Etat des lieux de la nullité pour fausse déclaration

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Etat des lieux de la nullité pour fausse déclaration
ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Publication n° 19 JANV-FEV 2011
Etat des lieux de la nullité pour
fausse déclaration
intentionnelle de risques
S. Abravanel-Jolly
Mots clés : C. assur. art. L. 113-8. Conditions de la nullité. Preuve de la mauvaise foi
(oui). Preuve de l’incidence sur l’opinion du risque pour l’assureur (oui).
Par cinq arrêts rendus le 16 décembre 2010 (pourvois n° 10-13926, n° 10-10859, n° 1013517, n° 10-13768 et n° 10-12179), la deuxième chambre civile nous livre une jurisprudence
bien peu unifiée sur le prononcé de la nullité pour fausse déclaration intentionnelle de risques,
exigeant en principe, en application de l’article L. 113-8 du Code des assurances, outre de
prouver la mauvaise foi (le caractère intentionnel de la fausse déclaration du risque), d’établir
que la fausse déclaration intentionnelle a changé l’objet du risque ou en a diminué l’opinion
pour l’assureur (Cass. crim., 13 nov. 1986, n° 85-92104, RGAT 1987, p. 67, note J. Bigot ;
Cass. 1ère civ., 10 mars 1987, n° 85-14457, RGAT 1987, p. 391, note J. Bigot).
En tant que notions légales, ces deux éléments de preuve devraient être contrôlés par la Cour
de cassation. Pourtant, malgré deux décisions, rendues les 4 juillet et 13 septembre 2007,
manifestant une volonté de retour à un certain contrôle (Cass. 2ème civ., 4 juill. 2007, n° 0617568, RGDA 2007, p. 813, note S. Abravanel-Jolly ; Cass. 2ème civ., 13 sept. 2007, n° 0618175, RGDA 2007, p. 817 note S. Abravanel-Jolly), la Cour régulatrice montre plutôt sa
volonté d’abandonner le contrôle normatif du droit du contrat d’assurance, et de laisser la
mauvaise foi à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 15 juin 2000, n°
98-22087, RGDA 2000, p. 816, note A. Favre-Rochex). Il en va de même du contrôle,
souvent très bref voire inexistant, de l’appréciation de l’incidence de la fausse déclaration sur
l’opinion du risque.
En définitive, la Cour de cassation a pris l’habitude de se retrancher derrière le pouvoir
souverain du juge du fond, et ne lui demande souvent aucune explication lorsqu’il retient la
mauvaise foi. C’est ce qui résulte de nombreux arrêts qui rejettent les pourvois des assurés en
précisant que le juge du fond, après avoir énuméré certains mensonges effectivement commis,
« a implicitement mais nécessairement considéré que l’appréciation du risque avait été
modifiée pour l’assureur » (V. par exemple : Cass. 1ère civ., 13 nov. 2002, n° 99-19161,
RGDA 2003, p. 54, note L. Mayaux).
C’est dans la continuité de cette tendance laxiste, qu’ont été rendues trois des décisions, de
rejet, précitées du 16 décembre 2010. Constat d’autant plus regrettable que les deux autres, de
cassation, appliquent très rigoureusement les conditions posées par l’article L. 113-8 précité,
ce qui aurait pu laisser présager mieux.
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Au demeurant, s’agissant des décisions de rejet, dépourvues de rigueur, il apparaît que quand
la Cour exerce un minimum de contrôle ce n’est que sur une des notions légales précitées
(mauvaise foi, opinion du risque) et en plus pas toujours la même… ni avec la même
autorité… Ainsi, celle qui porte le numéro de pourvoi 10-10859 dénote certes un contrôle de
la mauvaise foi, mais une absence de contrôle de la recherche de l’incidence de la fausse
déclaration intentionnelle sur l’opinion du risque (1). Pour autant, la Cour de cassation
n’hésite pas à approuver les juges du fond d’en conclure à une fausse déclaration
intentionnelle de risque.
Ensuite, il ressort des décisions n°10-13517 et n°10-13926, que si la Cour ne contrôle pas du
tout la preuve de la mauvaise foi, elle vérifie, avec une autorité très relative, que la preuve de
l’incidence sur l’opinion du risque a été rapportée (2).
