contrat
et la bonne foi dans son exécution. Une telle obligation, de par sa nature,
tend à favoriser l’établissement d’accords durables entre l’agent commercial
et ses mandants qui donnent leur confiance. Concrètement, l’obligation de
loyauté peut se traduire par une interdiction de concurrence de la part de
l’agent100, et par le respect d’une exclusivité concédé par le mandant à
l’agent101. De toute évidence, un des moyens d’éviter les délicats problèmes
que pose l’exécution de l’obligation de loyauté est de stipuler une clause
d’exclusivité par laquelle l’agent commercial renonce à passer des
opérations tant pour son compte personnel que pour le compte de tiers
concurrents.
100
101
En ce sens, article 186, alinéa 2, AU DCG.
Art. 189 AU DCG.
169
Quant au devoir d’information, il est la conséquence directe de la
reddition de compte imposée à l’agent102. Cette obligation s’étend à toutes
les informations dont le mandant aura besoin pour donner des instructions
précises et utiles à l’agent de manière à favoriser une bonne exécution du
contrat d’agence : par exemple, les besoins spécifiques de certains clients,
l’état du marché, etc. Appliqué au mandant, le devoir d’information oblige
ce dernier à fournir à l’agent commercial des instructions fiables concernant
les produits et les services ainsi que les documents et catalogues utiles se
rapportant aux produits et/ou services. En bref, le mandant doit livrer les
informations nécessaires pour mettre l’argent en mesure d’exécuter son
mandat. L’application de cette obligation au mandant peut tendre vers une
formation adéquate (sorte d’assistance technique) permettant à l’agent de se
familiariser avec les produits de haute technologie, par exemple.
Les devoirs de loyauté et d’information sont complétés par d’autres
obligations réciproques imposées respectivement à l’agent et au mandant.
b- Obligations spécifiques de l’agent envers le mandant
Ces obligations sont de deux ordres : la compétence professionnelle et
le devoir de confidentialité.
Un agent commercial doit posséder une compétence professionnelle
particulière103 et disposer, par conséquent, d’une réelle capacité
d’organisation appropriée. À ce titre, il doit exécuter les obligations
découlant de son mandat conformément aux clauses de son contrat. Il doit
dès lors respecter les instructions du mandant, par exemple, visiter la
clientèle selon la fréquence prévue au contrat ou par les usages du secteur
commercial. Lorsqu’il est chargé d’organiser un réseau de distribution,
l’agent commercial s’engagera, par exemple, pour une période donnée, à
provoquer un certain volume de commandes pour un montant minimum de
chiffre d’affaires. Il mettra alors en œuvre tous les moyens nécessaires à la
102
103
Art. 155 AU DCG.
Art. 185, al. 2 AU DCG.
170
réalisation d’un tel objectif. Telle est la portée de l’exigence de compétence
professionnelle. Cette exigence n’est pas sans modération.
Il peut arriver, en effet, que l’objectif ne puisse pas être atteint ou
réalisé. L’agent commercial qui assume une obligation de moyens ne verrait
sa responsabilité engagée que s’il commet une faute dans l’exécution de sa
mission. Il n’en serait autrement que s’il se porte garant envers le mandant
de l’exécution des engagements conclus pour le compte de ce dernier.
Pour ce qui est du devoir de confidentialité, il soumet l’agent
commercial à une obligation quant au secret104 des différentes informations
portées à sa connaissance par le mandant. Il est évident qu’une révélation
par l’agent des informations acquises pendant l’exécution du contrat pourra
nuire aux intérêts du mandant. Lorsque, par une clause de confidentialité,
les parties décident de garder secrètes certaines informations à caractère
technique ou financier, la seule révélation de pareilles informations
constituera, à coup sûr, une violation de l’obligation au secret. Dans les
relations entre l’agent et son mandant, certains faits paraissent
objectivement confidentiels dans la mesure où leur communication à des
concurrents nuirait aux intérêts du mandant. La portée pratique de cette
présomption emporte la conviction. Doivent en conséquence être gardés
confidentiels par l’agent, les secrets de fabrique, les informations
concernant la stratégie commerciale du mandant, les données relatives aux
clients qu’il aurait démarchés lui-même. Toute violation par l’agent
commercial de cette obligation au secret peut facilement constituer une
faute grave entraînant la rupture des rapports contractuels, au sens de
l’article 198-1 AU DCG. Compte tenu de son importance, le devoir de
confidentialité s’étend de la période contractuelle à celle postcontractuelle105.
Qu’en est-il des obligations du mandant?
104
105
Art. 187, al. 1er, AU DCG.
Art. 187, al. 1er, AU DCG.
171
c - Obligations spécifiques du mandant envers l’agent
Le mandant assume deux obligations : celle de mettre l’agent en
mesure d’exécuter le contrat et celle de rémunérer l’agent commercial.
La première obligation n’appelle aucun commentaire particulier. Il
suffit d’ajouter aux remarques formulées précédemment, que le mandant ne
doit pas, lorsque l’agent lui en fait la demande, refuser de fournir à ce
dernier des extraits de documents comptables pouvant lui permettre de
calculer ou de vérifier le montant des commissions auxquelles il a droit. Ce
qui signifie qu’il existe un lien possible entre l’obligation de mise en état
d’exécution et l’obligation quant aux commissions dues, c’est-à-dire, la
deuxième obligation du mandant.
La rémunération de l’agent concerne aussi bien le droit à commission,
l’évaluation de cette commission et les modalités de paiement.
Selon, l’article 188 AU DCG, la commission est tout élément de la
rémunération106. Il s’agit de la contrepartie des services rendus au mandant
par l’agent. Selon l’article 192, alinéa 1er, AU DCG, le droit à commission
est acquis dès que le mandant a exécuté l’opération ou devrait l’avoir
exécuté en vertu de l’accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le
tiers a exécuté l’opération. La réussite de l’affaire est sans incidence sur la
naissance du droit à commission de l’agent commercial. Selon l’article 193
AU DCG, l’extinction du droit à commission n’est possible qu’en cas
d’inexécution contractuelle non imputable au mandant.
