L`utilisation de la fiducie dans le cadre des opérations

Transcription

L`utilisation de la fiducie dans le cadre des opérations
É t u d e
L’utilisation de la fiducie dans le cadre des
opérations de restructuration
Sandra Esquiva-Hesse,
Avocat,
Paul Hastings Janofsky & Walker
1) A. Delfosse et J-F. Péniguel,
« Premières vues sur la fiducie »,
Defresnois, n°08/07, p.581 ;
F. Barriere, « La fiducie,
commentaire de la loi n°2007211 du 19 février 2007 », Bull.
Joly Sociétés, 2007, (première et
deuxième partie) ; S. Piedelievre,
« La timide consécration de la
fiducie par la loi du 19 février
2007 », Gazette du Palais, 2526 mai 2007 ; F. Barriere, « La
loi instituant la fiducie : entre
équilibre et incohérence », JCP,
E, n°36, 6 sept. 2007, 2053 ; C.
Kuhn, « Une fiducie française »,
Droit & Patrimoine, n°158,
avril 2007 ; P. Marini, « La
fiducie, enfin ! », JCP, E, 6 sept.
2007, 2050 ; P. Marini, «La
fiducie à la française», Revue
de jurisprudence commerciale,
novembre-décembre 2007 ; P.
Bouteiller, « La fiducie, régime
juridique », Jurisclasseur,
fascicule 10.
Un peu plus d’un an après l’introduction dans
notre droit de la fiducie par la loi n°2007-211 du
19 février 2007 (1), les praticiens semblent avoir
réservé une grande partie de leur réflexion (2)
et déjà de leur pratique à la fiducie-sûreté (3).
Nombreux, en effet, sont ceux qui lui souhaite un
destin de « reine des sûretés » (4), celle qui leur
permettra de sécuriser leurs investissements et de
faire obstacle le moment venu, aux conséquences
de l’ouverture d’une procédure collective.
Pourtant, à l’heure où la préservation du tissu
industriel français a été consacrée cause nationale
par le Président de la République, qui envisage
même la création d’un fonds de réindustrialisation
(5), on s’interroge sur la compatibilité de la
fiducie avec ces objectifs (6). Dans ce domaine
en perpétuelle évolution – un projet de réforme
de la loi de sauvegarde n’est-il pas déjà soumis à
consultation (7) – les obstacles au redressement
sont nombreux et ceux à la prévention des
difficultés d’entreprise encore plus difficiles à
surmonter.
Parmi les créanciers qui bénéficieraient d’un statut
privilégié, les établissements de crédit sont le
plus souvent montrés du doigt. Pourtant, en tant
qu’acteurs incontournables de notre économie,
ces mêmes établissements de crédits sont les
premiers concernés par les difficultés que peuvent
rencontrer leurs clients. Ainsi, s’ils se montrent
particulièrement attentifs à la situation financière
des entreprises qu’ils financent, ils prennent
néanmoins garde, au nom du principe de non3) Fiducie-sûreté : première
immixtion, de ne pas prendre part à la gestion
expérience avec Bercy, Les
Echos (rubrique droit), 14 février d’une société de crainte de voir leur responsabilité
2008 ; Première application de la recherchée. Aujourd’hui, ce risque a sans aucun
fiducie : l’Etat montre l’exemple, doute diminué avec l’introduction de l’article L.
Les Echos, 8 février 2008 ; D.
650-1 du Code de commerce (8), sans toutefois
2008 Act. Leg. 2008.489.
totalement disparaître.
2) R. Dammann, G. Podeur et V.
Roussel, « Fiducie : des débuts
prometteurs », option finance,
n°971, 10 mars 2008, p.37 ; B.
Holh, « Quelles applications
pratiques ? », Revue Lamy Droit
Civil, juillet/août 2007, n°40,
p.68 ; J-D Pellier, « Regard sur
la fiducie-sûreté », LPA, 21 mars
2007, n°58, p.6-11.
4) A. Cerles, « La fiducie,
nouvelle reine des sûretés ? »,
Revue de droit bancaire et
financier, sept-oct. 2007 ; R.
Damnan et G. Podeur, « Fiduciesûreté et droit des procédures
collectives : évolution ou
révolution ? », D. 2007, n°20,
p.1359 ; des mêmes auteurs
« Les sûretés-propriété face au
plan de sauvegarde », D.2008,
n°14, p.938 ; Comp. J-Y
Marquet et C. Pasquet, « Fiducie,
procédures collectives et
sécurités des créanciers »,
Décideur, stratégie finance droit,
n°92, p.92.
5) Discours du Président de
la République prononcé le 21
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
Malgré leur rareté, il existe des situations où un
redressement est envisageable et où le banquier
pourrait, en participant au capital de l’entreprise, y
contribuer et valoriser ainsi ses actifs, par exemple,
en investissant ou convertissant la dette de la
société en difficulté en capital de cette dernière.
Nous proposons ici de débattre d’une idée nouvelle,
mettre la fiducie au service du redressement
des entreprises en difficultés en permettant aux
premiers de leurs créanciers, les établissements de
crédit, de devenir co-auteurs de ce redressement
sans nécessairement devenir les gestionnaires de
ces entreprises.
En effet l’utilisation de la fiducie-gestion pourrait,
en ce sens, constituer pour les établissements de
crédit (9), mais aussi pour d’autres créanciers
66
importants de l’entreprise défaillante, une
alternative intéressante. Elle offre, par exemple,
la possibilité aux établissements de crédit,
agissant en qualité de constituant, de transférer au
fiduciaire, pour une durée déterminée, la propriété
fiduciaire de biens ou droits qu’ils détiennent, par
exemple des actions (article 2011 du Code civil). En
contrepartie d’une rémunération contractuellement
prévue, le fiduciaire s’engage à gérer ces biens ou
droits pour le compte notamment du constituant,
alors désigné comme bénéficiaire, ou de toute autre
personne bénéficiaire. La fiducie-gestion offrirait
ainsi la possibilité au constituant de confier à un
tiers la gestion des actifs, tels les capitaux qu’il
détient sur une entreprise en difficulté lorsqu’une
gestion active s’avère souhaitable et que celle-ci ne
correspond pas au rôle que le constituant souhaite
assumer.
La fiducie-gestion peut ainsi constituer un mode
de gestion novateur pour des créanciers disposant
de la capacité financière et surtout, de la volonté
de miser sur le redressement de l’entreprise. Elle
doit permettre aux établissements de crédit de
prendre part au redressement d’une entreprise en
faisant abstraction des contraintes que constituent
le principe de non-immixtion et les coûts en fonds
propres (I). Le contrat de fiducie est ouvert aux
acteurs traditionnels du retournement (II). Malgré
un certain formalisme, il offre aux parties une
très grande liberté contractuelle et une véritable
souplesse (III).
I. Un outil dynamique de gestion
La fiducie-gestion offre pour le constituant la
possibilité de prendre part, de façon indirecte, à la
gestion de la société en difficulté (A) et autorise une
comptabilisation désolidarisée des biens ou droits
transférés (B).
A. Gestion du fiduciaire
La fiducie-gestion permettrait de confier à un
tiers la gestion ou la co-gestion de la société
que les établissements financiers financent (2).
Elle apparaît, en outre, comme un mécanisme
adapté aux nouvelles ambitions des acteurs des
restructurations (1).
1. Un mécanisme adapté aux nouvelles
ambitions des acteurs de la restructuration
La fiducie-gestion constitue un mécanisme
adapté aux nouvelles ambitions des acteurs
de la restructuration. Les établissements de
crédit comptent parmi les principaux acteurs du
financement des entreprises en France et, par
N°55 Juin 2008
É t u d e
conséquent, ils sont les premiers concernés en
cas de difficultés. Dès l’apparition de difficultés,
les établissements de crédit, munis généralement
de sûretés, chercheront à préserver leurs intérêts
sans toujours s’autoriser à prendre une part plus
active dans le redressement. Les établissements de
crédit disposent d’une situation de quasi monopole
sur la fonction de fiduciaire du fait de la rédaction
restrictive des textes en la matière.
Si la conversion de la dette en capital n’est pas
encore une pratique courante chez les principaux
établissements de crédit français, le recours à la
fiducie-gestion devrait les encourager en ce sens.
Dans une telle hypothèse, le constituant, qui serait
donc un établissement de crédit, transmettrait au
fiduciaire le soin de gérer les titres (par exemple,
convertir en échange d’une remise totale ou
partielle de la dette bancaire) qu’il détient sur la
société défaillante. Le fiduciaire, en considération
des termes du contrat, pourra se voir confier
l’administration ou la gestion des titres transmis.
Il pourra ainsi exercer tout ou partie des droits
rattachés aux titres transmis, en ce compris les
droits de vote, de convocation des assemblées, de
nomination de mandataires sociaux, etc. Il pourra
enfin opter pour une cession ou non de ces titres.
