Adoption et politiques familiales

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Adoption et politiques familiales
Adoption et politiques familiales
Analyse critique et suites réservées au rapport sur l’adoption
de Jean-Marie Colombani
Christiane Crépin
CNAF - Direction des Statistiques, des Études et de la
Recherche.
Mots clés : Enfance – Adoption – International.
R
emis le 19 mars 2008 au président de la
République et au Premier ministre, le Rapport
sur l’adoption de Jean-Marie Colombani (2008)
énonce de nombreuses avancées et présente
trente-deux propositions. En 2009, certaines suites
ont d’ores et déjà été réservées aux recommandations prescrites. Permettre à un « plus grand nombre
de familles d’adopter », et « rendre le système
français plus efficace en matière d’adoption », tels
sont les objectifs assignés dans la lettre de mission
du 4 octobre 2007 : « l’adoption est un aspect
majeur de la politique familiale ». Le rapport
permet d’actualiser la question de l’adoption au
regard de la politique familiale, des évolutions
de la famille, de la veille démographique, des
questions sociales émergentes en débat. Cet écrit
dense, sensible, critique et pragmatique, contient
de nombreuses observations issues de la mission,
certaines interpellant la branche Famille de la
Sécurité sociale. Présentées dans un premier
chapitre « L’état des lieux : un constat alarmant »,
les critiques s’adressent à l’adoption internationale et nationale, et fondent « les propositions :
une action en deux temps, et trente-deux propositions », lesquelles constituent le deuxième
chapitre. Cet article s’attache à deux inflexions
singulières du rapport : les changements institutionnels, politiques et éthiques du fonctionnement de l’adoption nationale et internationale,
et à un autre regard sur l’adoption en plaçant
le lien familial selon le fil conducteur choisi par
J.-M. Colombani, « le droit de l’enfant à avoir une
famille ».
Les principales mesures préconisées concernent le
pilotage général de la question de l’adoption en
France, dispersé et incohérent ; le cadre éthique et
fédérateur de l’adoption internationale, en transformation, et qui représente l’essentiel des enfants
adoptés en France ; la protection de l’enfance
associée à l’adoption nationale peu développée,
complexe, discutable et longue dans ses procédures, alors que de nombreux enfants pourraient
en bénéficier ; l’harmonisation des conditions
d’agrément et de leur qualité ; des aménagements
du contexte judiciaire, social et familial particulièrement complexes, sensibles et actuels. Des
propositions sous-jacentes s’adressent à la Caisse
nationale des allocations familiales (CNAF) pour
ce qui concerne les actions d’accompagnement
des familles et des enfants, interpellent le monde
de la recherche, préconisent un changement de
regard et d’attitude, et suggèrent une inscription
européenne de la réflexion et de la gestion de la
question.
État des lieux des difficultés
pour adopter un enfant
Parmi les évolutions structurantes ressortant de
l’état des lieux, l’augmentation de pays signataires
de la Convention de La Haye du 19 mai 1993 sur
la protection des enfants infléchit fortement l’amélioration des conditions de l’adoption internationale : soixante-seize pays l’ont signée en 2008.
Pour mémoire, les États-Unis – qui accueillent la
moitié des enfants à l’international – l’ont signée
le 16 novembre 2007, la Belgique le 26 mai 2005,
la Chine le 16 septembre 2005. L’adhésion à la
Convention de La Haye se conjugue à l’amélioration des politiques de protection de l’enfance dans
les pays signataires. Ces avancées résultent des
efforts des associations, des administrations, des
juridictions, des familles adoptantes. Elles confirment, selon le rapport, un progrès majeur à
l’échelle internationale de la question de l’adoption. Les améliorations considèrent à la fois les
conditions locales de recueil et d’accompagnement des enfants abandonnés et d’accueil des
enfants par une famille. Pour autant, le rapport met
l’accent sur les dysfonctionnements, les lourdeurs
Les renvois dans cet article se réfèrent au « Rapport sur l’adoption » de J.-M. Colombani (voir bibliographie p. 120).