Enfin, en marge de cette jurisprudence approximative, la cohérence juridique est rétablie avec
les deux décisions, de cassation, n° 10-13768 et n° 10-12179, la Haute juridiction décidant
enfin d’exercer sa légitime censure au motif que les juges du fond, qui ont certes constaté la
preuve de la mauvaise foi, n’ont pas recherché en quoi la fausse déclaration intentionnelle
avait changé l’objet du risque ou en avait modifié l’opinion pour l’assureur (3).
1) L’arrêt de rejet n° 10-10859 : contrôle de la mauvaise foi mais absence de contrôle de
l’incidence sur l’opinion du risque
A propos de la souscription d’une assurance automobile, l’assuré a répondu, dans un
questionnaire téléphonique, qu’il exerçait la profession de fonctionnaire, que son mode de
garage habituel de nuit était un box fermé ou garage, et qu’il n’avait pas été assuré en tant que
conducteur habituel pour un véhicule au cours des 36 derniers mois. Or, toutes les réponses se
sont révélées mensongères, ce qui, comme le retient la cour d’appel à juste titre, constitue
bien la preuve du caractère intentionnel des fausses déclarations. En effet, constater que
l’assuré a menti ne peut que sous-entendre la mauvaise foi (V. les affaires relatives au
conducteur habituel : Cass. crim., 6 juin 1991, n° 90-83476, RGAT 1991, p. 817, note H.
Margeat et J. Landel ; Cass. crim., 13 janv. 1993, n° 92-83220, RGAT 1993, p. 582, note J.
Landel).
Malgré cette juste vérification de la mauvaise foi, la solution n’en est pas moins décevante et
critiquable, la Cour de cassation n’imposant pas, à l’instar des décisions désormais constantes
(V. pour une appréciation critique de cette jurisprudence : Cass. 2ème civ., 19 nov. 2009, n° 0817166, RGDA 2010, p. 67, note S. Abravanel-Jolly), aux juges du fond de procéder à la
deuxième vérification : rechercher l’incidence de ladite fausse déclaration intentionnelle sur
l’opinion du risque. Or, en l’espèce, si une telle recherche avait été menée, la conclusion
aurait été sans appel : la fausse déclaration intentionnelle modifiait à l’évidence l’opinion du
risque. En effet, il est admis qu’en assurance automobile la prime est étroitement liée,
notamment à l’usage du véhicule (déclaré pour des déplacements privés alors qu’il a été
utilisé à titre professionnel : Cass. 1ère civ., 22 juill. 1986, n° 84-17413, RGAT 1986, p. 560,
note F. Chapuisat), ou encore à la qualité de fonctionnaire du conducteur (Cass. 1ère civ., 8
nov. 1994, n° 92-10337, RGAT 1995, p. 34, note L. Mayaux), sans parler de la personne du
conducteur habituel où il est admis de façon générale qu’il s’agit d’un élément qui influe sur
l’opinion du risque (V. par exemple : Cass. crim., 6 juin 1991, n° 90-83476, préc.).
2) Les arrêts de rejet n°10-13517 et n°10-13926 : absence de contrôle de la mauvaise foi
mais contrôle de l’incidence sur l’opinion du risque
L’affaire n° 10-13517 concerne, comme la précédente (n° 10-10859), une fausse déclaration
sur l’identité du conducteur habituel. Pourtant, cette fois, la cour d’appel ne fait aucune
référence à la preuve de la mauvaise foi. A cet égard, si la plupart du temps on a vu que le
mensonge sous-entend la mauvaise foi (Cass. crim., 6 juin 1991, préc. ; Cass. crim., 13 janv.
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1993, préc.), en l’espèce l’assuré prétend que l’assureur a eu connaissance de l’identité du
conducteur habituel lors d’une déclaration de sinistre, ce qui aurait pu être admis, au mieux
comme faisant disparaître la mauvaise foi de l’assuré (Lamy Assurances 2010, n° 349), ou, à
défaut, comme imposant aux juges du fond une motivation minimum.
