Le nouveau statut général des militaires
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Le nouveau statut général des militaires
Le nouveau statut général des militaires français Lieutenant-colonel Jean-Marc LAVALLEE Attaché militaire, Ambassade de France, Bucarest Abstract La France vient, au printemps 2005, de moderniser le statut général des militaires français pour tenir compte de la professionnalisation des armées et des évolutions géostratégiques intervenues depuis la fin années 80. Si les grands principes fondamentaux de l’état de militaire n’ont pas été modifiés par le nouveau texte (exigence de l’esprit de sacrifice, de discipline, loyauté, neutralité et disponibilité), la protection pénale et matérielle des militaires a été améliorée et de nouveaux droits leur ont été attribués. En outre les règles statutaires de gestion ont été harmonisées pour tenir compte du nombre croissant d’engagés sous contrat par rapport aux militaires de carrière et un haut comité d’évaluation de la condition militaire a été créé. Le 1er juillet 2005 est entré en vigueur le nouveau statut général (SGM) des militaires français sous la forme de la loi no. 2005-270 du 24 mars 2005 publiée au journal officiel du 26 mars 2005. Le précédent statut datait de 1972. Cet exposé qui reprend les grandes analyses présentées dans les ouvrages et études citées dans la bibliographie vise à décrire ce nouveau statut en présentant successivement: – les raisons ayant conduit à une révision du SGM; – les grands principes maintenus par le nouveau statut; – les principales évolutions qu’il apporte. I. Les raisons de la modernisation du statut général des militaires Le précédent statut général des militaires a été révisé pour prendre essentiellement en compte la professionnalisation des armées mais aussi les changements géopolitiques intervenus depuis le début des années 70 qui ont modifié le contexte d’engagement des militaires français. 1. La professionnalisation des armées La professionnalisation des armées à imposé aux armées de relever des défis nouveaux. Cela n’était possible que par un aménagement du statut général des militaires. Veiller à l’attractivité et la fidélisation La professionnalisation impose à l’armée d’attirer en son sein un nombre important de jeunes de qualité et de les garder le temps nécessaire pour que leur formation soit rentable et pour limiter les flux annuels. Chaque année les forces armées recrutent environ 30 000 personnes, ce qui en fait le premier recruteur de France et ce qui les place en concurrence directe avec les entreprises civiles. Il convenait donc de supprimer du statut les contraintes devenues inutiles au regard de l’évolution de la société. Veiller au lien armées-natation La fin du service militaire imposait de veiller à ce que les militaires soient pleinement présents dans la société civile, y prennent une part active et visible afin de faire connaître leur action et les possibilités de réalisation professionnelle qu’offre la défense. Par conséquent il convenait de revoir les limitations statutaires au vu des droits d’expression, aux droits de participation à la vie locale et associative. Veiller au statut des militaires contractuels Avec le passage à une armée professionnelle, les militaires contractuels deviennent majoritaires. Au total les militaires engagés représentent aujourd’hui 53% des effectifs. La proportion des militaires sous-contrat est même de 69% dans l’armée de terre et de 63% pour la marine. Il convenait donc de veiller à la cohésion entre militaires de carrière et militaires sous-contrat en limitant le plus possible les différences statutaires entre ces deux catégories indispensables à la vie d’une armée professionnelle. Pérenniser la reconversion Une armée professionnelle est une armée qui attire des personnels pour une carrière qui sera par définition courte afin de maintenir une moyenne d’âge peu élevée destinée à répondre aux exigences de forme physique que requiert le métier des armes. Elle se doit donc d’être en mesure d’offrir de réelles perspectives de reconversion à l’issue des contrats d’engagement en son sein. La reconversion apparaissait de plus en plus comme un élément statutaire de la fonction militaire. 2. Les changements géostratégiques Le précédent statut général des militaires datait de 1972. Il avait été élaboré dans un contexte de guerre froide à une époque où le contexte d’engagement des militaires était celui du territoire national. Depuis, des ruptures profondes sont intervenues qui ont profondément modifié les contextes d’engagement des militaires français. Des militaires fortement employés Le nombre important de conflit régionaux éclatant brusquement, la volonté de la France de jouer un rôle important dans la résolution des crises et le maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme et les missions de sécurité intérieure font que les forces sont plus fréquemment engagées que par le passé. A titre d’illustration, en 2004 les forces armées françaises ont participé à plus d’une vingtaine d’opérations de maintien, de rétablissement de la paix ou de lutte contre le terrorisme en dehors du territoire national menées sous mandant de l’ONU, de l’OTAN ou de l’UE. Au total en 2004, plus de 30000 militaires ont été déployés hors de