Franchir les postes de contrôle en Palestine
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Franchir les postes de contrôle en Palestine
Déplacement Palestinien FMR 26 49 Franchir les postes de contrôle en Palestine par Sheerin Al Araj Atterir à Heathrow a été pour moi comme atterir à n’importe quel autre aéroport: j’ai dû répondre à beaucoup de questions, car le foulard que je porte me rends suspecte où que j’aille. C’est toujours moi que l’on choisit «au hasard» pour être questionnée. Le jour de mon arrivée, j’ai reçu un appel de ma famille. Je leur ai fait part de ma surprise: j’avais conduit pendant quatre heures sans qu’une seule fois on ne m’arrête ou on ne me pose de questions. Auparavant, j’étais co-directrice d’un projet qui mettait en contact des jeunes du Moyen-Orient, y compris des Palestiniens et des Israéliens, pour qu’ils parlent de leurs points communs et de leurs différences. Il y a deux réseaux routiers semiindépendents en Cisjordanie. Le premier est réservé aux Israéliens: il est sophistiqué, ses routes sont bien pavées, bien indiquées, bien allumées; le second est celui que nous devons utiliser: endommagé, plein d’ornières et congestionné. Chaque matin il fallait que je quitte mon domicile 90 minutes plus tôt que je ne l’aurais fait s’il n’y avait eu aucun obstacle sur la route de douze kilomètres qui me séparait de mon lieu de travail. L’humiliation subie était sans fin. Chaque jour voyait paraître une nouvelle mesure, un nouveau règlement ou un nouvel ordre militaire. Même une connaissance complète de toutes les astuces nécessaires pour traîter avec les soldats hostiles, qui croient qu’ils ont le pouvoir de faire tout ce qu’ils veulent, n’était d’aucune aide. Je savais qu’il fallait que j’essaie de me détendre, car se faire prendre à leur jeu et s’énerver ne serait d’aucun secours. Donner la «mauvaise» réponse pouvait causer un énorme problème, et pas seulement pour moi, mais pour toutes les personnes en train d’attendre derrière moi au poste de contrôle et pour tous les autres qui suivaient plus tard dans la journée. J’en ai vu beaucoup recevoir l’ordre de faire demi-tour parce qu’ils n’avaient pas les «bons» papiers ou parce qu’ils étaient au mauvais poste de contrôle. Souvent des personnes n’ont pas pu passer simplement parce qu’un soldat n’arrivait pas à lire leurs papiers. Nombre d’entre elles se sont fait passer les menottes ou bien battre pour avoir essayer de discuter la décision des soldats ou encore de comprendre, ou d’expliquer, quelque chose. Les hommes portant de longues barbes se faisaient insulter pendant que les soldats tiraient sur leur barbe. On demandait à certains de se déshabiller et de se soumettre à l’humiliation de se faire renifler par un chien. J’ai vu de nombreux jeunes hommes se faire envoyer à la jora (la fosse), un purgatoire en Cisjordanie, une sorte d’enclos où les Palestiniens peuvent attendre pendant des heures jusqu’à ce que les services de sécurité interne israéliens, le Shin Bet, les relâche sans charge. Une fois j’ai vu un homme suppliant en vain les soldats de le laisser passer afin qu’il puisse aller récupérer la dépouille de son fils à l’hôpital où celui-ci venait de mourir. Chaque jour, alors que nous Palestiniens étions en train d’attendre dans la chaleur accablante, les colons israéliens contournaient les postes de contrôle, roulant sur leurs voies spéciales dans leurs véhicules climatisés. De nombreux postes de contrôle ont développé leur propre économie du côté palestinien, où des vendeurs proposent de l’eau et des en-cas. Je fais partie des personnes chanceuses parce que je détiens une carte d’identité bleue de Jérusalem. Je suis une résidente permanente d’Israël - mais pas une citoyenne. Ma carte d’identité de Jérusalem me permet souvent de passer les postes de contrôle quand d’autres dans la file derrière moi reçoivent l’ordre de faire demi-tour. Esti Tsal/Machsomwatch En Palestine, je ne peux jamais conduire plus d’une demie-heure sans me faire arrêter à un poste de contrôle. Les soldats m’exaspèrent avec leurs questions et leurs procédures, qui sont toujours et encore les mêmes. Ils n’accordent aucune valeur au temps d’un Palestinien. Chez moi et au sein de ma communauté les gens me regardaient bizarrement, parce que j’étais différente: une femme musulmane militant pour la paix, prenant le volant tous les jours pour aller travailler à la construction d’une paix qui ressemblait de plus en plus à une illusion et à une perte de temps. Le pire cauchemar pour moi c’était ce changement d’environnement soudain quand je rentrais chez moi. Je n’avais nulle part d’autre où aller et donc j’attendais dans ma voiture, au poste de contrôle, espérant qu’un miracle se produise. Cela ajoutait aux pressions quotidiennes de ma vie. Je vis dans une société traditionnelle et conservatrice. Je pouvais lire les reproches silencieux dans les yeux des gens parce que j’étais restée dehors pendant de longues heures en compagnie d’étrangers, dans un environnement instable où tout peut arriver. Etudier ici, au Royaume-Uni - et finir par comprendre le régime des droits humains, ses mécanismes, ses succès et ses échecs - c’est quelque chose de frustrant. Il est maintenant plus clair pour moi que la Palestine, ou plutôt le peu qu’il en reste, se trouve dans une situation unique. Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies et les décisions de la Cour internationale de Justice ne servent à rien. Les réfugiés ne sont plus des réfugiés lorsqu’ils sont palestiniens. Nous sommes des étrangers dans notre propre pays. Sheerin Al Araj termine son Master au Centre des Droits de l’Homme de l’Université d’Essex. E-mail: [email protected] Les tourniquets au point de contrôle de Beit iba.