Adaptation du mode de conduite dans le vignoble nantais

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Adaptation du mode de conduite dans le vignoble nantais
Adaptation du mode de conduite dans le vignoble
nantais
Soucieux de prévoir l’adaptation du vignoble à de nouvelles contraintes, les administrateurs du
Syndicat de Défense des Appellations d’Origine Muscadet (SDAOC) ont souhaité qu’une réflexion sur
les itinéraires soit entreprise et qu’un travail sur le mode de conduite et les écartements entre rangs
soit mené. Cette mission a été confiée à Sophie DE BEAUMONT, pilotée par un groupe de travail
réunissant techniciens et professionnels du vignoble nantais. Ce document est une synthèse du
rapport réalisé par Sophie DE BEAUMONT suite au travail du groupe « système de conduite ». Il
répond aux questions suivantes : Pourquoi changer de mode de conduite ? Comment est-ce
possible ? Il apporte également des éléments sur les conséquences sur la vigne et le vin, les coûts de
production et les impacts environnementaux qu’une adaptation des itinéraires et du mode de
conduite peut entrainer.
1 Pourquoi envisager un changement du mode de conduite ?
Un appareil de production vieillissant
Au dernier recensement général agricole de 2000, près de la moitié du vignoble nantais se composait
de vignes de plus de 30 ans, et seul 3% du vignoble était âgé de moins de 3ans (proportion la plus
basse parmi tous les vignobles de Loire).
En effet depuis les années 90, le renouvellement
du vignoble est très faible et depuis 2003, le taux
de renouvellement est passé sous la barre de 0,5%.
Par ailleurs, les équipements sont peu renouvelés
(le degré de vétusté des équipements est estimé à
70% 1). Si l’on souhaite maintenir la production, un
renouvellement de l’appareil de production doit
s’opérer : atteindre un taux de renouvellement du
vignoble de 2,5% minimum et un degré de vétusté
de 50% maximum.
Avant d’effectuer ce renouvellement, il est opportun de réfléchir sur la pertinence des itinéraires et
du mode de conduite actuels par rapport au nouveau contexte.
Un mode de conduite qui a évolué au cours du temps : de la vigne en foule au mode de
conduite actuel
Avant le phylloxera, la vigne était plantée en foule à des densités proches de 10 000 pieds/ha. Au
cours du temps, le mode de conduite de la vigne en pays nantais s’est peu à peu transformé. Les
grandes évolutions, comme la plantation du vignoble en ligne, ont eu lieu avant la création de l’AOC
Muscadet. A la création de l’AOC, peu de règles étaient spécifiées au décret et peu à peu, les usages
et pratiques les plus répandus ont été transcrits dans les textes : densité minimale de 6500 pieds/ha,
écartement inter-rangs d’1,45 m, palissage sur 1 ou 3 fils. Avec les moyens culturaux que l’on
possédait à la création des AOC Musdadet en 1936-1937, seules les fortes densités permettaient
1
ROSACE 44; 2008. Repère technico-économique en viticulture. Résultats par systèmes en
2006/2007. Chambre d’Agriculture Loire Atlantique ; Février 2008
l’obtention de vins de qualité. Lors de la mécanisation, les exploitations ont supporté des
investissements dans des matériels spécifiques et adaptés aux conditions du vignoble. Tant que
l’environnement et les contraintes restaient identiques, il n’y avait pas lieu de modifier le mode de
conduite.
Des nouvelles contraintes environnementales qui remettent en cause l’entretien du sol dans
le vignoble
Aujourd’hui, la société prend de plus en plus en compte l’importance du respect de l’environnement
par les activités humaines. Le Grenelle
impose
de
nouvelles
règles
environnementales que le vignoble ne
peut ignorer, notamment en matière
d’utilisation de produits phytosanitaires.
