Girl from Rio Branco : Marina Silva peut-elle gagner

Transcription

Girl from Rio Branco : Marina Silva peut-elle gagner
Défricheurs du social
Posté le 25 septembre 2014 par Nicolas Fleury
Girl from Rio Branco : Marina Silva peut-elle gagner les présidentielles
brésiliennes grâce à l’éducation (et à l’écologie) ?
Ce billet propose une introduction aux questions d’éducation au Brésil à l’occasion des
présidentielles brésiliennes prochaines et la montée dans les sondages de la candidate pour le
parti socialiste brésilien, Marina Silva
Le Brésil : 3 faits stylisés marquants
Le Brésil est un des pays « émergents » du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du
Sud) et a connu une forte croissance sur les 15 dernières années (cf. figure 1). En particulier, les
politiques menées lors deux mandats de Luiz Inácio Lula da Silva (dit Lula) ont eu des effets
redistributifs qui ont permis de réduire les inégalités et la pauvreté et de favoriser la croissance (voir
l’article de Pierre Salama, 2010). Malgré cela, le Brésil reste un des pays les plus inégalitaires au
monde (World Bank, 2004) : ainsi, le top 10% des revenus du pays a touché 43.1% des revenus de
2009 (voir ce travail récent sur la question).
Figure 1
Le très fort déficit éducatif brésilien explique sans doute une part importante du niveau d’inégalités
dans le pays. En particulier, les taux de scolarisation mesurés de 3 à 29 ans demeurent faibles au
Brésil (qui a un statut de partenaire de l’OCDE) et en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE
(source pour toutes les données d’éducation : OCDE, Education at Glance, ed. 2014). Le pourcentage
de la population des 25-64 ans ayant atteint un niveau secondaire supérieure (niveau baccalauréat)
s’établit à 32% ce qui est bien inférieur à la moyenne de l’OCDE (44%) et surtout, les qualifications de
niveau supérieur représentent seulement 13% des 25-64 ans (contre 33% en moyenne dans l’OCDE).
Tout aussi préoccupant reste la part de la population des jeunes brésiliens en situation de « NEET »
(neither employed nor in education or training, ni en formation ni en emploi), significativement
supérieure à la moyenne de l’OCDE. Ces performances médiocres ne doivent pas cacher un
investissement public dans l’éducation élevé et en augmentation : les dépenses d’éducation ont crû
fortement au Brésil dans les années 2000 s’élèvent à 6,1% du PIB en 2011 (ce qui est au-dessus de la
moyenne de l’OCDE [5,6 en 2011]).
Défricheurs du social n° 53
Demande sociale d’éducation et élections présidentielles
Après l’attribution de la Coupe du monde de football 2014 au Brésil, les critiques se sont élevées
pour atteindre leur paroxysme en 2013 et 2014 : à l’occasion de grandes manifestations dans tout le
pays, la demande de plus d’argent pour l’éducation et la santé était centrale, en perspective des
milliards de dépenses allouées par le Brésil à l’organisation de l’évènement de la FIFA (voir des
critiques plus générales sur l’organisation internationale ici). En particulier, la nécessité de l’accès des
jeunes des favelas à l’éducation en général, à l’éducation dès la petite enfance en particulier et aux
services de santé reste un problème majeur (the Rio Times, August 2014). L’œuvre emblématique de
Paulo Ito qui a connu un succès fulgurant au milieu de l’année (notamment sur les réseaux sociaux) a
sans doute bien synthétisé la demande sociale qui s’est incarnée dans les manifestations :
Figure 2
Oeuvre de street art de Paulo Ito (2014)
Les résultats économiques et sociaux du mandat de Dilma Roussef sont souvent jugés décevants. La
croissance économique du Brésil s’est essoufflée depuis 2010 (cf. figure 1). La croissance s’annonce
très faible en 2014, handicapée par une baisse des investissements (le premier trimestre est même
marqué par une récession). De plus, le programme d’éradication de la grande pauvreté (central dans
l’élection de Dilma Roussef) génère des résultats positifs mais limités en termes d’éducation ou de
santé.
