Petite histoire du sucre sub-lingual

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Petite histoire du sucre sub-lingual
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Sucre sublingual
Histoire et petites histoires d'un essai clinique
25 août 2009
Le paludisme est la principale cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans en
Afrique (20%) où il est responsable de 40% des dépenses de Santé publique, de 30 à 50% des
admissions dans les hôpitaux, et jusqu’à 50% des consultations externes lui sont dues. Tous
continents confondus, près de 800.000 enfants meurent chaque année de cette maladie, le plus
souvent lors d'une complication hypoglycémique. Un article publié dans le Malaria Journal de
novembre 2008 est cependant porteur d'espoir [1]: il montre que pour aider à traverser la crise de
paludisme le dépôt de cuillerées de sucre mouillé déposées sous la langue de ces jeunes
malades s’avère aussi efficace et bien moins problématique que l'injection intraveineuse de
glucose.
Mais à la suite de quelles circonstances une ONG à but humanitaire genevoise, Antenna
Technologies, en est-elle venue à concevoir et mener à bout un essai clinique organisé au Mali
avec le soutien financier de la DDC (Direction du Développement et de la Coopération suisse)
pour vérifier l'action d'une cuillerée de sucre posée sous la langue ?
Une cuillère de
sucre mouillé
On ouvre
délicatement la
bouche
On dépose le sucre
mouillé sous la langue
puis mettre l’enfant sur
le côté pour qu’il ne
s’étouffe pas.
Toujours surveiller qu’il respire et renouveler le sucre mouillé toutes les 10—15 minutes
1) Du sucre au glucose intraveineux
Bien des parents donnent un bonbon ou une friandise sucrée à leurs enfants ou leurs adolescents
devenus irascibles sans raison évidente. Le résultat ne se fait pas attendre, et ne surprend personne:
le grincheux avait un "petit creux" et le coupe-faim a fait son effet. Peu importe dans la vie de tous
les jours que l'effet positif ait eu lieu au niveau psychologique ou au niveau physiologique.
En revanche, c'est une vraie question pour le médecin qui aurait plutôt tendance à chercher, et
trouver, une réponse du côté de la physiologie: il arrive que les diabétiques ressentent
soudainement un malaise en cas d'épisode hypoglycémique, et ces malades apprennent
rapidement à garder à portée de main un ou deux morceaux de sucres pour se "requinquer"
suffisamment dès l'apparition des premiers symptômes avant de procéder au traitement prescrit par
leur médecin.
On sait qu’il faut une demie heure en tout après l’ingestion du sucre pour que ce dernier atteigne
l’intestin grêle où il est absorbé et que le glucose qui résulte de ce processus digestif se retrouve
dans le flux sanguin [2].
Le problème qui nous préoccupe est qu'un patient hypoglycémique tombé dans le coma est
incapable d'ingurgiter ce sucre salvateur de sorte que la pratique médicale universellement
recommandée en de tels cas consiste à procéder immédiatement à une infusion directe de
glucose intraveineuse, ou à installer un tube gastrique et y instiller du glucose.
Un de ces actes, banal en milieu hospitalier, demande du temps au personnel infirmier, et il arrive
que ce temps manque en cas d'urgences, et ce n’est pas sans danger. Il n'est de ce fait pas
étonnant que les infirmiers apprennent de leurs collègues, ou retrouvent par eux-mêmes, quelques
"trucs" propres à leur profession; en particulier qu'il est fréquent de réussir à sortir des patients de leur
coma hypoglycémique rien qu'en disposant une cuillerée de sucre légèrement mouillé sous la
langue.
2) Le poids de la tradition médicale
Si tout était si simple, il y a longtemps que l'utilité du sucre sublingual serait enseignée aux médecins;
mais on continue de trouver des ouvrages médicaux de référence affirmant erronément que le
sucre est absorbé seulement au niveau du duodénum où il est transformé en glucose avant de
passer dans le sang [3]. Cette fausse affirmation n'a pas encore été corrigée partout, bien que des
expériences menées par des dentistes finlandais (soucieux, eux, de la présence de sucre dans la
bouche) aient montré il y a plus de trente ans que la salive dégrade le sucre en glucose grâce à
une enzyme, la sucrase [4], et qu’une équipe de pharmaciens japonais ait montré en 1999 qu'il y a
un mécanisme direct de transfert du glucose par les muqueuses de la cavité buccale [5]. Hélas, du
fait de la spécialisation, les médecins ne lisent pas toutes les revues de dentisterie ou de pharmacie
(et certainement de même inversement). Comme de plus le corps humain a parfois la "curieuse"
capacité de se guérir spontanément pour des raisons peu claires, les réussites du sucre sublingual
sont largement restées perçues dans le milieu médical comme de simples curiosités cliniques non
généralisables; autrement dit sans contenu scientifique avéré.
Les faits sont têtus, et ils finissent parfois par s'imposer même aux médecins lorsqu'ils se retrouvent
dans des situations où les pratiques médicales recommandées sont inapplicables. C'est ainsi que le
pédiatre français Hubert Barennes s'est lui aussi convaincu de l'efficacité du sucre sublingual à
l'occasion d'administrations occasionnelles de sucre sous cette forme par une de ses équipes au
Niger au tournant de l'année 2000. La conviction intime n'est certes pas une preuve du point de vue
scientifique, mais l'important cependant a été que Barennes est un médecin, et qu'il a cherché à
prouver cette efficacité au moyen d'une étude clinique. Ce qui est plus vite dit que fait pour de
multiples raisons : éthiques (on ne peut pas à titre de contrôle laisser non soigné un groupe témoin
de patients), statistiques (il doit y avoir un nombre suffisamment élevé de traitements pour que les
résultats soient significatifs), financières ou autres. En dépit de ces difficultés, Barennes a néanmoins
réussi, quelques mois après être devenu en janvier 2005 enseignant-chercheur à l’Institut de la
Francophonie pour la Médecine Tropicale, à publier dans le Journal of Pediatrics les résultats d'une
étude clinique qu'il avait menée en 2004 cette fois ci à Bobo-Dioulasso au Bourkina Faso [6].
Son étude était centrée sur l'apport de cette méthode du sucre sublingual appliquée à la
correction de la glycémie d'enfants modérément hypoglycémiques. Elle n'a cependant été au
mieux perçue par le milieu médical que comme une étude préliminaire en raison peut être d'un trop
faible échantillonnage statistique, mais plus probablement en raison de l'explication proposée de
l'efficacité du procédé qui fut mise en avant dans le texte.