Dans le cas d’une entreprise en difficulté, il est
nécessaire de renforcer son bilan. Or convertir
la dette en capital est justifié afin d’augmenter
le montant des fonds propres de l’entreprise.
Se donner la possibilité de procéder à une telle
conversion accroît donc les chances de sauvegarde
de l’entreprise.
Malheureusement, le recours à la fiducie-gestion,
par son coût et sa mise en œuvre, ne se justifiera au
mieux que pour des entreprises de taille importante
et pour lesquelles un redressement est envisageable.
La fiducie-gestion pourrait très bien concerner des
entreprises ayant connu des difficultés passagères,
dont les causes sont parfaitement identifiées et
pour lesquelles une solution peut être mise en
place.
La possibilité offerte au constituant de prendre part,
par l’intermédiaire du fiduciaire, au redressement
de l’entreprise constitue un atout indéniable de la
loi nouvelle. Un texte récent rappelle également
en quoi les règles de comptabilisation de la fiducie
sont également attrayantes.
2. Fiducie-gestion : mécanisme de délégation
de la gestion de l’entreprise
Contrairement
aux
investisseurs
qui
font
délibérément le choix de prendre part à la gestion
de la société dans laquelle ils investissent, il est
profondément ancré dans les réflexes du banquier
dispensateur de crédit et soumis à la législation
française que ce dernier n’a pas à s’immiscer dans
les affaires des entreprises qu’il finance. Il doit se
borner à apporter son soutien financier sans diriger
ni influencer les affaires de son client. Le banquier
est ainsi soumis à un devoir de non immixtion
(10). Toutefois, l’établissement de crédit peut
N°55 Juin 2008
chercher à restreindre ses risques en influençant
le comportement de son client, en l’incitant à gérer
ses affaires en bon père de famille et ainsi limiter la
dépréciation des actifs constituant l’assiette de ses
sûretés.
En matière de procédures collectives, le banquier
peut engager sa responsabilité sur le fondement de
l’article L. 651-2 du Code de commerce qui dispose
que « le tribunal peut décider, en cas de faute de
gestion ayant contribué à faire apparaitre une
insuffisance d’actif, que les dettes de la personne
morale pourront être supportées, en tout ou partie,
par les dirigeants de fait ayant contribué à la faute
de gestion ». Ainsi, la responsabilité du banquier
pourra être recherchée lorsqu’il aura agi en qualité
de dirigeant de fait. Aujourd’hui encore, beaucoup
de frilosités de ces intervenants de marché sont
motivées par ce type de responsabilité alors que,
par ailleurs, le législateur a amorcé une tendance
visant à les inciter à contribuer plus activement au
retournement d’entreprises en difficulté (article L.
650-1 du Code de commerce, privilège de « newmoney »).
La responsabilité du banquier dispensateur de
crédit pourra être mise en cause sur le fondement
de l’article L. 650-1, alinéa 2 du Code de commerce
dès lors qu’il est prouvé que ce dernier s’est immiscé
de façon caractérisée dans la gestion de la société
en difficulté. Selon les travaux parlementaires, cette
exception « renvoie à l’hypothèse particulièrement
rare, dans laquelle le créancier acquiert la qualité
de dirigeant de fait en participant activement à la
gestion du débiteur et en prenant seul les décisions
importantes en ses lieu et place » (11). Une telle
immixtion sera alors reconnue lorsque le banquier
se sera comporté en dirigeant de fait.
février 2008 lors de sa visite du
site MetalEurope.
6) F-X. Lucas et M. Senechal,
« Fiducie vs Sauvegarde. Fiducie
ou sauvegarde, il faut choisir »,
D. 2008, n°1, p.29.
7) Projet d’ordonnance portant
diverses dispositions en faveur
des entreprises en difficulté
; G. Teboul, « La nouvelle
réforme du droit des entreprises
en difficulté : le projet
d’ordonnance » ; Gazette du
Palais, dimanche 6 au mardi 8
avril 2008, p.2.
8) Loi n°2005-845 du 26
juillet 2005 de sauvegarde des
entreprises.
9) A. Cerles, « Le point de vue
du banquier sur la fiducie »,
RD bancaire et financier,1990,
p.117 ; du même auteur,
« Utilisations bancaires de
la fiducie », RD bancaire
et financier,1990, p.111 ;
A. Pezard, « Les diverses
applications de la fiducie dans la
vie des affaires » RD bancaire et
financier,1990, p.108.
10) Voir sur ce point, l’excellent
article de R. Dammann et
J. Paszkudzki sous Cass.
Com., 27 juin 2006, D. 2006,
Jurisprudence 2354.
11) J-J Hyest, rapport p.442.
12) Cass. Com., 3 juillet 2007,
n°06-10.803.
La notion de gestion de fait n’est pas définie 13) Cass. Com., 27 juin 2006, D.
par la loi. La jurisprudence considère qu’« est 2006, Jurisprudence 2354, note
dirigeant de fait celui qui, en toute souveraineté R. Dammann et J. Paszkudzki.
et indépendance, exerce une activité positive de
gestion et de direction » (12). La jurisprudence est
venue récemment élargir la notion de dirigeant
de fait en accueillant favorablement la notion de
« dirigeant de fait par personne interposée » (13).
La Cour de cassation a considéré, dans l’affaire
de la Banque Worms, qu’une banque, « par
l’intermédiaire d’une personne physique qu’elle
a choisi et qui agi sous son emprise (désignation
de deux administrateurs et de deux représentants
au comité stratégique de la société)», avait
commis une faute de gestion. La Cour relève que
l’administrateur a siégé « à titre personnel » au
conseil mais « sans avoir la possibilité de s’écarter
des directives de la banque ».
Même si les cas de reconnaissance de la
responsabilité du banquier pour immixtion dans
la gestion de la société sont rares en pratique,
ce fondement reste très présent à l’esprit de nos
banquiers de sorte qu’ils s’interdissent de prendre
part, même de façon indirecte, à la gestion de la
société qu’ils financent en apportant son soutien
financier, contribuant ainsi au développement de
l’entreprise et à la création d’emplois. L’idée qu’il
67
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
É t u d e
14) M. Barbet-Massin et S.
Ledoux, « La fiducie : un trust à
la française », Option Finance,
n°945, 3 sept. 2007, p.29 ; J.
Mondino, « La fiducie : aspect
comptables », JCP, E, sept.
2007, 2057; X. Delpech, « Enfin
un cadre comptable pour la
fiducie », Actualités Dalloz, 22
février 2008.
15) Depuis cette date, le nouveau
ratio de solvabilité s’applique à
toutes les banques françaises et
européennes, y compris celles
qui ont opté pour l’approche des
notations internes.
16) On distingue (i) l’approche
standard qui consiste à appliquer
aux expositions une pondération
fonction de la qualité intrinsèque
de la contrepartie sur la base
d’une notation fournie par
des « organismes externes
d’évaluation du crédit » et (2)
l’approche des notations internes
qui permet à l’établissement de
crédit d’attribuer une notation
en fonction (a) de la totalité des
paramètres entrant en ligne de
compte pour les exigences de
fonds propres (c’est l’approche
dite « avancée »), ou (b) en
considération seulement d’une
partie d’entre eux (« approche
fondation »).
puisse également avoir un droit de regard sur
l’utilisation des fonds qu’ils octroient n’est donc
pas totalement saugrenue. A fortiori, le banquier
ne se reconnait ni une culture ni une compétence
d’investisseurs contrairement à nombreux de nos
voisins (Italie, Angleterre, voire plus généralement
les pays de common law).
L’instauration de la fiducie par la loi du 19 février
2007, et la possibilité pour le banquier de confier
la gestion des actifs qu’il détient, constitue en ce
sens une nouveauté. Dans le cadre d’une fiduciegestion, le constituant transfère l’ensemble des
pouvoirs de gestion qu’il détient sur les biens
ou droits transférés : acte d’administration ou
de disposition. Il fixe l’étendue des pouvoirs du
fiduciaire et peut aussi limiter les pouvoirs de ce
dernier à tout ou partie des actes d’administration.
Dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés, le
fiduciaire agit de manière exclusive et autonome.
Le constituant perd la possibilité d’accomplir lui
même les actes juridiques que le fiduciaire est
chargé de réaliser pour le compte de la fiducie.
Le patrimoine fiduciaire est un patrimoine
d’affectation sur lequel le fiduciaire exerce de
façon indépendante les pouvoirs qui lui ont été
transférés. Il poursuit un objectif précis et à des
fins déterminées. La nature de la fiducie et les
conséquences du transfert fiduciaire sur les droits
du constituant constituent un atout pour la mise en
place d’une fiducie-gestion. Le fiduciaire n’est ni le
mandataire du constituant ni son employé. Certes,
un soin tout particulier devra être apporté à la
rédaction du contrat de façon à limiter les risques
de responsabilité. Mais dès lors que le fiduciaire
pourra agir de façon autonome, en sa qualité de
fiduciaire, on peut espérer que la responsabilité
du constituant ne soit pas retenue sur la base de la
gestion de fait.
