Le phénomène du trafic des enfants à des fins

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Le phénomène du trafic des enfants à des fins
Le phénomène du trafic des enfants à des fins sexuelles en Europe
Résumé de l’intervention de Carole Bartoli, chargée de missions ECPAT France,
au Forum Social Européen (13 novembre 2003)
Séminaire : « Pour une Europe sans esclavage, d’Est en Ouest,
un nouveau combat contre le trafic et la marchandisation des êtres humains »
ECPAT (End child prostitution, child pornography and trafficking of children for sexual
purposes) est un réseau international d’associations luttant contre l’exploitation sexuelle des
enfants à des fins commerciales. Son secrétariat international est à Bangkok car à sa création,
au début des années 90, ECPAT était une campagne internationale lancée par des pays
asiatiques, pour mobiliser le reste du monde sur le tourisme sexuel impliquant des enfants en
Asie. Au fil des années, son mandat s’est élargi à l’ensemble des pratiques liées à l’ESEC et le
réseau s’est agrandi pour regrouper aujourd’hui environ 70 membres dans 60 pays à travers le
monde.
ECPAT lutte donc contre la prostitution et la pornographie enfantines ainsi que le trafic des
enfants à des fins sexuelles. Les actions menées visent notamment à renforcer les lois et leurs
applications, aider les enfants victimes, former les acteurs impliqués dans la lutte, sensibiliser
/ informer l’opinion publique et certains groupes particuliers commes les abuseurs potentiels
ou les familles vulnérables.
En Europe, ECPAT a mené depuis 2000 une étude sur le trafic des enfants à des fins sexuelles
dans cette région du monde. Cette étude, coordonnée par ECPAT Pays-Bas et soutenue par
l’UE, comporte deux volets :
- un premier réalisé en l’an 2000 qui analyse la situation dans 8 pays d’Europe de
l’Ouest ;
- un second qui se termine actuellement et qui étudie cette fois-ci la situation dans 8
pays d’origine des enfants.
Ce travail nous permet de mieux connaître le TEFS en Europe.
L’existence du TEFS est minimisée par les pouvoirs publics des pays européens tant à l’Est
qu’à l’Ouest qui la qualifient le plus souvent de marginale. Les acteurs de terrain (association,
OI) constatent eux la réalité d’un tel trafic et l’augmentation inquiétante du nombre de
victimes.
Il est extrêmement difficile de disposer de données fiables car outre le problème du manque
de volonté des pouvoirs publics d’établir des statistiques:
- les chiffres concernant les mineurs victimes de la traite ne sont pas isolés des chiffres de
la traite en général, de la prostitution ou encore des chiffres concernant les abus sexuels
sur mineurs ;
- les chiffres concernant les mineurs victimes de la traite sont difficiles à établir car le
TEFS est une pratique illégale, occulte et ambulante.
© Ecpat France - Septembre 2003
Aussi, même si nous pouvons affirmer que le TFES est une réalité en Europe, il est
impossible d’en déterminer l’ampleur. Il est indispensable d’améliorer le système de collecte
de données car le manque de données actuel rend difficile l’action des acteurs impliqués dans
la lutte tant dans la définition et la mise en oeuvre de politiques efficaces que dans
l’allocation de ressources appropriées.
L’absence de données fiables est aussi dûe à la méconnaissance de ce qu’est le TFES.
Pour certains, le trafic n’existe que si :
- l’enfant n’était pas consentant
- ou si le trafic était le fait d’un réseau criminel
- ou si l’enfant a moins de 15 ans
Il n’en est pourtant rien. Il existe en effet maintenant une définition de la traite qui figure dans
le protocole à la Convention sur la criminalité transnationale organisée portant sur la traite
(adopté en 2000) et selon laquelle : “L’expression “traite des personnes” désigne le
recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace
de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, [...] aux fins
d’exploitation”.
Le texte précise que dans le cas d’un enfant, même en l’absence de menace de recours ou
de recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, il y a traite, ce qui signifie que
dans le cas d’un enfant, peu importe que l’enfant ait été consentant au départ. Le
protocole précise également, conformément à la Convention des Droits de l’Enfant
qu’un enfant est toute personne âgée de moins de 18 ans.
Il faut aussi préciser que l’exploitation sexuelle figure parmi les cas d’exploitation de la traite
et couvre l’exploitation dans la prostitution et la pornographie notamment.
Comment s’organise le TFES ?
Comme il est facile de l’imaginer, ce trafic s’organise de l’Est vers l’Ouest avec toutefois
aussi des trafics se développant exclusivement en Europe centrale et de l’Est. La plupart des
pays d’Europe de l’Ouest sont des destinations potentielles. Beaucoup de pays d’Europe de
l’Est sont des pays d’origine, de transit, voire de destination des victimes ; parmi ceux les plus
touchés : l’Albanie, l’Ukraine, la Roumanie, la Moldavie, la Russie, l’Ex-Yougoslavie, la
Bulgarie. Selon les pays de l’Ouest, certaines nationalités sont souvent plus représentées pour
des raisons de proximité géographique ou de présence de communautés nationales fortes dans
le pays.