Un
objectif
du
Grenelle
de
l’environnement, faisant l’objet d’un
consensus, fixe une réduction de 50% de
l’usage des pesticides d’ici dix ans ; un
autre concerne l’interdiction de matières
actives. Pour les traitements des maladies
et ravageurs, la recherche et l’industrie
travaillent sur le sujet pour proposer des
solutions alternatives. Par contre, en matière d’entretien du sol, des techniques alternatives au
désherbage sur toute la surface sont éprouvées. Les molécules disponibles pour le désherbage sont
peu à peu interdites : après l’interdiction de la Simazine en 2001, du Diuron solo en 2002 et de la
Terbuthylazine en 2003 ; le Diuron en association est interdit d’utilisation à la fin de l’année 2008,
parmi les molécules concernées par des interdictions d’ici à 2010, se trouvent le Diquat, le
Glufosinate (Basta) ou la Flumioxazine (Pledge). Ces interdictions sont indicatrices de la forte remise
en cause du désherbage chimique.
Le désherbage chimique total pratiqué à 70% dans le vignoble nantais pour l’entretien des sols ne
pourra pas être poursuivi. Une réflexion pour l’adaptation des itinéraires doit être menée tout en
prenant en compte les opportunités et contraintes.
Un contexte économique fragile
Le contexte économique fragile ne permet pas une augmentation des coûts de production du raisin.
En effet, depuis plusieurs années, les cours sont inférieurs de 45 à 80 €/hL au coût de production
(campagnes 2004/2005 à 2006/2007). Si la campagne 2008 a connu une forte remontée des cours, ils
sont encore inferieurs aux coûts de production de 21 à 29 €/hL sur les mois de mars à mai 2008. Ces
dernières années, les opérateurs ont dû faire des choix et n’ont pu ni renouveler correctement le
capital, ni rémunérer décemment la main d’œuvre. Ceci ne peut être une solution que de manière
transitoire. Même avec la remontée des cours par rapport aux années précédentes, il n’y a pas de
marge pour une augmentation des coûts de production. Il est important qu’un équilibre soit trouvé à
un niveau stable et durable.
Coût de
production €/hL
Moyenne
2004/2005 à 2006/2007
Cours moyen
Différence
€/hL
€/hL
Moyenne
mars à mai 2008
Cours moyen
Différence
€/hL
€/hL
Muscadet AC
138
69
-69
117
-21
Muscadet Sèvre et Maine
156
76
-80
127
-29
Muscadet Sèvre et Maine sur lie
156
111
-45
129
-27
2
Vers plus de main d’œuvre salariée
Le manque de main d’œuvre est une contrainte pour les opérations au vignoble. Avec des probables
cessations d’activités, les hectares concernés seront reportés sur les exploitations existantes. La main
d’œuvre familiale étant sollicitée au maximum, plus de main d’œuvre salariée sera nécessaire pour
l’entretien du vignoble dans les années à venir.
Revenir à un labour en plein sur la totalité des surfaces n’est pas généralisable à l’échelle du
vignoble pour des questions de coûts de production et de temps de travail. Une modification
permettant d’élargir les rangs et rendant possible le passage d’un tracteur interligne ainsi
que la mise en place de techniques mixtes d’entretien du sol apparaît comme une alternative
intéressante.
Le contexte réglementaire de l’AOC encadre la production du Muscadet et ne permet pas un
changement des conditions de production sans étude préalable pour garantir un produit de
qualité équivalente.
Aussi, l’itinéraire et le mode de conduite recherchés doivent répondre aux objectifs suivants :
conserver un même potentiel qualitatif au vignoble pour garder le même produit
être économiquement acceptable
optimiser les besoins en main d’œuvre
minimiser les impacts environnementaux (pollution, paysage viticole etc…)
2 Comment changer de mode de conduite ?
Selon les experts, le critère Surface Foliaire Exposée (SFE par ha) rapportée à la charge en raisin
(exprimée en kg/ha) prime sur les critères de densité de plantation et est plus pertinent du point de
vue agronomique. La densité ne peut, à elle seule, caractériser la qualité d’un mode de conduite mais
elle est la résultante des choix : espacement entre les rangs, surface foliaire et charge en raisins.