métropole, dont plus de 13 000 dans le cadre d’opérations extérieures et 5000 dans les forces prépositionnées en Afrique. Ce fort engagement des militaires amène à suivre avec attention l’équilibre statutaire entre sujétions imposées par le métier militaire et garanties sensées compenser ces sujétions. Des militaires engagés au côtés de policiers ou de militaires étrangers Sur le territoire national dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les militaires sont de plus en plus engagés au côtés des policiers. A l’extérieur ils sont engagés aux côtés des militaires d’autres pays. Ces engagements conduisent donc les militaires à établir des comparaisons légitimes qui touchent le plus souvent à leur statut juridique, à leurs droits et obligations. L’exigence d’équilibre entre droits et obligations en est renforcée tout comme l’obligation de suivre avec attention l’évolution de la condition militaire. Des militaires engagés dans des missions complexes Les caractéristiques de l’action militaire ont évolué. Désormais cette dernière vise autant à détruire les forces d’un adversaire clairement identifié dans un combat de haute intensité impliquant le risque de pertes humaines qu’à secourir des populations. Engagé dans un cadre systématiquement multinational, dans des situations impliquant parfois des populations civiles, le militaire est ainsi confronté à une complexification des missions, à leur médiatisation, au développement de la technologie, comme à l’augmentation de la mise en cause de sa responsabilité individuelle. Il doit de surcroît faire face à un accroissement des règles de droit et des juridictions internationales encadrant ses activités ou à des situations juridiquement floues entre le temps de paix et le temps de guerre, notamment en opérations extérieures. Ces évolutions n’ont certes pas entamé le contenu fondamental de l’exercice du métier des armes, mais ont rendu indispensable une réflexion sur les caractéristiques du métier militaire, sur la protection juridique et l’adaptation du statut général des militaires. II. Les grands principes maintenus par le nouveau statut La volonté de rénover le statut général des militaires ne signifie pas qu’il fallait sacrifier les principes essentiels qui font la spécificité du métier des armes et auxquels les militaires sont attachés. Ainsi, parce que «l’armée de la République a pour mission de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation» (article 1 de la loi), le nouveau statut général des militaires rappelle et réaffirme les principes fondamentaux de l’état de militaire: L’esprit de sacrifice qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême Il est intéressant de noter ici que le projet de texte initial comportait seulement la notion d’«esprit de sacrifice». Ce sont les militaires eux-mêmes qui ont, dans leur ensemble, rappelé par la voix du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) leur attachement à l’esprit de sacrifice suprême en demandant de remplacer la rédaction «esprit de sacrifice» par «esprit de sacrifice pouvant aller jusqu’au sacrifice de la vie». Ainsi, si le fait de risquer sa vie n’est pas l’apanage exclusif des militaires, ils sont les seuls pour lesquels la mort est explicitement spécifiée dans leur statut général. La discipline Il n’y pas eu de changement dans la description de l’obligation de discipline. «Les militaires doivent obéissance aux ordres de leurs supérieurs et sont responsables de l’exécution des missions qui leur sont confiées. Toutefois, il ne peut leur être ordonné et ils ne peuvent accomplir les actes qui sont contraires aux lois, aux coutumes de la guerre et aux conventions internationales. La responsabilité propre des subordonnés ne dégage leurs supérieurs d’aucune de leur responsabilité». En revanche, le régime disciplinaire a été simplifié et les droits de la défense des militaires sanctionnés ont été renforcés. Le nouveau SGM instaure une échelle unique et progressive des sanctions commune à l’ensemble des militaires sans aucune distinction relative à la nature du lien au service ni au grade détenu par le militaire fautif. Le nouveau statut énumère de manière explicite les droits fondamentaux qui constituent les droits de la défense, à savoir le droit à la communication du dossier, l’information du militaire de ce droit ainsi que le droit de préparer sa défense et de s’expliquer. La disponibilité Les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu. Cette exigence de disponibilité explique certaines interdictions ou limitations. En particulier c’est cette exigence qui contraint le militaire élu à se placer en position de disponibilité. De même, l’exercice d’une activité lucrative privée (article 9) reste interdit car le militaire de carrière ou sous contrat doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Quelques exceptions sont prévues, elles concernent notamment les activités d’enseignement, de formation ou de conseil. L’autre conséquence de cette exigence de disponibilité est que les militaires ne peuvent, bien sûr, exercer le droit de grève. Le loyalisme Les militaires sont chargés de protéger la nation et les institutions, ils doivent respecter celles-ci. Le principe de neutralité La neutralité vise à garantir l’impartialité politique et religieuse de