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Synthèses et statistiques
dues à la multiplicité d’administrations concernées, non coordonnées, et à l’absence de lisibilité
d’une politique. Les conditions d’agrément des
familles sont estimées traumatisantes et feraient
l’objet de réserves de la part de nombreux pays.
Des problèmes d’information, de préparation et
d’accompagnement des familles sont observés. En
outre, les procédures sont complexes, inadaptées,
longues, insuffisamment efficaces, et ralentissent de façon importante « le potentiel d’adoption
d’enfants ».
Les diminutions observées depuis 2005 des enfants
adoptés en France – de 5 000 à moins de 4 000
par an dont 80 % sont des adoptions internationales – sont dues, entre autres motifs, et de façon
paradoxale, à la protection plus rigoureuse des
droits des enfants d’un nombre de plus en plus
important de pays dans le monde. Les causes relèvent également, selon le rapport, non d’une diminution du nombre d’orphelins ou d’enfants abandonnés mais de l’organisation du système français,
estimée insuffisamment efficace, et qui « conduit à
s’interroger sur les évolutions futures ».
d’âge d’adoption autour de 2 ou 3 ans, sur une
trajectoire de vie jusqu’à l’âge de 20 ans, environ
850 000 enfants et adolescents vivent en 2009
l’expérience de l’adoption. Moins d’un quart relèvent d’une adoption nationale. Enfin, en 2009, les
caisses d’Allocations familiales (CAF) ont versé
des allocations d’adoption à 6 366 familles (au
31 décembre 2008). Ces prestations sont octroyées
sous condition de ressources (1). Pour près de la
moitié des familles (2 592), l’enfant adopté est
l’enfant unique (ou le premier enfant), et pour
1 728 familles, l’enfant adopté est le deuxième
enfant. Dans 737 familles, il est le troisième enfant
de la fratrie. 903 enfants adoptés sont les
premiers d’une famille monoparentale et 274 sont
les deuxièmes d’une famille monoparentale.
La nécessité d’une régulation démographique de
l’Europe légitimerait de fait une politique familiale
européenne de l’adoption. Elle permettrait de
fédérer l’observation dans les pays européens, de
partager les expériences et les bonnes pratiques,
d’orienter les actions. Depuis 2006, l’objectif de
l’Union européenne est, en effet, la reconnaissance d’un droit à l’enfance : « dans tous les actes
relatifs aux enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant
doit être une considération primordiale » rappelle
le rapport de J.-M. Colombani. Dans ce sens,
celui-ci insiste sur le droit de l’enfant à avoir une
famille, et non l’inverse.
Les institutions habilitées à organiser et à promouvoir l’adoption en France – l’autorité centrale de
l’adoption internationale (service du ministère des
Affaires étrangères et européennes), l’Agence française de l’adoption (AFA), les organismes autorisés
pour l’adoption (OAA) – « n’ont pas été renforcées ». Les conséquences de ces dysfonctionnements conduisent les familles, en France – c’est le
Un principe : le droit de l’enfant
cas de près d’une famille sur deux –, à engager
à avoir une famille
une démarche individuelle : 37,9 % des adoptions
internationales en 2007 sont effectuées dans un
Autre inflexion singulière du rapport, J.-M. Colombani
pays ne relevant pas de la Convention de La Haye.
suggère d’avoir un autre regard sur l’adoption,
Sur 3 162 adoptions internationales en 2007, seules
voire de renverser la tendance. Il s’agit pour tout
1,2 % ont été accompagnées par l’autorité centrale,
enfant abandonné d’avoir droit à une famille, de
19 % par l’AFA et 41,8 % par les OAA. En effet, en
garantir le droit à l’enfance, l’essentiel étant de
2009, depuis la remise du rapport, les évolutions
construire des liens d’attachement, alors que la
récentes de l’adoption confirment une inflexion
logique d’adoption privilégie encore aujourd’hui
importante : les adoptions internationales dimila famille biologique. Pour autant, « la mission
nuent en France passant de l’ordre de 4 000 à
souhaite éviter toute confrontation idéologique… ».
celui de 3 000 ; les adoptions nationales sont inféAussi, le rapport préconise le développement de
rieures à 1 000 par an. De même, en 2009, d’après
l’adoption simple, laquelle permet « le maintien des
les analyses statistiques du ministère des Affaires
liens avec la famille biologique » (Proposition 15).
