L`utilisation de la fiducie dans le cadre des opérations
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L`utilisation de la fiducie dans le cadre des opérations
É t u d e L’utilisation de la fiducie dans le cadre des opérations de restructuration Sandra Esquiva-Hesse, Avocat, Paul Hastings Janofsky & Walker 1) A. Delfosse et J-F. Péniguel, « Premières vues sur la fiducie », Defresnois, n°08/07, p.581 ; F. Barriere, « La fiducie, commentaire de la loi n°2007211 du 19 février 2007 », Bull. Joly Sociétés, 2007, (première et deuxième partie) ; S. Piedelievre, « La timide consécration de la fiducie par la loi du 19 février 2007 », Gazette du Palais, 2526 mai 2007 ; F. Barriere, « La loi instituant la fiducie : entre équilibre et incohérence », JCP, E, n°36, 6 sept. 2007, 2053 ; C. Kuhn, « Une fiducie française », Droit & Patrimoine, n°158, avril 2007 ; P. Marini, « La fiducie, enfin ! », JCP, E, 6 sept. 2007, 2050 ; P. Marini, «La fiducie à la française», Revue de jurisprudence commerciale, novembre-décembre 2007 ; P. Bouteiller, « La fiducie, régime juridique », Jurisclasseur, fascicule 10. Un peu plus d’un an après l’introduction dans notre droit de la fiducie par la loi n°2007-211 du 19 février 2007 (1), les praticiens semblent avoir réservé une grande partie de leur réflexion (2) et déjà de leur pratique à la fiducie-sûreté (3). Nombreux, en effet, sont ceux qui lui souhaite un destin de « reine des sûretés » (4), celle qui leur permettra de sécuriser leurs investissements et de faire obstacle le moment venu, aux conséquences de l’ouverture d’une procédure collective. Pourtant, à l’heure où la préservation du tissu industriel français a été consacrée cause nationale par le Président de la République, qui envisage même la création d’un fonds de réindustrialisation (5), on s’interroge sur la compatibilité de la fiducie avec ces objectifs (6). Dans ce domaine en perpétuelle évolution – un projet de réforme de la loi de sauvegarde n’est-il pas déjà soumis à consultation (7) – les obstacles au redressement sont nombreux et ceux à la prévention des difficultés d’entreprise encore plus difficiles à surmonter. Parmi les créanciers qui bénéficieraient d’un statut privilégié, les établissements de crédit sont le plus souvent montrés du doigt. Pourtant, en tant qu’acteurs incontournables de notre économie, ces mêmes établissements de crédits sont les premiers concernés par les difficultés que peuvent rencontrer leurs clients. Ainsi, s’ils se montrent particulièrement attentifs à la situation financière des entreprises qu’ils financent, ils prennent néanmoins garde, au nom du principe de non3) Fiducie-sûreté : première immixtion, de ne pas prendre part à la gestion expérience avec Bercy, Les Echos (rubrique droit), 14 février d’une société de crainte de voir leur responsabilité 2008 ; Première application de la recherchée. Aujourd’hui, ce risque a sans aucun fiducie : l’Etat montre l’exemple, doute diminué avec l’introduction de l’article L. Les Echos, 8 février 2008 ; D. 650-1 du Code de commerce (8), sans toutefois 2008 Act. Leg. 2008.489. totalement disparaître. 2) R. Dammann, G. Podeur et V. Roussel, « Fiducie : des débuts prometteurs », option finance, n°971, 10 mars 2008, p.37 ; B. Holh, « Quelles applications pratiques ? », Revue Lamy Droit Civil, juillet/août 2007, n°40, p.68 ; J-D Pellier, « Regard sur la fiducie-sûreté », LPA, 21 mars 2007, n°58, p.6-11. 4) A. Cerles, « La fiducie, nouvelle reine des sûretés ? », Revue de droit bancaire et financier, sept-oct. 2007 ; R. Damnan et G. Podeur, « Fiduciesûreté et droit des procédures collectives : évolution ou révolution ? », D. 2007, n°20, p.1359 ; des mêmes auteurs « Les sûretés-propriété face au plan de sauvegarde », D.2008, n°14, p.938 ; Comp. J-Y Marquet et C. Pasquet, « Fiducie, procédures collectives et sécurités des créanciers », Décideur, stratégie finance droit, n°92, p.92. 5) Discours du Président de la République prononcé le 21 JOURNAL DES SOCIÉTÉS Malgré leur rareté, il existe des situations où un redressement est envisageable et où le banquier pourrait, en participant au capital de l’entreprise, y contribuer et valoriser ainsi ses actifs, par exemple, en investissant ou convertissant la dette de la société en difficulté en capital de cette dernière. Nous proposons ici de débattre d’une idée nouvelle, mettre la fiducie au service du redressement des entreprises en difficultés en permettant aux premiers de leurs créanciers, les établissements de crédit, de devenir co-auteurs de ce redressement sans nécessairement devenir les gestionnaires de ces entreprises. En effet l’utilisation de la fiducie-gestion pourrait, en ce sens, constituer pour les établissements de crédit (9), mais aussi pour d’autres créanciers 66 importants de l’entreprise défaillante, une alternative intéressante. Elle offre, par exemple, la possibilité aux établissements de crédit, agissant en qualité de constituant, de transférer au fiduciaire, pour une durée déterminée, la propriété fiduciaire de biens ou droits qu’ils détiennent, par exemple des actions (article 2011 du Code civil). En contrepartie d’une rémunération contractuellement prévue, le fiduciaire s’engage à gérer ces biens ou droits pour le compte notamment du constituant, alors désigné comme bénéficiaire, ou de toute autre personne bénéficiaire. La fiducie-gestion offrirait ainsi la possibilité au constituant de confier à un tiers la gestion des actifs, tels les capitaux qu’il détient sur une entreprise en difficulté lorsqu’une gestion active s’avère souhaitable et que celle-ci ne correspond pas au rôle que le constituant souhaite assumer. La fiducie-gestion peut ainsi constituer un mode de gestion novateur pour des créanciers disposant de la capacité financière et surtout, de la volonté de miser sur le redressement de l’entreprise. Elle doit permettre aux établissements de crédit de prendre part au redressement d’une entreprise en faisant abstraction des contraintes que constituent le principe de non-immixtion et les coûts en fonds propres (I). Le contrat de fiducie est ouvert aux acteurs traditionnels du retournement (II). Malgré un certain formalisme, il offre aux parties une très grande liberté contractuelle et une véritable souplesse (III). I. Un outil dynamique de gestion La fiducie-gestion offre pour le constituant la possibilité de prendre part, de façon indirecte, à la gestion de la société en difficulté (A) et autorise une comptabilisation désolidarisée des biens ou droits transférés (B). A. Gestion du fiduciaire La fiducie-gestion permettrait de confier à un tiers la gestion ou la co-gestion de la société que les établissements financiers financent (2). Elle apparaît, en outre, comme un mécanisme adapté aux nouvelles ambitions des acteurs des restructurations (1). 1. Un mécanisme adapté aux nouvelles ambitions des acteurs de la restructuration La fiducie-gestion constitue un mécanisme adapté aux nouvelles ambitions des acteurs de la restructuration. Les établissements de crédit comptent parmi les principaux acteurs du financement des entreprises en France et, par N°55 Juin 2008 É t u d e conséquent, ils sont les premiers concernés en cas de difficultés. Dès l’apparition de difficultés, les établissements de crédit, munis généralement de sûretés, chercheront à préserver leurs intérêts sans toujours s’autoriser à prendre une part plus active dans le redressement. Les établissements de crédit disposent d’une situation de quasi monopole sur la fonction de fiduciaire du fait de la rédaction restrictive des textes en la matière. Si la conversion de la dette en capital n’est pas encore une pratique courante chez les principaux établissements de crédit français, le recours à la fiducie-gestion devrait les encourager en ce sens. Dans une telle hypothèse, le constituant, qui serait donc un établissement de crédit, transmettrait au fiduciaire le soin de gérer les titres (par exemple, convertir en échange d’une remise totale ou partielle de la dette bancaire) qu’il détient sur la société défaillante. Le fiduciaire, en considération des termes du contrat, pourra se voir confier l’administration ou la gestion des titres transmis. Il pourra ainsi exercer tout ou partie des droits rattachés aux titres transmis, en ce compris les droits de vote, de convocation des assemblées, de nomination de mandataires sociaux, etc. Il pourra enfin opter pour une cession ou non de ces titres. Dans le cas d’une entreprise en difficulté, il est nécessaire de renforcer son bilan. Or convertir la dette en capital est justifié afin d’augmenter le montant des fonds propres de l’entreprise. Se donner la possibilité de procéder à une telle conversion accroît donc les chances de sauvegarde de l’entreprise. Malheureusement, le recours à la fiducie-gestion, par son coût et sa mise en œuvre, ne se justifiera au mieux que pour des entreprises de taille importante et pour lesquelles un redressement est envisageable. La fiducie-gestion pourrait très bien concerner des entreprises ayant connu des difficultés passagères, dont les causes sont parfaitement identifiées et pour lesquelles une solution peut être mise en place. La possibilité offerte au constituant de prendre part, par l’intermédiaire du fiduciaire, au redressement de l’entreprise constitue un atout indéniable de la loi nouvelle. Un texte récent rappelle également en quoi les règles de comptabilisation de la fiducie sont également attrayantes. 