"Platonov" en queue de pie et au vin rouge

Transcription

"Platonov" en queue de pie et au vin rouge
« Platonov » en queue de pie
et au vin rouge
Copyright : Benoit Jeannot
Platonov est une pièce qui pourrait se résumer assez
simplement : dans une commune de la Russie rurale où tout le
monde s’ennuie, un homme chamboule les habitudes des
villageois à tel point que nul ne vivra plus jamais comme
avant. Un héros créateur de scandale, critique des pères,
provocateur qu’aucune convention n’arrête… Benjamin Porée
respecte l’essence de la pièce et nous en propose une lecture
très esthétique.
C’est le gigantesque espace des Ateliers Berthier qui sert de
cadre au drame. Ce qui frappe avant même le début de la
représentation, c’est l’utilisation de la scène par le décor.
Cette sensation de profondeur nous habite du début à la fin.
Elle est une composante essentielle de la mise en scène[1. Le
spectacle a été créé le 11 mai 2012 au Théâtre de Vanves].
Benjamin Porée est lui-même l’auteur de cette scénographie
dans laquelle il a orchestré ses acteurs. Le parti pris n’est
pas au réalisme : la première action pourrait se situer dans
un jardin du sud de la Russie comme dans la cours d’un mas de
Provence. Chaque image qui compose les tableaux qui se
succèdent est très réussie. La première partie du spectacle
est collégiale : jusqu’à une quarantaine d’acteurs viennent
occuper le plateau pour le bal. Puis, la cour d’école est
occupée par une forêt de balançoires qui descendent du
plafond. Enfin, le dénouement se déroule dans le salon du
domaine familial, pièce meublée dans une ambiance Belle Époque
déglinguée où une immense peinture abstraite fait office de
toile de fond. Toutes ces images sont mises en lumière
magnifiquement par Marie-Christine Soma, qui, avec ce qu’il
semble être une simple ampoule, nous fais basculer de la
liesse populaire à la tristesse intime des personnages.
Dans cette succession de décors, les comédiens évoluent et
montent en puissance dans leur jeu tout au long du spectacle.
Un démarrage difficile pour une fin réussie
Car dans les premières scènes, les textes sont dit
mécaniquement, les personnages (hormis Platonov) ne se
démarquent pas les uns des autres, les actions sont molles et
manquent de motivation… Mais après peut-être est-ce un choix
de Porée pour représenter dans quel ennui ces villageois sont
agglutinés. Si tel est le cas, le but est atteint : pendant la
première heure, le public s’ennuie autant que les personnages.
Puis, le banquet arrive. D’une manière générale, cette scène
bien composée mais manque un peu de folie : c’est très sage.
La volonté d’une démarcation générationnelle ne ressort pas.
Ici, la révolution des consciences se fait au vin rouge, pas à
la vodka. On y voit Platonov comme une sorte de Valmont bas de
gamme qui planifie ses conquêtes de la nuit à venir. Tout cela
manque de naturel, de distance, et peut-être même d’une
certaine grandeur. Néanmoins, on sent un changement à venir,
une nouvelle étape de la montée en puissance grâce à la scène
où la générale Anna Petrovna se déclare à Platonov.
À partir de cet instant, la suite de la pièce est sans fauxpas. On est véritablement surpris, Sofia Iegorovna (Sophie
Dumont) fait enfin ressortir son talent face au héro, Sacha
(Macha Dussart) est particulièrement touchante dans l’attente
de son mari dont elle ressent la tromperie… Cette lancée se
poursuit après l’entracte où la chambre du héros ressemble à
la pièce d’un squat. Enfin ! Moins de sagesse, plus
d’insalubrité. On gagne véritablement en profondeur de jeu :
le contraste d’avec la scène d’exposition est surprenant. On
ressent désormais la sensation des personnage : celle de
n’être personne et la colère de ne rien pouvoir y changer. On
ressent cette douleur dûe à désillusion collective, on partage
cette prise de conscience générale de subir une vie de merde
qui nous colle
la peau, jusqu’à l’explosion finale.
Ce qui avait commencé comme un cauchemar se termine comme un
joli rêve pour le spectateur, et si cette création n’est pas
parfaite, elle a le mérite d’être réussie.
Pratique :
Jusqu’au 1er février 2014 aux Ateliers Berthier,
14 boulevard Berthier (75017 Paris).
Du mardi au samedi à 19h00. Le dimanche à 15h
Durée du spectacle : 4 h 30 [avec un entracte de 30 minutes]
Tarifs : de 6 à 30 euros.
Réservations au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu.