Petite histoire du sucre sub-lingual
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Petite histoire du sucre sub-lingual
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Un article publié dans le Malaria Journal de novembre 2008 est cependant porteur d'espoir [1]: il montre que pour aider à traverser la crise de paludisme le dépôt de cuillerées de sucre mouillé déposées sous la langue de ces jeunes malades s’avère aussi efficace et bien moins problématique que l'injection intraveineuse de glucose. Mais à la suite de quelles circonstances une ONG à but humanitaire genevoise, Antenna Technologies, en est-elle venue à concevoir et mener à bout un essai clinique organisé au Mali avec le soutien financier de la DDC (Direction du Développement et de la Coopération suisse) pour vérifier l'action d'une cuillerée de sucre posée sous la langue ? Une cuillère de sucre mouillé On ouvre délicatement la bouche On dépose le sucre mouillé sous la langue puis mettre l’enfant sur le côté pour qu’il ne s’étouffe pas. Toujours surveiller qu’il respire et renouveler le sucre mouillé toutes les 10—15 minutes 1) Du sucre au glucose intraveineux Bien des parents donnent un bonbon ou une friandise sucrée à leurs enfants ou leurs adolescents devenus irascibles sans raison évidente. Le résultat ne se fait pas attendre, et ne surprend personne: le grincheux avait un "petit creux" et le coupe-faim a fait son effet. Peu importe dans la vie de tous les jours que l'effet positif ait eu lieu au niveau psychologique ou au niveau physiologique. En revanche, c'est une vraie question pour le médecin qui aurait plutôt tendance à chercher, et trouver, une réponse du côté de la physiologie: il arrive que les diabétiques ressentent soudainement un malaise en cas d'épisode hypoglycémique, et ces malades apprennent rapidement à garder à portée de main un ou deux morceaux de sucres pour se "requinquer" suffisamment dès l'apparition des premiers symptômes avant de procéder au traitement prescrit par leur médecin. On sait qu’il faut une demie heure en tout après l’ingestion du sucre pour que ce dernier atteigne l’intestin grêle où il est absorbé et que le glucose qui résulte de ce processus digestif se retrouve dans le flux sanguin [2]. Le problème qui nous préoccupe est qu'un patient hypoglycémique tombé dans le coma est incapable d'ingurgiter ce sucre salvateur de sorte que la pratique médicale universellement recommandée en de tels cas consiste à procéder immédiatement à une infusion directe de glucose intraveineuse, ou à installer un tube gastrique et y instiller du glucose. Un de ces actes, banal en milieu hospitalier, demande du temps au personnel infirmier, et il arrive que ce temps manque en cas d'urgences, et ce n’est pas sans danger. Il n'est de ce fait pas étonnant que les infirmiers apprennent de leurs collègues, ou retrouvent par eux-mêmes, quelques "trucs" propres à leur profession; en particulier qu'il est fréquent de réussir à sortir des patients de leur coma hypoglycémique rien qu'en disposant une cuillerée de sucre légèrement mouillé sous la langue. 2) Le poids de la tradition médicale Si tout était si simple, il y a longtemps que l'utilité du sucre sublingual serait enseignée aux médecins; mais on continue de trouver des ouvrages médicaux de référence affirmant erronément que le sucre est absorbé seulement au niveau du duodénum où il est transformé en glucose avant de passer dans le sang [3]. Cette fausse affirmation n'a pas encore été corrigée partout, bien que des expériences menées par des dentistes finlandais (soucieux, eux, de la présence de sucre dans la bouche) aient montré il y a plus de trente ans que la salive dégrade le sucre en glucose grâce à une enzyme, la sucrase [4], et qu’une équipe de pharmaciens japonais ait montré en 1999 qu'il y a un mécanisme direct de transfert du glucose par les muqueuses de la cavité buccale [5]. Hélas, du fait de la spécialisation, les médecins ne lisent pas toutes les revues de dentisterie ou de pharmacie (et certainement de même inversement). Comme de plus le corps humain a parfois la "curieuse" capacité de se guérir spontanément pour des raisons peu claires, les réussites du sucre sublingual sont largement restées perçues dans le milieu médical comme de simples curiosités cliniques non généralisables; autrement dit sans contenu scientifique avéré. Les faits sont têtus, et ils finissent parfois par s'imposer même aux médecins lorsqu'ils se retrouvent dans des situations où les pratiques médicales recommandées sont inapplicables. C'est ainsi que le pédiatre français Hubert Barennes s'est lui aussi convaincu de l'efficacité du sucre sublingual à l'occasion d'administrations occasionnelles de sucre sous cette forme par une de ses équipes au Niger au tournant de l'année 2000. La conviction intime n'est certes pas une preuve du point de vue scientifique, mais l'important cependant a été que Barennes est un médecin, et qu'il a cherché à prouver cette efficacité au moyen d'une étude clinique. Ce qui est plus vite dit que fait pour de multiples raisons : éthiques (on ne peut pas à titre de contrôle laisser non soigné un groupe témoin de patients), statistiques (il doit y avoir un nombre suffisamment élevé de traitements pour que les résultats soient significatifs), financières ou autres. En dépit de ces difficultés, Barennes a néanmoins réussi, quelques mois après être devenu en janvier 2005 enseignant-chercheur à l’Institut de la Francophonie pour la Médecine Tropicale, à publier dans le Journal of Pediatrics les résultats d'une étude clinique qu'il avait menée en 2004 cette fois ci à Bobo-Dioulasso au Bourkina Faso [6]. Son étude était centrée sur l'apport de cette méthode du sucre sublingual appliquée à la correction de la glycémie d'enfants modérément hypoglycémiques. Elle n'a cependant été au mieux perçue par le milieu médical que comme une étude préliminaire en raison peut être d'un trop faible échantillonnage statistique, mais plus probablement en raison de l'explication proposée de l'efficacité du procédé qui fut mise en avant dans le texte. Il est bien connu qu'un certain nombre de médicaments sont dénaturés lors du métabolisme digestif. Dans ce cas il est préférable de les faire pénétrer dans l'organisme à travers les muqueuses lorsqu'il s'y trouve les dispositifs biochimiques qui permettent l'absorption de ces médicaments. L'assimilation est alors rapide par comparaison avec l'ingestion pure et simple. Barennes a donc 2/15 supposé assez logiquement, vu l'accroissement