l’action militaire et sa non implication dans les débats politiques du pays. Elle vise à assurer la cohésion des armées et démontre le fait que l’armée est au service de l’intérêt général. La neutralité se concrétise par le fait que qu’il est interdit aux militaires en activité d’adhérer à un parti politique (article 5). Si un militaire est élu (maire par exemple), il est placé en position de détachement. Cette restriction ne porte pas sur l’exercice du droit de vote qui s’exerce dans le secret de l’isoloir. Le métier des armes suppose des exigences et des obligations particulières qui ont été rappelées par le nouveau statut général des militaires de 2005. En revanche ces obligations appellent des compensations et des garanties que le nouveau statut tend à renforcer. III. Les principales avancées du statut général de militaires de 2005 Ces avancées peuvent être regroupées dans quatre grands domaines. 1. Une protection renforcée et appropriée des militaires Une meilleure couverture des risques en cas d’accident en opération ou en escale Des modifications ont été apportées au code des pensions militaires d’invalidité, afin de rendre plus claires les règles relatives à l’imputabilité des blessures au service, plus protectrices et mieux adaptées aux conditions effectives d’emploi des forces. Un meilleur suivi médical pour les militaires en retour d’opex Tous les militaires revenant d’opération extérieure pourront bénéficier à leur demande d’un suivi médical approfondi dans les soixante jours qui suivent leur retour en France. Une clarification de la responsabilité en cas d’usage des armes: Le nouveau statut a clarifié les règles d’utilisation de la force armée afin de tenir compte de la diversité des situations et des nouvelles tâches auxquelles sont confrontées les militaires qui participent à des interventions. La plupart n’entraîne pas en effet nécessairement la mise en application du droit des conflits armés. Dans ces situations d’intervention hors conflit armé, les militaires peuvent avoir besoin d’employer la force au delà de la légitime défense pour gérer des situations de retour à la paix difficiles. Afin de lever cette insécurité juridique et permettre au militaire d’accomplir sa mission dans les meilleures conditions le militaire n’est pas pénalement responsable, outre les cas de légitime défense, dans les deux cas suivants: – s’il fait usage de la force armée ou en donne l’ordre lorsque cela est nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d’une opération militaire se déroulant à l’extérieur du territoire français. – s’il déploie, après sommation, la force armée absolument nécessaire pour empêcher ou interrompre toute intrusion dans une zone de défense hautement sensible (zone définie par le ministre de la défense à l’intérieur de laquelle sont implantés ou stationnés des biens militaires dont la perte ou la destruction serait susceptible de causer de très graves dommages à la population, ou mettrait en cause les intérêts vitaux de la défense nationale). 2. Des règles de gestion modernisées et désormais identiques pour les militaires de carrière et les militaires sous contrat Les mêmes règles s’appliquent désormais à l’ensemble des militaires, officiers, sous-officiers et militaires du rang, de carrière ou sous contrat (sauf certaines limites imposées par les différences de recrutement). Le régime des sanctions disciplinaires est désormais identique pour tous les militaires quels que soient leur grade et leur lien au service. Les militaires du rang et les sous-officiers sont par ailleurs mieux représentés dans les conseils de discipline et les conseils d’enquête. Les situations statutaires: Ces situations (positions d’activité, de nonactivité et de service détaché) sont communes. Dans ce cadre, outre les officiers, le ministère peut désormais recruter par contrat («contrats de commissionnés») des sous-officiers, y compris étrangers, pour occuper des fonctions d’expertise (linguistes en opex par exemple). Les changements de corps et d’armées sont ouverts à tous les militaires contractuels. Le dispositif de reconversion est conforté et amélioré Le nouveau statut pose de manière intangible, dans son article 65, le principe du bénéfice de la formation professionnelle pour tout militaire comptant au moins quatre ans de service. Il maintient les dispositifs instaurés en 1996, en accompagnement de la professionnalisation. Il s’agit de: – L’orientation et l’évaluation professionnelle; – La formation professionnelle ou l’accompagnement vers l’emploi ouverts aux militaires réunissant au moins quatre ans de services militaires; – Le congé de reconversion d’une durée maximale de six mois dans la position d’activité, et du congé complémentaire d’une durée de six mois dans la position de non-activité. Le militaire qui en bénéficie continue de percevoir sa rémunération, dans la limite de règles de cumul avec une rémunération privée qui seront définies par décret. Le congé de reconversion est accordé à partir de quatre ans de services militaires. En outre le nouveau statut étend, par son article 62, à toutes les catégories de militaires les possibilités d’accès à la fonction publique sans concours. De nouvelles limites d’âge En application de la loi de 2003 réformant les retraites, le nouveau statut général des militaires prévoit un recul des limites d’âge, en moyenne de un à cinq ans pour les officiers et de un à trois ans pour les sousofficiers. 