Bons et mauvais usages des

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Bons et mauvais usages des
Bons et mauvais usages des plans de rigueur
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09/02/2010 À 00H00
Par PHILIPPE MARTIN professeur à Sc ienc es- Po.
La panique sur les dettes grecque, espagnole et portugaise la semaine dernière marque un tournant dans
la crise et va compliquer les stratégies macroéconomiques des gouvernements européens. Les agences
de notation n’ont pas fait leur travail et essaient aujourd’hui en surréagissant de faire oublier leur
incompétence : les mensonges des statistiques grecques et les difficultés de l’économie portugaise étaient
connus depuis des années.
Le paradoxe est qu’il n’y a pas raison que l’un de ces pays connaisse un défaut de paiement sauf si… sauf
si justement les marchés paniquent, exigent des primes de risque énormes (la Grèce doit déjà emprunter
à dix ans au taux de 6,7%, c’est-à-dire près du double de l’Allemagne), rendent difficile et coûteux le
paiement des échéances et précipitent un défaut de paiement, validant ainsi la panique initiale.
Il y a fort à parier qu’à la suite de cette panique, les pays européens vont se lancer dans une surenchère
de plans de rigueur. C’est dans cette ambiance délétère que le programme fiscal français a été envoyé la
semaine dernière à la commission, prévoyant de ramener le déficit public de 8,2% du PIB cette année à
3% en 2013. Entre 2010 et 2011, il est censé passer à 6%.
On peut déjà dire que cet ambitieux plan de rigueur a peu de chances d’être réalisé et s’il l’était, la
croissance serait bien inférieure aux 2,5% prévus pour 2011. Pour comprendre pourquoi, rappelons-nous
que si la récession de 2009 ne s’est pas transformée en dépression, c’est parce que la demande publique
injectée par les gouvernements s’est substituée à la demande privée (consommation, investissement et
exportations) défaillante. Le plan de rigueur, en retirant cette injection de demande, aura l’effet
symétrique inverse tant que la consommation et l’investissement demeurent atones. Cet effet dépend
crucialement de la taille de ce qu’on appelle le multiplicateur keynésien, c’est-à-dire de l’impact sur le
PIB d’une injection de dépenses publiques.
En temps normal, sans offre excédentaire, ce multiplicateur est certainement nul, voire négatif : une
augmentation de la demande d’origine publique adressée aux entreprises ne pourra pas se traduire par
une augmentation de la production parce qu’aucune capacité excédentaire n’existe pour cela. C’est bien
pourquoi faire de la relance budgétaire en période de croissance, comme les gouvernements français
l’ont fait dans le passé, est absurde. Mais la demande privée est aujourd’hui déficiente et nos capacités
de production excédentaires et, dans ce type de situation, le multiplicateur est plus élevé, de l’ordre de
1 à 2 selon les estimations récentes. C’est grâce à ce multiplicateur que les plans de relance ont permis
d’éviter le pire. Mais s’il agit lorsqu’on injecte de la demande publique, il agit à l’inverse lorsqu’on la
supprime avec un plan de rigueur.
Faisons donc un calcul (trop) rapide et incomplet : une réduction de déficit de près de deux points de PIB
(celle prévue entre 2010 et 2011) réduit la croissance de deux à quatre points selon que le multiplicateur
est de un ou deux. Pour obtenir, comme le prévoit le gouvernement, une croissance de 2,5% du PIB en
2011 en commençant par l’amputer de deux à quatre points du fait du plan de rigueur annoncé, il faut
donc faire l’hypothèse assez irréaliste d’un très fort rebond de la demande privée. Faut-il pour autant
renoncer à annoncer un plan de rigueur qui sera tôt ou tard indispensable pour éviter que la dette
publique n’explose ? Tout au contraire. Un récent travail (1) montre qu’un plan de relance est d’autant
plus efficace qu’il est accompagné de l’annonce d’un plan de rigueur futur (baisse des dépenses publiques)
permettant de revenir à une dette soutenable. Cette annonce permet de réduire les taux d’intérêt de
long terme ce qui soutient à court terme la consommation et l’investissement. Mais pour obtenir ce
résultat, le plan de rigueur annoncé doit être graduel, crédible et surtout ne doit pas venir trop
rapidement sinon il casse la croissance. Le plan du gouvernement est bien graduel mais il ne
s’accompagne pas de l’introduction d’une règle budgétaire (peut-être inscrite dans la Constitution) qui
l’aurait crédibilisé. La panique financière oblige aussi les gouvernements à des plans de rigueur
précipités, elle est dangereuse pour la croissance des prochaines années et in fine la soutenabilité de
notre dette.
Le gouvernement grec et la panique financière auront cependant réussi là où, malgré ses discours
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Bons et mauvais usages des plans de rigueur
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volontaristes, notre Président avait échoué. L’euro se déprécie et c’est une bonne nouvelle pour nos
exportateurs.
(1) «After the stimulus the big retrenchment» Giancarlo Corsetti, André Meier et Gernot Müller.
www.voxeu.org/index. php?q=node/4558 (en anglais)
Après six années de chroniques «éco» à «Libération», Philippe Martin a choisi de passer la main. Le mois
prochain, il sera remplacé par Romain Rancière.
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