étrangères, sur 3 271 adoptions internationales, 7 %
Élargir la possibilité d’adopter des enfants abandes enfants adoptés sont âgés de moins de 6 mois,
donnés, des enfants des rues, des enfants placés
14 % de 6 mois à 12 mois, 18 % de 12 mois à 2 ans,
en orphelinat, relèverait de décisions que pourrait
15 % de 2 ans à 3 ans,
Évolution de l’adoption en France de 2000 à 2008, et répartition des adoptions nationales
13 % de 3 ans à 4 ans,
et internationales
10 % de 4 ans à 5 ans,
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
23 % ont plus de 5 ans
Adoptions
internationales
2
971 3 095 3 551 3 995 4 079 4 136 3 977 3 160 3 271
(au 31 décembre 2008). En
Adoptions nationales
1 133 1 195
- 1 009
841
882
estimant – de façon conventionnelle – une moyenne
Source : échantillon CNAV(1/20e) de 2006. Bénéficiaires au 31 décembre 2005. Calculs de l’auteure.
(1) Source : CNAF – Direction des Statistiques, des Études et de la Recherche, 2009. L’ouverture de droit sur la durée de plus
d’un an est fonction de l’âge de l’enfant, et fonction de l’âge auquel il est adopté.
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prendre le législateur dans un cadre éthique international. Seule est prise en compte par les magistrats étrangers la qualité du consentement de la
mère dans l’adoption internationale. Il en est de
même de l’adoption nationale des pupilles de
l’État qui gagnerait à une adaptation législative
plus souple permettant à un plus grand nombre
d’enfants en situation de quasi-abandon d’être
accueillis par une famille. En effet, seuls les
enfants nés sous le secret ou déclarés abandonnés
par l’autorité judiciaire peuvent être adoptés, soit
environ 800 enfants par an. Or, sont placés de
façon durable 2 100 jeunes enfants qui « pourraient
faire l’objet d’un projet d’adoption ».
Les procédures françaises critiquées dans le
rapport montrent les effets dévastateurs pour les
enfants, et très coûteux pour la collectivité, de
longues périodes de placement d’enfants non
adoptables, alors qu’un nombre important de
familles sont potentiellement prêtes à les adopter.
Les propositions d’aménagement des juridictions
et d’action préventive des travailleurs sociaux vont
dans ce sens. Les acteurs politiques et sociaux, les
enfants et les familles, ont besoin également d’une
information sur le transfert réciproque de capital
social en jeu dans l’adoption.
Études et recherches : regards
sur d’autres politiques d’adoption
dans le monde
D’autres politiques d’adoption relayées dans le
monde (2) soulignent l’intérêt porté à cette question, par exemple au Canada (3) où l’adoption
nationale constitue un moyen de protection de la
jeunesse... Ce rapport est très complet et très
documenté, riche d’ouvertures et de mises en
perspective, incluant des comparaisons européennes et internationales intéressantes concernant les pratiques d’adoption selon les pays.
Cependant, le regret exprimé concernant l’insuffisance d’études et de recherches, le défaut de
synthèse sur les avantages sociaux pour les enfants,
les effets de l’adoption sur les enfants et sur leur
famille ou leur pays, les échanges culturels entre
pays, est surprenant. Car l’adoption, les conceptions
qu’elle recouvre, les effets du don, de la transmission, est un objet d’étude privilégié de longue date
comme le signifient dans la littérature, de nombreuses références sociologiques, ethnologiques.
Marcel Mauss a ouvert la voie en 1906 à une littérature riche dans le domaine des sciences sociales
et humaines sur ces thèmes avec une diffusion
mondiale et toujours actuelle des théories du don,
où les traits sont présents d’une éthique de protection des enfants et de transmission de valeurs – le
don et le contre-don –, de coûts sociaux évités,
d’élargissement de réseaux familiaux recomposés,
de construction de liens intergénérationnels et
entre pays, de transmission éducative et culturelle,
de créativité multiculturelle, de solidarités internationales [Mauss, 1970(1906) et 1968(1923-1924)].
