Destin de femmes

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Destin de femmes
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Destin de femmes
Denis Mazeaud
À
ma droite un conte de
fées. À ma gauche un film
d’horreur. Pour la première, une vie de rêve :
successivement, première
femme aux commandes d’une firme
internationale d’avocats d’affaires, ministre de l’Économie et directrice du
Fonds monétaire international. Pour la
seconde, une vie cauchemardesque : mari violent, qui
la roue de coups, et violeur familial.
« Et soudain, c’est le drame… ». L’une, pour avoir,
au temps où elle évoluait sous les ors de la République,
donné son accord à la procédure d’arbitrage dans l’affaire Tapie et renoncé à exercer un recours en nullité
contre la sentence arbitrale, est poursuivie de détournement de fonds publics, devant la Cour de justice de
la République. L’autre, après avoir subi une énième
séance de coups, tue froidement son bourreau de trois
coups de fusil dans le dos.
Christine Lagarde est reconnue coupable de négligence par la Cour de justice de la République qui
retient sa responsabilité pénale, mais la dispense de
peine. Jacqueline Sauvage est condamnée à deux reprises successives par deux cours d’assises différentes à
dix ans de réclusion criminelle, mais le président de la
République, après une grâce partielle, lui accorde finalement une grâce totale.
Indignation dans l’opinion publique face à l’indulgence dont la Cour a fait preuve à l’égard de l’exministre. Une pétition est même lancée pour que la
ministre soit jugée devant une juridiction ordinaire...
On brandit La Fontaine, « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », pour vilipender cette décision
de complaisance. Irritation des milieux
juridiques et judiciaires contre la grâce
présidentielle dans l’affaire de la criminelle sauvagement battue pendant des
années. Le président de la République est
accusé d’avoir cédé à la pression de l’opinion publique, (une pétition avait ici
aussi été lancée en faveur de la condamnée), et des féministes, et d’avoir ainsi
porté « le coup de grâce à la justice », selon un célèbre
blogueur, ancien magistrat.
En prenant un peu de distance avec les réactions
partisanes inspirées par des considérations politiques,
deux questions méritent simplement d’être posées
ici et là. D’une part, les conditions de la dispense de
peine et de la grâce présidentielle étaient-elles ou non
réunies, dans ces deux affaires ? Dans l’affirmative,
mais chacun en jugera, il est tout simplement démagogique d’opposer le Droit et la Justice. D’autre part,
cette juridiction et cette mesure de faveur doivent-elles
demeurer dans notre arsenal juridique ? Convient-il
de maintenir la Cour de justice de la République, juridiction d’exception dont l’histoire démontre qu’elle
fait toujours preuve d’un laxisme récurrent, à tel point
que ceux qui soutiennent que les ministres ne sont pas
vraiment des justiciables comme les autres n’ont pas
tort ? Faut-il en finir, avec la grâce, cette survivance
de l’Ancien Régime, qui foule du pied le principe de
la séparation des pouvoirs en permettant au chef de
l’exécutif de prendre l’exact contrepied d’une décision
de justice, voire de plusieurs comme dans l’affaire Sauvage ? En cette période électorale, c’est aux hommes
politiques de prendre leurs responsabilités, mais on se
souvient que « Moi, Président » s’était engagé à supprimer la Cour de justice de la République… Q
« Les conditions de la dispense de peine et de la grâce présidentielle
étaient-elles ou non réunies, dans ces deux affaires ? »
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 23 JANVIER 2017
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