Quant au montant de la commission, généralement, le contrat
détermine les modalités de calcul de la rémunération de l’agent. Celle-ci
peut-être calculée en pourcentage des offres acceptées par le mandant sans
considération de leur exécution par ce dernier. Ce mode de fixation semble
106
La rémunération est un terme générique désignant toute prestation en argent ou même
en nature, fournie en contrepartie d’un travail ou d’une activité; la commission se
présente dès lors comme une forme de rémunération.
172
mieux correspondre au principe affirmé par l’article 192 AU DCG selon
lequel la commission est due dès que le mandant devrait avoir exécuté
l’opération en vertu de l’accord conclu par l’agent avec le tiers. Rien en
principe n’interdit aux parties de prévoir que la rémunération sera calculée
selon les commandes acceptées, honorées et après encaissement du prix par
le mandant. Cette clause présente un certain danger pour l’agent, par
exemple, lorsque le mandant ne lui communique pas la liste des commandes
réglées par les clients, ou encore lorsque les commandes ne sont pas livrées
ou encaissées par la faute du mandant. Dans ces deux cas, il y a lieu de
considérer que l’attitude du mandant peut s’analyser en une rupture de
l’intérêt commun; ce qui contrevient à l’article 192 AU DCG et qui est
susceptible d’engager la responsabilité du mandant.
En pratique, il peut s’écouler un laps de temps, plus ou moins long,
entre le moment d’intervention de l’agent et la date de conclusion de
l’opération. Se pose alors la question suivante : si le contrat d’agence vient à
être rompu dans cet intervalle, que doit-il advenir de la commission de
l’agent? Le législateur OHADA prend en compte ce délai de latence et
reconnaît un droit à commission après la cessation du contrat d’agence107. Il
va de soi que l’acquisition de ce droit ne vaudra que pour les contrats
conclus grâce à l’activité déployée par l’agent avant la cessation du mandat.
Du fait de la prorogation, le droit à commission de l’agent subsistera durant
un délai raisonnable, à compter de la cessation du contrat d’agence. De
manière exceptionnelle, lorsque deux ou plusieurs agents se succèdent dans
le même secteur d’activité et auprès de la même clientèle, l’article 191 AU
DCG, prévoit que la commission est due à l’agent dont le contrat prend fin
pour toute opération conclue avant l’entrée en vigueur du contrat du nouvel
agent. Il en est ainsi, contrairement à l’article 190 AU DCG, aux termes
duquel, pour toutes les opérations conclues après la cessation du contrat et à
compter de l’entrée en vigueur du nouveau contrat, la commission est
acquise au nouvel agent. La double commission, distincte du partage de
commission, est ainsi proscrite par le législateur OHADA. Ce qui permet
107
Art. 190 AU DCG.
173
d’éloigner toute tentative de manœuvre obscure dans le cadre du contrat
d’agence.
Finalement, en ce qui a trait au montant de la rémunération, il est
déterminé librement par les parties. Dans le silence des parties, sa
détermination s’effectuera conformément aux usages pertinents du secteur
commercial108. Compte tenu des difficultés de preuve et de validité qui
surgissent à l’occasion d’une prétention basée sur les usages, l’agent
commercial aura droit à une rémunération raisonnable fixée par le juge, le
cas échéant, en considération du montant de l’affaire, la nature et le prix des
biens vendus, le chiffre d’affaires, les difficultés de pénétration du marché.
La dernière question qui subsiste toujours en pratique est bien celle
des modalités de la rémunération. La commission doit être versée à l’agent
au moins une fois par trimestre au plus tard le dernier mois, mais les parties
peuvent déroger à cette possibilité et aménager l’ensemble des modalités de
la rémunération en réponse à leurs besoins; et ce, de manière à éviter les
complications non résolues qui pourraient entraîner toute extinction du
contrat.
d- Dénouement des rapports en cas d’extinction du contrat
Le contrat d’agence peut prendre fin pour toutes les causes indiquées
aux articles 156, et 157 AU DCG. Toutefois, cette cessation obéit à des
règles particulières caractérisées par l’intérêt commun qui fait échec au
principe de la libre révocabilité du mandat civil109.
Ainsi, en cas de rupture anticipée, l’obligation réciproque de préavis
est de mise. L’article 196 AU. DCG soumet le droit à résiliation unilatérale
à un préavis réciproque obligatoire. Cette règle qui s’appliquera aux contrats
108
109
Art. 188, al. 2, AU DCG.
En ce sens, la sentence CCI n° 10264 de 2000 précitée, est une illustration de la
spécificité et de toute l’importance du mandat d’intérêt commun qui déroge tout
d’abord au principe de la révocabilité ad nutum du mandant.
174
à durée indéterminée implique la possibilité pour les parties de se défaire
unilatéralement du contrat. La règle pourra éventuellement s’appliquer au
contrat à durée déterminée lorsque celui-ci continue à être exécuté par les
parties après son terme. Il se produit dans cette hypothèse une sorte de
mutation vers un contrat à durée indéterminée du contrat à durée
déterminée, et ce, en vertu d’une présomption simple prévue à l’article 195,
alinéa 2, AU DCG. Il y a cependant une exception : en cas de faute lourde
ou de force majeure, le préavis doit être donné par la partie qui prend
l’initiative de la rupture. Cette dernière en informe alors son partenaire du
dénouement de la relation. La durée du préavis ne peut être inférieure à un
délai d’un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la
deuxième année commencée et de trois mois pour la troisième année
commencée et les autres années110. La durée du préavis en cas de rupture
d’un contrat à durée déterminée transformé en un contrat à durée
indéterminée se calcule à compter du début des relations contractuelles entre
les parties111.
Qu’advient-il du droit à indemnité de l’agent, dans pareille situation?
La réponse réside dans le libellé de l’article 197 AU DCG qui prévoit le
droit à une indemnité compensatrice sans distinction selon qu’il s’agit d’un
contrat à durée déterminée ou d’un contrat à durée indéterminée. Si le droit
à indemnité est le principe, il reste que dans certains cas l’agent perd ce
droit.