Il est bien connu qu'un certain nombre de médicaments sont dénaturés lors du métabolisme
digestif. Dans ce cas il est préférable de les faire pénétrer dans l'organisme à travers les muqueuses
lorsqu'il s'y trouve les dispositifs biochimiques qui permettent l'absorption de ces médicaments.
L'assimilation est alors rapide par comparaison avec l'ingestion pure et simple. Barennes a donc
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supposé assez logiquement, vu l'accroissement rapide du taux de glycémie par la méthode
sublinguale, que le sucre était dégradé en glucose directement dans la cavité buccale et absorbé
efficacement grâce à la grande vascularisation de la muqueuse sous la langue. Barennes en était
resté au niveau des suppositions car il n’avait pas eu connaissance des études des dentistes
finlandais et des pharmaciens japonais [4,5] mentionnées plus haut de sorte que les sceptiques
impressionnés par les résultats de son étude avaient beau jeu de se persuader, et d'argumenter au
besoin, que les enfants modérément hypoglycémiques retenus pour l’étude avaient simplement
avalé tout ou partie de ce sucre et que l'effet observé d'accroissement de glycémie résultait du
métabolisme ordinairement enseigné. Mais était-ce une raison pour rejeter le fort indice de la réalité
de l'effet lui-même?
On peut évidemment de l'extérieur se demander pourquoi le milieu médical refuse parfois une
observation sous le prétexte d'une tentative d'explication peu convaincante de cette observation :
rivalité entre médecins et dentistes ou méconnaissance de leurs publications scientifiques
respectives? Refus de la nouveauté puisque cela implique pernicieusement de changer toutes
sortes de façons de penser et d'enseigner; sans oublier d’avoir à corriger les ouvrages erronés, et de
perdre la face vis à vis de patients et confrères à qui on sait être incapable d'expliquer la raison du
succès d'une recommandation?
En fait, c’est une attitude courante en science qui est paradoxalement un milieu extrêmement
conservateur alors que ce sont pourtant les innovations qui en sont le critère de succès [7]. Il en est
de même en médecine où on pourrait quand même penser qu'une observation intéressante devrait
suffire à être prise au sérieux lorsque des vies sont en jeu; mais ce n'est hélas pas toujours le cas.
L'exemple peut être le plus fameux de cette résistance à la nouveauté est celui du refus tragique
des obstétriciens de la seconde moitié du 19ème siècle de se laver les mains après avoir procédés à
des autopsies effectuées dans le cadre de leurs enseignements. Ignaz Semmelweis l’avait pourtant
recommandé suite à une étude de mortalité lors des accouchements à l’hôpital, mais il ignorait tout
des germes et autres microbes qui allaient être découverts 40 ans plus tard par Pasteur. Semmelweis
fut non seulement ignoré par ses confrères et renvoyé de son hôpital en raison de son insistance à
faire savoir la vérité des chiffres ; et il finit même par être interné dans un asile psychiatrique...
Le plus charitable pour expliquer le conservatisme médical est quand même de suspecter
l'existence de tabous professionnels basés sur l'expérience. Une observation intéressante dans un
contexte médical précis mais sans explication plausible ne recèle-t-elle pas en son sein une bombe
à retardement qui pourrait s’illustrer tragiquement dans un autre contexte médical? La dissonance
cognitive entre le désir, conscient ou inconscient, de l'unité du genre humain et l’observation de la
diversité des personnes soignées ne pourrait-elle pas être elle aussi à l'origine d'un tel tabou?
Quoi qu'il en soit, on observe en médecine comme dans les autres domaines de l'acquisition du
savoir que les chercheurs préfèrent utiliser leur temps et les moyens mis à leur disposition pour
explorer des domaines perçus comme prestigieux (cancer, SIDA) ou pouvant rapporter gros
(diabète, impuissance). Quel acteur du monde académique ou du monde économique voudrait
par exemple risquer sa réputation et les places de travail de ses collaborateurs pour confirmer une
hypothèse contestée comme celle du sucre sublingual, qui n'offre dans le meilleur des cas aucune
perspective de reconnaissance scientifique, qui met en avant un produit “imbrevetable”, le sucre,
et dont l'immense majorité des clients concernés sont tout simplement insolvables?
C'est là, on va le voir, qu'apparaît tout l'intérêt d'un acteur inattendu de la recherche médicale:
l'ONG scientifique à buts humanitaires.
3) Médecines traditionnelles et ONG-relais
Dans tous les pays africains et dans de nombreux autres pays du monde il existe deux systèmes de
soins: le système "moderne" ou système importé (car introduit avec la colonisation) et le système
"traditionnel". Par système traditionnel on entend ici tout l’éventail des ressources thérapeutiques
locales auxquelles le malade et sa famille peuvent avoir recours. Les principaux acteurs de cette
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médecine traditionnelle auxquels on ne pense pas tout de suite sont d’abord les gens eux-mêmes
(automédication ou médecine familiale) et ensuite les dits thérapeutes traditionnels ou
tradithérapeutes, même si en fait tous ces acteurs n'ont jamais cessé d'évoluer dans leurs pratiques
de soins.
Une frange très élevée des populations des pays les plus pauvres ne pourrait tout simplement pas
avoir accès aux soins sans médecine traditionnelle faute de moyens financiers, raison pour laquelle
l'OMS promeut une collaboration efficace entre systèmes de santé moderne et de soins
traditionnels. L’une des difficultés majeures concerne l’évaluation scientifique des pratiques
traditionnelles; problème sur lequel s'est depuis longtemps penché l'ONG Antenna Technologies qui
a fini par mettre au point des méthodologies facilitant l’intégration de pratiques traditionnelles dans
les soins de santé primaires [8]. Ces méthodologies ne sont en général pas basées sur des
considérations théoriques mais sur l’observation clinique des résultats auprès des patients.
Créée il y a tout juste 20 ans en 1989, Antenna Technologies est juridiquement une association de
scientifiques, reconnue d’utilité publique et spécialisée dans les domaines de la nutrition, de la santé
et de l’eau [9]. L'équipe du bureau de Genève assure, selon le concept d'ONG-relais, la gestion et
le suivi des projets en partenariat avec ses antennes locales, des institutions internationales ou
d'autres ONG du terrain.
Contrairement à l'approche classique du développement qui consiste à fournir aux populations
dans le besoin des technologies présumées "appropriées", le principe de base d'une ONG-relais est
au contraire de délibérément admettre que ce sont à ces mêmes populations démunies de
déterminer quels sont les besoins fondamentaux qu'elles veulent réellement s'offrir en dépit de leurs
moyens financiers réduits. Si l'on met de côté les aspects techniques d'aide au montage de projets
et à leurs financements, le rôle réservé à une ONG-relais est celui d'un intermédiaire entre le
demandeur local et des chercheurs capables de trouver une solution scientifique originale.
