PROPOS SUR LES ELECTIONS

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PROPOS SUR LES ELECTIONS
PROPOS SUR LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES
DU PRINTEMPS 2012
Jean-Luc Sauron
Professeur associé à l’Université Paris-Dauphine, Président de l’Association des Juristes Européens
Membre du Comité scientifique de l'Institut du Bosphore
05.12.2011
Les conditions dans lesquelles se dérouleront les élections présidentielles du printemps 2012
présentent une incertitude rare au moment où est écrite cette modeste note.
Cette incertitude trouve son origine essentiellement dans les bouleversements de la crise de la zone
euro et plus largement, la crise de la construction européenne que nous traversons. Récemment, dans
une conférence à Bourg-la-Reine le 14 novembre dernier sur "la crise et l'euro", Jean -Pierre Jouyet
(président de l'AMF) indiquait que s'il était en capacité de prévoir ce qui se déroulait jusqu'à la fin
décembre, il n'en avait aucune idée pour l'année 2012. Il s'est contenté d'avancer, qu'à son sens, les
élections présidentielles se dérouleraient dans un contexte si différent de celui qui prédominait
actuellement (novembre 2011) que tout devenait possible. Ces propos d'un observateur d'une rare
intelligence et qui ne parle pas "en l'air" peuvent inquiéter.
Sans avoir la prétention d'être aussi bien informé ni aussi savant que Jean-Pierre Jouyet, je vous
présente quelques réflexions ou pistes de réflexions sur lesdites élections.
Tout d'abord, il est de tradition dans les commentaires sur les élections présidentielles d'affirmer
qu'elles ne se gagnent pas sur les performances du Président de la République sortant en matière de
politique étrangère, politique étrangère qui est censée ne pas peser sur le choix des électeurs français
dans ce type d'élections. Les élections présidentielles du printemps 2012 pourraient bien être la
première élection présidentielle française dont les débats et l'issu seront alimentés par la
mondialisation dans ses aspects politiques, financiers et économiques.
Or que pouvons-nous constater ? Les enjeux européens dominent le "vingt heure" des journaux
télévisés et les "unes" des journaux. Il est par trop optimiste de penser que cette crise, commencée en
juillet 2008, connaîtra sa solution lors du Conseil européen des 8 et 9 décembre (voire 10 et 11
décembre). Cette situation demande à tous les partis de se positionner clairement sur les solutions à y
apporter. Le débat en cours oppose deux tendances lourdes: ceux qui pensent que le cadre national
est celui qui donne les cartes pour se "refaire", et ceux qui considèrent que, seul, le cadre européen
permet de donner les moyens et marges de manœuvre nécessaires. Dans les deux cas, il s'agit de
choisir la meilleure porte d'entrée dans la mondialisation, nationale ou européenne.
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Je ne rentre pas dans les débats sur la nature des stratégies à suivre (traité ou non, convention bi-ou
multilatérale, contenu des modifications). En revanche, il est important de comprendre que la
problématique concernée par ce questionnement touche à la nature et à la portée du lien
démocratique au sein des Etats membres, des 17 (zone euro) ou des 27 (Union européenne entière).
Ce point est important à voir en ce qu'il permet d'affirmer que la campagne présidentielle du
printemps 2012 pourrait être l'occasion de faire ressurgir le clivage du débat référendaire de mai
2005.
Ainsi, selon un sondage TNS-Sofres I-télé réalisé à l'occasion du discours de Toulon et rendu public
vendredi 2 décembre, "le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel qui semble se rejouer ici avec
une question qui traverse et divise aussi bien à droite qu'à gauche". Les hommes (54%), les plus de 50
ans (51%) et les cadres (58%) défendent le principe de solidarité alors que les femmes (45%), les moins
de 35 ans et les catégories populaires (50%) souhaitent majoritairement que chaque Etat s'occupe de
sa propre situation nationale."