2. Fiducie-gestion : mécanisme de délégation de la gestion de l’entreprise Contrairement aux investisseurs qui font délibérément le choix de prendre part à la gestion de la société dans laquelle ils investissent, il est profondément ancré dans les réflexes du banquier dispensateur de crédit et soumis à la législation française que ce dernier n’a pas à s’immiscer dans les affaires des entreprises qu’il finance. Il doit se borner à apporter son soutien financier sans diriger ni influencer les affaires de son client. Le banquier est ainsi soumis à un devoir de non immixtion (10). Toutefois, l’établissement de crédit peut N°55 Juin 2008 chercher à restreindre ses risques en influençant le comportement de son client, en l’incitant à gérer ses affaires en bon père de famille et ainsi limiter la dépréciation des actifs constituant l’assiette de ses sûretés. En matière de procédures collectives, le banquier peut engager sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 651-2 du Code de commerce qui dispose que « le tribunal peut décider, en cas de faute de gestion ayant contribué à faire apparaitre une insuffisance d’actif, que les dettes de la personne morale pourront être supportées, en tout ou partie, par les dirigeants de fait ayant contribué à la faute de gestion ». Ainsi, la responsabilité du banquier pourra être recherchée lorsqu’il aura agi en qualité de dirigeant de fait. Aujourd’hui encore, beaucoup de frilosités de ces intervenants de marché sont motivées par ce type de responsabilité alors que, par ailleurs, le législateur a amorcé une tendance visant à les inciter à contribuer plus activement au retournement d’entreprises en difficulté (article L. 650-1 du Code de commerce, privilège de « newmoney »). La responsabilité du banquier dispensateur de crédit pourra être mise en cause sur le fondement de l’article L. 650-1, alinéa 2 du Code de commerce dès lors qu’il est prouvé que ce dernier s’est immiscé de façon caractérisée dans la gestion de la société en difficulté. Selon les travaux parlementaires, cette exception « renvoie à l’hypothèse particulièrement rare, dans laquelle le créancier acquiert la qualité de dirigeant de fait en participant activement à la gestion du débiteur et en prenant seul les décisions importantes en ses lieu et place » (11). Une telle immixtion sera alors reconnue lorsque le banquier se sera comporté en dirigeant de fait. février 2008 lors de sa visite du site MetalEurope. 6) F-X. Lucas et M. Senechal, « Fiducie vs Sauvegarde. Fiducie ou sauvegarde, il faut choisir », D. 2008, n°1, p.29. 7) Projet d’ordonnance portant diverses dispositions en faveur des entreprises en difficulté ; G. Teboul, « La nouvelle réforme du droit des entreprises en difficulté : le projet d’ordonnance » ; Gazette du Palais, dimanche 6 au mardi 8 avril 2008, p.2. 8) Loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. 9) A. Cerles, « Le point de vue du banquier sur la fiducie », RD bancaire et financier,1990, p.117 ; du même auteur, « Utilisations bancaires de la fiducie », RD bancaire et financier,1990, p.111 ; A. Pezard, « Les diverses applications de la fiducie dans la vie des affaires » RD bancaire et financier,1990, p.108. 10) Voir sur ce point, l’excellent article de R. Dammann et J. Paszkudzki sous Cass. Com., 27 juin 2006, D. 2006, Jurisprudence 2354. 11) J-J Hyest, rapport p.442. 12) Cass. Com., 3 juillet 2007, n°06-10.803. La notion de gestion de fait n’est pas définie 13) Cass. Com., 27 juin 2006, D. par la loi. La jurisprudence considère qu’« est 2006, Jurisprudence 2354, note dirigeant de fait celui qui, en toute souveraineté R. Dammann et J. Paszkudzki. et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction » (12). La jurisprudence est venue récemment élargir la notion de dirigeant de fait en accueillant favorablement la notion de « dirigeant de fait par personne interposée » (13). La Cour de cassation a considéré, dans l’affaire de la Banque Worms, qu’une banque, « par l’intermédiaire d’une personne physique qu’elle a choisi et qui agi sous son emprise (désignation de deux administrateurs et de deux représentants au comité stratégique de la société)», avait commis une faute de gestion. La Cour relève que l’administrateur a siégé « à titre personnel » au conseil mais « sans avoir la possibilité de s’écarter des directives de la banque ». Même si les cas de reconnaissance de la responsabilité du banquier pour immixtion dans la gestion de la société sont rares en pratique, ce fondement reste très présent à l’esprit de nos banquiers de sorte qu’ils s’interdissent de prendre part, même de façon indirecte, à la gestion de la société qu’ils financent en apportant son soutien financier, contribuant ainsi au développement de l’entreprise et à la création d’emplois. L’idée qu’il 67 JOURNAL DES SOCIÉTÉS É t u d e 14) M. Barbet-Massin et S. Ledoux, « La fiducie : un trust à la française », Option Finance, n°945, 3 sept. 2007, p.29 ; J. Mondino, « La fiducie : aspect comptables », JCP, E, sept. 2007, 2057; X. Delpech, « Enfin un cadre comptable pour la fiducie », Actualités Dalloz, 22 février 2008. 15) Depuis cette date, le nouveau ratio de solvabilité s’applique à toutes les banques françaises et européennes, y compris celles qui ont opté pour l’approche des notations internes. 16) On distingue (i) l’approche standard qui consiste à appliquer aux expositions une pondération fonction de la qualité intrinsèque de la contrepartie sur la base d’une notation fournie par des « organismes externes d’évaluation du crédit » et (2) l’approche des notations internes qui permet à l’établissement de crédit d’attribuer une notation en fonction (a) de la totalité des paramètres entrant en ligne de compte pour les exigences de fonds propres (c’est l’approche dite « avancée »), ou (b) en considération seulement d’une partie d’entre eux (« approche fondation »). puisse également avoir un droit de regard sur l’utilisation des fonds qu’ils octroient n’est donc pas totalement saugrenue. A fortiori, le banquier ne se reconnait ni une culture ni une compétence d’investisseurs contrairement à nombreux de nos voisins (Italie, Angleterre, voire plus généralement les pays de common law). L’instauration de la fiducie par la loi du 19 février 2007, et la possibilité pour le banquier de confier la gestion des actifs qu’il détient, constitue en ce sens une nouveauté. Dans le cadre d’une fiduciegestion, le constituant transfère l’ensemble des pouvoirs de gestion qu’il détient sur les biens ou droits transférés : acte d’administration ou de disposition. Il fixe l’étendue des pouvoirs du fiduciaire et peut aussi limiter les pouvoirs de ce dernier à tout ou partie des actes d’administration. Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés, le fiduciaire agit de manière exclusive et autonome. Le constituant perd la possibilité d’accomplir lui même les actes juridiques que le fiduciaire est chargé de réaliser pour le compte de la fiducie. Le patrimoine fiduciaire est un patrimoine d’affectation sur lequel le fiduciaire exerce de façon indépendante les pouvoirs qui lui ont été transférés. Il poursuit un objectif précis et à des fins déterminées. La nature de la fiducie et les conséquences du transfert fiduciaire sur les droits du constituant constituent un atout pour la mise en place d’une fiducie-gestion. Le fiduciaire n’est ni le mandataire du constituant ni son employé. Certes, un soin tout particulier devra être apporté à la rédaction du contrat de façon à limiter les risques de responsabilité. Mais dès lors que le fiduciaire pourra agir de façon autonome, en sa qualité de fiduciaire, on peut espérer que la responsabilité du constituant ne soit pas retenue sur la base de la gestion de fait. 17) Les fonds propres servent en particulier à déterminer le ratio de solvabilité dont les modalités de calcul sont prévues dans l’arrêté du 20 février 2007 relatif aux exigences de fonds propres applicables aux établissements de crédit et aux entreprises L’intermédiation d’un fiduciaire dans la gestion d’investissement. des actifs détenus par un établissement de crédit 18) Règlement CRBF n°90-02 du agissant en qualité de constituant pourrait 23 février 1990 relatif aux fonds permettre à ce dernier de prendre part, de façon propres. 