Trois circonstances sont susceptibles de priver l’agent du droit à
indemnité : la faute grave de l’agent, au sens de l’article 198 AU DCG
(refus persistant de l’agent de se plier aux instructions du mandant,
comportements anticoncurrentiels de l’agent tels la violation de la clause
d’exclusivité ou la vente de produits concurrents de ceux du mandant, actes
délictueux dont l’agent se rendra coupable pendant la durée de son contrat,
telle la corruption, révélation des secrets de l’entreprise du mandant), la
démission volontaire au sens de l’article 198, alinéa 2, AU. DCG (la
110
111
Art. 196, al. 2, AU. DCG.
Art. 196, al. 4, AU. DCG.
175
démission provoquée par un événement de force majeure n’entame pas le
droit à indemnité de l’agent commercial), la cession de droits et obligations
contenue dans l’article 198-3 AU DCG. À ces trois événements, il y a lieu
d’adjoindre le cas particulier de l’extinction du droit à indemnité provoquée
par l’inaction de l’agent lui-même. Cette situation visée par l’article 197,
alinéa 2, précise que la notification doit revêtir la forme extrajudiciaire,
notamment par un exploit d’huissier.
Observons en tout dernier lieu, que certaines obligations sont liées à
la cessation du contrat d’agence : l’obligation au secret, l’obligation de
restituer ce qui a été remis, l’obligation de non-concurrence. Les deux
premières sont la conséquence du caractère d’intérêt commun de la relation
qui liait les parties entre elles. Toutefois, pour l’obligation de nonconcurrence, celle-ci peut être déduite des termes de l’article 187, alinéa 2,
AU DCG qui envisage la possibilité d’une interdiction de concurrence
convenue entre l’agent commercial et son mandant sans la restreindre à la
période contractuelle. Ces conséquences post contractuelles sont redoutables
et engendreront à coup sûr des litiges se rattachant à leur durée dans le
temps. Il reviendra à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de
l’OHADA de préciser à travers sa jurisprudence, les limites quant à la
survivance des obligations qui se poursuivent après l’extinction du contrat.
Le système du contrat d’agence OHADA a le mérite de la clarté. On
peut se réjouir de sa mise en place et surtout, de la possibilité déjà acquise
d’une sécurisation contractuelle en la matière, notamment si les entreprises
s’approprient le contrat modèle de la Chambre de Commerce Internationale
en l’ajustant aux besoins de leurs opérations. Il subsiste cependant quelques
doutes quant au fait de considérer la réglementation uniforme OHADA de
l’agence commerciale comme étant finale. En effet, quels sont les défis
futurs dans une perspective où les pays africains de common law en
viendraient à se joindre aux autres pays membres de l'OHADA? La logique
voudrait que la notion d’agency soit prise en considération, tout comme
d’autres instruments internationaux comme la Convention Unidroit sur la
représentation commerciale.
176
A- Une unification inachevée : la persistance de disparités
exogènes
Comme nous l’avions mentionné dans notre introduction,
l’unification du droit des affaires dans l’espace OHADA est loin d’être
achevée. Non seulement certains projets sont présentement en cours,
mais en plus, ceux déjà en vigueur comme le droit de l’agence
commercial ne semble pas avoir tenu compte d’autres instruments
internationaux ou systèmes concurrents. Telles sont les limites du droit
OHADA de l’agence qu’il convient d’examiner, uniquement en guise de
perspectives futures.
1) Une ignorance de la Convention de Genève élaborée par
unidroit
La conférence diplomatique convoquée à Genève a adopté, le 17
février 1983112, l'acte final du projet de convention élaboré par
UNIDROIT sur la représentation dans les contrats de vente
internationale de marchandises. Les représentants de 49 États, parmi
lesquels la Hongrie, ont pris part à la, conférence, et neuf autres États y
ont envoyé leurs représentants en qualité d'observateurs. L'acte final
adopté est le résultat de travaux préparatoires qui avaient duré plusieurs
décennies. À partir de 1935, UNIDROIT s'était déjà chargé d'élaborer
des études relatives à cette question de la représentation dans la vente
internationale si importante du point de vue du commerce international.
Deux projets de convention avaient été publiés en 1961. L'un des deux
portait sur la réglementation de la représentation dans le domaine du
droit international privé, l'autre était relatif à la réglementation des
questions concernant la représentation du contrat de commission dans la
sphère de la vente internationale. Mais cette tentative d'unification du
droit s'est heurtée à des difficultés considérables. Compte tenu de ces
difficultés insurmontables UNIDROIT s'est chargé de codifier une
matière plus limitée concernant le sujet de la réglementation, en
112
Art. 196, al. 4, AU. DCG.
177
l’occurrence, les aspects pratiques des contrats relatifs à la
représentation dans la vente internationale des objets mobiliers. Les
États membres d'UNIDROIT ont reçu en octobre 1973 le projet élaboré
par la commission dont les membres se sont réunis entre 1970 et 1972;
projet auquel s'est ajouté le commentaire élaboré par le Secrétariat. En
décembre 1976, les articles approuvés par la Conférence Diplomatique
ont été publiés, en vertu de la décision prise à la séance de clôture, dans
l'annexe de l'acte final; au total il s'agit de 26 articles.
Le Conseil de direction d'UNIDROIT a pris une décision en mai
1980 selon laquelle il était temps, eu égard à la nécessité de mener de
nombreuses analyses détaillées, de tenir une deuxième conférence en
1981 sur le projet réglementant la représentation. C'est ensuite qu'a eu
lieu l'examen des textes du projet déjà existant de la part de la
Commission composée des experts qui ont représenté les divers
systèmes juridiques. Les décisions du groupe d'experts ont été discutées
à la session du Conseil de direction d'avril 1981. Par la suite, la
Commission, composée des experts gouvernementaux, a tenu ses
séances entre le 2 et le 13 novembre 1981, date à laquelle elle a adopté
la conception générale de la Commission d'experts et a revu le texte
élaboré en 1972 et en 1973 par le Secrétariat. Selon l'opinion de la
Commission composée des experts gouvernementaux, le nouveau projet
fut déclaré apte à constituer une base de discussion par une conférence
diplomatique. D'après l'avis de la Commission d'experts
gouvernementaux, ce projet ne devait pas être considéré comme étant
une sorte de codification de la représentation. Cela s'explique surtout
par le fait que la Commission avait supprimé du texte du projet d'accord
les articles réglementant le rapport juridique intérieur unissant le
représenté et le représentant. En ce sens, ce projet complète les
conventions relatives à la vente internationale, et particulièrement la
Convention de Vienne sur la vente internationale113, car ces conventions
ne prévoient aucunes dispositions pour le cas où le contrat se réalise
avec la participation d'une tierce personne.