rapide du taux de glycémie par la méthode sublinguale, que le sucre était dégradé en glucose directement dans la cavité buccale et absorbé efficacement grâce à la grande vascularisation de la muqueuse sous la langue. Barennes en était resté au niveau des suppositions car il n’avait pas eu connaissance des études des dentistes finlandais et des pharmaciens japonais [4,5] mentionnées plus haut de sorte que les sceptiques impressionnés par les résultats de son étude avaient beau jeu de se persuader, et d'argumenter au besoin, que les enfants modérément hypoglycémiques retenus pour l’étude avaient simplement avalé tout ou partie de ce sucre et que l'effet observé d'accroissement de glycémie résultait du métabolisme ordinairement enseigné. Mais était-ce une raison pour rejeter le fort indice de la réalité de l'effet lui-même? On peut évidemment de l'extérieur se demander pourquoi le milieu médical refuse parfois une observation sous le prétexte d'une tentative d'explication peu convaincante de cette observation : rivalité entre médecins et dentistes ou méconnaissance de leurs publications scientifiques respectives? Refus de la nouveauté puisque cela implique pernicieusement de changer toutes sortes de façons de penser et d'enseigner; sans oublier d’avoir à corriger les ouvrages erronés, et de perdre la face vis à vis de patients et confrères à qui on sait être incapable d'expliquer la raison du succès d'une recommandation? En fait, c’est une attitude courante en science qui est paradoxalement un milieu extrêmement conservateur alors que ce sont pourtant les innovations qui en sont le critère de succès [7]. Il en est de même en médecine où on pourrait quand même penser qu'une observation intéressante devrait suffire à être prise au sérieux lorsque des vies sont en jeu; mais ce n'est hélas pas toujours le cas. L'exemple peut être le plus fameux de cette résistance à la nouveauté est celui du refus tragique des obstétriciens de la seconde moitié du 19ème siècle de se laver les mains après avoir procédés à des autopsies effectuées dans le cadre de leurs enseignements. Ignaz Semmelweis l’avait pourtant recommandé suite à une étude de mortalité lors des accouchements à l’hôpital, mais il ignorait tout des germes et autres microbes qui allaient être découverts 40 ans plus tard par Pasteur. Semmelweis fut non seulement ignoré par ses confrères et renvoyé de son hôpital en raison de son insistance à faire savoir la vérité des chiffres ; et il finit même par être interné dans un asile psychiatrique... Le plus charitable pour expliquer le conservatisme médical est quand même de suspecter l'existence de tabous professionnels basés sur l'expérience. Une observation intéressante dans un contexte médical précis mais sans explication plausible ne recèle-t-elle pas en son sein une bombe à retardement qui pourrait s’illustrer tragiquement dans un autre contexte médical? La dissonance cognitive entre le désir, conscient ou inconscient, de l'unité du genre humain et l’observation de la diversité des personnes soignées ne pourrait-elle pas être elle aussi à l'origine d'un tel tabou? Quoi qu'il en soit, on observe en médecine comme dans les autres domaines de l'acquisition du savoir que les chercheurs préfèrent utiliser leur temps et les moyens mis à leur disposition pour explorer des domaines perçus comme prestigieux (cancer, SIDA) ou pouvant rapporter gros (diabète, impuissance). Quel acteur du monde académique ou du monde économique voudrait par exemple risquer sa réputation et les places de travail de ses collaborateurs pour confirmer une hypothèse contestée comme celle du sucre sublingual, qui n'offre dans le meilleur des cas aucune perspective de reconnaissance scientifique, qui met en avant un produit “imbrevetable”, le sucre, et dont l'immense majorité des clients concernés sont tout simplement insolvables? C'est là, on va le voir, qu'apparaît tout l'intérêt d'un acteur inattendu de la recherche médicale: l'ONG scientifique à buts humanitaires. 3) Médecines traditionnelles et ONG-relais Dans tous les pays africains et dans de nombreux autres pays du monde il existe deux systèmes de soins: le système "moderne" ou système importé (car introduit avec la colonisation) et le système "traditionnel". Par système traditionnel on entend ici tout l’éventail des ressources thérapeutiques locales auxquelles le malade et sa famille peuvent avoir recours. Les principaux acteurs de cette 3/15 médecine traditionnelle auxquels on ne pense pas tout de suite sont d’abord les gens eux-mêmes (automédication ou médecine familiale) et ensuite les dits thérapeutes traditionnels ou tradithérapeutes, même si en fait tous ces acteurs n'ont jamais cessé d'évoluer dans leurs pratiques de soins. Une frange très élevée des populations des pays les plus pauvres ne pourrait tout simplement pas avoir accès aux soins sans médecine traditionnelle faute de moyens financiers, raison pour laquelle l'OMS promeut une collaboration efficace entre systèmes de santé moderne et de soins traditionnels. L’une des difficultés majeures concerne l’évaluation scientifique des pratiques traditionnelles; problème sur lequel s'est depuis longtemps penché l'ONG Antenna Technologies qui a fini par mettre au point des méthodologies facilitant l’intégration de pratiques traditionnelles dans les soins de santé primaires [8]. Ces méthodologies ne sont en général pas basées sur des considérations théoriques mais sur l’observation clinique des résultats auprès des patients. Créée il y a tout juste 20 ans en 1989, Antenna Technologies est juridiquement une association de scientifiques, reconnue d’utilité publique et spécialisée dans les domaines de la nutrition, de la santé et de l’eau [9]. L'équipe du bureau de Genève assure, selon le concept d'ONG-relais, la gestion et le suivi des projets en partenariat avec ses antennes locales, des institutions internationales ou d'autres ONG du terrain. Contrairement à l'approche classique du développement qui consiste à fournir aux populations dans le besoin des technologies présumées "appropriées", le principe de base d'une ONG-relais est au contraire de délibérément admettre que ce sont à ces mêmes populations démunies de déterminer quels sont les besoins fondamentaux qu'elles veulent réellement s'offrir en dépit de leurs moyens financiers réduits. Si l'on met de côté les aspects techniques d'aide au montage de projets et à leurs financements, le rôle réservé à une ONG-relais est celui d'un intermédiaire entre le demandeur local et des