Les œuvres de Claude Lévi-Strauss, sur l’échange
social (Lévi-Strauss, 1948), d’Émile Durkheim sur
les solidarités [Durkheim, 2007(1893)] précèdent,
prolongent et complètent ces théories.
Plus récemment, les travaux d’Agnès Fine (2008),
notamment dans son ouvrage Adoptions. Ethnologie des parentés choisies (Fine, 1998), montrent
comment l’adoptant établit un lien de parenté en
accueillant dans sa « maison » l’adopté – le don ;
l’adopté, en acceptant de devenir le fils, assure la
continuité de la maison – le contre–don. Ces
théories sont entraperçues au fil des pages, intuitives, intégrées en ce qui concerne les conceptions de l’adoption au Canada, où l’appropriation
des écrits de M. Mauss est particulièrement relevée
(Fournier, 2005).
Singulièrement, la notion de « droit de l’enfant à
avoir une famille » – ou, autrement dit, « des parents
pour un enfant » – rejoint les travaux de la
Canadienne Françoise-Romaine Ouellette qualifiant de « capital-vie » (Ouellette, 1995) la reproduction du groupe familial et de « projet de vie »
pour l’enfant (Ouellette et al., 2003) : l’abandon –
le don – d’un enfant est perçu comme une chance
lui étant offerte. Ce qui fait sens dans le don
d’enfant, pour la chercheuse, est symbolique et
lève toute notion de « culpabilité ». Cette conception semble être celle appropriée dans le rapport,
en rejoignant la proposition visant à faciliter
l’adoption en France d’enfants confiés durant
plusieurs années à l’aide sociale à l’enfance, alors
qu’ils pourraient bénéficier, dès leur très jeune
âge, d’un accueil par une famille dans le cadre de
l’adoption.
La notion de « droit de l’enfant à avoir des parents »
s’associe ainsi à celle de don réciproque : elle
valorise la mère – et le père – d’origine, contribue
à préparer les parents adoptants, à accepter
l’enfant. L’image positive des parents d’origine et
des parents adoptifs permet à l’enfant, à sa majorité, de se préparer à accéder à la connaissance de
ses origines personnelles (Fine, 1998 et 2008 ;
Fine et Ouellette, 2005). Pour exemple, parmi de
nombreuses études, pour ce qui concerne le devenir
des enfants adoptés, l’observation rapportée par
(2) « D’autres politiques d’adoption », fiche 8 (p. 297 à 315).
(3) « Les exemples du Canada (Québec, Ontario) et du Royaume-Uni méritent d’être spécifiquement examinés » : p. 305
à 307.
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Élise Prébin (2009), ethnologue française, elle-même
enfant adoptive d’origine coréenne, analyse les
paradoxes d’une telle situation. Les familles
coréennes d’enfants adoptés à l’étranger se
regroupent entre elles. À partir d’une expérience
de retour au pays d’origine en Corée du Sud, à
l’occasion de retrouvailles avec sa famille biologique
d’origine, la chercheuse montre comment l’ensemble
des enfants adoptés de Corée du Sud reconstruisent un groupe social structuré et structurant en
constituant une « diaspora ». Les déterminants
identitaires traditionnels en Corée du Sud, comme
en Chine, se cristallisent autour de trois types de
liens : « au sol, à l’école, à la famille ». Ces traits
identitaires contribuent à rassembler de façon
symbolique les enfants d’origine coréenne dans le
monde. Ces caractères les conduisent à constituer
un groupe à part, un réseau, que rejoignent les
émigrés d’origine coréenne. Ainsi, deux cent mille
enfants d’origine coréenne adoptés à l’étranger
entre 1954 et 2003 représentent cette « diaspora »
singulière de « population jeune, instruite, dynamique ». É. Prébin a, en effet, participé à l’expérience inédite d’un rassemblement organisé par le
gouvernement coréen en août 2004 de 430 enfants
adoptés devenus majeurs, à l’occasion du cinquantenaire de l’adoption internationale. Les témoignages recueillis à cette occasion de Coréens
faisant l’expérience d’un retour au pays d’origine
sont diversifiés. La plupart font état de réussites
sociales, d’attachement au pays d’origine, de
fierté d’avoir été adoptés. Ils entretiennent des
liens sociaux privilégiés avec leur pays d’origine
et, dans certains cas, avec la communauté constituée par ces enfants. Ces besoins réciproques à
l’égard des enfants se traduisent dans les débats
sur le droit social des parents potentiels, homosexuels, ou sur les alternatives médicales de procréation (Ouellette et al., 2003 ; Martial, 2006). Si
les travaux traitant de l’adoption et de thèmes
agrégés sont nombreux, il est difficile de ne pas
s’associer à l’idée de procéder à une synthèse
globale du sujet.