Cette situation est très préoccupante et ceci pour deux raisons. Tout d'abord, en ce qu'en focalisant
l'opinion publique sur la soit-disante responsabilité de l'Union européenne dans les efforts demandés
aux Etats membres de l'UE, elle empêche l'opinion publique française de prendre conscience du
caractère interne à la France de l'origine de la situation financière et budgétaire que nous
connaissons. Les budgets français sont en déséquilibre permanent depuis 1974 et les modifications
nécessaires de l'appareil de production pour améliorer sa compétitivité ont ou non pas été menées par
les gouvernements français successifs toutes tendances confondues. La situation financière favorable
offerte par l'appartenance à la zone euro a, sans doute, retarder l'heure de la restructuration, mais elle
n'est à l'origine ni de nos déficits, ni de notre désindustrialisation. Mais l'écran bruxellois (débat sur les
modalités de consolidation de la zone euro) risque de déplacer le débat politique du pourquoi (en
sommes-nous là et les solutions de politiques publiques et industrielles à appliquer) au comment
(niveau national ou niveau européen de la solution). Bref, les politiques français vont encore fuir le
débat sur la nature de la production de la valeur ajoutée en France pour se concentrer sur les
modalités de la répartition (éventuelle) de ladite valeur ajoutée.
De plus, le positionnement du débat, proche de la configuration de 2005 opposant souverainistes et
européistes, peut faire entrer la cartographie politique prévisible aujourd'hui (second tour UMP/PS)
dans une toute autre configuration. Pourquoi ? Le bouleversement pourrait venir de l'alliance des
extrêmes (Marine Le Pen, Nicolas Dupont Aignan, d'un côté; Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre
Chevènement et Arnaud Montebourg) sur une ligne souverainiste, démondialiste et refusant la remise
en cause des acquis sociaux, face à un "centre du cœur de l'échiquier politique" (du centre du PS, les
Verts, les Centres jusqu'au centre de l'UMP) sur un discours européen, libre-échangiste régulé et
reconstruction de la distribution de la valeur ajoutée. Une constellation dans laquelle les extrêmes
frappent avec un même angle d’attaque mais sans programme de gouvernement ce "centre de
l'échiquier politique" qui, prisonnier de la concurrence électorale pour le poste de président de la
République, est dans l'incapacité d'afficher des convergences .
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Mais une autre surprise peut venir de "l'européanisation" des réactions des opinions publiques en
Europe. Partout, se renforcent des populismes à la fois très souverainistes et à la fois défenseurs des
acquis sociaux des "indigènes" (Pays-Bas, Belgique, Finlande Autriche, Danemark, Suède). Mais une
autre tendance s'affirme : celle de gouvernement d'union nationale (Grèce, Italie) qui répondent à
l'angoisse des peuples européens face à ce qui apparaît comme un avant-goût de crise économique
durable et importante. La crainte de "la décennie perdue" se diffuse dans tous les Etats membres.
L'idée que je vais vous soumettre paraitra sans doute saugrenue à beaucoup, mais la configuration
mentale de nos concitoyens pourrait les amener soit à une telle division que la France deviendrait
ingouvernable (schéma d'un remake de 2005), soit à un choix de gouvernement d'union nationale
forçant la main aux partis politiques français. Comment ? Deux possibilités s'offrent : soit celle d'une
cohabitation dès le départ, c'est-à-dire après l'élection d'un Président d'une couleur le choix d'une
représentation nationale d'une autre couleur; soit des résultats aux législatives qui ne permettent pas
de s'appuyer sur une majorité claire et conduisant à un gouvernement de coalition. La thématique de
l'union nationale nécessaire qui commence à poindre dans les discours pourrait être reprise
"inconsciemment" par un électorat qui est déboussolé et ne comprend plus les données du problème.
Enfin, dernier élément pouvant peser très fortement dans les débats présidentiels du printemps 2012,
l'arrivée au pouvoir des partis islamistes dans d'anciens protectorats français (Tunisie, Maroc) ou en
Libye et dont l'accession a été soutenue par l'actuelle équipe gouvernementale. Le débat monte sur le
renforcement de régimes "islamistes" véhiculant des valeurs peu compatibles avec la démocratie telle
qu'elle est vécue par les Français (laïcité, égalité homme/femme). Cette crispation peut peser sur les
échanges des candidats à la présidentielles tant sur le domaine de l'attribution du droit de vote aux
étrangers (mythe de bi-nationaux "infiltrant" les conseils municipaux et cherchant à renforcer la place
de l'Islam en France), que sur les conditions d'attribution de la nationalité notamment aux personnes
originaires d'Afrique du nord. Cette problématique peut, en nourrissant le renfermement de la partie
la plus en difficulté des électeurs, conforter par ricochet la montée d'un souverainisme rouge-brun, la
thématique "laïque" couvrant les deux extrêmes.
Cette situation renforcerait la première branche de l'alternative précédente, c'est-à-dire
"l'ingouvernementabilité" de la France.
Mes modestes réflexions ne visent qu'à permettre de lancer le débat et n'ont aucune autre prétention.
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