17) Les fonds propres servent en
particulier à déterminer le ratio
de solvabilité dont les modalités
de calcul sont prévues dans
l’arrêté du 20 février 2007 relatif
aux exigences de fonds propres
applicables aux établissements
de crédit et aux entreprises
L’intermédiation d’un fiduciaire dans la gestion
d’investissement.
des actifs détenus par un établissement de crédit
18) Règlement CRBF n°90-02 du agissant en qualité de constituant pourrait
23 février 1990 relatif aux fonds permettre à ce dernier de prendre part, de façon
propres.
19) Art. 2-1, Arrêté préc. V. et
comparer, Règlement CRBF
n°91-05 du 15 février 1991
relatif au ratio de solvabilité.
indirecte, à la gestion d’une société en difficulté.
La fiducie-gestion apparaît dès lors comme un
mécanisme adapté aux nouvelles ambitions des
établissements de crédit mais aussi, des différents
acteurs du monde du retournement.
20) Art. 119 f) de l’arrêté du 20
B. Le traitement comptable de la fiducie (14)
février 2007 relatif aux exigences
de fonds propres applicables aux
Les règles de comptabilisation de la fiducie
établissements de crédit et aux
constituent une option nouvelle et attrayante (1),
entreprises d’investissement.
couvrir leurs actifs risqués. Le calcul de l’exposition
de la banque au risque de crédit (c’est-à-dire au
risque de contrepartie, de défaillance du client) est
principalement fonction de trois paramètres : la
probabilité de défaut, les pertes en cas de défaut et
la date d’échéance.
L’arrêté du 20 février 2007 (19) relatif aux exigences
de fonds propres prévoit expressément que le
débiteur qui a « demandé ou obtenu le bénéfice
d’un régime de protection contre les poursuites »,
doit être considéré comme défaillant (20). Dans
cette hypothèse, la probabilité de défaut est, pour
les besoins du ratio, estimée à 100% (21), ce qui
augmentera de facto le niveau de fonds propres
nécessaires pour la banque au titre de l’opération
concernée. Ainsi, le coût en fonds propres d’un prêt
à une entreprise en difficulté sera particulièrement
lourd pour les banques. Certains anticipent déjà
que dans pareils cas les banques préfèreront, pour
maintenir leur rentabilité, mettre un terme aux
lignes de crédit consenties et se défaire rapidement
de leurs créances plutôt que de négocier, par
exemple, un réaménagement de la dette.
Cependant,
plusieurs
arguments
semblent
contredire cette analyse alarmiste. D’une part, les
banques n’ont pas attendu la mise en œuvre du
dispositif Bâle II pour prendre en considération
les risques qu’elles pouvaient encourir lorsqu’elles
finançaient des entreprises en difficulté et
nombre d’entres elles provisionnent déjà leur
perte. Certaines (22) faisaient alors parfois le
choix de céder leurs créances à d’autres banques
ou à certains types d’établissements attirés par
ces produits. D’autre part, il n’est pas exclu que
les banques arbitreront en fonction de divers
paramètres, qui ne seront pas uniquement les
coûts immédiats en fonds propres, mais aussi,
la rémunération qu’elles peuvent obtenir à plus
ou moins long terme du client, et sa capacité de
redressement. Enfin, des modes de financement
(en capital) et des acteurs différents (les fonds
d’investissements (23)) pourraient prendre le relais
des banques commerciales.
Dans ce contexte, la fiducie et ses règles attrayantes
de comptabilisation peuvent constituer un outil
attractif pour les établissements de crédit désireux
de maintenir leur soutien financier à des entreprises
rencontrant des difficultés.
2.
Des
règles
attrayantes
de
comptabilisation
en particulier pour les établissements de crédit
21) Art. 82-1 de l’arrêté du 20
désireux de faire face aux impacts du dispositif Bâle
février 2007 relatif aux exigences II sur le financement des entreprises en difficulté
de fonds propres applicables aux
(2).
établissements de crédit et aux
entreprises d’investissement.
1. L’impact négatif du dispositif Bâle II sur
22) Dossier, Les restructurations le financement des entreprises en difficulté
d’entreprise : les nouvelles règles
du jeu, Les Echos, 31 mars 2008. Depuis le 1er janvier 2008 (15), les banques
23) Pas soumis à Bâle II mais
à d’autres réglementations, par
exemple les FCPR.
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
françaises et européennes ayant retenu l’approche
des notations internes (16) doivent appliquer le
nouveau ratio de solvabilité (17) se dotant d’un
montant minimum de fonds propres (18) pour
68
Le traitement comptable de la fiducie constitue
sans aucun doute l’un des attraits majeur du
recours à une fiducie-gestion pour un établissement
de crédit désireux de participer au redressement de
son client. À cet effet, l’avis n°2008-03 relatif au
traitement comptable des opérations de fiducie,
en date du 7 février 2008 du CNC, nous éclaire en
précisant la comptabilisation des opérations de
fiducie dans les comptes individuels des parties au
contrat de fiducie.
L’article 12 de la loi n° 2007-211 du 19 février 2007
N°55 Juin 2008
É t u d e
sur la fiducie prévoit que les opérations affectant le
patrimoine fiduciaire font l’objet d’une comptabilité
autonome chez le fiduciaire. En raison du transfert
de la propriété juridique organisé par la loi sur la
fiducie, les actifs et les passifs faisant l’objet du
contrat de fiducie sont transférés du patrimoine du
constituant vers celui du fiduciaire, qui constitue
un patrimoine d’affectation séparé du patrimoine
propre du fiduciaire, au sein duquel ils feront
l’objet d’une comptabilisation propre. Le fiduciaire
établit des comptes annuels au titre de la fiducie,
comportant un bilan, un compte de résultat et une
annexe, dans les conditions prévues aux articles L.
123-12 à L. 123-15 du Code de commerce et qui sont
donc séparés et distincts de ses comptes et bilans
propres.
Le patrimoine d’affectation pourra comprendre des
éléments d’actif et de passif se traduisant par le
transfert d’un actif net positif ou d’un passif net. En
revanche, le transfert de passifs isolés est exclu, ce
qui ne permet pas l’utilisation du mécanisme de la
fiducie pour réaliser des opérations de defeasance
(24).
L’avis envisage les incidences de la fiducie en
matière de compte consolidé (25). Le CNC n’est pas
hostile, à ce que la fiducie soit utilisée à des fins de
déconsolidation de bilan du constituant (la fiducie
serait abritée par une entité spécifique « special
purpose vehicle ») (26). Dans ce domaine, les
gardes fous de l’abus de droit et de la fraude à la loi
restent des limites naturelles incontournables.
Selon l’avis, « les éléments du patrimoine
d’affectation de la fiducie doivent être rattachés
au périmètre de consolidation de l’entité qui
exerce le contrôle sur la fiducie », qui peut être
soit le constituant, soit le fiduciaire, selon ce
que prévoit le contrat de fiducie, les stipulations
contractuelles devant être décrites dans l’annexe
de l’entité constituante, de celle du fiduciaire, voire
du bénéficiaire, si c’est une personne distincte du
constituant. Enfin, l’avis précise l’information
à donner en annexe chez (i) le constituant, (ii) le
fiduciaire, et (iii) chez le bénéficiaire quand il n’est
pas le constituant.
Les conditions de comptabilisation de la fiducie
constituent un argument supplémentaire en faveur
de l’utilisation de ce mécanisme dans le cadre des
restructurations dans la mesure où le contrôle
des actifs objets de la restructuration est confié
au fiduciaire. Le texte envisage la possibilité de
transférer un ensemble de droits ou de biens,
alors même qu’il y aurait un passif. Un groupe
organisé de constituants pourrait donc envisager
de transférer un ensemble de droits et obligations,
comptabilisés ou non, à un ou plusieurs fiduciaires.
Le succès d’une telle opération dépendrait en
grande partie des parties aux contrats. Or le contrat
de fiducie n’est pas complètement fermé aux acteurs
du retournement quoiqu’il serait souhaitable de
l’ouvrir davantage.
N°55 Juin 2008
II. Un contrat ouvert aux acteurs
du retournement ?
24) X. Delpech, « Enfin un cadre
comptable pour la fiducie »,
Actualités Dalloz, 22 février
2008.
L’utilisation de la fiducie-gestion peut s’ouvrir aux
acteurs traditionnels du retournement agissant à 25) Les règles de consolidation
titre principal (A) ou, à titre subsidiaire, en qualité résultent des règlements du
Comité de la Réglementation
de tiers (B).
A. Les acteurs du retournement parties
principales du contrat de fiducie ?
Les acteurs traditionnels du monde du
retournement peuvent exercer des fonctions
différentes et agir en qualité de constituant (1), de
fiduciaire (2) et, enfin, de bénéficiaire (3).