Rien de tel, au contraire, les juges retiennent carrément la nullité totale du contrat sans
distinguer entre les garanties, en l’occurrence de vol et de responsabilité civile, au motif que
« cette fausse déclaration, en conduisant l’assureur à donner sa garantie moyennant un tarif
plus avantageux, avait modifié l’opinion que l’assureur pouvait avoir du risque de vol ». La
décision se réfère à l’incidence sur l’opinion du risque, mais elle est laconique et la Cour de
cassation s’abstient de tout contrôle. Ce faisant, elle adopte une position très contestable …
En effet, depuis 1996, la Cour de cassation a exposé le principe qu’il convient désormais
d’appliquer : « en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle faite par l’assuré à
l’occasion de la souscription d’une police garantissant plusieurs risques distincts,
l’appréciation de la portée, en ce qui concerne l’assureur, de cette réticence ou fausse
déclaration, doit se faire par rapport à chaque risque en litige, mais indépendamment des
circonstances du sinistre » (Cass. 1ère civ., 3 janv. 1996, n° 93-18812, RGDA 1996, p. 74,
Rapp. M. le conseiller P. Sargos). En conséquence, si le juge estime que la fausse déclaration
n’a eu d’incidence que sur l’un des risques garantis par le contrat, seule la garantie de ce
risque est atteinte par la nullité. Le contrat demeure donc valable pour ce qui est des autres
risques. Sur ce fondement, le juge du fond voit sa décision cassée s’il se borne à indiquer
qu’en cas de fausse déclaration intentionnelle, lorsque la police couvre plusieurs risques
distincts, la nullité s’applique à la totalité du contrat (Cass. 2ème civ., 21 oct. 2003, n° 0112295, Lamyline). A cet égard, l’analyse in abstracto est écartée au profit de l’analyse in
concreto. Le juge du fond se trouve alors tenu de rechercher si, dans l’espèce qui lui est
soumise, cette inexactitude a pu ou non disposer d’une influence sur le risque litigieux (Lamy
Assurances 2010, n° 259). Il a ainsi été jugé que la fausse déclaration sur l’identité du
conducteur habituel peut avoir une incidence sur le risque de vol, s’agissant d’un jeune
conducteur, réel conducteur habituel, moins expérimenté que son père, conducteur habituel
déclaré (Cass. 2ème civ., 2 avr. 2009, n° 08-12942, Resp. civ. et assur. 2009, comm. 196, note
H. Groutel).
En l’espèce, on aurait pu admettre que la fausse déclaration litigieuse ait une incidence sur le
risque de vol si, par exemple, le conducteur réel se sert du véhicule dans des lieux où ce
risque est plus intense que là où le conducteur habituel déclaré réside. Un tel motif aurait été
convaincant, mais celui retenu par la cour d’appel, selon lequel « la fausse déclaration en
conduisant l’assureur à accorder sa garantie moyennant un tarif plus avantageux a modifié
son opinion du risque de vol », n’est pas du tout explicite.
A cet égard, les motifs retenus dans l’affaire n°10-13926 sont beaucoup plus cohérents. Alors
que, là encore, la Cour de cassation n’impose aucune recherche de la mauvaise foi, pourtant
délaissée par les juges du fond, elle procède néanmoins au contrôle de l’incidence de la fausse
déclaration intentionnelle sur l’opinion du risque.
En l’espèce, l’assuré a fait une fausse déclaration de risques en répondant par la négative à la
question de savoir s’il avait fait l’objet d’une résiliation par son précédent assureur, alors que
son contrat antérieur avait été résilié. La Cour de cassation approuve à juste titre les juges du
fond d’avoir constaté que la déclaration a changé l’opinion du risque pour l’assureur, qui
« n’a pu se rendre compte de la portée de l’engagement qu’il prenait en contractant avec un
assuré qui n’avait pas payé ses précédentes primes … qu’il n’aurait pas accepté de le
garantir s’il avait su que son contrat antérieur avait été résilié ». La solution est opportune
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mais mal fondée, d’ailleurs elle remet en cause la jurisprudence (V. en ce sens : Lamy
Assurances 2011, n° 266).