19) Art. 2-1, Arrêté préc. V. et comparer, Règlement CRBF n°91-05 du 15 février 1991 relatif au ratio de solvabilité. indirecte, à la gestion d’une société en difficulté. La fiducie-gestion apparaît dès lors comme un mécanisme adapté aux nouvelles ambitions des établissements de crédit mais aussi, des différents acteurs du monde du retournement. 20) Art. 119 f) de l’arrêté du 20 B. Le traitement comptable de la fiducie (14) février 2007 relatif aux exigences de fonds propres applicables aux Les règles de comptabilisation de la fiducie établissements de crédit et aux constituent une option nouvelle et attrayante (1), entreprises d’investissement. couvrir leurs actifs risqués. Le calcul de l’exposition de la banque au risque de crédit (c’est-à-dire au risque de contrepartie, de défaillance du client) est principalement fonction de trois paramètres : la probabilité de défaut, les pertes en cas de défaut et la date d’échéance. L’arrêté du 20 février 2007 (19) relatif aux exigences de fonds propres prévoit expressément que le débiteur qui a « demandé ou obtenu le bénéfice d’un régime de protection contre les poursuites », doit être considéré comme défaillant (20). Dans cette hypothèse, la probabilité de défaut est, pour les besoins du ratio, estimée à 100% (21), ce qui augmentera de facto le niveau de fonds propres nécessaires pour la banque au titre de l’opération concernée. Ainsi, le coût en fonds propres d’un prêt à une entreprise en difficulté sera particulièrement lourd pour les banques. Certains anticipent déjà que dans pareils cas les banques préfèreront, pour maintenir leur rentabilité, mettre un terme aux lignes de crédit consenties et se défaire rapidement de leurs créances plutôt que de négocier, par exemple, un réaménagement de la dette. Cependant, plusieurs arguments semblent contredire cette analyse alarmiste. D’une part, les banques n’ont pas attendu la mise en œuvre du dispositif Bâle II pour prendre en considération les risques qu’elles pouvaient encourir lorsqu’elles finançaient des entreprises en difficulté et nombre d’entres elles provisionnent déjà leur perte. Certaines (22) faisaient alors parfois le choix de céder leurs créances à d’autres banques ou à certains types d’établissements attirés par ces produits. D’autre part, il n’est pas exclu que les banques arbitreront en fonction de divers paramètres, qui ne seront pas uniquement les coûts immédiats en fonds propres, mais aussi, la rémunération qu’elles peuvent obtenir à plus ou moins long terme du client, et sa capacité de redressement. Enfin, des modes de financement (en capital) et des acteurs différents (les fonds d’investissements (23)) pourraient prendre le relais des banques commerciales. Dans ce contexte, la fiducie et ses règles attrayantes de comptabilisation peuvent constituer un outil attractif pour les établissements de crédit désireux de maintenir leur soutien financier à des entreprises rencontrant des difficultés. 2. Des règles attrayantes de comptabilisation en particulier pour les établissements de crédit 21) Art. 82-1 de l’arrêté du 20 désireux de faire face aux impacts du dispositif Bâle février 2007 relatif aux exigences II sur le financement des entreprises en difficulté de fonds propres applicables aux (2). établissements de crédit et aux entreprises d’investissement. 1. L’impact négatif du dispositif Bâle II sur 22) Dossier, Les restructurations le financement des entreprises en difficulté d’entreprise : les nouvelles règles du jeu, Les Echos, 31 mars 2008. Depuis le 1er janvier 2008 (15), les banques 23) Pas soumis à Bâle II mais à d’autres réglementations, par exemple les FCPR. JOURNAL DES SOCIÉTÉS françaises et européennes ayant retenu l’approche des notations internes (16) doivent appliquer le nouveau ratio de solvabilité (17) se dotant d’un montant minimum de fonds propres (18) pour 68 Le traitement comptable de la fiducie constitue sans aucun doute l’un des attraits majeur du recours à une fiducie-gestion pour un établissement de crédit désireux de participer au redressement de son client. À cet effet, l’avis n°2008-03 relatif au traitement comptable des opérations de fiducie, en date du 7 février 2008 du CNC, nous éclaire en précisant la comptabilisation des opérations de fiducie dans les comptes individuels des parties au contrat de fiducie. L’article 12 de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 N°55 Juin 2008 É t u d e sur la fiducie prévoit que les opérations affectant le patrimoine fiduciaire font l’objet d’une comptabilité autonome chez le fiduciaire. En raison du transfert de la propriété juridique organisé par la loi sur la fiducie, les actifs et les passifs faisant l’objet du contrat de fiducie sont transférés du patrimoine du constituant vers celui du fiduciaire, qui constitue un patrimoine d’affectation séparé du patrimoine propre du fiduciaire, au sein duquel ils feront l’objet d’une comptabilisation propre. Le fiduciaire établit des comptes annuels au titre de la fiducie, comportant un bilan, un compte de résultat et une annexe, dans les conditions prévues aux articles L. 123-12 à L. 123-15 du Code de commerce et qui sont donc séparés et distincts de ses comptes et bilans propres. Le patrimoine d’affectation pourra comprendre des éléments d’actif et de passif se traduisant par le transfert d’un actif net positif ou d’un passif net. En revanche, le transfert de passifs isolés est exclu, ce qui ne permet pas l’utilisation du mécanisme de la fiducie pour réaliser des opérations de defeasance (24). L’avis envisage les incidences de la fiducie en matière de compte consolidé (25). Le CNC n’est pas hostile, à ce que la fiducie soit utilisée à des fins de déconsolidation de bilan du constituant (la fiducie serait abritée par une entité spécifique « special purpose vehicle ») (26). Dans ce domaine, les gardes fous de l’abus de droit et de la fraude à la loi restent des limites naturelles incontournables. Selon l’avis, « les éléments du patrimoine d’affectation de la fiducie doivent être rattachés au périmètre de consolidation de l’entité qui exerce le contrôle sur la fiducie », qui peut être soit le constituant, soit le fiduciaire, selon ce que prévoit le contrat de fiducie, les stipulations contractuelles devant être décrites dans l’annexe de l’entité constituante, de celle du fiduciaire, voire du bénéficiaire, si c’est une personne distincte du constituant. Enfin, l’avis précise l’information à donner en annexe chez (i) le constituant, (ii) le fiduciaire, et (iii) chez le bénéficiaire quand il n’est pas le constituant. Les conditions de comptabilisation de la fiducie constituent un argument supplémentaire en faveur de l’utilisation de ce mécanisme dans le cadre des restructurations dans la mesure où le contrôle des actifs objets de la restructuration est confié au fiduciaire. Le texte envisage la possibilité de transférer un ensemble de droits ou de biens, alors même qu’il y aurait un passif. Un groupe organisé de constituants pourrait donc envisager de transférer un ensemble de droits et obligations, comptabilisés ou non, à un ou plusieurs fiduciaires. Le succès d’une telle opération dépendrait en grande partie des parties aux contrats. Or le contrat de fiducie n’est pas complètement fermé aux acteurs du retournement quoiqu’il serait souhaitable de l’ouvrir davantage. N°55 Juin 2008 II. Un contrat ouvert aux acteurs du retournement ? 24) X. Delpech, « Enfin un cadre comptable pour la fiducie », Actualités Dalloz, 22 février 2008. L’utilisation de la fiducie-gestion peut s’ouvrir aux acteurs traditionnels du retournement agissant à 25) Les règles de consolidation titre principal (A) ou, à titre subsidiaire, en qualité résultent des règlements du Comité de la Réglementation de tiers (B). A. Les acteurs du retournement parties principales du contrat de fiducie ? Les acteurs traditionnels du monde du retournement peuvent exercer des fonctions différentes et agir en qualité de constituant (1), de fiduciaire (2) et, enfin, de bénéficiaire (3). 