1. Le constituant
Le législateur a fait le choix de restreindre la
qualité de constituant aux personnes morales
soumises de plein droit (27) ou sur option (28) à
l’impôt sur les sociétés (article 2014 du Code civil).
Ce choix contesté (29) et, en grande partie motivé
par des considérations fiscales, permet néanmoins
à toutes les sociétés commerciales d’envisager,
selon leur besoin, la constitution d’une fiducie (30).
Dans le cadre d’une restructuration, tout créancier
remplissant les conditions énoncées ci-dessus, et
quel que soit son activité (établissement de crédit
ou fournisseur important), peut décider de recourir
à ce mécanisme. Ce n’est donc pas la qualité de
constituant prévue par l’article 2014 du Code civil
qui ferait obstacle à l’utilisation de la fiduciegestion à des fins de restructuration.
L’article 2014 du Code civil admet une pluralité de
constituants. Il est donc tout à fait envisageable
que différents propriétaires de biens ou droits se
regroupent sous la forme de « pool » (31) et les
apportent dans le but de constituer une seule et unique
fiducie-gestion. Dans cette hypothèse, ils seront
tous constituants et, sauf disposition contraire, tous
bénéficiaires. On pourrait envisager qu’un syndicat
de banques convertisse la dette en capital et transfère
ainsi cet actif à un fiduciaire unique en charge de le
gérer. Les relations entre les différents apporteurs
seraient alors organisées et réglées dans le cadre du
contrat de fiducie. Pour les établissements de crédit,
désireux d’adopter des schémas de retournement
centrés autour de l’idée de conversion de la dette qu’ils
détiennent sur une société en capital de cette dernière,
la possibilité d’être à l’initiative d’une fiducie-gestion
et de s’associer à d’autres établissements de crédit
pourra être envisagée.
De la même façon, des entreprises industrielles,
fournisseurs importants de l’entreprise en
difficulté, pourront chercher à valoriser leurs
créances en les transmettant à un tiers, le fiduciaire,
afin qu’il prenne en charge leur gestion. Ce type de
créancier pourra également chercher à se regrouper
avec d’autres personnes morales disposant d’un
intérêt commun. La constitution d’une fiducie est
également ouverte aux fonds d’investissement qui
pourront trouver un terrain nouveau d’innovation
et de valorisation de leurs actifs, y compris en
adoptant une politique de gestion commune.
69
Comptable n°99-02 relatif aux
comptes consolidés des sociétés
commerciales et entreprises
publiques, n°99-07 relatif aux
règles de consolidation des
entreprises relevant du Comité
de la réglementation bancaire et
financière, et n°2000-05 relatif
aux règles de consolidation et
de combinaison des entreprises
régies par le code des assurances
et des institutions de prévoyance
régies par le code de la sécurité
sociale ou par le code rural.
26) X. Delpech, « Enfin un cadre
comptable pour la fiducie »,
Actualités Dalloz, 22 février
2008.
27) Aux termes de l’article 206
du Code général des impôts les
personnes soumises de plein droit
à l’impôt sur les sociétés sont :
les sociétés anonymes et les
sociétés par actions simplifiées,
les sociétés en commandite par
actions et en commandite simple,
les sociétés à responsabilité
limitée, les sociétés civiles
immobilières assimilées à des
sociétés de capitaux, mais
également les établissements
publics, les organismes de
département et de commun ou
toutes autres personnes ayant une
activité lucrative.
28) Aux termes de l’article 8
du Code général des impôts, les
sociétés en nom collectif, les
sociétés en participation ou les
entreprises unipersonnelles à
responsabilité limitée.
29) G. Blanluet et J.-P. Le
Gall, « La fiducie, une œuvre
inachevée», Revue de droit des
sociétés, juillet 2007, p.9 B.
Holh, « Exclusion critiquable
des personnes physiques comme
constituants de fiducie » ; JCP,
E, n°36, 6 sept. 2007, p. 2052.
30) G. Benoit, « La fiducie,
un outil souple pour les
entreprises », Option finance,
n°921, 26 février 2007 ; La
fiducie, nouvel outil juridique
à saisir pour les entreprises, La
Tribune, 13 sept. 2007.
31) F. Barriere, « La fiducie,
commentaire de la loi n°2007211 du 19 février 2007 », Bull.
Joly Sociétés, 2007.
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
É t u d e
32) A. Delfosse et J-F. Péniguel, Les
acteurs traditionnels du monde du
« Premières vues sur la fiducie », retournement disposent de véritables atouts. Ils
Defresnois, n°08/07, p.581.
33) Autorité des marchés
financiers, Commission bancaire
et Autorité de contrôle des
assurances et des mutuelles.
34) V. Bourgatchev et A.
Gaudin, « La fiducie à l’épreuve
de la lutte contre le blanchiment
de capitaux » ; D.G. Hotte et V.
Heem, « La fiducie à l’épreuve
de la lutte contre le blanchiment
de capitaux », Journal des
Sociétés octobre 2007 (n°47),
p. 38.
pourront parfaitement, en qualité de constituant,
être à l’initiative de l’instauration d’une fiduciegestion et, à terme, être à l’origine du succès
des restructurations nécessitées par certaines
entreprises en leur faisant également bénéficier de
leur savoir faire et de celui des fiduciaires. La loi
offre aux établissements de crédit une formidable
opportunité de développer une situation de
monopole en étant quasiment les seuls à pouvoir
être désignés en qualité de constituant, et/ou de
fiduciaire et/ou de bénéficiaire à la fois.
2. Le fiduciaire
La qualité de fiduciaire fait l’objet d’une
réglementation contraignante que l’on peut d’ores et
déjà regretter. L’article 2015 du Code civil prévoit,
en effet, que ne peuvent avoir la qualité de fiduciaire
que les établissements de crédit mentionnés à
36) Proposition de loi, 8 février
l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier, les
2005 : Doc. Sénat n°178, 2004institutions et services énumérés à l’article L. 5182005.
1 du même code, les entreprises d’investissement
qui figurent à son article L. 531-4 et les entreprises
37) Par exemple, Alix Partners,
d’assurance régies par l’article L. 310-1 du Code
Alvarez Marshall, Close
des assurances. Les personnes mentionnées à
Brothers, Kroll Talbot Hughes,
Zalis SA et leurs homologues qui l’article 2015 du Code civil font l’objet d’un double
mettent en place des équipes de
contrôle (32) : la nécessité d’un agrément ou d’une
managers de transition.
déclaration lors de leur constitution et un contrôle
de leur activité par des autorités administratives
38) P. Crocq, « Le cœur du
indépendantes (33). En outre, ces mêmes
dispositif fiduciaire », Revue
personnes morales sont soumises au respect de
Lamy Droit Civil, n°40, juilletnombreuses obligations règlementaires en matière
août 2007, p.61 ; F. Barriere,
« La loi instituant la fiducie :
de lutte contre le blanchiment de capitaux (articles
entre équilibre et incohérence », L. 562-2 et L. 563-1 du Code monétaire et financier
JCP, E, n°36, 6 sept. 2007, p.
(34)). Cette disposition révèle une fois de plus les
2053.
appréhensions exprimées par le législateur lors
39) F. Gros, « Introduction de la de l’introduction dans notre droit du mécanisme
fiduciaire. L’objectif poursuivi étant de soumettre
fiducie, une réelle opportunité
l’activité du fiduciaire au contrôle des autorités
pour le banquier », Revue
Banque, n°692, juin 2007, p.57. administratives.
35) Voir l’arrêt du 10 avril 2008
rendu par le Conseil d’Etat,
Gazette du palais, 11 et 12 avril
2008, p.1-10.
40) C. Jammin, « L’avocat, le
fiduciaire et le tiers », Recueil
Dalloz, 2007, n°22, p. 1492.
La possibilité de désigner les avocats, notaires
et autres professions juridiques règlementées en
qualité de fiduciaire n’a finalement pas été retenue
par la Chancellerie. On aurait pu souhaiter que
ces professionnels, répondant dans une certaine
mesure à des exigences règlementaires proches
(contrôle d’un ordre professionnel, respect de
règles déontologiques mais également mécanismes
de lutte contre le blanchiment de capitaux (35)),
soient également autorisés à exercer la fonction
de fiduciaire. Les réticences étaient en effet
nombreuses à l’introduction dans notre droit
d’une conception libérale de la fiducie, telle que
l’envisageait la proposition initiale (36) du Sénateur
Marini. Pourtant, en matière de retournement, on
pourrait envisager l’ouverture de cette catégorie
aux mandataires et administrateurs judiciaires,
ainsi qu’aux sociétés de services spécialisées dans
la mise en place des restructurations (37).