Les études et recherches sur l’adoption, sur le
devenir des enfants adoptés (Halifax, 2001 ;
Prébin, 2009), sur les caractéristiques familiales
(Halifax et Villeneuve-Gokalp, 2005), sur les
relations familiales inédites (Fine et Ouellette,
2005 ; Martial, 2006), sont appelées à se développer : la trajectoire de vie en particulier au
moment de l’adolescence et de la construction
identitaire vers l’âge adulte, ses ambivalences
et les enseignements relayés auprès des acteurs
sociaux permettraient une connaissance et
compréhension meilleures des phénomènes
d’adaptation. Il en est de même des réseaux
sociaux qui se construisent sur ces bases, qui
diffusent les cultures et les transferts sociaux. Ces
effets se reproduisent, se transmettent, selon des
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normes différentes en fonction des conditions
d’adoption, l’âge de l’enfant adopté interférant
de façon importante, comme le montrent les
travaux de Juliette Halifax (2001).
Les propositions du rapport
Les propositions énoncées dans le rapport visent
ainsi à fédérer des orientations politiques – de
l’autorité centrale avec la participation du réseau
diplomatique et consulaire – ainsi que les décisions des acteurs de terrain (OAA) relatives à
l’adoption internationale et nationale. Une
agence unique de l’adoption (établissement public
ou groupement d’intérêt public) permettrait ainsi
de rassembler les ministères, les départements,
les OAA, les associations de familles adoptantes
(Proposition 31). Les décisions d’adoption seraient
assorties d’un pilotage judiciaire coordonné
autour d’un « parquet de la famille » unique (Proposition 16), et d’une meilleure articulation entre le
parquet de Nantes (qui centralise les adoptions
internationales) et le ministère des Affaires étrangères et européennes (Proposition 25). Ces mesures permettraient de coordonner, de réguler, les
procédures des différents pays et d’éviter des
positions contradictoires. Dans le cadre de la
présidence de l’Union européenne en 2009, la
France était d’ailleurs en position de suggérer de
contribuer à la création d’un espace européen de
l’adoption internationale (Proposition 10). Les
conseils de sensibilisation à l’égard des travailleurs sociaux (Proposition 14), d’accompagnement des familles après l’adoption par la mise en
place de lieux d’accueil et de dialogue (Proposition 27), de renforcement de l’attention à porter
sur l’accès à leurs origines des enfants adoptés à
l’international (Proposition 30) sont entendues et
pourraient davantage être appropriées par les
acteurs sociaux, les familles, les enseignants
(Proposition 29) et le grand public.
L’un des objectifs est de réduire les temps de procédure d’attente des enfants – plus que l’attente
des parents candidats – de privilégier le temps
familial plus que le temps administratif ou de
placement, de réduire les délais d’examen des
déclarations judiciaires d’abandon (Proposition 13). Dans le même sens, l’écart d’âge entre
parents adoptants potentiels et enfant (Proposition 21), l’adoption par des couples homosexuels,
pacsés, ou vivant en concubinage jusqu’alors
explorée, mais non tranchée, et la coordination
par un « chef de projet », sont suggérés. Cette
question, développée à l’occasion du fonctionnement et du rôle que pourrait jouer le Conseil supérieur de l’Adoption (CSA) s’exprime à regret : « il
n’existe pas de lieu où se pense de façon globale
l’adoption en France qu’elle soit nationale ou
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internationale » (4) et « l’accompagnement des
parents après l’adoption est insuffisant ». Le rôle
potentiel que pourraient jouer les CAF (5) est souligné, autour de l’accompagnement à la parentalité des familles adoptives pour favoriser des
échanges ou des groupes de paroles sur des thèmes
de préparation à l’adoption ou d’après l’adoption…
Les actions relatives à l’accompagnement à la scolarité sont également nécessaires, un tiers des
enfants adoptés rencontrant des difficultés. De
même, des actions s’intéressant à l’accès à l’information des enfants sur leurs origines pourraient
être développées, comme le font d’autres pays.