3. De nouveaux droits La liberté d’expression Comme pour les fonctionnaires, les militaires pourront désormais s’exprimer sans autorisation préalable pour évoquer dans le cadre de conférences, exposés ou articles, des sujets politiques ou des questions internationales militaires non couverts par le secret. Bien entendu au delà de leur devoir de neutralité, les militaires, comme les fonctionnaires, restent soumis à un devoir de réserve et aux obligations liées à la protection du secret professionnel et du secret de la défense nationale. La liberté d’exercer des responsabilités associatives Désormais, avec le nouveau statut, les militaires ne sont plus soumis à l’obligation de déclarer au commandement leurs éventuelles responsabilités associatives comme la présidence d’une association. La liberté de se marier avec un conjoint étranger Les militaires peuvent désormais sans autorisation préalable se marier librement ou contracter un pacte commun de solidarité avec un conjoint étranger. Seuls les officiers servant à titre étranger restent soumis à autorisation du ministre de la défense pour se marier ou pour se «pacser» pendant les cinq premières années de service. Liberté d’information L’interdiction d’introduire certaines publications dans les enceintes militaires a été levée. En revanche le nouveau statut prévoit la possibilité de limiter l’usage des moyens de modernes de télécommunication (Internet, téléphonie portable) en raison des conséquences préjudiciables que leur utilisation, à des fins personnelles, pourrait avoir en période de crise sur la sécurité des militaires ou la conduite d’une opération (article 4). La fin de l’obligation de déclaration de la profession du conjoint Le précédent statut prévoyait l’obligation pour le militaire de déclarer la profession du conjoint. Justifiée à l’origine pour des raisons de sécurité nationale, cette disposition n’a pas été estimée nécessaire dans le nouveau statut pour garantir la neutralité et le désintéressement du militaire (en matière de marché public par exemple) à une époque où de nombreux conjoints travaillent. La possibilité d’être juré d’assise Cette possibilité reste toutefois interdite aux gendarmes. Les droits de la défense en cas de sanction disciplinaire Les droits de la défense sont désormais explicitement mentionnés dans le statut général des militaires: – Le droit à la communication du dossier: Le militaire fautif devra être obligatoirement reçu par son autorité militaire de premier niveau, quelle que soit la sanction envisagée; – Le droit de préparer sa défense, de s’expliquer et de se faire assister par un militaire de son choix lors du conseil d’enquête. 4. La création d’un haut comité d’évaluation de la condition militaire Dans son article 1er alinéa 4 le nouveau statut crée un haut comité d’évaluation de la fonction militaire chargé d’estimer dans les domaines juridiques, économiques, sociaux, culturels et opérationnels les aspects favorables et défavorables ayant une influence sur le recrutement, la fidélisation, les conditions de vie des militaires et de leur famille et les conditions de réinsertion dans la société civile. Cet organisme est très comparable au Armed forces pay review body (AFPRB) britannique chargé du suivi de la condition militaire. Dans le cadre d’un rapport annuel adressé au Président de la république et transmis au Parlement, le haut comité pourra formuler des avis et émettre des recommandations pour garantir une juste évolution de la condition militaire au regard de l’évolution de la société. Instance indépendante, non partisane et composée de personnalités reconnues pour leur grande qualité d’analyse et d’expertise, le comité d’évaluation de la condition militaire sera mis en place courtant 2006 et sa composition sera fixée par décret. En outre le dispositif de concertation (le conseil supérieur de la fonction militaire et les conseils de la fonction militaire dans les armées) est désormais inscrit dans le statut général des militaires. Conclusion Ce texte n’est pas une révolution. Il maintient un grand nombre des obligations traditionnelles imposées aux militaires de tous les pays. Mais en même temps il contient des adaptations essentielles à la hauteur des enjeux de l’armée professionnelle du XXIème siècle dans le domaine de l’emploi des hommes et dans celui de la gestion des ressources humaines. En effet comme le rappelle régulièrement le général GURGU, directeur des ressources humaines, la qualité d’une armée dépend avant tout de la qualité des hommes et des femmes qui servent cette armée. Or la qualité ne peut être obtenue, dans ce domaine, que si l’équilibre entre obligations et droits apparaît la plus juste possible dans un contexte national donné. Bibliographie 1. La loi est consultable sur le site www.legifrance.fr 2. Les débats parlementaires touchant à la réforme de cette loi sont consultables sur les sites www.assemblee-nationale.fr et www.senat.fr 3. Palagos, Jean-Michel, Le nouveau statut général des militaires, ed Lavauzelle, 2005 4. Air actualité, no. 582, juin 2005 5. Bulletin d’information sociale de la défense, no. 62, juin 2005