La volatilité boursière

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La volatilité boursière
La volatilité boursière
Sommaire
Valeurs comparées et évolutions des volatilités
Les facteurs de la volatilité
Les comportements réversibles des offreurs et des demandeurs de titres
L'interdépendance de l'offre et de la demande de titres
La volatilité de la valeur fondamentale des actions
L'asymétrie d'information
Le rôle controversé des marchés dérivés
Une volatilité très irrégulière
Limitation et contrôle de la volatilité
Prévenir le risque systémique
Les moyens d'action des autorités
Conclusion
Pour en savoir plus
par Daniel Zajdenweber.
Le dégonflement de la " bulle " liée aux valeurs de la nouvelle économie en 2000 et la crise de confiance
qui a affecté les marchés financiers au cours de l'année 2002, ont provoqué une chute des indices
boursiers. Parmi les raisons invoquées pour expliquer la fébrilité récente des marchés et des acteurs
financiers, la volatilité des cours boursiers revient régulièrement. Daniel Zajdenweber nous explique
que celle-ci n'est pourtant pas un phénomène nouveau. Elle résulte des caractéristiques mêmes de ces
marchés où règnent l'incertitude et les comportements interdépendants des offreurs et des demandeurs
qui amplifient les mouvements, à la hausse comme à la baisse.
La volatilité est, avec la rentabilité, l'une des composantes essentielles de la gestion de portefeuille. Elle
mesure le risque inhérent à tout placement boursier, à travers l'amplitude des écarts d'un cours boursier par
rapport à un cours moyen de référence. Plus un cours boursier est volatil, plus la différence entre le prix de
vente et le prix d'achat d'un titre peut être grande, plus le gain ou la perte peut être important, plus le
placement concerné est donc jugé risqué. Mais la volatilité est une notion complexe et délicate à mesurer : ce
n'est pas une notion comptable. Elle n'a pas de sens si on ne précise pas la durée de la période de référence,
laquelle peut varier de quelques minutes à quelques mois, selon le type d'opération financière concernée. De
plus, sa définition change selon qu'elle est utilisée par un gérant de portefeuille d'options ou par un gérant de
portefeuille d'actions ou d'obligations. Celui-ci est préoccupé par la volatilité historique, définie à partir de la
série chronologique passée des cours ou indices de cours d'actions ou d'obligations. Celui-là est préoccupé par
la volatilité implicite qui est une valeur anticipée de la volatilité future des écarts des cours ou indices de
cours (1). Ces deux volatilités peuvent fluctuer du simple au double, voire au triple, selon les marchés, selon les
époques et même selon les moments de la journée boursière, ce qui augmente le risque pour les gérants de
portefeuilles d'actions ou d'obligations. Ajoutons que, comme tout facteur de risque et parce qu'elle peut
engendrer de fortes moins-values, la volatilité a une image plutôt négative. Ses excès, parfois qualifiés
d'irrationnels (R. J. Shiller, 2000 ; D. Zajdenweber, 2003), sont jugés préjudiciables au bon fonctionnement des
marchés boursiers, d'où des interventions en vue de limiter les excès de volatilité, de la part des organismes
régulateurs et des sociétés ou associations gérantes des bourses.
Valeurs comparées et évolutions des volatilités
L'analyse à long terme des volatilités des indices boursiers montre qu'elles oscillent constamment entre des
périodes de fortes valeurs, supérieures à 25 %, et des périodes de valeurs relativement faibles, de l'ordre de
16 %. L'indice Dow Jones, par exemple, dont l'existence plus que centenaire permet des comparaisons sur très
longue période, a connu seize variations annuelles dépassant 25 % de 1896 à 1940, contre quatre seulement
depuis 1950. Remarquons qu'avant 1940, cette volatilité n'était pas perçue comme excessive ou irrationnelle,
peut-être parce qu'elle était élevée depuis la création de cet indice en 1896.