Sur vignes palissées 3 fils, la SFE est mesurable de façon simplifiée par la Surface Externe du Couvert
Végétal (SECV)
SECV = [(2 H+e)/E]x 10000 en m²/ha
H = 0,85 m
correspond à la hauteur de rognage r (1,30 m) moins
la hauteur sous le feuillage T (0,45 m)
• e = 0,40 m
• E = 1,45 m
SECV = 14 482 m²/ha
•
La charge en raisin est exprimée par le Poids de Raisins (PR) en kg/ha.
Aussi au rendement de base (65hl)2 : 8 500kg/ha
SECV/PRACbase = 1,7 m²/kg
A la charge maximale à la parcelle (88hl) : 11500 kg/ha
SECV/PRACmax = 1,2 m²/kg
Pour permettre de conserver les mêmes potentialités qualitatives au vignoble tout en conservant
une homogénéité paysagère, il est possible pour des vignes palissées d’augmenter l’écartement E
2
Exemple pour l’AOC Muscadet
3
jusqu’à 2 m si la hauteur de feuillage H est augmentée à 1,20 m (ce qui correspond dans le vignoble
nantais à une hauteur de rognage r minimale de 1,65m).
Avec un écartement de 2 m entre les rangs tout en gardant 1 m entre chaque pied (distance qui
permet une bonne répartition de la végétation sur la haie foliaire), la densité minimale à la plantation
qui en découle est de 5000 pieds/ha.
Ecartement E
1,5 m
2m
Hauteur de feuillage H
0,85 m
1,20 m
Hauteur de rognage r
1,30 m
1,65 m
Densité
6500 pieds/ha
5000 pieds/ha
Pour conserver le même rendement à l’hectare, une adaptation de la charge est nécessaire : 16
yeux/cep de moyenne pour la production en Muscadet AC (soit 14 sur la baguette), 14 yeux/cep de
moyenne pour les appellations sous-régionales (soit 12 sur la baguette).
Proposition de modification du cahier des charges
Une modification du cahier des charges pourrait s’établir de la sorte :
• Rapport Feuilles/Fruits minimal de 1,4 m²/kg (SECV/PR min = 1,4 m²/kg)
• Ecartement inter-rang maximal de 2m (E max = 2 m)
• Hauteur de feuillage H = 0,6 x E (soit 1,20 m lorsque E = 2m)
• densité = 5000 pieds/ha
• charge : 16 yeux/cep de moyenne pour la production en Muscadet AC, 14 yeux/cep de
moyenne pour les appellations sous-régionales.
Situation actuelle
Augmentation de l’écartement
et de la hauteur de feuillage
3 Quelles conséquences au changement du mode de conduite ?
Conserver le même produit :
Nous avons déterminé que le mode de conduite à 2 m d’écartement, une hauteur de palissage 1,65
m et un écartement inter-cep de 1 m permettait de conserver un rapport SECV/PR et un potentiel
qualitatif constant. L’absence d’expérimentation en pays nantais de variation des écartements
conjointe à l’adaptation de la hauteur de feuillage oblige à étudier les effets de la variation du
rapport Feuilles/Fruits dans la bibliographie. Les expérimentations menées sur le rapport
Feuilles/Fruits montrent que si le potentiel qualitatif est conservé, c'est-à-dire que la hauteur de
feuillage est augmentée en parallèle à l’augmentation des écartements :
•
quelques légères différences sur la vigne, le raisin ou le moût peuvent être observées
mais
•
les caractéristiques organoleptiques des vins ne s’en voient pas affectées.
4
Cela permet de supposer que le maintien de ce critère dans le vignoble nantais permettra de
conserver le profil produit et ne pas engendrer de changement des caractéristiques organoleptiques
du vin.
Etre économiquement acceptable :
L’étude économique a été réalisée en collaboration avec la Chambre d’Agriculture de LoireAtlantique. Les calculs de coûts de production ont été construits avec la méthode du référentiel
économique du vigneron sur une exploitation moyenne type et ne reflètent pas la situation
comptable d’une exploitation particulière.