113
Art. 196, al. 4, AU. DCG.
178
Aux termes du projet de l'accord, il y a représentation quand le
représentant dispose d'une autorisation, ou bien s'il prétend qu'il a une
autorisation, pour conclure un contrat en faveur d'une autre personne (le
représenté) avec un tiers soit en son propre nom, soit au nom du
représenté (article 1-1 et 4). Dans le texte français on ne trouve pas le
terme «représentant», mais celui « d'intermédiaire », alors que dans le
texte anglais on trouve le terme d'agent. La base du pouvoir de
représentation est exprimée, sur le plan terminologique, dans le texte
français, non pas par le mot « pouvoir» mais par « l'habilitation du
représenté » qui peut être expresse ou tacite (article 9-1). Le contrat de
vente conclu par le représentant en faveur du représenté avec le tiers,
oblige le tiers et le représenté, si le représentant agissait dans le cadre de
son autorisation et si le tiers savait ou devait savoir que la partie
contractant avec lui agissait en qualité de représentant.
Au sens de l'article 13 on ne peut pas considérer comme essentiale
negotii le contrat conclu expressément par le représentant au nom du
représenté. Mais, dans l'hypothèse où la tierce personne et le
représentant qui contracte conviennent que le représentant n'engage que
lui, la situation ressemble à celle ou la tierce personne n'aurait pas su ou
n'aurait pas été en mesure de connaître la qualité de représentant de la
personne qui contracte directement avec lui. Lorsque la tierce personne
ignorait ou bien ne devait pas connaître la qualité de représentant de son
cocontractant, ou lorsque la tierce personne et le représentant sont
convenus que ce dernier n'oblige que lui, selon la principale règle, le
contrat conclu n'oblige que le représentant et la tierce personne (article
13-2). Si le représentant ne s'acquitte pas de ses obligations envers le
tiers ou envers le représenté, ceux-ci sont autorisés à faire directement
valoir leurs droits contre lui, mais le représentant peut présenter toutes
les exceptions que le représenté aurait pu valoir contre le demandeur. Si
le représentant agit sans autorisation ou s'il dépasse les limites de son
autorisation, ses actes, faute d'approbation accordée par le représenté,
conformément aux termes de l'article 16, sont sans conséquence à
l'égard du représenté et du tiers (article 14-2). Mais au cas, où le tiers
179
sur la base du comportement du représenté croit de bonne foi, et a de
bonnes raisons de croire, que le représentant a l'autorisation, le
représenté ne peut pas se servir à son bénéfice du fait du manque de
l'autorisation contre le tiers (article14-2).
Les articles 13 et 14 du projet d'accord traduisent la réalisation
d’une tentative de compromis entre le mandat du droit civil et l’agency
de common law. Le législateur a-t-il opté pour la facilité en ignorant
cette réglementation uniforme ? Seul l’avenir nous le dira, toutefois,
nous encourageons les juristes des pays membres à tenter un
élargissement de leurs connaissances en direction de l’agency qui est
le pendant du contrat d’agence commerciale en droit civil mais qui
comporte des particularités marquantes.
2) Une désinvolture à l’égard de la notion d’agency du
common Law
« Aucune étude du droit des contrats ne saurait être complète sans
un exposé, au moins sommaire, du droit relatif à l'agency », dit le
Professeur Hanbury à la première page de son ouvrage consacré à cette
matière114. L'auteur poursuit toutefois en précisant que les rapports
auxquels donne naissance l'agency sont d'une nature plus complexe que
les rapports contractuels ordinaires, car ceux-ci sont normalement
bipartites alors que dans l'Agency les rapports sont tripartites, mettant en
cause trois personnes.
Le terme « agency » a plusieurs sens ; parmi eux nous retiendrons
ceux d'entremise et de représentation. La définition la plus fréquemment
rencontrée de ce rapport est la suivante : « un rapport qui s'établit au
moyen du pouvoir donné par une personne, appelée principal, à une autre
114
HANSBURY (H. G.), The principles of Agency (2e éd., 1960), p. 1.
180
personne, appelée agent, qui l'accepte, d'agir en son nom »115.
Si l'on envisage la variété des actes que l'agent peut avoir reçu le
pouvoir d'accomplir au nom du principal, il est bien certain que le rapport
d'agency peut se présenter dans un très vaste éventail de situations ; aussi
convient-il de préciser que cette étude se bornera à envisager celles où le
pouvoir dont l'agent est investi lui permet d'établir des relations
contractuelles entre son principal et les tiers.
Dès lors, c'est bien d'une relation tripartite qu'il s'agit, dans laquelle
apparaissent deux catégories de rapports : ceux qui lient entre eux l'agent
et le principal ; et sur un autre plan, ceux qui lient le principal aux tiers,
en conséquence des actes passés par l'agent.
L'existence de rapports entre le principal et le tiers constitue une
anomalie au regard de l'une des règles essentielles régissant le droit
anglais des contrats, à savoir la règle de « privity of contracts », puisque
le principal, sans être intervenu lui-même dans la formation du contrat, va
acquérir des droits et encourir des obligations du fait de ce contrat.
On explique de manière variée l'origine et la forme actuelle de
l'agency dans le droit anglais. Ainsi fait-on valoir la parenté lointaine,
mais très probable néanmoins, entre l'agency et le mandatum du droit
romain, ainsi qu'entre « l'agency de nécessité » et la « negotiorum gestio ».