L'expérience a montré qu'une telle ONG-relais, ou tout autre Institution-relais, doit elle-même être
composée de scientifiques capables dans un premier temps de transcrire la demande en un
programme de recherche scientifique compréhensible et financièrement compatible avec les
moyens réduits des demandeurs, qui puisse être réalisé le cas échéant au sein d'universités ou
d'entreprises commerciales, puis dans un second temps de retraduire les solutions de cette
recherche dans un langage et une pratique adaptés aux demandeurs. Cette approche requiert
naturellement la participation directe des populations concernées et vise à développer leur
autonomie, seule garante de la pérennité de l'action engagée.
Contrairement au monde de la Mode, l'expérience d'Antenna Technologies semble montrer que
dans le domaine de la satisfaction des besoins fondamentaux le développement du "taillé sur
mesure" est plus économique que celui du "prêt à porter", où par le "prêt à porter" on entend ici les
"technologies appropriées" au sens traditionnel du terme. Même ainsi il y a peu de telles ONG-relais
car, les demandeurs étant largement "insolvables", le financement de telles institutions ne peut
provenir essentiellement que de dons privés ou de fonds institutionnels dans le cadre de l'aide au
développement. Si l'on ajoute à cela la difficulté intrinsèque de reproduire à grande échelle le "taillé
sur mesure", on ne s'étonnera pas du nombre réduit d'ONG-relais à être efficacement en activité de
par le monde en comparaison des nombreuses institutions actives dans la diffusion du "prêt-àporter".
4) Exemples de "taillé sur mesure": AT en Mauritanie et au Mali
Dès la fin des années 1990, l’association "Médecins du Monde (Suisse)" s'était intéressée au rôle des
pratiques de soins traditionnels en Mauritanie. Une enquête préliminaire menée dans le Nord de ce
pays ayant démontré l’intérêt et l’ouverture des praticiens traditionnels pour une étude scientifique
de leurs pratiques, un partenariat fut mis sur pied, dès 1999, entre Antenna Technologies, les
demandeurs (ici en l’occurrence Médecins du Monde et l’ONG mauritanienne "Stand Up Solidarité")
et l’un des représentants reconnus de la médecine traditionnelle mauritanienne : Mohammed
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Yeslem Ould Maghari; l’option choisie étant de n’échanger que des connaissances qui pourraient
être librement divulguées.
Afin de mieux mettre en évidence les forces et les faiblesses de cette médecine traditionnelle
dérivant de la médecine d'Hippocrate et de ses grands successeurs arabes tel Avicenne et Rhazi,
un suivi clinique moderne de l’ensemble des patients de la clinique traditionnelle d’Ould Maghari fut
mis sur pied. Ce ne furent pas moins de cinq médecins européens qui se sont relayés afin d’assister
aux consultations de la clinique traditionnelle. Sans intervenir (sauf exceptions) dans les soins
proposés aux patients, ces médecins ont établi, pour chaque patient, un diagnostic moderne, un
pronostic ainsi qu’un dossier de suivi médical. Ils ont également noté le pronostic du praticien
traditionnel, ainsi que l’évolution réelle des patients. L'analyse de ces données selon des méthodes
d’épidémiologie a permis d’évaluer les avantages et les inconvénients des traitements proposés par
la clinique traditionnelle, en comparaison avec les résultats que l’on pouvait attendre dans les
services de santé modernes voisins.
On retiendra qu’au cours de ce projet les contacts répétés entre Ould Maghari et le Dr Oudaa du
Centre de santé de Toujounine ont abouti tout naturellement à la mise sur pied de rencontres
régulières où ces représentants de deux systèmes de médecine se présentent mutuellement des
patients; prouvant par là même qu’un langage commun peut être trouvé afin d’établir une
véritable coopération entre systèmes de soins très différents.
Parmi les rares pays à suivre les recommandations de l'OMS sur ce thème, on trouve le Mali, un des
pays les plus pauvres de la planète, mais qui se trouve avoir une réelle politique volontariste de
coopération entre techniques de santé modernes et traditionnelles. Le Ministère malien de la Santé,
comprend en particulier un Département des Médecines Traditionnelles (DMT) qui s'efforce de
mettre à disposition de la population des Médicaments Traditionnels Améliorés (MTA) lorsque c'est
possible.
Le paludisme est peut être le problème médical majeur de ce pays, au point qu'une instance
étatique chargée de la gestion de la problématique du paludisme au Mali a été créé tout
spécialement à cet effet: le PNLP (Programme national de lutte contre le paludisme). Même s'ils en
avaient les moyens financiers, les responsables du PNLP sont parfaitement conscients de
l'impossibilité de ne faire appel qu'à des réponses "modernes" à la lutte contre le paludisme. Selon le
Dr Georges Dakono, son coordinateur, "l’acheminement, le stockage et la distribution des
moustiquaires imprégnées d’insecticide au Mali représentent un défi majeur à relever; tout comme
le partage d’expériences dans ce domaine, la bonne organisation, la bonne entente et la bonne
concertation entre les partenaires dont la finalité est d’atteindre les objectifs fixés par l’Etat malien
dans la lutte contre le paludisme."
Pour cette raison, le Ministère malien de la Santé fit appel au début 2001 à Antenna Technologies
dans le but de lui proposer et de mettre en œuvre une politique de soins efficace sous forme d’une
collaboration fructueuse entre les trois niveaux de soins identifiés par les autorités sanitaires ; à savoir
la médecine "des mères de familles", des praticiens traditionnels et des professionnels des services
de santé modernes.
Ce fut possible grâce au ferme soutien financier de la DDC (Coopération suisse) qui menait de
longue date une action de soutien des soins au Mali, et qui accepta cette fois-ci de mettre à
disposition quelque 750'000 francs suisses pour cette action conjointe prévue en deux phases qui
allait durer 6 ans en tout. En gros, et pour fixer les idées, la moitié de cette somme allait être
dépensée en Europe sous forme d’analyses dans des laboratoires spécialisés et surtout pour la
rémunération des chercheurs d’Antenna Technologies, l’autre moitié étant dépensée directement
sur place au Mali. La première phase de tests méthodologiques fut menée jusqu’en 2004 suivie à
partir de cette date d’une deuxième phase de mise en oeuvre qui allait durer jusqu’en 2007.