C’est dans ce contexte que l’élection présidentielle brésilienne du 5 octobre 2014 (assortie
d’élections régionales et législatives) voit s’affronter 2 principaux candidats (si on met de côté Aécio
Neves pour le parti social-démocrate, loin derrière en intentions de votes - fin Août 2014) :
- la présidente sortante Dilma Roussef (du Parti des Travailleurs, ayant succédé à Lula). Elle
veut réduire l’inflation, poursuivre les programmes sociaux et de santé comme la Bolsa
Familia et Mais Médicos, et augmenter le salaire minimum. Au niveau de l’éducation, la mise
en place du plan national d’éducation décennal (voté en juin 2014), plus de places en crèche,
et une meilleure formation et salaires pour les professeurs sont des axes clés. Sur le plan de
l’écologie, elle veut notamment encourager l’usage des énergies renouvelables et
développer le recyclage.
- Marina Silva (écologiste, investie pour le Parti socialiste suite au décès accidentel du
candidat Edouardo Campos en Août 2014), issue du parti écologiste et à la vie encore plus
romanesque que Lula (issue d’une famille pauvre de Rio Branco, dans l’Etat d’Acre) et aux
positions généralement progressistes mais aussi parfois conservatrices. Elle souhaite
notamment lever les taxes sur l’investissement, réduire l’inflation (en accordant une plus
grande indépendance à banque centrale, en limitant le soutien au real, et en procédant à des
coupes budgétaires en épargnant et favorisant les programmes sociaux comme la Bolsa
Familia), continuer et approfondir les programmes sociaux, développer les investissements
dans la santé et promouvoir l’éducation (consacrer 10% du PIB à l’éducation mais également
Défricheurs du social n° 53
2
10% à la santé, améliorer l’accès à l’enseignement supérieur, augmenter le salaire des
professeurs), mais aussi privilégier l’investissement dans des sources d’énergies propres
(solaire et éolien).
Et maintenant ?
En plus des résultats mitigés des politiques menées par Dilma Roussef, les accusations de corruption
concernant certains de ses proches ou certains députés sont allées bon train durant son mandat et
n’ont pas manqué de réduire les intentions de vote et pourront peser dans les décisions des
électeurs brésiliens (voir la dernière suspicion en date présentée ici). Au coude à coude au premier
tour avec Dilma Roussef, Marina Silva est actuellement donnée gagnante au second tour (47% contre
43% des intentions de vote, sondage réalisé par Datafolha le 9 septembre 2014), sans doute
expression d’un important rejet populaire grandissant du Parti des Travailleurs malgré l’empreinte de
l’emblématique Lula.
Figure 3
Expression populaire à Salvador de Bahia (septembre 2014)
La place de l’éducation dans le débat présidentiel a été accentuée avec la signature le 26 juin 2014
(après 4 ans de débat) par Dilma Roussef d’un nouveau plan éducatif décennal qui vise un objectif de
dépenses d’éducation à 10% du PIB. Ce plan est assorti de 20 objectifs et d’un ensemble de stratégies
visant à rendre ce programme efficace (the Rio Times, August 2014). Il est déjà critiqué par nombre
d’observateurs pour son affichage quantitatif favorisé assorti d’incertitudes sur les conditions de son
efficacité : en particulier, faute de pédagogies ou d’encadrement adapté, le risque que ce nouveau
programme soit un éléphant blanc est avancé par de nombreux détracteurs.
Les différences entre les programmes de Dilma Roussef et de Marina Silva ne sont pas flagrantes à la
lecture : la personnalité des candidates autant que leur action politique antérieure seront
primordiales dans les décisions des électeurs. Marina Silva semble posséder un atout significatif : elle
fut ancienne ministre de l’environnement de Lula de 2003 à 2008 mais démissionna suite à des
désaccords avec le président et le gouvernement sur de nombreux dossiers liés au développement
durable (en particulier : barrages hydroélectriques, ogm, agrocarburants). Son travail pour la défense
de l’environnement (lutte contre la déforestation) et la justice sociale en tant que députée de d’Acre
puis sénatrice de l’Amazonie n’est pas non plus passé inaperçu, après sa participation à la création et
la direction du syndicat Centrale Unique des Travailleurs (proche du Parti des Travailleurs à l’époque)
de l’Etat d’Acre avec Chico Mendes (icône de la défense de l’Amazonie et militant pour la réforme
agraire). La perception des piliers du programme de Marina Silva (économie équilibrée avec
l’écologie, éducation) et sa personnalité seront-ils à même de séduire les électeurs brésiliens le 5
octobre ?
Défricheurs du social n° 53
3