115
TREITEL (G.H.) The Law of Contract (6e éd., 1983), p. 523. Voir aussi, HOLMES
qui accentue les rapports particulièrement strictes entre la construction de
la répresentation du droit romain et celle du common law : O.W. HOLMES :
« Agency » in : Collected Legal Papers, New York, 1920, pp. 48-116. Cet
article fut publié en deux parties dans le Harvard Law Review/ vol. 4 (1891)
et vol. 5 (1892) ; dans le même sens, BOWSTEAD on Agency, Ed. GRIEW, E.J.
LONDON, 1959, 12e éd., p. 1 ; G.H.L. FRIDMAN : The Law of Agency, London,
1973, 4e éd., § 101, pp. 413 et s. et W.A. SEAVEY : Handbook of the Law of
Agency, St. Paul, 1964, p. 2; H.G. HUNBURY : The Principles of Agency,
London, 1960, 2e éd., pp. 13 et s.
181
Les différences entre les concepts du droit romain et le concept
d'agency sont pourtant considérables116, et il est peut-être plus fructueux de
rapprocher l'agency d'autres types de rapports tels que ceux existant entre «
master » et « servant », ou encore de ceux qui s'établissent dans l'institution
du trust, également caractérisée par des relations tripartites. Dans le
domaine de la responsabilité délictuelle encourue du fait d'autrui, on
s'accorde à reconnaître que les différences sont assez minces entre master
et servant d'une part, et principal et agent d'autre part ; il ne faudrait
cependant pas aller plus loin et dire que la responsabilité est identique dans
les deux cas117. En ce qui concerne le trust, le professeur KEETON, en
particulier dans son ouvrage The Law of Trusts118, évoque le point de vue
de MAITLAND selon lequel l'institution du « use », d'où est né le trust, a
puisé son origine dans les anciennes règles, encore imprécises alors, de la
common law, sur l'agency119. Mais on a également soutenu le point de vue
inverse, à savoir que l'agency aurait emprunté, en partie au moins, ses
règles au trust. La chose certaine est que agency et trust se sont
interpénétrés, de sorte qu'aujourd'hui les discussions et la perplexité sont
grandes pour le juriste qui essaie de démêler très exactement les sources de
chacun de ces types de rapports120.
Dans tous les cas, les auteurs121 sont d’avis que l'agency s’organise
autour de deux considérations de base. D'une part l'agency naît d'un
pouvoir qui est donné par le principal à l'agent et de l'acceptation que celui116
117
118
119
120
121
MULLER-FREIENFELS, « Legal relations in the law of Agency », American
Journal of Comparative Law, vol. 13 (1964), pp. 193 et 341.
FRIDMAN (G.H.), The Law of Agency (5 e édit., 1983), pp. 26-32 et 226-276.
KEETON (G.W.), The Law of Trusts (10 e édit., 1974), p. 18.
MAITLAND, Collected Papers, vol. III, p. 321.Art. 196, al. 4, AU. DCG.
HANSBURY (H.G.), The Principles of Agency (2 e éd., 1960), p. 3.
HANSBURY (H.G.), The Principles ofAgency (2 e éd., 1960) ;-FRIDMAN'S
Law of Agency (5 e édit., 1983) ; STEPHEN’S Commentaries, vol. III : The
Law of Contract and Torts, p. 320 and s. ; CHESHIRE and FITFOOT, The Law
of Contract (6 e éd., 1964), p. 400 à 433 ; ANSON’S, Law of Contract (23 e
éd., 1969), p. 541 à 586 ; - TREITEL (G.H.) The Law of Contract (6 e éd.,
1983), p. 523.
182
ci donne de représenter le principal. D'autre part, elle suppose l'intention de
l'agent, dans ses rapports avec le tiers contractant, de représenter le
principal. C’est du reste sur la base de ces deux considérations que la
Convention de Genève a tenté un rapprochement entre les conceptions de
droit civil et de common law relatives à l’agence commerciale.
Ainsi, le compromis réalisé en faveur de la common law est très
présent dans la convention de Genève susmentionnée. En effet, l'article
13-2 qui contient essentiellement l'institution de l'undisclosed agency
milite en ce sens. Le contrat conclu sur la base des règles juridiques
prévalant dans les systèmes de droit du continent européen oblige
généralement le représentant et la tierce personne qui contracte avec
exclusivité. La common law permet, en revanche, la réalisation des
effets juridiques dans le rapport du représenté et de la tierce personne.
Néanmoins, la solution de l'article 13-2 se trouve à mi-chemin entre les
deux conceptions diamétralement opposées. Conformément à la règle
principale, le représentant n'oblige que lui-même; c'est la prise de
position qui est dominante dans les systèmes juridiques continentaux.
Mais, au cas où leurs intérêts l'exigent, le représenté et la partie tierce
peuvent intenter une action contre le représentant; c'est la solution de la
common law. L'article 13-7 mérite d'être mentionné; selon lequel on ne
peut pas intenter une action, ou en d'autres termes de faire valoir le droit
en forme directe, si le représentant et le tiers sont convenus, avec le
consentement du représenté d'exclure le procès.
L'article 14-2 est, à vrai dire et en se servant de la terminologie de
la common law, une apparent authority ou, en d'autres termes, une
ostensible authority. En passant en revue les positions prises dans la
doctrine au sujet de l'authority on peut constater que c'est un acte
juridique conformément à l'opinion majoritaire qui se sépare du rapport
intérieur revêtant la forme du rapport contractuel. Néanmoins, cette
séparation est relative.
L'obstacle structurel au rapprochement des règles de droit dans les
différents systèmes juridiques contemporains se présente de façon
183
exemplaire dans le domaine de la représentation122. La raison principale
en est que l'institution de l'aqency de la common law a des différences
essentielles par rapport aux constructions de la représentation connues
dans les systèmes juridiques continentaux. La fiction de l'identité
(fiction of identity) de l'agent et du principal sert de base à l'agency 123.
