Les difficultés de l`adoption internationale

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Les difficultés de l`adoption internationale
LES DIFFICULTES DE L'ADOPTION INTERNATIONALE
Choulot JJ, Carbonnier H, Guérin B
Consultation d'adoption, Centre Hospitalier de Pau, Boulevard de Hauterive 64000 Pau
En France, en 2004, il y a eu environ 5000 adoptions. L'adoption nationale des enfants
pupilles de l'Etat, c’est à dire nés en France, est devenue très minoritaire et ne représente
qu’environ 1000 adoptions par an, dont 700 enfants adoptables à 2 mois, nés d'un
accouchement secret. L'adoption internationale en revanche a concerné environ 4000
enfants, dont 1000 adoptés par un organisme autorisé pour l'adoption (OAA). Ces enfants
sont originaires de pays variés : on comptait 10 pays d’origine en 1980, mais 66 en 2001,
parmi lesquels on peut considérer que l'Asie, l'Europe de l'Est, l'Afrique et l'Amérique du sud,
y compris Haïti, représentent respectivement chacun un quart des enfants adoptés en France.
Or il y a eu en 2003 : 25 000 parents postulants titulaires d'un agrément, 8000 nouveaux
agréments1 dans l'année et seulement 5000 adoptions. Il faut se résoudre à une évidence,
parmi les titulaires d'un agrément, des parents candidats ne pourront pas adopter. Si
l'agrément est indispensable à l'adoption, il ne constitue en rien un droit à l'adoption d'un
enfant, l'adoption étant là, rappelons le, pour trouver une famille à un enfant et non pour
trouver un enfant à des parents.
ETHIQUE DE L'ADOPTION
Dans ces conditions, et avant tout projet d'adoption, il nous parait indispensable de donner
des informations aux parents pour leur permettre de construire consciemment leur projet.
Un premier conseil est de les inciter avant tout à d’adresser aux OAA et à se tenir à l'écart de
certains intermédiaires douteux et financièrement intéressés. De telles adoptions en effet
sont à l'origine de trafics portant sur des enfants volés ou conçus pour être adoptés, avec à la
clé tromperie sur les parents de naissance et bien des incertitudes sur le caractère définitif de
l'adoption. Il faut s'interdire notamment les adoptions négociées avant l'accouchement. Les
adoptions dans les pays en guerre ou sans état civil sont à très haut risque de dérives
mafieuses. Toutes les démarches individuelles ne sont bien sûr pas malhonnêtes, mais le
risque y est probablement plus important que dans les adoptions par l'intermédiaire d'un
OAA. Il conviendra également de privilégier les pays ayant signé et ratifié la convention de La
Haye, dont nous rappelons qu’elle recommande de n'autoriser l'adoption internationale que si
l'adoption dans le pays d'origine n'est pas possible, et qu’elle impose aussi aux parents
adoptants de se rendre dans le pays d'origine.
La culpabilité qui peut envahir les parents adoptifs en cas d'adoption non éthique est un
grand facteur de risque pour l'avenir de la famille.
POURQUOI L'ABANDON ?
Cette question grave perturbe certains enfants adoptés et leurs parents et cependant y
répondre est important pour l'enfant. Or c’est un fait, certaines familles auront plus
d’informations que d’autres et l’expérience enseigne que si les réponses ne figurent pas dans
le dossier de l'enfant, la famille doit s’abstenir de donner du poids à des préjugés, des
rumeurs ou de véritables inventions. La famille d'origine, notamment ne sera ni jugée, ni
condamnée, ni magnifiée.
Selon les pays d'origine, la fiabilité ou l'existence des informations est très différente. Ainsi
par exemple, en Chine, l'adoption est liée à une pratique de l'abandon, conséquence de la
politique de l'enfant unique, à laquelle s’ajoute le désir d'être parents d'un garçon, ce qui fait
que l'adoption en Chine est très majoritairement celle de filles. Ces enfants étant abandonnés
1
Pour l’agrément, voir p.XXX
à quelques heures de vie dans un lieu public, leur histoire connue ne commence qu’avec leur
entrée à l'orphelinat. En Russie, ce sont souvent les difficultés sociales et l'alcoolisme qui sont
à l'origine de l'abandon, les informations y sont souvent très peu précises. En Amérique du
sud, au Brésil et en Colombie, bien des adoptions font suite à des procédures de retrait des
enfants à leur famille par les services sociaux, en raison d’ actes de maltraitance, y compris
d’abus sexuels, qui ne sont malheureusement pas rares. Les dossiers sociaux et médicaux y
sont très bien renseignés.