La première phase donna l'occasion de faire collaborer de multiples intervenants aux profils très
divers, dont par exemple:
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•
3 membres d'Antenna Technologies (Bertrand Graz, Jacques Falquet et Merlin Willcox, ce
dernier représentant aussi le RITAM (Research Initiative on Traditional Antimalaria Methods,
Oxford) et le Global Initiative For Traditional Systems of Health (GIFTS).
•
le Département de Médecine Traditionnelle malien (DMT) dont le directeur à Bamako, le Dr
Drissa Diallo, fut le responsable des activités de ce projet au Mali.
•
le Centre Régional de Médecine Traditionnelle (CRMT) situé à Bandiagara, à près de 700
kilomètres au nord-est de Bamako, où le Dr Pakuy Pierre Mounkoro, chef du Centre,
coordonnait alors les activités prévues dans les aires de santé de Kendié et Finkolo AC.
•
deux membres du groupe "Mali-Genève" dépendants du Professeur André Rougemont de
l'Hôpital Universitaire de Genève, à savoir M. Diafara Berthé, psychologue et enquêteur
spécialisé, ainsi que M. Olivier Martin responsable des outils informatiques et pédagogiques.
•
le Dr Sergio Giani, pharmacien, qui était responsable de la coordination avec la DDC à
Bamako, ainsi que des communications avec Antenna Technologies à Genève.
•
deux étudiants de la faculté de médecine et de pharmacologie de l’Université de Bamako,
Messieurs Florent Dakouo et Moussa Dicko qui ont reçu des bourses de thèse prévues à cet
effet pour assurer la permanence des efforts de soins après le terme de l’action conjointe.
•
d’autres étudiants ou chercheurs maliens en pharmacie, comme Adama Berthé ou Oumar
Sidibé.
•
un comité scientifique malien de docteurs et de professeurs est venu compléter cette
équipe, à savoir les docteurs Masambou Sacko du PNLP et Adama Diawara du DPM, ainsi
que le professeur Abdel Kader Traoré du CNAM (Centre National d'Appui à la Lutte contre la
Maladie).
Au cours de cette première phase, les enquêtes menées auprès de plus de 1000 ménages, mais
aussi auprès des tradipraticiens, ont montré que le paludisme, simple ou grave, était d'abord soigné
en famille. Ce n'est qu'en cas de paludisme grave que fut observé un recours accru aux
tradipraticiens et, dans une moindre mesure, aux structures sanitaires modernes. Il fut également
possible d'établir des corrélations entre les traitements utilisés (médicaments modernes ou
traditionnels) et l'évolution des patients. Les premiers résultats de cet essai clinique observationnel
ont mis en évidence certaines plantes médicinales systématiquement associées à de bons résultats
thérapeutiques. Les extraits de ces plantes furent testés in vitro pour leur activité anti-paludéenne sur
une souche de Plasmodium falciparum résistant à la chloroquine. Les mesures effectuées par la suite
à Bâle à l'Institut Suisse des Maladies Tropicales (STI) ont montré que six plantes sélectionnées au
cours des enquêtes s'avéraient fortement actives contre le parasite responsable du paludisme.
En revanche, il y a toujours des imprévus ou des déceptions lors de grandes enquêtes ; ainsi
l'observation des recettes traditionnelles familiales utilisées en cas d’hépatites n'aboutit à rien de
concluant bien que cette recherche spécifique fut poursuivie plus longtemps qu’initialement prévu.
On ne réussit pas toujours.
5) Deuxième étape de l’action
La deuxième étape comportait de nombreux volets destinés à améliorer effectivement l’intégration
des systèmes de soins au Mali. Elle était prévue originellement en 6 points et devait inclure une
étude clinique. Elle allait impliquer une cinquantaine de personnes, la plupart déjà rencontrées à
l’occasion de la première étape. Du fait des nouveaux résultats scientifiques obtenus durant la
première phase, par définition imprévisibles au moment de la conception du projet en 2001, il fut
décidé de rajouter deux nouveaux points à mettre en oeuvre, dont une deuxième étude clinique,
précisément celle concernant le sucre sublingual.
Parmi les 6 premiers points, il avait été décidé d’analyser minutieusement le fonctionnement de la
clinique de Sikasso, située à 370 kilomètres au sud-est de Bamako ; d’abord à titre de modèle dans
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un premier temps, puis de proposer des améliorations à réaliser effectivement de sorte qu'une
qualité de soins suffisante soit atteinte dans un deuxième temps. On retiendra par exemple parmi les
mesures prises la mise à disposition de kits d'urgence pour la prise en charge du paludisme grave
incluant le matériel nécessaire à des transfusions de glucose, la conception d’un schéma
thérapeutique; et un processus de suivi des cas avec mise en évidence des facteurs de risque et
des failles dans la prise en charge. Le travail de thèse de Monsieur Moussa Dicko, consacré à la
qualité des soins à Sikasso fut financé à cet effet.
Les statistiques de l’hôpital de Sikasso ont attesté depuis que les différentes actions menées ont
entraîné une baisse de la létalité de près de moitié !
La prise en charge clinique du
paludisme nécessitait d'améliorer
toute une série de pratiques ; à
commencer par la prise de
mesures
découlant
des
observations effectuées pendant
la première phase d’étude. Les
analyses
phytochimiques
concernant
les
six
plantes
mentionnées plus haut furent
effectuées en Europe au début
Carte : www.quid.fr
de la deuxième phase. Elles
aboutirent au fait qu’une seule
d'entre
elles,
l'Argemone
mexicana, fut retenue sur la base de plusieurs critères (écologiques, absence de confusion possible
avec d’autres plantes, etc.) pour être l’objet d’études plus approfondies qui se sont révélées
satisfaisantes sous tous les aspects. Il restait toutefois à vérifier que cette plante présentant
théoriquement tous les avantages allait rester intéressante dans la pratique de sorte à pouvoir être
recommandée, avec la posologie adéquate, comme Médicament Traditionnel Amélioré. Cela
nécessita de monter une première étude clinique randomisée où le traitement à l’argémone était
comparé au traitement classique à base d’artémésinine, le CTA (Combinaisons thérapeutiques à
base d’artémésinine) recommandé par l’OMS. L’étude eut lieu dans le village de Missidougou, situé
à l’est de Sikasso et que l’on n’atteint qu’après avoir parcouru quelques 70 kilomètres de piste, dans
des conditions typiques de la situation réelle en zones reculées, où avait déjà eu lieu l’étude
observationnelle qui avait révélé l’intérêt de l’argémone. La thématique de cette première étude
clinique (« paludisme simple ») à constitué le sujet de thèse de Monsieur Florent Dakouo, étudiant à
l’Université de Bamako.