La mission des sociétés de services spécialisées
dans la mise en place des restructurations consiste
le plus souvent à identifier les difficultés de
l’entreprise (par exemple, difficultés structurelles
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
70
ou financières, crise des organes de direction) et à
tenter, par leur action, d’y apporter des solutions
concrètes. Il est ainsi fréquent que ces sociétés
procèdent à une modification du management de
l’entreprise défaillante ou ajoutent des nouveaux
mandataires sociaux, organes de direction et autres
organes clefs de l’entreprise, tels que les directeurs
administratifs et financiers, contrôleurs de gestion,
et ce à échéance plus ou moins temporaire. Comme
évoqué ci-dessus, il est exclu actuellement que les
conseils en retournement puissent être désignés
en qualité de fiduciaire. De telles structures n’ont
certainement pas vocation à être soumises aux
contraintes pesant sur les personnes morales,
Institutions ou Services énumérés à l’article
2015 du Code civil. Il en va de même pour les
administrateurs ou mandataires judiciaires qui,
pourtant dans des fonctions déjà connues telles
l’administration provisoire ou l’assistance au
règlement préventif des difficultés, jouent souvent
un rôle clef dans le succès des restructurations. Ces
acteurs incontournables de la restructuration ne
sont toutefois pas écartés du dispositif fiduciaire
puisqu’ils pourront, sans doute, être désignés en
qualité de tiers protecteur par le constituant. En
outre et même si cette question fait actuellement
débat (38), ils pourraient être désignés par le
fiduciaire afin de l’assister dans l’exécution de
sa mission, si tant est que le contrat de fiducie
envisage cette possibilité. Ce point mériterait
toutefois d’être clarifié dans les réformes à venir de
la fiducie.
Les restrictions apportées par le législateur quant
à la qualité de fiduciaire offrent l’opportunité aux
établissements de crédit de développer cette activité
et d’en faire ainsi un nouveau vecteur de croissance
(39). Pour le moment, et jusqu’à une possible
ouverture de l’accès à la fonction de fiduciaire,
ce sera principalement aux établissements de
crédit que reviendra le soin de mettre en place les
premières fiducies-gestion. Ces derniers devront
toutefois informer leurs équipes sur les exigences
et les responsabilités qu’impose la fonction de
fiduciaire, en particulier s’ils y ont recours dans
une optique de gestion des investissements sous
forme de capitaux.
Les qualités de constituant et de fiduciaire sont
soumises à un cadre contraignant, destiné à assurer
une transparence de l’activité fiduciaire mais aussi
à garantir la sécurité du transfert fiduciaire. La
mise en place d’un tel cadre réglementaire était le
préalable indispensable à l’instauration de la fiducie
dans notre droit (40). En revanche, la désignation
en tant que bénéficiaire d’un contrat de fiducie ne
souffre pas des mêmes restrictions.
3. Le bénéficiaire
L’identité du ou des bénéficiaires du contrat de
fiducie ne fait pas l’objet des mêmes limitations.
L’article 2016 du Code civil se contente de préciser
que le constituant ou le fiduciaire peut être le
bénéficiaire ou l’un des bénéficiaires du contrat de
fiducie. Toutes les personnes physiques ou morales
peuvent donc être désignées bénéficiaires du
N°55 Juin 2008
É t u d e
contrat de fiducie. Bien entendu, le constituant qui
a remis son bien au fiduciaire afin que ce dernier
le gère figure au premier rang des personnes
susceptibles de bénéficier à terme du contrat de
fiducie (article 2030 du Code civil).
La concision de l’article 2016 du Code civil soulève
de nombreuses interrogations quant à la possibilité
de désigner le fiduciaire en qualité de bénéficiaire
de la fiducie (41) alors que celle de désigner le
constituant bénéficiaire semble ne poser aucune
difficulté. Le texte de l’article 2016 ne l’interdit pas
et il ne serait pas totalement illogique de permettre
au fiduciaire de tirer profit de son action. Le
constituant ne pourrait en aucun cas transférer
gratuitement au fiduciaire la pleine propriété des
actifs dont ce dernier ne disposait jusqu’à présent
qu’à titre temporaire et on pourrait imaginer qu’une
partie de la rémunération du fiduciaire pour les
services ainsi rendus réside en l’attribution tout du
moins partielle du bénéfice de la fiducie. En effet,
l’article 2013 du Code civil interdisant les fiducieslibéralités, ce transfert au profit du fiduciaire ne
serait valable que si une contrepartie existait.
L’attribution, ne serait-ce que partiel, des fruits de
la gestion du patrimoine fiduciaire au fiduciaire luimême pourrait alors être un gage d’intéressement
et de fidélisation du fiduciaire dans sa mission (42).
Cette dernière pourra prendre différentes formes
telles qu’une somme d’argent ou une prestation de
service, dès lors que celle-ci n’est pas déséquilibrée
par rapport à l’enrichissement du bénéficiaire (43).
Le constituant pourra également désigner, dès
l’origine, un ou des bénéficiaires différents. Les
parties conviendront des droits conférés à ce tiers
bénéficiaire à l’issue du contrat. En cas de pluralité
de bénéficiaires, et notamment dans le cadre d’une
fiducie-gestion, les parties auront tout intérêt à
prévoir les conditions de répartition des actifs. Le
transfert des actifs gérés par le fiduciaire au profit
du bénéficiaire devra obligatoirement être effectué
à titre onéreux (articles 2013 et 2014 du Code civil).
Les conditions de ce transfert seront déterminées
par les parties, compte tenu de la valeur du
patrimoine fiduciaire au jour du transfert. Le
constituant espère réaliser une plus-value en raison
de la gestion du fiduciaire. Le bénéficiaire pourra
être une société industrielle du même secteur
que l’entreprise défaillante ou un investisseur
désireux de réaliser à terme une plus-value. On
peut envisager que des chefs d’entreprises ou des
mandataires sociaux, soient désignés parmi les
bénéficiaires de la fiducie.
B. L’action des acteurs du retournement en
qualité de tiers
Sauf stipulation contraire, aux termes de l’article
2017 du Code civil, le constituant peut désigner
un tiers chargé d’assurer la défense de ses intérêts
(1). La loi est en revanche silencieuse sur le
droit éventuel accordé au fiduciaire de recourir
à un ou plusieurs tiers afin de l’assister dans
l’accomplissement de sa mission (2).
1. Le tiers protecteur
Le fiduciaire exécute sa mission dans la limite des
pouvoirs qui lui ont été conférés par le contrat.
Pour protéger le constituant, l’article 2017 du Code
civil lui reconnait la possibilité de désigner un
tiers chargé d’assurer la défense de ses intérêts.
Le texte ne prévoit aucune restriction quant à la
qualité des personnes susceptibles d’être désignées
comme tiers par le constituant. Ce dernier dispose
donc d’une totale liberté. Les avocats ou les
notaires peuvent voir là une véritable opportunité
de prendre part au développement de la fiducie
(44). La dernière décision rendue par le Conseil
d’Etat le 10 avril 2008 (45) semble compromettre
l’éventualité de voir les avocats accéder à la fonction
de fiduciaire. Dans la pratique, l’aide et l’assistance
d’un avocat, d’un notaire ou d’un professionnel
du droit, non seulement lors de l’établissement du
contrat de fiducie mais aussi au cours de sa vie,
semble indispensable, tant le texte laisse de liberté
aux parties dans la rédaction du contrat.
En effet, le texte reconnait au constituant le droit
de recourir ou non à un tiers. Les parties devront
donc déterminer son identité, le moment de sa
désignation ainsi que les pouvoirs qui lui sont
reconnus. Le fiduciaire pourra décider de s’opposer
à la désignation d’un tiers et le contrat stipuler une
interdiction de recourir à un tiers. Les rédacteurs
devront apporter un soin tout particulier à ces
questions dans la rédaction du contrat. Par ailleurs,
les conditions de sa rémunération et la durée de sa
mission ne sont pas précisées. Les parties pourront
opter pour sa désignation dans le contrat de fiducie
ou indiquer les conditions de sa nomination
ultérieure. Une liste de personnes susceptibles
d’être désignées en tant que tiers pourrait
alors figurer dans le contrat. Pour le fiduciaire,
l’interposition d’un tiers entre lui et le constituant
n’est pas nécessairement une donnée négative. Le
tiers, qui aura été choisi pour ses compétences,
sera son interlocuteur privilégié. Il transmettra de
façon régulière des comptes rendus d’activités, des
états de valorisation et, d’une façon générale, tous
les éléments permettant au constituant d’apprécier
l’exécution par le fiduciaire de sa mission.
41) C. Kuhn, « Une fiducie
française », Droit & Patrimoine,
n°158, avril 2007 ; A. Delfosse
et J-F. Péniguel, « Premières
vues sur la fiducie », Defresnois,
n°08/07, p.581 ; F. Barriere, « La
fiducie, commentaire de la loi
n°2007-211 du 19 février 2007 »,
Bull. Joly Sociétés, 2007.
42) Une telle solution serait
en quelque sorte comparable
au plan d’intéressement du
management et des salariés au
sein des entreprises. On pourrait
également prévoir que la qualité
de bénéficiaire variera selon les
résultats obtenus. Ces
questions restent entières mais
intéressantes pour ceux qui sont
confrontés à une valorisation
de leurs services par voie
d’intéressement au capital.