1. Le constituant Le législateur a fait le choix de restreindre la qualité de constituant aux personnes morales soumises de plein droit (27) ou sur option (28) à l’impôt sur les sociétés (article 2014 du Code civil). Ce choix contesté (29) et, en grande partie motivé par des considérations fiscales, permet néanmoins à toutes les sociétés commerciales d’envisager, selon leur besoin, la constitution d’une fiducie (30). Dans le cadre d’une restructuration, tout créancier remplissant les conditions énoncées ci-dessus, et quel que soit son activité (établissement de crédit ou fournisseur important), peut décider de recourir à ce mécanisme. Ce n’est donc pas la qualité de constituant prévue par l’article 2014 du Code civil qui ferait obstacle à l’utilisation de la fiduciegestion à des fins de restructuration. L’article 2014 du Code civil admet une pluralité de constituants. Il est donc tout à fait envisageable que différents propriétaires de biens ou droits se regroupent sous la forme de « pool » (31) et les apportent dans le but de constituer une seule et unique fiducie-gestion. Dans cette hypothèse, ils seront tous constituants et, sauf disposition contraire, tous bénéficiaires. On pourrait envisager qu’un syndicat de banques convertisse la dette en capital et transfère ainsi cet actif à un fiduciaire unique en charge de le gérer. Les relations entre les différents apporteurs seraient alors organisées et réglées dans le cadre du contrat de fiducie. Pour les établissements de crédit, désireux d’adopter des schémas de retournement centrés autour de l’idée de conversion de la dette qu’ils détiennent sur une société en capital de cette dernière, la possibilité d’être à l’initiative d’une fiducie-gestion et de s’associer à d’autres établissements de crédit pourra être envisagée. De la même façon, des entreprises industrielles, fournisseurs importants de l’entreprise en difficulté, pourront chercher à valoriser leurs créances en les transmettant à un tiers, le fiduciaire, afin qu’il prenne en charge leur gestion. Ce type de créancier pourra également chercher à se regrouper avec d’autres personnes morales disposant d’un intérêt commun. La constitution d’une fiducie est également ouverte aux fonds d’investissement qui pourront trouver un terrain nouveau d’innovation et de valorisation de leurs actifs, y compris en adoptant une politique de gestion commune. 69 Comptable n°99-02 relatif aux comptes consolidés des sociétés commerciales et entreprises publiques, n°99-07 relatif aux règles de consolidation des entreprises relevant du Comité de la réglementation bancaire et financière, et n°2000-05 relatif aux règles de consolidation et de combinaison des entreprises régies par le code des assurances et des institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou par le code rural. 26) X. Delpech, « Enfin un cadre comptable pour la fiducie », Actualités Dalloz, 22 février 2008. 27) Aux termes de l’article 206 du Code général des impôts les personnes soumises de plein droit à l’impôt sur les sociétés sont : les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées, les sociétés en commandite par actions et en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés civiles immobilières assimilées à des sociétés de capitaux, mais également les établissements publics, les organismes de département et de commun ou toutes autres personnes ayant une activité lucrative. 28) Aux termes de l’article 8 du Code général des impôts, les sociétés en nom collectif, les sociétés en participation ou les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée. 29) G. Blanluet et J.-P. Le Gall, « La fiducie, une œuvre inachevée», Revue de droit des sociétés, juillet 2007, p.9 B. Holh, « Exclusion critiquable des personnes physiques comme constituants de fiducie » ; JCP, E, n°36, 6 sept. 2007, p. 2052. 30) G. Benoit, « La fiducie, un outil souple pour les entreprises », Option finance, n°921, 26 février 2007 ; La fiducie, nouvel outil juridique à saisir pour les entreprises, La Tribune, 13 sept. 2007. 31) F. Barriere, « La fiducie, commentaire de la loi n°2007211 du 19 février 2007 », Bull. Joly Sociétés, 2007. JOURNAL DES SOCIÉTÉS É t u d e 32) A. Delfosse et J-F. Péniguel, Les acteurs traditionnels du monde du « Premières vues sur la fiducie », retournement disposent de véritables atouts. Ils Defresnois, n°08/07, p.581. 33) Autorité des marchés financiers, Commission bancaire et Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles. 34) V. Bourgatchev et A. Gaudin, « La fiducie à l’épreuve de la lutte contre le blanchiment de capitaux » ; D.G. Hotte et V. Heem, « La fiducie à l’épreuve de la lutte contre le blanchiment de capitaux », Journal des Sociétés octobre 2007 (n°47), p. 38. pourront parfaitement, en qualité de constituant, être à l’initiative de l’instauration d’une fiduciegestion et, à terme, être à l’origine du succès des restructurations nécessitées par certaines entreprises en leur faisant également bénéficier de leur savoir faire et de celui des fiduciaires. La loi offre aux établissements de crédit une formidable opportunité de développer une situation de monopole en étant quasiment les seuls à pouvoir être désignés en qualité de constituant, et/ou de fiduciaire et/ou de bénéficiaire à la fois. 2. Le fiduciaire La qualité de fiduciaire fait l’objet d’une réglementation contraignante que l’on peut d’ores et déjà regretter. L’article 2015 du Code civil prévoit, en effet, que ne peuvent avoir la qualité de fiduciaire que les établissements de crédit mentionnés à 36) Proposition de loi, 8 février l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier, les 2005 : Doc. Sénat n°178, 2004institutions et services énumérés à l’article L. 5182005. 1 du même code, les entreprises d’investissement qui figurent à son article L. 531-4 et les entreprises 37) Par exemple, Alix Partners, d’assurance régies par l’article L. 310-1 du Code Alvarez Marshall, Close des assurances. Les personnes mentionnées à Brothers, Kroll Talbot Hughes, Zalis SA et leurs homologues qui l’article 2015 du Code civil font l’objet d’un double mettent en place des équipes de contrôle (32) : la nécessité d’un agrément ou d’une managers de transition. déclaration lors de leur constitution et un contrôle de leur activité par des autorités administratives 38) P. Crocq, « Le cœur du indépendantes (33). En outre, ces mêmes dispositif fiduciaire », Revue personnes morales sont soumises au respect de Lamy Droit Civil, n°40, juilletnombreuses obligations règlementaires en matière août 2007, p.61 ; F. Barriere, « La loi instituant la fiducie : de lutte contre le blanchiment de capitaux (articles entre équilibre et incohérence », L. 562-2 et L. 563-1 du Code monétaire et financier JCP, E, n°36, 6 sept. 2007, p. (34)). Cette disposition révèle une fois de plus les 2053. appréhensions exprimées par le législateur lors 39) F. Gros, « Introduction de la de l’introduction dans notre droit du mécanisme fiduciaire. L’objectif poursuivi étant de soumettre fiducie, une réelle opportunité l’activité du fiduciaire au contrôle des autorités pour le banquier », Revue Banque, n°692, juin 2007, p.57. administratives. 35) Voir l’arrêt du 10 avril 2008 rendu par le Conseil d’Etat, Gazette du palais, 11 et 12 avril 2008, p.1-10. 40) C. Jammin, « L’avocat, le fiduciaire et le tiers », Recueil Dalloz, 2007, n°22, p. 1492. La possibilité de désigner les avocats, notaires et autres professions juridiques règlementées en qualité de fiduciaire n’a finalement pas été retenue par la Chancellerie. On aurait pu souhaiter que ces professionnels, répondant dans une certaine mesure à des exigences règlementaires proches (contrôle d’un ordre professionnel, respect de règles déontologiques mais également mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux (35)), soient également autorisés à exercer la fonction de fiduciaire. Les réticences étaient en effet nombreuses à l’introduction dans notre droit d’une conception libérale de la fiducie, telle que l’envisageait la proposition initiale (36) du Sénateur Marini. Pourtant, en matière de retournement, on pourrait envisager l’ouverture de cette catégorie aux mandataires et administrateurs judiciaires, ainsi qu’aux sociétés de services spécialisées dans la mise en place des restructurations (37). La mission des sociétés de services spécialisées dans la mise en place des restructurations consiste le plus souvent à identifier les difficultés de l’entreprise (par exemple, difficultés structurelles JOURNAL DES SOCIÉTÉS 70 ou financières, crise des organes de direction) et à tenter, par leur action, d’y apporter des solutions concrètes. Il est ainsi fréquent que ces sociétés procèdent à une modification du management de l’entreprise défaillante ou ajoutent des nouveaux mandataires sociaux, organes de direction et autres organes clefs de l’entreprise, tels que