Sans cette étude clinique visant à prouver l’efficacité de l’Argemone mexicana, les observations et
analyses de la première phase ne seraient restés que pure théorie. On peut estimer que cette étude
clinique coûta à elle seule quelques 40'000 francs suisses, ce qui est bien peu si l’on songe que la
voie traditionnelle visant à produire un médicament basé sur une nouvelle molécule peut
facilement prendre jusqu’à 10 ans et revenir à quelques dizaines ou centaines de millions de francs.
Ce résultat important put également être obtenu au faible coût indiqué parce que le personnel
hospitalier malien fut mis à contribution pour l'essentiel du travail réellement effectué, les
intervenants d’Antenna Technologies n'opérant sur place que pour les formations strictement
nécessaires. C'est en cela que l'implication du demandeur local en tant que véritable partenaire est
nécessaire au bon fonctionnement du concept d'ONG-relais.
Il est intéressant et significatif de remarquer que, même avec une approche innovante et des frais
comparativement réduits, la rigueur intellectuelle ne permet pas de brûler toutes les étapes d’une
démonstration scientifique de sorte qu’il fallut en définitive pas moins de 6 ans d'une large
collaboration entre médecins maliens et scientifiques européens pour déterminer qu'il y avait
effectivement une potion traditionnelle, parmi les centaines réellement utilisées par les familles les
plus pauvres au Mali, qui, par chance, pouvait être recommandée parce qu'elle offrait une
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efficacité de traitement réelle, comparable en fait à celle des meilleurs médicaments, sans
présenter par ailleurs de risque médical, social ou environnemental [10]. L'existence depuis 2007 du
« Soumafoura », MTA malien à base de feuilles d'Argemone mexicana témoigne de ce long effort.
Le village de Missidougou
En l'on en arrive enfin à l'étude clinique sur le sucre sublingual qui est le thème central de notre
article. Cette étude n’ayant en fait pas été prévue à l’origine, elle peut, en dépit de son
importance, être vue paradoxalement comme une simple sous-étude, collatérale à l'effort général.
6) Montage d'une nouvelle étude clinique
Avant même la fin de la première phase, en 2004, il était clairement visible qu'un des problèmes qu'il
ne serait pas possible de résoudre par l'éventuelle identification réussie d’une tisane antipaludéenne
efficace était celui des enfants tombés en coma hypoglycémique, coma qui est fréquemment
induit par le paludisme ; or l’hypoglycémie est l’un des facteurs de risque d’évolution fatale. Cela
concerne surtout les jeunes enfants car dans des zones fortement impaludées, les adultes finissent
en général par développer une résistance partielle au parasite. Quoi qu’il en soit, les jeunes patients
comateux étant par définition incapables d’ingurgiter quelque potion que ce soit, il fallait trouver
quelque chose pour ces cas de paludisme dit grave.
Le service de pédiatrie de la clinique de Sikasso était alors dirigé par un pédiatre remarquable,
Moussa Eugène Dembele, avec ses 35 ans de métier derrière lui, aujourd’hui à la retraite. Dembele
avait bien entendu parler des résultats préliminaires encourageants de l'étude clinique alors menée
par Barennes à Bobo-Dioulasso, c'est-à-dire à 170 kilomètres à peine de Sikasso, de l'autre côté de la
frontière burkinabée. Dembele en avait à son tour parlé à Bertrand Graz qui ne fut pas plus étonné
que cela de l’usage du sucre sublingual. En effet, il avait été en stage entre 1987 et 1988 dans le Val
d'Anniviers chez un couple de médecins alpinistes, Urs et Suzy Wiget. Or, lorsque cette dernière
devait relever rapidement le taux de glucose sanguin de ses patients, elle n’hésitait pas à leur
déposer directement du glucose sous la langue, avec un succès réel qui implique l’existence d’un
mécanisme de transfert direct du glucose dans l’organisme à travers les muqueuses. Du point de
vue de Graz il ne restait simplement qu’à s’assurer qu’il y a bien dans la salive quelque chose
comme une enzyme capable de casser le sucrose (nom scientifique du sucre alimentaire qui est un
disaccharide) en glucose et fructose (deux monosaccharides) pour confirmer le mécanisme global
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expliquant l’efficacité du sucre sublingual. C’est une idée naturelle dans la mesure où il est bien
connu qu’il y a dans la salive des enzymes, comme l’amylase, qui transforment les polysaccharides,
comme l’amidon, en disaccharides et trisaccharides. De là à imaginer qu’il pourrait y avoir une
autre enzyme capable de convertir le sucrose en glucose, il n’y avait qu’un pas.
Une simplissime expérience de mesures de glycémies mesurées de 5 en 5 minutes après une mise en
bouche de sucre effectuée un petit matin à jeun par l’équipe d’Antenna Technologies, sur ellemême et sur Oumar Sidibé, fournit une première indication de la validité du concept. Ce petit essai
permit même d’évaluer la quantité absolue de « sucre » passant dans le sang en estimant les
volumes sanguins. Vu la simplicité et le très faible coût de cette vérification, on peut se demander
pourquoi personne ne semble l’avoir décrite précédemment.
Le principe de l’efficacité du sucre sublingual leur semblant désormais acquis, il se posa alors aux
médecins d'Antenna Technologies et du Mali la double question de savoir si l'usage du sucre
sublingual serait également intéressant pour sortir rapidement les jeunes enfants de leur coma
hypoglycémique, et s'il serait possible de monter une rigoureuse étude clinique d'une ampleur
suffisante pour être convaincante d'un stricte point de vue de Santé publique. En cas de réussite, il
n’y aurait plus besoin d'avoir à déterminer le mécanisme physiologique sous-jacent pour emporter la
conviction des autorités médicales.
C'est alors que parut en 2005 l'étude de Barennes et que furent mentionnées les premières difficultés
rencontrées par ce dernier pour diffuser l'intérêt de la méthode sublinguale en dépit de résultats
cliniques encourageants. Alors que Graz en discutait quelques temps plus tard les raisons avec
Jacques Falquet, évoquant la perspective de longues et incertaines recherches bibliographiques
dans l’espoir de fournir une réponse satisfaisante aux sceptiques, ce dernier, biochimiste de
formation et directeur de la recherche scientifique d’Antenna Technologies, suggéra d’effectuer sur
le champ un expérience préliminaire coûtant moins de 10 francs suisses susceptible de convaincre
les plus récalcitrants en cas de succès. Elle consiste simplement, après s’être brossé les dents et avoir
rincé la cavité buccale à jeun avec un désinfectant ordinaire dans le but de minimiser un éventuel
effet bactérien, à garder en bouche du sucre en poudre et d’observer le résultat après un certain
temps. Le sucre mélangé de salive est alors versé dans une éprouvette. Il suffit alors de faire agir sur
ce mélange un peu de liqueur de Fehling, un réactif de couleur bleu ciel inventé en 1849 qui, à
ébullition, tourne au jaune-orange en présence de glucose. L’expérience montre que l’effet est bien
réel et d’autant plus prononcé que l’action de la salive est longue : du glucose est bien produit
lorsqu’on fait séjourner du sucrose un certain temps dans la cavité buccale.