chercheurs capables de trouver une solution scientifique originale. L'expérience a montré qu'une telle ONG-relais, ou tout autre Institution-relais, doit elle-même être composée de scientifiques capables dans un premier temps de transcrire la demande en un programme de recherche scientifique compréhensible et financièrement compatible avec les moyens réduits des demandeurs, qui puisse être réalisé le cas échéant au sein d'universités ou d'entreprises commerciales, puis dans un second temps de retraduire les solutions de cette recherche dans un langage et une pratique adaptés aux demandeurs. Cette approche requiert naturellement la participation directe des populations concernées et vise à développer leur autonomie, seule garante de la pérennité de l'action engagée. Contrairement au monde de la Mode, l'expérience d'Antenna Technologies semble montrer que dans le domaine de la satisfaction des besoins fondamentaux le développement du "taillé sur mesure" est plus économique que celui du "prêt à porter", où par le "prêt à porter" on entend ici les "technologies appropriées" au sens traditionnel du terme. Même ainsi il y a peu de telles ONG-relais car, les demandeurs étant largement "insolvables", le financement de telles institutions ne peut provenir essentiellement que de dons privés ou de fonds institutionnels dans le cadre de l'aide au développement. Si l'on ajoute à cela la difficulté intrinsèque de reproduire à grande échelle le "taillé sur mesure", on ne s'étonnera pas du nombre réduit d'ONG-relais à être efficacement en activité de par le monde en comparaison des nombreuses institutions actives dans la diffusion du "prêt-àporter". 4) Exemples de "taillé sur mesure": AT en Mauritanie et au Mali Dès la fin des années 1990, l’association "Médecins du Monde (Suisse)" s'était intéressée au rôle des pratiques de soins traditionnels en Mauritanie. Une enquête préliminaire menée dans le Nord de ce pays ayant démontré l’intérêt et l’ouverture des praticiens traditionnels pour une étude scientifique de leurs pratiques, un partenariat fut mis sur pied, dès 1999, entre Antenna Technologies, les demandeurs (ici en l’occurrence Médecins du Monde et l’ONG mauritanienne "Stand Up Solidarité") et l’un des représentants reconnus de la médecine traditionnelle mauritanienne : Mohammed 4/15 Yeslem Ould Maghari; l’option choisie étant de n’échanger que des connaissances qui pourraient être librement divulguées. Afin de mieux mettre en évidence les forces et les faiblesses de cette médecine traditionnelle dérivant de la médecine d'Hippocrate et de ses grands successeurs arabes tel Avicenne et Rhazi, un suivi clinique moderne de l’ensemble des patients de la clinique traditionnelle d’Ould Maghari fut mis sur pied. Ce ne furent pas moins de cinq médecins européens qui se sont relayés afin d’assister aux consultations de la clinique traditionnelle. Sans intervenir (sauf exceptions) dans les soins proposés aux patients, ces médecins ont établi, pour chaque patient, un diagnostic moderne, un pronostic ainsi qu’un dossier de suivi médical. Ils ont également noté le pronostic du praticien traditionnel, ainsi que l’évolution réelle des patients. L'analyse de ces données selon des méthodes d’épidémiologie a permis d’évaluer les avantages et les inconvénients des traitements proposés par la clinique traditionnelle, en comparaison avec les résultats que l’on pouvait attendre dans les services de santé modernes voisins. On retiendra qu’au cours de ce projet les contacts répétés entre Ould Maghari et le Dr Oudaa du Centre de santé de Toujounine ont abouti tout naturellement à la mise sur pied de rencontres régulières où ces représentants de deux systèmes de médecine se présentent mutuellement des patients; prouvant par là même qu’un langage commun peut être trouvé afin d’établir une véritable coopération entre systèmes de soins très différents. Parmi les rares pays à suivre les recommandations de l'OMS sur ce thème, on trouve le Mali, un des pays les plus pauvres de la planète, mais qui se trouve avoir une réelle politique volontariste de coopération entre techniques de santé modernes et traditionnelles. Le Ministère malien de la Santé, comprend en particulier un Département des Médecines Traditionnelles (DMT) qui s'efforce de mettre à disposition de la population des Médicaments Traditionnels Améliorés (MTA) lorsque c'est possible. Le paludisme est peut être le problème médical majeur de ce pays, au point qu'une instance étatique chargée de la gestion de la problématique du paludisme au Mali a été créé tout spécialement à cet effet: le PNLP (Programme national de lutte contre le paludisme). Même s'ils en avaient les moyens financiers, les responsables du PNLP sont parfaitement conscients de l'impossibilité de ne faire appel qu'à des réponses "modernes" à la lutte contre le paludisme. Selon le Dr Georges Dakono, son coordinateur, "l’acheminement, le stockage et la distribution des moustiquaires imprégnées d’insecticide au Mali représentent un défi majeur à relever; tout comme le partage d’expériences dans ce domaine, la bonne organisation, la bonne entente et la bonne concertation entre les partenaires dont la finalité est d’atteindre les objectifs fixés par l’Etat malien dans la lutte contre le paludisme." Pour cette raison, le Ministère malien de la Santé fit appel au début 2001 à Antenna Technologies dans le but de lui proposer et de mettre en œuvre une politique de soins efficace sous forme d’une collaboration fructueuse entre les trois niveaux de soins identifiés par les autorités sanitaires ; à savoir la médecine "des mères de familles", des praticiens traditionnels et des professionnels des services de santé modernes. Ce fut possible grâce au ferme soutien financier de la DDC (Coopération suisse) qui menait de longue date une action de soutien des soins au Mali, et qui accepta cette fois-ci de mettre à disposition quelque 750'000 francs suisses pour cette action conjointe prévue en deux phases qui allait durer 6 ans en tout. En gros, et pour fixer les idées, la moitié de cette somme allait être dépensée en Europe sous forme d’analyses dans des laboratoires spécialisés et surtout pour la rémunération des chercheurs d’Antenna Technologies, l’autre moitié étant dépensée directement sur place au Mali. La première phase de tests méthodologiques fut menée jusqu’en 2004 suivie à partir de cette date d’une deuxième phase de mise en oeuvre qui allait durer jusqu’en 2007. La première phase donna l'occasion de faire collaborer de multiples