les directeurs administratifs et financiers, contrôleurs de gestion, et ce à échéance plus ou moins temporaire. Comme évoqué ci-dessus, il est exclu actuellement que les conseils en retournement puissent être désignés en qualité de fiduciaire. De telles structures n’ont certainement pas vocation à être soumises aux contraintes pesant sur les personnes morales, Institutions ou Services énumérés à l’article 2015 du Code civil. Il en va de même pour les administrateurs ou mandataires judiciaires qui, pourtant dans des fonctions déjà connues telles l’administration provisoire ou l’assistance au règlement préventif des difficultés, jouent souvent un rôle clef dans le succès des restructurations. Ces acteurs incontournables de la restructuration ne sont toutefois pas écartés du dispositif fiduciaire puisqu’ils pourront, sans doute, être désignés en qualité de tiers protecteur par le constituant. En outre et même si cette question fait actuellement débat (38), ils pourraient être désignés par le fiduciaire afin de l’assister dans l’exécution de sa mission, si tant est que le contrat de fiducie envisage cette possibilité. Ce point mériterait toutefois d’être clarifié dans les réformes à venir de la fiducie. Les restrictions apportées par le législateur quant à la qualité de fiduciaire offrent l’opportunité aux établissements de crédit de développer cette activité et d’en faire ainsi un nouveau vecteur de croissance (39). Pour le moment, et jusqu’à une possible ouverture de l’accès à la fonction de fiduciaire, ce sera principalement aux établissements de crédit que reviendra le soin de mettre en place les premières fiducies-gestion. Ces derniers devront toutefois informer leurs équipes sur les exigences et les responsabilités qu’impose la fonction de fiduciaire, en particulier s’ils y ont recours dans une optique de gestion des investissements sous forme de capitaux. Les qualités de constituant et de fiduciaire sont soumises à un cadre contraignant, destiné à assurer une transparence de l’activité fiduciaire mais aussi à garantir la sécurité du transfert fiduciaire. La mise en place d’un tel cadre réglementaire était le préalable indispensable à l’instauration de la fiducie dans notre droit (40). En revanche, la désignation en tant que bénéficiaire d’un contrat de fiducie ne souffre pas des mêmes restrictions. 3. Le bénéficiaire L’identité du ou des bénéficiaires du contrat de fiducie ne fait pas l’objet des mêmes limitations. L’article 2016 du Code civil se contente de préciser que le constituant ou le fiduciaire peut être le bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires du contrat de fiducie. Toutes les personnes physiques ou morales peuvent donc être désignées bénéficiaires du N°55 Juin 2008 É t u d e contrat de fiducie. Bien entendu, le constituant qui a remis son bien au fiduciaire afin que ce dernier le gère figure au premier rang des personnes susceptibles de bénéficier à terme du contrat de fiducie (article 2030 du Code civil). La concision de l’article 2016 du Code civil soulève de nombreuses interrogations quant à la possibilité de désigner le fiduciaire en qualité de bénéficiaire de la fiducie (41) alors que celle de désigner le constituant bénéficiaire semble ne poser aucune difficulté. Le texte de l’article 2016 ne l’interdit pas et il ne serait pas totalement illogique de permettre au fiduciaire de tirer profit de son action. Le constituant ne pourrait en aucun cas transférer gratuitement au fiduciaire la pleine propriété des actifs dont ce dernier ne disposait jusqu’à présent qu’à titre temporaire et on pourrait imaginer qu’une partie de la rémunération du fiduciaire pour les services ainsi rendus réside en l’attribution tout du moins partielle du bénéfice de la fiducie. En effet, l’article 2013 du Code civil interdisant les fiducieslibéralités, ce transfert au profit du fiduciaire ne serait valable que si une contrepartie existait. L’attribution, ne serait-ce que partiel, des fruits de la gestion du patrimoine fiduciaire au fiduciaire luimême pourrait alors être un gage d’intéressement et de fidélisation du fiduciaire dans sa mission (42). Cette dernière pourra prendre différentes formes telles qu’une somme d’argent ou une prestation de service, dès lors que celle-ci n’est pas déséquilibrée par rapport à l’enrichissement du bénéficiaire (43). Le constituant pourra également désigner, dès l’origine, un ou des bénéficiaires différents. Les parties conviendront des droits conférés à ce tiers bénéficiaire à l’issue du contrat. En cas de pluralité de bénéficiaires, et notamment dans le cadre d’une fiducie-gestion, les parties auront tout intérêt à prévoir les conditions de répartition des actifs. Le transfert des actifs gérés par le fiduciaire au profit du bénéficiaire devra obligatoirement être effectué à titre onéreux (articles 2013 et 2014 du Code civil). Les conditions de ce transfert seront déterminées par les parties, compte tenu de la valeur du patrimoine fiduciaire au jour du transfert. Le constituant espère réaliser une plus-value en raison de la gestion du fiduciaire. Le bénéficiaire pourra être une société industrielle du même secteur que l’entreprise défaillante ou un investisseur désireux de réaliser à terme une plus-value. On peut envisager que des chefs d’entreprises ou des mandataires sociaux, soient désignés parmi les bénéficiaires de la fiducie. B. L’action des acteurs du retournement en qualité de tiers Sauf stipulation contraire, aux termes de l’article 2017 du Code civil, le constituant peut désigner un tiers chargé d’assurer la défense de ses intérêts (1). La loi est en revanche silencieuse sur le droit éventuel accordé au fiduciaire de recourir à un ou plusieurs tiers afin de l’assister dans l’accomplissement de sa mission (2). 1. Le tiers protecteur Le fiduciaire exécute sa mission dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés par le contrat. Pour protéger le constituant, l’article 2017 du Code civil lui reconnait la possibilité de désigner un tiers chargé d’assurer la défense de ses intérêts. Le texte ne prévoit aucune restriction quant à la qualité des personnes susceptibles d’être désignées comme tiers par le constituant. Ce dernier dispose donc d’une totale liberté. Les avocats ou les notaires peuvent voir là une véritable opportunité de prendre part au développement de la fiducie (44). La dernière décision rendue par le Conseil d’Etat le 10 avril 2008 (45) semble compromettre l’éventualité de voir les avocats accéder à la fonction de fiduciaire. Dans la pratique, l’aide et l’assistance d’un avocat, d’un notaire ou d’un professionnel du droit, non seulement lors de l’établissement du contrat de fiducie mais aussi au cours de sa vie, semble indispensable, tant le texte laisse de liberté aux parties dans la rédaction du contrat. En effet, le texte reconnait au constituant le droit de recourir ou non à un tiers. Les parties devront donc déterminer son identité, le moment de sa désignation ainsi que les pouvoirs qui lui sont reconnus. Le fiduciaire pourra décider de s’opposer à la désignation d’un tiers et le contrat stipuler une interdiction de recourir à un tiers. Les rédacteurs devront apporter un soin tout particulier à ces questions dans la rédaction du contrat. Par ailleurs, les conditions de sa rémunération et la durée de sa mission ne sont pas précisées. Les parties pourront opter pour sa désignation dans le contrat de fiducie ou indiquer les conditions de sa nomination ultérieure. Une liste de personnes susceptibles d’être désignées en tant que tiers pourrait alors figurer dans le contrat. Pour le fiduciaire, l’interposition d’un tiers entre lui et le constituant n’est pas nécessairement une donnée négative. Le tiers, qui aura été choisi pour ses compétences, sera son interlocuteur privilégié. Il transmettra de façon régulière des comptes rendus d’activités, des états de valorisation et, d’une façon générale, tous les éléments permettant au constituant d’apprécier l’exécution par le fiduciaire de sa mission. 41) C. Kuhn, « Une fiducie française », Droit & Patrimoine, n°158, avril 2007 ; A. Delfosse et J-F. Péniguel, « Premières vues sur la fiducie », Defresnois, n°08/07, p.581 ; F. Barriere, « La fiducie, commentaire de la loi n°2007-211 du 19 février 2007 », Bull. Joly Sociétés, 2007. 42) Une telle solution serait en quelque sorte comparable au plan d’intéressement du management et des salariés au sein des entreprises. On pourrait également prévoir que la qualité de bénéficiaire variera selon les résultats obtenus. Ces questions restent entières mais intéressantes pour ceux qui sont confrontés à une valorisation de leurs services par voie d’intéressement au capital. 