Notre expérience nous enseigne que toute vérité n'est pas bonne à dire dans son intégralité.
Certes, il nous paraît indispensable que les parents adoptifs puis l'enfant soient informés de
la maltraitance, si tel est le cas, mais les détails les plus crus ne nous semblent en rien
nécessaires à connaître pour cet enfant. Si les parents sont en possession d'un dossier
particulièrement lourd, son dépôt à l'OAA ou chez un notaire peut être une solution
raisonnable.
En Colombie, à Madagascar, en Haïti…, des enfants très jeunes, issus de grossesses non
acceptées, sont proposés à l'adoption, l'extrême misère étant également souvent à l'origine
de bien des abandons.
Dans certains pays les parents d'origine sont en relation avec les parents adoptants. Nous
avons déjà évoqué des situations non éthiques ou l'enfant a été "négocié" avec les effets
ravageurs à craindre dans l'avenir. Mais dans d'autres situations ces contacts sont
culturellement admis et non liés par principe à des transferts d'argent, comme c’est le cas
par exemple pour les délégations d'autorité parentales, transformées en adoption en
Polynésie. Cette situation est généralement acceptée de part et d'autre. Cependant nous
avons parfois rencontré des enfants en grande difficulté, les parents adoptifs ne supportant
pas l'existence de cette famille d'origine, vécue comme menaçante et anxiogène. Dans
d'autres cas, l'existence de deux familles s’est révélée très difficile pour l'enfant, à l'occasion
d'une nouvelle rencontre avec la famille d'origine.
Tout au long de l'enfance, l'histoire de l'enfant lui sera racontée, en utilisant ce dont les
parents adoptifs disposent. L'album photo fait à l'arrivée est une entrée en matière facile, de
même que des livres sur l’adoption, dont il existe des titres adaptés à tous les âges. En fait,
le désir de savoir est très variable selon les enfants, avec certains très demandeurs de leur
histoire et d'autres beaucoup plus en retrait. Soulignons à nouveau ici, combien une adoption
non éthique pourra mettre les parents en grande difficulté. Nous sommes assez réservés sur
le voyage de retour dans le pays de naissance, qui n'est pas opportun chez un adolescent en
difficulté, mais qui se révélera en revanche intéressant pour un jeune adulte.
Certains parents, parfois animés par une forme de culpabilité, veulent à tous prix conserver
la langue et la culture d'origine de leur enfant. Or bon nombre de ces enfants sont en grand
désir d'intégration dans leur nouvelle famille. Pourquoi alors chercher à conserver une langue
ou une culture d'origine que l'enfant veut oublier ? Le véritable dogme que représente pour
certains
professionnels l'accès aux origines ne résiste pas à l'expérience : beaucoup
d'adolescents ou de jeunes adultes ne veulent pas savoir. Il convient de respecter ce choix.
Nous recommandons de laisser ces démarches de recherche sur ses origines à l'initiative du
jeune adulte, en respectant les moments et la nature des informations qu'il désire connaître
ou ne pas connaître. En cas de crise grave, il est facile mais inexact de penser que l'accès
aux origines sera un remède. Dans ces situations, un voyage dans le pays, une rencontre
avec la famille biologique seront rarement salutaires.
LES LIMITES DES PROJETS
Les études concernant l'avenir des enfants adoptés sont rares ou bénéficient d'un recul très
insuffisant. L'étude de Hjern (2002) portant sur les difficultés psychologiques et d’adaptation
sociale des enfants adoptés en Suède est bien documentée. Elle fait état d'un risque accru de
difficultés graves chez 4 à 5 % des enfants, mais il s'agit d'enfants adoptés avant 1 an pour
74 % d'entre eux. L'étude de Médecins du Monde (observations non publiées) ne dispose pas
d’un recul suffisant puisqu’elle ne porte que sur deux ans. Elle concerne des enfants plus
âgés lors de l'adoption et fait état de 37 % de difficultés rencontrées chez ces enfants et 0,8
% de rejets. Il est également probable que cette étude est optimiste car l'adoption par un
OAA comme Médecins du monde élimine justement un certain nombre de difficultés et
nombre de dérives liées à l’adoption.