Entre 1950 et 1997, en revanche, la volatilité de la plupart des indices des grands marchés boursiers a
diminué. Elle a été comprise entre un peu moins de 16 % pour l'indice FTSE (dit Footsie) de Londres, le Dow
Jones et le SP500 de New York et 21 % pour l'indice NIKKEI de Tokyo, le plus volatil, en passant par 20 % pour
les indices CAC 40 parisien et NASDAQ américain.
Ces valeurs moyennes cachent de très grandes disparités entre les secteurs économiques. Dans l'indice
EuroStoxx des valeurs de la zone euro, dont la volatilité annuelle moyenne depuis 1990 a été de 17 %, celle des
secteurs les plus matures, comme la construction ou l'agroalimentaire, a été comprise entre 16 % et 20 %,
tandis que les secteurs des nouvelles technologies ou des télécommunications ont connu une volatilité plus
élevée, de l'ordre de 28 %, traduisant un niveau élevé de croissance anticipée mais également une plus grande
incertitude.
Mais c'est la très grande instabilité temporelle de la volatilité qui pose le plus de difficultés, tant aux
opérateurs sur les marchés qu'aux organismes régulateurs chargés d'en assurer le bon fonctionnement. Ainsi,
après avoir connu des volatilités records, comprises entre 25 % et 35 %, au lendemain du " krach " d'octobre
1987, les volatilités des grands marchés boursiers se sont stabilisées pendant près de dix ans autour de 16 %, un
niveau proche de la volatilité moyenne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Or depuis 1997, cette
valeur relativement faible n'a plus jamais été observée. Le développement de la " bulle " des valeurs
technologiques, puis son dégonflement brutal à partir de 2000, ont en effet augmenté les volatilités de tous les
marchés. En 2002, elles s'élevèrent à 26 % pour le SP500 et à 38 % pour le CAC 40 (2). Depuis le début 2003, la
volatilité de ce dernier indice s'est stabilisée à un niveau relativement élevé, compris selon les mois entre 21 %
et 25 %.
Les facteurs de la volatilité
La volatilité dépend d'un très grand nombre de facteurs propres à chaque entreprise, à chaque secteur et à
chaque époque. Toutefois, cinq facteurs structurels sont à l'origine de la plupart des fluctuations de cours. Ils
sont liés aux anticipations et aux comportements des investisseurs et des spéculateurs, aux asymétries
d'information et à l'incertitude sur la valeur fondamentale des actions.
Les comportements réversibles des offreurs et des demandeurs de titres
Ceux qui demandent et ceux qui offrent des titres peuvent parfaitement permuter leur rôle sans frais ni
délai, au gré des changements d'anticipation. Une entreprise industrielle ou commerciale, en revanche, ne peut
pas modifier son activité sans frais ni délai. Renault, par exemple, ne peut pas racheter les voitures qu'elle a
vendues, à la manière d'un opérateur rachetant un titre qu'il vient de vendre. Ces changements rapides
d'anticipations expliquent pourquoi l'action Renault peut varier de plusieurs dizaines de points de pourcentage
en quelques séances, alors que son chiffre d'affaires ne varie guère que de 10 % au plus d'une année sur l'autre.
L'interdépendance de l'offre et de la demande de titres
Les courbes d'offre et de demande sont souvent liées de façon négative. Une même information peut
engendrer simultanément une variation de la demande et une variation en sens inverse de l'offre, d'où des
écarts de cours importants. Ainsi, lorsqu'une information arrive sur le marché et qu'elle est jugée favorable à
une action, par exemple la découverte d'un gisement pétrolifère géant ou la commercialisation d'un nouveau
médicament prometteur, les demandes affluent. En revanche, ceux qui détiennent déjà ces actions se gardent
de les vendre, ce qui accentue la hausse. Il en va de même à la baisse. En cas de mauvaise nouvelle, les
vendeurs se précipitent, mais ils ne trouvent pas toujours d'acheteurs en nombre suffisant, comme par exemple
le 19 octobre 1987, lorsque le Dow Jones a perdu 22,6 % de sa valeur durant cette journée. Cette corrélation
négative entre l'offre et la demande est d'autant plus déstabilisante qu'il suffit parfois d'un petit nombre
d'opérateurs modifiant leurs anticipations pour que les cours varient de façon extrême, d'où une forte hausse de
la volatilité (3).Sur les marchés des biens et services, l'offre et la demande ne sont pas non plus toujours
indépendantes, mais à l'inverse des marchés boursiers, lorsqu'elles sont liées, elles le sont positivement.