43) A. Delfosse et J-F. Péniguel, « Premières vues sur la fiducie », Defresnois, n°08/07, p.581. 44) C. Jammin, « L’avocat, le fiduciaire et le tiers », Recueil Dalloz, 2007, n°22, p.1492 ; P. Dupichot, « Opération de fiducie sur le sol français », JCP, 2007, I, n°121 ; C. Kuhn, « Une nouvelle fiducie française », Droit et Patrimoine, n°158, avril 2007, p.39. 45) Voir l’arrêt du 10 avril 2008 rendu par le Conseil d’Etat, Gazette du palais, 11 et 12 avril 2008, p.1-10. Le texte prévoit surtout que le tiers dispose des pouvoirs attribués au constituant. Une telle généralité serait problématique si le texte n’envisageait pas la possibilité de restreindre ces pouvoirs. Les parties attacheront donc un soin tout particulier à définir les pouvoirs conférés au tiers protecteur par le contrat de fiducie. Le fiduciaire doit en effet disposer d’une vision claire de la répartition effective des pouvoirs entre le constituant et le tiers protecteur. Nous pensons qu’il y aurait ici, avec un élargissement du texte, un véritable rôle à jouer pour les administrateurs ou mandataires judiciaires qui, tels des commissaires à l’exécution du plan d’une nouvelle sorte, pourraient être les garants de la mise en place de plans de restructuration d’entreprise. Le tiers protecteur a pour mission principale de protéger les intérêts du constituant, de veiller N°55 Juin 2008 71 JOURNAL DES SOCIÉTÉS É t u d e 46) P. Crocq, « Le cœur du dispositif fiduciaire », Revue Lamy Droit Civil, n°40, juilletaoût 2007, p.61. à la bonne exécution du contrat de fiducie par le fiduciaire et au respect de ses obligations contractuelles. Autrement dit, le tiers protecteur devra contrôler que le fiduciaire remplit ses devoirs et ne met pas en péril, par sa gestion, 47) P. Crocq, préc.. le patrimoine fiduciaire (article 2027 du Code 48) F. Barriere, « La fiducie, civil). Le tiers protecteur doit donc disposer d’une commentaire de la loi n°2007parfaite connaissance des termes du contrat de 211 du 19 février 2007 », Bull. fiducie et des objectifs fixés par le constituant. Joly Sociétés, 2007, p.561, §144. Dans le cadre de l’exécution du contrat de fiducie, le texte prévoit que le fiduciaire rende compte de sa mission au constituant mais également au tiers désigné par le constituant (article 2022 du Code civil). Le fiduciaire devra communiquer, dans les conditions prévues par le contrat, les informations indispensables à l’accomplissement par le tiers de sa mission. Le tiers protecteur participe au succès de la fiducie-gestion en garantissant au constituant un contrôle autonome de l’action du fiduciaire. Un tel contrôle s’ajoute et complète celui exercé par les administrations intéressées. Ne serait-il pas dans l’intérêt du bénéficiaire, qui sera souvent le constituant lui-même, de permettre au fiduciaire de recourir à l’aide d’un tiers dans l’accomplissement du contrat ? 2. Le tiers choisi par le fiduciaire Aux termes du contrat de fiducie, le constituant confie au fiduciaire pour une durée déterminée le soin d’exercer tous les droits rattachés aux biens transférés. Dans le cadre d’une fiducie-gestion, le fiduciaire se voit attribuer contractuellement une mission précise : assurer temporairement la gestion du patrimoine fiduciaire au profit du ou des bénéficiaires. Les limites apportées par le législateur à l’accès à la fonction de fiduciaire soulèvent de nombreuses interrogations quant à la faculté pour ce dernier de déléguer à un tiers l’accomplissement de tout ou partie de sa mission. Si la loi envisage expressément la possibilité pour le constituant de nommer un tiers protecteur, elle est totalement silencieuse sur l’éventualité pour le fiduciaire de déléguer la gestion du bien. Pourtant, le fiduciaire pourrait légitimement éprouver le besoin de confier à un tiers spécialisé la gestion d’un actif déterminé présentant une nature spécifique ou recourir à l’aide et à l’assistance d’un tiers dans l’accomplissement de sa mission (46). La possibilité pour le fiduciaire de déléguer à un tiers une partie de ses pouvoirs était envisagée dans la proposition du Sénateur Marini. Elle n’a toutefois pas été retenue dans le texte finalement adopté. Une telle solution manifeste une fois de plus la frilosité du législateur. Elle semble néanmoins pour partie justifiée par le risque légitime de détournement des règles de désignation du fiduciaire posées par l’article 2015 du Code civil. Cette question est pourtant particulièrement pertinente dans la mesure où l’accès à la fonction de fiduciaire est actuellement restreint à des personnes morales, institutions ou services qui ne disposeront pas nécessairement de toutes les compétences requises, en considération de la variété de biens ou droits JOURNAL DES SOCIÉTÉS 72 qui peuvent faire l’objet d’un transfert fiduciaire. Dans le cadre d’une restructuration, par exemple, le fiduciaire et la fiducie plus généralement ne tireraient-ils pas avantage de confier au titre d’un mandat certaines missions précises à un conseil en retournement ou un administrateur judiciaire? Certains auteurs considèrent que le contrat de fiducie, au regard du silence de la loi, pourrait prévoir librement la possibilité pour le fiduciaire de recourir à un tiers (47). Il semble néanmoins acquis que le contrat de fiducie est un contrat intuitu personae (48) ; le constituant choisit le fiduciaire en fonction de considérations liées à sa personne, sa renommée, ou encore, son professionnalisme. Le fiduciaire ne devrait pas pouvoir confier à un tiers l’ensemble des missions qu’il tient directement du constituant. En revanche, rien ne semble faire obstacle, selon nous, à l’utilisation d’un mandat spécial afin de déléguer à un tiers la réalisation, dans de meilleures conditions et en collaboration avec le fiduciaire, de l’une des missions prévues au contrat. Toutefois, une telle délégation ne saurait exonérer le fiduciaire de sa responsabilité vis-à-vis du constituant et du bénéficiaire même si l’origine du dommage réside en la personne du tiers délégué. Afin de se prémunir contre toute remise en cause ultérieure, il serait prudent d’obtenir l’aval du constituant. Le contrat de fiducie devrait prévoir, par exemple, les hypothèses dans lesquelles le fiduciaire pourra faire appel à un tiers, mais aussi les biens ou les droits concernés par cette délégation. Le constituant pourra également imposer son autorisation préalable compte-tenu de la nature de la mission attribuée au tiers ou de l’actif transmis. Par conséquent, l’identité du tiers ou les conditions de sa désignation, le moment de celle-ci, mais aussi l’étendue de ses pouvoirs, devront être clairement traités dans le contrat de fiducie. Des précisions seront donc attendues par les professionnels afin de permettre au fiduciaire de disposer de tous les moyens et compétences nécessaires à la réalisation des objectifs fixés par les parties. La loi nouvelle semble avoir introduit dans notre droit une fiducie soumise à un cadre contraignant propre à décourager les acteurs économiques les plus volontaires. Or, malgré les restrictions relatives à l’identité des parties au contrat de fiducie, ce dernier se caractérise par une réelle liberté contractuelle et une véritable souplesse. En ce sens, la fiducie peut être un instrument moderne au service des restructurations. N°55 Juin 2008 É t u d e III. Souplesse du contrat de fiducie La mise en œuvre de la fiducie exige le respect par les parties d’un formalisme nécessaire (A), contrepartie de la souplesse qui leur est offerte quant à la détermination de la mission du fiduciaire (B). A. Un formalisme nécessaire L’établissement d’une fiducie est obligatoirement constaté par un écrit comprenant un certain nombre de mentions obligatoires (1). Une fois rédigé, le contrat doit ensuite faire l’objet d’un enregistrement et d’une publication (2). 