Graz n'en fut que plus surpris d'apprendre que l’efficacité du sucre sublingual restait contestée dans
le milieu médical, même après qu’il soit fait mention du « test à 10 francs » que l’on vient de décrire.
C'était dérangeant parce cela allait rendre encore plus difficile la recherche de fonds en vue
d’adapter la méthode du sucre sublingual au cas du paludisme grave alors qu’une étude clinique
convaincante s’avérait toujours plus nécessaire.
A. Salive seule 1 ml
B. Sucre seul
C. Sucre dans la bouche
D. Sucre dans la bouche
E. Sucre dans la bouche
lavagebuccal
F. Sucre dans la bouche
(contrôle)
(contrôle)
(1 min)
(5 min)
(1 min), après
(5 min), après lavage buccal
On détecte du glucose en D et F après
quelques minutes avec ou sans désinfection
buccale .
9/15
C'est ici que les nombreux liens de confiances tissés durant ces longues années entre Antenna
Technologies et les personnages clés de la Santé malienne allait rendre possible le montage rapide
de l’étude qui nous intéresse ici sans avoir à demander un nouveau financement. La DDC accepta
en effet de modifier en cours de route le programme de coopération approuvé depuis des années
pour inclure cette nouvelle étude clinique. C’était d’autant plus méritoire que certains efforts de la
DDC en vue d’améliorer la prise en charge du paludisme grave à l’hôpital de Sikasso étaient restés
sans effets notables pendant des années. Le grand mérite de la DDC fut d’accepter de tenir
compte de résultats imprévus de la recherche scientifique, grâce en particulier à l'appui de
Messieurs Ahlin Byll à Berne, et Patrick Etienne à Bamako. En effet, la plupart des institutions de
coopérations ont adopté toutes sortes de procédures pour s’assurer que toute l’aide prévue soit
entièrement et rigidement affectée aux actions initialement approuvées ; que cela soit par craintes
des détournements d’objectifs ou par peurs de gaspillages. Cela se comprend du fait de la
responsabilité qu’ont ces institutions envers leurs bailleurs, les contribuables suisses dans notre cas,
mais cela les mets évidemment en porte à faux avec les imprévus qui par définition se produisent
régulièrement lorsque l’on fait de la recherche scientifique.
Bertrand Graz et Jacques Falquet d'Antenna Technologies, et Merlin Willcox, maintenant au RITAM à
Oxford, mais qui alors travaillait pour Antenna Technologies, eurent la tâche de concevoir le
protocole de cette nouvelle étude clinique (« paludisme grave ») qui aurait à se dérouler à Sikasso
et environs, en pleine saison des pluies, au pic de la malaria, pendant une durée assez longue pour
traiter un nombre suffisant d'enfants pour que le résultat anticipé soit statistiquement significatif. Ils
bénéficièrent en particulier des avis de l'institut des maladies tropicales de Bâle (plus connu sous le
nom de Tropeninstitut), de ceux du Professeur André Rougemont (de l’Hôpital Universitaire de
Genève) ainsi que de l’expérience du Dr Barennes.
Le Dr Merlin Willcox fut présent sur le terrain pendant 4 mois passant plusieurs fois de Sikasso à
Missidougou pour les besoins de l’étude. Bertrand Graz fit plusieurs séjours d'un mois au Mali; Jacques
Falquet fut également présent, secondé pendant quelques semaines par son épouse Victoria,
infirmière, sans oublier Bernard Lambert de Médecins du Monde (France) qui y passa un été financé
par la Fondation Grandjean à Val-de-Travers (Suisse).
Les autorités sanitaires maliennes, sans lesquelles rien n'aurait pu être fait, accordèrent leur appui à
l'étude proposée en conformité avec les exigences du sourcilleux Comité d'éthique national.
Chiaka Diakité, adjoint direct de Drissa Diallo, le directeur du DMT, fut si intéressé par les études en
cours qu’il se rendit même plusieurs fois à la clinique de Sikasso pour s'enquérir de l'évolution du
projet.
Pendant la durée de l'étude clinique proprement dite, entre juillet et septembre 2006, les Dr Graz,
Willcox et Falquet se rendirent sur place non seulement parce qu'ils en avaient la responsabilité mais
aussi pour y former les équipes de soins maliennes désireuses de s'approprier intimement la
méthode. Le personnel médical de l'hôpital de Sikasso, notamment les docteurs Lemine Bagayoko,
Moussa Dicko et Moussa N. Dembele (un parent de Moussa Eugène Dembele mentionné
auparavant), étaient évidemment bien placé pour connaître l'état de dénuement des populations
rurales, incapables qu'elles sont pour la plupart ne serait-ce que d'acquitter des dépenses liées à
une perfusion de glucose. L'administration d'une preuve scientifique d'efficacité offrait la
perspective aux équipes soignantes de disposer d'une méthode adaptée aux réalités du pays.
Il fallait aussi impliquer dans l'étude suffisamment de membres du personnel infirmier pour qu'en
période d'affluence massive des malades ils aient suffisamment d’aisance pour mettre en pratique
la nouvelle méthode du sucre sublingual en dépit du stress; et surtout qu'ils réussissent à prendre en
charge les malades selon le protocole rigide d’une étude clinique randomisée qui respecte un
cadre éthique particulièrement exigeant puisque l’étude allait impliquer de très jeunes enfants en
danger de mort. En d’autres mots, le personnel soignant fut spécifiquement formé pour sélectionner
et prendre en charge les sujets de l'étude pendant qu’ils auraient par ailleurs à faire face aux autres
entrées hospitalières ordinaires
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Ci-dessus :Personnel soignant de la clinique de Sikasso et membres d’Antenna Technologies
Les estimations retenues par Graz, Falquet et Willcox furent suffisamment exactes pour que
l’expérience se révèle significative avec les données de la seule clinique de Sikasso. Au final, sur 151
jeunes patients atteints de paludisme grave présomptif, 23 passèrent toutes les conditions pour être
retenus dans l'étude. Ce nombre peut sembler faible mais fut néanmoins suffisant parce que les
données soigneusement recueillies les rendent statistiquement significatives : elles avaient en effet
été saisies de façon suffisamment détaillées et sûres pour que les analyses permettent d'affirmer la
réalité de l'élévation rapide du glucose sanguin par la méthode du sucre sublingual, avec une
rapidité égale à celle de l'injection intraveineuse de glucose !