43) A. Delfosse et J-F. Péniguel,
« Premières vues sur la fiducie »,
Defresnois, n°08/07, p.581.
44) C. Jammin, « L’avocat, le
fiduciaire et le tiers », Recueil
Dalloz, 2007, n°22, p.1492 ; P.
Dupichot, « Opération de fiducie
sur le sol français », JCP, 2007, I,
n°121 ; C. Kuhn, « Une nouvelle
fiducie française », Droit et
Patrimoine, n°158, avril 2007,
p.39.
45) Voir l’arrêt du 10 avril 2008
rendu par le Conseil d’Etat,
Gazette du palais, 11 et 12 avril
2008, p.1-10.
Le texte prévoit surtout que le tiers dispose
des pouvoirs attribués au constituant. Une
telle généralité serait problématique si le texte
n’envisageait pas la possibilité de restreindre ces
pouvoirs. Les parties attacheront donc un soin
tout particulier à définir les pouvoirs conférés
au tiers protecteur par le contrat de fiducie. Le
fiduciaire doit en effet disposer d’une vision claire
de la répartition effective des pouvoirs entre le
constituant et le tiers protecteur. Nous pensons
qu’il y aurait ici, avec un élargissement du texte, un
véritable rôle à jouer pour les administrateurs ou
mandataires judiciaires qui, tels des commissaires à
l’exécution du plan d’une nouvelle sorte, pourraient
être les garants de la mise en place de plans de
restructuration d’entreprise.
Le tiers protecteur a pour mission principale de
protéger les intérêts du constituant, de veiller
N°55 Juin 2008
71
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
É t u d e
46) P. Crocq, « Le cœur du
dispositif fiduciaire », Revue
Lamy Droit Civil, n°40, juilletaoût 2007, p.61.
à la bonne exécution du contrat de fiducie par
le fiduciaire et au respect de ses obligations
contractuelles. Autrement dit, le tiers protecteur
devra contrôler que le fiduciaire remplit ses
devoirs et ne met pas en péril, par sa gestion,
47) P. Crocq, préc..
le patrimoine fiduciaire (article 2027 du Code
48) F. Barriere, « La fiducie,
civil). Le tiers protecteur doit donc disposer d’une
commentaire de la loi n°2007parfaite connaissance des termes du contrat de
211 du 19 février 2007 », Bull.
fiducie et des objectifs fixés par le constituant.
Joly Sociétés, 2007, p.561, §144.
Dans le cadre de l’exécution du contrat de fiducie,
le texte prévoit que le fiduciaire rende compte de
sa mission au constituant mais également au tiers
désigné par le constituant (article 2022 du Code
civil). Le fiduciaire devra communiquer, dans les
conditions prévues par le contrat, les informations
indispensables à l’accomplissement par le tiers de
sa mission.
Le tiers protecteur participe au succès de la
fiducie-gestion en garantissant au constituant un
contrôle autonome de l’action du fiduciaire. Un
tel contrôle s’ajoute et complète celui exercé par
les administrations intéressées. Ne serait-il pas
dans l’intérêt du bénéficiaire, qui sera souvent le
constituant lui-même, de permettre au fiduciaire de
recourir à l’aide d’un tiers dans l’accomplissement
du contrat ?
2. Le tiers choisi par le fiduciaire
Aux termes du contrat de fiducie, le constituant
confie au fiduciaire pour une durée déterminée le
soin d’exercer tous les droits rattachés aux biens
transférés. Dans le cadre d’une fiducie-gestion,
le fiduciaire se voit attribuer contractuellement
une mission précise : assurer temporairement
la gestion du patrimoine fiduciaire au profit du
ou des bénéficiaires. Les limites apportées par
le législateur à l’accès à la fonction de fiduciaire
soulèvent de nombreuses interrogations quant
à la faculté pour ce dernier de déléguer à un tiers
l’accomplissement de tout ou partie de sa mission.
Si la loi envisage expressément la possibilité pour
le constituant de nommer un tiers protecteur, elle
est totalement silencieuse sur l’éventualité pour le
fiduciaire de déléguer la gestion du bien. Pourtant,
le fiduciaire pourrait légitimement éprouver le
besoin de confier à un tiers spécialisé la gestion
d’un actif déterminé présentant une nature
spécifique ou recourir à l’aide et à l’assistance d’un
tiers dans l’accomplissement de sa mission (46).
La possibilité pour le fiduciaire de déléguer à un
tiers une partie de ses pouvoirs était envisagée dans
la proposition du Sénateur Marini. Elle n’a toutefois
pas été retenue dans le texte finalement adopté. Une
telle solution manifeste une fois de plus la frilosité
du législateur. Elle semble néanmoins pour partie
justifiée par le risque légitime de détournement
des règles de désignation du fiduciaire posées
par l’article 2015 du Code civil. Cette question
est pourtant particulièrement pertinente dans la
mesure où l’accès à la fonction de fiduciaire est
actuellement restreint à des personnes morales,
institutions ou services qui ne disposeront pas
nécessairement de toutes les compétences requises,
en considération de la variété de biens ou droits
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
72
qui peuvent faire l’objet d’un transfert fiduciaire.
Dans le cadre d’une restructuration, par exemple,
le fiduciaire et la fiducie plus généralement ne
tireraient-ils pas avantage de confier au titre d’un
mandat certaines missions précises à un conseil en
retournement ou un administrateur judiciaire?
Certains auteurs considèrent que le contrat de
fiducie, au regard du silence de la loi, pourrait
prévoir librement la possibilité pour le fiduciaire de
recourir à un tiers (47). Il semble néanmoins acquis
que le contrat de fiducie est un contrat intuitu
personae (48) ; le constituant choisit le fiduciaire
en fonction de considérations liées à sa personne,
sa renommée, ou encore, son professionnalisme. Le
fiduciaire ne devrait pas pouvoir confier à un tiers
l’ensemble des missions qu’il tient directement
du constituant. En revanche, rien ne semble faire
obstacle, selon nous, à l’utilisation d’un mandat
spécial afin de déléguer à un tiers la réalisation,
dans de meilleures conditions et en collaboration
avec le fiduciaire, de l’une des missions prévues
au contrat. Toutefois, une telle délégation ne
saurait exonérer le fiduciaire de sa responsabilité
vis-à-vis du constituant et du bénéficiaire même
si l’origine du dommage réside en la personne du
tiers délégué.
Afin de se prémunir contre toute remise en cause
ultérieure, il serait prudent d’obtenir l’aval du
constituant. Le contrat de fiducie devrait prévoir,
par exemple, les hypothèses dans lesquelles le
fiduciaire pourra faire appel à un tiers, mais
aussi les biens ou les droits concernés par cette
délégation. Le constituant pourra également
imposer son autorisation préalable compte-tenu
de la nature de la mission attribuée au tiers ou de
l’actif transmis. Par conséquent, l’identité du tiers
ou les conditions de sa désignation, le moment
de celle-ci, mais aussi l’étendue de ses pouvoirs,
devront être clairement traités dans le contrat de
fiducie. Des précisions seront donc attendues par
les professionnels afin de permettre au fiduciaire
de disposer de tous les moyens et compétences
nécessaires à la réalisation des objectifs fixés par
les parties.
La loi nouvelle semble avoir introduit dans notre
droit une fiducie soumise à un cadre contraignant
propre à décourager les acteurs économiques
les plus volontaires. Or, malgré les restrictions
relatives à l’identité des parties au contrat de
fiducie, ce dernier se caractérise par une réelle
liberté contractuelle et une véritable souplesse. En
ce sens, la fiducie peut être un instrument moderne
au service des restructurations.
N°55 Juin 2008
É t u d e
III. Souplesse du contrat de fiducie
La mise en œuvre de la fiducie exige le respect
par les parties d’un formalisme nécessaire (A),
contrepartie de la souplesse qui leur est offerte
quant à la détermination de la mission du fiduciaire
(B).
A. Un formalisme nécessaire
L’établissement d’une fiducie est obligatoirement
constaté par un écrit comprenant un certain
nombre de mentions obligatoires (1). Une fois
rédigé, le contrat doit ensuite faire l’objet d’un
enregistrement et d’une publication (2).
1. La nécessité
obligatoire
d’un
écrit
au
contenu
Le contrat de fiducie entre dans la catégorie des
contrats solennels pour lesquels l’existence d’un
écrit est requise à titre de validité. Néanmoins,
un simple acte sous seing privé sera suffisant,
quel que soit le support papier ou électronique.
En pratique, il est fort probable que les parties
privilégieront un contrat écrit sur support papier.