intervenants aux profils très divers, dont par exemple: 5/15 • 3 membres d'Antenna Technologies (Bertrand Graz, Jacques Falquet et Merlin Willcox, ce dernier représentant aussi le RITAM (Research Initiative on Traditional Antimalaria Methods, Oxford) et le Global Initiative For Traditional Systems of Health (GIFTS). • le Département de Médecine Traditionnelle malien (DMT) dont le directeur à Bamako, le Dr Drissa Diallo, fut le responsable des activités de ce projet au Mali. • le Centre Régional de Médecine Traditionnelle (CRMT) situé à Bandiagara, à près de 700 kilomètres au nord-est de Bamako, où le Dr Pakuy Pierre Mounkoro, chef du Centre, coordonnait alors les activités prévues dans les aires de santé de Kendié et Finkolo AC. • deux membres du groupe "Mali-Genève" dépendants du Professeur André Rougemont de l'Hôpital Universitaire de Genève, à savoir M. Diafara Berthé, psychologue et enquêteur spécialisé, ainsi que M. Olivier Martin responsable des outils informatiques et pédagogiques. • le Dr Sergio Giani, pharmacien, qui était responsable de la coordination avec la DDC à Bamako, ainsi que des communications avec Antenna Technologies à Genève. • deux étudiants de la faculté de médecine et de pharmacologie de l’Université de Bamako, Messieurs Florent Dakouo et Moussa Dicko qui ont reçu des bourses de thèse prévues à cet effet pour assurer la permanence des efforts de soins après le terme de l’action conjointe. • d’autres étudiants ou chercheurs maliens en pharmacie, comme Adama Berthé ou Oumar Sidibé. • un comité scientifique malien de docteurs et de professeurs est venu compléter cette équipe, à savoir les docteurs Masambou Sacko du PNLP et Adama Diawara du DPM, ainsi que le professeur Abdel Kader Traoré du CNAM (Centre National d'Appui à la Lutte contre la Maladie). Au cours de cette première phase, les enquêtes menées auprès de plus de 1000 ménages, mais aussi auprès des tradipraticiens, ont montré que le paludisme, simple ou grave, était d'abord soigné en famille. Ce n'est qu'en cas de paludisme grave que fut observé un recours accru aux tradipraticiens et, dans une moindre mesure, aux structures sanitaires modernes. Il fut également possible d'établir des corrélations entre les traitements utilisés (médicaments modernes ou traditionnels) et l'évolution des patients. Les premiers résultats de cet essai clinique observationnel ont mis en évidence certaines plantes médicinales systématiquement associées à de bons résultats thérapeutiques. Les extraits de ces plantes furent testés in vitro pour leur activité anti-paludéenne sur une souche de Plasmodium falciparum résistant à la chloroquine. Les mesures effectuées par la suite à Bâle à l'Institut Suisse des Maladies Tropicales (STI) ont montré que six plantes sélectionnées au cours des enquêtes s'avéraient fortement actives contre le parasite responsable du paludisme. En revanche, il y a toujours des imprévus ou des déceptions lors de grandes enquêtes ; ainsi l'observation des recettes traditionnelles familiales utilisées en cas d’hépatites n'aboutit à rien de concluant bien que cette recherche spécifique fut poursuivie plus longtemps qu’initialement prévu. On ne réussit pas toujours. 5) Deuxième étape de l’action La deuxième étape comportait de nombreux volets destinés à améliorer effectivement l’intégration des systèmes de soins au Mali. Elle était prévue originellement en 6 points et devait inclure une étude clinique. Elle allait impliquer une cinquantaine de personnes, la plupart déjà rencontrées à l’occasion de la première étape. Du fait des nouveaux résultats scientifiques obtenus durant la première phase, par définition imprévisibles au moment de la conception du projet en 2001, il fut décidé de rajouter deux nouveaux points à mettre en oeuvre, dont une deuxième étude clinique, précisément celle concernant le sucre sublingual. Parmi les 6 premiers points, il avait été décidé d’analyser minutieusement le fonctionnement de la clinique de Sikasso, située à 370 kilomètres au sud-est de Bamako ; d’abord à titre de modèle dans 6/15 un premier temps, puis de proposer des améliorations à réaliser effectivement de sorte qu'une qualité de soins suffisante soit atteinte dans un deuxième temps. On retiendra par exemple parmi les mesures prises la mise à disposition de kits d'urgence pour la prise en charge du paludisme grave incluant le matériel nécessaire à des transfusions de glucose, la conception d’un schéma thérapeutique; et un processus de suivi des cas avec mise en évidence des facteurs de risque et des failles dans la prise en charge. Le travail de thèse de Monsieur Moussa Dicko, consacré à la qualité des soins à Sikasso fut financé à cet effet. Les statistiques de l’hôpital de Sikasso ont attesté depuis que les différentes actions menées ont entraîné une baisse de la létalité de près de moitié ! La prise en charge clinique du paludisme nécessitait d'améliorer toute une série de pratiques ; à commencer par la prise de mesures découlant des observations effectuées pendant la première phase d’étude. Les analyses phytochimiques concernant les six plantes mentionnées plus haut furent effectuées en Europe au début Carte : www.quid.fr de la deuxième phase. Elles aboutirent au fait qu’une seule d'entre elles, l'Argemone mexicana, fut retenue sur la base de plusieurs critères (écologiques, absence de confusion possible avec d’autres plantes, etc.) pour être l’objet d’études plus approfondies qui se sont révélées satisfaisantes sous tous les aspects. Il restait toutefois à vérifier que cette plante présentant théoriquement tous les avantages allait rester intéressante dans la pratique de sorte à pouvoir être recommandée, avec la posologie adéquate, comme Médicament Traditionnel Amélioré. Cela nécessita de monter une première étude clinique randomisée où le traitement à l’argémone était comparé au traitement classique à base d’artémésinine, le CTA (Combinaisons thérapeutiques à base d’artémésinine) recommandé par l’OMS. L’étude eut lieu dans le village de Missidougou, situé à l’est de Sikasso et que l’on n’atteint qu’après avoir parcouru quelques 70 kilomètres de piste, dans des conditions typiques de la situation réelle en zones reculées, où avait déjà eu lieu l’étude observationnelle qui avait révélé l’intérêt de l’argémone. La thématique de cette première étude clinique (« paludisme simple ») à constitué le sujet de thèse de Monsieur Florent Dakouo, étudiant à l’Université de Bamako. Sans cette étude clinique visant à prouver l’efficacité de