Une partie de la proposition 23 vise à promouvoir
un programme d’études et de recherches avec une
priorité sur une synthèse de la littérature « grise »
scientifique française et étrangère sur le devenir
des enfants adoptés, les aspects positifs de l’adoption et ses risques. Sur ce point, pour répondre aux
suggestions du rapport, les partenaires de la politique familiale pourraient éventuellement étudier
la faisabilité de lancer un appel d’offre pour la
réalisation d’une synthèse argumentée et analysée
à travers le prisme de l’enfant, de son avenir, de sa
famille sociale et de celle d’origine. Une comparaison internationale de ces approches permettrait
également de percevoir les impacts du dedans et
du dehors, et de mesurer aujourd’hui encore les
écarts de perception de l’adoption.
La proposition visant à « Affirmer et structurer le
rôle de synthèse du Conseil supérieur de l’Adoption (organe consultatif) en matière d’adoption »
préconise par ailleurs d’élargir la composition du
CSA à la « la Caisse nationale des allocations
familiales et à l’AFA » (6). Certaines avancées institutionnelles préconisées par J.-M. Colombani se
concrétisent depuis la remise du rapport pour ce
qui concerne les procédures, l’accompagnement
et le suivi de l’adoption nationale et internationale. Sont retracées ici les plus structurantes en
réponse aux objectifs préconisés dans le rapport
visant à améliorer les institutions et à préserver le
droit des enfants à avoir une famille.
Un service unique de l’adoption
Des avancées importantes se sont concrétisées
depuis mars 2008. La création d’un service unique
de l’adoption internationale et la mise en œuvre
d’une convention d’objectifs et de gestion pour
l’AFA marquent la volonté d’une recomposition
institutionnelle. Sous l’inflexion de la progression
du nombre de pays se rangeant dans le cadre de la
Convention de La Haye, l’adoption internationale
se transforme. Cette évolution soulignée dans le
rapport s’accentue. En 2009, plus de quatre-vingts
pays ont signé la Convention de La Haye.
L’objectif des pays signataires est de protéger les
enfants et d’améliorer les conditions de la coopération entre pays en matière d’adoption internationale : ces pays favorisent de plus en plus les
adoptions locales. De fait, le développement des
législations préventives dans un plus grand
nombre de pays limite les possibilités d’adoptions
internationales. Les profils des enfants adoptables
changent progressivement en conséquence, ceux-ci
étant plus souvent des fratries complètes, des
enfants âgés d’au moins 5 ans, des enfants avec
des pathologies. Ces enfants nécessitent des conditions attentives particulières de veille, d’adoption,
d’accompagnement et de suivi. Ainsi, créé le
14 avril 2009 avec la mise à disposition du grand
public d’un site Internet d’information, le service
de l’adoption internationale devrait contribuer à
améliorer l’organisation et le pilotage du cadre
institutionnel.
L’AFA se renforce, avec la signature le 24 novembre
2009 d’une convention d’objectifs et de gestion
entre son président et les ministères des Affaires
étrangères et de la Famille. Pour mémoire, créée
en 2005 (Loi du 4 juillet 2005), l’AFA a remplacé
la Mission pour l’adoption internationale ; elle
élargit ses compétences à la coordination de l’ensemble des services ministériels concernés par
l’adoption internationale, que les pays relèvent
ou non de la Convention de La Haye. Cette
convention d’objectifs et de gestion (COG) vise à
conforter les attributions de l’AFA et à fédérer
l’ensemble des dispositifs de l’adoption en
France, nationale et internationale. La finalité
de l’AFA, à travers cette COG, est de suivre les
enfants, de simplifier les procédures d’adoption
sur l’ensemble du processus, en France et pour
tous les pays. La COG prévoit d’associer sur
la durée tous les acteurs sociaux concernés et
de réduire les dysfonctionnements observés. L’objectif est notamment d’encadrer les adoptions
internationales individuelles qui représentent
près de 40 % des adoptions internationales. Il
s’agit d’encourager les procédures accompagnées
par les organismes autorisés. Les procédures et les
démarches engagées de façon individuelle par les
(4) « L’adoption est insuffisamment pilotée dans sa double dimension nationale et internationale » : p. 57 à 63.