Le rapport entre eux n'est pas un rapport contractuel, mais est dit
domestic status. Le caractère hiérarchique du rapport entre le principal
et l'agent perd de son importance avec l'écoulement du temps. Dans ce
122
123
Voir M. MATTEUCCI : «Les dispositions sur la représentation analysées
sons l'aspect méthodologique » in : « Unification and Comparative Law »
in Theory and Practice. Contributions in honour of J.G. SAUVEPLANNE.
Antwerp-Boston-London-Frankfurt, 1984, pp. 173 et s.
Butwick v. Grant [1924] 2 K.B. 483; Pollock v. Stables (1848) 12 Q.B. 765;
eynolds v. Smith (1893) 9 T.L.R. 494; Perry v. Barnett (1885) 15 Q.B.D. 388;
Seymour v. Bridge (1885) ,14 Q.B.D., 460; Watteau v. Fenwick (1893) 1 Q.B.
346, 348; Edmunds v. Bushell and Jones (1865) L.R. 1 Q.B. 97; Daun v.
Simmins (1879) 41 L.T. 783; Watteau v. Fenwick [1893] I Q.B. 346; Keighley
Maxsted and Co. v. Durant (1901) A.C. 240; Keighley Maxsted and Co. v.
Durant (1900) 1 Q.B. 629; Re Tiedemann and Ledermann Frères (1899) 2
Q.B. 66; Ashbury Railway Carriage and Iron Co. v. Riche (1875) L.R. 7 H.L.
653; Kelner v. Baxter (1866) L.R. 2 C.P. 174 ; - Newborne v. Sensolid (Great
Britain) Ltd [1954] 1 Q.B. 45; Kelner v. Baxter (1866) 15 L.T. 213; Boston
Deep Sea and Ice Co. v. Farnham (1957) 3 All E.R. 204; awson v. Hosemaster
Machine Co. Ltd. (1966) 2 All E.R. 944, 951;Watson v. Swann (1862) 2 C.B.
(N.S.) 756; Cornwall v. Wilson (1750) 1 Ves. 509; Moon v. Towers (1860) 8
C.B. (N.S.) 611; Foreman and Co. Pty Ltd. v. The Liddesdale [1900] A.C.
190; Lewis v. Read (1845) 13 M. and W. 834; Union Bank of Australia v.
McClintock (1922) 1 A.C. 240; Bolton Partners v. Lambert (1889) 41 Ch. D.
295; Bolton Partners v. Lambert (1889) 41. Ch. D. 295; Kidderminster
Corporation v. Hardwick (1873) L.R. 9 Exch. 13; Warehousing and
Forwarding Co. of East Africa Ltd. v. Jafferali and Sons Ltd. (1963) 3 AIl
E.R. 571 (1964) A.C.I. ; Bonsor v. Musicians Union (1955) 3 All E.R. 518
(1956) A.C. 104; Allam and Co. v. Europa Poster Services Ltd.(1968) 1 All E.
R. 826. per Buckley J., p. 832; Mayor of Salford v. Lever (1891) 1 Q.B. 168;
Way v. Latilla (1937) 3 All E.R. 759; Butwick v. Grant (1924) 2 K.B. 483; Herson
v. Bernett (1954) 3 All E.R. 370.
184
processus pluriséculaire, les rapports de commerce ont joué un rôle
considérable. Néanmoins, dans la sphère de ce nouveau caractère du
rapport principal-agent, la fiction of identity continue à maintenir sa
nature objective.
Les limites de la présente étude ne permettent d'analyser
profondément les caractéristiques de l'agency, toutefois, il est possible
sous une forme schématique, d’en saisir les éléments qui la distinguent de
la représentation contractuelle des droits continentaux. Ces droits
considèrent comme éléments de la notion de la représentation
contractuelle, d'une part, que le représentant agisse sur la base de
l'autorisation du représenté et dans les cadres de celle-ci, et d'autre part,
qu'il contracte avec le tiers (dans le cadre d'une vente internationale) au
nom et au profit du représenté, en rendant public sa qualité. Selon
l'opinion commune, ce sont les conditions conjonctives de la réalisation
des effets juridiques du contrat, dans la personne du représenté.
L'agency ne correspond à la représentation connue dans les
systèmes juridiques du continent européen qu'avec des corrections dues
à ce que les caractéristiques juridiques du rapport principal/ agent ont
subi l'influence du rapport hiérarchique master/servant. Il est notable
que même aujourd'hui le terme anglais representation embrasse le
rapport master/agent. L'agency est un rapport de nature fiduciaire
reposant per definitionem sur une base consensuelle qui permet au
principal de disposer du droit de contrôle sur l'agent sachant que
l'agent a, quant à lui, le pouvoir d'exercer une grande influence sur les
rapports juridiques du principal124. L'élément essentiel de l’agency est
que le principal a le droit de contrôler l'activité de l'agent. Le contrôle
sépare l'agent de l'independent contractor. Les autres éléments
essentiels de l'agency sont le consent et l'authority qui se distinguent
difficilement l'un de l'autre.
124
Voir G. HAMZA : La représentation contractuelle. Examens dogmatiques
et théoriques des droits antiques jusqu’à nos jours (avec résumé en
allemand), Budapest, 1997, 2 e éd., pp. 20 et s.
185
A la différence de la théorie de la représentation connue dans la
doctrine civiliste, le rapport intérieur dont la base est le plus souvent le
mandat (conformément à, l'article 1984 du Code civil français), ne se
sépare donc pas nettement du rapport extérieur. Mais en common law,
c'est sur la base de l'authority que l'agent reçoit la légitimation pour
conclure le contrat avec le tiers. La particularité de cette légitimation est
que l'agent n'est pas tenu d'intervenir au nom du principal. Le rapport
fiduciaire entre le principal et l'agent, c'est-à-dire le rapport ne reposant
pas nécessairement sur une base contractuelle, l'enchaînement du
rapport intérieur et du rapport extérieur et la conclusion du contrat de la
part de l'agent en son propre nom, constituent les différences
essentielles de la construction de représentation avec les systèmes de
droit civil. Ces différences constituent le principal obstacle au
rapprochement ou, en d'autres termes, à l'unification des règles relatives
à la représentation qui existent dans les différents systèmes juridiques.