l’Argemone mexicana, les observations et analyses de la première phase ne seraient restés que pure théorie. On peut estimer que cette étude clinique coûta à elle seule quelques 40'000 francs suisses, ce qui est bien peu si l’on songe que la voie traditionnelle visant à produire un médicament basé sur une nouvelle molécule peut facilement prendre jusqu’à 10 ans et revenir à quelques dizaines ou centaines de millions de francs. Ce résultat important put également être obtenu au faible coût indiqué parce que le personnel hospitalier malien fut mis à contribution pour l'essentiel du travail réellement effectué, les intervenants d’Antenna Technologies n'opérant sur place que pour les formations strictement nécessaires. C'est en cela que l'implication du demandeur local en tant que véritable partenaire est nécessaire au bon fonctionnement du concept d'ONG-relais. Il est intéressant et significatif de remarquer que, même avec une approche innovante et des frais comparativement réduits, la rigueur intellectuelle ne permet pas de brûler toutes les étapes d’une démonstration scientifique de sorte qu’il fallut en définitive pas moins de 6 ans d'une large collaboration entre médecins maliens et scientifiques européens pour déterminer qu'il y avait effectivement une potion traditionnelle, parmi les centaines réellement utilisées par les familles les plus pauvres au Mali, qui, par chance, pouvait être recommandée parce qu'elle offrait une 7/15 efficacité de traitement réelle, comparable en fait à celle des meilleurs médicaments, sans présenter par ailleurs de risque médical, social ou environnemental [10]. L'existence depuis 2007 du « Soumafoura », MTA malien à base de feuilles d'Argemone mexicana témoigne de ce long effort. Le village de Missidougou En l'on en arrive enfin à l'étude clinique sur le sucre sublingual qui est le thème central de notre article. Cette étude n’ayant en fait pas été prévue à l’origine, elle peut, en dépit de son importance, être vue paradoxalement comme une simple sous-étude, collatérale à l'effort général. 6) Montage d'une nouvelle étude clinique Avant même la fin de la première phase, en 2004, il était clairement visible qu'un des problèmes qu'il ne serait pas possible de résoudre par l'éventuelle identification réussie d’une tisane antipaludéenne efficace était celui des enfants tombés en coma hypoglycémique, coma qui est fréquemment induit par le paludisme ; or l’hypoglycémie est l’un des facteurs de risque d’évolution fatale. Cela concerne surtout les jeunes enfants car dans des zones fortement impaludées, les adultes finissent en général par développer une résistance partielle au parasite. Quoi qu’il en soit, les jeunes patients comateux étant par définition incapables d’ingurgiter quelque potion que ce soit, il fallait trouver quelque chose pour ces cas de paludisme dit grave. Le service de pédiatrie de la clinique de Sikasso était alors dirigé par un pédiatre remarquable, Moussa Eugène Dembele, avec ses 35 ans de métier derrière lui, aujourd’hui à la retraite. Dembele avait bien entendu parler des résultats préliminaires encourageants de l'étude clinique alors menée par Barennes à Bobo-Dioulasso, c'est-à-dire à 170 kilomètres à peine de Sikasso, de l'autre côté de la frontière burkinabée. Dembele en avait à son tour parlé à Bertrand Graz qui ne fut pas plus étonné que cela de l’usage du sucre sublingual. En effet, il avait été en stage entre 1987 et 1988 dans le Val d'Anniviers chez un couple de médecins alpinistes, Urs et Suzy Wiget. Or, lorsque cette dernière devait relever rapidement le taux de glucose sanguin de ses patients, elle n’hésitait pas à leur déposer directement du glucose sous la langue, avec un succès réel qui implique l’existence d’un mécanisme de transfert direct du glucose dans l’organisme à travers les muqueuses. Du point de vue de Graz il ne restait simplement qu’à s’assurer qu’il y a bien dans la salive quelque chose comme une enzyme capable de casser le sucrose (nom scientifique du sucre alimentaire qui est un disaccharide) en glucose et fructose (deux monosaccharides) pour confirmer le mécanisme global 8/15 expliquant l’efficacité du sucre sublingual. C’est une idée naturelle dans la mesure où il est bien connu qu’il y a dans la salive des enzymes, comme l’amylase, qui transforment les polysaccharides, comme l’amidon, en disaccharides et trisaccharides. De là à imaginer qu’il pourrait y avoir une autre enzyme capable de convertir le sucrose en glucose, il n’y avait qu’un pas. Une simplissime expérience de mesures de glycémies mesurées de 5 en 5 minutes après une mise en bouche de sucre effectuée un petit matin à jeun par l’équipe d’Antenna Technologies, sur ellemême et sur Oumar Sidibé, fournit une première indication de la validité du concept. Ce petit essai permit même d’évaluer la quantité absolue de « sucre » passant dans le sang en estimant les volumes sanguins. Vu la simplicité et le très faible coût de cette vérification, on peut se demander pourquoi personne ne semble l’avoir décrite précédemment. Le principe de l’efficacité du sucre sublingual leur semblant désormais acquis, il se posa alors aux médecins d'Antenna Technologies et du Mali la double question de savoir si l'usage du sucre sublingual serait également intéressant pour sortir rapidement les jeunes enfants de leur coma hypoglycémique, et s'il serait possible de monter une rigoureuse étude clinique d'une ampleur suffisante pour être convaincante d'un stricte point de vue de Santé publique. En cas de réussite, il n’y aurait plus besoin d'avoir à déterminer le mécanisme physiologique sous-jacent pour emporter la conviction des autorités médicales. C'est alors que parut en 2005 l'étude de Barennes et que furent mentionnées les premières difficultés rencontrées par ce dernier pour diffuser l'intérêt de la méthode sublinguale en dépit de résultats cliniques encourageants. Alors que Graz en discutait quelques temps plus tard les raisons avec Jacques Falquet, évoquant la perspective de longues et incertaines recherches bibliographiques dans l’espoir de fournir une réponse satisfaisante aux sceptiques, ce dernier, biochimiste de formation et directeur de la recherche scientifique d’Antenna Technologies, suggéra d’effectuer sur le champ un expérience préliminaire coûtant moins de 10 francs suisses susceptible de convaincre les plus récalcitrants en cas de succès. Elle consiste simplement, après s’être brossé les dents et avoir rincé la cavité buccale à jeun avec un désinfectant ordinaire dans le but