Lorsque la demande augmente, les producteurs s'efforcent d'augmenter leur offre, lorsque la demande diminue,
ils s'efforcent de la diminuer. Les variations des prix en sont donc atténuées.
Encadré [La mesure de la volatilité]
La volatilité de la valeur fondamentale des actions
La valeur fondamentale (V) représente l'actualisation des dividendes futurs. Gordon et Shapiro (4) ont proposé
la formule suivante : V= d/(i+π-g) où d est le dividende actuel, i le taux d'intérêt, g le taux de croissance
anticipé des dividendes et π la prime de risque. Une variation du taux d'intérêt entraînant souvent une variation
de même sens de la prime de risque ?(5) et de sens inverse du taux de croissance g des dividendes, elle peut
donc avoir des effets considérables sur V. De fait, entre 1972 et 1995, aux États-Unis, une hausse de 1 % du
taux d'intérêt nominal des emprunts obligataires faisait baisser les cours des actions de 26 % en moyenne.
C'est pourquoi les professionnels des marchés financiers analysent toutes les déclarations sur l'évolution des
taux d'intérêt de la part des organismes régulateurs de la politique monétaire que sont la FED et la Banque
centrale européenne. De plus, dans les cas extrêmes où les opérateurs sont persuadés que le taux de croissance
des dividendes g est durablement supérieur au taux d'intérêt augmenté de la prime de risque (i+π), la valeur
fondamentale de l'action devient, au sens littéral, incalculable, ce qui explique sans doute les excès commis sur
les titres liés aux nouvelles technologies durant la " bulle " et les volatilités extrêmes de ces titres.
L'asymétrie d'information
Sur un marché boursier, tous les intervenants sont confrontés aux incertitudes sur les valeurs fondamentales
des actions. Mais ils ne disposent pas tous des mêmes informations. Ainsi, contrairement aux analystes
financiers, l'épargnant particulier n'a ni le temps ni les moyens d'acquérir et de traiter l'information.
L'asymétrie entre les intervenants informés, ou qui se croient tels, et les autres, moins informés, peut être à
l'origine des comportements grégaires qui augmentent la volatilité. Pendant les périodes de forte incertitude,
lorsque la volatilité est déjà élevée, les épargnants et les gérants de portefeuille moins informés, qui ont
conscience de ne pas pouvoir former leur jugement en toute objectivité, s'en remettent à l'observation du
comportement des autres opérateurs, leur attribuant ainsi une information plus complète. De ce fait, ils
achètent quand tout le monde achète et ils vendent quand tout le monde vend. C'est le comportement
d'imitation ou encore de " mimétisme " (A. Orléan, 1999). Dans la mesure où il tend à faire passer un grand
nombre d'ordres semblables simultanément, lesquels ne trouvent pas immédiatement des contreparties en
nombre suffisant, le comportement d'imitation contribue à augmenter la volatilité des marchés au-delà de la
volatilité liée à l'incertitude sur la valeur fondamentale.