Ex : Albanie et Italie, Russie/Estonie et Finlande, Roumanie et France.
Il faut signaler que les mineurs qui sont victimes de prostitution en Europe après avoir été
victimes de traite ne proviennent pas seulement d’Europe de l’Est mais aussi en grande partie
d’Asie et d’Afrique.
Les mineurs victimes sont des filles et des garçons bien que les données et les programmes
d’aide ciblent davantage les filles. Ils ont le plus souvent entre 14 et 18 ans mais peuvent aussi
être beaucoup plus jeunes. Il est donc capital d’insister sur le fait que toute personne âgée de
moins de 18 ans est un enfant au sens du droit international et doit être protégée contre la
traite et la prostitution, et ce sans que l’absence de consentement soit necessaire.
© Ecpat France - Septembre 2003
Le processus de recrutement du mineur est variable :
- parfois il connaît le motif de son voyage ;
- parfois il est vendu par des parents / des proches ou est kidnappé ;
- dans de très nombreux cas, le mineur et sa famille sont piégés par de fausses promesses
d’emploi à l’étranger (les journaux à l’est sont plein de petites annonces pour des emplois
bien rémunérés à l’étranger de “serveuses”, “vendeuses”, “babysitter”) ;
- parfois les jeunes filles sont leurrées par des hommes qui leur font croire à une histoire
d’amour.
Ce recrutement est favorisé par la très grande vulnérabilité de nombreux mineurs vivant en
Europe de l’Est, laquelle repose sur:
- la pauvreté et les conditions économiques vécues par beaucoup d’entre eux ;
- des situations familiales difficiles, notamment en raison du chômage des parents, de la
destructuration de la cellule familiale, de violences et abus sexuels ;
- des situations politiques instables, voire de conflits.
Les mineurs vivent donc des situations très difficiles dans leur pays et beaucoup rêvent de
partir. L’école apparaît souvent comme une perte de temps à côté du besoin de gagner de
l’argent, et l’Europe de l’Ouest apparaît comme un moyen rapide d’en gagner. Cette idée est
entretenue :
-par les médias,
-par les mensonges des trafiquants : le recrutement est souvent fait par une personne qui
revient dans sa communauté, y raconte avoir fait fortune à l’ouest et propose d’emmener ou
d’envoyer un ou plusieurs jeunes travailler come lui.
-par d’anciennes victimes qui de retour ont trop honte pour raconter la réalité ou ne veulent
pas avouer l’échec de leur projet initial de migration.
Beaucoup des enfants victimes témoignent que leur projet de migration a été accepté aisément
par leur famille voire a été encouragé.
Beaucoup de ces jeunes n’ont pas absolument pas connaissance de ces trafics et n’imaginent
nullement l’existence d’une exploitation sexuelle dans les pays d’Europe.
Concernant les trafiquants, l’implication de réseaux criminels parfois très organisés a pu être
démontrée. Toutefois, la traite n’est pas limitée à ces seuls cas et est souvent le fait
d’individus ou de petits groupes criminels (par exemple, un qui recrute, un qui transport et un
qui prostitue). Le traite des enfants est une activité très lucrative, nécessitant un
investissement quasi-nul et assez peu risquée car les législations, même quand elles existent,
sont assez peu appliquées.
Les itinéraires sont variables et nombreux. Les trafiquants utilisent tous les moyens de
transport et souvent les points d’entrée légaux car ils disposent de faux papiers (faciles à
obtenir). Les mineurs entrent sur le territoire sans tuteur légal sous des prétextes divers :
vacances, visites et regroupements familiaux, travail saisonnier, cours de langues. Les
procédures de réfugiés ou de demandes d’asile sont aussi largement utilisées. Certains
mineurs sont aussi recrutés par les trafiquants dans les pays de destination à la sortie des
zones d’attente, des tribunaux ou des centres d’accueils...
© Ecpat France - Septembre 2003
Même s’il est diffcile d’établir un stéréotype de la traite, le point commun est la violence
qui caractérise les différentes pratiques vécues par les enfants. Dans de nombreux cas, les
enfants sont victimes de violences et de viols et contraints de se prostituer avant même
d’arriver dans le pays de destination. Dans tous les cas, ils sont rapidement victimes
d’exploitation sexuelle à leur arrivée et sont contraints de se prostituer plusieurs heures par
jour. Ils sont très surveillés et battus à la moindre rebellion. A la contrainte physique, s’ajoute
souvent la menace de s’en prendre à la famille restée dans le pays d’origine.
Leurs papiers sont confisqués par les trafiquants qui leur font croire que la police les mettra en
prison si ils se plaignent car ils sont entrés illégalement sur le territoire. Les enfants sont
généralement complétement perdus et terrorrisés car ils se retrouvent dans un pays dont ils ne
parlent pas la langue et ignorent la culture. Ils sont en plus souvent déplacés d’une ville à
l’autre ou d’un pays à l’autre.
Les conséquences de cette exploitation sont terribles pour le mineur tant sur le plan
physique que psychologique.