de minimiser un éventuel effet bactérien, à garder en bouche du sucre en poudre et d’observer le résultat après un certain temps. Le sucre mélangé de salive est alors versé dans une éprouvette. Il suffit alors de faire agir sur ce mélange un peu de liqueur de Fehling, un réactif de couleur bleu ciel inventé en 1849 qui, à ébullition, tourne au jaune-orange en présence de glucose. L’expérience montre que l’effet est bien réel et d’autant plus prononcé que l’action de la salive est longue : du glucose est bien produit lorsqu’on fait séjourner du sucrose un certain temps dans la cavité buccale. Graz n'en fut que plus surpris d'apprendre que l’efficacité du sucre sublingual restait contestée dans le milieu médical, même après qu’il soit fait mention du « test à 10 francs » que l’on vient de décrire. C'était dérangeant parce cela allait rendre encore plus difficile la recherche de fonds en vue d’adapter la méthode du sucre sublingual au cas du paludisme grave alors qu’une étude clinique convaincante s’avérait toujours plus nécessaire. A. Salive seule 1 ml B. Sucre seul C. Sucre dans la bouche D. Sucre dans la bouche E. Sucre dans la bouche lavagebuccal F. Sucre dans la bouche (contrôle) (contrôle) (1 min) (5 min) (1 min), après (5 min), après lavage buccal On détecte du glucose en D et F après quelques minutes avec ou sans désinfection buccale . 9/15 C'est ici que les nombreux liens de confiances tissés durant ces longues années entre Antenna Technologies et les personnages clés de la Santé malienne allait rendre possible le montage rapide de l’étude qui nous intéresse ici sans avoir à demander un nouveau financement. La DDC accepta en effet de modifier en cours de route le programme de coopération approuvé depuis des années pour inclure cette nouvelle étude clinique. C’était d’autant plus méritoire que certains efforts de la DDC en vue d’améliorer la prise en charge du paludisme grave à l’hôpital de Sikasso étaient restés sans effets notables pendant des années. Le grand mérite de la DDC fut d’accepter de tenir compte de résultats imprévus de la recherche scientifique, grâce en particulier à l'appui de Messieurs Ahlin Byll à Berne, et Patrick Etienne à Bamako. En effet, la plupart des institutions de coopérations ont adopté toutes sortes de procédures pour s’assurer que toute l’aide prévue soit entièrement et rigidement affectée aux actions initialement approuvées ; que cela soit par craintes des détournements d’objectifs ou par peurs de gaspillages. Cela se comprend du fait de la responsabilité qu’ont ces institutions envers leurs bailleurs, les contribuables suisses dans notre cas, mais cela les mets évidemment en porte à faux avec les imprévus qui par définition se produisent régulièrement lorsque l’on fait de la recherche scientifique. Bertrand Graz et Jacques Falquet d'Antenna Technologies, et Merlin Willcox, maintenant au RITAM à Oxford, mais qui alors travaillait pour Antenna Technologies, eurent la tâche de concevoir le protocole de cette nouvelle étude clinique (« paludisme grave ») qui aurait à se dérouler à Sikasso et environs, en pleine saison des pluies, au pic de la malaria, pendant une durée assez longue pour traiter un nombre suffisant d'enfants pour que le résultat anticipé soit statistiquement significatif. Ils bénéficièrent en particulier des avis de l'institut des maladies tropicales de Bâle (plus connu sous le nom de Tropeninstitut), de ceux du Professeur André Rougemont (de l’Hôpital Universitaire de Genève) ainsi que de l’expérience du Dr Barennes. Le Dr Merlin Willcox fut présent sur le terrain pendant 4 mois passant plusieurs fois de Sikasso à Missidougou pour les besoins de l’étude. Bertrand Graz fit plusieurs séjours d'un mois au Mali; Jacques Falquet fut également présent, secondé pendant quelques semaines par son épouse Victoria, infirmière, sans oublier Bernard Lambert de Médecins du Monde (France) qui y passa un été financé par la Fondation Grandjean à Val-de-Travers (Suisse). Les autorités sanitaires maliennes, sans lesquelles rien n'aurait pu être fait, accordèrent leur appui à l'étude proposée en conformité avec les exigences du sourcilleux Comité d'éthique national. Chiaka Diakité, adjoint direct de Drissa Diallo, le directeur du DMT, fut si intéressé par les études en cours qu’il se rendit même plusieurs fois à la clinique de Sikasso pour s'enquérir de l'évolution du projet. Pendant la durée de l'étude clinique proprement dite, entre juillet et septembre 2006, les Dr Graz, Willcox et Falquet se rendirent sur place non seulement parce qu'ils en avaient la responsabilité mais aussi pour y former les équipes de soins maliennes désireuses de s'approprier intimement la méthode. Le personnel médical de l'hôpital de Sikasso, notamment les docteurs Lemine Bagayoko, Moussa Dicko et Moussa N. Dembele (un parent de Moussa Eugène Dembele mentionné auparavant), étaient évidemment bien placé pour connaître l'état de dénuement des populations rurales, incapables qu'elles sont pour la plupart ne serait-ce que d'acquitter des dépenses liées à une perfusion de glucose. L'administration d'une preuve scientifique d'efficacité offrait la perspective aux équipes soignantes de disposer d'une méthode adaptée aux réalités du pays. Il fallait aussi impliquer dans l'étude suffisamment de membres du personnel infirmier pour qu'en période d'affluence massive des malades ils aient suffisamment d’aisance pour mettre en pratique la nouvelle méthode du sucre sublingual en dépit du stress; et surtout qu'ils réussissent à prendre en charge les malades selon le protocole rigide d’une étude clinique randomisée qui respecte un cadre éthique particulièrement exigeant puisque l’étude allait impliquer de très jeunes enfants en danger de mort. En d’autres mots, le personnel soignant fut spécifiquement formé pour sélectionner et prendre en charge les sujets de l'étude pendant qu’ils auraient par ailleurs à faire face aux autres entrées hospitalières ordinaires 10/15 Ci-dessus :Personnel soignant de la clinique de Sikasso et membres d’Antenna Technologies Les estimations retenues par Graz, Falquet et Willcox furent suffisamment exactes pour que l’expérience se révèle significative avec les données de la seule clinique de Sikasso. Au final, sur 151 jeunes patients atteints de paludisme grave présomptif, 23 passèrent toutes les conditions pour être retenus dans l'étude. Ce nombre peut sembler faible mais fut néanmoins suffisant parce que les données soigneusement recueillies les rendent statistiquement significatives : elles avaient en effet été saisies de façon suffisamment détaillées et sûres pour que les analyses permettent d'affirmer la réalité de l'élévation rapide du glucose sanguin par la méthode du sucre sublingual, avec une rapidité égale à celle de l'injection intraveineuse de glucose ! Il est difficile d’évaluer le coût propre de l’étude clinique « sucre sublingual » dans la mesure où les dépenses occasionnées à cet effet se sont entremêlées avec celles nécessaires à la mise en œuvre des 7 autres points faisant partie du projet global. En tout état de cause, ce coût n’a pas dû dépasser les 15 à 20'000 francs suisses. La modestie de ce chiffre montre bien qu'Antenna Technologies n'aurait pu mener seule à bien cette recherche sans la détermination des soignants du service de pédiatrie de l'Hôpital de Sikasso où fut en pratique effectué la plus grande part du travail. 