L'analyse de la structure de la représentation, menée dans le
système de common law contraste de loin avec les systèmes de droit
civil. Ce qui porte visiblement témoignage de problèmes dogmatiques
de grande portée quant à la représentation commerciale dans les
échanges économiques. Toutes les constructions dogmatiques, qu'elles
soient ou non purement doctrinales, sont, sous un certain rapport,
problématiques, comme le démontre la complexité de la question du
rapport intérieur entre le représenté et le représentant. Compte tenu des
traits particuliers du rapport intérieur, ou en d'autres termes du rapport
de base, il ne serait pas juste de qualifier d'adéquate ou moins adéquate
l'une ou l'autre des constructions.
Quelles réflexions critiques peut-on faire de la mise à l’écart par le
législateur OHADA de la Convention de Genève et de la notion
d’agency ?
L’unification du droit est généralement perçue comme l’occasion
ultime de réaliser un compromis entre divers systèmes juridiques. Il se
trouve aussi que le continent africain connaît les mêmes difficultés que
186
le reste du monde en la matière. En effet, sans entrer dans les éléments
relatifs à un certain particularisme comme les différences religieuses,
l’analphabétisme et les traditions propres à chaque milieu, le continent
africain du fait de l’histoire est partagé entre deux systèmes juridiques :
le droit civil importé par les colonisateurs français et le common law
importé par les anglais. Le réalisme aurait conduit le législateur
OHADA à ne pas fermer les yeux sur cette entrave au commerce
Sud/Sud et Nord/Sud. Dans les deux cas, un commentaire général
s’impose, compte tenu des raisons qui justifient l’œuvre du législateur
OHADA.
La persistance du sous-développement économique des États africains
au tournant d’un siècle dominé par la mondialisation a provoqué la naissance
de l'OHADA qui tire sa spécificité du fait qu’elle a commencé par
l’harmonisation du droit des affaires avant l’intégration économique alors
que très souvent c’est l’inverse qui est réalisé. L’objectif des États
signataires est celui de la primauté de l’idée de développement
économique, toutes autres considérations devenant secondaires par rapport à
cet objectif principal. Cet objectif soulève trois séries de problématique. Si
l’Afrique veut réellement éviter une autre forme de balkanisation
économique et prendre part à la valse de mondialisation, doit-elle poursuivre
l’évolution de sa globalisation régionale du droit des affaires en marge
d’autres tendances universelles ou régionales?
La lecture des travaux préparatoires du Traité et des Actes Uniformes
de l'OHADA rend aisément compte de la philosophie économique de
l’Organisation : celle du développement par la promotion de la « libre
entreprise », qui est au centre de la thématique de son corpus législatif et
dont la vie (depuis sa naissance à sa dissolution) fait l’objet de règles
détaillées et modernes. Dans le contexte économique mondial prévalant,
caractérisé d’une part par l’âpreté de la concurrence et l’agressivité des
marchés internationaux, et d’autre part par la faiblesse des marchés internes,
les promoteurs de l'OHADA ont très sensément opté pour la stratégie de
groupe. Celle-ci a abouti à la mise en place de plusieurs Actes uniformes
187
apte à rétablir un courant de confiance en attirant dans la région les
investissements économiques125. Le droit de l’agence commerciale se situe
dans cette perspective. Mais dans la mesure où son contenu contraste avec le
droit anglo-saxon en vigueur dans les pays voisins comme le Ghana, le
Nigéria ou l’Afrique du Sud, des conflits de différences émergeront très vite
à l’occasion d’échanges commerciaux inter-africains.
Par ailleurs, la vitesse à laquelle se poursuit les exercices de
rénovation en cours, sans réflexion critique impliquant suffisamment les
institutions internationales (CNUDCI, UNIDROIT, CCI) inquiète les
milieux professionnels. À notre avis, dans le domaine du droit des affaires
internationales, l’Afrique n’a aucun intérêt à faire chemin à part. Elle doit se
doter d’un système juridique qui sécurise et favorise les investissements tant
locaux qu’internationaux. À cet égard, la doctrine se révèle déjà très critique
vis-à-vis de certains Actes Uniformes. Par exemple, Hannah Buxbaum126
relève à propos des lettres de garantie OHADA que « this law […] does not
seek to implement a fully modernized security regime ». Dans le même
sens, les représentants de l'OHADA, présents pour la première fois au
Congrès Anniversaire d’UNIDROIT organisé à Rome en 2003, y ont
présenté leur corpus législatif, notamment en matière de vente, de
représentation commerciale et d’arbitrage international. Les débats dans le
cadre de ce forum ont mis à jour de nouvelles frayeurs. En effet, l’exposé du
juge Kenfack qui a fait ressortir le caractère impératif de l’ensemble du
corpus juridique OHADA n’a causé d’autres conséquences que celles d’une
bombe atomique. Particulièrement, le professeur Catherine Kessedjan
125
126
R. GRANGER, « Problèmes d’application du droit moderne dans les pays en voie de
développement », Ann. Univ. Madagascar, vol. 2, 1965, p. 113-128; R.GENDARME,
« Problèmes juridiques et développement économique »; in A. TUNC, dir., Les aspects
juridiques du développement économiques, 1966, p. 25-58; M. PETIT-PONT,
Structures traditionnelles et développement, 1968; A.N. ALLOIT, « Legal
Development and Economic Growth in Africa » in N.D. ANDERSON, éd. « Changing
Law in Developing Countries », 1963, p. 194-209; R. SEIDMAN, The State, Law and
Development, 1978,
In Revue de Droit Uniforme, 2003, no 1, 2, p. 333.
188
(responsable des futures règles de procédures civiles transnationales) et
Michael Joachim Bonell (qui a présidé à l’élaboration des Principes
d’Unidroit) ont manifestement déploré le fait qu’une normativité juridique
de ce type s’écarte parfois des besoins des opérateurs du commerce
international127. Les mécanismes en place sont nettement inspirés du droit
civil. Or, il existe des techniques de common law en la matière très prisée
par le milieu des affaires internationales. C’est pourquoi nous pensons que
la probabilité accrue d’un ralliement de pays africains de common law ne
manquera de rapporter le sujet sur la table des négociations.