Certains parents candidats à l’adoption sont en effet en situation d'être refusés par les OAA et
en risque d'adoption plus difficile, car trop âgés ou déjà parents. Cela serait aussi le cas si
l'adoption venait à être autorisée en France pour des couples homosexuels, car une telle
adoption est refusée par la presque totalité des pays d'origine.
A ce propos, beaucoup d'études ont été publiées visant à montrer que les enfants de couples
homosexuels vont bien. Or parmi elles, de nombreux travaux n'ont aucune rigueur
scientifique : trop petit nombre d'enfants, recul très court, non inclusion d'adolescents,
enfants issus de milieux très privilégiés ou intellectuels, qui tendraient à démontrer que les
enfants adoptés par des couples homosexuels vont mieux que les autres (ce qui est
vraisemblable dans une famille de niveau socioculturel élevé). En fait, il serait plus honnête
de dire qu’en l’état actuel des connaissances, il est impossible de savoir si ces enfants sont
ou non en situation de souffrance. D’une façon générale, les familles sont tellement
différentes et complexes, le recul nécessaire pour bien apprécier est si long, que l'on doit
avant tout rester prudent et éviter les conclusions militantes. D’ailleurs ces études concernent
de manière très majoritaire des enfants non adoptés, alors que la filiation adoptive pose des
problèmes beaucoup plus complexes et que, de toute façon, répétons-le, actuellement aucun
pays proposant des enfants à l'adoption n'accepte l'adoption par des homosexuels. Si
l'adoption devenait possible en France pour les couples homosexuels, les extrêmes difficultés
qu'ils rencontreraient pour se voir confier un enfant renforceraient fortement le risque
d'adoption par des circuits douteux.
Rappelons également que l'adoption par des femmes célibataires n'est acceptée que par
quelques Etats et le plus souvent pour des enfants à particularité : enfants grands, malades
ou handicapés. Une célibataire dont le projet est récusé par un organisme autorisé pour
l'adoption et qui ne souhaite pas adopter un enfant à particularité sera la proie toute
désignée pour un intermédiaire mafieux, plaie de l'adoption dans quelques pays à risques.
Certaines candidatures de couples classiques sont aussi à risques et, sans être exhaustifs,
nous citerons les adoptions humanitaires, les adoptions réparation d'un secret familial, les
adoptions d'un couple chancelant, les enfants de remplacement après un décès. De plus, il
paraît souhaitable, même si l'adoption est avant tout le projet du couple, que la famille
élargie accepte l'adoption.
Notre expérience nous a appris à ne pas être favorables non plus à l'adoption contemporaine
d'une grossesse chez la mère adoptive, les conditions d'investissement de l'un des deux
enfants nous semblant à risque de ne pas être bonnes. Or il est à noter que dans l'expérience
de l'OAA de Médecins du Monde, la survenue d'une grossesse pendant l'attente de l'arrivée
d'un enfant adopté a concerné 15% des couples souffrant de stérilité primaire (observations
non publiées). Certains projets sans être découragés doivent être réfléchis : grands enfants,
enfants ayant vécu des ruptures affectives nombreuses, enfants des rues, enfants ayant
passé de longs séjours en établissements, enfants maltraités… Le jeune âge, n'est pas une
garantie d'absence de difficultés.
Dans nos consultations, certains pays pour lesquels on constate des incertitudes sur l'âge ou
d’ authentiques tricheries sont la cause de la majorité des soi disant pubertés précoces(
Choulot, Moustey, 2002)2. Nous craignons en particulier l'adoption d'un enfant non conforme
aux espoirs ou aux projets des parents : enfant grand pour des parents voulant un petit,
enfant dont le handicap ou la maladie ont été cachés, enfant ayant beaucoup souffert et à qui
on va trop demander, notamment sur le plan scolaire. De nombreux parents méconnaissent
la réalité de l'adoption : au Brésil, les enfants adoptables ont souvent la peau foncée, en
Bulgarie, la majorité des enfants confiés sont d'origine Tzigane…
L’ETAT DE SANTE DES ENFANTS
Dans de nombreux pays le niveau des soins ou de la prévention est médiocre et les
problèmes de santé sont fréquents, y compris ceux conduisant à un handicap définitif
(Béchillon, Choulot, 2001 ; Chicoine, Germain, 2003 ; Monléon, 2003). Pour la Russie, par
exemple, la qualité des informations médicales est variable et certains parents et médecins
sont déroutés par les dossiers des enfants en provenance de ce pays pour lequel le langage
médical n'a pas le même sens qu'en Europe occidentale.