Le rôle controversé des marchés dérivés
Le développement récent des marchés de produits dérivés (6) a considérablement étendu les possibilités
offertes aux opérateurs financiers. Par exemple, sur le marché Euronext regroupant les Bourses d'Amsterdam,
Bruxelles, Lisbonne et Paris, il est aujourd'hui possible d'acheter ou de vendre à crédit la plupart des actions
cotées au premier marché ainsi que de nombreuses actions cotées au second et au nouveau marché. Il est
également possible d'acheter ou de vendre des options d'achat (call) ou de vente (put) sur des titres ou sur des
indices, en choisissant une échéance pouvant aller jusqu'à cinq ans. L'accès d'un grand nombre d'opérateurs aux
opérations d'achats à crédit et de ventes à découvert et, depuis 1973 (7), aux opérations à options, est souvent
considéré comme un facteur d'augmentation de la volatilité. Or, l'existence de produits dérivés peut aussi jouer
un rôle stabilisateur des fluctuations de marché.
Le potentiel déstabilisateur de l'effet de levier...
Tous les marchés dérivés permettent d'effectuer des opérations à effet de levier, c'est-à-dire d'acheter ou de
vendre de grandes quantités de titres ou d'options sur actions ou sur indices, sans disposer de l'intégralité des
sommes nécessaires pour payer les achats de titres ou de l'intégralité des titres qu'il faudra livrer, le cas
échéant. L'effet de levier, propre aux marchés dérivés, démultiplie les facteurs de la volatilité. Ainsi,
lorsqu'une action est très recherchée à cause de ses perspectives de dividendes futurs, elle l'est encore plus si
des spéculateurs passent des ordres d'achat à terme qui peuvent représenter jusqu'à cinq fois leurs capitaux de
départ. Ils espèrent réaliser un profit spéculatif rapide en revendant plus cher les titres achetés, qu'ils n'ont
jamais eu l'intention de se faire livrer. Il est même concevable qu'une poignée d'opérateurs, voire un seul, passe
des ordres d'achat qui dépassent le nombre de titres disponibles sur le marché. Les effets sur la volatilité de ce
type d'ordres peuvent évidemment être spectaculaires.
... contrebalancé par l'apport en liquidité
La liquidité créée par les marchés dérivés atténue la volatilité. En effet, ces marchés ont été dès l'origine
conçus pour augmenter la liquidité des marchés, c'est-à-dire pour faciliter les transactions en multipliant les
contreparties potentielles, assurant ainsi qu'un ordre proche du cours d'équilibre peut toujours être exécuté
sans délai à ce cours (8). L'exemple de la vente à découvert, souvent décriée car le vendeur spécule sur la
baisse d'un titre et donc sur la faillite éventuelle de la société, illustre le rôle important de la liquidité dans la
modération de la volatilité.
Lorsqu'un titre monte beaucoup, les vendeurs à découvert freinent la hausse par leurs ordres de vente et
lorsque la tendance se retourne, ils empêchent une baisse trop profonde par leurs ordres de rachat, qu'ils sont
toujours obligés de passer pour fermer leur position. Sans les vendeurs à découvert, au moment de la " bulle "
spéculative entre 1997 et 2000, les titres des nouvelles technologies seraient probablement montés encore plus
haut. Réciproquement, au moment du dégonflement de cette " bulle " à partir de 2000, les cours auraient été
encore plus faibles sans les rachats des vendeurs à découvert.
Il en va de même sur les marchés d'options. Grâce aux nombreuses combinaisons qu'ils permettent, ils
facilitent les achats et les ventes sur toutes les échéances offertes par ces marchés, lissant ainsi des
fluctuations qui auraient été brutales sans leur existence, d'où un amortissement de la volatilité.
Le danger des marchés dérivés ne provient donc pas de leur existence mais de l'usage incontrôlé de l'effet de
levier. Un acheteur ou un vendeur à découvert, de même qu'un vendeur d'options peuvent prendre des positions
excessives, qu'ils pourraient être incapables de solder. C'est pourquoi, les organismes gérants ces marchés
dérivés ont mis en place des contrôles quotidiens des positions et des procédures disciplinaires strictes
éliminant les opérateurs dont les positions sont excessives par rapport à leurs dépôts de garantie.