Ainsi, dans un cas semblable, mais relatif à la résiliation par un précédent assureur d’un
contrat d’assurance automobile, il a, contrairement à la présente espèce, été jugé que
« manque de base légale l’arrêt qui annule un contrat, au motif que l’assuré s’est
volontairement abstenu de faire connaître à l’assureur la résiliation pour sinistre du
précédent contrat, sans rechercher si cette abstention avait eu pour conséquence de diminuer
l’opinion du risque pour l’assureur » (Cass. 1ère civ., 26 févr. 1991, n° 89-14187, RGAT
1991, p. 330, note H. Margeat et J. Landel). Et, de façon encore plus nette, la Cour de
cassation a affirmé, toujours à propos d’une assurance automobile, que le fait que l'assuré soit
un mauvais payeur peut évidemment disposer d'une incidence sur la décision de l'assureur,
mais il ne touche pas directement le risque couvert : « au sens de l'article L. 113-2 du Code
des assurances, cette circonstance n'a pas d'incidence sur l'opinion que l'assureur peut se
faire de ce risque précis » (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991, n° 89-14.229, RGAT 1991, p. 331,
note J. Bigot ; Cass. 1ère civ., 24 avr.1979, n° 77-15.028, RGAT 1980, p. 46, note A. Besson).
Cette solution, constante depuis 1991, empreinte de cohérence au regard de la lettre de
l’article L. 113-8, la nullité ne pouvant être envisagée que si la fausse déclaration de risque
modifie l’objet du risque ou en modifie l’opinion pour l’assureur. Par conséquent, comme en
l’espèce, pour ces cas de fausse déclaration concernant une résiliation par un précédent
assureur pour défaut de paiement des primes, s’il est bien évident qu’il en résulte un impact
sur le consentement éclairé de l’assureur, trompé sur la personne de son contractant, en
revanche cela n’a pas d’influence sur le risque garanti, élément objectif seul susceptible d’être
pris en compte par le texte spécial de l’article L. 113-8.
Ainsi, en l’espèce, la décision aurait pu être fondée, non pas sur le texte spécial de l’article L.
113-8, mais, s’agissant dans cette affaire d’une fausse déclaration commise dans l’intention de
tromper l’assureur, en application du droit commun des contrats, au visa de l’article 1116 du
Code civil qui admet la nullité pour dol. Cette possibilité a d’ailleurs été admise par plusieurs
arrêts, dont l’un a même relevé que l'article L. 113-8 du Code des assurances précise luimême que c'est « indépendamment des causes ordinaires de nullité » que « le contrat
d'assurance est nul » (Cass. 1ère civ., 29 avr. 1997, n° 95-15.724, RGDA 1997, p. 733, note L.
Mayaux).
3) Les arrêts de cassation n° 10-13768 et n° 10-12179 : la cohérence juridique rétablie
Dans l’affaire n° 10-13768, est en cause une fausse déclaration de risques résultant d’une
réponse négative de l’assuré à la question de savoir s’il a été atteint d’un lumbago, alors qu’il
avait été traité pour cette affection. Les juges du fond constatent la mauvaise foi de l’assuré au
motif, fondé, « qu’il ne pouvait ignorer le sens du diagnostic de lumbago, ni le traitement
subi », mais se contentent de ce motif pour prononcer la nullité du contrat d’assurance,
encourant alors une censure inévitable, et enfin exercée, par la Cour de cassation, pour n’avoir
pas recherché « en quoi la fausse déclaration intentionnelle a changé l’objet du risque ou en
a modifié l’opinion pour l’assureur ».
La cohérence juridique est encore rétablie dans la décision n° 10-12179, relative à une fausse
déclaration sur l’hypertension artérielle de l’assuré, connue de lui, et pour laquelle il avait été
traité. Si les juges du fond prononcent la nullité en relevant, certes à juste titre, que l’assuré
« ne pouvait de bonne foi choisir de déclarer sur l’honneur ne pas avoir été atteint », la Cour
de cassation les censure très justement car un tel motif n’est pas suffisant pour prononcer la
nullité du contrat d’assurance : « en statuant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser
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en quoi la fausse déclaration intentionnelle avait changé l’objet du risque ou en avait
diminué l’opinion pour l’assureur ».
Par ces deux décisions de cassation, la Cour de cassation réaffirme une volonté de contrôle
tout à fait légitime, à l’instar des solutions précitées des 4 juillet et 13 septembre 2007.
Toutefois, il faut déplorer que les trois autres décisions, de rejet, révèlent une démarche
beaucoup trop hésitante et laxiste. En tout état de cause, la Cour de cassation doit veiller à
contrôler les deux notions légales : la nullité du contrat d’assurance ne peut être valablement
prononcée que lorsque sont dûment rapportées les preuves : de la mauvaise foi de l’assuré, et
de l’incidence de sa fausse déclaration intentionnelle sur l’opinion du risque pour l’assureur.
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