Elles pourront également opter, le cas échéant,
par la formalité d’un acte authentique, lorsqu’elles
auront notamment fait le choix de recourir à un
notaire pour la rédaction de l’acte, voire comme
tiers protecteur. Un certain nombre de mentions
obligatoires énumérées à l’article 2018 du Code
civil doivent figurer dans le contrat de fiducie, sous
peine de nullité (49).
Le contrat doit en premier lieu permettre la
détermination et la composition du patrimoine
fiduciaire au moment de la conclusion du contrat.
Le transfert fiduciaire a un champ d’application
particulièrement vaste puisqu’il peut porter sur tout
bien meuble ou immeuble, incorporel ou corporel.
Le texte précise en outre qu’un ensemble de biens,
droits ou de sûretés peut être transféré (50). La loi
du 19 février 2007 n’envisage pas expressément
la possibilité de transférer des dettes dans une
fiducie. Pour certains (51), il est possible de le
faire puisque les travaux parlementaires l’avaient
indiqué mais aussi l’avis du CNC. D’autres auteurs
(52) soutiennent, en revanche, que le transfert de
dettes n’est pas autorisé en raison du silence de
la loi. Dans le cadre des restructurations, nous
partageons l’idée selon laquelle la fiducie pourrait
être employée afin de transférer un ensemble de
biens, tel qu’une société, avec des éléments d’actif
et de passif, l’actif devant toutefois demeurer
supérieur au passif, sous réserve que celui-ci
soit le corollaire des actifs transférés. Il serait
toutefois souhaitable que la position du législateur
soit clarifiée, ou que la jurisprudence apporte un
éclairage nécessaire et utile sur cette question.
Une position large bénéficierait bien entendu au
développement des recours à la fiducie. Nous avons
néanmoins conscience qu’une position ferme et
définitive devra être arrêtée par le législateur ou la
jurisprudence, tant une telle solution permettrait le
développement de la fiducie-gestion en France.
N°55 Juin 2008
La durée du transfert fiduciaire doit être
mentionnée dans le contrat à peine de nullité, celleci ne pouvant excéder trente-trois ans (53). Certains
regrettent que la proposition initiale de fixer à
quatre-vingt-dix neuf ans la durée du contrat n’ait
pas été retenue. En matière de restructuration, une
telle durée est largement suffisante pour permettre
la mise en place d’un plan de retournement pour
l’entreprise. À l’heure où les stratégies de sorties
des fonds d’investissement spécialisés dans le
retournement imposent une durée moyenne de
trois à cinq ans, on peut comprendre que dans ce
domaine, cette dernière n’excèdera pas dix ans
dans la plupart des cas.
L’identité du constituant et du fiduciaire doit être
connue au jour de la conclusion du contrat de
fiducie. Le texte précise toutefois qu’à défaut de
désignation du bénéficiaire lors de la conclusion
du contrat, les parties devront prévoir, à peine de
nullité, les modalités de sa désignation. Le contrat
doit enfin prévoir la mission du ou des fiduciaires
et l’étendue de leurs pouvoirs d’administration et
de disposition sur les actifs transférés. Le fiduciaire
doit connaître les contours de sa mission afin
d’exercer les pouvoirs qui lui sont consentis sur le
patrimoine fiduciaire en fonction de la cause du
contrat : gestion ou garantie.
La loi n’a prévu aucune disposition spécifique
relative à la rémunération du fiduciaire. Une totale
liberté est une fois de plus laissée aux parties.
Nous ne doutons pas que dans ce domaine, les
praticiens sauront faire preuve d’inventivité de
façon à encourager la mise en place d’une stratégie
de gestion efficace. Si l’on prend en considération
la mission confiée au fiduciaire et les objectifs fixés
par le constituant, la rémunération du fiduciaire
pourra prendre des formes variables.
49) Aux termes de l’article
2018 du Code civil, le contrat
de fiducie doit obligatoirement
mentionner : 1) les biens, droits
ou sûretés transférés, 2) la durée
du transfert, 3) l’identité du ou
des constituants, 4) l’identité du
ou des fiduciaires, 5) l’identité
du ou des bénéficiaires ou, à
défaut, des règles permettant
leur désignation et 6) la
mission du ou des fiduciaires
ainsi que l’étendue de leurs
pouvoirs d’administration et de
disposition.
50) C. Kuhn, « Une fiducie
française », Droit & Patrimoine,
n°158, avril 2007.
51) P. Marini, préc. ; D. Stcuki,
« La fiducie : un outil juridique
nouveau pour les opérations
de fusion-acquisition »,
Lexisnexis, juillet-août 2007 ; C.
Kuhn, « Une fiducie française »,
Droit & Patrimoine, n°158, avril
2007 ; S. Piedelievre, « La timide
consécration de la fiducie par la
loi du 19 février 2007 », Gazette
du Palais, 25-26 mai 2007.
52) F. Barriere, préc. et P.Crocq
préc..
53) L’article 146 du projet
d’ordonnance portant diverses
dispositions en faveur des
entreprises en difficulté propose
de modifier l’article 2018 du
Code civil et d’allonger la durée
du contrat de fiducie de 33 ans
à 99 ans.
L’établissement d’une fiducie est donc constaté
par un écrit comprenant un certain nombre de
mentions obligatoires. Une fois rédigé, les parties
doivent ensuite faire procéder à l’enregistrement et
à la publication du contrat de fiducie sur un registre
spécifique.
2. Les mesures
publication
d’enregistrement
et
de
Le contrat doit néanmoins faire l’objet d’un
enregistrement, mécanisme destiné à permettre
un contrôle de l’activité fiduciaire par les autorités
fiscales. L’article 2019 alinéa 3 du Code civil
dispose que sont soumis à l’enregistrement, l’acte
écrit constatant obligatoirement la transmission
des droits résultant de l’exécution du contrat de
fiducie, ainsi que, le cas échant, et par parallélisme
des formes, l’acte désignant nominativement le ou
les bénéficiaires, non désigné(s) dans le contrat.
Le contrat de fiducie et ses avenants doivent,
également à peine de nullité, donner lieu à
enregistrement auprès du service des impôts du
siège du fiduciaire ou du service des impôts des
non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié
en France. Ceci a le mérite de confirmer que tout
73
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
É t u d e
54) C. Kuhn, « Une fiducie
française », Droit & Patrimoine,
n°158, avril 2007.
55) Lorsque le contrat ou
ses avenants portent sur des
immeubles ou des droits réels
immobiliers, ils sont publiés
dans les conditions prévues
aux articles 647 et 657 du Code
général des impôts.
est règlementé, y compris l’activité des personnes
éligibles à cette fonction et résidants hors de France.
Cette disposition répond à l’objectif de transparence
souhaité par le législateur. L’activité fiduciaire doit
être connue et pouvoir faire l’objet à tout moment
d’un contrôle des autorités compétentes.
Le texte ne détermine pas l’identité du débiteur de
cette obligation d’enregistrement dont le défaut est
sanctionné par la nullité absolue du contrat. En
présence de plusieurs constituants ou fiduciaires
56) P. Marini, « La fiducie,
relevant de services des impôts territorialement
enfin ! », JCP, E, 6 sept. 2007,
différents, les travaux parlementaires renvoient au
2050 ; P. Marini, «La fiducie
à la française», Revue de
futur décret. Au regard de la sanction, on imagine
jurisprudence commerciale,
que toutes les parties à la fiducie seront fortement
novembre-décembre 2007 ;
intéressées à l’enregistrement du contrat.
Rapp. AN, n°3655, p.45 :
Certains considèrent que le texte suggère que
les tiers bénéficient d’une
information suffisante au titre de l’enregistrement soit réalisé par le fiduciaire (54).
On peut également envisager que le constituant
l’article 2021 du Code civil.
confie cette tache au tiers protecteur.
Lorsque le contrat de fiducie prévoit le transfert
de biens ou droits mobiliers (55), la publicité
est assurée par la publication du contrat à un
registre national des fiducies dont les modalités de
constitution et de fonctionnement seront précisées
par un décret en Conseil d’État (article 2020 du
Code civil). Le législateur affirme de nouveau son
désir de transparence en instaurant une véritable
base de données fiduciaire. Le contenu ainsi que
les modifications des conventions et, peut-être,
d’autres éléments seront répertoriés afin de faciliter
le contrôle de l’activité fiduciaire.
Lors des travaux parlementaires, les rapporteurs
du projet, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale,
ont souhaité que l’accès à ce fichier soit restreint
aux autorités judiciaires et aux services impliqués
dans la lutte contre le blanchiment de capitaux
(56). En l’absence de la publication du décret,
il est souhaitable que les dispositions de celuici confirment et maintiennent l’idée d’un accès
limité aux contrats de fiducie portant sur des
biens ou droits mobiliers. La confidentialité des
transactions et des conditions auxquelles elles
s’effectuent seraient en effet de nature à favoriser
le développement de la fiducie, notamment dans le
cadre de restructuration. Le décret déterminera les
conditions d’enregistrement de ces informations.