Le mode de conduite actuel
avec l’itinéraire actuel (I.
actuel à 1,4 m) a un coût de
production du raisin de
6389€/ha.
Lorsqu’un
itinéraire durable d’entretien
des sols est mis en place
(enherbement
naturel
maitrisé; destruction de
l’enherbement par travail du
sol en moyenne tous les 5 ans
et travail superficiel du sol
sur
les
parcelles
où
l’enherbement
est
impossible),
une
augmentation à hauteur de
13% des coûts de production
actuels du raisin est observée
(I.Durable à 1,4m). Le mode de conduite à 2 m d’écartement, quant à lui, permet la mise en place
d’un itinéraire durable avec une baisse de 6% des coûts de production (I. durable à 2m).
Les principaux postes concernés par ces variations sont les postes « Equipement et plantation » et
« Main d’œuvre ». En effet, le coût à la plantation pour le mode de conduite à 2 m est inférieur de
9% à celui à 1,4 m (fonction du nombre de pieds à l’hectare et du temps de travail). Les équipements
nécessaires à l’entretien du vignoble en interligne (tracteur interligne, pulvérisateurs, matériel de
travail du sol) sont moins onéreux que les équipements nécessaires à l’exploitation du vignoble à
1,40 m. Par ailleurs, une organisation en CUMA est envisagée sur certains matériels.
Optimiser les besoins en main d’œuvre
Les travaux d’hiver nécessitent le plus
de temps de travail à l’hectare. En
effet, la taille est une opération qui
occupe 122h/ha de temps de travaux
d’hiver en I. actuel à 1,4 m. Le passage
à un itinéraire durable implique une
augmentation des temps travaux de 7%
qui s’applique sur les travaux d’hiver
comme sur ceux d’été (I. durable à 1,4).
Le mode de conduite à 2m ne permet
pas de réduire significativement les
5
besoins en main d’œuvre au global sur l’année puisque la réduction n’est que de 3 %. Cependant il
permet de répartir les besoins en main d’œuvre durant l’année :
•
il réduit le temps de travail nécessaire durant l’hiver de 14% ,
o
•
l’opération de taille est fractionnée avec un prétaillage mécanique et il y a moins
de ceps à tailler par hectare ;
alors qu’il augmente le temps de travail durant l’été
o
pour les opérations d’entretien du sol (tonte, travail superficiel), et de palissage
Minimiser les impacts environnementaux
Finalement, le mode de conduite à 2m apparait être un bon compromis au niveau de ses impacts
environnementaux. Il permet de répondre aux objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement en
ce qui concerne la diminution d’herbicides utilisés (réduction de plus de 70% la quantité de matière
active d’herbicide utilisée) tout limitant l’augmentation des heures de traction et les émissions
Carbonne induites à 10% alors qu’avec le mode de conduite actuel, elle augmentent de 30%.
D’après ce travail, le mode de conduit à 2m semble être une alternative intéressante pour le pays
nantais. Il permet d’évoluer vers des itinéraires plus durables tout en conservant le profil et les
caractéristiques organoleptiques du produit, de produire avec des coûts de productions stables,
sans augmenter la charge en main d’œuvre.
Pour compléter cette analyse, deux travaux sont en cours : l’analyse économique sur la période de
transition d’un système à l’autre est en cours d’étude par la Chambre d’Agriculture de LoireAtlantique et la modélisation des impacts paysagers de la modification d’un mode de conduite est
également à l’étude par l’Institut National d’Horticulture d’Angers.
Une présentation finale des travaux aura lieu le 13 novembre 2008 à la salle Sèvre et Maine de
Vertou. Par la suite, le SDAOC pourra juger s’il est propice pour le vignoble de poursuivre dans
cette démarche et de demander la modification du cahier des charges de l’appellation.
Une telle modification du mode de conduite est une véritable révolution dans les pratiques et dans
les mentalités. Aussi c’est un changement lourd à opérer qui ne pourra se faire sans véritable prise
de conscience des professionnels de la filière et la mobilisation des acteurs pour obtenir la
modification du cahier des charges de l’appellation.
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