Il est difficile d’évaluer le coût propre de l’étude clinique « sucre sublingual » dans la mesure où les
dépenses occasionnées à cet effet se sont entremêlées avec celles nécessaires à la mise en œuvre
des 7 autres points faisant partie du projet global. En tout état de cause, ce coût n’a pas dû
dépasser les 15 à 20'000 francs suisses. La modestie de ce chiffre montre bien qu'Antenna
Technologies n'aurait pu mener seule à bien cette recherche sans la détermination des soignants du
service de pédiatrie de l'Hôpital de Sikasso où fut en pratique effectué la plus grande part du travail.
8) Publier, ou le savoir faire du faire savoir
Il restait à publier le véritable résultat scientifique obtenu au Mali; a savoir que la prise de sucre
sublingual est aussi efficace que l'injection intraveineuse de glucose. Cela a demandé une analyse
des données très sérieuse, à la mesure de la taille modeste de l’enquête. Il apparut relativement tôt
que les résultats de l’analyse étaient tout à faits satisfaisants d’un point de vue de Santé publique,
mais que l’acceptabilité du résultat resterait plombée aux yeux des praticiens par le fait qu’aucun
mécanisme explicatif de transfert du glucose n’était fourni, comme l’avait expérimenté à ses
dépens Barennes à chaque fois qu’il avait présenté les résultats de son étude clinique au Burkina
Faso.
Suite à « l’expérience à 10 francs », Bertrand Graz ne pouvait cependant croire que les mécanismes
de la transformation du sucre déposé dans la cavité buccale en glucose et à son transfert dans
l’organisme n’aient jamais été observés. A la suite d’une recherche bibliographique acharnée, il finit
par repérer les études des dentistes finlandais et des pharmaciens japonais mentionnées au début
de notre article, études qui avaient probablement coûté suffisamment d’argent pour être crédibles
aux yeux des médecins. Il était alors désormais certain que les conclusions de l’étude maliennes
étaient devenues incontestables, à condition d’être bien présentées...
11/15
Du lointain Laos où il avait œuvré pendant la durée de l’étude, le Dr Barennes ne put que contribuer
à la rédaction de l'article scientifique. Il suggéra en particulier de publier les résultats de l'étude dans
le Malaria Journal qui offre la possibilité à quiconque, contrairement à ce qui se fait d'ordinaire, de
télécharger gratuitement ceux des articles dont les auteurs acceptent de payer forfaitairement les
frais de publication à la place des lecteurs.
En raison de l'état des finances des médecins et des populations principalement concernés par
l'étude, Antenna Technologies se fit un devoir de débourser cette somme, environ 700 euros, pour
en assurer une diffusion maximale.
Bien que Barennes n’ait pas directement participé à l’étude malienne de par ses autres activités et
son éloignement géographique, il a, en raison de ses commentaires et analyses, bien mérité sa
place dans l’article du Malaria Journal en tant que « corresponding author », ce qui pour un lecteur
francophone est irrésistiblement, mais de façon erronée, compris comme « l’auteur à contacter » ;
et ce qui devait arriver arriva. Un collaborateur de l’Agence France Presse, intrigué par le titre du
Communiqué de presse émis le 17 février 2009 par Antenna Technologies « Paludisme : du sucre
mouillé pour sauver des vies » décida d’en savoir plus en contactant directement Hubert Barennes
qui ne s’y attendait probablement pas. Le résultat fut que l’AFP fit paraître un nouveau
communiqué de presse présentant Barennes comme responsable de l’étude à la place d’Antenna
Technologies sans mentionner le financement de la coopération suisse sans lequel rien n’aurait eu
lieu.
Cette incongruité eut cependant un effet hautement bénéfique. L’annonce par l’AFP du succès
d’un médecin français contribua peut être à la décision du Nouvel Observateur de reprendre le 19
février sur son site de diffusion d’informations en ligne le contenu de ce deuxième communiqué [11],
en ne manquant pas de faire savoir que l’intérêt du sucre sublingual allait certainement s’étendre
en dehors du cadre du paludisme grave des jeunes enfants et que cela serait à confirmer par
d’autres essais cliniques. Plusieurs autres sites de diffusion d’informations en ligne, notamment en
Afrique, n’allaient pas manquer de reprendre à leur tour l’information du Nouvel Observateur.
9) Bilan
Quel bilan tirer de tout cela maintenant que les aspects scientifiques méritant publication sont parus
dans l'article du Malaria Journal mentionné dans l’introduction et qu'une traduction française de
cet article est téléchargeable gratuitement sur le site d'Antenna Technologies [12] ?
En dépit de la faible visibilité scientifique de ce genre d'études, le coup d'audace a été de contrer
une idée reçue tenace dans les milieux médicaux, en démontrant que le sucre n'a pas besoin d'être
avalé pour agir sur la glycémie : par simple contact avec les tissus de la cavité buccale,
spécialement sous la langue, on observe une remontée extrêmement rapide du sucre sanguin, bien
plus rapide en fait que si le sucre était avalé ! D’où le geste qui sauve : ouvrir délicatement la
bouche de l’enfant pour y glisser une cuillerée de sucre légèrement humidifié sous la langue.
Une des ironies de cette étude est que pour comparer équitablement du point de vue scientifique
la prise de sucre sublingual à l'injection intraveineuse de glucose il a fallu favoriser artificiellement les
conditions d'utilisation de cette dernière méthode en mettant à la disposition des équipes
soignantes de l’hôpital de Sikasso tout le matériel de perfusions nécessaire et les doses de glucose
prêtes à l'emploi. Or, il faut savoir que dans la réalité du terrain, ces ingrédients ne sont pas toujours
disponibles dans les centres de soins; sans compter que les parents désespérés qui y amènent leurs
enfants comateux se retrouvent d’abord avec une ordonnance en main avec pour mission d’aller
acheter auprès du pharmacien la dose de glucose requise (et autres médicaments). Sans même
parler du temps perdu, les parents n'ont souvent même pas de quoi payer ces doses et repartent en
emportant leur enfant...
Le point essentiel de l'étude clinique SSL, qui fut un de ces à-côtés imprévu de la longue étude
menée par Antenna Technologies pour conseiller les services de Santé malien fut ... qu'elle put être
menée à bien.