Une volatilité très irrégulière
Les différents facteurs de la volatilité peuvent se renforcer mutuellement. Par exemple, une modification
des taux d'intérêt directeurs par les autorités monétaires peut modifier les anticipations de dividendes et les
notations financières des entreprises qui déterminent leur prime de risque. Ces modifications affectent les
valeurs fondamentales, déclenchant des vagues d'achats ou de ventes. Le résultat de cet enchaînement de
facteurs peut être une forte volatilité des cours boursiers, sans commune mesure avec la variation attendue du
taux d'intérêt. Comme de longues périodes de stabilité des taux directeurs sont interrompues par de courtes
périodes de réajustements, les périodes de forte volatilité alternent ainsi avec les périodes de faible volatilité.
Il en va de même avec la publication d'une information sur une action. Si elle laisse anticiper une
modification de sa valeur fondamentale par le biais d'une modification du taux de croissance du dividende ou
de la prime de risque, ou des deux en même temps, elle peut déclencher des ordres d'achat ou de vente qui ne
trouveront pas immédiatement de contreparties, à cause de la corrélation négative entre les offreurs et les
demandeurs de titres, engendrant ainsi une volatilité élevée. Les informations affectant la valeur fondamentale
d'une action arrivant, elles aussi, de façon intermittente sur le marché, la volatilité boursière présente de ce
fait des cycles irréguliers.
Limitation et contrôle de la volatilité
Les instances régulatrices des bourses ne se préoccupent guère de la volatilité de leurs indices de marché
tant qu'elle ne dépasse pas une valeur critique voisine de 25 %. En revanche, les volatilités annualisées
supérieures inquiètent, comme cela a été le cas en 1987 et comme cela reste souvent le cas depuis 1997, et
ceci pour deux motifs principaux : d'une part la protection de l'épargne et le bon fonctionnement des marchés,
d'autre part la prévention du risque systémique.
Plus la volatilité est élevée, plus il est possible de réaliser des gains ou des pertes en très peu de temps. En
effet, au-delà de 1 % de volatilité quotidienne, les gains potentiels dépassent les coûts de transaction des
investisseurs (9). Ces gains ou ces pertes sont souvent disproportionnés par rapport aux variations des valeurs
fondamentales des actions, ils donnent alors l'image d'un " casino ", comme s'il n'y avait plus de valeur
fondamentale du tout (10). Cette image péjorative dissuade les épargnants et de nombreuses institutions gérant
l'épargne d'investir en bourse. Il est en effet difficile de démarcher ou de conserver une clientèle d'épargnants
échaudés par des pertes importantes ou effrayés par leur éventualité.
Prévenir le risque systémique
Le risque systémique, lui, n'est connu que des professionnels. Il s'agit d'un risque d'arrêt généralisé des
transactions par impossibilité de solder les positions. En temps normal, les opérateurs perdants, contraints
d'apporter de nouveaux capitaux en garantie ou de solder leurs positions, peuvent s'exécuter car leurs pertes ne
sont pas trop importantes. Lorsque la volatilité dépasse largement 25 %, l'importance de leurs pertes dans une
seule journée peut les empêcher de le faire. Ils restent débiteurs envers le marché. À la fin de la journée
boursière, les intermédiaires (brokers, sociétés de bourse..) doivent alors se substituer à leurs opérateurs
défaillants. Faute de capitaux ou de titres à livrer, ces intermédiaires peuvent à leur tour devenir insolvables,
mettant en danger l'ensemble du système financier. À plusieurs occasions, un tel risque systémique aurait pu se
concrétiser, comme en 1998, lorsque le fonds spéculatif LTCM ne put faire face à des pertes de plusieurs
milliards de dollars, conséquences de la crise financière russe et d'un effet de levier excessif passé inaperçu des
organismes de contrôle. Les autorités monétaires et boursières américaines, associées à certaines consoeurs
européennes et asiatiques, furent contraintes d'intervenir et de se substituer au fonds défaillant pour éviter la
propagation systémique de la crise.