8) Publier, ou le savoir faire du faire savoir Il restait à publier le véritable résultat scientifique obtenu au Mali; a savoir que la prise de sucre sublingual est aussi efficace que l'injection intraveineuse de glucose. Cela a demandé une analyse des données très sérieuse, à la mesure de la taille modeste de l’enquête. Il apparut relativement tôt que les résultats de l’analyse étaient tout à faits satisfaisants d’un point de vue de Santé publique, mais que l’acceptabilité du résultat resterait plombée aux yeux des praticiens par le fait qu’aucun mécanisme explicatif de transfert du glucose n’était fourni, comme l’avait expérimenté à ses dépens Barennes à chaque fois qu’il avait présenté les résultats de son étude clinique au Burkina Faso. Suite à « l’expérience à 10 francs », Bertrand Graz ne pouvait cependant croire que les mécanismes de la transformation du sucre déposé dans la cavité buccale en glucose et à son transfert dans l’organisme n’aient jamais été observés. A la suite d’une recherche bibliographique acharnée, il finit par repérer les études des dentistes finlandais et des pharmaciens japonais mentionnées au début de notre article, études qui avaient probablement coûté suffisamment d’argent pour être crédibles aux yeux des médecins. Il était alors désormais certain que les conclusions de l’étude maliennes étaient devenues incontestables, à condition d’être bien présentées... 11/15 Du lointain Laos où il avait œuvré pendant la durée de l’étude, le Dr Barennes ne put que contribuer à la rédaction de l'article scientifique. Il suggéra en particulier de publier les résultats de l'étude dans le Malaria Journal qui offre la possibilité à quiconque, contrairement à ce qui se fait d'ordinaire, de télécharger gratuitement ceux des articles dont les auteurs acceptent de payer forfaitairement les frais de publication à la place des lecteurs. En raison de l'état des finances des médecins et des populations principalement concernés par l'étude, Antenna Technologies se fit un devoir de débourser cette somme, environ 700 euros, pour en assurer une diffusion maximale. Bien que Barennes n’ait pas directement participé à l’étude malienne de par ses autres activités et son éloignement géographique, il a, en raison de ses commentaires et analyses, bien mérité sa place dans l’article du Malaria Journal en tant que « corresponding author », ce qui pour un lecteur francophone est irrésistiblement, mais de façon erronée, compris comme « l’auteur à contacter » ; et ce qui devait arriver arriva. Un collaborateur de l’Agence France Presse, intrigué par le titre du Communiqué de presse émis le 17 février 2009 par Antenna Technologies « Paludisme : du sucre mouillé pour sauver des vies » décida d’en savoir plus en contactant directement Hubert Barennes qui ne s’y attendait probablement pas. Le résultat fut que l’AFP fit paraître un nouveau communiqué de presse présentant Barennes comme responsable de l’étude à la place d’Antenna Technologies sans mentionner le financement de la coopération suisse sans lequel rien n’aurait eu lieu. Cette incongruité eut cependant un effet hautement bénéfique. L’annonce par l’AFP du succès d’un médecin français contribua peut être à la décision du Nouvel Observateur de reprendre le 19 février sur son site de diffusion d’informations en ligne le contenu de ce deuxième communiqué [11], en ne manquant pas de faire savoir que l’intérêt du sucre sublingual allait certainement s’étendre en dehors du cadre du paludisme grave des jeunes enfants et que cela serait à confirmer par d’autres essais cliniques. Plusieurs autres sites de diffusion d’informations en ligne, notamment en Afrique, n’allaient pas manquer de reprendre à leur tour l’information du Nouvel Observateur. 9) Bilan Quel bilan tirer de tout cela maintenant que les aspects scientifiques méritant publication sont parus dans l'article du Malaria Journal mentionné dans l’introduction et qu'une traduction française de cet article est téléchargeable gratuitement sur le site d'Antenna Technologies [12] ? En dépit de la faible visibilité scientifique de ce genre d'études, le coup d'audace a été de contrer une idée reçue tenace dans les milieux médicaux, en démontrant que le sucre n'a pas besoin d'être avalé pour agir sur la glycémie : par simple contact avec les tissus de la cavité buccale, spécialement sous la langue, on observe une remontée extrêmement rapide du sucre sanguin, bien plus rapide en fait que si le sucre était avalé ! D’où le geste qui sauve : ouvrir délicatement la bouche de l’enfant pour y glisser une cuillerée de sucre légèrement humidifié sous la langue. Une des ironies de cette étude est que pour comparer équitablement du point de vue scientifique la prise de sucre sublingual à l'injection intraveineuse de glucose il a fallu favoriser artificiellement les conditions d'utilisation de cette dernière méthode en mettant à la disposition des équipes soignantes de l’hôpital de Sikasso tout le matériel de perfusions nécessaire et les doses de glucose prêtes à l'emploi. Or, il faut savoir que dans la réalité du terrain, ces ingrédients ne sont pas toujours disponibles dans les centres de soins; sans compter que les parents désespérés qui y amènent leurs enfants comateux se retrouvent d’abord avec une ordonnance en main avec pour mission d’aller acheter auprès du pharmacien la dose de glucose requise (et autres médicaments). Sans même parler du temps perdu, les parents n'ont souvent même pas de quoi payer ces doses et repartent en emportant leur enfant... Le point essentiel de l'étude clinique SSL, qui fut un de ces à-côtés imprévu de la longue étude menée par