1. La nécessité obligatoire d’un écrit au contenu Le contrat de fiducie entre dans la catégorie des contrats solennels pour lesquels l’existence d’un écrit est requise à titre de validité. Néanmoins, un simple acte sous seing privé sera suffisant, quel que soit le support papier ou électronique. En pratique, il est fort probable que les parties privilégieront un contrat écrit sur support papier. Elles pourront également opter, le cas échéant, par la formalité d’un acte authentique, lorsqu’elles auront notamment fait le choix de recourir à un notaire pour la rédaction de l’acte, voire comme tiers protecteur. Un certain nombre de mentions obligatoires énumérées à l’article 2018 du Code civil doivent figurer dans le contrat de fiducie, sous peine de nullité (49). Le contrat doit en premier lieu permettre la détermination et la composition du patrimoine fiduciaire au moment de la conclusion du contrat. Le transfert fiduciaire a un champ d’application particulièrement vaste puisqu’il peut porter sur tout bien meuble ou immeuble, incorporel ou corporel. Le texte précise en outre qu’un ensemble de biens, droits ou de sûretés peut être transféré (50). La loi du 19 février 2007 n’envisage pas expressément la possibilité de transférer des dettes dans une fiducie. Pour certains (51), il est possible de le faire puisque les travaux parlementaires l’avaient indiqué mais aussi l’avis du CNC. D’autres auteurs (52) soutiennent, en revanche, que le transfert de dettes n’est pas autorisé en raison du silence de la loi. Dans le cadre des restructurations, nous partageons l’idée selon laquelle la fiducie pourrait être employée afin de transférer un ensemble de biens, tel qu’une société, avec des éléments d’actif et de passif, l’actif devant toutefois demeurer supérieur au passif, sous réserve que celui-ci soit le corollaire des actifs transférés. Il serait toutefois souhaitable que la position du législateur soit clarifiée, ou que la jurisprudence apporte un éclairage nécessaire et utile sur cette question. Une position large bénéficierait bien entendu au développement des recours à la fiducie. Nous avons néanmoins conscience qu’une position ferme et définitive devra être arrêtée par le législateur ou la jurisprudence, tant une telle solution permettrait le développement de la fiducie-gestion en France. N°55 Juin 2008 La durée du transfert fiduciaire doit être mentionnée dans le contrat à peine de nullité, celleci ne pouvant excéder trente-trois ans (53). Certains regrettent que la proposition initiale de fixer à quatre-vingt-dix neuf ans la durée du contrat n’ait pas été retenue. En matière de restructuration, une telle durée est largement suffisante pour permettre la mise en place d’un plan de retournement pour l’entreprise. À l’heure où les stratégies de sorties des fonds d’investissement spécialisés dans le retournement imposent une durée moyenne de trois à cinq ans, on peut comprendre que dans ce domaine, cette dernière n’excèdera pas dix ans dans la plupart des cas. L’identité du constituant et du fiduciaire doit être connue au jour de la conclusion du contrat de fiducie. Le texte précise toutefois qu’à défaut de désignation du bénéficiaire lors de la conclusion du contrat, les parties devront prévoir, à peine de nullité, les modalités de sa désignation. Le contrat doit enfin prévoir la mission du ou des fiduciaires et l’étendue de leurs pouvoirs d’administration et de disposition sur les actifs transférés. Le fiduciaire doit connaître les contours de sa mission afin d’exercer les pouvoirs qui lui sont consentis sur le patrimoine fiduciaire en fonction de la cause du contrat : gestion ou garantie. La loi n’a prévu aucune disposition spécifique relative à la rémunération du fiduciaire. Une totale liberté est une fois de plus laissée aux parties. Nous ne doutons pas que dans ce domaine, les praticiens sauront faire preuve d’inventivité de façon à encourager la mise en place d’une stratégie de gestion efficace. Si l’on prend en considération la mission confiée au fiduciaire et les objectifs fixés par le constituant, la rémunération du fiduciaire pourra prendre des formes variables. 49) Aux termes de l’article 2018 du Code civil, le contrat de fiducie doit obligatoirement mentionner : 1) les biens, droits ou sûretés transférés, 2) la durée du transfert, 3) l’identité du ou des constituants, 4) l’identité du ou des fiduciaires, 5) l’identité du ou des bénéficiaires ou, à défaut, des règles permettant leur désignation et 6) la mission du ou des fiduciaires ainsi que l’étendue de leurs pouvoirs d’administration et de disposition. 50) C. Kuhn, « Une fiducie française », Droit & Patrimoine, n°158, avril 2007. 51) P. Marini, préc. ; D. Stcuki, « La fiducie : un outil juridique nouveau pour les opérations de fusion-acquisition », Lexisnexis, juillet-août 2007 ; C. Kuhn, « Une fiducie française », Droit & Patrimoine, n°158, avril 2007 ; S. Piedelievre, « La timide consécration de la fiducie par la loi du 19 février 2007 », Gazette du Palais, 25-26 mai 2007. 52) F. Barriere, préc. et P.Crocq préc.. 53) L’article 146 du projet d’ordonnance portant diverses dispositions en faveur des entreprises en difficulté propose de modifier l’article 2018 du Code civil et d’allonger la durée du contrat de fiducie de 33 ans à 99 ans. L’établissement d’une fiducie est donc constaté par un écrit comprenant un certain nombre de mentions obligatoires. Une fois rédigé, les parties doivent ensuite faire procéder à l’enregistrement et à la publication du contrat de fiducie sur un registre spécifique. 2. Les mesures publication d’enregistrement et de Le contrat doit néanmoins faire l’objet d’un enregistrement, mécanisme destiné à permettre un contrôle de l’activité fiduciaire par les autorités fiscales. L’article 2019 alinéa 3 du Code civil dispose que sont soumis à l’enregistrement, l’acte écrit constatant obligatoirement la transmission des droits résultant de l’exécution du contrat de fiducie, ainsi que, le cas échant, et par parallélisme des formes, l’acte désignant nominativement le ou les bénéficiaires, non désigné(s) dans le contrat. Le contrat de fiducie et ses avenants doivent, également à peine de nullité, donner lieu à enregistrement auprès du service des impôts du siège du fiduciaire ou du service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France. Ceci a le mérite de confirmer que tout 73 JOURNAL DES SOCIÉTÉS É t u d e 54) C. Kuhn, « Une fiducie française », Droit & Patrimoine, n°158, avril 2007. 55) Lorsque le contrat ou ses avenants portent sur des immeubles ou des droits réels immobiliers, ils sont publiés dans les conditions prévues aux articles 647 et 657 du Code général des impôts. est règlementé, y compris l’activité des personnes éligibles à cette fonction et résidants hors de France. Cette disposition répond à l’objectif de transparence souhaité par le législateur. L’activité fiduciaire doit être connue et pouvoir faire l’objet à tout moment d’un contrôle des autorités compétentes. Le texte ne détermine pas l’identité du débiteur de cette obligation d’enregistrement dont le défaut est sanctionné par la nullité absolue du contrat. En présence de plusieurs constituants ou fiduciaires 56) P. Marini, « La fiducie, relevant de services des impôts territorialement enfin ! », JCP, E, 6 sept. 2007, différents, les travaux parlementaires renvoient au 2050 ; P. Marini, «La fiducie à la française», Revue de futur décret. Au regard de la sanction, on imagine jurisprudence commerciale, que toutes les parties à la fiducie seront fortement novembre-décembre 2007 ; intéressées à l’enregistrement du contrat. Rapp. AN, n°3655, p.45 : Certains considèrent que le texte suggère que les tiers bénéficient d’une information suffisante au titre de l’enregistrement soit réalisé par le fiduciaire (54). On peut également envisager que le constituant l’article 2021 du Code civil. confie cette tache au tiers protecteur. Lorsque le contrat de fiducie prévoit le transfert de biens ou droits mobiliers (55), la publicité est assurée par la publication du contrat à un registre national des fiducies dont les modalités de constitution et de fonctionnement seront précisées par un décret en Conseil d’État (article 2020 du Code civil). Le législateur affirme de nouveau son désir de transparence en instaurant une véritable base de données fiduciaire. Le contenu ainsi que les modifications des conventions et, peut-être, d’autres éléments seront répertoriés afin de faciliter le contrôle de l’activité fiduciaire. Lors des travaux parlementaires, les rapporteurs du projet, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont souhaité que l’accès à ce fichier soit restreint aux autorités judiciaires et aux services impliqués dans la lutte contre le blanchiment de capitaux (56). En l’absence de la publication du décret, il est souhaitable que les dispositions de celuici confirment et maintiennent l’idée d’un accès limité aux contrats de fiducie portant sur des biens ou droits mobiliers. La confidentialité des transactions et des conditions auxquelles elles s’effectuent seraient en effet de nature à favoriser le développement de la fiducie, notamment dans le cadre de restructuration. Le décret déterminera les conditions d’enregistrement de ces informations. L’existence d’un formalisme normal ne constitue pas un obstacle au développement de la fiducie, dès lors qu’il se révèle peu contraignant et conforme à la réalité