Les moyens d'action des autorités
Pour limiter les excès de volatilité, les autorités régulatrices ne peuvent agir que sur trois des facteurs de la
volatilité : l'effet de levier lié aux opérations à crédit ou à options, les taux d'intérêt directeurs et l'information
des investisseurs.
Réduire l'effet de levier
Dans un contexte économique volatil, où les positions sont fortement déséquilibrées, la majorité, voire la
totalité des ordres étant soit vendeurs soit acheteurs, la diminution de l'effet de levier, par augmentation des
dépôts de garantie, dissuade les opérateurs de prendre des positions spéculatives susceptibles d'accentuer le
déséquilibre. En dehors de ce contexte particulier qui est celui des " bulles ", l'apport de liquidité par les
opérateurs à découvert ou à options peut suffire à limiter la volatilité. C'est pourquoi, afin de ne pas les
décourager, les restrictions aux opérations à crédit ou à options, au-delà des règles disciplinaires sévères
existantes, ne peuvent être que transitoires.
L'arme des taux d'intérêt directeurs
La fixation des taux d'intérêt directeurs relève de la politique des banques centrales. Mais, comme le montre
la formule de Gordon-Shapiro, toute variation de ce taux peut induire des variations importantes de la valeur
fondamentale des actions. De même, toute incertitude sur les taux d'intérêt peut augmenter la volatilité, car
les anticipations sur le niveau de ces taux interfèrent et se cumulent alors avec les anticipations sur les autres
paramètres de la valeur fondamentale. Ainsi, la modération de la volatilité boursière implique que les
politiques monétaires des banques centrales soient elles-mêmes peu volatiles. Leurs interventions doivent être
cohérentes avec une politique monétaire annoncée longtemps à l'avance. Les variations des taux directeurs
doivent donc être faibles, et si elles doivent être importantes, elles doivent être étalées dans le temps, de
façon à ce que la volatilité annualisée des taux directeurs reste faible.
Assurer la fiabilité de l'information
L'information des investisseurs, enfin, reste le principal moyen de limiter durablement la volatilité boursière.
Moins ils sont informés par les documents comptables et les rapports des conseils d'administration, et moins
cette information est fiable, plus ils peuvent être victimes de l'effet d'imitation, des modes ou des paniques
collectives, sources de forte volatilité. Comme l'a montré la mise en place de la SEC (Security Exchange
Commission) aux États-Unis en 1933, l'obligation de publier des résultats comptables fiables, ainsi que la
condamnation effective de pratiques clandestines néfastes à l'intérêt des investisseurs, délits d'initiés et
manipulations de cours, a fortement réduit la volatilité du marché boursier américain. La loi Sarbanes-Oxley
votée en 2002 va dans le même sens : elle vise à éviter les abus et les conflits d'intérêt de la part des banques
gérant les portefeuilles de leurs clients, mais disposant d'informations privilégiées sur certaines actions. Avant
cette loi, ces banques étaient en effet tentées de conseiller l'achat d'un titre pour lequel elles négociaient
l'obtention d'un mandat pour une introduction en bourse ou pour une opération de fusion-acquisition.
Les clients, abusés par cette information biaisée, achetaient les titres en cause. Les cours montaient alors
jusqu'au retournement éventuel, quand ils apparaissaient nettement surévalués, à cause des achats massifs
antérieurs. Le manque d'information du public contribuait ainsi à augmenter la volatilité au-delà des valeurs
habituelles.
Conclusion
La volatilité est inhérente au fonctionnement des marchés boursiers. Les incertitudes sur les valeurs
fondamentales, couplées aux interactions entre les comportements des opérateurs, rendent illusoire la
réduction de la volatilité des indices des grands marchés, en deçà d'une valeur annualisée d'environ 16 %.
L'absence d'information fiable sur la croissance des dividendes et sur l'évolution des taux d'intérêt, en revanche,
augmente toujours la volatilité. Elle peut même la doubler. Il incombe donc aux autorités régulatrices,
inquiètes des conséquences néfastes d'une trop forte volatilité sur le financement de l'économie, d'assurer la
meilleure information des investisseurs pour contenir les excès de volatilité.
