Une campagne présidentielle trop tôt partie

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Une campagne présidentielle trop tôt partie
point de vue
Une campagne présidentielle trop tôt partie
Franck Dubray
Les conditions dans lesquelles se déroule l'actuelle campagne électorale présidentielle donnent à
penser. La France doit à sa géographie et à la violence de son histoire d'être le pays le plus divisé
d'Europe et par conséquent le plus difficile à gouverner.
Depuis la Révolution, elle n'a pas vraiment trouvé en elle-même un consensus durable et profond sur
la manière de choisir le patron. Alternant empereurs, rois et Républiques, elle a changé treize fois de
Constitution en 200 ans.
C'est à Charles de Gaulle, grâce à l'énorme charisme que lui avait valu sa conduite durant la Seconde
Guerre mondiale et qu'il a pu utiliser pleinement à l'occasion de celle d'Algérie, que nous devons
l'actuelle Constitution.
Sa durée est exceptionnelle : 48 ans maintenant. Mais elle a ses étrangetés. Bien qu'ayant un
Président aux pouvoirs considérables, la France garde un Premier ministre qui est à la fois chef du
gouvernement, chef de l'Administration et chef de la majorité parlementaire. Elle ne peut donc être
représentée de manière pertinente dans les négociations et conférences internationales que par deux
personnes ensemble, alors que toutes les autres nations du monde se contentent d'une seule. De
plus, l'élection présidentielle tend à occulter largement l'importance des autres, législatives ou
sénatoriales. Tout cela a quand même tenu honorablement quelques décennies.
L'omniprésence des médias et leur formidable pression sur l'opinion sont en train de changer les
choses, sur au moins deux points.
Le premier vise l'organisation même de la campagne. La loi prévoit pour cette campagne une durée
de deux mois, alors que tous nos voisins se contentent de cinq ou six semaines. De plus, tous ceux
qui sont partis trop en avance ont échoué : Poher, Chaban Delmas, Balladur, Barre ou moi-même, il
était donc impératif de ne pas commencer la campagne avant le début 2007.
Mais les médias ne l'ont pas voulu ainsi et, cette fois-ci plus qu'avant, ils ont fait le calendrier. Nous
sommes dangereusement et inutilement en campagne depuis six mois par leur volonté ce qui leur
permet, en outre, de choisir les candidats. Sans vouloir nier les qualités de quiconque, je me borne à
remarquer que ce changement majeur peut comporter quelques dangers.
Le second point est que pendant cette année de précampagne, où les candidats susceptibles de
gagner réservent leur candidature, seuls sont connus les candidats sans chance qui bénéficient ainsi
d'une formidable publicité gratuite. L'élection change dès lors de nature. Avant d'être le choix du
patron, elle est l'étalonnage de toutes les sensibilités politiques du pays qui représentent au moins 2
% de l'électorat.
La chance d'un candidat d'arriver premier ou second et de figurer par-là même au tour décisif ne
dépend plus guère de son programme, mais seulement du degré d'explosion politique de son propre
camp.
À droite, dans le grand attrape-tout que constitue l'UMP, le système privilégie un candidat et un seul
au mépris de toute procédure collective. À gauche, en revanche, la dispersion autorise le système à
valoriser les chances de deux trotskystes, un ou une communiste, une Verte un ou une radical(e) et
au moins un socialiste.
Tout cela suffit. La France est trop sérieuse pour jouer son destin aux dés. Le détournement de
procédure qui transforme l'élection présidentielle en jeu de hasard.
Comme je ne pense pas qu'il soit possible de détourner les médias de ce jeu de massacre, le seul
moyen est de désacraliser l'élection présidentielle, soit en ne laissant que des pouvoirs symboliques
au Président, le gouvernement faisant enfin complètement son métier, soit en faisant élire le Président
par le Parlement réuni en Congrès. La classe politique française tout entière a ici une responsabilité
majeure.
(*) Député européen, ancien Premier ministre

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