Antenna Technologies pour conseiller les services de Santé malien fut ... qu'elle put être menée à bien. 12/15 Cela fut en définitive possible sans demander un nouvel effort de financement à la DDC parce que les équipes d'Antenna Technologies étaient bien intégrées depuis des années aux services de Santé maliens de sorte que les acteurs se connaissaient parfaitement. Ils savaient qu'ils pouvaient avoir confiance dans les motivations et les capacités des uns et des autres et disposaient de la souplesse nécessaire pour effectuer les remaniements nécessaires au sein d’un programme déjà établi. S'il avait fallut concevoir ab initio un telle étude clinique, son coût prévisible aurait été bien plus élevé, peut être au point où il aurait été impossible d'en trouver le financement. L’intérêt des études cliniques menées par des ONG à buts humanitaires à très bas coûts, au plus quelques dizaines de milliers de francs, comme celle sur l’Argémone ou celle sur le sucre sublingual, est qu’elles ne peuvent être suspectées de conflit d’intérêt comme celles usuellement dix à cent fois plus coûteuses financées par les grandes industries pharmaceutiques. Les deux doctorants financés dans le cadre des deux études sur la malaria dont nous avons parlé, Moussa Dicko à Sikasso et Florent Dakouo à Missidougou, avaient montré une détermination et des compétences similaires à celles des meilleurs étudiants des facultés de médecine européennes, en dépit de perspectives professionnelles nettement moins favorables. Cette observation illustre une nouvelle fois que les conditions économiques des populations les plus pauvres réclament une recherche scientifique adaptée à de faibles moyens financiers certes, mais qui soit quand même de qualité. Il importe en effet que les soins découlant de cette recherche scientifique soient suffisamment bons et efficaces pour que les malades les plus pauvres s’y retrouvent financièrement, même en payant à sa juste valeur le personnel soignant. Autrement, les plus brillants chercheurs locaux, tels nos deux doctorants sus-mentionnés, n’auront d’autre choix pour gagner leur vie que d’abandonner la recherche scientifique, provoquant un nivellement par le bas de la qualité des soins. L’objet de l'étude clinique « sucre sublingual » n’a jamais été de déterminer les mécanismes de cette efficacité. Cette ignorance est en principe sans importance d'un point de vue de Santé publique où seuls les rapports coût/efficacité comptent, mais cela fut un grand soulagement lorsqu’on put mettre la main sur les études des dentistes finlandais et des pharmaciens japonais. Le bonus de cette trouvaille tardive est qu’il y a désormais toutes les raisons de croire que la méthode du sucre sublingual s’applique à d’autres contextes que celui du paludisme grave. Antenna Technologies pense déjà à un essai clinique où le sucre sublingual serait étudié dans un contexte de malnutrition sévère, mais ceci est une autre histoire. Retenons néanmoins que le paludisme est la principale cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans en Afrique (20%) où comme on l’a déjà écrit cette maladie est responsable de 40% des dépenses de Santé publique et de 30 à 50% des admissions dans les hôpitaux. Jusqu’à 50% des consultations externes peuvent lui être attribuée. Il en résulte que dans la course contre la montre que représente la prise en charge des enfants en état de paludisme grave, la mise en évidence des bénéfices de l’administration de sucre sublingual est une aubaine pour les régions les plus reculées dans lesquelles la maladie fait le plus de ravages. Le défi consiste maintenant, pour toutes les personnes de bonne volonté, à faire connaître ce procédé aux spécialistes en médecine tropicale du Monde entier, à mettre à jour les livres de références, et à s’assurer que l’OMS et les autres Agences de santé incluent ce procédé dans leurs directives. Jean-Pierre Hurni le 25 août 2009 13/15 Références [1] Graz B, Dicko M, Willcox ML, Lambert B, Falquet J, Forster M, Giani S, Diakite C, Dembele EM, Diallo D, Barennes H. Sublingual sugar for hypoglycaemia in children with severe malaria: A pilot clinical study. Malaria Journal 7:242 (2008). http://www.malariajournal.com/content/7/1/242 [2] pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder l’immense majorité des références sélectionnées par les moteurs de recherches à l’aide de mots clés tels que « sucrose », « glucose » « digestion », etc. Voir par exemple http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070325140940AADRZAW [3] Par exemple, le tableau très complet des principales enzymes digestives, page 442 de l’ouvrage de W.F. Ganong, Physiologie médicale (De Boeck, Paris, 2005), ne mentionne la sucrase sécrétée que dans la muqueuse intestinale. Cet ouvrage de référence de 850 pages est la traduction française de la 21ème édition américaine qui certainement n’affirme rien de plus... [4] Makinen KK, Scheinin A Turku sugar studies.VII. Principal biochemical findings on whole saliva and plaque. Acta Odontol Scand 34 (1976) 241-283. [5] Kurosaki Y, Yano K, Kimura T. Perfusion cells for studying regional variation in oral mucosal permeability in humans. 2. A specialized transport mechanism in D-glucose absorption exists in dorsum of tongue. J Pharm Sci 87 (1998) 613-615. Oyama Y, Yamano H, Ohkuma A, Ogawara K, Higaki K, Kimura T. Carrier-mediated transport systems for glucose in mucosal cells of the human oral cavity. J Pharm Sci 88 (1999) 830-834. [6] Barennes H, Valea I, Nagot N, Van de Perre P, Pussard E. Sublingual sugar administration as an alternative to intravenous dextrose administration to correct hypoglycemia among children in the tropics. Pediatrics 116 (2005) e648-e653. [7] Lightman A, Gingerich 0. When do anomalies begin ? Science 255 (1992) 690-695. [8] Graz B, Elisabetsky E, Falquet J. Beyond the myth of expensive clinical study: Assessment of traditional medicines. Journal of Ethnopharmacology 113 (2007) 382–386. [9] http://www.antenna.ch [10] Diallo D, Graz B, Falquet J, Traoré AK, Giani S, Mounkoro PP, Berthé A, Sacko M, Diakité C. Malaria treatment in remote areas of Mali : use of modern and traditional medicines, patient outcome. Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene 100 (2006) 515-520. 14/15 [11] http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20090219.OBS5484/le_sucre_pourrait_sauve r_des_milliers_denfants.html (consulté le 10 juin 2009) [12] http://www.antenna.ch/documents/paludisme_sucre_sublingual_hypoglycemie.pdf 15/15