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les pubertés précoces chez les petites filles adoptées, avec séquence dénutrition-renutrition et avance pubertaire
(développement des seins vers 7 ou 8ans ne nécessitant en général aucun traitement) nous semble tout à fait exceptionnelle. Le
plus souvent, dans notre expérience, il s’agit d’une incertitude, voire d’une tricherie délibérée, sur l’âge de l’enfant
Pour les enfants originaires des pays de l’Europe de l’Est, il n’est pas rare d’être confronté au
diagnostic de séquelles de foetopathie de mère alcoolique chez les enfants les plus jeunes. La
prévalence de l’hépatite B3, voire de la syphilis chez certains nouveaux-nés, est loin d’être
nulle, comme pour les enfants originaires d’Asie
En Amérique du Sud, l’état de santé des enfants est souvent bon et généralement les enfants
bien évalués sur le plan médical et psychologique, mais nous craignons les séquelles de
dénutrition de la première année, qui entraînent, même chez les enfants bien renutris par la
suite, un retard important du développement, avec microcéphalie.
En Afrique, on s’attachera particulièrement à rechercher des séquelles de dénutrition, on sera
vigilant sur les risques d’hépatite B et une électrophorèse de l’hémoglobine permettra de
dépister la drépanocytose, une maladie grave de l’hémoglobine entraînant un handicap
physique chronique.
Le sida est une maladie qui fait peur aux parents adoptifs, mais qui dans notre expérience a
rarement été diagnostiquée. Nous n’avons jamais été confrontés à des faux négatifs
(contrairement à ce qui se passe pour l’hépatite B) concernant la sérologie HIV, que nous
recommandons cependant à l’arrivée de l’enfant. La tuberculose n’est pas rare dans les pays
pauvres : une radiographie du thorax et intra-dermo réaction à 10 unités sont
indispensables, d’autant qu’il s’agit d’une maladie guérissable
Des symptômes d'ordre psychologiques ou psychiatriques sont fréquents tout au long de
l'enfance et lors de la puberté. Dans notre expérience ces troubles se rencontrent pour des
enfants même adoptés tôt. Cependant, à notre connaissance, il n'est pas possible de dire si
ces troubles sont réellement plus fréquents en cas d'adoption.
Certains sont des plus bénins : angoisse, troubles alimentaires simples, insomnie. D'autres
troubles sont sévères et imposent une prise en charge éducative, psychiatrique ou judiciaire.
Une série de troubles du comportement du jeune enfant sont accessibles à des prises en
charge : difficultés scolaires, hyperactivité, problèmes orthophoniques. Certains troubles très
graves ne sont pas spécifiquement liés à l'adoption, mais dans notre consultation nous les
rencontrons souvent dans ce cadre : délits, toxicomanie, manipulation, mensonge, échec
scolaire massif, violence et leurs conséquences sur l'ensemble familial.
Mais Il semble alors que ce soit le lien qui ne se soit pas réalisé convenablement entre
parents et enfants.
Résumé
La pratique régulière dans une consultation pédiatrique et psychologique recevant des
enfants adoptés nous conduit à avertir les parents candidats à l'adoption que la filiation
adoptive n'est pas toujours facile, il n'existe pas en France d'études sur l'avenir lointain des
familles adoptives. Il nous semble que l'information des candidats à l'adoption s'impose en
évitant les adoptions les plus à risques.
BIBLIOGRAPHIE
Béchillon (de) M, Choulot JJ Le guide de l'adoption. Paris: Odile Jacob; 2001
Chicoine J F, Germain P, Lemieux J L'enfant adopté dans le monde. Montréal: Editions de
l'hôpital Sainte-Justine; 2003
Choulot JJ, Brodier JM « Risques d'échecs des adoptions incontrôlées d'enfants étrangers »
Ann Pédiatr, 1993, 40: 638-8
Choulot JJ, Moustey B « Puberté précoce chez les fillettes adoptées. Une entité discutable. »
Concours Médical 2002;124:1216-8
Monléon(de) JV Naître là-bas, grandir ici, l'adoption internationale. Paris: Editions Belin 2003
Hjern A, Lindblad F, Vinnerljung B Suicide, psychiatric illness and social maladjustement in
intercountry adoptees in Sweden: A cohort study. Lancet 2002; 36: 443-8
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Actuellement, l’adoption internationale est la cause principale du portage chronique du virus B en France