(5) Fiche 10 « Pour une meilleure organisation » – « Une absente : la Caisse nationale des allocations familiales » (p. 324)
« Cet établissement public dispose en outre d’une direction de la recherche et des études, dotée d’un budget important »
(p. 334).
(6) Proposition 23 : « Affirmer et structurer le rôle de synthèse du CSA en matière d’adoption » : « le rôle de synthèse et
de réflexion sur l’adoption, qui est actuellement celui du CSA, doit être structuré. Dans cet objectif : – sa composition
doit être élargie à la Caisse nationale des allocations familiales » p. 83-84 et p. 317 à 327 (fiche 9 : « Après l’adoption »).
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familles font plus souvent l’objet de difficultés ou
d’incompréhensions par les familles adoptantes et
par les pays d’origine des enfants. Pour l’AFA, la
finalité est de promouvoir les adoptions internationales encadrées et de contribuer à améliorer, à
élargir, les conditions et le processus de l’adoption
nationale.
La place de l’enfant adopté
dans l’évolution de la famille
Le droit de l’enfant à avoir une famille interroge
la filiation, le lien social, familial, parental, l’évolution de la configuration familiale (Cadoret,
2008), l’espace « à la limite du droit et de l’anthropologie », la protection de l’enfance en France
(Grelley, 2007). Quels que soient la typologie ou
le profil de la famille, six étapes sont incontournables pour accueillir l’enfant (Friedberg, 2008) :
la connexion avec la famille d’origine ; le langage
approprié ; l’ouverture culturelle bilatérale :
trouver une famille pour un enfant ; adapter la
culture et la langue, car c’est ce qui crée le lien
affectif. Autre condition, celle de la disponibilité
d’un enfant. Certains enfants ont connu des
traumatismes invisibles et nécessitent un suivi
psychologique ou psychiatrique attentif. La prise
en considération du pays « donneur », comme
celle du pays « receveur » dans le cas des adoptions internationales, appelle sans doute des analyses fondées comme celles de C. Lévi-Strauss
(1948). Des coopérations politiques, économiques,
sociales, relèveraient également de travaux inédits
et originaux.
Le rapport émet également un autre message : la
levée de nombreuses normes sociales dans les
situations de familles en difficulté ou en détresse
sociale échappant aux principes de prévention ou
de protection de l’enfance pourrait promouvoir
des formes d’adoption d’enfants dès le jeune âge.
Les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance
dans des familles ou des foyers successifs souffriraient moins, peut-être, de défaut d’attachement
ou d’affection précoce. Ces observations rejoignent d’ailleurs celles des services de l’aide
sociale à l’enfance qui préconisent « le projet
pour l’enfant », de façon à essayer d’anticiper la
préparation vers la vie d’adulte future. Car un
jeune enfant n’ayant pas connu de vie familiale et
d’entourage affectif attentif ne peut que difficilement se construire… À l’approche de l’âge
adulte, les difficultés d’adaptation de la jeunesse
perdurent (Crépin, 1980). Pour ces raisons, de
nombreux pays font de l’adoption une politique
de prévention de l’enfance, de la jeunesse et
de la vie adulte future. En France, d’après
l’Observatoire national de l’enfance en danger,
266 000 mineurs ont fait l’objet en 2007 d’une
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mesure de protection de l’enfance. Il n’existe pas,
rappelle le rapport, de droit de l’enfant dans la
Convention européenne. La France tient en
Europe une place singulière, avec un recours modeste à l’adoption, contrairement aux pays du
nord comme du sud de l’Europe. Pour comparaison, aux États-Unis, 125 000 adoptions d’enfants
sont effectives chaque année (la moitié sont des
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