Pour en savoir plus
Keynes John Maynard (1936), Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie , trad. Jean de
Largentaye, 1939, Paris, Payot.
Orléan André (1999), Le Pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob.
Shiller Robert J. (2000), Exubérance irrationnelle, trad. Antoine Dublanc, Paris, Valor Éditions Hendaye.
Zajdenweber Daniel :
- (2003), " La volatilité des cours est-elle irrationnelle ? ", Sociétal, n°40, 2ème trim., pp.18-23 ;
- (2000), Économie des Extrêmes, Paris, Flammarion, Coll. " Nouvelle Bibliothèque Scientifique ".
(1) La volatilité implicite est calculée par une formule particulière, dite de Black et Scholes, à partir des cotations actuelles des
options d'achat et de vente et non à partir d'une série chronologique. L'exposé de la théorie des options et de leur évaluation sort du
cadre de cet article, qui se limite donc à la volatilité historique.
(2) Le CAC 40 frôla l'indice 7 000 en septembre 2000 puis chuta à moins de 3 000, valeur au-dessus de laquelle il fluctue actuellement.
La très grande volatilité du CAC 40 depuis 1997, comparée à celle du SP 500, peut s'expliquer par la présence dans cet indice de
nombreuses valeurs technologiques comme France Télécom et Alcatel qui ont eu un poids relatif important. Ainsi France Télécom a
représenté jusqu'à 10 % de la capitalisation boursière des quarante valeurs composant le CAC 40.
(3) La volatilité peut aussi résulter du comportement stéréotypé des opérateurs appliquant des règles de gestion identiques, comme le
benchmarking ou utilisant les mêmes logiciels d'aide à la décision, ce qui les conduit à passer des ordres identiques en même temps.
(4) Sur cette formule, voir D. Zajdenweber, 2000.
(5) Cas des entreprises endettées. La hausse du taux d'intérêt diminue leur profit et peut dégrader leur notation financière (rating)
attribuée par les agences de notation : Moody's, Standard and Poor's ou Fitch. Pis, le cas échéant, une clause contractuelle
particulière, contingente, induit une hausse du taux d'intérêt en cas de dégradation de la notation financière, d'où une diminution
subséquente du profit ou une augmentation des pertes.
(6) Les produits dérivés désignent les produits financiers qui correspondent à des opérations à terme ou à option (les conditions
d'achat ou de vente à une date ultérieure sont fixées aujourd'hui) portant sur (ou dérivant d') un actif coté au comptant.
(7) Année d'ouverture du marché d'options négociables sur actions à Chicago. On a assisté par la suite à la multiplication de ces
marchés dans le monde et sur un très grand nombre de supports (actions, taux d'intérêt, indices, devises, matières premières, etc.).
Les opérations à terme ou à option existent depuis longtemps, pratiquement depuis la création des marchés boursiers au XIXe siècle,
mais elles étaient en fait, sinon en droit, réservées aux professionnels et restreintes à un nombre limité d'actions et de matières
premières.
(8) La liquidité, au sens des marchés financiers, ne doit pas être confondue avec la liquidité au sens monétaire qui est la qualité d'un
actif financier de pouvoir effectuer tous les règlements sans délai, sans frais et sans changement de valeur.
(9) Grâce à l'informatisation généralisée des transactions, il est même possible de réaliser ces gains ou ces pertes en quelques
secondes.
(10) L'analogie avec un casino avait déjà été utilisée par J. M. Keynes (1936) pour dénoncer les errements des marchés boursiers,
incapables de réguler les comportements spéculatifs.
Les cahiers français, n° 317 (11/2003)
Page 29
Auteur : Daniel Zajdenweber (Professeur de sciences économiques,
Université Paris-X Nanterre. Membre du THEMA (CNRS)) .

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