CONCLUSION
L’unification du statut juridique des intermédiaires ainsi que la
réglementation spécifique du contrat d’agence commerciale participent au
souci de sécurisation des investissements étrangers dans l’espace juridique et
économique OHADA.
Cependant, s’il est vrai que l’Afrique a tant besoin de rénover
l’ensemble de ses lois devenues vétustes et inadaptées à son économie
locale; cette réalité en appelle une autre qui est celle de l’internationalisation
du droit des affaires128. Cette dernière représente à elle toute seule un
véritable défi pour le développement du continent. Ainsi, quelle originalité
se doit de comporter le droit africain pour mieux répondre aux exigences de
la mondialisation du droit des affaires? L’Afrique doit-elle dans son élan de
refondation sociale à travers une réformation du droit des affaires trancher
ses amarres avec le reste du monde ? Doit-elle chercher à coup sûr à se
protéger contre les forces multinationales ? Doit-elle privilégier davantage le
contexte d’échanges économiques Sud/Sud ? La réponse à ces questions est
127
128
In Revue de droit Uniforme, id., p. 175, in fine.
Voir en ce sens les études autour du thème : L’internationalité dans les institutions et le
droit-Convergences et défis, Études offertes à A. PLANTEY, Paris, Pedone, 1995, 311
pages; ainsi que les travaux du CREDIMI sur : La mondialisation du droit, Paris, Litec
2000, 609 pages.
189
difficile à apporter; mais nous croyons fermement que le régionalisme peut
permettre l’éclosion d’un certain particularisme juridique. Toutefois, ce
particularisme ne doit pas s’écarter des valeurs marchandes universelles sur
lesquelles un consensus se fait jour au sein des institutions de la gouvernance
mondiale, comme l’Organisation Mondiale du Commerce, Unidroit, la
Chambre de commerce Internationale, par exemple. Ces institutions
contribuent amplement à la construction du droit dans l’élaboration de
Conventions internationales, de lois types, de codifications privées et même
de contrats types. La question, toute simple, qui vient à l’esprit est celle de
savoir dans quelle mesure la réforme juridique en Afrique tienne compte de
l’élan des institutions de la gouvernance mondiale? Une chose est certaine,
le développement économique du continent africain dépendra en grande
partie, certes d’innovations qui tiennent compte de son particularisme, mais
aussi de sa capacité à partager avec le reste de la communauté internationale
certaines valeurs universelles (shared values)129. Le réel défi futur consistera
à déterminer ce particularisme, qui du reste devient compliqué du fait de
l’histoire. À titre d’illustration, sans préjuger de l’existence ou non d’un
certain particularisme, le droit uniforme OHADA des intermédiaires de
commerce est nettement inspiré du droit civil, en général, plus précisément
du mécanisme du mandat. Or, il existe des techniques de common law en la
matière très prisée par le milieu des affaires internationales. D’ailleurs, la
probabilité accrue d’un ralliement de pays africains de common law ne
manquera pas de rapporter le sujet sur la table des négociations. En effet, les
colonies anglaises d’Afrique ont pour système de droit le common law qui
est différent du droit civil français. Comment arrimer ces systèmes
ensembles, s’agissant des contrats d’intermédiaires? Il est difficile d’apporter
une réponse précise; toutefois, compte tenu de l’intérêt de la question, nous
129
En ce sens aussi, PH KAHN, L’internationalisation du droit de la vente, in Mélanges
PLANTEY, op. cit., note 5, p. 297; P. JUILLARD, Existe-t-il des principes généraux du
droit international économique?, id., p. 243; C. GAVALDA, L’internationalisation du
droit bancaire, id., p. 273; A. PELLET, La lex mercatoria : tiers ordre juridique?
Remarques d’un internationaliste de droit public, in Mélanges Kahn, précité, note 5, p.
53; M. VIRALLY, Un tiers droit? Réflexions théoriques. In le droit des relations
économiques internationales – Études offertes à B. GOLDMAN, Paris, Litec, 1982, p.
373-385.
190
consacrerons une étude spécifique sur le contrat d’agence au sein du droit
OHADA et envisager du même coup la question du caractère inachevée du
processus d’unification de l’agence commerciale OHADA qui est
certainement le chapitre le plus important de la réforme du droit des
intermédiaires dans les relations économiques, en général, et internationales,
en particulier.
191
Table des matières
INTRODUCTION……………………………………………………
I. Les dispositions communes relatives au statut juridique et
aux obligations des intermédiaires de commerce…………..….
A.
Qualification et champ d’activités…..…………………
B.
Usages commerciaux et détermination des pouvoirs de
l’intermédiaire…………………………………….…….
C.
Obligation des parties dans un contrat d’intermédiaire…
1. Obligations du représenté et de l’intermédiaire…….
2. Interférence des tiers dans les contrats
d’intermédiaires……………………… ..…..…..…..
3. Extinction du contrat d’intermédiaire et ses
effets………………………………………..….…...
II.
Le contrat d’agence commerciale OHADA : une entrée
dans l’ère de la sécurité juridique ?......................................
A.
Contenu de la réglementation uniforme spécifique à
l’agence commerciale………………..………………..
1. Nature et objet du contrat…………………………..
2. Obligations des parties dans l’exécution du contrat
d’agence…………………………………….….……..
a) Un rapport de confiance…………..….…….
b) Obligations spécifiques de l’agent envers le
mandant………….. ……………….….…
c) Obligations spécifiques du mandant
envers l’agent……………………..….…….
d) Dénouement des rapports en cas d’extinction
du contrat………………………………...….
B.
Une unification inachevée : la persistance de disparités
exogènes………………………………………………...
1. Une ignorance de la Convention de Genève élaborée
par unidroit………………..…………………….…..
2. Une désinvolture à l’égard de la notion d’agency du
common Law ………………………..………….
CONCLUSION……………………………………………………..
192
2
7
9
15
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