du monde des affaires. Tous ces mécanismes seront, de nature à sécuriser les relations entre les parties au contrat de fiducie. Ce qui constitue, par ailleurs, un des aspects positifs est la souplesse offerte quant à la définition du contrat. B. La définition de la mission du fiduciaire Le contrat de fiducie doit obligatoirement définir la mission du fiduciaire et l’étendue de ses pouvoirs sur les biens ou droits transférés (1). Les parties doivent également prévoir les conditions dans lesquelles le constituant, assisté ou non d’un tiers protecteur, pourra contrôler le fiduciaire (2). JOURNAL DES SOCIÉTÉS 74 1. Définition par les parties des termes et de l’étendue de la mission du fiduciaire Aux termes de l’article 2018 du Code civil, le contrat de fiducie doit obligatoirement prévoir les termes de la mission confiée par le constituant au fiduciaire. Le contrat doit, en outre, préciser l’étendue des pouvoirs du fiduciaire sur les biens ou droits transférés. Malgré cette apparente rigueur, la loi offre, en réalité, une très grande souplesse aux parties quant à la définition des termes exactes de la mission du fiduciaire. Les pouvoirs du fiduciaire varieront ainsi selon la nature des actifs transférés mais également, selon les objectifs fixés par le constituant. Dans l’hypothèse de la mise en place d’une fiduciegestion en matière de restructuration d’entreprises, on peut, par exemple, imaginer que le constituant détenteur d’une partie du capital de la société demande au fiduciaire d’exercer les droits rattachés aux titres transférés, tels que les droits de vote. Dès lors que le fiduciaire bénéficie d’une portion importante du capital de la société en difficulté, il pourra, dans le respect des termes du contrat de fiducie, exercer un véritable pouvoir de direction au sein de cette dernière. Les pouvoirs que le constituant pourrait attribuer sont donc nombreux et variés. Outre des précisions relatives aux termes et à l’étendue de la mission du fiduciaire, le contrat peut prévoir des objectifs à atteindre et fixer un calendrier de résultats. Puisque les établissements de crédit, au nom du principe de non immixtion, ne peuvent pas assurer la gestion des sociétés qu’ils financent, ils pourraient envisager de confier cette responsabilité au fiduciaire. Ce dernier devra, par son action, contribuer au redressement de l’entreprise de façon à permettre une revalorisation de l’actif transféré. Par ce biais, le constituant s’assure une gestion dynamique de ses actifs isolés au sein d’un patrimoine fiduciaire. La loi lui reconnaît en outre d’importants pouvoirs de contrôle. 2. Les pouvoirs de contrôle du constituant ou du tiers protecteur Aux termes de l’article 2022 du Code civil, le contrat de fiducie définit les conditions dans lesquelles le fiduciaire rend compte de sa mission au constituant et, le cas échéant, au tiers protecteur chargé de la protection de ses intérêts. La loi reconnaît au constituant ou au tiers protecteur un véritable pouvoir de contrôle sur l’exercice par le fiduciaire de la mission de gestion qui lui a été confiée. Ce pouvoir de contrôle se manifeste par la possibilité pour le constituant d’organiser, et donc de prévoir, les modalités d’exécution de l’obligation d’information pesant sur le fiduciaire. En outre, le constituant dispose de la possibilité de révoquer le fiduciaire lorsque ce dernier manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui ont été confiés par le constituant (article 2027 du Code civil). N°55 Juin 2008 É t u d e Les parties devront déterminer le contenu de l’information qui sera transmise, son mode de transmission et enfin, sa périodicité. Dans le cadre d’une fiducie-gestion, le fiduciaire devra être capable de communiquer au constituant ou à son tiers protecteur des données chiffrées sur la gestion des actifs transférés leur permettant d’apprécier le respect par le fiduciaire des objectifs fixés. Le fiduciaire devra également rendre compte des opérations effectuées sur les actifs transférés et les conditions dans lesquelles elles ont été réalisées. Le cas échéant, il pourrait être également redevable d’une obligation d’information, envers le constituant ou le tiers protecteur, relative à l’action du tiers à qui il aura délégué l’exécution d’une mission spécifique. Les modes de transmission devront être simplifiés mais viables afin de permettre la conservation de ces données par le constituant et, le moment venu, leur transmission au bénéficiaire. Tous ces éléments pourront être utilisés pour déterminer la valeur des actifs fiduciaires avant leur transfert au profit du ou des bénéficiaires. Le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire. Par la suite, une modification ou révocation supposera l’accord du bénéficiaire ou l’autorisation du juge (article 2028 du Code civil). La fiducie-gestion devrait être employée dans un cadre préventif et à des fins de restructuration. En effet, l’article 632-9 alinéa 9 du Code de commerce prévoit que la fiducie constituée au cours de la période suspecte est nulle. En l’état actuel des textes, il semble prématuré de prévoir les conséquences de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une fiducie constituée dans un cadre de restructuration. Les parties auront donc dès lors tout intérêt à prévoir la fin du contrat de fiducie en cas d’ouverture d’une telle procédure. Le contrat de fiducie prend fin par la réalisation du but poursuivi ou par la survenance du terme. Le contrat de fiducie prend fin par la réalisation du but poursuivi quand celui-ci a lieu avant le terme du contrat. Il prend également fin en cas de révocation par le constituant de l’option pour l’impôt sur les sociétés. Il prend fin encore si la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie, ou si celle-ci fait l’objet d’une liquidation judiciaire, d’une dissolution ou s’il disparait par la suite d’une cession ou d’une absorption (article 2029 du Code civil). IV. Conclusion Il faudra bien plus que de simples modifications homéopathiques de la loi de sauvegarde pour qu’ait lieu, autour de la prévention, une véritable prise de conscience des différents acteurs économiques. Un changement des mentalités sera nécessaire, que ce soit chez les dirigeants d’entreprises bien sûr, mais également chez les principaux créanciers. Les établissements de crédit pourraient adopter un rôle plus actif ne se limitant pas à exercer leurs sûretés ou à céder leurs créances dont le recouvrement leur semble douteux. Les obstacles sont toutefois nombreux et les établissements de crédit ne disposaient pas jusqu’alors d’outils leur permettant de prendre part, avec un risque raisonnable, au redressement de la société tout en déléguant, à ceux dont c’est le métier, la gestion de leurs actifs. Le recours à la fiducie-gestion leur offre aujourd’hui un outil nouveau, souple et dont les atouts sont nombreux. Employée dans le cadre d’une restructuration, la fiducie-gestion devrait permettre, avec le soutien des acteurs du monde du retournement, le rétablissement de la société et la valorisation des actifs transférés par le constituant. Bien que subsistent de nombreuses interrogations quant aux modalités d’utilisation de la fiducie, qu’une première loi de mise en œuvre a sans doute souhaité d’application confinée, le texte de loi, par sa généralité, n’est pas satisfaisant et laisse en suspend un nombre considérable de questions. Dans le domaine des restructurations, nous serons attentifs aux prochains développements consacrés à l’ouverture de la qualité de fiduciaire, l’élargissement du patrimoine fiduciaire à celui des entreprises en difficulté, le traitement comptable de la fiducie, les conséquences de l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire de l’entreprise ou la fiducie. Le projet d’ordonnance portant réforme de la loi de sauvegarde des entreprises, et mis actuellement en consultation, contient ainsi quelques articles modifiant le Code civil. Le législateur ne semble donc pas indisposé à l’idée d’une nécessaire amélioration de la loi relative à la fiducie. Lorsque sa mission est achevée, le fiduciaire doit restituer le patrimoine fiduciaire au constituant ou le transmettre au bénéficiaire. En l’absence de bénéficiaire, il revient de plein droit au constituant (article 2031 du Code civil). À l’issue de la fiduciegestion et dans l’hypothèse où le fiduciaire a permis le redressement de l’entreprise, le constituant dispose de plusieurs alternatives : conserver les actifs qu’il avait transmis au fiduciaire, les céder à un tiers qui pourrait peut-être être le fiduciaire, voire même prolonger la fiducie. N°55 Juin 2008 75 JOURNAL DES SOCIÉTÉS