Il faut savoir que les clients des mineurs victimes de prostitution sont parfois des pédophiles
qui recherchent spécifiquement ce type de relations mais que pour beaucoup, il s’agit de
clients de la prostitution adulte qui vont avoir une relation avec un mineur pour différentes
raisons :
- ils sont indifférents à leurs partenaires et ne vont pas faire attention à leur jeunesse
éventuelle ;
- ils veulent tenter des expériences et vont profiter de l’opportunité de rencontrer des
prostitués mineurs ;
- ils cherchent à se protéger des MST, notamment du SIDA, et pensent, à tort, que les
relations avec des mineurs sont moins à risque.
Il n’y a pas de profil type. Les clients ont tous les âges et sont de toutes les classes sociales.
Conclusion sur l’identification de quelques problèmes nuisant à la lutte contre la TEFS
Sur le plan de la répression, plusieurs pays ont adopté des textes criminalisant ces pratiques
ou facilitant les poursuites. Toutefois, il existe toujours des vides législatifs. Il faut
notamment veiller à ce que les pratiques se rapportant à la traite soient spécifiquement
incriminés, que le mineur est bien protégé jusqu’à l’âge de 18 ans et que les clients de
mineurs prostitués sont susceptibles de poursuites.
Même quand les législations existent, leur application demeure rare. La volonté de répression
des pouvoirs publics doit être plus grande. Il faut former les policiers et les magistrats qui ne
connaissent pas ou peu le TFES. S’agissant de crimes transnationaux, la coopération est
importante et doit être renforcée.
Des actions de prévention sont nécessaires à plusieurs niveaux notamment auprès des
enfants et des familles vulnérables pour informer sur l’existence de ce trafic et leur éviter de
se laisser tromper par les trafiquants. Le tabou et l’ignorance qui entourent ces pratiques en
Europe de l’est facilitent l’action des trafiquants.
© Ecpat France - Septembre 2003
Concernant l’aide apportée aux mineurs dans les pays d’Europe de l’Ouest, chaque pays
a ses propres mécanismes mais globalement les systèmes sont défectueux pour plusieurs
raisons:
- il existe de grosses lacunes dans l’identification de ces mineurs sur nos territoires et dans
l’enclenchement des mesures de protection liées à leur situation de mineurs en danger sur
ces territoires. Ainsi ce sont essentiellement les associations qui vont à la rencontre de ces
mineurs mais leurs ressources sont limitées. De plus, en l’absence de papiers, les mineurs
subissent des examens médicaux pour déterminer leur âge mais ces examens sont
imprécis et certains mineurs peuvent être déclarés majeurs.
- Les mineurs sont placés dans des centres non sécurisés d’où ils fuguent réguliérement
(car ils ne se sentent pas réellement soutenus ou ont peur ou les procédures sont
longues...) ou dans lesquels ils sont récupérés par les trafiquants.
- Les travailleurs sociaux et les juges décidant des mesures pour ces mineurs sont rarement
en mesure de leur apporter une aide efficace car ils ne connaissent pas leur langue, leur
culture et les problèmes liés au trafic à des fins sexuelles.Les besoins spécifiques de ces
mineurs ne sont pas pris en compte. Les travailleurs sociaux et les juges sont aussi parfois
réticents à aider des mineurs étrangers alors que les structures sont déjà insuffisantes pour
les mineurs nationaux en danger. Une formation de ces professionnels est nécessaire.
- Il est très difficile d’envisager des solutions sur le long terme pour ces mineurs qui
savent, comme les travailleurs sociaux, qu’ils devront pour beaucoup d’entre eux repartir
dans leur pays à leur majorité. En France, il leur est souvent difficile de suivre des
formations professionnelles car ils ont besoin de papiers pour cela.
Tout au long de la procédure de ce qui devrait être la prise en charge de ces mineurs, il y
a une contradiction très forte entre le statut d’enfant en danger et celui d’immigrant
potentiel. Dans la logique sécuritaire adoptée par beaucoup de pays de l’UE et leur
volonté de limiter l’immigration, les mineurs victimes de la traite sont plus souvent
traités comme des étrangers en situation irrégulière que comme des enfants en danger et
ce au mépris du droit international qui accorde la même protection à un enfant étranger
même irrégulier qu’à un enfant ressortissant du pays.
Concernant le rapatriement de ces mineurs dans leur pays d’origine, celui-ci ne devrait
être possible qu’avec leur consentement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il existe rarement
des procédures permettant que le rapatriement, quand l’enfant le souhaite, soit
convenablement organisé avec l’existence d’un suivi des victimes. Il n’y a quasiment pas
d’autorité désignée dans les pays d’origine coordonnant la prise en charge du mineur à son
retour. Celui ci est dans le meilleur des cas suivi quelques semaines. Il se retrouve face à la
situation qui l’a peut être poussé à envisager son départ mais doit en plus assumer les
traumatismes liés à son trafic. Là encore, ce sont le plus souvent les associations qui
développent des programmes pour les victimes, l’Etat ne s’impliquant pas.
Il faut absolument que les mineurs ayant subi un tel trafic soient considérés comme des
victimes tant dans les pays de destination que dans les pays d’origine et que de vraies
alternatives leur soient proposées.
© Ecpat France - Septembre 2003