L’existence d’un formalisme normal ne constitue
pas un obstacle au développement de la fiducie, dès
lors qu’il se révèle peu contraignant et conforme à la
réalité du monde des affaires. Tous ces mécanismes
seront, de nature à sécuriser les relations entre les
parties au contrat de fiducie. Ce qui constitue, par
ailleurs, un des aspects positifs est la souplesse
offerte quant à la définition du contrat.
B. La définition de la mission du fiduciaire
Le contrat de fiducie doit obligatoirement définir la
mission du fiduciaire et l’étendue de ses pouvoirs
sur les biens ou droits transférés (1). Les parties
doivent également prévoir les conditions dans
lesquelles le constituant, assisté ou non d’un tiers
protecteur, pourra contrôler le fiduciaire (2).
JOURNAL DES SOCIÉTÉS
74
1. Définition par les parties des termes et de
l’étendue de la mission du fiduciaire
Aux termes de l’article 2018 du Code civil, le
contrat de fiducie doit obligatoirement prévoir
les termes de la mission confiée par le constituant
au fiduciaire. Le contrat doit, en outre, préciser
l’étendue des pouvoirs du fiduciaire sur les biens ou
droits transférés. Malgré cette apparente rigueur, la
loi offre, en réalité, une très grande souplesse aux
parties quant à la définition des termes exactes de
la mission du fiduciaire. Les pouvoirs du fiduciaire
varieront ainsi selon la nature des actifs transférés
mais également, selon les objectifs fixés par le
constituant.
Dans l’hypothèse de la mise en place d’une fiduciegestion en matière de restructuration d’entreprises,
on peut, par exemple, imaginer que le constituant
détenteur d’une partie du capital de la société
demande au fiduciaire d’exercer les droits rattachés
aux titres transférés, tels que les droits de vote.
Dès lors que le fiduciaire bénéficie d’une portion
importante du capital de la société en difficulté, il
pourra, dans le respect des termes du contrat de
fiducie, exercer un véritable pouvoir de direction
au sein de cette dernière. Les pouvoirs que le
constituant pourrait attribuer sont donc nombreux
et variés.
Outre des précisions relatives aux termes et à
l’étendue de la mission du fiduciaire, le contrat
peut prévoir des objectifs à atteindre et fixer un
calendrier de résultats. Puisque les établissements
de crédit, au nom du principe de non immixtion,
ne peuvent pas assurer la gestion des sociétés qu’ils
financent, ils pourraient envisager de confier cette
responsabilité au fiduciaire. Ce dernier devra,
par son action, contribuer au redressement de
l’entreprise de façon à permettre une revalorisation
de l’actif transféré. Par ce biais, le constituant
s’assure une gestion dynamique de ses actifs
isolés au sein d’un patrimoine fiduciaire. La loi
lui reconnaît en outre d’importants pouvoirs de
contrôle.
2. Les pouvoirs de contrôle du constituant
ou du tiers protecteur
Aux termes de l’article 2022 du Code civil, le
contrat de fiducie définit les conditions dans
lesquelles le fiduciaire rend compte de sa mission
au constituant et, le cas échéant, au tiers protecteur
chargé de la protection de ses intérêts. La loi
reconnaît au constituant ou au tiers protecteur
un véritable pouvoir de contrôle sur l’exercice par
le fiduciaire de la mission de gestion qui lui a été
confiée. Ce pouvoir de contrôle se manifeste par la
possibilité pour le constituant d’organiser, et donc
de prévoir, les modalités d’exécution de l’obligation
d’information pesant sur le fiduciaire. En outre, le
constituant dispose de la possibilité de révoquer le
fiduciaire lorsque ce dernier manque à ses devoirs
ou met en péril les intérêts qui lui ont été confiés
par le constituant (article 2027 du Code civil).
N°55 Juin 2008
É t u d e
Les parties devront déterminer le contenu de
l’information qui sera transmise, son mode de
transmission et enfin, sa périodicité. Dans le
cadre d’une fiducie-gestion, le fiduciaire devra
être capable de communiquer au constituant ou
à son tiers protecteur des données chiffrées sur
la gestion des actifs transférés leur permettant
d’apprécier le respect par le fiduciaire des objectifs
fixés. Le fiduciaire devra également rendre compte
des opérations effectuées sur les actifs transférés
et les conditions dans lesquelles elles ont été
réalisées. Le cas échéant, il pourrait être également
redevable d’une obligation d’information, envers le
constituant ou le tiers protecteur, relative à l’action
du tiers à qui il aura délégué l’exécution d’une
mission spécifique. Les modes de transmission
devront être simplifiés mais viables afin de
permettre la conservation de ces données par le
constituant et, le moment venu, leur transmission
au bénéficiaire. Tous ces éléments pourront
être utilisés pour déterminer la valeur des actifs
fiduciaires avant leur transfert au profit du ou des
bénéficiaires.
Le contrat de fiducie peut être révoqué par le
constituant tant qu’il n’a pas été accepté par le
bénéficiaire. Par la suite, une modification ou
révocation supposera l’accord du bénéficiaire ou
l’autorisation du juge (article 2028 du Code civil).
La fiducie-gestion devrait être employée dans un
cadre préventif et à des fins de restructuration.
En effet, l’article 632-9 alinéa 9 du Code de
commerce prévoit que la fiducie constituée au
cours de la période suspecte est nulle. En l’état
actuel des textes, il semble prématuré de prévoir
les conséquences de l’ouverture d’une procédure
collective à l’encontre d’une fiducie constituée
dans un cadre de restructuration. Les parties
auront donc dès lors tout intérêt à prévoir la fin
du contrat de fiducie en cas d’ouverture d’une telle
procédure. Le contrat de fiducie prend fin par la
réalisation du but poursuivi ou par la survenance
du terme. Le contrat de fiducie prend fin par la
réalisation du but poursuivi quand celui-ci a lieu
avant le terme du contrat. Il prend également fin
en cas de révocation par le constituant de l’option
pour l’impôt sur les sociétés. Il prend fin encore si
la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie, ou
si celle-ci fait l’objet d’une liquidation judiciaire,
d’une dissolution ou s’il disparait par la suite d’une
cession ou d’une absorption (article 2029 du Code
civil).
IV. Conclusion
Il faudra bien plus que de simples modifications
homéopathiques de la loi de sauvegarde pour qu’ait
lieu, autour de la prévention, une véritable prise
de conscience des différents acteurs économiques.
Un changement des mentalités sera nécessaire,
que ce soit chez les dirigeants d’entreprises bien
sûr, mais également chez les principaux créanciers.
Les établissements de crédit pourraient adopter
un rôle plus actif ne se limitant pas à exercer
leurs sûretés ou à céder leurs créances dont le
recouvrement leur semble douteux. Les obstacles
sont toutefois nombreux et les établissements
de crédit ne disposaient pas jusqu’alors d’outils
leur permettant de prendre part, avec un risque
raisonnable, au redressement de la société tout en
déléguant, à ceux dont c’est le métier, la gestion
de leurs actifs. Le recours à la fiducie-gestion leur
offre aujourd’hui un outil nouveau, souple et dont
les atouts sont nombreux. Employée dans le cadre
d’une restructuration, la fiducie-gestion devrait
permettre, avec le soutien des acteurs du monde du
retournement, le rétablissement de la société et la
valorisation des actifs transférés par le constituant.
Bien que subsistent de nombreuses interrogations
quant aux modalités d’utilisation de la fiducie,
qu’une première loi de mise en œuvre a sans doute
souhaité d’application confinée, le texte de loi,
par sa généralité, n’est pas satisfaisant et laisse
en suspend un nombre considérable de questions.
Dans le domaine des restructurations, nous
serons attentifs aux prochains développements
consacrés à l’ouverture de la qualité de fiduciaire,
l’élargissement du patrimoine fiduciaire à celui des
entreprises en difficulté, le traitement comptable
de la fiducie, les conséquences de l’ouverture d’un
redressement ou d’une liquidation judiciaire de
l’entreprise ou la fiducie. Le projet d’ordonnance
portant réforme de la loi de sauvegarde des
entreprises, et mis actuellement en consultation,
contient ainsi quelques articles modifiant le Code
civil. Le législateur ne semble donc pas indisposé
à l’idée d’une nécessaire amélioration de la loi
relative à la fiducie.
Lorsque sa mission est achevée, le fiduciaire doit
restituer le patrimoine fiduciaire au constituant
ou le transmettre au bénéficiaire. En l’absence de
bénéficiaire, il revient de plein droit au constituant
(article 2031 du Code civil). À l’issue de la fiduciegestion et dans l’hypothèse où le fiduciaire a permis
le redressement de l’entreprise, le constituant
dispose de plusieurs alternatives : conserver les
actifs qu’il avait transmis au fiduciaire, les céder
à un tiers qui pourrait peut-être être le fiduciaire,
voire même prolonger la fiducie.
N°55 Juin 2008
75
JOURNAL DES SOCIÉTÉS