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Cela fut en définitive possible sans demander un nouvel effort de financement à la DDC parce que
les équipes d'Antenna Technologies étaient bien intégrées depuis des années aux services de Santé
maliens de sorte que les acteurs se connaissaient parfaitement. Ils savaient qu'ils pouvaient avoir
confiance dans les motivations et les capacités des uns et des autres et disposaient de la souplesse
nécessaire pour effectuer les remaniements nécessaires au sein d’un programme déjà établi.
S'il avait fallut concevoir ab initio un telle étude clinique, son coût prévisible aurait été bien plus
élevé, peut être au point où il aurait été impossible d'en trouver le financement.
L’intérêt des études cliniques menées par des ONG à buts humanitaires à très bas coûts, au plus
quelques dizaines de milliers de francs, comme celle sur l’Argémone ou celle sur le sucre sublingual,
est qu’elles ne peuvent être suspectées de conflit d’intérêt comme celles usuellement dix à cent fois
plus coûteuses financées par les grandes industries pharmaceutiques.
Les deux doctorants financés dans le cadre des deux études sur la malaria dont nous avons parlé,
Moussa Dicko à Sikasso et Florent Dakouo à Missidougou, avaient montré une détermination et des
compétences similaires à celles des meilleurs étudiants des facultés de médecine européennes, en
dépit de perspectives professionnelles nettement moins favorables. Cette observation illustre une
nouvelle fois que les conditions économiques des populations les plus pauvres réclament une
recherche scientifique adaptée à de faibles moyens financiers certes, mais qui soit quand même de
qualité. Il importe en effet que les soins découlant de cette recherche scientifique soient
suffisamment bons et efficaces pour que les malades les plus pauvres s’y retrouvent financièrement,
même en payant à sa juste valeur le personnel soignant. Autrement, les plus brillants chercheurs
locaux, tels nos deux doctorants sus-mentionnés, n’auront d’autre choix pour gagner leur vie que
d’abandonner la recherche scientifique, provoquant un nivellement par le bas de la qualité des
soins.
L’objet de l'étude clinique « sucre sublingual » n’a jamais été de déterminer les mécanismes de
cette efficacité. Cette ignorance est en principe sans importance d'un point de vue de Santé
publique où seuls les rapports coût/efficacité comptent, mais cela fut un grand soulagement
lorsqu’on put mettre la main sur les études des dentistes finlandais et des pharmaciens japonais. Le
bonus de cette trouvaille tardive est qu’il y a désormais toutes les raisons de croire que la méthode
du sucre sublingual s’applique à d’autres contextes que celui du paludisme grave. Antenna
Technologies pense déjà à un essai clinique où le sucre sublingual serait étudié dans un contexte de
malnutrition sévère, mais ceci est une autre histoire.
Retenons néanmoins que le paludisme est la principale cause de mortalité chez les enfants de
moins de cinq ans en Afrique (20%) où comme on l’a déjà écrit cette maladie est responsable de
40% des dépenses de Santé publique et de 30 à 50% des admissions dans les hôpitaux. Jusqu’à 50%
des consultations externes peuvent lui être attribuée. Il en résulte que dans la course contre la
montre que représente la prise en charge des enfants en état de paludisme grave, la mise en
évidence des bénéfices de l’administration de sucre sublingual est une aubaine pour les régions les
plus reculées dans lesquelles la maladie fait le plus de ravages.
Le défi consiste maintenant, pour toutes les personnes de bonne volonté, à faire connaître ce
procédé aux spécialistes en médecine tropicale du Monde entier, à mettre à jour les livres de
références, et à s’assurer que l’OMS et les autres Agences de santé incluent ce procédé dans leurs
directives.
Jean-Pierre Hurni
le 25 août 2009
13/15
Références
[1] Graz B, Dicko M, Willcox ML, Lambert B, Falquet J, Forster M, Giani S, Diakite C, Dembele EM,
Diallo D, Barennes H.
Sublingual sugar for hypoglycaemia in children with severe malaria: A pilot clinical study.
Malaria Journal 7:242 (2008).
http://www.malariajournal.com/content/7/1/242
[2] pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder l’immense majorité des références sélectionnées
par les moteurs de recherches à l’aide de mots clés tels que « sucrose », « glucose » « digestion »,
etc.
Voir
par
exemple
http://fr.answers.yahoo.com/question/index?qid=20070325140940AADRZAW
[3] Par exemple, le tableau très complet des principales enzymes digestives, page 442 de l’ouvrage
de W.F. Ganong, Physiologie médicale (De Boeck, Paris, 2005), ne mentionne la sucrase sécrétée
que dans la muqueuse intestinale. Cet ouvrage de référence de 850 pages est la traduction
française de la 21ème édition américaine qui certainement n’affirme rien de plus...
[4] Makinen KK, Scheinin A
Turku sugar studies.VII. Principal biochemical findings on whole saliva and plaque.
Acta Odontol Scand 34 (1976) 241-283.
[5] Kurosaki Y, Yano K, Kimura T.
Perfusion cells for studying regional variation in oral mucosal permeability in humans. 2. A specialized
transport mechanism in D-glucose absorption exists in dorsum of tongue.
J Pharm Sci 87 (1998) 613-615.
Oyama Y, Yamano H, Ohkuma A, Ogawara K, Higaki K, Kimura T.
Carrier-mediated transport systems for glucose in mucosal cells of the human oral cavity.
J Pharm Sci 88 (1999) 830-834.
[6] Barennes H, Valea I, Nagot N, Van de Perre P, Pussard E.
Sublingual sugar administration as an alternative to intravenous dextrose administration to correct
hypoglycemia among children in the tropics.
Pediatrics 116 (2005) e648-e653.
[7] Lightman A, Gingerich 0.
When do anomalies begin ?
Science 255 (1992) 690-695.
[8] Graz B, Elisabetsky E, Falquet J.
Beyond the myth of expensive clinical study: Assessment of traditional medicines.
Journal of Ethnopharmacology 113 (2007) 382–386.
[9] http://www.antenna.ch
[10] Diallo D, Graz B, Falquet J, Traoré AK, Giani S, Mounkoro PP, Berthé A, Sacko M, Diakité C.
Malaria treatment in remote areas of Mali : use of modern and traditional medicines, patient
outcome.
Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene 100 (2006) 515-520.
14/15
[11]
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20090219.OBS5484/le_sucre_pourrait_sauve
r_des_milliers_denfants.html (consulté le 10 juin 2009)
[12] http://www.antenna.ch/documents/paludisme_sucre_sublingual_hypoglycemie.pdf
15/15

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